compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Patrick Courtois

vice-président

Secrétaires :

Mme Marie-Noëlle Lienemann,

Mme Catherine Procaccia.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

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Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

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Dossier législatif : projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites
Discussion générale (suite)

Avenir et justice du système de retraites

Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, garantissant l’avenir et la justice du système de retraites (projet n° 71, résultat des travaux de la commission n° 96, rapport n° 95, avis n° 76, rapport d’information n° 90).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites
Article 1er (début)

Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureuse de vous présenter aujourd’hui le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites. Il est important de répondre au défi de la branche vieillesse de notre sécurité sociale, dans un contexte de grande transformation de la société.

La réforme, pour être à la fois juste et efficace, doit s’inscrire dans notre histoire, marquée par l’attachement profond des Français à notre pacte social. Dans le même temps, elle doit permettre de relever les défis actuels, faute de quoi elle n’apporterait aucune garantie et ne créerait pas de confiance pour l’avenir. Aujourd’hui, la gauche montre qu’une réforme des retraites peut être porteuse de progrès social, de droits nouveaux, tout en apportant des garanties financières.

Les Français sont attachés à la retraite, pour plusieurs raisons.

D’abord, la retraite est un rempart contre l’incertitude. C’est un droit inaliénable. Elle permet à tous les retraités de ne plus être les victimes de la grande pauvreté et d’obtenir « de la collectivité des moyens convenables d’existence », pour reprendre le Préambule de la Constitution de 1946, qui a valeur constitutionnelle aujourd’hui.

La retraite, c’est aussi la promesse faite à chaque Français qu’il existe une vie libérée des contraintes du temps après une vie de travail, une vie au travail. C’est la garantie que la fin de la vie active est non pas le début d’une vie sans activité, mais bien la possibilité donnée à tous nos concitoyens d’exercer une autre forme de liberté, de se consacrer autrement à la contribution que l’on doit apporter à notre société. C’est la possibilité donnée à chacun de suivre cette « ligne de vie et d’espoir », selon la très belle formule que Pierre Mauroy a employée ici même, d’inventer un nouvel âge de la vie, celui des loisirs, de la famille, de la transmission, de l’engagement associatif...

La retraite, enfin, est un puissant facteur d’égalité ; nous nous en réjouissons tous. C’est notre système de retraite par répartition qui a permis de rapprocher le niveau de vie des retraités de celui des actifs occupés.

Tout cela, nous le devons à un système mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, grâce au Conseil national de la Résistance, le CNR, dont le génie aura été d’avoir créé un modèle évidemment en phase avec la société d’après-guerre, mais aussi d’avoir forgé des principes universels sur lesquels nous devons prendre appui pour préparer l’avenir.

Alors que s’élèvent des voix pour contester notre protection sociale et prôner le chacun pour soi de la capitalisation, je veux ici réaffirmer avec force mon attachement profond, et celui de tout le Gouvernement, à notre système de retraites par répartition.

Contrairement à ce que d’aucuns voudraient faire croire, cet attachement n’est pas la marque de l’immobilisme ; l’immobilisme serait le plus sûr chemin vers l’abandon.

La responsabilité du Gouvernement, c’est de regarder les choses en face, avec lucidité. Dès notre arrivée aux responsabilités, nous avons annoncé qu’une réforme s’imposait pour garantir l’avenir de notre système de retraites par répartition et ne pas céder aux sirènes de la capitalisation. Sans attendre, nous avons répondu aux injustices les plus criantes nées des décisions du précédent gouvernement. C’est le sens du décret que j’ai signé au mois de juillet 2012. Il a d’ores et déjà permis à près de 60 000 personnes ayant commencé à travailler dès le plus jeune âge de partir à 60 ans. À terme, 100 000 personnes seront concernées.

La responsabilité du Gouvernement, c’est aussi de répondre avec ambition aux transformations de notre société, à commencer par les transformations démographiques. Les générations du baby-boom vivent plus longtemps, et cela va continuer. Jusqu’en 2060, nous gagnerons une année de vie tous les dix ans. La natalité de notre pays, l’une des plus élevées d’Europe, est une chance. Ce dynamisme démographique est un atout majeur pour l’avenir ; il est porteur de confiance pour notre système social. Pour autant, cela ne nous exonère pas de notre responsabilité immédiate.

