M. Daniel Raoul, rapporteur. Une première interdiction a été édictée, pour la variété MON 810, par un arrêté du 7 février 2008, signé de M. Michel Barnier, et une seconde par un arrêté du 16 mars 2012 signé de M. Bruno Le Maire.

Ces arrêtés ont été confirmés en substance par l’arrêté pris le 14 mars dernier par le ministre actuel, M. Stéphane Le Foll. Ce dernier arrêté a été pris après toutes les consultations nécessaires. Les autorités ont informé la Commission européenne de la nécessité de prendre des mesures d’urgence, justifiées par l’existence d’études scientifiques nouvelles et par la proximité des semis. Elles ont aussi recueilli les observations du public lors d’une consultation organisée du 17 février au 9 mars 2014.

Cet arrêté a permis d’éviter les risques de plantation de maïs génétiquement modifiés pour la saison 2014, du moins à partir de la date de sa publication. En effet, il semble que certains exploitants aient planté quelques hectares de maïs génétiquement modifiés avant le 15 mars. On a su par la presse ce qu’il est advenu. Pour ma part, je n’apprécie pas les méthodes employées : il aurait fallu laisser la justice opérer.

L’arrêté, comme les précédents, fait l’objet d’une procédure devant le Conseil d’État.

Il est nécessaire de passer par la voie législative afin d’offrir un socle plus solide à l’interdiction. Nous ne devons toutefois pas le cacher, monsieur le ministre : il sera nécessaire de revoir à l’échelon européen le processus d’évaluation et d’autorisation des plantes génétiquement modifiées. Vous avez rappelé les résultats du vote des États européens : 19 voix contre, 4 abstentions et 5 voix pour, dont celle d’un pays qui ne plantera jamais de maïs, si mes informations sont bonnes…

Ce processus est donc aujourd’hui particulièrement technocratique et les États comme les représentants des citoyens en sont largement dessaisis.

M. Jean-Jacques Mirassou. Je vais le dire aussi !

M. Daniel Raoul, rapporteur. Nous avons examiné le précédent texte au mois de février dernier, au moment même où les gouvernements européens, dans leur majorité, exprimaient leur opposition à l’autorisation du TC 1507 de Pioneer. Ils confirmaient l’avis, de nature consultative, exprimé quelques semaines auparavant par le Parlement européen. Malheureusement, il n’y a pas là de codécision possible avec la Commission européenne et les règles de majorité qualifiée permettent à cette dernière de passer outre une opposition même aussi clairement affirmée des institutions qui proviennent, directement ou indirectement, de la représentation des citoyens. Cela pose un véritable problème.

Monsieur le ministre, il va de soi que les procédures d’autorisation doivent évoluer pour être plus facilement contrôlées, et ce dans un but démocratique.

La Commission européenne s’appuie uniquement sur les avis scientifiques de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, de sorte que, en fin de compte, aucune autorité n’assume véritablement la responsabilité de l’autorisation donnée. Cela n’est pas acceptable, et nous sommes tous d’accord au moins sur un point : il est nécessaire de revoir en profondeur les procédures d’autorisation à l’échelon européen.

La Commission européenne a elle-même avancé des propositions, qui ont été récemment reprises par la Grèce – vous l’avez évoqué, monsieur le ministre –, pour que chaque État puisse, en théorie, interdire sur son territoire une variété autorisée au niveau européen. Monsieur le ministre, peut-être pourrez-vous nous en parler plus en détail au moment de l’examen de l'amendement de Jean-Jacques Lasserre, l’unique amendement qui a été déposé sur cette proposition de loi.

La France a fait valoir que cette proposition n’était pas satisfaisante, car une mesure nationale d’interdiction pourrait être fragile sur le plan juridique. C’est pourquoi, monsieur le ministre, vous avez formulé une autre proposition, selon laquelle les plantes génétiquement modifiées, une fois évaluées à l’échelon européen, pourraient encore faire l’objet d’un examen sur différents critères à l’échelon national.

