Mme Annie David. Nous dérivons en effet beaucoup ! (Sourires.)

M. Daniel Raoul. Je sais, monsieur le ministre, que vous n’attendez pas le projet de loi d’avenir agricole pour travailler sur le sujet et que vous avez d’ores et déjà engagé une large concertation. Je tiens cependant à attirer une nouvelle fois votre attention sur le fait qu’une dizaine de textes sont en attente.

S’agissant de la question de la rémunération des semences de ferme, je souhaite pour ma part – il me semble d’ailleurs qu’il s’agit de la procédure retenue par le Gouvernement – que nous prenions exemple sur l’accord blé tendre de juin 2001. Ce dernier a démontré que des solutions pouvaient être trouvées, dans le cadre des interprofessions, entre obtenteurs et agriculteurs. Il faut donner la priorité à ces accords collectifs sur les modalités de fixation de la rémunération des obtenteurs.

En revanche, il faut que le cadre interprofessionnel permette à tous les syndicats d’agriculteurs représentatifs d’être associés à ces accords et qu’il leur donne la possibilité de s’exprimer. Cette remarque est valable, dans le secteur des semences, non seulement pour le GNIS mais aussi pour toutes les interprofessions agricoles.

Il me semble indispensable d’étendre la liste des espèces concernées par les semences de ferme en fonction des besoins exprimés par les agriculteurs. La convention UPOV vise l’ensemble des espèces végétales mais, pour l’instant, le règlement communautaire de base limite la dérogation à vingt et une espèces, auxquelles s’ajoute une espèce fourragère protégée seulement – on se demande pourquoi – au Portugal. Il faut absolument faciliter l’accès des agriculteurs à l’information sur les COV ainsi que sur les droits dus, en améliorant l’étiquetage des semences.

Je souhaite également que les contributions volontaires obligatoires – il fallait tout de même le faire pour trouver un tel concept ! (Sourires.) –, bref, que les COV récoltées permettent de soutenir la recherche publique. Lors des débats de 2011, nous avions évoqué l’idée qu’un tiers des fonds collectés soient fléchés vers les laboratoires publics. Je pensais, évidemment, à l’INRA en particulier, mais d’autres laboratoires publics travaillent sur les semences et l’obtention de nouvelles variétés végétales.

Le soutien à la recherche publique est d’autant plus indispensable que les firmes privées ont parfois tendance à privilégier des variétés qui peuvent, certes, répondre aux impératifs de productivité de l’industrie agroalimentaire, mais qui ne favorisent pas particulièrement la sobriété en matière d’intrants, ces deux aspects n’étant pas nécessairement corrélés ! Il y a pourtant en la matière d’importants progrès à faire. À cet égard, l’échec « annoncé » du plan Écophyto 2018 ne peut que nous encourager à redoubler d’efforts.

Dans mon département, par exemple, l’INRA travaille actuellement sur des semences nécessitant trois fois moins d’intrants à l’hectare pour une production offrant un rendement acceptable. Des solutions existent donc, à condition d’investir dans la recherche et développement sur de nouvelles variétés.

Il faudra entériner le fait que l’on ne peut demander aux agriculteurs de payer des royalties sur des récoltes produites à partir de semences de ferme quand ils autoconsomment sur l’exploitation ces productions, et, en disant cela, je me tourne vers le rapporteur de la loi de 2011 ! (M. Rémy Pointereau opine.) Il faut arrêter l’hypocrisie : sachant que cette pratique est courante et que l’on est incapable d’exercer le moindre contrôle, ce sera plus sain pour tout le monde !

Certes, lorsque les productions sont autoconsommées pour l’alimentation animale, il peut y avoir un risque de concurrence éventuellement déloyale s’il s’agit de bétail mis ensuite dans le commerce, mais le problème se pose en tout cas de façon certaine lorsqu’il s’agit de cultures destinées à protéger l’environnement. Je pense évidemment aux fameuses bandes enherbées de cinq mètres le long des cultures. Demander aux agriculteurs de payer des royalties dans ce cas, c’est pousser le bouchon un peu trop loin et il nous faudra au moins corriger ce point.

Il faudra aussi assurer les conditions d’accès des agriculteurs à des variétés tombées dans le domaine public, car sont actuellement seules commercialisées des variétés protégées. À défaut, le marché des semences protégées pourrait être considéré comme captif !

