M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. Jean-Pierre Caffet, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des finances s’est saisie pour avis du projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites.

En tant que rapporteur pour avis, je me suis attaché à apprécier la réforme dans sa globalité, en tenant compte à la fois des mesures inscrites dans le présent projet de loi, dans les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2014, ainsi que des mesures réglementaires.

Deux critères principaux ont ensuite guidé mes travaux et les réflexions de la commission des finances : les conséquences financières de la réforme sur les régimes de retraite dans la perspective de leur rééquilibrage, et sa contribution à la consolidation des finances publiques.

Avant de vous présenter les conclusions de ces analyses, permettez-moi de revenir sur quelques constats.

La réforme des retraites de 2010 avait pour objectif de rétablir l’équilibre financier du système en 2018. Toutefois, il est très vite apparu que l’objectif ne serait pas atteint, notamment en raison de la dégradation de la conjoncture économique. Les ressources des régimes de retraite, assises sur la masse salariale, et les dépenses de pensions, indexées sur les prix, sont en effet très sensibles à la croissance. Après un rebond d’activité en 2011, où nous avons atteint 2 % de croissance, nous avons, hélas ! connu une croissance nulle en 2012, et l’année 2013 ne sera guère meilleure.

C’est la raison pour laquelle le Conseil d’orientation des retraites a constaté, dans son onzième rapport, remis au mois de décembre 2012, que le besoin de financement du système de retraites ne serait pas nul en 2018, comme cela était prétendu dans le projet de réforme de 2010, mais qu’il serait de l’ordre de 20 milliards d’euros, soit près d’un point de PIB. En l’absence de réforme, le déficit global des régimes devrait croître régulièrement au cours des prochaines années, passant de 13,2 milliards d’euros en 2011 à 21 milliards d’euros en 2020.

Cette projection de solde du système de retraites repose sur un scénario, dit « scénario B », défini par le COR et retenu par le Gouvernement. Le scénario B retient les hypothèses macroéconomiques suivantes : un taux de chômage à long terme de 4,5 % et une croissance de la productivité du travail de 1,5 %, hypothèse cruciale, puisque, par construction, le pouvoir d’achat des salaires est censé évoluer au même rythme.

Ces deux hypothèses ont fait l’objet d’une discussion nourrie au sein de la commission des finances. Je rappellerai tout d’abord que ces hypothèses correspondent à celles qui sont utilisées par le COR pour établir ses projections en 2010 et qui ont donc présidé à la réforme de 2010. De plus, l’hypothèse de croissance de la productivité correspond à l’évolution moyenne observée depuis le début des années 2000 jusqu’au déclenchement de la crise. Enfin, et je tiens à le souligner il s’agit d’hypothèses de long terme : il est en effet supposé que le taux de chômage effectif convergera progressivement vers le niveau de 4,5 % d’ici à 2030, c'est-à-dire à un horizon de moyen et long termes.

Au-delà de ces hypothèses de long terme, le Gouvernement a réactualisé la projection de trajectoire financière des régimes de retraite établie par le COR, afin de prendre en compte la révision à la baisse des hypothèses de croissance à court terme, ainsi que l’accord conclu entre l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés, ou ARRCO, et l’Association générale des institutions de retraite des cadres, ou AGIRC, du mois de mars 2013, et qui permettra à ces régimes complémentaires de réaliser 3 milliards d’économies d’ici à 2017.

Les perspectives démographiques, quant à elles, sont fondées sur les projections de population réalisées en 2010 par l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE. Elles indiquent que la population active continuerait de croître jusqu’en 2025, pour ensuite se stabiliser, avant de repartir à la hausse à partir de 2035. Ainsi, nous devrions connaître une période critique entre 2025 et 2035, au cours de laquelle la population active resterait stable et la population de retraités continuerait à augmenter jusqu’à l’extinction du papy-boom en 2035.

Partant de l’ensemble de ces constats – effets de la crise économique, persistance des déficits, stagnation de la population active à moyen terme, en tout cas entre 2025 et 2035 –, il apparaît à la fois nécessaire et urgent d’agir.

J’en viens à la réforme elle-même. Sa démarche en deux temps correspond au diagnostic établi.

