Mme Colette Mélot. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la mission d’information que j’ai présidée a étudié la mise en place des ESPE un peu moins de deux mois après leur création et sur une durée de plus de six mois. Nous avons donc examiné l’accréditation des dossiers, la mise en place des organes de gouvernance et l’intégration des ESPE aux universités.

Les déplacements effectués et les très nombreuses auditions menées ont permis de dresser un premier bilan de cette installation, bilan qu’il faudra bien sûr compléter plus tard par une étude qualitative de la formation des enseignants.

Je me félicite de l’esprit non partisan qui a présidé au déroulement de cette mission. M. le rapporteur, Jacques-Bernard Magner, a su entendre tous les acteurs concernés et a effectué, à partir des témoignages, une excellente analyse tenant compte des appréciations de ses collègues, avec un réel souci d’objectivité. Je le remercie, ainsi que tous les membres de la mission, de ce travail.

Je ne reviendrai pas sur ce qui a déjà été dit sur l’économie générale du dispositif. Nous avons pu constater la complexité administrative de sa mise en place et les efforts qui ont été accomplis sur le terrain. Il existe une véritable prise de conscience de l’importance de cette réforme chez l’ensemble des parties prenantes et une forte volonté des responsables de trouver des solutions.

La réussite du projet dépendra surtout de la qualité du dialogue entre les universités et les ESPE, qui devront absolument construire une « culture d’école » et se détacher des habitudes du passé, lorsque, selon l’académie considérée, soit l’IUFM soit l’université dominait.

Parmi les recommandations formulées par notre mission, je voudrais insister sur plusieurs points visant à moderniser les ESPE.

Tout d’abord, en tant que membre de la commission des affaires européennes, au sein de laquelle je m’investis sur les sujets liés à l’éducation, il m’a semblé essentiel que soit mentionnée dans le rapport la nécessité de former nos enseignants aux enjeux liés à l’Europe.

L’investissement dans l’éducation et la formation est un facteur important de l’avenir du continent européen. À l’heure où l’euroscepticisme va croissant, où l’Union européenne traverse une crise d’identité, l’accent mis sur l’éducation et la formation peut permettre de redonner du sens à l’Union européenne et lui fournir des clefs pour répondre au développement de la compétition internationale. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’éducation et la formation constituent l’un des piliers de la nouvelle stratégie Europe 2020. Cette stratégie, qui a succédé à celle de Lisbonne, a en effet vocation à faire de l’Union européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive du monde ». L’éducation joue évidemment un rôle central pour atteindre cet objectif.

La réforme de la formation des enseignants ne doit pas laisser de côté cette nouvelle donne. C’est pourquoi il faut prévoir, selon moi, une sensibilisation des futurs enseignants aux enjeux européens. Il s’agirait de leur faire connaître l’histoire de l’Union européenne, sa culture, sa littérature et le fonctionnement de ses institutions. À cet égard, je voudrais citer la recommandation 1833 de l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, « promouvoir l’enseignement des littératures européennes », votée à l’unanimité le 17 avril 2008, qui me semble très pertinente. Notre collègue Jacques Legendre en avait été le rapporteur.

Je rappelle également que, en adoptant une résolution européenne que j’avais déposée en avril 2012, le Sénat a défendu l’idée de réunir sous un label unique, « Erasmus pour tous », l’ensemble des actions européennes conduites en matière d’éducation, de formation et de jeunesse. Il s’agissait de favoriser l’émergence d’un sentiment d’appartenance à un espace citoyen et culturel commun.

Le nouveau programme Erasmus + qui a été adopté est beaucoup plus ambitieux, grâce à un budget en hausse. Ouvert à tous les apprenants et à tous les formateurs, il consolidera un succès déjà existant. L’Union européenne rappelle ainsi à tous son attachement à l’éducation pour tous.

Ensuite, de même que nos jeunes doivent connaître l’Europe et les opportunités de carrière qu’elle offre, il convient qu’ils maîtrisent l’utilisation d’internet et des outils informatiques. Le rapport fait de la formation des futurs enseignants à ces outils une « nécessité pédagogique absolue », l’un des défis majeurs des parcours mis en place par les ESPE.