À titre d’exemple, je prendrai le cas d’un agriculteur que je connais et à qui vous pourriez d’ailleurs rendre visite, monsieur le ministre ! (Sourires.) Il est installé dans la commune de Savennières, où ne pousse pas que de la vigne. Il cultive des variétés anciennes de légumes, plus par loisir que par intérêt économique. Or, bien qu’il contribue à la préservation du patrimoine phytogénétique, il ne peut, théoriquement, donner ces variétés contre rémunération à un organisme de recherches tel que l’INRA. Heureusement, la proximité géographique de la station de l’INRA, située à Angers, lui permet peut-être, le week-end, de s’en approcher et de s’égarer en quelque champ… (Sourires.)

Il serait cependant tellement plus simple que toute personne physique ou morale puisse disposer d’un libre accès à un tel patrimoine. Cet agriculteur remplit en fait le rôle de conservatoire de variétés anciennes.

La procédure d’inscription au catalogue officiel des variétés anciennes devrait être simplifiée ; les frais d’inscription pourraient, malgré les contraintes budgétaires, être pris en charge et la liste des variétés anciennes étendue.

Pour conclure, je souhaite appeler l’attention du Gouvernement sur la nécessité – et je sais pouvoir compter, monsieur le ministre, sur votre engagement résolu – de veiller au maintien d’une exception COV pour le végétal, mais dans le cadre d’un brevet européen unique. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux saluer l’initiative du groupe CRC, qui nous permet de rouvrir ce débat bien nécessaire.

Les réglementations en matière de semences et d’obtentions végétales s’établissent dans un cadre européen et international. Or le cadre actuel, complexe, est particulièrement complaisant avec les aspirations des grosses firmes semencières.

En France, la loi relative aux certificats d’obtention végétale, publiée le 8 décembre 2011, n’est pas satisfaisante et, si elle permet d’éviter la brevetabilité du vivant, il faut constater qu’elle a provoqué une très vive émotion dans une partie du monde agricole et de la population, mais aussi dans une partie non négligeable de la communauté scientifique.

Privilégiant nettement les droits des obtenteurs, cette loi nie un des droits fondamentaux des agriculteurs en leur interdisant d’utiliser leur propre récolte de variétés protégées par un COV comme semences. Cette interdiction vaut pour la majorité des espèces cultivées à l’exception de vingt et une d’entre elles, dont l’utilisation est soumise au paiement de royalties lors de chaque ensemencement.

Contrairement à ce qui a été trop souvent affirmé, la loi ne se contente pas d’adapter le droit français au regard de nos engagements européens et internationaux : elle renforce les droits des obtenteurs bien au-delà de ce qui est exigé par ces engagements.

Une loi équitable et équilibrée aurait prévu une juste part de revenus pour l’obtenteur d’un COV, mais pas plus. La loi de 2011 reconnaît en effet le travail « d’obtention », c’est-à-dire le travail qui consiste à reproduire une variété végétale en la sélectionnant de manière à ce qu’elle devienne « distincte, homogène et stable », travail qui mérite rémunération, mais la légitimité de la rémunération de l’obtenteur doit se limiter au service qu’il ajoute à un bien commun : pas moins mais, surtout, pas plus !

Or cette loi est dangereusement déséquilibrée. Je ne citerai que quelques exemples.

Premièrement, elle refuse aux agriculteurs le droit, désormais réservé aux seuls obtenteurs, d’utiliser une variété protégée pour en sélectionner une autre.

Deuxièmement, elle généralise aux vingt et une espèces concernées par la loi dite COV le paiement de la contribution volontaire obligatoire blé tendre, alors que cette contribution vise aussi les agriculteurs qui utilisent les dernières variétés non protégées par un COV encore disponibles ou des semences paysannes qu’ils ont eux-mêmes sélectionnées et renouvelées.

Troisièmement, elle ouvre la porte aux brevets français et européens qui interdisent l’utilisation de toute semence de ferme ou paysanne porteuse de gènes brevetés sans la volonté de l’agriculteur.

Quatrièmement, elle ouvre également la porte à un nouveau brevet unitaire européen qui menace d’interdire toutes les semences de ferme de toutes les espèces.

In fine, qu’offre cette loi ? Elle garantit la distinction, l’homogénéité et la stabilité des semences et, de ce fait, contribue à leur uniformisation.

