M. Michel Delebarre, rapporteur. Plus sérieusement, l’adoption de cette proposition de loi est une urgence, tant la contrefaçon constitue un fléau qui se développe et devient protéiforme.

Je ne répéterai pas ce qu’a déjà fort bien exposé Richard Yung. Nous connaissons l’impact économique de la contrefaçon, qui se paye pour notre pays en dizaine de milliers d’emplois mis en cause. Je veux surtout insister sur le fait que la contrefaçon, aujourd’hui, a changé de nature.

Avec le développement du commerce mondial, elle s’est internationalisée, en lien de plus en plus souvent avec des organisations criminelles, qui y trouvent une activité bien plus rentable et bien moins risqué, pénalement et financièrement, que, par exemple, le trafic de drogue.

Les marchandises faisant l’objet de contrefaçon ont elles aussi évolué, en se diversifiant considérablement. Autrefois, on appréhendait la question de la contrefaçon à travers le seul prisme des produits de luxe, ce qui expliquait sans doute une certaine tolérance à l’égard du phénomène, au motif que les entreprises qui en étaient victimes devaient vraisemblablement avoir les moyens de le supporter.

Aujourd’hui les choses ont changé. La contrefaçon porte non plus seulement sur des sacs à main ou des vêtements de marque, mais d’abord sur des pièces détachées d’automobiles, dans tous les sens, des médicaments, des produits cosmétiques, des éléments de construction pour le bâtiment ou encore des jouets d’enfants. Nous approchons de Noël, période bénie pour la contrefaçon ! Ce phénomène, qui se développe rapidement, pose un grave problème pour la sécurité et pour la santé des consommateurs.

Dans ces conditions, la proposition de loi, appuyée par un réel engagement du Gouvernement, et de vous-même, depuis l’origine, madame la ministre, a pour vocation de rendre notre législation plus efficace pour combattre la contrefaçon.

La lutte s’effectue selon deux axes : d’une part, par la voie de l’action civile des entreprises lésées, qui cherchent à obtenir réparation, et, d’autre part, par la voie pénale, moins souvent employée. Dans cette lutte, l’action des services des douanes, qui s’exerce dans un cadre communautaire précis, est, par construction, primordiale.

La proposition de loi adapte donc, et harmonise, les mécanismes civils existant dans le code de la propriété intellectuelle et renforce les moyens d’action et de contrôle des douanes. Elle comporte aussi quelques dispositions pénales. Il s’agit d’adaptations et d’ajustements de la réforme opérée par la loi du 29 octobre 2007 au regard de la pratique constatée depuis, ainsi que d’une meilleure mise en cohérence des divers dispositifs régissant la protection des différentes catégories de droit de la propriété intellectuelle.

Avant d’entrer davantage dans le détail, je tiens à rappeler que ce texte reprend entièrement, à quelques ajustements rédactionnels près, le contenu du texte que notre commission avait adopté sur la proposition de Laurent Béteille en juillet 2011. Cela représente seize articles dans la présente proposition de loi, pour lesquels la commission s’en est tenue, à quelques détails près, au texte de 2011. S’y ajoutent quatre articles contenant des dispositions nouvelles, qui intéressent directement les douanes.

La logique de la commission a été la cohérence avec sa position consensuelle de 2011 et la recherche de l’efficacité afin de permettre l’adoption rapide de ce texte.

Premièrement, la proposition de loi tendait à renforcer la spécialisation des tribunaux en matière de propriété intellectuelle. La commission n’a pas confirmé ce point. L’enjeu réside bien davantage, à nos yeux, dans le renforcement de la formation et de la spécialisation des magistrats en matière de propriété intellectuelle. Cela relève non du pouvoir législatif, mais bien de la pratique de la Chancellerie.

Deuxièmement, la proposition de loi vise à améliorer les dédommagements civils en matière de contrefaçon. Cette question fait l’objet de débats. Depuis la loi de 2007, en effet, afin de fixer le montant des dommages et intérêts, le juge doit prendre en considération, comme l’a dit Richard Yung, « les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subies par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l’atteinte ». La proposition de loi vise à apporter des précisions à cet égard : il est désormais indiqué que le juge prend en compte distinctement ces trois chefs de préjudice, et que les bénéfices réalisés par le contrefacteur peuvent comprendre les économies d’investissements qu’il a retirées de la contrefaçon.

