M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, rapporteur.

M. Alain Anziani, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur le projet de loi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui l’autre volet des dispositions en faveur de la transparence : le volet financier. Il s’agit de tout ce qui touche à la lutte contre la grande délinquance économique et financière et la fraude fiscale, à travers deux projets de loi, l’une ordinaire, l’autre organique, qui traite du procureur financier.

Le projet de loi ne vise pas, comme j’ai pu l’entendre, à punir l’épicier du coin ou l’avocat qui n’aurait pas déclaré la totalité de ses honoraires. Il a pour objet de lutter contre une pieuvre qui déploie ses tentacules à l’échelle du monde, en recourant à des techniques très sophistiquées. D’une pression sur un bouton, les fraudeurs peuvent non seulement dissimuler des milliards, mais également encaisser des centaines de millions, par exemple au moyen des carrousels de TVA intracommunautaires.

Cette lutte est difficile, et le débat ne l’est pas moins. Ainsi, il y a peut-être un mois, une tribune comparait ce projet de loi aux grands textes de la Terreur, assimilant tous ceux qui l’approuveront, vous tous, vous-mêmes, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, à des petits Robespierre !

M. Bruno Sido. Quand même pas !

M. Jean-Jacques Mirassou. Il n’y a pas de petits Robespierre ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Alain Anziani, rapporteur. Notre volonté n’est pourtant pas de couper des têtes, mais, plus modestement, de rétablir l’égalité de tous devant l’impôt, comme le disait à l’instant M. le ministre du budget.

La fraude fiscale complexe n’est pas moins grave que le banditisme. Les deux vont d’ailleurs souvent de pair, l’une permettant de blanchir le produit frauduleux de l’autre. Elle donne naissance à une sorte de délinquance propre, sans cadavre ni violence, au moins à première vue.

Ses victimes sont pourtant nombreuses, et l’argent détourné se compte en milliards. Nous n’en connaissons pas le montant exact, mais il semble osciller entre 30 milliards et 80 milliards d’euros. Une estimation avance même le chiffre très impressionnant de 1 000 milliards à l’échelle européenne. Ce sont là des gisements de ressources qui permettraient de réduire la dette et de relancer la croissance.

Je voudrais donc commencer par féliciter Mme la garde des sceaux et M. le ministre du budget pour la somme considérable de travail que représentent ces deux textes et pour leur engagement déterminé et constant contre cette nouvelle forme de délinquance.

La commission des lois a renforcé les moyens d’enquête, alourdi les sanctions, créant en particulier une infraction de fraude fiscale en bande organisée, punie très lourdement, de sept ans d’emprisonnement et d’une amende de 2 millions d’euros ; elle a également soutenu toutes les mesures de recouvrement, perfectionnant, en particulier, les mécanismes de saisie.

Ces trois volets de mesures faisant l’objet d’un large consensus, je ne m’y attarderai pas, pour mieux me concentrer sur les trois grands points qui font encore débat.

Le premier d’entre eux porte sur diverses questions de procédure. Une interrogation les résume : les nouvelles règles de procédure respectent-elles l’équilibre entre les nécessités de la lutte contre la grande délinquance et les droits fondamentaux des citoyens, auxquels notre commission s’est toujours montrée attachée ?

À mes yeux, cet équilibre est respecté. Nous l’avons même renforcé.

Choquée par le renversement de la preuve en matière de blanchiment, qui imposait d’apporter une preuve négative, la commission l’a supprimé.

Nous avons également refusé de modifier les règles de prescription, auxquelles il ne faut toucher que d’une main tremblante, pour reprendre une expression ancienne mais qui inspire toujours la commission de lois.

Après de longs débats, nous avons approuvé l’extension des techniques spéciales d’investigation au délit de fraude fiscale en bande organisée. Cela n’allait pas de soi, notamment en ce qui concerne la garde à vue de quatre jours, appliquée aujourd’hui à la criminalité organisée.

Nous avons, encore, admis les preuves illicites, en maintenant toutefois la condition d’un visa de l’autorité judiciaire, qui nous paraît être une garantie indispensable.

Nous avons, enfin, tout à fait compris la nécessité d’un statut du repenti.