Il faut l’admettre, elle permet à un certain type d’agriculture, qui a son importance, d’orienter clairement sa production. Mais cela convient surtout aux firmes semencières, aux firmes productrices d’intrants et aux firmes publicitaires chargées de promouvoir les nouveaux produits.

Cette loi conduit ainsi à l’uniformisation et à la réduction des variétés de plantes et de graines comestibles, ce qui ne va ni dans le sens de l’intérêt général ni dans celui de l’intérêt supérieur de l’humanité.

À titre d’exemple, la perte de biodiversité cultivée est estimée à 75 % ces cinquante dernières années par une étude de la FAO. Or l’humanité a besoin de cette diversité, qui est un facteur d’adaptation aux climats, aux sols, aux terroirs, aux différents milieux.

Toujours selon la FAO, cinq grandes compagnies semencières contrôlent aujourd'hui 75 % de la semence potagère mondiale. Or le vivant n’est pas un secteur dans lequel le marché doit faire la loi.

Il a fallu 3,5 milliards d’années d’interactions du vivant pour engendrer la diversité génétique. Puis les sociétés successives ont identifié, sélectionné, échangé cette matière durant plusieurs milliers d’années. Ce bien commun naturel, mais aussi culturel, est patrimoine de l’humanité. Il nous a été transmis et nous avons le devoir de le léguer aux générations futures.

C’est pourquoi nous trouvons inacceptable que la loi entrave les autres pratiques culturales, c’est-à-dire celles des paysans qui échangent régulièrement leurs semences, renouvelant ainsi la variabilité et la diversité des populations indispensables à l’adaptation aux milieux.

Il est de la responsabilité des politiques de lutter contre la mainmise de quelques-uns sur la biodiversité, de garantir le respect des droits de l’ensemble des acteurs, qu’ils soient petits ou grands, ainsi qu’un modèle agricole soutenable et solidaire, à l’échelle tant nationale que mondiale. Cela implique notamment de soutenir le métier de paysan, et non de le fragiliser plus encore.

La loi relative aux certificats d’obtention végétale du 8 décembre 2011 doit donc être ajustée. Elle donne un droit exclusif à l’obtenteur sur la production, la reproduction et la commercialisation des semences ou des plants de sa propre variété, ainsi que sur l’utilisation commerciale de sa dénomination.

La loi, en excluant les semences de ferme et les variétés de ferme, en fait de facto des contrefaçons des variétés commerciales. Pourtant, ces semences « illégales » jouent un rôle que ne peuvent pas remplir les semences commerciales d’obtenteurs : adaptation locale des cultures, limite de la dépendance aux intrants, préservation des populations d’insectes pollinisateurs et de l’ensemble de la biodiversité.

Les semences et les variétés de ferme sont un complément irremplaçable et non un concurrent qu’il faut opposer aux semences d’obtenteurs.

C’est pourquoi nous, écologistes, demandons que soient prises en compte les populations variables ou évolutives multipliées en pollinisation libre ou en sélection massale par les agriculteurs.

Cet élargissement ne peut se faire uniquement par décret, car il nécessite la modification de l’article L. 623.1 du code de la propriété intellectuelle. Cependant, un décret pourrait être pris rapidement afin de mieux protéger les semences de ferme et les semences anciennes.

Parmi les décrets attendus, il en est un en projet sur l’amélioration de la politique des semences. Il met en œuvre l’article 117 de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement et l’article 31 de la loi du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’environnement.

Sa publication avait été bloquée par votre prédécesseur, monsieur le ministre. Il vous appartient de le rendre d’actualité et cela en procédant, comme à votre habitude, à de larges consultations, afin d’évoluer vers une meilleure protection de la biodiversité culturale et de la biodiversité globale, qui constituent, je le répète, un patrimoine inestimable pour les générations futures. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Raymond Vall.

M. Raymond Vall. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier nos collègues du groupe CRC, qui ont pris l’initiative de ce débat sur le droit de semer et la propriété industrielle.

Ces deux notions sont apparemment contradictoires puisqu’il s’agit, dans un cas, de reconnaître le droit des agriculteurs de ressemer librement une partie de leur récolte et, dans l’autre, de récompenser l’effort de recherche et d’innovation des semenciers par un droit exclusif sur les variétés végétales.