Il ne suffit plus aujourd’hui de compléter les cours des futurs enseignants par une option informatique : ce choix devrait impérativement figurer dans leur formation, qu’elle soit initiale ou continue, car il s’agit désormais de l’environnement quotidien des jeunes. Dans ces conditions, il nous semble essentiel que les ESPE préparent les étudiants à obtenir le certificat « informatique et internet » de l’enseignement supérieur de niveau 2 « enseignant ».

Certaines ESPE se sont particulièrement mobilisées en ce sens. Je citerai celle de Clermont-Ferrand, qui a mis en place un observatoire des pratiques pédagogiques à l’ère du numérique. Une doctrine sera ainsi définie pour l’ensemble de l’académie, ce qui permettra, dès la rentrée 2014, l’avènement d’une troisième génération de son « espace numérique de travail », servant non seulement de portail de ressources, mais également de gestionnaire des emplois du temps et de documentation.

Nous avons pu constater sur le terrain que les initiatives en faveur de la formation au numérique sont diverses et nombreuses. Or les moyens humains et financiers nécessaires sont coûteux et proviennent essentiellement des collectivités territoriales. Il serait donc utile que ces bonnes pratiques soient coordonnées, afin qu’elles se répandent sur l’ensemble du territoire. C’est pourquoi l’académie de Clermont-Ferrand s’engage également dans l’élaboration d’un schéma de cohérence du numérique éducatif pour l’équité des territoires.

Au niveau national, le réseau de création et d’accompagnement pédagogiques Canopé doit être restructuré, afin de simplifier et coordonner l’offre de ressources numériques de l’éducation nationale. Pourriez-vous nous parler, monsieur le ministre, de cette rénovation, qui permettra de mutualiser et centraliser des contenus gratuits ou payants ? Pouvez-vous également nous préciser les objectifs et le fonctionnement des futurs espaces d’innovation Canopé, qui seront déployés auprès des ESPE ? Par ailleurs, à quelle hauteur le Gouvernement compte-t-il financer les projets innovants prenant appui sur le numérique, à partir du programme des investissements d’avenir ?

L’évocation du numérique me conduit à souligner – ce sera le dernier point que je souhaite évoquer – l’importance de la transmission des cours par internet.

On appelle aujourd'hui MOOC les cours d’enseignement supérieur ouverts et massifs dispensés en ligne à destination du grand public. Des start-up américaines se sont lancées dès 2012 dans l’aventure de ces cours en ligne gratuits émanant de prestigieuses universités. En France, des initiatives ont été prises en 2013 dans des écoles d’ingénieur. Très vite, des projets de MOOC ont gagné les universités.

Cet outil pédagogique innovant peut s’adresser à des professionnels de l’enseignement et de l’éducation déjà en poste ou à des étudiants en formation initiale souhaitant exercer des fonctions éducatives. Il permet aussi des échanges entre les participants, ce qui peut susciter réflexion et aide. Il convient donc de sensibiliser les enseignants à ces nouvelles pratiques.

Du même ordre mais de philosophie différente, les formations à distance bénéficient également de l’essor numérique. Il s’agit ici non pas de cours en ligne ouverts à tous, comme les MOOC, mais d’une formation proposée aux étudiants venant s’ajouter à l’enseignement qu’ils peuvent recevoir sur place. Je pense notamment à l’utilisation de ressources articulées avec les enseignements. Ainsi, dans mon département, la Seine-et-Marne, sur les sites de Melun et Torcy, l’académie de Créteil a pris en compte les contraintes de déplacement des étudiants en proposant un enseignement à distance pour l’obtention de masters et la préparation au concours de recrutement des professeurs des écoles. Cela peut permettre une reconversion professionnelle, une formation pour des étudiants expatriés temporairement, une remise à niveau ou un enseignement renforcé.

