compte rendu intégral

Présidence de M. Jean-Pierre Raffarin

vice-président

Secrétaires :

M. Jean Desessard,

M. Jacques Gillot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Reprise du mandat de sénateurs

M. le président. En application des articles L.O. 319 et L.O. 320 du code électoral, le mandat sénatorial de Mmes Nicole Bricq, Hélène Conway-Mouret et Anne-Marie Escoffier et de M. Thierry Repentin, dont les fonctions gouvernementales ont pris fin le mercredi 2 avril 2014, a repris le samedi 3 mai, à zéro heure.

En conséquence, le mandat sénatorial de Mmes Kalliopi Ango Ela et Hélène Lipietz et de MM. Stéphane Mazars et André Vairetto a cessé le vendredi 2 mai, à minuit.

3

Cessation du mandat d’un sénateur nommé membre du Gouvernement

M. le président. Conformément à l’article 1er de l’ordonnance n° 58–1099 du 17 novembre 1958 portant loi organique pour l’application de l’article 23 de la Constitution, M. le président du Sénat a pris acte de la cessation, le vendredi 2 mai 2014, à minuit, du mandat sénatorial de M. François Rebsamen, nommé ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social par décret du 2 avril 2014 relatif à la composition du Gouvernement.

4

Remplacement d’un sénateur nommé membre du Gouvernement

M. le président. Conformément aux articles L.O. 325 et L.O. 179 du code électoral, M. le ministre de l’intérieur a fait connaître à M. le président du Sénat qu’à compter du samedi 3 mai 2014, à zéro heure, Mme Isabelle Lajoux est appelée à remplacer, en application de l’article L.O. 319 du code électoral, en qualité de sénateur de la Côte-d’Or, M. François Rebsamen, nommé ministre du travail, de l’emploi et du dialogue social par décret en date du 2 avril 2014 relatif à la composition du Gouvernement.

5

Candidatures à des organismes extraparlementaires

M. le président. Je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de trois organismes extraparlementaires.

La commission des affaires sociales a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. Georges Labazée pour siéger, comme membre titulaire, au sein du Conseil d’orientation des retraites et pour siéger, comme membre suppléant, au sein du conseil de surveillance du Fonds de réserve pour les retraites.

Par ailleurs, la commission du développement durable a fait connaître qu’elle propose la candidature de Mme Esther Sittler pour siéger au sein du Conseil national de la sécurité routière.

Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

6

Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi

M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi facilitant le déploiement d’un réseau d’infrastructures de recharge de véhicules électriques sur l’espace public, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 25 février 2014.

7

Dépôt d’un document

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre, en application de l’article 8 de la loi n° 2010–237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, la convention entre l’État et le Centre national d’études spatiales relative au programme d’investissements d’avenir, action « Espace » du programme « Projets thématiques d’excellence ».

Acte est donné du dépôt de ce document.

Il a été transmis à la commission des finances et à la commission des affaires économiques.

8

Démission de membres de commissions et candidatures

M. le président. J’ai reçu avis de la démission de M. Michel Mercier, comme membre de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, de M. Vincent Capo-Canellas, comme membre de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire et de Mme Chantal Jouanno, comme membre de la commission des affaires sociales.

J’informe le Sénat que le groupe Union des démocrates et indépendants-UC a fait connaître à la présidence le nom des candidats qu’il propose pour siéger :

– à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, en remplacement de M. Michel Mercier, démissionnaire ;

– à la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire, en remplacement de M. Vincent Capo-Canellas, démissionnaire.

Ces candidatures vont être affichées et les nominations auront lieu conformément à l’article 8 du règlement.

9

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour un rappel au règlement.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, mon rappel au règlement est fondé sur l’article 29 de notre règlement.

Le 20 mars dernier, j’ai déposé une proposition de résolution n° 422 tendant à la création d’une commission d’enquête sur la création, le fonctionnement et les garanties techniques de la plateforme nationale des interceptions judiciaires.