Parmi ces questions de procédure, demeure un point qui fera l’objet d’amendements et sur lequel je reviendrai donc plus amplement par la suite : la protection des lanceurs d’alerte.

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Alain Anziani, rapporteur. Pour certains, il s’agit moins de dénonciation que de délation : le mot a été prononcé en commission des lois.

Il nous a semblé que le texte de l’Assemblée nationale était trop large. Nous avons donc essayé d’en réduire à la fois le champ, en le cantonnant aux délits et aux crimes et en en excluant les contraventions, et les cibles, en les limitant aux alertes lancées auprès de l’autorité judiciaire, conformément à l’article 40 du code de procédure pénale, ou d’une autorité administrative, alors que le texte de l’Assemblée nationale prévoyait que pouvaient aussi être prises en considération les alertes adressées à un média, voire à une entreprise concurrente.

Le deuxième point en débat a trait à la nouvelle organisation judiciaire, que Mme la garde des sceaux a bien voulu nous rappeler. Aujourd’hui, l’organisation est complexe, comprenant quatre niveaux : les tribunaux de grande instance, les pôles de l’instruction, les trente-six pôles économiques et financiers et les huit juridictions interrégionales spécialisées, les JIRS.

Les auditions nous ont permis de comprendre que cette complexité était dépassée et que certains pôles économiques et financiers devaient disparaître afin que leurs moyens servent à conforter les JIRS. Nous soutenons ce transfert.

Le procureur financier donnera certainement lieu à un grand débat. La commission des lois soutient sa création, même si des avis divergents se sont exprimés. Il nous paraît important d’afficher notre volonté de lutte en l’incarnant dans une personne. Cela garantira l’autonomie des moyens consacrés à cette lutte. Ce procureur sera, en outre, l’interlocuteur privilégié des services d’enquête nationaux et, à terme, européens, quand le parquet européen aura été créé.

Nous nous sommes beaucoup interrogés, comme vous, madame la garde des sceaux, sur la question de la coordination en cas de conflits de compétence. J’admire la confiance que vous placez dans l’intelligence de la justice, mais c’est naturellement conforme à votre rôle.

Nous avons prix acte de la suppression des instructions individuelles, effective depuis votre circulaire du mois de septembre. Toutefois, subsiste une sorte d’angoisse : que se passera-t-il si les conflits de compétence entre deux JIRS persistent ? Une solution pourra-t-elle être rapidement trouvée ? J’ai entendu que vous pourriez y contribuer au moyen d’une circulaire générale. On avance aussi que les procureurs maîtrisent l’art de la concertation.

Il nous est néanmoins apparu plus prudent de prévoir un mécanisme subsidiaire, qui pourrait, après la concertation, prendre la forme d’un arbitrage du procureur général de la cour d’appel de Paris. Il lui reviendrait alors de dire en dernier ressort si tel ou tel point est de la compétence de la cour d’appel de Lyon ou de celle de Marseille, par exemple. Nous serons très attentifs à ce que vous nous direz sur cette question.

Le dernier point en débat concerne ce que l’on appelle le « verrou de Bercy » ; je reprends cette expression usitée, tout en sachant que M. le ministre du budget ne la prise guère. Je voudrais d’ailleurs le remercier de la qualité de son exposé – elle est habituelle ! – comme de la hauteur de ses ambitions et saluer le travail qu’il a engagé depuis quelques mois pour le redressement de nos comptes publics : c’est un objectif que nous partageons tous.

Depuis 1920, s’est installée une tradition, bien française, qui consiste à interdire à l’autorité judiciaire d’engager ou de prolonger des poursuites pénales contre la fraude fiscale sans l’autorisation du ministère du budget. On en comprend le sens ; il vient encore d’être rappelé.

Il s’agit d’une question complexe et je ne vous ferai pas croire qu’elle n’appelle que des réponses simples. La commission des lois a confirmé, ce matin, l’orientation du texte en faveur de l’assouplissement de ce verrou, quand la commission des finances, cher François Marc, a pris une position contraire. Je sais également que le groupe socialiste, notamment, ne partage pas notre position.

