M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, sur l'article.

M. Thani Mohamed Soilihi. L’article 1er du projet de loi définit les cadres et les buts de l’économie sociale et solidaire. Il s’agit d’une économie qui concilie à la fois performance économique et utilité sociale dans des secteurs comme les services à la personne, la petite enfance, la transition énergétique ou le recyclage.

Dans nos territoires reculés, où le tissu associatif occupe une place importante et où la solidarité vient pallier des difficultés économiques et sociales plus marquées que dans l’Hexagone, l’essor de ce type d’économie représente, il est vrai, une solution de développement viable.

Vous le savez, monsieur le ministre, l’« assistanat » dont profiteraient les outre-mer relève d’une vision profondément injuste de la réalité à laquelle ils sont confrontés. En effet, les économies ultramarines sont fragiles et présentent des handicaps structurels importants tels que l’éloignement, l’insularité, des reliefs et des climats difficiles ou encore l’étroitesse des marchés, des handicaps reconnus tant par l’État que par les institutions européennes. De plus, le taux de chômage y est beaucoup plus élevé qu’en métropole, et il touche majoritairement les jeunes.

C’est parce qu’elle présente une source d’activités non délocalisables à forte utilité sociale et créatrices d’emplois locaux que l’économie sociale et solidaire occupe aujourd’hui en outre-mer une place prépondérante et qu’elle joue pleinement son rôle de pourvoyeur d’emplois.

À Mayotte, la mise en œuvre d’une politique favorisant l’économie sociale et solidaire en est encore au stade des balbutiements, mais les bases sont d’ores et déjà posées. En effet, par courrier du 9 octobre dernier, vous avez souhaité qu’un correspondant régional à l’économie sociale et solidaire soit désigné à Mayotte. Il a été nommé quelques jours plus tard par le préfet et aura pour rôle de faire l’interface entre, d’un côté, les services déconcentrés de l’État et, de l’autre, les responsables régionaux ainsi que les acteurs locaux de l’économie sociale et solidaire. De façon générale, il animera et coordonnera le développement régional de l’économie sociale et solidaire.

J’ai également entamé des démarches pour mettre en place une chambre régionale de l’économie sociale et solidaire, car il était impensable que Mayotte soit la seule région de France à ne pas être dotée de cet outil indispensable à la consolidation et au développement de l’économie sociale et solidaire.

Par ailleurs, je souhaite appeler votre attention, monsieur le ministre, sur le caractère central de l’accompagnement dans le développement de l’emploi des associations, des structures de l’insertion par l’activité économique et des coopératives à finalité sociale.

Le ministre des outre-mer élabore en ce moment même un projet de loi relatif au développement et à la modernisation de l’économie des outre-mer. Le Gouvernement entend-il profiter de ce texte en préparation pour proposer une aide financière aux personnes publiques et privées qui engagent outre-mer des projets relevant de l’économie sociale et solidaire ?

Monsieur le ministre, aux termes de l’article 51, vous aurez à prendre, dans un délai de neuf mois après la publication de la présente loi, les mesures permettant de rendre applicables dans les outre-mer les dispositions qu’elle contient, en tenant compte des spécificités de nos territoires. Nous aurons l’occasion de revenir ultérieurement sur ce point lors de l’examen de cet article, mais je souhaite dès à présent vous inviter à venir vous rendre compte par vous-même, lors d’un prochain déplacement, de la particularité de Mayotte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, sur l'article.

M. Roland Courteau. Force est de constater que l’économie sociale et solidaire reste encore trop méconnue. Elle souffre en outre d’un manque de reconnaissance dû au fait qu’elle n’avait jusqu’à aujourd’hui, jusqu’à votre projet de loi, monsieur le ministre, ni définition précise ni reconnaissance officielle. Voilà une lacune qui sera bientôt comblée !

J’avoue ne pas comprendre certaines prises de position dans cette enceinte. Mais c’est ainsi… Non, mes chers collègues, l’économie sociale et solidaire n’est pas, comme l’a souligné Martial Bourquin, une économie marginale : elle représente 2,6 millions de salariés, soit un emploi privé sur 8 !

En dépit de la conjoncture, ce secteur demeure créateur d’emplois. Au cours des dix dernières années, il a créé 440 000 emplois, soit une augmentation de 23 %, quand le nombre des emplois n’augmentait que de 7 % dans le reste du secteur privé. De plus, ce secteur fédère 10 % du PIB de la France. Bref, il s’agit d’un secteur à haute utilité publique et sociale.