Il existe donc un véritable débat au niveau européen, qu’il convient de poursuivre.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en conclusion, je rappellerai en quelques mots le dispositif de la proposition de loi.

Il s’agit d’inscrire dans la loi l’interdiction de la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifiés, afin d’éviter toute mise en culture produisant des effets irréversibles. Je pense en particulier à la dissémination, mais aussi aux attaques contre les insectes autres que les insectes cibles du fait de l’utilisation du MON 810.

Le respect de cette interdiction sera confié aux agents chargés de l’inspection et du contrôle des végétaux. Ils disposeront de certains pouvoirs attribués par le code rural et de la pêche maritime : accès aux locaux et parcelles aux heures ouvrables, communication de documents professionnels, prélèvement de produits et d’échantillons.

C’est bien ce que ces agents ont d’ailleurs fait sur les quelques hectares plantés par les exploitants ayant profité de l’étroite fenêtre de tir avant la publication du dernier arrêté : il s’agit de savoir quel maïs a été planté, du MON 810 ou d’autres variétés.

En cas de non-respect de l’interdiction, c’est l’autorité administrative, et elle seule, qui pourra ordonner la destruction totale ou partielle des cultures.

L’Assemblée nationale a adopté sur ce texte trois amendements de nature rédactionnelle, sans modifier le dispositif sur le fond. Elle a en particulier repris l’intitulé que nous avions proposé ici, au mois de février dernier, sur l’initiative de la commission des affaires économiques. Mes chers collègues, et je suis désolé pour votre amendement, monsieur Lasserre, je vous propose donc, comme l’a fait notre commission mercredi dernier, d’adopter cette proposition de loi sans modification. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano.

M. Robert Tropeano. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 17 février dernier, une proposition de loi similaire était inscrite à l’ordre du jour de la Haute Assemblée. Ayant connu le sort que l’on sait, cette proposition de loi a été depuis reprise par des députés de la majorité et la voilà de nouveau devant nous.

Mes chers collègues, cet examen est pour le groupe du RDSE l’occasion de repréciser sa position sur la délicate question de la culture des OGM dans des termes très proches de ceux qu’avait utilisés à cette même tribune, le 17 février dernier, notre collègue François Fortassin. En la matière en effet, il faut savoir prendre de la distance, s’éloigner des évidences et des préjugés et faire l’effort de dépassionner le débat !

François Fortassin avait ainsi rappelé qu’à deux reprises la France avait tenté de riposter par une clause de sauvegarde à une décision européenne autorisant le maïs génétiquement modifié MON 810 et qu’à deux reprises le Conseil d’État avait annulé l’arrêté d’interdiction. Au mois d’août dernier, la haute juridiction avait en effet jugé que le dossier ne contenait pas d’éléments nouveaux reposant sur des données scientifiques fiables et permettant de conclure à l’existence d’un risque important pour la santé humaine, la santé animale ou l’environnement. Au lendemain de cette décision, monsieur le ministre, vous vous étiez engagé à maintenir le moratoire en promettant une décision avant les prochains semis.

La procédure proposée par ce texte est inédite, puisqu’il s’agit en fait d’interdire par la loi la mise en culture sur le territoire national non seulement du maïs incriminé, mais aussi de l’ensemble des variétés de maïs génétiquement modifié. Il est vrai qu’entre-temps une nouvelle variété de maïs OGM, le maïs TC 1507, vient quasiment d’être autorisée, faute de majorité suffisante pour la bloquer au dernier Conseil européen.

La question posée par cette proposition de loi n’est pas seulement celle des OGM, c’est aussi une question de droit : notre fonction de législateur peut-elle nous autoriser à voter des lois dont nous savons pertinemment qu’elles ne sont pas fondées juridiquement ? Cela pose un réel problème, que l’on soit « pro » ou « anti » OGM !

