compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Bel

Secrétaires :

M. Hubert Falco,

M. Jacques Gillot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures cinq.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Candidatures à d’éventuelles commissions mixtes paritaires

M. le président. J’informe le Sénat que la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats aux éventuelles commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique relatif à l’élection des conseillers municipaux, des conseillers communautaires et des conseillers départementaux et du projet de loi relatif à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral, actuellement en cours d’examen à l’Assemblée nationale.

Ces listes ont été affichées conformément à l’article 12, alinéa 4, du règlement et seront ratifiées si aucune opposition n’est faite dans le délai d’une heure.

3

Candidatures à des organismes extraparlementaires

M. le président. Je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir lui faire connaître le nom de deux sénateurs titulaires et de deux sénateurs suppléants désignés pour siéger au sein de la formation élargie du Conseil national du numérique, institué par le décret n° 2012-1400 du 13 décembre 2012.

La commission des affaires économiques et la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire ont fait connaître qu’elles proposent respectivement les candidatures de M. Bruno Retailleau et de M. Pierre Camani pour siéger, en qualité de membres titulaires, au sein de cet organisme extraparlementaire.

Par ailleurs, la commission des finances et la commission de la culture, de l’éducation et de la communication ont fait connaître qu’elles proposent respectivement les candidatures de M. Yvon Collin et de Mme Sophie Primas pour siéger, en qualité de membres suppléants, au sein de cet organisme extraparlementaire.

En outre, je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir lui faire connaître le nom d’un sénateur pour siéger comme membre suppléant au sein du Conseil national de la mer et des littoraux.

La commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire a fait connaître qu’elle propose la candidature de Mme Hélène Masson-Maret pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.

Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

4

 
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'instauration du 27 mai comme journée nationale de la Résistance
Discussion générale (suite)

Journée nationale de la Résistance

Adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de loi relative à l’instauration du 27 mai comme journée nationale de la Résistance, présentée par M. Jean-Jacques Mirassou et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 350, texte de la commission n° 434, rapport n° 433).

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Jean Boyer et Robert Tropeano applaudissent également.)

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'instauration du 27 mai comme journée nationale de la Résistance
Article 1er (Texte non modifié par la commission)

M. Jean-Jacques Mirassou, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 27 mai 2013, il y aura exactement soixante-dix ans qu’a eu lieu la première réunion consécutive à la création du Conseil national de la Résistance, présidée par Jean Moulin. Il n’est pas inutile, bien au contraire, de rappeler dans quelles conditions cette création a eu lieu.

Depuis le 11 novembre 1942, la zone dite « libre » n’existe plus. L’occupation du pays est totale et l’Allemagne nazie, aidée en cela par le régime complice de Pétain, accentue de plus en plus la répression des mouvements de résistance.

Du reste, ces différents mouvements s’étaient spontanément constitués depuis la défaite et l’appel lancé le 18 juin 1940 par le général de Gaulle. Mais l’absence de coordination fragilise la Résistance et l’empêche d’être aussi efficace qu’elle pourrait l’être, tant dans ses actions de terrain, dans son combat quotidien, que dans la portée de son message à destination des populations.

C’est la raison pour laquelle le général de Gaulle et l’ensemble des dirigeants de la France libre ont très rapidement compris la nécessité d’unifier les différents mouvements de Résistance à travers la création du Conseil national de la Résistance.

Cette mission a été confiée par le général de Gaulle à Jean Moulin, son délégué, qui est parachuté en France en janvier 1942. Pendant plus d’un an, Jean Moulin rencontre les dirigeants de la Résistance, gagne leur confiance tout en leur apportant soutien matériel et en les incitant à travailler ensemble.

Ces efforts aboutissent à la création du Conseil national de la Résistance, le 27 mai 1943.

La réunion constitutive se tient à Paris, au premier étage du 48, rue du Four, chez René Corbin. Le Conseil national de la Résistance, sur l’initiative de Jean Moulin, secondé de Pierre Meunier et de Robert Chambeiron, était composé de dix-neuf personnes, toutes recherchées par l’occupant, qui se sont réunies bien sûr dans la plus grande clandestinité.