La commission a préféré supprimer une disposition à la portée incertaine, visant à la confiscation des recettes tirées de la contrefaçon en cas de réparation insuffisante du préjudice, qui pouvait ouvrir la voie aux dommages et intérêts punitifs.

La commission des lois, partagée sur cette question, a jugé que l’on ne pouvait pas introduire dans notre droit civil un concept aussi débattu à l’occasion d’un texte de cette nature.

Le concept de dommages et intérêts punitifs est d’origine anglo-saxonne et consiste à fixer un montant de dommages et intérêts au profit de la personne lésée supérieur au montant du préjudice réellement subi par celle-ci, dans le but de « punir » la personne responsable du préjudice. Serait alors à craindre l’extension d’un tel mécanisme en droit français de la responsabilité.

J’indique que les représentants des entreprises directement victimes de la contrefaçon sont hostiles à ce principe, quand bien même celles-ci en retireraient des dommages et intérêts d’un montant supérieur.

Au surplus, je rappelle ce que je viens d’indiquer : le droit en vigueur permet déjà de prendre en compte, depuis 2007, les bénéfices réalisés par le contrefacteur. Une fois que seront adoptées dans notre droit les précisions apportées par cette proposition de loi, le reste, c’est-à-dire la pratique de fixation du montant des dommages et intérêts, relèvera de l’appréciation des juges, qui devront apprécier les trois catégories de reproches adressés au contrefacteur.

La réflexion doit se poursuivre sur les moyens de supprimer le caractère lucratif d’une faute sans basculer forcément dans les dommages et intérêts punitifs. Il serait envisageable d’explorer la voie de l’amende civile pour récupérer l’éventuel chiffre d’affaires indu, mais au bénéfice du Trésor public. Il s’agit, à mon avis, d’une orientation intéressante.

Troisièmement, la proposition de loi tend à ajuster et harmoniser de façon bienvenue différentes procédures prévues par le code de la propriété intellectuelle en matière de collecte de preuves de contrefaçon : droit à l’information, procédure de saisie-contrefaçon, etc. Je vous proposerai un amendement ponctuel pour compléter le travail déjà réalisé par la commission.

Quatrièmement, la proposition de loi tend à renforcer les moyens d’action des douanes, qui sont particulièrement intéressées par ce texte et sont au cœur de tous nos dispositifs.

Elle vise à harmoniser la procédure de retenue douanière pour les différents droits de propriété intellectuelle, en conformité avec le droit communautaire. Le Gouvernement présentera, en outre, des amendements pour tenir compte du règlement européen adopté en juin dernier en matière de contrôle douanier des droits de propriété intellectuelle, qui appelle des modifications dans notre droit interne. Concernant la retenue, je vous présenterai, en complément, un amendement de précision.

Par ailleurs, ce texte vise encore à autoriser plus largement les douanes à mener des opérations d’infiltration en matière de contrefaçon, ainsi qu’à faciliter la constatation de l’infraction de contrefaçon, en leur permettant de solliciter un vendeur, selon la technique dite du « coup d’achat », qu’elles mettent en œuvre dans un certain nombre de cas.

Il est également prévu d’étendre de façon encadrée l’accès des douanes à l’ensemble des locaux des prestataires de services postaux et des entreprises de fret express. Il s’agit là d’une harmonisation, puisque cette disposition ne concerne aujourd'hui que La Poste. Cela permettra aussi aux douanes d’accéder aux locaux à usage d’habitation qui sont à l’intérieur de locaux professionnels, avec l’autorisation de l’occupant. Sans autorisation, il faudra, comme aujourd’hui, solliciter une autorisation du juge des libertés et de la détention.

En matière de moyens d’action des douanes, une disposition, que la commission a approuvée dans son principe, et pour laquelle je vous proposerai un amendement afin de mieux l’encadrer, est, en revanche, controversée. Il s’agit de l’obligation de transmission aux douanes par les prestataires de services postaux et les entreprises de fret express, que l’on appelle « les expressistes », de toutes leurs données relatives à l’identification des expéditeurs, des destinataires et des marchandises transportées dans les colis. Cette obligation existe en droit communautaire pour le contrôle des colis de provenance extracommunautaire. En l’espèce, tous les colis – je dis bien : tous les colis ! – sont ici visés. Ce dispositif ne concerne donc pas que la contrefaçon, il vise également quelques autres infractions douanières.