J’apprécie, monsieur le ministre, que vous vous soyez saisi de cette question pour apporter à ce secteur toute la reconnaissance et la légitimité qu’il mérite.

Avec l’article 1er, nous allons définir de manière inclusive l’économie sociale et solidaire. En fait, nous voulons inscrire cette politique publique de l’économie sociale et solidaire dans la durée et lui donner les moyens de fonctionner de manière optimale. À cet effet, les structures et les acteurs de l’économie sociale solidaire pour lesquels nous allons définir le périmètre d’action seront désormais clairement identifiables, tant par les organismes de financement que par les pouvoirs publics et les citoyens. Ainsi, les quatre grandes familles historiques et fondatrices de ce secteur que sont les coopératives, les mutuelles, les associations et les fondations voient leur statut conforté par le projet de loi.

Cependant, il existe des entreprises qui, bien que n’appartenant à aucune de ces familles, adhèrent à cette philosophie par leur mode d’entreprendre et l’utilité sociale qu’elles visent. Aussi doivent-elles trouver leur place au sein de l’économie sociale et solidaire. C’est pourquoi il était primordial de définir des critères fondés sur les valeurs traditionnelles de l’économie sociale et solidaire et adaptés au modèle d’entreprendre des sociétés commerciales à « lucrativité limitée » qui souhaitent intégrer ce périmètre.

En proposant trois critères, tels que la poursuite d’un but social autre que le seul partage des bénéfices, une gouvernance démocratique, avec participation des parties prenantes aux réalisations de l’entreprise, et une lucrativité encadrée, avec le réinvestissement de la majorité des bénéfices pour le développement de l’entreprise et l’« impartageabilité » des réserves obligatoires, vous permettez à ces sociétés commerciales à « lucrativité limitée », qui recherchent un objectif d’utilité sociale, d’intégrer une grande famille, tout en encadrant les conditions de cette intégration. Toutefois, il conviendra à l’avenir de vérifier le respect de ces critères par ces entreprises.

Il s’agit bien sûr d’une démarche volontaire, qui implique obligatoirement une modification des statuts. Votre approche rejoint ainsi le choc de simplification engagé par le Président de la République.

Les chiffres prévisionnels nous donnent à penser que 5 000 entreprises pourraient prétendre à ce statut, ce qui n’est nullement négligeable. Au vu des principes et des valeurs défendus par l’économie sociale et solidaire, je suis heureux que nous leur donnions cette perspective.

Monsieur le ministre, la définition de l’économie sociale et solidaire est une bonne chose. D’ailleurs, elle me semble tellement évidente que je m’étonne que personne auparavant n’ait pensé à l’inscrire dans la loi. Avec ce texte, nous menons la bataille de l’emploi souhaitée par le Président de la République et le Gouvernement. Nous allons contribuer à créer des emplois et participer à la relance de la croissance. Pour ma part, je n’y vois que des avantages. C’est donc avec détermination et conviction que je soutiendrai l’article 1er et le projet de loi dans son ensemble. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Vergoz, sur l'article.

M. Michel Vergoz. Je me félicite de ce moment consacré à l’examen du projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire, qui restera, quoi qu’il arrive, un marqueur dans ce quinquennat. Rappelons que ce chantier avait été stoppé net consécutivement à l’alternance voilà un peu plus de dix ans, alors qu’un secrétariat d’État à l’économie solidaire avait été créé par le gouvernement de Lionel Jospin.

L’examen de ce projet de loi en est la preuve, s’il en était besoin, la droite et la gauche, ce n’est pas pareil !

M. Michel Vergoz. En clair, si la droite l’avait emporté en juin 2012, serions-nous là aujourd'hui à débattre de l’économie sociale et solidaire ?

M. Roland Courteau. Certainement pas !

M. Michel Vergoz. La réponse est bien évidemment non ! Mon collègue Gérard César nous l’a expliqué précédemment, et son point de vue sur cette question est sans équivoque.

L’économie sociale et solidaire est un précieux élément du changement. Le texte qui nous est soumis vise à définir le secteur d’activité de l’économie sociale et solidaire, à le structurer pour faciliter le dialogue entre les acteurs eux-mêmes et avec les autorités publiques et à le développer. Cela a été souligné, le cadre législatif est sécurisant. L’avancée est donc incontestable.