Il s’agit des représentants des huit grands mouvements de résistance et des deux grands syndicats d’avant-guerre – la CGT et la CFTC – ainsi que des représentants des six principaux partis politiques de la IIIe République se reconnaissant dans les idéaux républicains.

La création du Conseil national de la Résistance constitue à plus d’un titre un acte fondateur, car il aura permis de regrouper en son sein des personnalités venant d’horizons différents et qui, en transcendant leurs différences, ont su privilégier ce qui les rassemblait avant tout, c’est-à-dire leur attachement indéfectible à la République et à ses valeurs, à la nécessité absolue de les défendre.

À partir de là, le Conseil national de la Résistance s’est assigné deux missions : la mise en œuvre d’un plan d’action immédiat, aussi efficace et implacable que possible, de lutte contre l’occupant et Vichy jusqu’à la libération du pays ; l’élaboration, à plus ou moins long terme, de mesures à appliquer après la Libération – c’est ce qu’il est convenu d’appeler « le programme du Conseil national de la Résistance » – dans le but de restaurer dans notre pays la démocratie sous toutes ses formes, de mettre en place les réformes économiques et sociales qui ont façonné notre modèle de société, lesquelles prévalent encore de nos jours et qu’il nous appartient de préserver.

Le CNR aura donc réussi son formidable pari, tant dans le combat qu’il a mené contre l’occupant que dans le redressement du pays à partir de la Libération.

La disparition tragique de Jean Moulin, après son arrestation à Caluire le 21 juin 1943 et les terribles sévices qui lui ont été infligés, aurait pu, on s’en doute, déstabiliser et mettre en péril le Conseil national de la Résistance. Pourtant, l’organisation et le cloisonnement renforcé du dispositif auront permis de franchir cette épreuve sans remettre en cause la pérennité du CNR, qui représentera jusqu’au bout la légitimité de la France du refus de la capitulation et de l’occupation.

Du reste, c’est bien parce que le général de Gaulle a incarné cette légitimité qu’il a pu s’affirmer, à juste titre, comme le représentant de l’ensemble de la France combattante. C’était le passage obligé pour que notre pays puisse reconquérir sa souveraineté en retrouvant sa place à la table des vainqueurs et en échappant ainsi à sa mise sous tutelle par les Alliés à partir de la Libération. Ce n’était pas chose acquise.

Voilà donc, mes chers collègues, rapidement résumée, quelle fut l’épopée du Conseil national de la Résistance, de ceux qui l’ont animé et de tous ceux qui ont payé au prix fort, celui de leur vie, leur refus de se soumettre à un ordre totalitaire, tout en exprimant leur volonté de voir leurs concitoyens reconquérir, dans un deuxième temps, l’exercice de leurs droits fondamentaux dans un système politique démocratique, apaisé et tourné vers l’avenir.

Incontestablement, le personnage le plus emblématique du Conseil national de la Résistance est Jean Moulin, qui a payé au prix du sacrifice suprême l’attachement à son idéal.

Fort légitimement, il repose depuis le 19 décembre 1964 au Panthéon.

À travers sa personne, la « reconnaissance de la patrie aux grands hommes » concerne l’ensemble des résistantes et des résistants, qui, parfois très jeunes, ont pris toute leur place au service de la République. Ils font partie, incontestablement, de ceux que Victor Hugo, dans son poème Hymne, a célébrés par anticipation comme des martyrs, des vaillants, des forts.

N’y aurait-il que ce que je viens d’évoquer à l’instant, cela suffirait largement à mes yeux pour justifier la proposition de loi que j’ai l’honneur de vous présenter, dont l’article 1er instaure une journée nationale de la Résistance destinée à assurer la transmission de la mémoire de cette partie de l’histoire de notre pays, tout en rendant un hommage légitime et appuyé à ceux qui en ont été les acteurs, et dont certains vivent encore.