À la suite de la parution de nombreux articles de presse, il s’avère que la réalisation de cette plateforme, confiée au grand opérateur qu’est Thales, connaît un certain nombre de retards. Le prix, initialement fixé à 20 millions d’euros lors de l’appel d’offres, atteindrait aujourd’hui 40 millions d’euros. En cette période d’austérité budgétaire, cette augmentation exponentielle des coûts, alors que ce système n’est toujours pas en place, doit attirer l’attention du Parlement, et du Sénat en particulier. En outre, de nombreuses questions restent en suspens concernant la sécurité de données qui, vous le reconnaîtrez, présentent un caractère plus que privé, puisqu’elles sont liées aux interceptions.

Par ailleurs, les sociétés qui s’occupaient déjà de ces interceptions jusqu’à cet appel d’offres menacent, parce qu’elles ne sont pas payées, d’interrompre leurs prestations. Cela signifie que nos services de police et de gendarmerie vont se trouver privés du support de ces interceptions judiciaires qui sont évidemment nécessaires à leurs enquêtes.

Je fais donc ce rappel au règlement afin que la prochaine conférence des présidents puisse examiner cette proposition de résolution.

M. le président. Ma chère collègue, acte vous est donné de votre rappel au règlement.

La conférence des présidents examinera votre proposition de résolution lors de sa prochaine réunion, le 14 mai 2014. Le président de votre groupe politique pourra alors appuyer votre demande à laquelle la conférence des présidents prêtera toute son attention.

10

 
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifié
Discussion générale (suite)

Interdiction de la mise en culture de variétés de maïs génétiquement modifié

Adoption définitive en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : proposition de loi relative à l'interdiction de la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifié
Article unique

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relative à l’interdiction de la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifié (proposition n° 455, texte de la commission n° 486, rapport n° 485).

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Stéphane Le Foll, ministre de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons déjà eu l’occasion de débattre de ce sujet et je souhaite repréciser brièvement les enjeux de cette proposition de loi et les objectifs visés par ses auteurs.

Tout d’abord, il convient de rappeler que le principe d’un moratoire sur la culture des organismes génétiquement modifiés recueille depuis longtemps un accord général en France, au-delà des clivages politiques traditionnels. Certes, quelques-uns, dans cet hémicycle en particulier, ont toujours défendu des avis différents, demandant de laisser aux agriculteurs la possibilité d’avoir recours aux organismes génétiquement modifiés, ou OGM. Quoi qu’il en soit, la France a toujours défendu la même position quant au moratoire, et cette position a encore été rappelée par le Président de la République.

Il se trouve que, compte tenu de la législation européenne actuelle et de l’intervention du Conseil d’État, saisi par un certain nombre d’organisations professionnelles, qui a remis en cause un certain nombre de procédures liées à la clause de sauvegarde, il est nécessaire d’adopter un nouveau cadre juridique pour permettre l’application du moratoire sur la mise en culture des OGM.

Tel a été l’objet de l’arrêté que j’ai pris le 14 mars dernier concernant le maïs MON 810 de Monsanto et tel est l’objet de la présente proposition de loi, qui vise à englober d’une manière plus large les organismes génétiquement modifiés, afin de donner à notre pays un cadre juridique permettant que ce moratoire soit appliqué.

Ce débat, nous l’avons déjà constaté en février dernier, suscite des interrogations légitimes, qui méritent que l’on précise les objectifs du cadre juridique que j’entends défendre devant vous aujourd’hui.

En premier lieu, la législation européenne actuelle ne convient à personne. D’une part, elle est extrêmement longue à mettre en œuvre – je crois qu’il n’y a qu’une variété d’OGM autorisée tous les dix ans. D’autre part, lors de la dernière discussion concernant l’autorisation d’un maïs OGM, le TC 1507 de Pioneer, dix-neuf États ont voté contre, quatre se sont abstenus et cinq ont voté pour : du coup, l’autorisation a été accordée. Cette situation juridique à l’échelle européenne ne peut vraiment pas perdurer et il faut modifier le cadre actuel pour y voir plus clair et éviter de rencontrer des problèmes au niveau de chacun des États.

Nous avons engagé cette discussion au niveau du Conseil des ministres de l’Union européenne. Avec le nouveau Parlement européen qui sera issu des élections européennes qui auront lieu dans quelques semaines et la mise en place d’une nouvelle Commission, cette discussion sera amenée à se poursuivre. Au sein du Conseil des ministres, la France a défendu depuis le départ, à la suite du problème que nous avons rencontré au sujet du maïs Pioneer TC 1507, la même position tendant à la modification des règles juridiques d’autorisation et de mise en culture des organismes génétiquement modifiés.