De telles initiatives doivent être encouragées, car elles apportent des solutions aux conditions d’études souvent difficiles des étudiants et représentent un gain de temps et d’efficacité considérable. Ces modalités d’enseignement à distance pourraient d’ailleurs être exploitées pour la formation continue.

Notre rapport montre donc que le chantier de la formation des enseignants est en continuelle évolution, les acteurs locaux s’attachant à prendre des initiatives, qui devraient parfois être relayées au niveau national.

Notre rapport n’a pas vocation à répondre à ce qui suivra, en déterminant si le fonctionnement des ESPE portera ses fruits et si cette réforme sera capable d’apporter une plus-value à l’éducation de nos enfants. Nombreux sont les observateurs qui craignent la répétition du dispositif des IUFM, qui a montré ses limites. Il est évidemment trop tôt pour en juger.

Je suis convaincue que la formation des enseignants est un point essentiel, sans doute même primordial, pour lutter contre l’échec scolaire.

Au-delà de cette formation, nous l’avons souvent dit dans cet hémicycle, le Gouvernement doit mener une politique active en matière de revalorisation du métier d’enseignant. Notre rapport cite le cas spécifique de la Finlande, qui enregistre d’excellents résultats en matière d’éducation.

Je rappelais précédemment l’importance de la formation des enseignants au numérique. La Finlande fait figure de pionnière en ce domaine. Dans le même temps, elle a su faire accéder la profession d’enseignant à une reconnaissance qui lui permet d’être comparée à d’autres professions prestigieuses et rémunératrices, telle la profession de médecin ou d’avocat. Sans doute devrions-nous nous inspirer de cette expérience. Toutefois, la question du statut des enseignants ne relève pas du débat qui nous occupe ce soir.

Pour le moment, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, je souhaite simplement que notre contribution alimente la réflexion et permette d’achever dans de bonnes conditions la mise en place des ESPE, structures qui devront dispenser un enseignement professionnalisant et moderne. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et du groupe écologiste. – M. le rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat.

Mme Françoise Férat. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la question de la formation des professeurs du premier et second degré, ainsi que celle de la préparation aux différents concours d’enseignement, est primordiale. Elle appelle donc à agir avec responsabilité.

En application de la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République du 8 juillet 2013, les écoles supérieures du professorat et de l’éducation ont été créées, en remplacement des instituts universitaires de formation des maîtres, venant ainsi réformer la formation de nos enseignants. L’esprit de cette réforme est louable, mais je regrette la rapidité avec laquelle elle a été mise en œuvre, suscitant de réelles inquiétudes et difficultés auprès de l’ensemble des acteurs concernés.

La réforme des rythmes scolaires a été mise en place trop rapidement et sans réelle concertation, avec les difficultés que nous connaissons aujourd’hui.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture. Ah non, c’était une bonne soirée jusque-là ! (Sourires.)

Mme Françoise Férat. Cela va s’arranger, madame la présidente de la commission !

De la même façon, la mise en place des ESPE s’est faite « à marche accélérée », pour reprendre les termes du rapport de la mission d’information sur les écoles supérieures du professorat et de l’éducation du 4 juin dernier.

Les ESPE ont le double objectif de parachever l’« universitarisation » de la formation des enseignants et de professionnaliser le parcours de cette formation.

Dans cette perspective, le rapport de la mission d’information apporte un éclairage intéressant sur les orientations à mener et le travail à approfondir. Cette dernière a fait plusieurs recommandations plus que pertinentes, qui seront, je l’espère, reprises à l’avenir. C’est le cœur même de ce chantier.

Je partage notamment ses conclusions quant à la nécessité d’un continuum entre les différentes étapes du cursus, qui doit être une priorité. Je salue la mise en place des conseils de perfectionnement au sein des ESPE, qui vont dans le sens de l’amélioration continue de la formation des enseignants et qui, je le crois, doivent être notre préoccupation à tous. Enfin, il faudra accentuer la cohérence pédagogique, établie à trois niveaux.