Notre collègue Fortassin posait déjà la question en ces termes : « S’agirait-il donc d’une initiative purement politique pour rassurer une opinion publique "apparemment" unanime à rejeter les OGM ? » Il ajoutait que l’examen d’un tel texte illustrait bien « notre incapacité à tenir un débat objectif et serein sur le sujet, allant au fond des interrogations ».

Mes chers collègues, il nous appartient de défendre la transparence du débat public et l’émergence d’une information non biaisée par les conflits d’intérêts, d’où qu’ils viennent ! C’est en tout cas la ligne exigeante et rigoureuse adoptée par le groupe du RDSE. Toutes les positions sont respectables. Qu’il nous soit permis d’indiquer ici combien nous avons été surpris – pour ne pas dire davantage – par certaines déclarations excessives qui ont pu suivre l’adoption, le 17 février, par le Sénat, de la motion de procédure déposée sur la proposition de loi initiale. Cela devait être dit.

Mes chers collègues, en l’état de la connaissance sur les OGM, toutes les positions semblent légitimes et aucune d’entre elles ne doit être disqualifiée a priori. D’ailleurs, les modèles de développement ne sont pas toujours antinomiques : l’agriculture intensive ne s’oppose pas nécessairement à l’agroécologie. Il faut sortir d’une vision manichéenne et simplificatrice !

Nous devrions, sur des dossiers comme celui-ci, décider sur la base d’un débat scientifique parfaitement posé. En tant que parlementaires, nous devons raison garder et ne pas céder aux sirènes médiatiques ou aux raccourcis de quelques sondages d’opinion qui n’ont aucun sens.

Pour nous, on ne peut réduire les OGM à leur visage actuel : le business de Monsanto ou de quelques autres firmes pour lesquelles nous n’avons aucune sympathie particulière et dont nous dénonçons d’ailleurs certaines méthodes ; je pense en particulier au scandale du monopole des semences. Pour autant, il ne serait pas raisonnable de se priver a priori des biotechnologies. Non, les OGM ne sont pas par nature et par définition un danger certain pour la santé publique ; les choses sont beaucoup plus complexes. Ce constat est d’ailleurs valable pour d’autres sujets. S’il est une certitude, c’est bien qu’il est primordial de poursuivre la recherche, car l’obscurantisme serait, à coup sûr, une faute politique majeure !

M. Daniel Raoul, rapporteur. Très bien !

M. Robert Tropeano. Faut-il rappeler que notre pays est à la pointe de la recherche et du développement dans le domaine de la génétique végétale ?

M. Daniel Raoul, rapporteur. « Était », à la pointe !

M. Robert Tropeano. Les variétés créées par l’Institut national de la recherche agronomique, l’INRA, furent à l’origine du succès de plusieurs entreprises, devenues premiers semenciers mondiaux.

Daniel Raoul ne manque d’ailleurs pas de souligner dans son rapport les grandes lacunes dans l’évaluation des OGM, que ce soit sur leur intérêt agronomique, leurs effets sur la santé humaine, leurs impacts sur les autres filières agricoles – conventionnelle ou biologique – et les filières apicoles. Raison de plus, dans ces conditions, pour donner à la recherche publique française, notamment à l’INRA, les moyens nécessaires et la liberté suffisante pour mener des expérimentations. Je regrette que le texte ne dise mot sur ce point.

Cela étant, nous ne contestons pas les arguments sur les risques de résistance des maïs OGM, ou sur ceux qui tiennent à l’insuffisance des mesures de gestion et des plans de surveillance mis en œuvre par Monsanto.

Seulement, nous ne pouvons pas ne pas nous interroger sur la cohérence de nos décisions avec celles de l’Europe. Comment expliquer, par exemple, que l’on interdise la mise en culture des OGM et que l’on autorise dans le même temps l’importation de produits à base d’OGM ? Cela signifie que l’on ne cultive pas chez nous ce que nous sommes pourtant susceptibles de trouver dans nos assiettes !