En premier lieu, d’ici à 2020, de nouvelles recettes et des mesures d’économie permettront de réduire le déficit de l’ensemble des régimes de base, dont le régime général, de 8,8 milliards d’euros à 300 millions d’euros, c’est-à-dire de ramener ces régimes pratiquement à l’équilibre en 2020. Dès 2014, le report de la date de revalorisation des pensions au 1er octobre permettra aux régimes de retraite d’économiser 800 millions d’euros ; la hausse modérée et progressive des cotisations vieillesse déplafonnées rapportera 2,2 milliards d’euros. À partir de 2015, le rendement de la fiscalisation des majorations de pensions pour enfants, soit environ 1,2 milliard d’euros, sera intégralement reversé à la branche vieillesse de la sécurité sociale.

En second lieu, une mesure structurelle viendra prendre le relais entre 2020 et 2035. L’allongement de la durée de cotisation d’un trimestre tous les trois ans permettra à l’ensemble des régimes de retraite de réaliser des économies substantielles, de l’ordre de 5,4 milliards d’euros en 2030 et de 10,4 milliards d’euros en 2040. À partir de la génération née en 1973, la durée d’assurance requise pour obtenir une retraite à taux plein sera de quarante-trois annuités, soit un partage équitable des gains d’espérance de vie à soixante ans entre période de travail et temps passé à la retraite. Ces mesures permettront d’équilibrer durablement les régimes de base à partir de 2020.

Restent les déficits résiduels des régimes complémentaires et des autres régimes de base équilibrés par une subvention, c’est-à-dire les régimes des fonctionnaires et les régimes spéciaux. Pour les régimes complémentaires, il appartiendra évidemment aux partenaires sociaux de définir les conditions de leur retour à l’équilibre sur le long terme. Ils n’éviteront sans doute pas – mais ce n’est là qu’une opinion personnelle – un passage au moins partiel de rendements constants à des rendements décroissants.

La hausse des cotisations et de la durée d’assurance les concernera également les fonctionnaires et les assurés des régimes spéciaux. Afin éviter de faux débats, je rappelle que, pour les fonctionnaires, un alignement du taux de cotisation vieillesse avec celui des salariés du secteur privé est d’ores et déjà mis en œuvre : en 2020, les taux seront identiques entre le public et le privé, soit une augmentation de près de trois points pour les fonctionnaires en l’espace de dix ans.

Pour terminer, je souhaiterais replacer la présente réforme dans un contexte plus large : celui de la consolidation des finances publiques.

Les mesures prévues dans le cadre de la réforme du système de retraites représentent une part substantielle de l’effort structurel prévu au titre de l’exercice 2014. Ainsi, l’effort en recettes de 2,7 milliards d’euros programmé en 2014 repose en grande partie sur les mesures nouvelles entrant dans le périmètre de la réforme, à savoir les hausses de cotisations de retraite et la suppression de l’exonération d’impôt sur le revenu des majorations de pensions, dont l’effet est évalué à 3,4 milliards d’euros.

Il en va de même de l’effort en dépenses. Sur les 15 milliards d’euros d’économies prévus en 2014, 800 millions d’euros résulteront du report du 1er avril au 1er octobre de la date de revalorisation des pensions.

Avec une réduction des déficits de 4,1 milliards d’euros dès 2014 et de l’ordre de 7 milliards d’euros en 2017, la réforme apportera une contribution significative au respect de la trajectoire des finances publiques sur la période de programmation 2012-2017.

La présente réforme participe également à la réalisation de l’objectif de moyen terme de solde structurel, en contribuant à ce que l’équilibre structurel soit atteint en 2017. Au-delà de la fin de la période de programmation, après 2017, la réforme contribuera encore de manière significative au rééquilibrage des comptes publics. L’effet des mesures de redressement devrait atteindre un peu plus de 8 milliards d’euros à l’horizon 2020, tandis que le gain net de la réforme atteindrait un peu moins de 20 milliards d’euros en 2040.

