Mme Corinne Bouchoux. Madame la présidente, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il est bientôt vingt-trois heures et à peu près toutes les réflexions sensées et intelligentes, voire brillantes, ont déjà été exprimées sur ce rapport ! (Sourires.) Même si la pédagogie est parfois l’art de la répétition, j’essayerai de ne pas reprendre des propos déjà énoncés par mes collègues, mais plutôt de poser un certain nombre de questions.

Monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, comme il n’y a pas d’urgence, vous répondrez à celles qui vous conviendront.

Premièrement, les écologistes sont bien évidemment extrêmement satisfaits de la mise en place des ESPE, à tel point que nous avions souhaité faire un bilan de leur mise en place, de leurs points forts et de leurs points faibles.

Néanmoins, les trente ESPE créées dans cinq registres particuliers, avec des structurations intenses menées au pas de charge, ne sont pas forcément d’une intelligibilité folle pour qui ne connaît pas le système éducatif français – je pense par exemple aux universitaires étrangers ! Les ESPE sont structurantes, mais elles sont inintelligibles pour le non-initié. Que comptez-vous faire pour rendre la chose plus pédagogique ou plus parlante pour le grand public ?

Deuxièmement, à l’approche de la rentrée, a-t-on fait le point sur les PFA, les professeurs formateurs académiques, dont les établissements auront besoin ? À ce propos, il me vient une question : si le rôle des ESPE est fondamental, a-t-on pour autant pris soin d’insister auprès de chacun sur le rôle fondamental des EPLE, les établissements publics locaux d’enseignement, qui accueilleront les enseignants en formation ? N’y a-t-il pas un risque de distorsion entre l’évolution positive des ESPE et la perception peut-être encore quelque peu désuète des établissements d’accueil, qui ont aussi une mission de formation, notamment au travers des chefs d’établissement ?

Troisièmement, après avoir lu le rapport avec attention, nous nous interrogeons sur le rôle des inspections. Les inspecteurs sont présents et importants partout ; néanmoins, ils ne sont fléchés nulle part. J’aurais voulu savoir si l’on comptait préciser leur rôle dans la mise en place des ESPE.

Quatrièmement – vous allez peut-être penser que ce sont des lubies, mais nous tenons à attirer votre attention sur ces points –, lors des discussions menées sur la loi de refondation de l’école, mais aussi sur la loi relative l’enseignement supérieur, nous avons souhaité insister sur des aspects qui nous semblaient innovants et non marginaux.

Je rappelle l’importance des opérations « La main à la pâte » et de gestion non violente des conflits. Récemment, j’ai vu passer un texte où le terme « non violent » avait disparu. Pourtant, la gestion non violente des conflits, ce n’est pas la même chose que la gestion des conflits !

Nous avons aussi attiré l’attention sur l’importance d’avoir des intervenants issus du monde associatif, des non-professionnels, particulièrement dans le contexte de la mise en place, avec les difficultés qui ont été signalées, des rythmes scolaires. Il nous semble nécessaire qu’il y ait un continuum entre le temps périscolaire dans les projets éducatifs territoriaux, les PEDT, et ce qui se passe dans les ESPE. Les différents acteurs doivent donc pouvoir se côtoyer.

Cinquième élément : quid de l’ESEN, l'École supérieure de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, cet établissement de formation un peu particulier qui fait coexister des formateurs sans formation dédiée ? Quelle est l’articulation entre l’ESEN, que nous avons visitée l’an dernier avec la commission de la culture, et les ESPE ? Il y a là, me semble-t-il, un angle mort, qui gagnerait peut-être à être réduit.

Sixièmement, j’aborderai la question des formations. Notre pays est encore extrêmement marqué par une formation disciplinaire – le dernier orateur l’évoquera certainement – et par la liberté pédagogique des enseignants, ce qui est heureux.

Il faudrait, tant dans l’enseignement supérieur que dans les ESPE, cesser de diffuser l’enseignement en silos de disciplines différentes, et amorcer une réflexion problématisée sur notre monde qui est de plus en plus complexe – je vous renvoie aux thématiques développées par Edgar Morin. Mme Gillot l’a bien dit, il faut développer une pédagogie par problèmes, comme elle se pratique notamment à l’université de Louvain : elle gagnerait utilement à être diffusée dans les ESPE françaises. Monsieur le ministre, que comptez-vous faire en ce sens ?