Ce texte constitue plus encore pour les outre-mer une véritable opportunité pour l’emploi. Tous les efforts en faveur du seul secteur économique classique dans les outre-mer ont largement montré leurs limites au cours des dernières décennies. Ils n’ont jamais suffi à juguler la gangrène du chômage, qui déstructure des générations entières et affaiblit toujours plus la cohésion sociale. Un taux de chômage insoutenable et récurrent de 25 % à 30 %, une pression démographique constante, un solde migratoire positif, 45 % de chômeurs pas ou peu diplômés, 60 % des jeunes âgés de quinze à vingt-quatre ans frappés par le chômage à La Réunion : tous ces éléments attestent de l’urgente nécessité d’agir autrement sur nos territoires.

Les outils qui seront reconnus demain à l’économie sociale et solidaire – nouvelles structures, statuts actualisés, mesures fiscales spécifiques et adaptées, intervention de la BPI – permettront bel et bien de constituer l’autre économie, qu’il nous faudra faire vivre d’une manière responsable aux côtés de l’économie marchande classique.

Même si la tâche apparaît plus difficile encore en outre-mer à cause du poids de l’histoire, qui s’est construite sur une économie marchande verrouillée au profit de quelques-uns, nos efforts devront chaque fois porter sur l’impérieuse nécessité de faire – enfin ! – marcher nos économies ultramarines sur deux jambes : l’économie privée classique et l’économie sociale et solidaire. Quoi de plus naturel, me direz-vous, si l’on veut efficacement avancer !

Je me réjouis de ce pas historique, qui vient enrichir la boîte à outils dont nous disposons déjà avec la loi de régulation économique adoptée en novembre 2012, dont l’article 1er ouvre dans tous les secteurs d’activité économique des collectivités ultramarines le champ de la concurrence, la loi visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire adoptée en mai 2013, dont l’article 4 ouvre les appels d’offres dans nos collectivités à la petite entreprise agricole, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ou encore la BPI. Nous disposons incontestablement de plus de moyens pour être offensif dans les domaines du développement et de l’emploi dans nos territoires ultramarins. Il nous faut à présent livrer la bataille de la communication pour gagner la bataille, impérieuse, de l’explication. Ce n’est pas une mince affaire, mais c’est là une tout autre histoire qui commence. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, sur l'article.

M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai conscience que, en prenant la parole à cet instant, je m’expose au risque de répéter les propos des orateurs précédents. Toutefois, je tiens à souligner que ce projet de loi procède d’une démarche éminemment politique : il n’est pas, comme certains pourraient le penser, un texte de circonstance.

M. le ministre et M. le rapporteur ont rappelé que l’économie sociale et solidaire était apparue au XIXe siècle ; elle s’est construite peu à peu, selon une méthode qu’il faut bien qualifier d’empirique. En lui accordant une consécration législative, ce projet de loi donne à l’économie sociale et solidaire ses lettres de noblesse : c’est une étape heureuse et importante.

L’article 1er du projet de loi précise clairement que cette économie ne vise pas à dégager des bénéfices à tout prix, dans un but uniquement lucratif. Monsieur César, on mesure la distance qui la sépare d’autres types d’économie, dans lesquels la recherche frénétique des bénéfices n’a eu d’autre but que d’assouvir la soif d’un certain nombre d’actionnaires. (Murmures sur les travées de l’UMP.)

M. Bruno Sido. Quelle finesse !

M. Jean-Jacques Mirassou. Parmi les principes fondamentaux de l’économie sociale et solidaire énoncés par cet article figure le caractère démocratique de la gouvernance. On peut espérer que les travailleurs qui ne sont pas associés au choix des orientations, lesquelles sont parfois fatales à l’entreprise, auront désormais leur mot à dire.

L’affectation systématique des bénéfices vers le maintien des emplois et le développement de l’entreprise n’est pas non plus un principe négligeable.

Tous les orateurs qui se sont exprimés cet après-midi, du moins ceux de la majorité, ont pris la précaution de préciser que la démarche n’était pas manichéenne ; nous ne considérons pas qu’il y a, d’un côté, la vertu, et, de l’autre, le diable. C’est vous, monsieur César,…

M. Gérard César. Qui êtes le diable ? (Sourires.)

M. Marc Daunis, rapporteur. Un diablotin ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean-Jacques Mirassou. … qui avez pris le risque de tenter de disqualifier, par un discours pour le moins schématique, un projet de loi dont la crédibilité va être peu à peu affermie.