La licence, tout d’abord, est l’étape préalable à l’intégration d’une ESPE ; il s’agit d’insister sur l’intégration d’outils préprofessionnels ; cette licence ne doit pas être une étape désolidarisée au sein du cursus. Le master 1, lui, doit davantage être professionnalisant. Le constat auquel le rapport aboutit est sans appel : les ESPE sont encore, dans bien des cas, tiraillées entre les tenants d’une formation à vocation professionnelle et ceux qui sont favorables à une formation purement et simplement académique.

Cet hiatus pédagogique peut, à terme, desservir les étudiants qui attendent de la logique et de la complémentarité dans leur formation. Il nous paraît à ce titre utile que vous réaffirmiez, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, des orientations pédagogiques claires. La cohérence doit enfin se situer au niveau des modules de formation continue, car ceux-ci permettent aux professionnels de l’éducation d’adapter leurs outils de diffusion du savoir aux évolutions pédagogiques et sociales.

Il faut également encourager l’innovation pédagogique. La formation des ESPE ne doit plus être imperméable au monde professionnel, en perpétuelle évolution. Former de bons enseignants implique de les sensibiliser aux ressorts du monde professionnel.

Nous avions défendu cette position avec ma collègue Catherine Morin-Desailly lors des discussions sur la refondation de l’école. Les enseignants étant au cœur du processus d’orientation professionnelle, il nous paraît primordial d’intégrer cette dimension dans la structure pédagogique des ESPE. Cette initiative serait, je le crois, une des émanations du besoin d’innovation pédagogique que nous appelons de nos vœux.

Nous souhaitions également une intégration de personnalités extérieures issues du monde professionnel dans les organisations dirigeantes des ESPE, dont, en particulier, le conseil de l’école administrant ces établissements.

Une étude comparative simple entre les ESPE de Paris, Lyon, Toulouse et Aix-Marseille montre d’ailleurs une faible représentation de personnalités extérieures issues de la sphère professionnelle.

L’innovation pédagogique implique également une meilleure intégration du numérique dans les offres de formation. À ce titre, les initiatives telles que celle qui a été prise par l’ESPE de Clermont – dont il a été largement question ce soir –, à savoir la mise en place d’un observatoire des pratiques pédagogiques à l’ère du numérique, doivent être généralisées et encouragées. En outre, elles doivent en parallèle faire l’objet d’arbitrages stratégiques et financiers adéquats.

Le rapport de la mission d’information souligne également une amélioration de la professionnalisation. Nous pouvons nous en réjouir ; cependant, pour que cette tendance s’amplifie, il faudra être vigilant sur les profils des formateurs au sein de ces nouveaux établissements. Il est impératif que les étudiants puissent recevoir une formation dispensée par des formateurs de terrains.

Par ailleurs, j’estime nécessaire de réfléchir à la création d’un statut intermédiaire pour les étudiants qui ont validé leur première année de master et qui sont proches de la barre d’admissibilité aux concours, car cet enjeu me semble insuffisamment pris en compte.

Le rapport de la mission d’information soulève également la question de la gouvernance des écoles supérieures du professorat et de l’éducation. Celles-ci se trouvent au confluent d’institutions aux intérêts divers. Je partage la volonté d’une forte intégration des ESPE à l’université.

Le rapport pointe, de manière générale, de bons rapports entre les ESPE et les universités intégratrices ; nous ne pouvons que nous en féliciter. Il faut éviter, autant que faire se peut, une logique de développement opposée entre les partenaires et l’ESPE.

Nous sommes parfaitement conscients que les considérations locales doivent être prises en compte dans l’analyse des relations avec l’université. Ainsi, dans certaines académies, des situations historiques locales suscitent une dynamique conflictuelle entre les acteurs impliqués.

Il convient précisément dans ce genre de cas de garantir l’autonomie de décision de l’ESPE. Cette garantie n’est pas contraire à la logique d’intégration que nous souhaitons pour les ESPE ; bien au contraire, j’y vois une chance pour que les ESPE ne soient pas des coquilles vides, dans la mesure où elles se reposent entièrement sur les universités pour l’inscription administrative des étudiants, ainsi que pour la diplomation.