Je le dis solennellement devant vous cet après-midi, cette discussion avance et, de mon point de vue, plutôt dans le bon sens. Il nous faut un cadre juridique qui permette de définir des critères en fonction desquels chaque État puisse faire le choix d’accorder ou de refuser l’autorisation de mise en culture d’organismes génétiquement modifiés.

Parmi ces critères figure, comme c’est le cas pour l’agrément des produits phytosanitaires, la prise en compte des bénéfices et des coûts de la mise en culture des différentes variétés d’OGM. Il est aussi nécessaire de définir officiellement et clairement dans le droit européen les critères environnementaux qui peuvent être retenus, en particulier sur la question de la dissémination. Les États pourront ainsi se prononcer en fonction des avantages et des inconvénients, mais aussi des risques environnementaux.

Il faut également prendre en compte la situation agronomique des productions agricoles, qu’il s’agisse des productions de qualité ou de celles qui sont issues de l’agriculture biologique. Certains États d’Europe, dont la superficie est nettement inférieure à celle de la France, développent des productions de qualité qui ne permettraient pas le recours aux organismes génétiquement modifiés, sauf à accepter la dissémination et la remise en cause d’un certain nombre de cahiers des charges. De même, un pays étendu comme la France, qui a développé beaucoup de productions de qualité ainsi qu’une agriculture biologique, doit pouvoir faire le choix de recourir ou non aux organismes génétiquement modifiés.

La négociation en cours avance, j’espère qu’un texte pourra être adopté pendant la présidence grecque de l’Union européenne, afin que le débat puisse s’engager le plus rapidement possible devant le Parlement européen, parce que nous ne pouvons pas rester dans la situation où nous nous trouvons aujourd’hui.

Cette proposition de loi vise donc à combler le vide juridique qui existe en France après l’arrêt rendu par le Conseil d’État, elle a été votée par l’Assemblée nationale et il vous revient de l’adopter aujourd’hui, du moins je l’espère.

Si l’on s’attache aux aspects juridiques, en particulier en ce qui concerne le maïs Monsanto 810, je tiens à rappeler que son autorisation de mise en culture est vieille de seize ans. Elle aurait dû être renouvelée au terme de dix ans, ce qui n’a pas été fait. Or depuis quelques années l’Autorité européenne de sécurité des aliments, l’AESA, elle-même considère que la culture de cette variété de maïs emporte des conséquences négatives qu’elle n’avait pas évoquées lors de l’autorisation initiale. Si nous voulions faire preuve de juridisme, nous y aurions largement matière, puisque cette autorisation aurait dû être renouvelée.

En second lieu, outre les problèmes posés par le droit européen que je viens de mentionner, il convient de rappeler que le préambule de notre Constitution renvoie à la Charte de l’environnement qui consacre le principe de précaution, auquel cette proposition de loi est parfaitement conforme.

J’ai eu l’occasion de m’exprimer sur ce sujet devant le Haut Conseil des biotechnologies. L’enjeu des études dont nous disposons aujourd’hui, en particulier celles qui ont été réalisées aux États-Unis, était d’examiner dans une perspective de moyen terme l’impact global des organismes génétiquement modifiés sur l’utilisation des herbicides et des pesticides.

On entend souvent dire, en effet, que les OGM permettent d’utiliser moins de pesticides et d’herbicides. Or les deux études dont nous disposons, qui sont le résultat d’une quinzaine d’années d’expérimentation, indiquent de façon très claire que les quantités d’herbicides ont augmenté de 7 %.

Nous avons eu cette discussion à plusieurs reprises. Je le répète donc clairement : selon plusieurs études américaines disponibles aujourd’hui, la diminution de l’utilisation d’un certain nombre de produits phytosanitaires, en particulier les herbicides, n’est pas avérée, tant s’en faut ! Nous assistons même à une augmentation de l’utilisation des herbicides.

Quelle en est la raison ? Ce point est intéressant dans le cadre du présent débat.