L’objectif des douanes est de pouvoir appliquer, à partir de critères de risque, des traitements automatisés à ces données pour cibler les contrôles. Pour justifier cette disposition, est invoqué le développement du commerce électronique, à partir de l’étranger notamment, le trafic diffus de colis pouvant dissimuler – c’est de plus en plus le cas – de nombreuses marchandises interdites.

J’ai demandé au Gouvernement de poursuivre un dialogue technique avec les expressistes, qui sont très hostiles à cette nouvelle obligation, laquelle représenterait un coût pour eux et pourrait créer, selon eux, des distorsions de concurrence avec les autres États de l’Union européenne.

Se posent également la question de l’atteinte à la vie privée et aux données personnelles et celle de la proportionnalité de cette atteinte avec l’objectif de contrôle poursuivi, d’autant que nous sommes dans un contexte particulier : celui du secret des correspondances.

Le Conseil constitutionnel est très sensible à ces questions, comme l’a montré sa décision du 22 mars 2012 sur la loi relative à la protection de l’identité, dans laquelle il a censuré le fichier d’identité biométrique. Bien sûr, nous ne sommes pas dans le cas d’un fichier comparable, mais, face à la multiplication du nombre de fichiers en tous genres à des fins de contrôle, le législateur doit être très attentif à l’encadrement de ceux-ci, au nom de la protection de la vie privée. C’est d’ailleurs le sens de l’un des amendements qui seront présentés sur ce sujet.

Cinquièmement, la proposition de loi vise à aligner les délais de prescription en matière de propriété intellectuelle sur le délai de droit commun de cinq ans, issu de la réforme de 2008, engagée sur l’initiative de notre collègue Jean-Jacques Hyest.

Enfin, sixièmement, la proposition de loi comporte quelques dispositions éparses, notamment en matière pénale, qui figuraient déjà dans le texte de 2011. Il est notamment prévu d’aggraver les sanctions pénales encourues en matière de contrefaçon lorsque celle-ci porte sur des produits présentant un danger pour la santé ou la sécurité : on passerait ainsi de trois à cinq ans de prison et de 300 000 à 500 000 euros d’amende, afin de prendre en compte les nouvelles formes de contrefaçon.

Avant de conclure, je souhaite dire un mot sur les nombreux amendements déposés sur la question des certificats d’obtention végétale en matière de semences de ferme.

En acceptant de rapporter sur le texte de notre ami Richard Yung, j’ai découvert qu’il s’agissait, en réalité, d’un texte de politique agricole, une dimension que je n’avais pas saisie de prime abord. (Sourires.) Ce qui m’a motivé, ce sont les milliers d’emplois mis en cause,…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Des dizaines de milliers d’emplois !

M. Michel Delebarre, rapporteur. … sur lesquels M. le président de la commission des lois avait attiré mon attention. Alors que je suis présenté comme un parlementaire s’intéressant plutôt à l’industrie et à l’activité économique,…

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Absolument !

M. Michel Delebarre, rapporteur. … je me suis retrouvé – sincèrement, je l’ai découvert ! – à devoir traiter la question des semences de ferme ! Je pensais que ce texte allait être utile et produire les résultats escomptés, mais j’ai été surpris de constater que je posais, paraît-il, problème à l’agriculture de notre pays. Combien de parlementaires m’ont sollicité, dans le seul but de m’aider – il n’y avait là aucune mauvaise intention de leur part ! –, de me soutenir et d’enrichir ce texte,…

M. Yvon Collin. Bien sûr !…

M. Michel Delebarre, rapporteur. … – vous, la première, madame Lipietz ! –,…

M. Michel Delebarre, rapporteur. … afin que soient prises en compte les semences de ferme !

Je n’ai trouvé qu’une solution, que la commission partage : traitons les problèmes dans leurs domaines respectifs !

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Très bien !

M. Michel Delebarre, rapporteur. Nous examinons aujourd’hui un texte visant à lutter contre la contrefaçon. Des projets de loi concernant l’agriculture verront le jour,…

Mme Nicole Bricq, ministre. Très bientôt !

M. Michel Delebarre, rapporteur. … qui confirmeront que les semences de ferme n’ont rien à voir avec la contrefaçon. (Mme Hélène Lipietz fait une moue dubitative.) Ils pourront, eux, servir éventuellement de support à une réflexion approfondie sur les semences de ferme.