Permettez-moi néanmoins d’avoir l’audace, sinon l’outrecuidance, d’insister, même si ma mission est de simplement rapporter. Nous avons été frappés par une question d’un magistrat que nous avons auditionné : le ministère du budget aurait-il porté plainte contre Jérôme Cahuzac ? Voilà une question ouverte !

M. Gérard Longuet. Il y a là un conflit d’intérêts, pour revenir à un débat récent ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Alain Anziani, rapporteur. Tous les grands scandales financiers récents ont été révélés par le biais du blanchiment de la fraude fiscale.

M. Gérard Longuet. Al Capone, déjà…

M. Alain Anziani, rapporteur. M. le ministre du budget citait tout à l'heure l’arrêt Talmon et en tirait des conséquences. Pour ma part, j’en tire d’autres. Monsieur le ministre, Comment admettre que l’on puisse poursuivre le blanchiment de la fraude fiscale, mais pas sa source, la fraude fiscale elle-même ? Singulier paradoxe !

M. Alain Anziani, rapporteur. Si l’on est favorable aux poursuites en matière de blanchiment, pourquoi ne pas aller jusqu’à l’origine du blanchiment, c'est-à-dire la fraude fiscale ?

M. Alain Anziani, rapporteur. Dans la situation actuelle, un point choque, me semble-t-il, de nombreux juristes. La plupart des magistrats que nous avons entendus, à l’exception de ceux de la délégation du ministère du budget, ne comprennent pas que, lorsqu’ils découvrent une fraude fiscale au cours d’une enquête sur un fait de corruption, un abus de biens, un crime ou un autre délit, ils ne puissent pas poursuivre l’auteur de la fraude fiscale en tant que tel et doivent transmettre l’affaire au ministère du budget. Je ne vois pas très bien ce qui nous empêche de réaliser des avancées sur ce point.

Par ailleurs, nous le savons, Bercy conclut des transactions, ce qui est une bonne chose – nous sommes toujours pour la transaction –, mais sans consulter le parquet,…

Mme Nathalie Goulet. Pas forcément ! Pour l’arbitrage…

M. Alain Anziani, rapporteur. … ce qui est l’inverse de ce qui se pratique en matière de droits de douane, de concurrence ou de consommation. Pourquoi ce qui fonctionne dans ces domaines ne le pourrait-il pas s’agissant de fraude fiscale ?

Force m’est de le dire, ces dispositions proposées sont critiquées pour leur opacité – même si, monsieur le ministre, vous nous avez livré des éléments d’information – et parce qu’elle induise une inégalité devant la loi. Certains affirment aujourd'hui – je ne sais pas s’ils ont raison ! – que, dans notre pays, pour ne pas avoir affaire à la justice en matière fiscale, mieux vaut être un gros fraudeur qu’un petit fraudeur…

Ces dispositions sont également critiquées au regard de leur efficacité.

Dans un rapport récent, l’OCDE a souligné que, en dépit de la signature par la France, en 2000, de la convention sur la lutte contre la corruption, seulement 33 procédures judiciaires ont été diligentées dans des affaires liées à des pots-de-vin versés à des agents publics étrangers, contre 275 aux États-Unis, un pays certes plus grand que le nôtre, et 176 en Allemagne, un pays de taille comparable. L’OCDE a en outre relevé que 38 affaires n’ont « même pas donné lieu à l’ouverture d’une enquête préliminaire », alors que des sociétés françaises étaient citées.

À quoi cela tient-il ? Sans doute au fait que la justice n’est pas suffisamment formée. Et peut-être aussi au fait qu’elle n’est pas suffisamment sévère. Mais cela s’explique également par le fait que la justice n’a pas connaissance d’un certain nombre de faits de corruption lorsque les services de Bercy les découvrent. En l’espèce, l’article 40 du code de procédure pénale ne semble pas s’appliquer.

Je le sais, le débat est ouvert entre nous sur ce point. Mais, croyez-moi, tous ceux que j’ai entendus tiennent les mêmes propos que moi.