Nous vivons plus longtemps. Les conditions de vie et de travail ont évolué et se sont diversifiées.

Souvenons-nous de ce qu’était la société au moment lors de la mise en place de notre pacte social. La grande majorité des enfants quittaient l’école à 14 ans pour aller travailler. Les femmes s’occupaient de la vie domestique et devaient demander une autorisation à leur mari pour exercer un métier. Les couples ne divorçaient pas. Les salariés entraient dans une entreprise après leurs études ou après l’école et la quittaient quatre décennies plus tard, au terme d’une carrière tout entière menée en son sein. Ce « monde d’hier» n’est pas celui que nous connaissons. Qui peut le regretter ?

En ignorant l’évolution de notre société, en niant ces nouvelles réalités, en réduisant la question des retraites à de simples ajustements comptables, les gouvernements précédents ont laissé l’injustice prendre racine. Nous devons désormais adapter notre système de retraites afin de permettre que, pour chacun d’entre nous, les aléas nés de la carrière professionnelle ou de la vie personnelle soient pris en compte. Une réalité simple s’impose à nous : nous ne pouvons tous partir à la retraite dans les mêmes conditions, dès lors que nos vies, personnelles et professionnelles, n’ont pas suivi les mêmes trajectoires.

Alors que les femmes ont des pensions inférieures d’un tiers à celles des hommes, qu’un salarié sur cinq travaille en situation de pénibilité et que les jeunes sont confrontés à la banalisation des stages, il nous faut agir.

C’est pourquoi la lutte contre les injustices est au cœur de notre projet. Toutefois, elle serait vaine si nous ne relevions pas le défi du financement, auquel nos régimes de retraite sont confrontés.

Les réformes qui ont émaillé les vingt dernières années n’ont pas garanti la pérennité de notre système. Faut-il le rappeler ? Voilà trois ans à peine, alors que la crise était déjà là, Éric Woerth promettait « zéro déficit en 2018 ». On ne peut donc pas prétendre que la crise explique la situation et l’effondrement des comptes sociaux ! (M. René-Paul Savary s’exclame.)

Quelques mois après le vote de cette loi, au demeurant injuste,...

M. Gérard Longuet. C’est pour cela que vous la maintenez !

Mme Marisol Touraine, ministre. ... la réalité s’impose, implacable : si nous n’agissons pas, le déficit atteindra 20 milliards d’euros en 2020 et plus de 26 milliards d'euros en 2040.

Face à ceux qui prônent la privatisation, nous voulons garantir que notre modèle social ne servira pas de variable d’ajustement.

M. Gérard Longuet. Quel discours médiocre !

M. Philippe Bas. Ce n’est pas digne d’un ministre !

Mme Marisol Touraine, ministre. Pour faire face à ses responsabilités, le Gouvernement a fait le choix d’une longue concertation, engagée dès l’été 2012.

En effet, nous avons refusé d’agir comme le précédent gouvernement, qui s’était engagé dans la voie de la force et de la brutalité. (M. Gérard Longuet s’exclame.)

Mme Catherine Procaccia. Décidément, c’est tout en nuances…

Mme Marisol Touraine, ministre. Nous avons consulté, dialogué, discuté. C’est notre méthode pour gouverner. Nous ne pouvons pas faire des choix majeurs pour l’avenir de notre pays sans faire vivre notre démocratie sociale.

Mme Catherine Tasca. Bravo !

M. Jacky Le Menn. Très bien !

Mme Marisol Touraine, ministre. Et, à la démocratie sociale succède la démocratie parlementaire. C’est ainsi qu’une période de débat avec le Parlement s’est engagée. La discussion à l'Assemblée nationale a permis de préciser et de nourrir le texte de la réforme. Mesdames, messieurs les sénateurs, il vous revient désormais de poursuivre ce travail, autour de propositions concrètes permettant d’apporter des réponses aux préoccupations de nos concitoyens.