La question de l’autonomie de décision des ESPE appelle celle de l’autonomie financière – vous en avez également parlé, monsieur le rapporteur.

Dans la perspective d’un contexte budgétaire contraint pour les établissements publics d’enseignement supérieur et d’une baisse générale des dotations de l’État, le budget des ESPE risque de baisser mécaniquement en tant que composante du budget de l’établissement d’accueil. Plusieurs ESPE font état d’une diminution substantielle de leur budget de fonctionnement par rapport aux ressources des IUFM, diminution pouvant aller jusqu’à 30 %, en raison d’arbitrages financiers de l’université intégratrice.

Une réflexion à long terme sur le modèle budgétaire et financier de ces écoles est nécessaire, car, à l’heure actuelle, il crée une dépendance de fait aux établissements publics dans lesquels elles sont intégrées.

Par ailleurs, le rapport met en exergue la concurrence entre les ESPE et les UFR disciplinaires qui captent une grande partie des étudiants se destinant aux métiers de l’enseignement secondaire. À mi-parcours, il convient de renforcer les partenariats entre les UFR et les ESPE qui ne pourront entraîner que des externalités positives tant pour l’offre pédagogique que pour l’efficience des formations dispensées.

Le rapport de la mission de la commission de la culture est riche, étayé, et j’en partage les recommandations. J’espère qu’elles seront prises en compte, notamment par le comité de suivi de la réforme de la formation des enseignants, mis en place pour trois ans et qui devrait rendre son premier rapport très prochainement. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, de l'UMP et du groupe écologiste. – M. le rapporteur applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Gillot.

Mme Dominique Gillot. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je veux dire moi aussi le plaisir que j’ai eu à participer à cette mission d’information : si celle-ci nous a permis d’évaluer un dispositif naissant, de valider l’une des concrétisations du chantier lancé par le Président de la République, amorcé par Vincent Peillon et poursuivi par Benoît Hamon et Geneviève Fioraso, au-delà, elle nous a donné l’occasion de travailler sur la refondation profonde et durable de l’école de la République, qui est un sujet passionnant.

Je suis reconnaissante à l’ensemble des collègues de la mission, particulièrement à sa présidente, Colette Mélot, et à son rapporteur, Jacques-Bernard Magner, pour la qualité des échanges et la recherche d’exhaustivité qui ont caractérisé ces travaux.

Définie dans deux grandes lois de la mandature – la loi sur l’enseignement supérieur et la recherche, qui engage une stratégie nationale pour les années à venir, et la loi sur la refondation de l’école, qui vise à replacer l’école dans l’ambition de notre République –, la création des ESPE est la cheville essentielle de la formation des maîtres du XXIe siècle.

Ces nouveaux établissements universitaires, au cœur des regroupements d’universités et d’établissements d’enseignement supérieur, sont le pilier de la reconsidération et de la reconquête du métier d’enseignant, au bénéfice des élèves, des enseignants et de la qualité de formation utile au redressement de notre nation.

Aujourd’hui, les enseignants sont recrutés à un niveau académique et disciplinaire équivalent à celui des ingénieurs ou des cadres supérieurs, mais depuis la suppression insensée des IUFM sous la présidence de M. Sarkozy (M. Jacques Legendre s’exclame.), il leur manque l’essentiel : une formation à leur métier.

Mme Dominique Gillot. À la dégradation des rythmes scolaires – les petits Français n’avaient, depuis 2008, plus que quatre jours de classe par semaine et 144 jours par an, avec un volume annuel d’heures de cours beaucoup plus élevé que chez nos voisins –, a été ajoutée la suppression de la formation des maîtres.

Cette réforme hâtive avait pour but premier de permettre des économies – la suppression de l’année de stage a entraîné celle de milliers de postes. Elle a aussi révélé une méconnaissance de ce qu’est la pédagogie et un mépris pour les enseignants et leur travail, dont beaucoup expriment encore la souffrance et la colère.