Dans son rapport annuel de 2010, la Cour des comptes a relevé les insuffisances de la procédure actuelle. Elle rappelle ce que nous savons tous, à savoir que l’administration ne remet in fine qu’un millier de dossiers à la commission des infractions fiscales, qui, elle-même n’en retient pas 10 %, et pour les meilleures raisons du monde. En réalité, elle n’en transmet donc que 900 à la justice, et ce toujours à la limite de la date de prescription. Les magistrats nous disent souvent que ces dossiers sont dans un état déplorable, qui les oblige à tout reprendre. Elle observe – remarque terrible ! – que le maçon portugais est davantage poursuivi que la holding internationale.

Je vous rends grâce d’une chose, monsieur le ministre : pour en avoir parlé avec le président de la commission des infractions fiscales, je sais que les choses évoluent depuis quelques mois, la doctrine devenant plus précise. Mais l’évolution est timide, car les statistiques d’aujourd'hui sont quasiment les mêmes que celles d’hier.

À ceux qui parlent d’efficacité la Cour des comptes répond : « Ce mode de pilotage peut conduire à sanctionner non pas les comportements les plus répréhensibles, mais les plus faciles à appréhender. En outre, si le contrôle est durablement moins dissuasif, son rendement budgétaire peut aussi baisser à terme. » Nous sommes là au cœur de la question de l’efficacité budgétaire.

Je comprends bien les arguments qui ont été avancés au sujet des 15 milliards d’euros, mais je ne vois pas en quoi nos propositions remettent en cause leur recouvrement, qui n’est que le résultat des contrôles réalisés. Vous semblez l’avoir oublié, monsieur le ministre, mais, à aucun moment, nous n’avons remis en question ce point.

Vous nous reprochez de vouloir mettre en concurrence l’administration fiscale et la justice. Pas du tout ! Il y a, d’un côté, la procédure fiscale et, de l’autre, la procédure pénale : elles sont indépendantes. Nous ne dépossédons pas le ministère du budget. Au contraire, nous le confortons ! Le ministère du budget pourra toujours procéder à des contrôles fiscaux, faire des redressements et infliger des pénalités.

Nous souhaitons, nous aussi, une meilleure articulation entre la justice et l’administration fiscale, et nous estimons que nous pourrions la trouver. En tout cas, le débat ne sera clos ni ce soir, ni demain, ni même dans les semaines qui viennent.

J’ajoute un point important. Vous avez l’impression qu’on enlève quelque chose, mais c’est faux, même en matière de transaction. Le procureur est, par définition, juge de l’opportunité des poursuites, et il est aussi, par définition – Mme la garde des sceaux ne me contredira pas ! –, un homme intelligent. Il y aura donc forcément une discussion, une négociation entre les deux administrations. Si l’administration fiscale explique à n’importe quel procureur de France qu’il lui faut un peu plus de temps pour parvenir à un meilleur résultat, il ne fera certainement pas obstacle à cette demande. Nous ne sommes pas en Allemagne, où s’applique le principe de légalité des poursuites, mais en France, où c’est le principe d’opportunité qui prévaut.

Si nous décidions d’avancer dans le sens que préconise la commission des lois, nous nous rapprocherions d’autres pays où la lutte contre la fraude fiscale permet d’obtenir des résultats éloquents. L’Italie, par exemple, recouvre des montants quatre fois supérieurs à ceux de la France – il est vrai que nous avons quelque retard en la matière.

Cette bataille nécessite sans doute une entente internationale, et d’abord européenne. Je tiens d’ailleurs à saluer l’accord du G8, conclu en Irlande du Nord le 18 juin dernier, qui favorisera l’échange de données entre les services fiscaux. D’autres règles doivent régir le déplacement des profits dans des pays à fiscalité avantageuse ou contraindre les sociétés écrans et les trusts à davantage de transparence.

La lutte contre la délinquance économique et financière nécessite un ensemble de mesures nationales et internationales – j’y insiste parce que ce point a été souligné en commission – et la coopération de toutes les forces de l’action publique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Virginie Klès, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur le projet de loi organique. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant que rapporteur sur le projet de loi organique, je devrais me contenter de vous parler d’un alinéa supplémentaire à l’article 38-2 de l’ordonnance 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature et, éventuellement, de l’article 28-3 de la même ordonnance.