Quels sont les défis financiers que nous avons à relever ? Je l’ai déjà rappelé, le déficit atteindra 20 milliards d'euros en 2020 et 26 milliards d'euros en 2040 !

Pour ce faire, nous avons retenu trois principes.

Premièrement, nous avons décidé de nous inscrire dans un horizon long, pour rompre avec les tentatives de colmatage et de rafistolage menées précédemment. Ainsi, 2040 devient la date d’horizon de notre réforme. Il est indispensable d’offrir davantage de visibilité et de stabilité aux jeunes actifs et de définir les conditions dans lesquelles ils pourront partir à la retraite. C’est le fondement de la confiance.

Deuxièmement, nous avons fait le choix de respecter les projets de ceux qui s’apprêtent à partir en retraite. Dans cette perspective, l’allongement de la durée de cotisation, mesure importante et structurante de ce projet de loi, n’interviendra qu’à partir de 2020, afin…

M. Gérard Longuet. De ne fâcher personne !

Mme Marisol Touraine, ministre. … que les Français aient le temps d’ajuster leurs projets.

Troisièmement, nous avons voulu une mobilisation de l’ensemble des composantes de notre société. Toutes les générations, tous les acteurs économiques contribueront. Tous les régimes seront concernés, les régimes spéciaux, comme ceux du public et ceux du privé.

Si nous avons souhaité cette mobilisation collective, c’est parce que, pour nous, les régimes de retraite sont au cœur du pacte social. Et puisque nous sommes collectivement attachés à ce pacte social, il est légitime que chacun apporte sa contribution.

Ainsi, des mesures immédiates de redressement seront prises pour répondre à l’urgence jusqu’en 2020.

Les entreprises et les actifs verront leurs cotisations croître de manière mesurée et progressive.

Les retraités seront également appelés à contribuer. La revalorisation de leurs pensions, à l’exception de l’allocation de solidarité aux personnes âgées, l’ASPA, interviendra le 1er octobre 2014, et non le 1er avril. L’effort est ponctuel, limité et responsable ; contrairement à ce que prétendent certains, le montant des pensions ne baissera pas. (M. Philippe Bas s’exclame.)

Ces contributions représentent assurément un effort, qu’il ne s’agit pas de nier. Mais nous avons un objectif, cesser de faire peser sur les générations futures le poids de l’indécision du passé, et une ambition, ouvrir de nouveaux droits aux salariés d’aujourd’hui.

À partir de 2020, le relais sera pris par l’allongement de la durée de cotisation, qui sera progressivement portée à quarante-trois annuités en 2035.

Puisque nous vivons collectivement plus longtemps, il est normal de travailler un peu plus longtemps. La durée de cotisation augmentera d’un trimestre tous les trois ans à partir de 2020. Cette règle sera inscrite dans la loi, ce qui constitue une garantie.

Désormais, la durée de cotisation devient le socle de notre système de retraites et le principal critère de choix et d’arbitrage pour les salariés. En portant cette durée à quarante-trois annuités à l’horizon 2035, nous prenons acte de la diversité des parcours professionnels et du fait que certains ont commencé à travailler tôt. Il serait donc injuste de faire peser sur leurs épaules un relèvement de l’âge légal de départ en retraite.

Dès lors que nous faisons de la durée de cotisation la variable clé, il est normal de tenir compte de la diversité des parcours professionnels et de vie. La grande nouveauté du texte est précisément d’introduire une variation de la durée de cotisation en fonction des parcours professionnels.

Porter une vision de long terme, c’est aussi en finir avec la navigation à vue des années précédentes, qui a nourri la défiance des Français.

À cet égard, l’instauration d’un mécanisme de pilotage constitue une innovation majeure. Un comité de suivi sera mis en place. Il aura pour mission de formuler des recommandations, qui constitueront un élément essentiel du débat public et permettront de suivre pas à pas les équilibres financiers et sociaux de nos régimes. Pour faire face à d’éventuelles difficultés ponctuelles, le comité pourra recommander des transferts depuis le Fonds de réserve pour les retraites. Cette procédure de suivi doit contribuer à dédramatiser le débat sur les retraites. Le Gouvernement sera interpellé, mais les avis ne s’imposeront pas à lui, puisqu’il conservera in fine sa liberté de décision.