Madame Lipietz, veuillez m’excuser, par avance, de l’avis défavorable que j’émettrai sur un certain nombre de vos amendements, après, je le reconnais, de nombreuses discussions et, je tiens à le dire, des heures d’introspection, mais vous aurez compris les raisons qui m’animent.

Nous sommes aujourd'hui saisis d’un texte ayant pour objet de renforcer nos moyens de lutte contre la contrefaçon, essentiellement des moyens de procédure. Je le répète, plusieurs dizaines de milliers d’emplois sont concernés. C’est cet objectif que nous avons voulu respecter.

J’ajoute que la proposition de loi ne modifie en rien le contenu et la portée des droits de propriété intellectuelle, en particulier des certificats d’obtention végétale. La commission a très largement considéré que nous devions nous en tenir à la question de la lutte contre la contrefaçon, de sorte qu’elle a demandé le retrait de tous les amendements traitant d’un autre sujet.

La commission a elle-même estimé, dans un souci d’efficacité et de cohérence, qu’il convenait de s’en tenir au plus près du texte qu’elle avait déjà adopté en juillet 2011. C’est un effort de discipline dans l’intérêt de la cause que sert cette proposition de loi.

Au demeurant, la commission des lois n’est sans doute pas la plus compétente dans le domaine agricole… Mais je commence à en douter après tout ce que j’ai entendu ! (Sourires.) À vrai dire, elle me semble tout de même très compétente ! C’est un effort de discipline que nous avons voulu respecter.

Ce débat pourra pleinement avoir lieu dans le cadre du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, qui a été déposé par le Gouvernement sur le bureau de l’Assemblée nationale le 13 novembre dernier.

Sous le bénéfice de ces observations et en ayant bien conscience que j’ai tenté prudemment de mettre mes pas dans ceux de Richard Yung, je vous propose, mes chers collègues, d’adopter cette proposition de loi, bienvenue, me semble-t-il, qui n’a que trop attendu d’être examinée par le Sénat et que nous devons accompagner jusqu’à son terme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d’abord à saluer l’initiative de la Haute Assemblée, singulièrement la commission des lois, d’avoir précédé le Gouvernement dans la réflexion à mener sur la question de la contrefaçon. Pour avoir siégé au Sénat, je connais le sérieux de cette instance, qui l’emporte souvent sur celui de la commission des finances ! (Sourires.)

Mme Nicole Bricq, ministre. Vous vous êtes attelés très tôt à cette question très importante, et je veux vraiment vous en remercier, car la contrefaçon constitue un fléau planétaire en pleine expansion : elle représente environ 250 milliards de dollars dans le monde, soit 30 % des revenus du crime organisé.

En France, ce trafic est responsable de la destruction de 38 000 emplois, en nette augmentation depuis la précédente loi de 2007 de lutte contre la contrefaçon, et de 6 milliards d’euros de manque à gagner par an pour notre économie.

En violant les droits de la propriété intellectuelle, en menaçant la créativité et l’inventivité, si grandes, des entreprises françaises, la circulation de marchandises contrefaites toujours plus nombreuses menace directement la compétitivité de la France et fait obstacle – ce n’est pas le seul obstacle, mais c’en est un ! – à l’équilibre de notre balance commerciale. Près de 20 % de la population active est employée par des entreprises dont l’activité est directement liée à la protection des droits de la propriété intellectuelle.

Vous l’avez dit, monsieur Yung, monsieur le rapporteur, la menace est croissante. Alors que le nombre d’articles de contrefaçon interceptés par les services douaniers en 1994 était de 200 000, il est passé à 2,3 millions en 1998, pour atteindre 8,6 millions en 2011, une année record pour les saisies effectuées par la douane française.

La baisse importante des saisies en 2012 – la moitié par rapport à 2011 – s’explique par les effets désastreux de l’arrêt Nokia-Philips rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, qui a réduit les pouvoirs de contrôle de la douane sur les flux en transit en Europe. La France a été particulièrement active pour trouver une solution qui redonne aux douanes la capacité d’exercer un contrôle.