Comme le disait encore François Fortassin : « Finalement, face à une communauté scientifique fortement divisée et invoquant des arguments contradictoires, face aux positions des "pro" et des "anti" qui se sont encore durcies, faut-il considérer que nous devons nous résigner à ne tenir compte, sur ce sujet, que de notre intime conviction ? »

Il se trouve, monsieur le ministre, que les membres du groupe du RDSE n’ont pas tous, sur le sujet, la même intime conviction !

Si, en effet, nous pensons tous, unanimement, qu’il faut encourager la recherche pour disposer au plus vite de certitudes - il en va des OGM comme de tous les autres sujets : priorité doit être donnée à la recherche -, en attendant, certains, dont je suis, voteront ce texte, non sans avoir auparavant exprimé quelques réserves de droit, comme je viens de le faire, quand d’autres, indépendamment de la question même des OGM, ne peuvent se résoudre à voter un texte n’ayant aucune raison d’être sur le plan juridique : en conséquence, ils voteront contre ou s’abstiendront.

Enfin, comme nous l’avons déjà dit, la totalité des membres du RDSE souhaitent la tenue d’un vrai débat, objectif et dépassionné, sur les OGM, et ce sans arrière-pensées électorales ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je me réjouis que nous puissions examiner cette proposition de loi, un peu plus de deux mois après l’adoption d’une motion de M. Jean Bizet tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité ayant rendu caduc un texte similaire déposé par notre collègue Alain Fauconnier.

Au-delà de l’arrêté pris en mars par M. le ministre de l’agriculture et interdisant la commercialisation, l’utilisation et la culture du maïs génétiquement modifié MON 810, qui constituait une mesure d’urgence avant la période des semis, il y a bien lieu de légiférer sur cette question.

Je tiens donc, au nom du groupe écologiste, à saluer le groupe socialiste qui a déposé cette nouvelle proposition de loi à l’Assemblée nationale. Je vois dans cette initiative un signe encourageant, entérinant la volonté de la France d’engager la transition de son modèle agricole et alimentaire vers l’agroécologie, en cohérence avec ce que nous avons défendu dans le cadre des débats sur le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt. J’entends par là la fin du mirage de l’agrochimie et des biotechnologies modernes comme seules réponses aux impératifs de rendement, et le développement de pratiques agricoles nouvelles, productives, respectueuses des écosystèmes et des dynamiques humaines territoriales.

J’avais envisagé de déposer un amendement tendant à élargir l’interdiction à la culture de toutes les plantes génétiquement modifiées. Par souci d’efficacité, j’y ai renoncé.

M. Jean-Jacques Mirassou. Vous avez bien fait !

M. Joël Labbé. Mais nous comptons sur le Gouvernement, sur votre détermination, monsieur le ministre, et sur celle de notre nouvelle ministre de l’écologie, qui a toujours ardemment défendu une agriculture familiale de qualité, pour déjouer les tentatives de passage en force de la Commission européenne, sous la pression permanente des lobbys OGM, et pour garantir aux consommateurs français et européens que, demain, ils ne trouveront pas d’OGM dans leurs assiettes.

M. Jean Bizet. Il y en a déjà !

M. Joël Labbé. C’est que la Commission européenne prévoit, dans ses projets actuels, de donner la possibilité à un pays d’être exclu en amont du champ d’une demande d’autorisation de mise en culture d’un OGM : de tels projets sont inacceptables. Que ferons-nous une fois qu’une variété sera cultivée dans l’un des États membres ? Aucun autre État ne pourra empêcher la vente de produits alimentaires transformés utilisant ces variétés transgéniques, libre circulation oblige !

Alors que 75 % de nos concitoyens européens restent fermement opposés à l’utilisation d’OGM en agriculture, nous ne sommes pas dupes des manœuvres des grandes entreprises du secteur !