Toutefois, cela aurait été, me semble-t-il, quelque peu réducteur. Le parquet financier que nous créons fait partie d’un ensemble, comme l’ont souligné Mme la garde des sceaux et M. le ministre.

Cet ensemble aborde de nombreux sujets, appartenant à des domaines différents, des frontières, qu’on aimerait faire bouger, des histoires différentes, des cultures différentes, des compétences différentes, des modes de fonctionnement différents. Il est question non pas, monsieur le ministre, de mettre en concurrence deux administrations, mais de trouver de nouveaux équilibres dans toutes ces compétences différentes, dans toutes ces valeurs et ces références différentes, avec, pour seul intérêt commun – et Dieu sait s’il est important ! –, l’intérêt général et la justice.

Pour ce qui concerne le parquet financier, il faudra retrouver l’équilibre au sein de l’organisation des juridictions. Il faudra aussi trouver, ou retrouver, un équilibre entre les impératifs financiers, pour faire rentrer de l’argent, et les impératifs de justice, de façon que les citoyens n’aient pas l’impression que certains délinquants sont traités différemment des autres.

Il faudra également retrouver nécessairement un équilibre entre les libertés publiques, que l’on a un petit peu bousculées, pour redonner plus de moyens à la lutte contre la délinquance, et les moyens à mettre en œuvre en faveur de cette action.

Concernant l’organisation de nos juridictions, le parquet financier, avec le procureur de la République financier, a des compétences concurrentes. Oui, nous parlons bien ici de compétences concurrentes, car il s’agit de sécuriser les procédures tout au long de leur cheminement.

Le dispositif tel qu’il est proposé par le Gouvernement est calqué, certes sous une forme adaptée, sur un dispositif existant, connu, qui fonctionne, celui qui est aujourd'hui en vigueur en matière de terrorisme.

Moi aussi, je fais confiance à l’intelligence des procureurs et des procureurs généraux pour qu’ils se coordonnent et traitent correctement le dessaisissement des uns ou des autres, y compris d’ailleurs pour ce qui concerne les magistrats du siège.

La complexité des affaires ne devrait pas non plus poser de problème dans l’attribution du dossier aux uns ou aux autres. Le procureur de la République financier me semble indispensable dans des affaires parfois complexes, où il est nécessaire d’avoir une vision nationale, voire internationale, des choses.

Bien évidemment, nous sommes très favorables à la nomination d’un parquet financier tel qu’il nous est proposé, même s’il aurait peut-être fallu aller encore plus loin. Toutefois, nous ne vivons pas dans un monde idéal ; nous vivons avec les moyens dont l’État, dans la République française, dispose aujourd'hui. Dans ces conditions, le dispositif proposé est, pour la commission des lois, le meilleur qui soit.

Quant à l’équilibre entre la commission des finances et la commission des lois, entre Bercy et la Place Vendôme, entre les finances et la justice, je ne reprendrai pas l’ensemble des propos de mon collègue Alain Anziani, car je les partage, d’autant que nous avons travaillé ensemble.

On s’attaque aujourd'hui, il est vrai, à une habitude séculaire. On donne l’impression de bousculer les frontières. Et pourtant, on ne les bouscule, me semble-t-il, pas tant que cela !

En effet, les deux procédures sont indépendantes : on a la possibilité de faire rentrer de l’argent tout en coordonnant plus l’action avec le ministère de la justice, en œuvrant plus en liaison avec le procureur, tout en lui laissant plus de possibilités quant à l’opportunité d’engager des poursuites. En matière de finances et de fiscalité, on peut faire peser un poids supplémentaire sur le délinquant financier, en arguant qu’on peut discuter avec le procureur et décider, avec lui, d’engager des poursuites ou non si l’on opte pour une résolution financière, avec une amende, des arriérés. Nous pensons qu’il était possible d’avancer encore.

Cela étant, puisque j’ai parlé d’équilibre et non pas de concurrence, force est de reconnaître les pas en avant. Un rapport sera présenté au Parlement. Une coordination ainsi qu’une information supplémentaire et meilleure entre le procureur et l’administration fiscale sont inscrites. Ce texte contient déjà de nombreuses dispositions. Sont aussi prévues des possibilités supplémentaires de saisie et des amendes supérieures à celles qui sont en vigueur à l’heure actuelle. Oui, on va dans le bon sens.