Nous avons obtenu une première satisfaction dans le cadre du nouveau règlement européen du 12 juin 2013, qui encadre l’action de la douane en matière de contrefaçon. Nous poursuivons notre engagement dans le cadre du travail entrepris par la Commission européenne pour la révision du système des marques, puisque la proposition de la Commission du 27 mars 2013 tient compte des préoccupations de la France. Nous œuvrons donc pour que les négociations en cours à Bruxelles permettent de restaurer les capacités d’intervention de la douane sur les flux en transit, car la France est particulièrement concernée.

Vous l’avez dit, la sécurité des populations est en jeu. La contrefaçon prend des formes nouvelles, ce qui rend encore plus difficile la lutte que nous menons contre elle. En témoigne le rapport d’information sur le rôle des douanes dans la lutte contre la fraude sur internet remis récemment par MM. Montgolfier et Dallier, au nom de la commission des finances. Le développement du e-commerce entraînera, de fait, une explosion de la contrefaçon.

Comme vous l’avez indiqué, monsieur le rapporteur, la contrefaçon ne concerne plus seulement les produits de luxe ; elle touche aussi des produits de consommation courante, tels que les produits du bâtiment, les produits alimentaires, les jouets, les pièces automobiles, les lunettes de soleil, les cosmétiques ou les médicaments. Tous ces produits sont dangereux.

J’ajoute – j’en ai été le témoin ce matin, arrivant d’Afrique – que la contrefaçon est très active dans le domaine des pièces d’identité, des permis de conduire et des cartes grises. Nous avons fort heureusement des entreprises innovantes capables, au travers de nouveaux procédés, de produire des documents infalsifiables. Toutefois, nous connaissons l’habileté des fraudeurs, qui se tiennent toujours informés des innovations.

Le cas des faux papiers est très frappant, mais tous les produits contrefaits dont je viens de parler sont très dangereux. Les saisies de médicaments de contrefaçon, par exemple, ont augmenté de 45 % en 2012, ce qui est particulièrement inquiétant en raison des dangers qu’ils représentent pour la santé. Nous devons donc absolument adapter nos capacités de réaction.

La loi du 29 octobre 2007 a été portée par Mme Lagarde, ancienne ministre de l’économie et des finances : ayant perçu, lorsqu’elle était ministre du commerce extérieur, l’importance du problème de la contrefaçon lié aux échanges commerciaux internationaux, elle a manifesté sa ferme volonté d’agir – je veux saluer l’opiniâtreté dont elle a fait preuve en la matière –, afin de parvenir à une évolution du droit, dont la présente proposition de loi marque une nouvelle étape.

Monsieur le président de la commission des lois, vous avez choisi, de manière fort opportune, d’évaluer l’application de la loi adoptée en 2007. À cet égard, il convient de saluer le travail accompli par MM. Yung et Béteille : dans leur rapport d’information publié en 2011, ils ont mis en évidence la nécessité, face à l’ampleur du phénomène de la contrefaçon, d’améliorer encore la protection de la propriété intellectuelle en France, afin de conforter la réputation d’excellence de notre pays et son attractivité juridique.

Cette dimension est très importante pour les investisseurs et pour les entreprises,…

Mme Nicole Bricq, ministre. … et dans la mesure où elle est une composante de l’attractivité du territoire, qui relève de ma responsabilité, j’y suis particulièrement attachée.

Au demeurant, en raison de la concurrence entre les États dans ce domaine, nous devons être les meilleurs ! (M. Jean-Jacques Hyest acquiesce.) La directrice des douanes est très soucieuse que la France conserve son leadership sur ce sujet dans tous les projets européens.

Le travail du Sénat a conduit à l’élaboration, en 2011, d’une première proposition de loi : renvoyée à la commission des lois, celle-ci n’a jamais été examinée en séance publique.

Tenace, M. Yung a repris ce travail et l’a enrichi ; je remercie le groupe socialiste d’avoir inscrit sa proposition de loi à l’ordre du jour des travaux du Sénat.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez tous la volonté de renforcer la lutte contre la contrefaçon. Votre intention rejoint les objectifs du Gouvernement. Un ancien ministre parlait de la nécessité, pour écrire de bonnes lois, d’une coproduction entre l’exécutif et le législatif : c’est exactement la méthode suivie dans le domaine de la lutte contre la contrefaçon.

Le 3 avril dernier, avec mon collègue Pierre Moscovici, ministre de l’économie et des finances, j’ai présenté en conseil des ministres un plan en trois volets pour améliorer cette lutte.