Dès lors, la réforme, en combinant des mesures à différents horizons temporels, représente un pas important vers une plus grande soutenabilité des finances publiques à long terme. Là où la réforme de 2010 limitait son horizon aux huit années suivantes, celle-ci se projette dans les vingt ans à venir et même à l’horizon 2040. Au total, les volets dépenses et recettes de la réforme des retraites des régimes de base conduisent à améliorer la soutenabilité de 0,5 point de PIB de manière actualisée. Elle est donc équivalente à une amélioration du solde structurel et pérenne de 0,5 point de PIB.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, la commission des finances a émis un avis favorable à l’adoption du projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes.

Mme Laurence Rossignol, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système des retraites a pour objectif, entre autres, de limiter les inégalités entre hommes et femmes en matière de retraite, objectif qui a justifié la saisine de notre délégation par la commission des affaires sociales, ce dont nous la remercions. La délégation aux droits des femmes a adopté mardi 22 octobre le rapport que je vous présente aujourd’hui. Il est assorti de onze recommandations.

Nous le savons tous, le niveau des retraites en France se caractérise par des véritables inégalités dans le service des pensions entre les hommes et les femmes ; ce projet vise à les corriger. Nous nous en félicitons, d’autant qu’une telle préoccupation a rarement été prise en compte dans les projets de réforme des retraites examinés au cours des dernières années.

Le rapport de la délégation commente les inégalités en détail, avec un chiffre éloquent : le montant des retraites des femmes représente, en moyenne, 58 % de celles des hommes, si l’on ne considère que les droits propres. En moyenne, une femme retraitée reçoit donc un peu plus de la moitié de ce que perçoit un homme.

Ce n’est qu’en tenant compte des droits familiaux que le montant moyen des retraites des femmes parvient à représenter 72 % de celui des retraites des hommes. Si l’on intègre les droits familiaux, il reste encore une différence de 28 % entre retraites des femmes et retraites des hommes. Cette différence révèle l’insuffisance des droits propres des femmes. C’est là le fil conducteur de notre rapport.

Autre aspect des inégalités entre hommes et femmes en matière de retraite, les femmes liquident leurs droits plus tard que les hommes, avec une différence de quinze mois en moyenne.

D’une manière générale, les réformes mises en œuvre depuis vingt ans, en allongeant la durée des cotisations, ont désavantagé les femmes et amplifié les inégalités. Les injustices appliquées à des situations injustes finissent toujours par accroître les injustices. C’est particulièrement vrai pour le calcul de la retraite de base établi sur les vingt-cinq meilleures années, par définition défavorable aux carrières courtes, voire « hachées » que connaissent de nombreuses femmes. Ainsi, pour toutes les mesures ayant visé à allonger la durée de cotisation ou choisi d’autres critères pour le calcul des pensions, rendant plus difficile l’accès à la retraite pour tous, le phénomène a été amplifié pour les femmes.

Toutefois, ce qui est injuste, ce n’est pas le système de retraite ; c’est tout ce qui se passe avant l’accès des femmes à la retraite.

Si les carrières des femmes sont courtes, c’est parce que ce sont le plus souvent elles qui interrompent leur activité pour participer à l’éducation des enfants. Le même problème se pose d’ailleurs quelques années plus tard pour accompagner des parents âgés. Ainsi, les femmes, après avoir eu une partie de leur vie consacrée à s’occuper des jeunes enfants, puis des adolescents, connaissent une petite pause jusqu’à ce que les parents soient eux-mêmes dépendants. À ce moment, ce sont elles qui reprennent le rôle d’entretien des improductifs que l’on identifie depuis l’histoire de l’humanité, ce qui a toujours pesé sur les femmes.

C’est au trois quarts sur les femmes que reposent l’entretien et l’aide aux parents âgés. En rédigeant ce rapport, j’ai même découvert un petit indicateur que je vous livre : il y a davantage de femmes mariées – je parle de femmes mariées non veuves – dans des établissements pour personnes âgées dépendantes que d’hommes mariés. Les femmes mariées gardent leur époux dépendant à la maison, tandis que les époux placent leur femme dépendante en maison pour personnes âgées. (Mouvements divers.)

M. Yves Daudigny. C’est un peu sévère !

M. Gérard Longuet. C’est caricatural !

Mme Laurence Rossignol. La vie des femmes est une longue addition d’inégalités.