Pour autant, sommes-nous déjà arrivés à l’équilibre ou devrons-nous faire bouger encore ultérieurement le curseur pour parvenir à un équilibre plus fonctionnel, plus efficace ? C’est ce que nous aurons sans doute l’occasion de voir.

Quoi qu’il en soit, notre débat présente l’avantage de dire les choses, d’inscrire noir sur blanc les engagements des uns et des autres. On pourra y revenir pour voir qui avait raison – ou pas tout à fait – et pousser, éventuellement, les feux de la réforme, en faisant bouger encore les frontières.

Malgré tout, les modifications qui sont aujourd'hui proposées vont nécessairement faire bouger les habitudes. Peut-être sera-t-il alors plus facile d’aller plus loin, en suivant les propositions que la commission des lois soutient aujourd'hui !

Puisque je parle de frontières qui bougent et d’équilibre à retrouver, je veux ajouter une chose importante : la délinquance fiscale, autrefois appelée « délinquance en col blanc », a, elle aussi, évolué. Il ne s’agit plus aujourd'hui de délinquance en col blanc, ou alors le col n’est blanc qu’à l’extérieur et il est gris, voire noir, à l’intérieur. On ne peut pas aujourd'hui ignorer les liens qui existent entre la délinquance financière et la criminalité organisée, comme cela a été rappelé tout à l'heure par mon collègue Alain Anziani, pas plus que l’on ne peut ignorer les liens existant entre la délinquance financière et les systèmes mafieux. C’est pourquoi la commission des lois souhaiterait véritablement faire bouger un peu plus encore les frontières et ne pas dessaisir automatiquement la justice de certaines affaires dès lors que celles-ci sont connexes à des faits de délinquance fiscale.

Il ne faut pas oublier que la délinquance en col blanc n’existe plus ou quasiment plus. Le col n’est pas tout blanc.

Il ne faut pas non plus oublier que les citoyens aspirent, ainsi que vous l’avez relevé, monsieur le ministre, à ce que la justice soit la même pour tous, à ce que les sanctions soient transparentes. Ils ne doivent pas avoir l’impression que certaines personnes sont traitées différemment des autres, mieux que d’autres, qu’il suffit parfois d’avoir de l’argent pour échapper à la justice.

Veillons à l’image que nous donnons, veillons au symbole, veillons au respect de cette transparence. Les citoyens ont soif de justice, d’une justice identique et égale pour tous.

Pour avancer sur cette délinquance que j’appelle « en col gris » ou « en col noir et blanc », ce texte trouve un équilibre – qui fait plus consensus que les équilibres précédents, sans doute plus fragiles – entre les libertés publiques et les moyens supplémentaires que l’on compte redonner aujourd’hui à l’administration fiscale, à l’administration douanière, à la justice, à la chaîne pénale, pour lutter contre cette délinquance. C’est ce que j’appelle les « techniques spéciales d’enquête », à savoir la garde à vue prolongée pendant quatre jours et l’utilisation possible d’une preuve illicite à partir du moment où elle est transmise de façon régulière – la commission des lois a tout de même voulu encadrer un peu les choses – par l’administration judiciaire, fiscale ou douanière.

Il est vrai que des libertés publiques se trouvent ainsi quelque peu entamées, mais ces mesures sont bien contrebalancées et encadrées par le dispositif qu’a prévu la commission des lois, à la suite au travail déjà important réalisé par l’Assemblée nationale sur le sujet, pour faire en sorte que l’équilibre soit respecté, mais aussi que des moyens supplémentaires soient accordés pour lutter contre cette délinquance en col gris.

Je ne reviens pas sur l’ensemble des dispositions qu’Alain Anziani a décrites. Je dirai simplement en conclusion que quelque chose a sans doute manqué jusqu’à présent à nos travaux : peut-être aurions-nous dû nous intéresser davantage à l’article 1741 du code général des impôts ; peut-être est-ce là qu’il reste un nœud à défaire, à démêler, dans la définition de la fraude fiscale, afin de laisser des moyens et une autonomie à Bercy sur certains points, tout en donnant des moyens accrus à la Place Vendôme, pour que la justice ait plus de liberté et d’indépendance en matière de poursuites.