Mes chers collègues, comment pourrions-nous ignorer le chiffre que nombre d’orateurs ont déjà cité : 50 000 emplois sont perdus chaque année. Dans ces conditions, nous n’avons pas le droit de ne pas tout essayer !

M. Bruno Sido. C’est vrai.

M. Jean-Jacques Mirassou. Incontestablement, ce projet de loi puissamment novateur permettra de lever un verrou et d’ouvrir de nouveaux horizons.

Il répond à une triple exigence : une exigence sociale, une exigence économique et une exigence citoyenne. Toutes trois figurent parmi les principes fondamentaux énoncés à l’article 1er ; Jean-Pierre Godefroy a eu raison de souligner, dans la discussion générale, qu’elles sont au cœur du pacte républicain. (M. Henri de Raincourt s’exclame.) Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous pensez bien que nous soutenons pleinement cette démarche remarquablement cohérente. (Marques d’ironie sur les travées de l’UMP.)

Enfin, il faut signaler l’importance que le projet de loi accorde aux collectivités territoriales, singulièrement aux régions. Qu’il soit examiné en premier lieu par le Sénat renforce la crédibilité de notre assemblée et permet de lui apporter une plus-value.

Monsieur le ministre, nous souhaitons le succès de ce projet de loi, qui est inspiré par une volonté politique. Dans nos départements, nous en assurerons, en quelque sorte, le service après-vente : ainsi l’économie sociale et solidaire, en se développant dans les territoires, permettra-t-elle de lutter efficacement contre le chômage ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. Gérard César. Coiffez le bonnet rouge !

M. Jean-Jacques Mirassou. C’est mieux qu’un bonnet d’âne ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 213 rectifié, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Barbier, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Collin, Collombat, Esnol et Fortassin, Mme Laborde et MM. Hue, Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Rédiger ainsi cet alinéa :

I. – L’économie sociale et solidaire est une forme d’organisation d’activités économiques, fondée sur la solidarité collective, qui assure la production, la distribution, l’échange et la consommation de biens et de services. Elle contribue et participe au développement économique, social ou environnemental et peut intervenir dans tous les domaines de l’activité humaine. En font partie des personnes morales de droit privé qui remplissent les conditions suivantes :

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, si vous le voulez bien, je présenterai en même temps l'amendement n° 259 rectifié.

L’article 1er du projet de loi est important, dans la mesure où il définit le périmètre de l’économie sociale et solidaire. La définition qu’il en donne est inclusive : elle englobe les acteurs traditionnels de cette économie, c’est-à-dire les coopératives, les associations, les mutuelles et les fondations, mais aussi des sociétés commerciales, dès lors que celles-ci répondent à un certain nombre de critères.

Une telle définition est à la fois nécessaire et attendue ; il s’agit de permettre le développement de l’économie sociale et solidaire dans tous les secteurs et sur tout le territoire.

L’amendement n° 213 rectifié vise simplement à étoffer cette définition, car nous la trouvons particulièrement succincte. Notre proposition est inspirée de la définition donnée par le Conseil économique, social et environnemental, le CESE, dans son avis de janvier 2013 intitulé : « Entreprendre autrement : l’économie sociale et solidaire ».

Permettez-moi, mes chers collègues, de vous en donner lecture : « L’économie sociale et solidaire est une forme d’organisation d’activités humaines, fondée sur la solidarité collective et la démocratie, s’appuyant sur l’efficience économique de ses moyens, qui assure la production, la distribution, l’échange et la consommation des biens et des services. Elle contribue à l’expression d’une citoyenneté active et participe à la prospérité individuelle et collective. Elle intervient dans tous les domaines économiques, sociaux, sociétaux et environnementaux ».

Les amendements nos 213 rectifié et 259 rectifié visent principalement à préciser que l’économie sociale et solidaire peut intervenir dans tous les domaines de l’activité humaine. Le second est un amendement de repli, dont les dispositions se bornent à ajouter cette précision à l’alinéa 1 de l’article 1er.

M. le président. L'amendement n° 259 rectifié, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Après le mot :

entreprendre

insérer les mots :

adapté à tous les domaines de l’activité humaine

Cet amendement a déjà été défendu.

Quel est l’avis de la commission ?

M. Marc Daunis, rapporteur. Les auteurs de l’amendement n° 213 rectifié proposent une définition générale de l’économie sociale et solidaire, ainsi que de ses principes et objectifs fondamentaux. Or la commission a considéré que nombre des précisions que cette définition comporte ne relèvent pas vraiment de la loi : elles forment plutôt une déclaration générale, une sorte d’exposé des motifs.