Tout se joue avant soixante ans. Si les carrières des femmes sont courtes, c’est parce que ce sont plus souvent elles qui interrompent leur activité. On pourrait penser que l’accroissement régulier du taux d’activité des femmes devrait permettre aux retraites de femmes de rejoindre celles des hommes de manière spontanée, au fil du temps.

Cependant, et le Conseil d’orientation des retraites l’a fait observer devant la délégation, le maintien d’interruptions de carrière liées à la famille, et principalement aux enfants, va maintenir très longtemps encore un différentiel de 20 % entre retraites des hommes et retraites des femmes. Cela pose la limite de nos perspectives de développement des droits propres des femmes.

Ces interruptions d’activité sont parfois contraintes par l’insuffisance de solutions d’accueil pour jeunes enfants et par leur coût. À cet égard, je souligne, comme le fait la délégation aux droits des femmes à chaque fois qu’elle en a l’occasion, le déficit chronique de places de crèche en France. Un enfant sur deux, soit 800 000 enfants, n’a pas de place dans une structure collective d’accueil. La moitié des enfants sont donc gardés par leur parent, c’est-à-dire, en général, par leur mère. Vous avez là l’explication pour les pensions de retraite amoindries par rapport à celles des hommes que nous retrouverons quelque trente-cinq ans plus tard.

Le travail à temps partiel concerne également de très nombreuses femmes, soit qu’elles le subissent – c’est souvent la seule offre d’emploi qui leur a été proposée – soit qu’elles y ont recours pour mieux concilier travail et contraintes de la vie quotidienne. Or qui dit « travail à temps partiel » dit aussi « salaire partiel », puis « retraite partielle ».

Parmi l’ensemble des facteurs qui vont conduire à une inégalité importante dans les pensions entre les hommes et les femmes, il y a, certes, des carrières « hachées » mais aussi l’immobilisme de l’évolution du partage des tâches domestiques au sein du couple. Aujourd’hui, ce sont toujours les femmes qui assument à 80 % les tâches domestiques, hormis le jardinage et le bricolage, qui relèvent rarement du quotidien… Elles se trouvent donc en permanence à devoir choisir ou combiner les contraintes de la vie quotidienne et le travail.

Si les retraites des femmes sont encore très inférieures à celles des hommes, ce n’est pas qu’une question de durée de la carrière ; c’est aussi une question de niveau de salaire.

Or, comme le rapport le développe, les salaires des femmes restent inférieurs à ceux des hommes. Même en faisant abstraction des facteurs d’inégalité salariale, comme le temps de travail ou les différences de qualification, c’est-à-dire à compétence égale, niveau d’activité égal, poste égal, il reste toujours une différence de 9 % entre les salaires des femmes et les salaires des hommes. Cette situation « inexpliquée » tient à une sorte de préjugé à l’encontre des femmes.

Le constat de ces inégalités au travail nous renvoie à la question de la dévalorisation trop fréquente des activités professionnelles des femmes et à la nécessité d’une révision des grilles de classification professionnelle.

Je mentionnerai à présent un autre aspect des inégalités entre hommes et femmes au travail, même si cela ne se traduit pas par des différences immédiates sur le niveau des retraites. Je fais référence à la prise en compte de la pénibilité, dont les critères correspondent généralement au travail des hommes. Les facteurs définis dans le code du travail devraient être révisés dans un sens prenant en compte la pénibilité au féminin.

M. Jean Desessard. Très bien !

Mme Laurence Rossignol, rapporteur. J’y reviendrai quand j’exposerai les recommandations de la délégation.

Voilà pour le contexte dans lequel intervient le projet de loi. Mme la ministre et les deux rapporteurs qui m’ont précédée à la tribune en ont détaillé les dispositions ; je n’y reviendrai pas. Je concentrerai mon propos sur les onze recommandations adoptées par la délégation le 22 octobre dernier.

La première recommandation vise à réaffirmer la priorité qui doit s’attacher aux droits propres des femmes et à souligner l’importance des lois sur l’égalité professionnelle entre hommes et femmes pour permettre à celles-ci de se constituer des droits propres. Dans cette logique, la délégation a réaffirmé son souhait que des négociations entre partenaires sociaux permettent une refonte des grilles de qualification professionnelle qui ne soit pas discriminante au regard de l’égalité entre hommes et femmes.