Il est vrai que, dans les premiers temps de l’utilisation des OGM, on assiste à une baisse du recours aux herbicides et aux pesticides. Mais, au fur et à mesure, la résistance, en particulier d’un certain nombre de plantes, se renforce, ce qui nécessite, les années passant, d’utiliser davantage d’herbicides. Ce constat, j’en suis persuadé, est de nature à valider une démarche rationnelle par rapport à l’utilisation des OGM dont nous parlons aujourd’hui.

Je tiens à dire, pour conclure, qu’il ne s’agit pas, en l’occurrence, de renoncer à la recherche et à l’idée selon laquelle on pourrait, un jour, utiliser des OGM. Je rappelle ainsi, un amendement ayant été déposé sur ce sujet, que les expérimentations en plein champ sont aujourd’hui possibles : cela figure dans le droit de l’environnement. Le rapporteur y reviendra.

Il n’est pas question de renoncer, au contraire ! Si le cadre européen nous permet enfin de discuter autour de critères précis, comme le rapport bénéfice-coût que j’évoquais précédemment, nous pourrons alors engager un débat plus serein, pleinement démocratique, sur les enjeux liés aux OGM et sur les objectifs que nous voulons fixer pour l’agriculture de demain, en particulier sa durabilité, sa capacité à préserver l’environnement et à éviter les disséminations.

Je l’ai dit, les OGM de première génération, résistants aux herbicides et producteurs de pesticides, ont aujourd’hui montré leurs limites. Mais d’autres débats vont s’ouvrir à l’avenir, qui portent sur d’autres sujets.

Je pense à la possibilité de modifier des gènes afin de développer des plantes plus résistantes au stress hydrique, lorsque la ressource en eau se fait rare.

Je pense aussi à la possibilité d’augmenter la teneur en vitamines d’une plante, par exemple d’une céréale, comme ce fut le cas pour le riz doré, qui a permis de compenser les carences en vitamine A, l’une des principales causes de cécité dans les pays en développement.

Toutes ces questions méritent un débat permettant de mettre sur la table, à la fois, les enjeux en présence, l’intérêt général et le coût des OGM.

Je souhaite que, à la suite des décisions que vous allez prendre, nous puissions, avec le changement du cadre européen et dans un débat organisé, nous poser des questions pour l’avenir. Sur les OGM de première génération, tout nous conduit à considérer, objectivement, rationnellement et scientifiquement, qu’une page peut, et doit, se tourner. Nous devons collectivement en ouvrir une autre.

Quoi qu’il en soit, merci de ce débat, qui, je le sais, sera, comme chaque fois, de grande qualité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Laurence Cohen ainsi que MM. Joël Labbé et Robert Tropeano applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Daniel Raoul, président de la commission des affaires économiques, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale le 18 février dernier par M. Bruno Le Roux et plusieurs de ses collègues, puis adoptée en séance publique par les députés le 15 avril.

C’est donc une procédure distincte de celle que nous avons suivie au mois de février dernier, lorsque nous avons examiné la proposition de loi déposée par notre collègue Alain Fauconnier. Le Sénat avait alors rejeté ce texte en adoptant une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. N’est-ce pas, monsieur Bizet...

M. Jean Bizet, rapporteur. Je m’en souviens, monsieur le président !

M. Daniel Raoul, rapporteur. Oui, et pour cause ! (Sourires.)

Sur le fond, il s’agit toutefois du même dispositif : la proposition de loi a pour but unique – je le dis aussi à l’intention de M. Lasserre – d’interdire la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifié. Elle ne concerne pas les expérimentations en plein champ, que les choses soient claires !

Chaque mot compte dans ce dispositif.

Tout d’abord, il s’agit seulement du maïs, non de toutes les plantes génétiquement modifiées, et encore moins de l’ensemble des organismes génétiquement modifiés.

Ensuite, le texte vise la mise en culture à finalité commerciale, et non la recherche ou les essais.

Je souhaitais préciser ces deux points, car le débat relatif aux OGM est trop souvent troublé par des slogans faciles, qui trompent la perception que peuvent en avoir nos concitoyens, comme l’a rappelé en commission Jean-Jacques Mirassou.

En premier lieu, les OGM constituent une vaste catégorie de produits que l’on ne doit pas tous mettre sur le même plan.