Ces notions sont-elles néanmoins conciliables ? Cette question a été au cœur des débats sur la loi relative aux certificats d’obtention végétale du 8 décembre 2011. Celle-ci devait garantir l’équilibre des droits entre les différents acteurs, en étendant la portée des COV et en autorisant, dans le même temps, l’utilisation de semences de ferme sur la même exploitation, sous réserve d’une indemnisation de l’obtenteur.

Le groupe du RDSE avait choisi de soutenir ce texte, considérant qu’il consolidait un modèle de protection de la propriété industrielle « moins pire » que celui du brevet, qui verrouille de façon dramatique la recherche mais a malheureusement ses partisans.

Le COV est à la génétique ce que le logiciel libre est à l’informatique : c’est une manière d’innover sans bloquer l’innovation chez les utilisateurs puisqu’il laisse la variété protégée librement disponible pour toute sélection d’autres variétés. Ce dispositif est donc une alternative efficace au brevet.

Par ailleurs, la France ayant été pionnière dans la mise en place de ce certificat, adopté maintenant par soixante-neuf pays, il était assez paradoxal qu’elle n’ait pas encore adapté sa propre législation aux standards internationaux.

Cela étant, nous l’avions dit à l’époque, notre position se voulait constructive dans l’attente d’un traitement satisfaisant de la question des semences de ferme au cours de la navette parlementaire.

À nos yeux, il fallait étendre l’autorisation au-delà des vingt et une espèces recensées à l’échelon européen et, au minimum, exonérer de la contribution volontaire obligatoire les agriculteurs utilisant des semences de ferme à des fins d’autoconsommation pour des cultures réalisées en application d’obligations environnementales ou en cas de perturbations sur le marché des semences. Notre collègue Daniel Raoul s’était d’ailleurs battu en ce sens.

C’était bien naïf de notre part puisque le Gouvernement a obtenu un vote conforme à l’Assemblée nationale, nous privant ainsi de revenir sur cette question ! Il est vrai que, entre-temps, le Sénat avait changé de majorité et qu’une navette aurait pu être fatale à l’adoption définitive de la loi…

En réalité, cette question va au-delà de la préservation des capacités de la recherche. Si l’enjeu était celui-là, nous serions tous d’accord.

Chacun a bien conscience que, pour conserver une recherche dynamique dans ce secteur, dans lequel la France est déjà en pointe, les entreprises de semences et de plants doivent pouvoir espérer un juste retour de leurs efforts d’innovation et disposer des mêmes droits que les entreprises concurrentes.

Encore faut-il savoir de quelle recherche on parle : dans quel but, pour quel développement agricole et par qui ?

Il est clair que l’obtention doit sanctionner un réel travail de recherche, en d’autres termes l’innovation. Sur ce point, la loi relative aux certificats d’obtention végétale semble satisfaisante.

Mais l’orientation de cette recherche n’est pas toujours adaptée au contexte actuel. Des blés de pays d’il y a 150 ans au blé tendre d’aujourd’hui, la recherche a fait évoluer les variétés, entraînant une amélioration spectaculaire de la production céréalière nationale, toutes espèces confondues, avec des hausses de rendement considérables. L’apport d’engrais, de produits phytosanitaires, le machinisme, la technique, le savoir-faire et la volonté patiente de l’agriculteur ou encore ses choix de rotation ont aussi largement contribué à cette progression.

Le défi alimentaire impose, certes, de conserver un niveau élevé de productivité, mais il faut aussi prendre en compte les nouvelles aspirations gustatives, le changement climatique et les objectifs de durabilité afin de préserver la capacité de la terre à nous nourrir demain.

De surcroît, certaines grandes firmes ont décidé d’orienter 100 % de leurs programmes de recherche vers des variétés hybrides, non reproductibles à la ferme. Va-t-on donc assister au contrôle de la totalité des semences et de la nourriture par une poignée de multinationales ?

Prenons garde à ce que le droit que nous construisons n’ôte pas aux agriculteurs le rôle de sélectionneurs qu’ils ont toujours joué dans l’histoire de l’agriculture, et ce depuis la révolution néolithique.

Ils ont contribué non seulement à la conservation in situ des semences, mais aussi à la préservation et surtout au renouvellement de la biodiversité cultivée. Le traité international sur les ressources phytogénétiques pour l’alimentation et l’agriculture de la FAO, approuvé par la France en 2005, reconnaît la considérable contribution, passée, présente et future, des agriculteurs.