La deuxième recommandation vise à assimiler à un facteur de pénibilité les conditions de travail impliquant pour les salariées et les salariés un emploi fractionné avec des amplitudes quotidiennes disproportionnées par rapport au temps effectivement travaillé. À ce stade, il s’agit non pas d’ajouter au code du travail un nouveau facteur de pénibilité, mais de réputer ces conditions de travail assimilées à un facteur de pénibilité. C’est l’objet de l’un des amendements que j’ai déposés avec des collègues de la délégation pour tirer les conséquences de cette recommandation.

La troisième recommandation demande l’établissement de statistiques de pénibilité effectuées sur la base d’une différenciation entre hommes et femmes – pardonnez-moi, chers collègues de l’UMP, mais je crains qu’il ne s’agisse de « genderiser » la pénibilité ! –, ainsi qu’un bilan de l’évolution des facteurs de pénibilité auxquels sont exposées les femmes. L’un des amendements que nous déposons concerne cette question. En effet, les dix facteurs de pénibilité définis par le code du travail ne sont pas tous adaptés à la spécificité des emplois féminins.

On objecte généralement le fait que les critères de pénibilité résultent de négociations syndicales.

Pour que ces négociations reflètent la réalité, une autre recommandation vise précisément à assurer une représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des délégations syndicales appelées à participer à des négociations en matière de pénibilité. C’est l’objet d’un amendement déposé pour tirer les conséquences des recommandations.

La délégation demande aussi que les salariés souhaitant bénéficier d’un temps partiel soient informés des conséquences de ce choix sur leur future retraite, même s’ils ne se préoccupent pas nécessairement de leur retraite en raison de leur jeune âge. Il faut attirer leur attention sur les conséquences de leur choix, par un vecteur d’information qui reste à discuter. Ce pourrait être le relevé de situation individuelle, une mention sur le contrat de travail ou encore une mention sur les offres de travail à temps partiel. En tout cas, il serait bon que le travail à temps partiel soit assorti d’un petit warning : « Attention, le travail à temps partiel nuit gravement à votre retraite. » (Sourires.)

Mme Laurence Rossignol, rapporteur de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. Une autre recommandation porte sur les horaires atypiques et les emplois fractionnés, qui concernent de nombreuses femmes. La délégation a estimé que les administrations devaient être exemplaires quand elles passaient des marchés publics, afin d’éviter que leurs exigences n’encouragent ce type de conditions de travail. Elle demande que les cahiers des charges intègrent des critères sociaux prenant en compte cette dimension, comme le font déjà certaines administrations et collectivités territoriales, qui autorisent par exemple les prestations de nettoyage à être délivrées pendant les heures de bureau. (Très bien ! sur les travées du groupe CRC.) On peut tout à fait passer l’aspirateur à ce moment. Il n’est pas nécessaire d’imposer aux femmes de ménage des horaires totalement décalés et difficilement compatibles avec une vie de famille, d’autant que, bien souvent, les femmes de ménage n’habitent pas à côté de leur lieu de travail ; elles doivent donc se déplacer pour venir nettoyer nos bureaux juste avant le début du service des transports en commun.

La délégation a renouvelé son souhait de décourager le recours excessif au temps partiel par une majoration des cotisations patronales.

Comme je l’ai indiqué dans mon propos introductif, la délégation demande qu’une étude soit menée pour évaluer les conséquences d’un passage à des modes de calcul des droits à retraite tenant compte des carrières courtes, soit que l’on se réfère non pas aux 25 meilleures années, mais aux 100 meilleurs trimestres – ce n’est pas exactement pareil ! –, soit que l’on « proratise » les meilleures années en fonction de la durée effective de la carrière. C’est la proposition qui a été formulée par nos collègues de l’Assemblée nationale.