Je voudrais citer ici quelques-unes des conclusions que la Fédération internationale des amis de la terre vient de publier dans son rapport intitulé Qui tire profit des cultures GM ? Une industrie bâtie sur des mythes, cette étude étant fondée sur les chiffres des industriels.

Tout d’abord, les cultures génétiquement modifiées sont de moins en moins acceptées dans le monde et se heurtent à une résistance considérable sur tous les continents, en raison de leurs impacts écologiques et sociaux.

Par ailleurs, comme M. le ministre l’a indiqué, l’utilisation de pesticides augmente en raison des résistances développées par les herbes non désirables, dites adventices, et les insectes, de sorte que les cultures génétiquement modifiées tolérant les herbicides et produisant leurs propres pesticides n’apportent pas une solution réelle au problème des ravageurs agricoles.

Enfin, 99 % des denrées génétiquement modifiées cultivées sont encore tolérantes aux herbicides, résistantes aux insectes ou à une combinaison des deux.

À ceux qui me reprocheraient de citer une organisation connue pour ses positions environnementales engagées, je propose de prendre également connaissance du bilan dressé par le ministère de l’agriculture américain après quinze ans de développement des OGM. Ce bilan met en exergue les premières conséquences environnementales de ces cultures, notamment la résistance des adventices et, tout particulièrement, au glyphosate. On y fait également état de résultats mitigés en termes de rendements et de retours sur investissement.

La multiplicité des risques environnementaux, socio-économiques et sanitaires que font courir les OGM nous appelle à ne pas céder à la pression des lobbys. Nous devons garder le cap que nous nous sommes fixé et conduire la France et l’Europe sur le chemin de l’agroécologie, garante de la souveraineté alimentaire et avalisée par un nombre croissant d’experts en divers domaines de la communauté scientifique.

Comme le rappelle Olivier de Schutter au terme de son mandat de rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation, « notre modèle agricole, fondé sur des intrants intensifs et dépendant de l’industrialisation toujours plus poussée de l’agriculture, est à bout de souffle ».

Comment s’en sortir ? Il faut compter avec la résistance de la nature : des herbes non désirables finissent par développer des résistances ; les insectes font de même. La nature est effectivement bien faite et sait s’adapter aux conditions les plus défavorables.

Je conclurai d’ailleurs en évoquant l’éthique et la nature humaine : face au crime contre l’humanité – je pèse mes mots – que constitue l’agrochimie dans les pays du Sud, est en train de se développer une résistance des peuples à l’échelle de la planète !

À cet égard, monsieur Bizet, en réponse au Mouvement pour une organisation mondiale de l’agriculture que vous animez avec les tenants de l’agrochimie, je lancerai dans les prochains jours un appel en faveur de la mise en place d’un Mouvement mondial des parlementaires pour la défense de l’agroécologie.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous l’aurez compris, le groupe écologiste votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.

M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà trois mois à peine, je défendais, ici même, au nom du groupe UMP, la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité que nous avions déposée avec Gérard César sur la proposition de loi de notre collègue Alain Fauconnier visant à interdire la mise en culture des maïs génétiquement modifiés, soit, essentiellement, le MON 810 de Monsanto et, dans le futur, le TC 1507 de Pioneer. Ce faisant, je démontrais que le texte proposé était contraire à plusieurs dispositions constitutionnelles, légales ou réglementaires.

Je me permets de croire que mes arguments ne vous avaient pas laissés indifférents, mes chers collègues, puisque le Sénat avait alors adopté cette motion, certes à une courte majorité, rejetant ainsi la proposition de loi de notre collègue Alain Fauconnier, et ce contre l’avis du Gouvernement.

Or aujourd’hui, avec cette proposition de loi de notre collègue député Bruno Le Roux, c’est un texte rigoureusement identique qui nous est proposé.