Notre collègue Jean-Marc Pastor, dans son rapport de 2003 pour la mission d’information sur les enjeux économiques et environnementaux des organismes génétiquement modifiés, présidée par Jean Bizet, a rappelé un simple fait : dès les années soixante, des gènes étrangers ont été incorporés dans les bactéries. Au moins un médicament sur six est issu du génie génétique. Je pense à l’insuline humaine, à l’hormone de croissance, à de nombreux vaccins. Quant au biopharming, il permet de mettre au point des produits pharmaceutiques par transgénèse de plantes ou d’animaux.

Ajoutons que c’est aussi le cas de nombreux produits alimentaires.

J’espère qu’il n’y a, parmi les colporteurs du slogan « Non aux OGM ! », ni diabétiques ni consommateurs de fromages : 80 % de ceux-ci contiennent des OGM,…

Mme Nathalie Goulet. Mais pas les fromages à pâte molle !

M. Daniel Raoul, rapporteur. et personne ne s’en émeut. En effet, dans la plupart des fromages, en Europe et aux États-Unis, la présure d’origine animale, qui provenait à l’origine de la caillette de veau, a été remplacée depuis la crise dite « de la vache folle » par des enzymes recombinantes, c’est-à-dire, en termes clairs, génétiquement modifiées.

Il s’agit là du premier étage des organismes génétiquement modifiés : celui des utilisations confinées, sous contrôle et sans risque de dissémination dans l’environnement. Attention, donc, lorsque l’on parle des OGM, à ne pas condamner les utilisations des techniques de génie génétique !

Le deuxième étage des OGM, ce sont les plantes génétiquement modifiées, les PGM.

Parmi celles-ci, on trouve les maïs génétiquement modifiés, qui nous préoccupent aujourd’hui. Je vous expliquerai ultérieurement pourquoi la présente proposition de loi prévoit, à juste titre, l’interdiction de leur mise en culture.

À l’heure actuelle, on ne connaît, dans les demandes de mises sur le marché, que deux types de maïs génétiquement modifié. Celui qui produit sa propre toxine a évidemment pour cible la pyrale, mais il attaque aussi d’autres insectes : les papillons, sans doute, et peut-être – les informations sont plus floues à cet égard – les abeilles.

Que les choses soient claires : le texte ne vise pas les autres variétés de plantes génétiquement modifiées. D’autres espèces peuvent en effet, ou pourront un jour, présenter un intérêt certain pour l’alimentation. C’est en particulier le cas du riz doré, évoqué par M. le ministre, dont la teneur en vitamine A est augmentée, ce qui est un facteur de lutte contre la cécité. Je pense aussi aux plantes capables de résister au stress hydrique dans des régions qui pourraient connaître, notamment à cause du réchauffement climatique, un manque d’eau perturbant l’arrosage des cultures. Des recherches sont encore nécessaires, et il faut les encourager : l’enjeu est considérable pour ces pays.

Il ne faut donc pas avoir une vision uniforme des plantes génétiquement modifiées.

Le principe de précaution doit être un principe d’encouragement à l’approfondissement des recherches, et non un principe d’inaction. Comme vous étiez, monsieur Bizet, l’un des pères de l’inscription dans le préambule de la Constitution du renvoi à la Charte de l’environnement qui consacre ce principe, je vous le redis. Or ce principe a subi une mutagénèse dirigée (Sourires.),…

M. Jean Bizet. … a dérivé !

M. Daniel Raoul, rapporteur. … et est devenu en fait un principe d’inaction bloquant l’innovation.

Après les PGM, on pourrait voir un troisième étage dans les animaux génétiquement modifiés. Peu médiatisés, ces OGM-là devront un jour retenir toute notre attention.

Je vois pointer en particulier, entre les États-Unis et l’Europe, un certain nombre d’accords qui pourraient nous conduire à importer des animaux génétiquement modifiés. Je le dis calmement : il n’y a pas que le maïs qu’on importe génétiquement modifié.

La commission de biosécurité brésilienne a rendu, le 10 avril, un avis favorable à la dispersion dans le milieu naturel de moustiques mâles génétiquement modifiés. On comprend très bien l’objectif : il s’agit, par un contrôle des naissances au sein de cette espèce, de lutter contre le développement de la dengue, maladie en fort développement au Brésil. Cela peut représenter un grand espoir, mais la mobilité de ces animaux oblige à une prudence encore plus grande qu’en matière de biotechnologies végétales.