En limitant la reproduction aux seuls champs des semenciers, on met la poule aux œufs d’or en danger, car il n’y a aucune commune mesure entre la diversité produite spontanément par des millions de paysans et celle qui résulte industriellement de quelques firmes agro-semencières, dont le mode de fonctionnement est fondé sur l’économie d’échelle et la standardisation.

La loi relative aux certificats d’obtention végétale introduit une nouvelle définition de la variété, issue de la convention de 1991 de l’UPOV, l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales, laquelle s’impose pour tout enregistrement et exclut les variétés population, caractérisées par une large diversité génétique. En effet, seules les lignées pures ou les hybrides F1 sont admis.

Ces variétés standardisées ne peuvent pas s’adapter à la diversité des terroirs et à la variabilité des climats sans recours important aux intrants chimiques. Leur monopole est un frein considérable au développement des agricultures paysannes et biologiques, qui utilisent la diversité et la variabilité intravariétales pour adapter leurs cultures.

Peut-on négliger de préserver le patrimoine génétique que représentent les variétés anciennes sachant que, d’après la FAO, 75 % de la diversité génétique présente dans l’agriculture a déjà disparu au XXe siècle ?

Puisqu’il faudra nourrir 9 milliards d’humains en 2050, il y aura de la place pour des modèles culturaux et culturels divers. Nous devons reconnaître le droit fondamental des agriculteurs à être les inventeurs de leurs choix agronomiques.

Il vous appartient, monsieur le ministre, de prendre les décrets d’application de la loi relative aux certificats d’obtention végétale.

S’il apparaît légitime que la protection conférée à l’obtenteur par un COV s’étende à toute commercialisation de semences de la variété qu’il a sélectionnée, est-il justifié qu’elle s’étende également à la récolte et aux semences produites par l’agriculteur lui-même ? La question est posée.

Il est vrai qu’une grande part des semences de ferme ne reproduit pas l’ensemble des caractères distinctifs de la variété initiale et produit des récoltes vendues sans aucune référence à une variété protégée par un COV.

Quoi qu’il en soit, cette loi ne règle pas la juxtaposition du brevet et du COV, qui reste un problème majeur. Elle ne prévoit rien sur la présence au catalogue des semences libres de droit. Elle ne reconnaît pas les variétés dites « variétés population ».

Il nous paraît donc indispensable d’engager une large consultation des parties prenantes afin d’apporter des réponses à ces différents points lors de l’élaboration des décrets.

Envisagez-vous, monsieur le ministre, de proposer une modification de la législation pour que les semences anciennes et nouvelles appartenant au domaine public et librement reproductibles sortent du champ d’application de la législation actuelle sur le commerce des semences ?

Enfin, qu’entendez-vous faire pour donner les moyens à la recherche publique de relever le défi alimentaire à venir ? (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord à saluer, comme je l’avais déjà fait à l’occasion d’un débat sur la ruralité, la qualité de vos interventions sur un sujet que vous abordez, j’ai pu le constater, en spécialistes.

Les questions relatives aux semences, au végétal, au brevetage du vivant ont été présentées comme des sujets de société et des enjeux éthiques, et, effet, beaucoup de choix devront être faits dans l’avenir afin de déterminer quelle conception de l’agriculture, mais aussi de la société, nous souhaitons promouvoir.

Ce soir, je vais d’ailleurs laisser de côté l’aspect technique, trop vaste pour le cadre de ce débat, et m’en tenir aux grands principes et aux objectifs politiques qui en découlent.

La première question qui est posée porte sur le choix majeur entre le brevetage et l’obtention. Je tiens à dire de manière très claire que je suis, et cela depuis longtemps déjà, pour l’obtention face au brevetage du vivant…

M. Daniel Raoul. Très bien !

M. Rémy Pointereau. Ce n’est déjà pas si mal…

M. Stéphane Le Foll, ministre. Il s’agit d’un véritable choix stratégique.

M. Ronan Kerdraon. Tout à fait !

M. Stéphane Le Foll, ministre. Je ne reviendrai pas sur les raisons pour lesquelles il est préférable de choisir l’obtention plutôt que le brevetage du vivant. Vous l’avez dit, il y a derrière ce choix la préservation d’une liberté essentielle. Le brevetage de l’innovation entraîne une captation qui nous rend directement dépendants non pas des chercheurs, mais de ceux qui se rémunèrent sur la recherche. Il y a là un véritable enjeu.