Le premier volet consiste à renforcer l’action des douanes, notamment sur internet. Je pense à la procédure du coup d’achat, dont MM. Yung et Delebarre ont déjà parlé. Cette technique, rendue possible par une disposition législative adoptée à la fin de 2012, permet de prendre le contrefacteur en flagrant délit ; un plan d’action a été défini par secteurs : santé, commerce électronique, culture.

Le deuxième volet de notre plan correspond à la politique active de la France à Bruxelles pour obtenir une révision du droit des marques en réponse à la situation créée par l’arrêt Nokia-Philips ; sur ma proposition, le Premier ministre a confié à M. Yung une mission consistant à identifier les moyens susceptibles d’améliorer la coordination et l’harmonisation des pratiques douanières au niveau européen.

Le troisième volet du plan est une défense active de la propriété intellectuelle et des indications géographiques, qui ne sont pas une particularité française. Néanmoins, nous avons été particulièrement prompts à les préserver.

À cet égard, je suis particulièrement bien placée pour savoir que, dans les négociations de libre-échange que la Commission européenne, dont c’est la compétence exclusive, mène sous l’œil exercé des États membres l’ayant mandatée, la propriété intellectuelle fait l’objet de conceptions divergentes. Les États-Unis, en particulier, ne l’envisagent pas de la même façon que nous.

Le réseau des dix-sept attachés douaniers déployés dans soixante-dix pays ainsi que les conventions techniques et administratives ont démontré leur efficacité dans la lutte internationale contre la contrefaçon ; en effet, 10 millions d’articles de contrefaçon ont été saisis en 2012 aux Émirats arabes unis, grâce à des informations de la douane française. Le détachement par l’Institut national de la propriété industrielle, l’INPI, d’experts de la propriété intellectuelle dans certaines ambassades bien ciblées est également fort utile pour organiser les contrôles.

Pour ce qui est de la proposition de loi, elle présente, à mon sens, trois vertus principales.

En premier lieu, elle vise à dissuader la contrefaçon par l’augmentation des dédommagements civils accordés aux victimes. De fait, trop souvent encore, le préjudice n’est pas indemnisé à sa juste valeur : aussi est-il fréquent que les contrefacteurs, même condamnés, réalisent un profit substantiel. Le système actuel n’est donc pas dissuasif.

En deuxième lieu, elle opère certaines clarifications et simplifications, s’agissant notamment de la procédure du droit à l’information et du droit de la preuve.

En troisième lieu, elle renforce les moyens d’action de la douane. Je suis très attachée à cet objectif, puisque j’exerce une compétence partagée sur les douanes : je suis chargée, en particulier, de la lutte contre la contrefaçon.

Ce renforcement est assuré par l’alignement de l’ensemble des branches de la propriété intellectuelle sur le droit le plus protecteur et par l’extension, à l’ensemble des marchandises contrefaisantes, des opérations d’infiltration et de la procédure dite du « coup d’achat », ainsi que par la création d’un pouvoir spécifique d’intervention chez les opérateurs de fret express et par la modernisation du contrôle postal.

Si la Haute Assemblée adopte cette proposition de loi, elle fera œuvre très utile en rendant la lutte contre la contrefaçon plus efficace, sans être plus coûteuse pour les services douaniers.

Un travail commun de la douane et des opérateurs de fret est nécessaire pour augmenter l’efficacité des contrôles efficaces sans nuire à la rapidité des flux, qui est très nécessaire à nos entreprises. En effet, nous devons veiller à ne pas provoquer de retards ou de frais supplémentaires sans raison valable.

M. Michel Delebarre, rapporteur. Bien sûr !

Mme Nicole Bricq, ministre. C’est la raison pour laquelle j’ai demandé aux douanes de mener, dès à présent, une concertation en vue de la conclusion de conventions de coopération. Un tel partenariat a été conclu en 2012 avec la société Chronopost, filiale de La Poste ; il a fait ses preuves.

Je souhaite également que les opérateurs de fret et les douanes travaillent à la préparation des futurs décrets d’application, s’agissant notamment de l’encadrement du transfert des données ; je souhaite que le Sénat, particulièrement M. le rapporteur, soit associé à ce travail.