Les bouleversements scolaires, sociaux, économiques, culturels ont changé les attentes et les exigences à l’égard de l’école et de ses missions.

Les professeurs des écoles, recrutés à bac+5 – alors que, je le rappelle, les instituteurs entraient à l’École normale après la troisième, puis après le baccalauréat – sont souvent démunis dans leur classe face à des élèves d’une grande diversité.

À l’heure de la mondialisation et de la globalisation, l’éducation, la formation et la qualification sont les moteurs du redressement. Pour que la France renoue avec la croissance et son rayonnement, elle doit élever le niveau de qualification de sa jeunesse, la préparer à l’économie du XXIe siècle, c'est-à-dire lui permettre de communiquer en plusieurs langues, maîtriser les outils numériques, travailler différemment, développer des compétences toujours nouvelles.

La mission de l’école étant de réduire les inégalités, de transmettre des valeurs, de faire grandir en chaque élève des qualités et des vertus utiles à la réussite collective, il était urgent de reconstruire une école de la confiance, de l’estime de soi et de la bienveillance. Pour cela, il fallait d’urgence repenser la formation des maîtres.

Chacun est conscient des difficultés que rencontrent le système éducatif et ses personnels. On ne fait plus classe aujourd’hui comme avant.

Faire classe aujourd’hui nécessite de mobiliser des compétences assurées, de différencier ses pédagogies, de construire des projets, de travailler en équipe, d’utiliser toutes les technologies accessibles, d’agir avec les acteurs extérieurs à l’école, d’ouvrir les esprits des enfants, de dialoguer avec les parents... Et cela s’apprend. C’est le rôle des ESPE.

Il a été démontré que l’incidence de la qualité de la formation du professeur sur la performance des élèves est le premier déterminant de la réussite scolaire. Nous avons donc besoin des meilleurs professeurs pour conduire tous les enfants vers la réussite et l’épanouissement.

Pour élargir le vivier de leur recrutement, il fallait redonner au métier toute sa considération et définir les conditions permettant de l’exercer de manière professionnelle, afin de lutter contre sa lente dévalorisation sociale.

L’école est une institution dont le facteur de changement est en son sein. Les enseignants qui sont à la manœuvre doivent être capables de satisfaire aux obligations de leur mission et de s’adapter à leurs élèves soumis aux influences de la société qu’ils incarnent.

Cette relation privilégiée entre le maître et ses élèves est affectée par le fonctionnement social, l’accélération des temps, l’envahissement des techniques qui touchent aussi l’école. C’est pourquoi la formation, appuyée sur la recherche et la pluridisciplinarité, est indispensable pour tous les enseignants.

Il y faut de la volonté commune, des personnels qualifiés issus des deux ministères – enseignement supérieur et recherche et éducation nationale – avec des cultures, des pratiques, des déroulements de carrière différents.

Il y faut du projet commun, une ambition partagée, de l’humilité, de la patience et des pratiques collaboratives.

Le rapport en témoigne : au-delà des frilosités disciplinaires et catégorielles, il y a beaucoup de bonne volonté et même de l’enthousiasme dans cette construction, qui a été évaluée durant toutes ces semaines.

Nous ne devons pas perdre de vue qu’il s’agit d’une structure nouvelle, au carrefour de deux cultures jusqu’ici distinctes : d’une part, l’enseignement supérieur, dont l’emprise sur la formation des maîtres a été renforcée par la masterisation, et, d’autre part, l’éducation nationale, qui accorde une place importante à la formation par les pairs, principe qui commence seulement à pénétrer le monde universitaire.

Les ESPE ne doivent pas être considérées comme de simples entités administratives, agrégats de formations. Elles doivent dépasser les clivages anciens observés entre IUFM et universités pour devenir de véritables entités.

C’est pour cela que je défends l’idée que l’ESPE doit s’imposer comme une composante forte des communautés d’universités et établissements – les COMUE –, en développant un esprit d’école, en assurant la mixité des équipes pédagogiques et en garantissant l’émergence d’une culture professionnelle partagée, donc d’une culture partagée de la formation à dispenser : théorique et pratique, académique et professionnelle.