En deuxième lieu, c’est la mise en culture qui est visée, et non, monsieur Lasserre, la recherche ou les essais en plein champ.

S’il n’y a plus d’essais en plein champ aujourd’hui, ce n’est pas une question d’ordre législatif ou réglementaire. En effet, M. le ministre le rappelait, ces expérimentations sont prévues par le code de l’environnement. Je voudrais avoir des mots forts pour exprimer la désolation des chercheurs de l’INRA – Institut national de la recherche agronomique –, en particulier, dont les travaux ont été détruits à Colmar, en août 2010. Rien ne justifiait, alors que les recherches s’effectuaient en toute transparence et sans risque de dissémination – une bâche avait été disposée sous les plants –, de saccager ainsi un travail de plusieurs années portant sur le court-noué de la vigne.

Comment, après cela, retenir en France des chercheurs de talent ? Refuser la recherche, c’est refuser la connaissance et perdre toute maîtrise des plantes génétiquement modifiées qui, sous une forme ou sous une autre, arrivent de toute manière.

Je le répète, seules les autorisations de mise en culture commerciale sont visées par cette proposition de loi.

La distinction juridique est importante. La directive 2001/18/CE, au niveau européen, comme le code de l’environnement, au niveau français, définissent des procédures d’autorisation et de contrôle distinctes pour les disséminations expérimentales d’OGM, d’une part, qui comprennent notamment les essais en plein champ, et pour la mise sur le marché d’OGM – ou de PGM –, d’autre part. Seule cette dernière est visée par la présente proposition de loi.

Après avoir ainsi posé le cadre, pourquoi donc proposer d’interdire la mise en culture des maïs génétiquement modifiés, comme le fait cette proposition de loi ?

Il ne s’agit pas de remettre en cause l’évaluation scientifique. Toutefois, nous devons mettre les aspects purement techniques de la culture des plantes génétiquement modifiées en perspective avec les conséquences plus générales d’une mise en culture massive de ces plantes.

L’expertise scientifique est le point de départ indispensable, certes, mais il faut prendre garde aux risques de conflits d’intérêts dans un domaine où les intérêts commerciaux sont considérables. Il est donc important que cette expertise puisse être réalisée par plusieurs instances, au niveau tant européen que national, comme le demandait M. le ministre voilà quelques instants.

Surtout, cette expertise scientifique ne peut de toute manière pas constituer le seul critère de décision pour la puissance publique. Elle doit être complétée par une analyse économique, sociale, environnementale au sens large.

Une autorisation de mise en culture des plantes génétiquement modifiées signifierait probablement une transformation du modèle agricole auquel nous sommes attachés : les contraintes liées à ces cultures favoriseraient sans doute de grandes exploitations, sans parler des liens accrus qu’elles entraîneraient à l’égard des grands semenciers.

Nous ne pouvons pas non plus écarter les risques sanitaires sans examen supplémentaire. On manque d’études de long terme concernant la sécurité des plantes génétiquement modifiées pour l’alimentation des humains et du bétail. Les risques sur la biodiversité, l’impact en termes de limitation de la quantité de pesticides diffusés dans l’environnement sont encore controversés. M. le ministre a évoqué les dernières publications américaines sur la consommation d’herbicides, malgré l’utilisation de maïs génétiquement modifiés : ce constat pose problème au regard de la finalité initiale de ces semences.

Au mois de février dernier, notre commission a considéré que de telles incertitudes justifiaient l’adoption de la proposition de loi de notre collègue Alain Fauconnier, qui était similaire à celle que nous examinons aujourd'hui. En effet, face à ces risques, les avantages des plantes génétiquement modifiées résident plus dans les promesses des biotechnologies que dans leurs réalisations actuelles. Les maïs génétiquement modifiés dont nous parlons ne sont pas des plantes miraculeuses qui vont résoudre les problèmes d’alimentation dans le monde : ce sont d’abord des outils pour développer une forme d’agriculture plus intensive que celle qui constitue le modèle français.

D’ailleurs, ce texte n’a rien de révolutionnaire : il se place dans la continuité de la position constamment affirmée par les autorités françaises, au-delà des alternances politiques.