Mesdames, messieurs les sénateurs, si vous adoptez la proposition de loi,…

M. Jean-Claude Lenoir. C’est bien parti ! Tout dépend de la majorité !

Mme Nicole Bricq, ministre. Je l’espère en tout cas !

… vous ferez, je le répète, une œuvre législative tout à fait utile : grâce à vous, notre droit sera mis en conformité avec le droit de l’Union européenne, le Comité national anti-contrefaçon, présidé par M. Yung, sera refondé, et la France sera dotée d’un arsenal beaucoup plus efficace pour lutter contre le trafic de marchandises contrefaisantes.

Monsieur le rapporteur, vous avez déclaré, avec votre humour toujours fort à propos, que vous faisiez preuve de grande prudence. À la vérité, vous avez pris la relève d’un travail très important : ne sous-estimez pas le vôtre, car il n’est pas toujours facile d’être le rapporteur d’une proposition de loi ! Cette tâche, vous avez su la mener à bien, avec votre commission comme avec le Gouvernement.

Je sais que, en tant que sénateur du Nord, vous êtes porté à vous intéresser particulièrement à ces questions. Il faut le dire : Dunkerque est un grand port français et doit le rester ! (M. le rapporteur acquiesce.)

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois. Il le restera !

Mme Nicole Bricq, ministre. Aussi bien, nous souhaitons que son trafic se développe.

Monsieur Delebarre, vous étiez spécialement destiné à être le rapporteur de cette proposition de loi. (M. le rapporteur rit.) Je vous remercie, ainsi que le Sénat tout entier ! (Applaudissements.)

M. Michel Delebarre, rapporteur. Merci, madame la ministre !

M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.

M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la contrefaçon représente environ 10 % du commerce mondial. Tous les secteurs d’activité sont touchés par ce fléau, qui provoque chaque année la disparition de milliers d’emplois en France, alimente les filières du travail clandestin et entraîne des pertes de recettes pour l’État.

Surtout, la contrefaçon représente une menace pour la santé et la sécurité des consommateurs, et en raison de ses conséquences sanitaires et sociales, il est particulièrement important de lutter contre elle.

Toutefois, la protection des marques contre la contrefaçon ne doit pas occulter la nécessité de porter un regard critique sur les entreprises de marques qui délocalisent leurs activités dans des pays à bas coûts, aggravant ainsi le dumping social et la diminution des emplois industriels. Au nom des mêmes exigences de protection sanitaire et sociale, nous devons adopter une position ferme à l’égard de ces entreprises.

Selon nous, la lutte contre la contrefaçon doit viser surtout à préserver l’emploi et à protéger les consommateurs contre les produits dangereux comme les médicaments, les jouets et les pièces automobiles contrefaits. Telles sont, à nos yeux, les priorités.

Il faut toujours garder à l’esprit que la douane est une administration de service public, qui assure des missions régaliennes : en d’autres termes, elle ne doit pas être le bras armé des grandes marques privées. Du reste, très souvent, celles-ci ne poursuivent pas en justice les détenteurs de marchandises.

Après vous avoir présenté notre position générale au sujet de la lutte contre la contrefaçon, j’en viens à la proposition de loi soumise à notre examen. Nous estimons qu’elle va globalement dans le bon sens, en étoffant l’arsenal juridique à la disposition des douaniers pour lutter contre la contrefaçon. Toutefois, nous souhaitons formuler deux remarques importantes.

Premièrement, nous nous interrogeons sur l’intérêt d’adopter de nouvelles mesures juridiques lorsque l’administration n’a plus les moyens de les appliquer.

Nous ne nions pas la nécessité de parfaire notre corpus législatif, mais nous constatons que, aujourd’hui, le vrai problème de l’administration des douanes réside dans les baisses d’effectifs et de moyens : cette évolution est telle que les douaniers ne sont matériellement pas en mesure d’appliquer toute la législation existante dans des conditions optimales.

De fait, le service des douanes ressort particulièrement meurtri de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, qui s’est traduite, concrètement, par la disparition d’un emploi douanier par jour. Le nombre des agents, qui s’élevait à 22 000 au début des années 1980, est aujourd’hui d’à peine plus de 16 000. Les effectifs ont donc fondu d’un quart, au moment même où les services douaniers étaient bouleversés en profondeur.