Bien sûr, certains esprits chagrins, une fois de plus, ont estimé que l’adoption d’une telle proposition de loi ferait courir le risque d’un « encombrement » du calendrier mémoriel.

À ceux-là, je réponds très facilement qu’aucune commémoration officielle, qu’il s’agisse de la journée nationale de la déportation, du 8 mai, du 18 juin ou du 16 juillet, n’est dédiée spécifiquement au Conseil national de la Résistance et, d’une manière plus générale, à la Résistance.

Par ailleurs – faut-il l’ajouter ? –, un sondage CSA publié en juillet 2012 fait ressortir que 67 % des jeunes de quinze à dix-sept ans et 60 % des jeunes de dix-huit à vingt-quatre ans ignorent ce que fut la rafle du Vél’ d’Hiv. Cela démontre, de manière indiscutable à mon sens, qu’il y a encore fort à faire pour que les jeunes de notre pays aient une connaissance plus précise de cette période dramatique et cruciale de l’histoire de la France.

Dans le même temps, 85 % de nos concitoyens considèrent qu’il est important de transmettre aux jeunes cette mémoire et les enseignements que l’on peut en tirer.

En effet, force est aussi de constater que, de nos jours, le négationnisme et le révisionnisme connaissent une montée en puissance, et qu’un certain nombre de démocraties ont du mal à contenir la résurgence de partis néonazis.

Il est donc parfaitement indispensable que notre jeunesse accède à un niveau de connaissance du passé lui permettant d’appréhender dans les meilleures conditions son propre avenir en retenant les leçons de l’histoire.

Faut-il, au prix d’une répétition à mon sens bienvenue, citer une nouvelle fois Winston Churchill : « Celui qui ignore son passé se condamne à le revivre ! » ?

On comprendra donc facilement que, au-delà de la reconnaissance et de l’hommage rendu par cette future loi à l’ensemble des résistantes et des résistants, il y a également l’opportunité d’engager une démarche éminemment pédagogique à l’égard de notre jeunesse.

Bien sûr, le concours national de la Résistance et de la Déportation organisé conjointement par le ministère de l’éducation nationale et les collèges connaît chaque année un réel succès, grâce également à l’implication des anciennes résistantes et anciens résistants. Toutefois, il faut bien constater que ces exercices ne sont pas suivis partout, en particulier dans les collèges implantés dans des quartiers où la citoyenneté gagnerait à faire un bond en avant.

Est-il besoin de préciser également – et cela me semble déterminant – que le monde combattant, et singulièrement les associations les plus emblématiques de la Résistance au premier rang desquelles figure l’association nationale des anciens combattants et amis de la Résistance, réclame depuis plusieurs décennies, à juste titre, l’instauration d’une journée mémorielle ? J’ajoute que de nombreuses collectivités territoriales – communes, départements et régions – relayent depuis bien longtemps cette demande par des dépôts de vœu ou des demandes de résolution.

Voilà donc, mes chers collègues, s’agissant de l’hommage nécessaire à rendre à la Résistance et à ses acteurs ainsi que de la transmission de la mémoire aux plus jeunes d’entre nous, ce qui justifie l’article 1er de cette proposition de loi qui vise à instaurer une journée nationale de la Résistance, le 27 mai de chaque année.

Des cérémonies patriotiques seront organisées au cours de cette journée qui ne sera ni fériée ni chômée, comme le précise l’article 2.

L’article 3 de la proposition de loi, quant à lui, concerne ce que j’appellerai le volet pédagogique à mettre en place à l’égard de notre jeunesse.

Il a fait l’objet d’une concertation avec l’excellent rapporteur de la commission des affaires sociales, Ronan Kerdraon, afin d’aboutir à une rédaction plus en adéquation avec le point de vue du corps enseignant. Les actions éducatives évoquées visent pour des raisons évidentes les élèves du collège et du lycée qui ont atteint l’âge critique leur permettant de mieux appréhender ces données historiques.