M. Gilbert Barbier. Alors, à quoi servira ce comité ?

Mme Marisol Touraine, ministre. L’objectif de réduction des déficits est décisif, mais il doit servir un projet de société nous permettant de renouer avec le sens du progrès.

Désormais, notre système de retraites tiendra compte de la diversité des parcours professionnels et de leurs conséquences sur l’espérance de vie, qui ne s’allonge pas de la même manière pour tous : celle d’un ouvrier reste aujourd’hui inférieure de six ans à celle d’un cadre. Nous devons pouvoir répondre à cette injustice. Port de charges lourdes dans les métiers du bâtiment ou de la manutention, exposition au bruit, à des températures élevées, à des produits dangereux ou encore travail de nuit, qui touche de plus en plus de femmes… nous ne saurions ignorer ces situations de pénibilité, qui concernent plus de 3 millions de personnes.

Dix critères de pénibilité ont été identifiés et élaborés par les partenaires sociaux. À partir du 1er janvier 2015, chaque Français exposé à l’un de ces facteurs se verra doté d’un compte de prévention de la pénibilité lui permettant de cumuler des points. Un trimestre d’exposition vaudra un point. Lorsque le salarié sera exposé à au moins deux facteurs de pénibilité, il sera crédité pour la même période de deux points.

Ce compte lui permettra ensuite de faire le choix de réorienter sa carrière grâce à la formation, de bénéficier de temps partiel rémunéré à temps plein ou de valider jusqu’à huit trimestres pour le calcul de sa retraite.

Le dispositif de prise en compte de la pénibilité a été précisé et renforcé lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale.

Ainsi, le passage à temps partiel au titre de la pénibilité a été facilité : il pourra désormais intervenir tout au long de la vie active.

Les règles transitoires pour les salariés proches de la retraite ont été précisées. Concrètement, les salariés de plus de 52 ans auront davantage la possibilité de convertir leurs points pénibilité en temps partiel ou en trimestres de retraite, et pas seulement en trimestres de formation.

Ce compte sera bien évidemment financé par les entreprises. Nous allons travailler en 2014 à la mise en place d’un dispositif que je veux simple, accessible et pratique. Il s’agit d’en faire un élément non pas de complexité pour les entreprises, mais de simplicité pour l’ensemble du monde du travail.

Notre réforme comporte également des avancées sociales majeures pour les femmes. Elle leur permettra de valider l’intégralité de leurs congés de maternité, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Par ailleurs, les femmes sont les premières victimes du temps partiel : à l’avenir, 150 heures de travail rémunérées au SMIC suffiront à valider un trimestre, contre 200 heures actuellement. Au-delà, le Gouvernement a exprimé sa volonté de revoir notre système de droits familiaux, de manière que celui-ci bénéficie davantage aux femmes.

Les jeunes sont confrontés aux difficultés croissantes d’entrée dans la vie active.

Répondre à leurs aspirations, c’est d’abord garantir aux 400 000 apprentis actuellement en formation que tous leurs trimestres de travail en alternance seront validés. C’est ensuite faciliter la validation des périodes de chômage non indemnisé pour ceux qui connaissent des périodes de chômage ou de travail précaire. C’est encore permettre à tous ceux qui travaillent pour financer leurs études de valider plus facilement ces périodes grâce à la réduction du seuil de validation d’un trimestre. Enfin, nous proposons à tous ceux qui ont obtenu un diplôme après le baccalauréat de valider jusqu’à quatre trimestres en cotisant à un tarif préférentiel. Les jeunes pourront recourir à cette aide jusqu’à dix ans après la fin de leurs études.

Le dispositif de rachat aidé a été étendu à deux catégories de travailleurs lors du débat à l’Assemblée nationale : les anciens apprentis et les assistantes maternelles.

J’avais posé deux principes sur les périodes de stage : pas de validation sans cotisation et, surtout, pas de banalisation des stages au regard des contrats de travail.

La loi permettra de valider deux trimestres au titre des stages en contrepartie d’une contribution mensuelle, que j’ai souhaitée limitée et mesurée.