En ce qui concerne l’avenir des droits familiaux, la délégation a souhaité donner quelques indications aux futurs auteurs du rapport prévu par l’article 13 du projet de loi. Nous rappelons que les réformes à venir doivent absolument éviter d’encourager l’interruption ou le ralentissement de la vie professionnelle des femmes et proscrire tout ce qui pourrait évoquer une forme de salaire maternel, fût-il différé. Pour le dire simplement, c’est très bien de compenser dans les pensions de retraite les interruptions de carrière et les périodes de temps partiel des femmes, mais il ne faudrait pas que la solidarité interne au régime général, inter-régimes ou même nationale vienne compenser ce qui relève essentiellement d’une solidarité conjugale. Je parle du fait qu’une femme – quand autant d’hommes que de femmes seront concernés, je parlerai de « l’un des membres du couple » – réduise son activité professionnelle pour que son conjoint puisse mener sa carrière sans être entravé par le poids du quotidien. Compenser, oui ; encourager, non !

La délégation a estimé, sans toutefois trancher sur ce point, qu’il était envisageable de transformer la majoration de 10 % pour trois enfants et plus en une prestation forfaitaire, versée dès le premier enfant.

La délégation demande que les droits familiaux soient centrés sur la maternité, pour qu’ils puissent remplir l’objectif originel de compensation des conséquences de la maternité sur la retraite des femmes.

Enfin, pour la délégation, la redéfinition des droits familiaux qui résultera de la prochaine réforme devra trouver un équilibre entre le versement de prestations et la possibilité de partir à la retraite plus tôt. Il faut en effet donner aux individus le choix entre davantage de prestations et davantage de temps de vie.

Tel est, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le point de vue de la délégation aux droits des femmes sur le projet de loi qui nous rassemble aujourd'hui. Certaines des recommandations que j’ai exposées se traduiront par des amendements ; nous pourrons ainsi en discuter plus précisément au cours du débat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Brigitte Gonthier-Maurin et M. Jean Desessard applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les réformes des retraites se suivent et, hélas ! se ressemblent.

M. Gérard Longuet. Non !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Celle-ci s’inscrit dans la droite ligne des précédentes, …

M. Gérard Longuet. Non !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe … que vous aviez tant décriées, madame la ministre.

Il s’agit d’une énième réforme paramétrique, et non de la réforme systémique que mon groupe appelle de ses vœux depuis 2003. Notre réforme consisterait à mettre en place un régime unique par points ou en comptes notionnels.

En ne jouant que sur les paramètres de l’existant, la présente réforme ne fait que conserver et prolonger l’acquis. Au titre de la conservation, elle ne remet en cause ni l’âge d’ouverture des droits ni celui du taux plein, hérités de la réforme Woerth de 2010. La remise en cause de ces âges était pourtant, me semble-t-il, au programme du candidat Hollande. Au titre de la prolongation, la réforme accroît encore la durée de cotisation, augmente les taux et désindexe partiellement, comme l’ont fait les réformes précédentes.

C’est la raison pour laquelle l’intitulé « projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites » est particulièrement trompeur, voire relève de l’imposture. Cette réforme n’est certainement pas de nature à garantir l’avenir du système de retraites, tant son ampleur financière est sous-dimensionnée par rapport aux besoins en jeu. Elle ne peut pas non plus garantir la justice du système, puisqu’elle ne s’attaque en rien à sa complexité, à son opacité, nées de la multiplicité des régimes, et, par conséquent, aux iniquités structurelles qui en découlent.

Je reviendrai sur ces deux points. Sur le plan strictement financier, il est évident que le compte n’y est pas. Le COR, estime que le déficit de tous les régimes est compris entre 20,9 et 21,3 milliards d’euros. Or la réforme ne devrait rapporter que 7,6 milliards d’euros d’ici à 2020, résorbant essentiellement le déficit du régime général et des régimes de base associés.

Je ferai une remarque incidente : on nous explique que la réforme devrait également résorber le déficit du FSV, mais alors, il faut nous préciser par quelle mécanique, puisque les ressources du FSV proviennent pour l’essentiel d’une fraction de la contribution sociale généralisée, la CSG.

La réforme n’affectera que faiblement les déficits des régimes de base de l’État et équilibrés par lui, c’est-à-dire les principaux régimes spéciaux, et des régimes complémentaires AGIRC et ARRCO. La réforme ne couvrirait donc qu’un tiers du déficit prévisionnel.