Monsieur Mézard, comme je souscris malgré tout à l’esprit de la définition que vous proposez, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement au profit de l’amendement n° 132, que nous examinerons plus tard et qui vise à en reprendre la teneur tout en évitant un certain nombre de redondances.

Par ailleurs, la commission émet un avis favorable sur l'amendement n° 259 rectifié.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Monsieur Mézard, l’article 1er du projet de loi a fait l’objet de discussions et de négociations intenses, non seulement avec les groupes politiques du Sénat, mais aussi, en amont, avec les acteurs de l’économie sociale et solidaire.

Après avoir entendu l’avis du CESE, auquel vous avez fait référence, et les points de vue de tous les acteurs concernés, nous sommes arrivés à une définition qui ne correspond pas forcément à la position de chaque famille de l’économie sociale et solidaire, mais que le Gouvernement considère comme un point d’équilibre. En effet, elle sert notre ambition de promouvoir une vision inclusive de l’ESS et de favoriser la pollinisation par celle-ci de l’économie classique.

À nos yeux, monsieur le sénateur, votre proposition de remplacer, à l’alinéa 1, l’expression : « un mode d’entreprendre » par les mots : « une forme d’organisation d’activités économiques » rompt cet équilibre. C’est pourquoi je vous demande de bien vouloir retirer l’amendement n° 213 rectifié ; s’il est maintenu, le Gouvernement y sera défavorable.

En revanche, le Gouvernement est favorable, à l’instar de la commission, à l’amendement n° 259 rectifié. En effet, la précision que celui-ci vise à introduire rejoint notre volonté de faire entendre que l’économie sociale et solidaire n’est pas seulement une économie de la réparation.

M. Roland Courteau. Tout à fait !

M. Benoît Hamon, ministre délégué. À la vérité, cette économie couvre un champ d’activités bien plus large, même si toutes les forces économiques et politiques n’en sont pas convaincues, comme l’ont bien montré les interventions de certains orateurs dans la discussion générale.

M. le président. Monsieur Mézard, l'amendement n° 213 rectifié est-il maintenu ?

M. Jacques Mézard. Comme j’ai précisé que mon amendement n° 259 rectifié était un amendement de repli, je consens à retirer à son profit l’amendement n° 213 rectifié, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 213 rectifié est retiré.

Je mets aux voix l'amendement n° 259 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. L'amendement n° 214 rectifié, présenté par MM. Mézard, Alfonsi, Baylet, Bertrand, C. Bourquin, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mme Laborde et MM. Mazars, Plancade, Requier, Tropeano et Vall, est ainsi libellé :

Alinéa 2

Rédiger ainsi cet alinéa :

1° Un but non lucratif ou une lucrativité limitée qui consiste à utiliser leurs bénéfices en priorité pour atteindre leur objet principal, et à mettre en place des procédures et des règles prédéfinies pour toutes les situations exceptionnelles où des bénéfices sont distribués aux actionnaires et aux propriétaires, garantissant qu’une telle distribution de bénéfices ne dessert aucunement leur objet principal ;

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Au travers de cette série d’amendements à l’article 1er du projet de loi, nous cherchons à préciser les caractéristiques fondamentales de l’économie sociale et solidaire et à nous assurer du respect de celles-ci par l’ensemble des acteurs concernés.

L’amendement n° 214 rectifié vise à définir plus précisément l’un des piliers de l’économie sociale et solidaire : la notion de lucrativité nulle ou limitée.

Donner de cette économie une définition inclusive, c’est très bien ; mais, selon nous, cette intention ne doit pas conduire à abaisser les exigences constitutives de ce secteur. C’est pourquoi nous proposons d’insister sur l’importance du critère de lucrativité nulle ou limitée.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Marc Daunis, rapporteur. La commission souscrit à l’idée de lucrativité nulle ou limitée, mais considère que cet amendement est satisfait par le projet de loi.

En effet, l’alinéa 5 de l’article 1er prévoit l’affectation majoritaire des bénéfices à l’activité de l’entreprise et l’ « impartageabilité » des réserves est inscrite à l’alinéa 6, dont la rédaction s’inspire de l’article 1er de la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.

Dans ces conditions, je demande aux auteurs de l’amendement n° 214 rectifié de bien vouloir le retirer.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Benoît Hamon, ministre délégué. Monsieur Mézard, vous voulez vous assurer que les bénéfices seront redistribués aux sociétaires, sous forme de participation, de manière exceptionnelle.