Le volet pédagogique doit à mon sens permettre de faire une démonstration. Celle-ci part du constat très simple selon lequel, au moment où notre pays, écrasé sous la botte nazie et par le régime de Vichy, était prêt à sombrer dans le désespoir et la résignation, il s’est trouvé des femmes et des hommes qui, en initiant la Résistance, ont engagé la lutte contre l’occupant, se démarquant ainsi très fortement de ce désespoir et de cette résignation et faisant le pari de l’avenir.

Parallèlement, et ce n’est pas la moindre des choses, ces femmes et ces hommes se sont attachés, dans un formidable élan de volontarisme et de lucidité, à imaginer, en 1943, ce que serait la société de demain, celle qui allait se mettre en place après la Libération.

Cette démarche éminemment politique, au sens le plus noble du terme, a vu sa concrétisation dans le programme élaboré par le Conseil national de la Résistance, dont la première édition mentionnait en surtitre : « Les jours heureux ».

C’était aussi la démonstration que, tant que la perspective de la victoire alliée n’était pas acquise, un acte politique pouvant paraître virtuel pendant l’occupation était de nature à rompre le fatalisme et à influer fortement sur le cours des choses.

C’est à mes yeux – et je pense que vous partagerez mon point de vue – le sens premier d’un acte politique majeur.

C’est dire que, au moment où s’opère au sein de l’opinion publique, et singulièrement de la jeunesse, une distanciation avec le monde politique, il y a là matière à réflexion pour arriver à réconcilier nos concitoyens avec la chose publique.

Cette réflexion s’adresse également aux élus que nous sommes, qui ont parfois trop tendance à céder au confort intellectuel, dans le meilleur des cas, voire à une forme de résignation.

Il faut donc aller chercher sans cesse dans cette tranche d’histoire, et auprès de ceux qui l’ont faite, les raisons d’espérer et la volonté, à travers des décisions politiques, de construire une société plus juste, plus fraternelle, dans le cadre d’une République que nous devons sans cesse rénover.

En votant cette proposition de loi, je vous invite, mes chers collègues, à apporter notre modeste contribution à cette belle entreprise. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Ronan Kerdraon, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, je tiens en préambule à saluer l’excellente initiative de Jean-Jacques Mirassou, auteur de cette proposition de loi qu’il a présentée avec le talent qu’on lui connaît.

M. Didier Guillaume. C’est vrai !

M. Jean-Jacques Mirassou. Je vous remercie !

M. Ronan Kerdraon, rapporteur. Le 27 mai 1943, eut lieu la première séance du Conseil national de la Résistance, non loin d’ici, au 48, rue du Four.

À cette occasion, se réalisait l’union politique des mouvements, des partis et des syndicats derrière le général de Gaulle.

À l’heure où l’entraide et la tolérance faiblissent, il est plus important que jamais de faire écho aux valeurs humaines, philosophiques et politiques – au sens noble du terme – qui ont guidé jusqu’au bout les résistants français lors de la Seconde Guerre mondiale.

Comme la plupart d’entre vous, mes chers collègues, je crois à la nécessité de préserver les dates de commémoration, lesquelles rythment le devoir de mémoire.

Ce texte s’inscrit dans la suite de la proposition de loi déposée par notre collègue Alain Néri à l’Assemblée nationale, visant à reconnaître le 19 mars comme la date marquant la fin de la guerre d’Algérie.

La logique est la même, sur le plan tant symbolique qu’historique. Comme Jean-Jacques Mirassou, je suis intimement convaincu que l’instauration du 27 mai comme journée nationale de la Résistance constitue un devoir de mémoire, un devoir d’histoire, nous permettant d’assumer notre passé et de construire notre avenir en adressant un signal fort et un hommage de la nation à ces femmes et à ces hommes, à ces combattants de la Résistance.

Souvenons-nous, parmi eux, 20 000 résistants des Forces françaises de l’intérieur tués au combat, 30 000 fusillés et plus de 60 000 autres déportés dans les camps, sans évoquer le grand nombre des anonymes. Il est utile de toujours faire écho publiquement de leur dévouement au service de la France, et surtout auprès de la jeunesse, afin de ne jamais oublier l’un des grands chapitres de notre histoire contemporaine.