Et encore : est-ce garanti ? Ce n’est pas certain, si l’on se réfère aux hypothèses macroéconomiques particulièrement optimistes sur lesquelles se fonde la réforme : d’une part, un taux de chômage diminuant jusqu’à 7,6 % en 2020, puis 4,5 % en 2033, alors qu’il n’est jamais passé sous la barre des 9 % depuis vingt ans ; d’autre part, une croissance de 1,6 % par an en moyenne de 2011 à 2020, alors que son taux sera pratiquement nul entre 2011 et 2014. Cela revient à espérer une croissance de 2,5 % à partir de 2014. Autant rêver !

Bref, les paramètres de la réforme sont bien peu crédibles. Elle n’est donc pas à la hauteur de l’enjeu. Son ampleur financière est des plus limitées. À titre de comparaison, elle ne représente que le quart du produit de la réforme de 2010 ; vous voyez que je rends justice à cette dernière, monsieur Longuet. Il faudra évidemment une nouvelle réforme avant 2020 : exit la garantie de pérennité.

S’agit-il pour autant d’une réforme juste ? Pas davantage. Ce ne sont pas les quelques mesures de justice qu’elle comporte, dont la plus emblématique concerne la pénibilité, qui en font une réforme juste.

Je reviendrai sur la pénibilité, qui est au cœur du sujet. Bien entendu, nous ne pouvons que soutenir les mesures en faveur des assurés à la carrière heurtée, des jeunes actifs et des femmes ; il vient d’en être question. Je pense en particulier à l’élargissement du dispositif « carrières longues » et à la possibilité de valider toutes sortes de périodes supplémentaires : deux trimestres de chômage, les périodes d’apprentissage, les périodes de formation des demandeurs d’emploi ou encore l’ensemble des trimestres de maternité.

Il en va de même des mesures favorables aux non-salariés agricoles – octroi de points complémentaires, garantie d’une pension minimale de 75 % du SMIC – ou celles qui bénéficient aux assurés handicapés et à leurs aidants.

Cependant, si ces mesures comptent pour leurs bénéficiaires, elles ne représentent pas l’essentiel à l’échelle du système. Elles ne peuvent pas rendre la réforme équitable, dans la mesure où, d'une part, son économie générale ne l’est pas, et où, d'autre part, elles ne s’attaquent pas aux fondements mêmes des iniquités du système.

Je détaillerai ces deux points. Non, dans son économie générale, la présente réforme n’est pas équitable !

Premièrement, elle ne met pas à contribution tous les régimes de la même manière.

Deuxièmement, elle aboutit sans le dire à une baisse nette et substantielle des pensions. Le Gouvernement affirme, et c’est un point important, qu’elle est financée également par les entreprises, les salariés et les retraités : chaque catégorie en financerait un tiers. Il y a là tromperie. En réalité, la réforme met surtout à contribution les salariés, et plus encore les retraités.

Pour apprécier le partage réel des efforts, il convient de coupler les effets de la réforme avec les mesures prises au mois de mars 2013 par les régimes complémentaires. Elles sont censées combler la moitié du déficit prévisionnel de ces régimes à l’horizon 2020.

Les entreprises ne contribueront que marginalement. En effet, pour éviter que la réforme ne pèse sur le coût du travail – c’est une bonne chose, car c’est bon pour l’emploi –, le Gouvernement a annoncé que l’augmentation de la cotisation patronale serait compensée par une fiscalisation partielle du financement de la branche famille. Il devrait en aller de même de la cotisation collective pénibilité. Nous attendons toutefois des éclaircissements, madame la ministre.

Cette neutralisation économique de la réforme est une bonne chose, car elle protège les emplois – elle en créera même peut-être – et contribue à l’équilibre financier général des retraites. Cela signifie que les entreprises ne financeront que l’augmentation de la cotisation employeur du régime complémentaire, pour un coût d’un milliard d’euros.

Les salariés contribueront à la réforme pour une part substantielle, à travers l’augmentation de 0,3 point de la cotisation salariale de base et de 0,1 point de la cotisation complémentaire. Cela représente un coût de presque 3 milliards d’euros et une perte de pouvoir d’achat de 0,4 %.