Cela étant, ce travail ne pourra se faire qu’après évaluation, retour sur expérience, analyse des rapports et de l’évolution de la situation, au bout d’un an, pour commencer, et sans doute encore après plusieurs années. Car, à mon avis, nous n’avons pas fini de travailler sur le sujet pour atteindre les trois équilibres que j’ai cités : équilibre entre libertés publiques et moyens de lutte contre la fraude, équilibre entre nos juridictions et équilibre entre Bercy et Vendôme. Nous aurons besoin d’y revenir à plusieurs reprises parce que, effectivement, à sujet complexe, il n’est pas de réponse simple. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi qu’au banc des commissions.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. François Marc, rapporteur pour avis de la commission des finances sur le projet de loi. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet loi que nous examinons aujourd’hui a les apparences d’un texte foisonnant puisque son volume s’accroît au fil des différentes étapes de la procédure législative – mais il en est souvent ainsi ! Il n’en constitue pas moins un texte important, car il permet notamment de renforcer l’information et les prérogatives des administrations fiscale et douanière pour mieux cibler les contrôles, déceler les fraudes et, bien entendu, les sanctionner.

La commission des finances s’est saisie pour avis de ces parties du texte, celles touchant aux dispositions pénales ou à l’organisation judiciaire relevant pleinement du champ de compétence de la commission des lois. Le texte de la commission des lois a ainsi intégré dix amendements de la commission des finances, dont quatre articles nouveaux.

Si ce texte constitue une étape importante dans la lutte contre la fraude, il convient toutefois de souligner qu’il s’inscrit dans un mouvement qui a pris de l’ampleur ces deux dernières années puisque pratiquement toutes les lois de finances rectificatives que nous avons eu à examiner depuis deux ans ont comporté des volets importants de lutte contre la fraude fiscale. Cela montre que celle-ci ne constitue pas fondamentalement un sujet de clivage politique.

Certes, des nuances existent, comme nous avons pu le voir ces dernières semaines sur la question du retour en France des avoirs non déclarés à l’étranger, puisque, d’un côté, une proposition de loi a été déposée par quelques députés UMP en faveur d’une amnistie tandis que, de l’autre, le ministre du budget a, dans une circulaire du 21 juin, annoncé l’application du droit commun et, « pour tenir compte de la démarche spontanée du contribuable », une réduction de la majoration pour manquement délibéré et de l’amende. Il s’agit de faire preuve d’une relative clémence en comparaison des dispositions qui seront appliquées une fois que le présent projet de loi sera entré en vigueur, de manière à inciter les « évadés fiscaux » au retour en France.

Ce dispositif concilie donc la sanction de la fraude et l’incitation au retour. Il a déjà démontré son efficacité puisqu’il a produit un effet sensible sur les déclarations d’avoirs à l’étranger. On nous indique en effet que les avocats fiscalistes constatent depuis quelque temps un afflux de clients souhaitant régulariser leur situation – on ne peut que s’en réjouir –, craignant l’alourdissement des sanctions prévues par le texte et comprenant qu’il deviendra de plus en plus difficile de dissimuler leurs comptes à l’étranger.

La détermination accrue à lutter contre la fraude fiscale, largement partagée, me semble-t-il, résulte de la crise financière. Dans une période où chacun est appelé à participer au redressement de nos comptes publics, il est indispensable d’éviter que des revenus échappent frauduleusement à l’impôt. À cela s’ajoute le fait que nos concitoyens peuvent parfois avoir le sentiment que l’État est plus prompt à combattre la « petite fraude ordinaire » qu’une fraude complexe, habile, astucieuse et mondialisée, pour laquelle l’administration ne dispose pas toujours des moyens d’investigation adaptés ou de sanctions suffisamment dissuasives.

Il était donc nécessaire, madame la ministre, monsieur le ministre, d’agir rapidement, car la fraude fiscale traduit un comportement de « passager clandestin ». Elle va à l’encontre des fondements de notre idéal républicain : la contribution commune doit, selon la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, être « également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés », et non en fonction de leur habileté à échapper aux règles.