La définition des qualifications pour les enseignants-chercheurs en IUFM avait donné lieu à une forte recherche en pédagogie. On ne peut maintenir, d’un côté, des universitaires dont la gratification et l’avancement professionnels ne seraient assis que sur leurs publications scientifiques, et, de l’autre, des enseignants – au demeurant chercheurs aussi – qui s’investiraient dans la pédagogie et ne seraient pas valorisés à ce titre.

Cette question traverse également l’ensemble de l’enseignement supérieur. Aujourd'hui, chacun recherche une manière de reconnaître et d’évaluer l’investissement de l’innovation pédagogique dans le supérieur.

Il faut veiller à ce que la masterisation, érigée en objectif principal, ne l’emporte pas sur la nécessaire acquisition progressive des pratiques pédagogiques. Rien ne serait plus contre-productif dans la création d’une école de formation, dont on attend qu’elle soit en phase avec les enjeux de notre société en mouvement, que de perpétuer des méthodes d’enseignement, d’évaluation et de diplomation figées par des référentiels de formations universitaires ou le substrat d’UFR subsistant.

Le travail contributif des recteurs, dont je rappelle qu’ils sont chanceliers des universités, sera en ce sens déterminant. Employeurs de ces futurs diplômés, ils sont aussi prescripteurs de leurs compétences attendues et garants de la bonne progressivité de leur formation.

L’émergence de la culture d’école, que j’appelle de mes vœux, tout comme vous, mes chers collègues, nécessite la mise en place d’un tronc commun à la formation des enseignants du premier et du second degré. C’est ainsi que l’on parviendra à développer une culture professionnelle partagée entre le primaire et le secondaire.

Cet objectif est indispensable au regard des résultats des enquêtes qui mettent régulièrement en évidence le nombre de « décrocheurs », lesquels, généralement, dès l’entrée en sixième, présentent des lacunes dans des domaines qui devraient relever de l’acquis fondamental. Et ce constat se répète en seconde, puis, dramatiquement, en premier cycle universitaire !

C’est la visée de cet objectif pédagogique renouvelé, mission des ESPE, qui sera propice à la réussite durable de tous les élèves et brisera la spirale des résultats PISA, qui interpellent notre système.

Il faut également être vigilant sur la constitution des équipes de formation. Il serait totalement inefficace de ne faire appel qu’à des formateurs « hors sol », déconnectés des réalités du quotidien et du terrain, réalités pourtant prépondérantes dans les choix pédagogiques à mettre en œuvre. Il faudrait d’ailleurs, me semble-t-il, ménager des phases dans les carrières pour éviter de trop longues coupures avec la réalité de la classe.

J’insiste sur ce point, car des disparités dans ce domaine sont connues : alors que l’ESPE de l’académie de Strasbourg affiche une proportion de professionnels issus du milieu scolaire dans les équipes pluricatégorielles de l’ordre de 40 %, l’ESPE de l’académie de Versailles s’était fixé l’objectif, présenté comme ambitieux, de 10 % !

Pour bien connaître l’une des trois ESPE accréditées pour une première année, je constate que, une fois le choc des cultures dépassé et les manœuvres de préservation des « magots » de postes déjouées, la rédaction patiente du règlement intérieur, pour éviter toute fâcherie ultérieure, a permis, après trois tentatives de délibération, une adoption à l’unanimité, qui augure bien, au fil du temps et de l’approche de la rentrée scolaire, du déplacement des centres d’intérêt vers ceux des maquettes, plans et calendriers de formation, avec identification de tuteurs et de lieux de stage à travers les cinq départements. C’est très encourageant.

À cet effet, je tiens à saluer l’énergie et la capacité de dialogue du président et de la directrice de l’ESPE, tout comme celles du président de l’université de Cergy-Pontoise. En effet, la diplomatie est de mise à chaque conseil d’école.