Je pourrais reprendre exactement les mêmes arguments que ceux que j’avais développés le 17 février dernier, mais je n’ai pas envie de vous fatiguer – vous connaissez ma position sur le sujet comme je connais celle de M. Daniel Raoul – et je vous épargnerai donc le détail de cette argumentation.

Néanmoins, je ne peux m’empêcher de mentionner que le présent texte, lui non plus, ne respecte ni le droit français ni le droit européen ! (M. le ministre proteste.)

Pour dire les choses de façon concise, car nous développerons dans notre saisine du Conseil constitutionnel, le Gouvernement essaie d’intervenir au nom d’une urgence et d’un risque non démontrés, ce qui l’entraîne dans une voie ne respectant pas entièrement la légalité.

Non seulement, à l’échelon national, cette démarche a pour objectif de contourner l’annulation par le Conseil d’État des clauses de sauvegarde adoptées – je le concède, ce n’est pas une première -, mais elle ne respecte pas, au niveau européen, les dispositions de la directive 2001/18/CE relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement, dûment transposée en France, qui établit une procédure précise et justifiée au cas où un État voudrait interdire ou suspendre l’utilisation ou la mise sur le marché d’un OGM.

Ainsi, par divers « petits arrangements » – pardonnez-moi l’expression, mais n’est-ce pas de cela qu’il s’agit ici ? - le Gouvernement cherche à obtenir cette interdiction de la mise en culture des maïs transgéniques.

Tout d’abord, n’ayant vraisemblablement pas le courage d’assumer ses choix, l’exécutif téléguide des propositions de loi, tant au Sénat qu’à l’Assemblée nationale, faisant preuve d’un certain manque de respect pour l’autonomie des assemblées parlementaires.

Pourtant, monsieur le ministre, vous disposiez d’un véhicule législatif parfait pour y intégrer des dispositions relatives aux OGM avec le bien nommé « projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt ». Vous auriez pu prendre la responsabilité de déposer, à l’occasion de l’examen de ce texte, un amendement en ce sens. Mais vous ne l’avez pas fait, pour des raisons de convenance – peut-être ne souhaitez-vous pas prendre l’initiative formelle de cette interdiction – et, surtout, parce que vous voulez interdire rapidement la mise en culture des maïs génétiquement modifiés.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Rapidement, oui !

M. Jean Bizet. Un texte tel que le projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt implique un processus législatif long. D’ailleurs, nous n’en sommes qu’à la première lecture et la navette parlementaire ne devrait pas permettre son adoption avant l’été.

M. Stéphane Le Foll, ministre. Si !

M. Jean Bizet. Ce n’est pas sûr…

M. Daniel Raoul, rapporteur. Cela devrait s’accélérer !

M. Jean Bizet. Imaginez que le texte ne soit pas voté conforme par le Sénat…C’est que l’amendement de notre collègue Jean-Jacques Lasserre ne manque pas de pertinence !

Avec une proposition de loi comprenant un seul article, pour laquelle, en outre, vous engagez la procédure accélérée, vous gagnez du temps. Vous pourriez même, sait-on jamais, monsieur le ministre, disposer d’un texte de loi dès ce soir !

Cela vous est d’autant plus utile que l’arrêté d’interdiction de la commercialisation, de l’utilisation et de la culture de semences de maïs OGM est l’objet d’un référé-suspension.

Il n’en reste pas moins que des semences ont été légalement plantées.

M. Joël Labbé. C’est de la provocation !

M. Jean Bizet. C’est de la culture, monsieur Labbé !

Quelles que soient les évolutions de notre droit, il vous faudra prendre en compte, monsieur le ministre, ce préjudice économique subi par certains agriculteurs, sans parler de celui qui affecte l’ensemble d’une filière.