Les valeurs défendues par la Résistance restent de nos jours des valeurs auxquelles nous devons nous référer et que nous devons transmettre.

Chacun doit en effet pouvoir se retrouver autour de la défense de la démocratie ou de la préservation de la paix, en ces temps où le mot « conflit » résonne et frappe malheureusement sur tous les continents.

Le temps passe, mais la reconnaissance de la nation est toujours aussi vive et doit demeurer ainsi. L’Histoire n’est-elle pas la reconnaissance du passé ?

Aussi, le message de la Résistance, loin de s’épuiser, doit persister – et nous devons l’encourager –, et la proposition de loi de notre collègue Jean-Jacques Mirassou répond à cet objectif d’une façon qui ne peut que faire consensus parmi nous !

Montesquieu écrivait : « Il faut éclairer l’histoire par les lois et les lois par l’histoire. » La création d’une journée nationale de la Résistance s’inscrit en effet dans cette continuité.

Comment nier, aujourd’hui, le rôle essentiel de la Résistance dans le redressement de la nation après l’infamante défaite de 1940 et la collaboration qui en a été la conséquence ?

Comment nier que nous avons tous une dette envers ces combattants qui ont développé une presse clandestine, diffusé des tracts, fabriqué des faux papiers, organisé des grèves et des manifestations, sauvé des populations traquées, des prisonniers de guerres évadés, des réfractaires au service du travail obligatoire, le STO ?

Que de courage et d’abnégation fallait-il à ces femmes et à ces hommes pour lutter contre l’occupant !

Comme l’a souligné lors des auditions l’historien Jean-Pierre Azéma, l’unification politique des résistances, avant que ne se développent la résistance armée et les maquis, a préservé la France des sanglantes luttes pour le pouvoir qui ont suivi la libération d’autres États, comme la Grèce ou la Yougoslavie.

C’est pourquoi un travail de sensibilisation devra être accompli à cette occasion dans les collèges et les lycées.

L’histoire de la Résistance fait déjà partie des programmes scolaires, notamment en classes de troisième et de première.

Il convient aussi, comme l’a fait Jean-Jacques Mirassou, de souligner le rôle majeur que joue le concours national de la Résistance et de la Déportation, organisé depuis maintenant plus de cinquante ans avec l’aide des associations d’anciens résistants, du ministère de la défense et de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre, l’ONAC.

Il faut donner aux établissements scolaires et aux équipes pédagogiques volontaires la possibilité d’approfondir, à l’occasion de cette journée nationale de la Résistance, les travaux qu’ils souhaitent réaliser avec les élèves.

L’épisode de la lettre de Guy Môquet, fusillé en 1941, doit nous inciter à une certaine souplesse dans cette ambition.

Mes chers collègues, le CNR et son programme sont porteurs des valeurs qui constituent encore aujourd’hui le socle de notre société. Ils ont préfiguré les grandes réformes sociales de l’après-guerre, et ces valeurs doivent être la base des actions éducatives.

La Résistance, c’est d’abord l’honneur de la France.

Dès 1940, les résistants ont réfléchi aussi aux causes de la défaite et aux moyens de reconstruire matériellement et moralement la nation.

Le programme du CNR voulait remédier aux faiblesses de 1940, abolir le régime autoritaire corporatiste, mettre en place une France modernisée, une société plus juste et plus solidaire. Gardons en mémoire les nationalisations, la sécurité sociale, la modernisation de la presse, le droit de vote des femmes, la constitution de 1946 ! Toutes ces avancées sont issues directement du travail du Conseil national de la Résistance.

À mes yeux, si le législateur peut contribuer, grâce à cette proposition de loi, à ce que les jeunes découvrent et mémorisent ces valeurs, alors il se sera montré digne de la fonction qu’il occupe.