La justice, c’est également prendre en compte la situation des personnes handicapées, ainsi que celle de leurs aidants. Les premiers auront demain plus facilement accès à la retraite anticipée et pourront bénéficier plus rapidement d’une retraite à taux plein. Pour les seconds, nous faisons en sorte que le temps passé auprès d’un proche en situation de handicap soit mieux pris en compte grâce à la création d’une nouvelle majoration d’assurance. Nous ouvrons ainsi l’accès à l’assurance vieillesse des parents aux foyers, quelles que soient leurs ressources, ce qui garantira aux aidants familiaux une continuité dans leurs droits à retraite.

Notre projet s’adresse enfin au monde agricole : les plus faibles pensions de notre pays sont celles des agriculteurs ou, en tout cas, d’une partie d’entre eux. Cette situation exigeait une réponse forte. D’ici à 2017, les plus modestes des chefs d’exploitation verront leurs pensions portées à 75 % du SMIC. Les retraites des femmes d’exploitants seront aussi significativement améliorées.

Enfin, le manque de transparence et de lisibilité de notre système de retraites entretient la défiance de nos concitoyens.

C’est pourquoi j’ai tenu à ce que cette réforme simplifie les conditions d’accès aux informations concernant la retraite et sa liquidation.

Notre système est complexe, et nos régimes de retraite sont nombreux. Les Français réclament une clarification des règles, une simplification des démarches et une transparence accrue des dispositifs.

Aussi chaque Français disposera-t-il désormais de son compte individuel de retraite, qui lui permettra de suivre l’évolution de ses droits et de faciliter l’ensemble de ses démarches. Les règles de calcul et le versement des pensions seront unifiés pour les polypensionnés.

Une fois encore, nous avons été pragmatiques. C’est ce que les Français attendent de nous. C’est ainsi que nous pourrons rétablir la confiance.

Mesdames, messieurs les sénateurs, la pérennité de notre système social appelle l’engagement de tous. Il faut faire preuve d’audace et accepter de transformer les règles existantes. C’est à vous qu’il appartient, aujourd’hui et dans les jours qui viennent, de prendre la responsabilité d’apporter des réponses concrètes, fiables et pérennes à l’ensemble de nos concitoyens. C’est à vous qu’il appartient de répondre à la demande de justice exprimée par les femmes, les jeunes et ceux qui travaillent dans des conditions pénibles. C’est à l’aune de cette responsabilité que nous pourrons ensemble construire le système social de demain. Je suis certaine que vous ne vous y déroberez pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Christiane Demontès, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la commission des affaires sociales a examiné le projet de loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites le 23 octobre dernier. À l’issue de ses travaux, elle n’a pas adopté le texte résultant de ses délibérations.

Comme vous le savez, nos discussions porteront donc sur le texte du projet de loi dans la rédaction issue du vote de l’Assemblée nationale.

Avant de revenir plus précisément sur la position exprimée par la commission, permettez-moi de souligner à titre personnel les grandes avancées contenues dans les mesures présentées par le Gouvernement.

Vous l’avez rappelé, madame la ministre, ce projet de loi s’articule autour de trois grandes lignes directrices : le redressement des comptes des régimes de retraite à court terme et la correction de la trajectoire financière de long terme ; la priorité donnée à l’équité, qui exige de mieux prendre en compte les évolutions sociales et la diversité des parcours professionnels dans l’acquisition des droits à la retraite, notamment pour les femmes et les plus jeunes de nos concitoyens ; le renforcement du droit à l’information des assurés et l’amélioration de la coordination entre les régimes.

Premier axe, l’exigence de redressement. Les données du problème sont connues, et le diagnostic est partagé. Depuis les années quatre-vingt-dix, les régimes de retraite sont confrontés à une forte montée en charge des droits acquis, sous l’effet de la démographie. Cette évolution structurelle met en danger la pérennité financière de notre système de retraites par répartition.

L’objectif de retour à l’équilibre, envisagé à l’horizon 2020 par la réforme de 2003, puis à l’horizon 2018 par celle de 2010, ne sera pas atteint en l’absence de mesures nouvelles.