Ainsi, monsieur le ministre, vous avez très clairement un objectif et vous ne renoncez à aucun moyen pour l’atteindre, ces moyens fussent-ils tangents d’un point de vue de la solidité juridique et contraignants à l’égard des droits du Parlement. Malheureusement pour vous, et malgré les désaccords pouvant exister entre nous sur les usages de la transgénèse et des biotechnologies, nous sommes encore dans un État de droit !

Au-delà des questions de forme, nous comprenons néanmoins très bien pourquoi vous agissez ainsi.

En réalité, vous rencontrez des difficultés à justifier l’interdiction ou la suspension de la culture de maïs transgéniques dans le cadre légal en vigueur. Pour cela, il faudrait en effet des motifs d’urgence face à un risque important mettant en péril de façon manifeste la santé humaine, la santé animale ou l’environnement. Or, jusqu’à preuve du contraire, et le hasard veut que je suive la question depuis une dizaine d’années, les différentes agences ou académies n’ont absolument pas confirmé ce risque.

Comment justifiez-vous aujourd’hui l’urgence et le risque ?

Vos arguments sont plutôt aléatoires, monsieur le ministre. Nous pouvons avoir des convictions et des analyses divergentes sur le sujet, mais ce n’est pas là le sens de mon questionnement : aujourd’hui, si vous voulez légiférer, il faut le faire sur des bases légales et scientifiques incontestables !

J’ai déjà évoqué les bases légales, brièvement aujourd’hui et de façon plus détaillée le 17 février dernier.

Quant aux bases scientifiques, vous entretenez la confusion en laissant planer le doute sur la qualité des avis rendus par les agences sanitaires et environnementales tant française qu’européenne.

En particulier, la teneur des débats à l’Assemblée nationale et certaines allégations sur les effets du MON 810 et des OGM ont des fondements scientifiques très relatifs et ne peuvent que nuire à la sérénité de la décision publique, à la qualité des informations données à nos concitoyens et à la confiance en nos institutions scientifiques de recherche et de contrôle.

C’est pourquoi, avec mon collègue le président Bernard Accoyer, j’ai saisi officiellement le président du Haut Conseil des biotechnologies. En particulier, nous souhaitons disposer d’une analyse croisée et circonstanciée des conclusions que l’on peut tirer des avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments sur les risques pour l’environnement de la culture du Monsanto 810.

Enfin, il ne me semble pas que l’on puisse se ranger à l’argument selon lequel la proposition de loi que nous examinons est un texte de sauvegarde aux visées conservatoires, en application du principe de précaution – ce point a été évoqué par certains collègues avant moi. Il n’est qu’à lire la Charte de l’environnement, qui prescrit, en cas de doute sur l’innocuité d’un produit ou d’un process, des procédures d’évaluation et des mesures proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage.

Sincèrement, nous ne pouvons pas convenir que la présente proposition de loi, d’interdiction pure et simple, soit une application du principe de précaution.

Bien au contraire, interdire la mise en culture de tous les maïs génétiquement modifiés, présents et à venir, relève d’une approche totalement arbitraire et constitue un défi à la raison comme à la recherche scientifique proprement dite. En effet, ainsi que l’a souligné le président-rapporteur Daniel Raoul, comment inciter nos chercheurs à rester sur notre territoire – ils ne sont déjà plus nombreux, d’ailleurs ! – et à s’engager dans des recherches, s’ils savent pertinemment que les cultures n’existeront pas, ou qu’elles seront détruites, comme cela s’est malheureusement produit à Colmar ? Pourtant, la loi de 2008, qui s’inspirait pour partie du rapport d’information que Jean-Marc Pastor et moi-même avions rendu sur ce même sujet quelques années auparavant, respectueuse des agriculteurs qui voulaient planter et de ceux qui ne le souhaitaient pas, de même que des consommateurs qui voulaient consommer et de ceux qui ne le désiraient pas, était assortie de pénalités pour celles et ceux qui se livraient à des dégradations du bien d’autrui.