Par cette proposition de loi, nous allons donner un caractère pérenne à cet hommage tout en soulignant la spécificité du 27 mai prochain, auquel les plus hautes autorités de l’État attachent une très grande importance.

L’institution de cette journée nationale de la Résistance, portée par de très nombreuses associations du monde combattant, est par ailleurs une demande de longue date des parlementaires des deux chambres et de toutes les familles politiques.

Je tiens à rappeler du haut de cette tribune le travail précurseur de certains de nos collègues ou anciens collègues : André Vallet, qui en décembre 2006 voulait instituer une journée célébrant la date de la première réunion du CNR ; Gisèle Printz, présente parmi nous ce matin, et Guy Fischer, qui, en 2007, ont tous deux déposé une proposition de loi visant à instaurer une journée nationale de la Résistance en direction de la jeunesse.

Mes chers collègues, je ne vous propose pas d’adopter une loi mémorielle qui prescrirait une vision officielle de l’histoire ou sanctionnerait les critiques de faits historiques établis.

Je ne vous invite pas non plus à alourdir de manière superflue le calendrier commémoratif officiel. L’instauration d’une journée nationale de la Résistance ne constitue en rien une redondance avec les dates qui y figurent déjà.

Il s’agit plutôt de l’union de ces dates symboliques, de la résistance intérieure et de la France libre, grâce à l’action de Jean Moulin, que nous a rappelée tout à l’heure Jean-Jacques Mirassou. Grande figure historique, Jean Moulin entre en contact avec la résistance française après avoir entendu l’appel du 18 juin 1940, lancé par le général de Gaulle depuis Londres. Le 1er janvier 1942, il devient le représentant du général de Gaulle auprès des mouvements de résistance, qu’il parvient à unifier lors de la réunion du 27 mai 1943, à Paris.

Dans une lettre adressée à sa mère en juin 1940, Jean Moulin écrivait : « Je ne savais pas qu’il était si simple de faire son devoir quand on est en danger. »

Et comme l’a déclaré si justement André Malraux dans le discours qu’il a prononcé en hommage à Jean Moulin, le 19 décembre 1964, lors du transfert de ses cendres au Panthéon : « Il a été le Carnot de la Résistance. » Jour après jour, il s’est employé à donner corps à cette armée de l’ombre.

Notre devoir de mémoire est de reconnaître les services rendus par les combattants de la liberté du 18 juin 1940 jusqu’à la libération de 1944.

Aussi, je vous propose que la République reconnaisse enfin la spécificité de l’engagement des femmes et des hommes qui ont rejoint la résistance intérieure alors que le pays était occupé et que la collaboration avait été institutionnalisée par l’État français du maréchal Pétain. Ils ne doivent pas tomber dans l’oubli. Il faut au contraire rappeler l’actualité des valeurs pour lesquelles ils se sont battus, en leur nom et en ceux des résistants qui nous quittent au fil des années, comme Stéphane Hessel, Robert Galley ou encore Gisèle Guillemot.

Je citerai de nouveau André Malraux : « Dans un univers passablement absurde, il y a quelque chose qui n’est pas absurde, c’est ce que l’on peut faire pour les autres ».

Cette phrase résume très bien le dévouement, les sacrifices, le courage dont ont fait preuve ces soldats de l’ombre qui donnèrent leur vie à notre liberté !

Il n’est pas dans mon intention de faire un cours sur l’histoire de la Résistance mais je voudrais expliquer les raisons du choix de la date du 27 mai, la plus légitime, la seule à s’imposer.

Revenons à la proposition de loi : après le principe de la journée nationale de la Résistance, posé à l’article 1er, l’article 2 en fixe la date au 27 mai et précise que cette journée ne sera ni fériée ni chômée.

Enfin, l’article 3 porte sur le rôle dévolu à l’éducation nationale dans cette journée commémorative et la façon dont les élèves peuvent y être associés. C’est l’un des aspects essentiels de ce texte que Jean-Jacques Mirassou a rappelé tout à l’heure.