Sans prétendre à l’exhaustivité, je ne peux pas passer sous silence des phénomènes comme l’accélération de la mondialisation, qui entraîne une explosion des échanges, la désindustrialisation de l’Europe et le développement exponentiel du fret aérien, en particulier du fret express, ainsi que du fret maritime, désormais totalement « conteneurisé », ou presque, pour les produits industriels.

Vous en conviendrez, la présence de douaniers sur le terrain pour procéder aux contrôles est primordiale. Pourtant, non seulement les conséquences des dégâts provoqués par la RGPP n’ont pas été tirées, mais l’avenir de l’administration des douanes à l’heure de la modernisation de l’action publique ne s’annonce pas plus brillant que son passé récent. En effet, une nouvelle diminution des postes est prévue cette année.

À la veille de l’examen par le Sénat du projet de loi de finances pour 2014, je tiens à insister sur ce sujet, avec l’espoir que des réponses suffisantes seront apportées aux revendications des douaniers, dont les syndicats appellent à une mobilisation, demain, à Paris.

En somme, s’il est important de renforcer notre arsenal juridique, il l’est encore plus d’augmenter ou de maintenir les moyens humains et budgétaires alloués à son application ; on comprend facilement que l’efficacité du premier dépend du niveau des seconds ! Or si les orientations suivies sont maintenues, elles auront des conséquences directes et immédiates sur la santé, la sécurité, l’emploi et l’économie.

Deuxièmement, nous estimons que la lutte contre la contrefaçon doit viser, avant tout, à assurer la protection sanitaire et sociale de nos concitoyens. En d’autres termes, l’État, sa justice et sa police ne doivent pas être au service direct des entreprises privées.

De ce point de vue, il est fondamental de mener une réflexion globale sur le champ d’application du droit de la propriété intellectuelle, dont la violation détermine la qualification de contrefaçon.

Je sais que le débat n’est pas particulièrement souhaité, mais le fait est que les agriculteurs, qui sont souvent accusés de contrefaçon, voire condamnés à des amendes, dénoncent notamment les dangers d’une appropriation du vivant et la remise en question non seulement des semences de ferme, mais également des variétés paysannes.

Droit de propriété intellectuelle et contrefaçon sont intimement liés, et même si nous porterons de nouveau les exigences qui sont les nôtres en matière de non-appropriation du vivant lors de l’examen du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, nous tenons, dans le présent texte, à présenter des amendements, afin d’exclure expressément un certain nombre de productions et de pratiques fermières, sous certaines conditions, de la qualification de contrefaçon.

Enfin, je voudrais déplorer encore une fois le mandat donné à la Commission européenne dans le cadre des négociations de l’accord de libre-échange transatlantique. Cet accord portera sur des questions liées aux droits de propriété intellectuelle. Or nous pensons qu’il devrait exclure toutes les dispositions afférentes, y compris celles qui sont relatives aux brevets, copyrights, marques et protections des données.

Nous ne souhaitons pas importer un système dans lequel des firmes de l’industrie chimique polluent les cultures et attaquent ensuite les agriculteurs pour contrefaçon. La Cour suprême des États-Unis a donné raison, en mai dernier, au géant de l’agrochimie Monsanto,…

M. Gérard Le Cam. … dans un litige qui l’opposait à un producteur de soja de l’Indiana, accusé d’avoir enfreint ses brevets par l’utilisation de graines transgéniques. La Haute Cour a pris cette décision à l’unanimité, considérant que la protection intellectuelle « ne permet pas à un agriculteur de reproduire des graines brevetées en les plantant et en les récoltant sans détenir une permission du propriétaire du brevet ». Voilà à quoi nous nous exposons. À ceux qui nous opposeraient que l’on serait protégé par le certificat d’obtention végétale, le COV, je rappelle que ce type d’accord de libre-échange prévoit généralement un mécanisme de règlement des différends entre les investisseurs et l’État, introduisant donc la possibilité pour les entreprises et les investisseurs de porter plainte contre les États dont la réglementation serait considérée comme contraire à leurs intérêts, et ce afin d’obtenir des dommages et intérêts.

C’est pourquoi notre inquiétude est grande pour notre agriculture, face à la tendance actuelle d’accepter de breveter, non des inventions, mais des découvertes, et de les transformer en outil mercantile, alors même qu’elles devraient être au service de la recherche agricole, afin de favoriser la construction, avec les agriculteurs, d’un modèle agricole alternatif vertueux sur les plans social et environnemental. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.