Si, à court terme, la branche vieillesse verra cette année son solde s’améliorer très sensiblement, une nouvelle dégradation de celui-ci interviendrait dès 2014 à législation inchangée. Le déficit conjoint du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, devrait s’élever à 6 milliards d’euros cette année, contre 8,9 milliards d’euros en 2012. Il se creuserait à nouveau dès l’année prochaine, pour atteindre un total de 7,4 milliards d’euros.

À plus long terme, le besoin de financement du système est évalué à 20,7 milliards d’euros en 2020, dont 7,6 milliards d’euros pour le régime général, le FSV, et les régimes de retraite de base non équilibrés par subvention.

Dans ce contexte, le projet de loi dont nous allons débattre vise à préserver notre système par répartition tout en respectant une exigence fondamentale : demander à tous les Français des efforts modérés et équitablement répartis et organiser une montée en charge des mesures dans des conditions d’anticipation raisonnables.

Je pense en particulier à l’allongement progressif de la durée d’assurance nécessaire pour obtenir une retraite à taux plein. Il s’agit de garantir un ajustement de la trajectoire financière dans des conditions que les assurés pourront anticiper et sans brutalité, contrairement à d’autres réformes, pour les générations proches de la retraite.

Cette mesure est juste. Elle s’accompagne de plusieurs dispositifs visant à compenser ses effets pour les personnes exerçant des métiers pénibles, ayant commencé à travailler jeunes ou à carrières heurtées.

Deuxième axe, l’équité. Le projet de loi prend en compte la situation des assurés les plus pénalisés, auxquels les précédentes réformes ont apporté très peu de réponses.

Le texte traduit, et c’est la première fois, par un dispositif universel, le compte personnel de prévention de la pénibilité, le devoir qui incombe à la société de prévenir la pénibilité et d’en compenser les effets. La prise en compte de la pénibilité au cours de la vie professionnelle et dans l’acquisition des droits à la retraite constitue assurément le dispositif phare du présent texte. Elle est l’aboutissement d’un long cheminement entamé voilà plus de dix ans.

En effet, c’est durant les travaux préparatoires de la réforme de 2003 que la pénibilité et ses effets sur l’espérance de vie et la retraite ont été pour la première fois abordés. Les partenaires sociaux engagèrent ensuite une négociation, qui échoua malgré plus de deux ans de travaux, mais qui fixa la liste des facteurs de risques professionnels. C’est sur la question du financement qu’elle achoppa ; les entreprises refusèrent d’y prendre part et renvoyèrent à la solidarité nationale sur des sujets relevant des conditions de travail, de son organisation, mais aussi des besoins de la société, car il est indéniable que le travail de nuit est utile à la collectivité.

En 2010, la définition des dix facteurs de risques professionnels reconnus comme sources de pénibilité, ainsi que l’instauration d’une obligation de tenue, par l’employeur, d’une fiche individuelle de prévention des expositions pour les salariés qui les subissent ont marqué une étape supplémentaire dans la reconnaissance des conséquences des conditions de travail sur la santé après la retraite. Comme vous l’avez rappelé, madame la ministre, les hommes qui occupent les professions les plus qualifiées ont, à 50 ans, une espérance de vie en bonne santé très supérieure à celle des ouvriers.

Je le souligne, le dispositif se veut non pas uniquement réparateur, mais également incitatif. Par la formation, les salariés confrontés à la pénibilité pourront faire évoluer leur parcours professionnel et, ainsi, ne pas rester bloqués dans des postes pénibles.

Il est également apporté une contribution essentielle à la concrétisation de l’objectif d’équité, via les mesures en faveur des femmes, des jeunes, des assurés à carrières heurtées – d’ailleurs, ce sont souvent les mêmes –, des personnes handicapées et de leurs aidants familiaux, ainsi que des retraités agricoles : abaissement du seuil de rémunération permettant de valider un trimestre d’assurance vieillesse de 200 heures au SMIC à 150 heures au SMIC avec report sur l’année suivante du reliquat d’heures, mise en place d’une aide forfaitaire au rachat d’années d’études supérieures, dispositif améliorant les droits à la retraite des apprentis, création d’une majoration de durée d’assurance pour les aidants familiaux chargés d’un adulte lourdement handicapé ou encore garantie pour les petites pensions agricoles d’atteindre 75 % du SMIC en 2017.