Au-delà des cérémonies officielles qui seront organisées dans chaque département, c’est en direction de ceux qui ignorent ou qui connaissent mal l’histoire de la Résistance qu’un travail particulier doit être entrepris.

Ce travail de mémoire s’adressant d’abord à la jeunesse, il me semble important de rappeler ici le rôle des jeunes pendant la Résistance.

À cet instant, permettez-moi, mes chers collègues, en tant que parlementaire des Côtes-d’Armor, d’avoir une pensée toute particulière pour le lycée Anatole-Le-Braz de Saint-Brieuc et ses lycéens martyrs.

Le 10 décembre 1943, la Gestapo fait irruption dans l’établissement. Vingt et un élèves accusés de résistance sont arrêtés. Parmi eux se trouvent Pierre Le Cornec, Yves Salaün et Georges Geffroy. Quelques semaines plus tôt, à Plérin, la commune dont je suis le maire, ces jeunes ont tué un SS effectuant une ronde en essayant de lui prendre son revolver. Ils seront fusillés au Mont-Valérien le 21 février 1944. Ils avaient dix-huit ans.

« Mon cas était plus grave que je ne le pensais… », écrit Georges Geffroy dans une dernière lettre aux siens.

« J’ai joué, j’ai perdu, ce que d’autres gagneront, j’ai combattu pour un grand idéal : la liberté. », écrit Yves Salaün.

« Ma vie a été courte, mais j’ai le sentiment qu’elle a été belle, car j’ai eu un idéal. », écrit Pierre Le Cornec.

Ces témoignages sont forts et méritent d’être transmis aux jeunes générations.

Certains, comme Louis Le Faucheur, décédé la semaine dernière, connaîtront le cauchemar de la déportation.

Au total, 81 élèves et un professeur du lycée Le-Braz sont morts pour la France, sans compter les déportés, les résistants, les combattants qui ont survécu.

Le lycée a reçu la Croix de guerre avec l’étoile d’argent pour « la large contribution payée à la Patrie ».

Les témoignages des résistants soulignent la diversité de leurs origines sociales, culturelles, politiques, religieuses et les raisons qui ont motivé leur engagement.

Ces jeunes, en majorité issus des milieux ruraux et ouvriers, sont porteurs des valeurs familiales et des mouvements de jeunesse nés dans l’entre-deux-guerres.

Ils ont en commun d’avoir refusé la défaite et la soumission, mais aussi d’avoir manifesté leur volonté de s’affirmer comme Français et comme tels, porteurs des valeurs du « pays des droits de l’homme ».

Qu’ils aient distribué des tracts, guidé les aviateurs vers l’Espagne, acheminé les renseignements au sein des réseaux ou combattu les armes à la main, unis par un même désir de liberté et de démocratie, ils ont offert leur jeunesse et parfois leur vie pour défendre leurs idéaux et préserver notre liberté.

C’est cette détermination qu’exprime, par exemple, Henri Fertet, qui signe sa dernière lettre à ses parents par ces mots terribles : « Un condamné à mort de seize ans ».

L’implication des jeunes dans la Résistance et dans la France libre a profondément modifié le visage de la France libérée. Ainsi que l’avait pressenti Marc Bloch dans L’Étrange Défaite : « La France de la défaite aura eu un gouvernement de vieillards. […] La France d’un nouveau printemps devra être la chose des jeunes ».

René Char écrivait : « Résistance n’est qu’espérance ». C’est donc sur ces mots que je souhaite conclure, car tel est bien le sens de cette journée nationale de la Résistance.

Dans les heures les plus sombres de notre histoire, les résistants ont refusé la résignation et ont placé leur attachement à la souveraineté de l’État et au respect des libertés fondamentales au-dessus de leur propre vie.

Mes chers collègues, rendons hommage à cette croyance indéfectible dans les idéaux républicains en adoptant unanimement cette proposition de loi.

Je ne peux conclure cette intervention sans remercier les services de la commission des affaires sociales de leur excellente collaboration. (Applaudissements.)