Le président de la SCOP Chèque Déjeuner, l’un des leaders mondiaux en matière de titres de restauration, a rapporté que 45 % des bénéfices de l’exercice 2011 ont été directement distribués aux salariés, selon un partage égalitaire : de l’hôtesse d’accueil au président, chacun a reçu 20 000 euros, ce qui est considérable. Une part identique des bénéfices a servi de provision pour investissement, le reste étant de 10 %.

Cet exemple montre que, dans le fonctionnement actuel du modèle coopératif, une part des bénéfices est, de manière régulière, distribuée aux sociétaires.

Il me semble que l’adoption de l’amendement n° 214 rectifié mettrait en cause le fonctionnement actuel de certaines coopératives dans le secteur marchand : dans un environnement très fortement concurrentiel, celles-ci aspirent, sans abandonner le principe coopératif, à redistribuer une partie des bénéfices aux sociétaires.

C’est pourquoi je demande à M. Mézard de bien vouloir retirer son amendement ; s’il est maintenu, le Gouvernement y sera défavorable.

M. le président. Monsieur Mézard, l'amendement n° 214 rectifié est-il maintenu ?

M. Jacques Mézard. Non, je le retire, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 214 rectifié est retiré.

Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 74, présenté par M. Le Cam, Mme Schurch et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Rédiger ainsi cet alinéa :

2° Une gouvernance démocratique, définie et organisée par les statuts, prévoyant la participation, non strictement proportionnelle à leur apport en capital ou au montant de leur contribution financière, des associés et parties prenantes aux réalisations de l’entreprise ;

La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. L’article 1er du projet de loi définit le champ de l’économie sociale et solidaire en en rappelant les principes fondateurs. Parmi ces principes communs aux différents acteurs du secteur, quelle que soit leur forme juridique, se trouve l’exigence de gouvernance démocratique.

Cette modalité de gouvernance implique le respect du principe « un homme, une voix ». Ainsi, quels que soient sa taille, son poids économique ou encore le montant des parts sociales qu’il détient, chaque individu impliqué dans la structure dispose d’un droit de vote identique.

Ce principe n’est pas complètement transposable à tous les acteurs historiques du secteur. Certains aménagements existent, qui ne remettent pas en cause la gouvernance démocratique.

Ainsi, dans les sociétés coopératives d’intérêt collectif, les SCIC, ce principe est respecté lors des assemblées générales. Il est toutefois possible de pondérer ce vote en prévoyant, dans les statuts, la mise en place de collèges : dans ce cas, il faut au minimum trois collèges, sans qu’aucun puisse détenir plus de 50 % des droits de vote, ni moins de 10 %. Cette règle oblige à une réflexion collective sur le partage du pouvoir et à l’acceptation par l’ensemble des associés des modalités de pondération de voix propres à chaque société coopérative d’intérêt collectif.

En faisant entrer les sociétés commerciales à capitaux dans la famille de l’économie sociale et solidaire, ce principe est d’autant plus délicat à adapter qu’il s’oppose au mode de gouvernance proportionnelle à la détention des parts du capital. On prend donc le risque d’affaiblir ce principe démocratique historique.

Selon nous, tel qu’il est rédigé, le projet de loi définit la notion de gouvernance démocratique de façon trop floue et laisse les entreprises libres d’intégrer dans leurs statuts, sous la forme et avec l’intensité qu’elles souhaitent, le moyen de mettre en œuvre une telle gouvernance.

Il faut pourtant que, dans les sociétés commerciales concernées, une solution soit trouvée, pour que la gouvernance dote chaque membre de l’entreprise d’un seul et même poids dans la prise des décisions concernant la vie de l’entreprise. Nous savons tous que, au bout du compte, ceux qui détiennent le capital seront les ultimes décisionnaires.

Même pour de telles entreprises, ce principe de gouvernance démocratique a son intérêt. Il représente aussi une garantie que le projet de l’entreprise sera co-construit par une pluralité d’acteurs, représentant différentes sensibilités.

En conséquence, si le projet de loi entend défendre les principes fondateurs de l’économie sociale et solidaire, il doit être éducatif et politique, comme le furent à l’origine les mouvements associatifs, mutualistes et coopératifs.

C'est la raison pour laquelle nous proposons de récrire l’alinéa 3 de l'article 1er.