Troisième axe, la mise en œuvre du droit à l’information. Le projet de loi marque le début d’une nouvelle étape. Des progrès considérables ont été réalisés au cours des dix dernières années avec l’installation du groupement d’intérêt public, ou GIP, Info Retraite, dont certains d’entre vous ont largement participé à la mise en place. Il est composé de l’ensemble des régimes de retraite obligatoires de base et complémentaires.

Les travaux de ce groupement sont unanimement reconnus. Ils ont d’ailleurs contribué à modifier la conception des jeunes générations dans leur approche de la retraite. L’ensemble des partenaires sociaux et des représentants des régimes de retraite m’ont d’ailleurs confirmé le bien-fondé de l’action de ce GIP lors des travaux préparatoires en commission.

Chaque assuré peut aujourd’hui se voir communiquer un relevé de situation individuelle et obtenir à sa demande un entretien avec un conseiller de sa caisse.

Je souhaite insister sur le spectre d’action très large qui sera donné à l’Union des institutions et services de retraites. Cette dernière reprendra l’an prochain les missions du GIP Info Retraite, sans renier naturellement le travail déjà accompli. D’ailleurs, c’est ce travail qui nous permet aujourd’hui de passer à la phase suivante, mais en l’amplifiant : à l’information des citoyens s’ajouteront la simplification et la mutualisation pour les usagers à travers une coordination renforcée entre régimes.

Je conclus sur la nécessité de redonner confiance dans la faculté des régimes de retraite à remplir leurs objectifs, non seulement financiers, mais aussi sociaux, auxquels, je l’imagine, nous sommes tous profondément attachés.

Le nouveau mécanisme de pilotage annuel du système de retraite prévu à l’article 3 y contribuera efficacement. Il s’agit de mettre un terme aux réformes périodiques sans vision dans la durée. De plus, conformément aux recommandations du rapport Moreau sur l’avenir des retraites, qui a été remis au Premier ministre au mois de juin dernier, le mécanisme permettra de mieux distinguer la phase de diagnostic réalisée dans l’enceinte de dialogue et de concertation que constitue le Conseil d’orientation des retraites, ou COR, de la phase d’expertise technique au sein du nouveau comité de suivi, qui exercera une fonction d’alerte et de proposition. Les tâches seront clairement réparties, et la décision finale appartiendra au Gouvernement et au Parlement.

En tant que rapporteur, j’ai naturellement eu l’occasion de détailler chacun de ces points devant la commission des affaires sociales au cours de la réunion d’examen du texte.

À l’issue du débat général, la commission a adopté quatre articles, dont certains revêtent une grande importance. Je pense en particulier à l’article 2, relatif à l’allongement de la durée d’assurance requise pour l’attribution du taux plein, et à l’article 6, relatif au compte personnel de prévention de la pénibilité. Je constate d’ailleurs, à l’examen des amendements extérieurs, que certains collègues ayant voté dans un sens à la commission des affaires sociales ont pourtant déposé des amendements allant en sens contraire... Mais nous aurons l’occasion d’en reparler lors de la discussion des articles.

La commission a également adopté plusieurs amendements que j’avais proposés pour simplifier la mise en œuvre du compte personnel de prévention de la pénibilité et améliorer la gouvernance du système.

Pour des raisons différentes, voire parfois contradictoires selon les formations politiques – nous aurons largement l’occasion de revenir sur ces divergences au cours de la semaine –, la commission n’a pas adopté les autres articles du projet de loi. Elle n’a donc pas non plus adopté le texte résultant de ses délibérations.

J’ai bien entendu les points de vue exprimés par nos collègues de l’opposition, ainsi que par certains groupes de la majorité sénatoriale. Je ne les partage pas tous, mais j’espère que nos débats contribueront à rapprocher nos positions, afin de sauvegarder ce qui pour nous est l’essentiel : les retraites de demain.

Tels sont, monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les éléments dont je souhaitais vous rendre compte avant que notre Haute Assemblée n’entame l’examen de ce projet de loi, enrichi et précisé par l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)