En tant que ministre de l’agriculture, je tiens donc à défendre l’obtention végétale par rapport au brevetage du vivant.

Mme Catherine Tasca. Très bien !

M. Stéphane Le Foll, ministre. C’est le premier principe.

M. Ronan Kerdraon. Il est excellent !

M. Rémy Pointereau. C’est déjà ça !

M. Stéphane Le Foll, ministre. À partir de là, des questions se posent sur l’application des règles qu’entraîne ce choix, sachant notamment que la France dispose d’un secteur économique des semences qui fait d’elle un pays reconnu et présent à l’échelle internationale dans ce domaine.

J’ai rencontré, il y a quelques semaines, le ministre ukrainien de l’agriculture. Il m’a parlé de beaucoup de choses, à propos desquelles, d’ailleurs, je n’ai pas forcément répondu. Une question l’intéressait plus particulièrement, celle des semences. Il s’adressait au ministre de l’agriculture français parce qu’il savait que, derrière lui, toute une industrie était susceptible de lui apporter des garanties et les moyens de développer la production céréalière dans son pays.

Il y a donc bien là un enjeu économique.

Il se trouve, en outre, que l’on a, dans ce secteur, ce que l’on recherche dans beaucoup d’autres : un tissu de PME-PMI. D’ailleurs, leur nombre crée par lui-même de la diversité dans le choix des semences. C’est aussi, à mon sens, un élément dont il faut tenir compte.

J’ajoute que, d’après les chiffres que l’on m’a donnés, il s’agit d’un secteur qui investit de 13 % à 15 % de son chiffre d’affaires dans la recherche, ce qui en fait l’un des secteurs qui consacre le plus de fonds à celle-ci. Il finance ainsi la recherche privée, bien sûr, mais également la recherche publique, comme l’a dit M. Raoul.

On a là les éléments sur la base desquels je souhaite que l’on discute : un choix stratégique, celui de l’obtention, un secteur économique qui s’appuie sur un tissu de PME-PMI et une recherche qui trouve à se financer au travers du système mis en place.

Une seconde question se pose ensuite, qui est liée elle à l’histoire de l’agriculture et au rôle qu’ont eu les paysans et les agriculteurs au cours des siècles dans l’amélioration des semences végétales. Ainsi, entre les premiers épeautres et les blés actuels, des modifications majeures se sont produites ; résultat de la sélection empirique, de l’expérience et de la transmission de celle-ci, l’amélioration des semences a ensuite été permise aussi par la recherche académique et scientifique.

Je voudrais donc que l’on abandonne l’idée selon laquelle il y aurait d’un côté la science, qui ferait avancer les choses, et, de l’autre, un monde agricole qui en serait dépendant. À cet égard, Michel Griffon, défenseur de l’agriculture écologiquement intensive, utilise une notion intéressante, celle de la « science implicative ». Les chercheurs cherchent, bien entendu, mais ils peuvent également s’appuyer sur l’expérience des agriculteurs. Il y a là un effet dialectique qui peut être tout à fait fructueux et permettre d’avancer de manière globale.

C’est tout le sens du débat entre Gérard Le Cam et Joël Labbé, dont les positions diffèrent sur la sélection des semences opérée par les agriculteurs eux-mêmes. Mais, au-delà, chacun a conscience, et c’est ce qui m’a frappé, de la nécessité de préserver un équilibre qui, personnellement, me semble positif. Or, basculer dans un sens ou dans l’autre pourrait le remettre en cause.

C’est ce qui m’amène au second principe : il faut préserver l’équilibre entre, d’une part, notre capacité à disposer d’un secteur économique de production de semences qui fonctionne et à financer une recherche qui permet à notre pays d’être reconnu à l’échelle mondiale, et, d’autre part, la liberté laissée aux agriculteurs de faire des choix.

Voilà les deux grands principes sur lesquels je veux que s’appuie la concertation que nous allons ouvrir au sein du ministère de l’agriculture pour aboutir aux fameux décrets en suspens. D’après ce que l’on me dit d’ailleurs, ce sont non pas dix, mais quatre décrets et un arrêté qui seraient en attente de publication,…