Il s’agit donc bien, avec les ESPE, de construire un continuum de formation de la maternelle au supérieur, visant l’intérêt de l’enfant devenant élève, puis collégien et lycéen, afin qu’il puisse aborder dans les meilleures conditions l’enseignement supérieur, nourri de valeurs, rompu aux technologies indispensables à la société d’aujourd’hui qui lui permettront de garder un esprit de curiosité et de questionnement. Car n’oublions pas qu’apprendre, c’est avant tout chercher et douter !

Avec le numérique et la recherche permanente à laquelle ils accèdent dès le plus jeune âge, les enfants d’aujourd’hui acquièrent en dehors de l’école une attitude de questionnement que les enseignants doivent être formés à accompagner, à stimuler et à organiser.

C’est aux enseignants que revient d’assurer cette indispensable médiation entre la somme d’informations hétéroclites disponibles et l’élève, pour lui permettre de construire de solides connaissances. Ils doivent, selon Marcel Gauchet, « remettre de l’ordre dans du désordre ».

L’école doit être l’institution de confiance où l’on peut obtenir des réponses à des questions de l’ordre du savoir, où l’on peut apprendre à résoudre des problèmes, où l’on peut apprendre à se poser des problèmes, où l’on peut accepter de se tromper.

L’exploitation et la maîtrise des technologies de l’information et de la communication vont donc susciter une hausse du niveau d’exigence scolaire. Parallèlement, la multitude des ressources offertes permet d’élargir le cercle des apprenants et d’apporter un soutien ponctuel ou durable aux enseignants dans leur pédagogie comme dans leur formation, initiale ou continue, en particulier dans les secteurs démunis, isolés, difficilement accessibles.

C’est à ce titre que je plaide pour le développement rapide d’un enseignement à distance et en ligne dans l’académie de Guyane, dont l’ESPE doit composer avec des contraintes matérielles, géographiques et démographiques lourdes. Ce renfort technologique bien pensé permettrait l’accès d’un plus grand nombre aux formations et accélérerait l’émergence du vivier d’enseignants indispensable dans ce département français.

D’une façon générale, la capacité d’innovation des ESPE suivra l’ampleur des efforts conduits en matière de développement de l’interdisciplinarité, de mutualisation et de renforcement du travail d’équipe. Vincent Peillon l’avait affirmé : « Il faut refonder l’école de la République et refonder la République par l’école. Les enseignants sont les premiers acteurs du redressement de notre pays. »

Nous sommes aujourd’hui à l’année zéro des ESPE. Beaucoup a été fait, et très rapidement. Il faut saluer la mobilisation des professeurs formateurs et encourager la variété des parcours.

Il faut aussi soutenir l’implication des recteurs, qui devraient siéger dans tous les conseils d’écoles, en personne, pour bien montrer l’intérêt porté par l’éducation nationale au processus mis en route et ne pas risquer l’universitarisation de la nouvelle formation.

C’est un processus progressif, perfectible en fonction des évaluations qui seront opérées tant par les usagers et étudiants que par les professeurs, les formateurs, et l’employeur. Je vous saurais donc gré, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, de répondre à quelques questions.

La loi est-elle toujours bien appliquée, c'est-à-dire tous les postes IUFM sont-ils bien transférés à l’ESPE ? Certains professeurs en UFR résistent et ne veulent pas rejoindre l’ESPE pour des raisons qui peuvent s’entendre, mais quid de leur support budgétaire ?

Par ailleurs, si on constate un regain d’inscription aux formations de l’éducation, pourra-t-on encadrer tous ces étudiants « usagers » avec les seuls moyens transférés des IUFM ? Y a-t-il des académies déficitaires et d’autres « excédentaires » ? Je pense à l’exemple de l’ESPE de Versailles et du partenariat interacadémique avec Paris-Créteil.

Pour ce qui est de la pratique, de la maîtrise et de l’apprentissage des nouvelles technologies, comment seront recrutés les professeurs ? Sur quelle base de formation ?

Enfin, quels dispositifs sont prévus pour favoriser et former à la pratique interdisciplinaire et à la démarche de projet ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe écologiste et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.