Pour l’essentiel, les mesures pèseront sur les retraités : fiscalisation de la majoration de pension pour les parents de trois enfants et plus, désindexation partielle des pensions du fait du décalage d’avril à octobre de leur revalorisation sur l’inflation et désindexation totale des pensions complémentaires, soit un coût total de 6 milliards d’euros et une perte de pouvoir d’achat de 2 %.

Dès lors, d’ici à 2020, les entreprises contribueront à hauteur de 10 % des efforts, les salariés à hauteur de 30 % et les retraités à hauteur de 60 %. Le Gouvernement ne le dit pas ; pis, serais-je tenté d’ajouter, il le cache !

Selon l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, la tendance devrait encore s’accentuer après 2020 : pour l’essentiel, l’augmentation de la durée de cotisation à 43 ans devrait se traduire par une baisse des pensions versées. En tenant compte également de leur désindexation, les retraites du privé pourraient baisser de 15 % à 25 % entre 2020 et 2040. Excusez du peu !

La variable d’ajustement est donc bien le niveau relatif des retraites. Parce qu’on doit un minimum de sincérité à nos concitoyens, nous demanderons la suppression des dispositions de report de la revalorisation des pensions.

Troisièmement, la réforme pénalise les familles et les jeunes. Après la menace de la mise sous condition de ressources des allocations, la double baisse du quotient familial et la réduction du congé parental, la fiscalisation de la majoration de pension pour enfants constitue une nouvelle atteinte à la politique familiale. Cette mesure profitera-t-elle pour autant aux retraités ? Il faudrait nous expliquer comment ce serait possible, puisque les majorations de pension sont financées par les caisses d’allocations familiales, les CAF, tandis que le produit de leur fiscalisation sera perçu par le fisc. De plus, en allongeant encore la durée de cotisation après 2020, la réforme pose un sérieux problème d’équité intergénérationnelle.

Le problème est inversé en matière de pénibilité.

Quatrièmement, dernière raison pour laquelle la réforme n’est pas équitable, même sa mesure d’équité la plus emblématique, qui concerne la pénibilité, n’est pas équitable ; seuls les salariés du privé en bénéficieront. Et encore : uniquement ceux qui se seront constitué des droits à partir de 2015.

La réforme n’est donc pas équitable dans son économie générale. C’est d’ailleurs bien pour cette raison que vous n’arrivez même pas à l’imposer à votre propre majorité, madame la ministre.

Rappelons-le, alors que vous bénéficiez à l’Assemblée nationale d’une confortable majorité, le texte n’y a été adopté qu’à une courte majorité, uniquement par les voix socialistes. Et encore : pas toutes ! Ensuite, il a tout bonnement été rejeté par la commission des affaires sociales du Sénat.

Une telle réforme ne peut pas rendre le système plus équitable. Elle demeure paramétrique, c’est-à-dire qu’elle ne remet pas en cause une architecture générale par nature source d’iniquités. Oui, notre système de retraites est fondamentalement inéquitable !

Aujourd’hui, deux assurés peuvent avoir deux carrières parfaitement comparables et se retrouver avec des droits à la retraite allant du simple au double, tout cela parce que les pensions sont fixées en fonction non pas de la carrière, mais du statut.

L’éclatement du système en une myriade de régimes aux règles différentes ne se justifie plus et crée des injustices qui ne peuvent plus être acceptées.

Seule la réforme systémique que nous appelons de nos vœux depuis plus de dix ans est susceptible d’y remédier. L’objectif final serait de mettre en place, comme cela a d’ailleurs déjà été fait dans plusieurs pays européens comme la Suède, l’Italie ou la Pologne, d’ici à 2030 au plus tard, un régime unique, universel, en points ou en comptes notionnels.

Quelles en seraient les modalités précises ? C’est évidemment à la Nation d’en décider. Mais le septième rapport du COR, daté du 27 janvier 2010, en a déjà détaillé les options et les modalités techniques. L’amendement que nous avons déposé vise à établir un calendrier pour la mise en œuvre de cette réforme : nous souhaitons que, sur la base du rapport du COR, le Gouvernement organise une conférence sociale et un débat national sur cette réforme systémique au premier semestre 2015, pour une mise en œuvre au premier semestre 2017.

En réalité, nous avions déjà fait inscrire le principe d’un tel débat sur ce thème dans la réforme de 2010.