Septièmement – et ce n’est pas le moindre des points que je souhaite aborder –, nous devons évoquer ici, entre personnes de bonne compagnie, un sujet abordé de façon allusive par Mme Gonthier-Maurin, celui de l’éducation à l’égalité entre les garçons et les filles et des stéréotypes de genre. Lors de la discussion du texte, le mot « genre » était supprimé dès qu’il apparaissait. Pour notre part, nous avons essayé d’être vigilants et de le réintroduire, car ce terme a un sens et une portée.

Comment pouvons-nous être certains que, dans les ESPE, un enseignement à l’égalité entre les garçons et les filles est bien dispensé ? Nous aimerions attirer votre attention sur le fait qu’un certain nombre d’associations professionnelles tout à fait sérieuses, universitaires, sont capables de mener des audits pour vérifier que ce qui figure dans les maquettes est bien mis en pratique et s’assurer que, sur cette question extrêmement importante, voire sensible, pour l’opinion, il y a un minimum d’harmonie.

Monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, voilà les sept questions que nous souhaitions vous poser. Nous le rappelons, les ESPE sont non seulement structurelles, mais également structurantes. À cet égard, elles sont extrêmement importantes pour l’avenir de l’enseignement en France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Cartron.

Mme Françoise Cartron. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’a souligné Corinne Bouchoux, comment dire des choses intelligentes et ne pas être redondante après les interventions de tous mes éminents collègues ? J’essayerai donc de resituer le débat dans sa globalité et de faire des focus sur quelques points plus particuliers.

On l’a dit, le 13 novembre dernier, notre commission constituait une mission d’information sur les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, deux mois seulement après la mise en place de ces dernières – preuve d’efficacité et de réactivité s’il en est. Il y a une semaine, le rapport conclusif des travaux de la mission a été adopté à l’unanimité. Saluons le travail collectif réalisé par les membres de la mission, plus particulièrement par son rapporteur et par sa présidente.

Il s’agit bien évidemment d’un document d’étape, technique, utile, qui rappelle, d’une part, la complexité des enjeux liés au rétablissement de la formation des maîtres, après l’échec avéré de la masterisation, et, d’autre part, la nécessité d’un suivi sur le long terme, pour une montée en puissance progressive de ces trente structures nouvelles.

Il y a tout juste un an, nous adoptions, ici même, deux lois fondamentales de ce début du quinquennat : la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République, un texte que j’ai eu l’honneur de rapporter devant vous et qui comportait un volet important consacré à la restauration de la formation professionnelle et pédagogique des enseignants, chantier essentiel ouvert dès la rentrée 2013, et la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, dont Dominique Gillot était la rapporteur et qui a fait évoluer les composantes universitaires dans lesquelles ces ESPE sont justement intégrées.

L’ESPE est donc une structure nouvelle, dont le succès repose assurément sur la convergence effective de deux cultures jusqu’ici bien distinctes : celle de l’enseignement supérieur, qui a vu son rôle renforcé à la suite de l’intégration des IUFM aux universités et de la réforme dite « de la mastérisation », et celle de l’éducation nationale, qui accorde traditionnellement une place importante aux pairs dans la formation, principe encore trop éloigné des universités, malgré le développement des masters professionnels.

Oui, au final, il s’agit bien de notre capacité à changer collectivement le paradigme de notre système de formation. C’est d’ailleurs très justement rappelé dans le rapport : « L’ESPE […] doit devenir un lieu de dépassement des anciennes contradictions idéologiques entre les IUFM et les universités. Pour cela, il faut travailler à bâtir un esprit d’école que chacun partage au-delà des métiers, des cultures et des pratiques administratives. » Au reste, je considère que ce qui vaut pour la formation des enseignants vaut, bien entendu, pour d’autres réformes en cours !

Comme l’avait justement dit ici même votre prédécesseur, monsieur le ministre, lors de l’examen, en première lecture, de la loi pour la refondation de l’école de la République : « Ce qui a coûté très cher au système d’éducation français […], c’est la division permanente entre les uns et les autres : le mépris du professeur du secondaire pour le professeur du primaire, du professeur de l’université pour le professeur du secondaire, sans oublier l’incompréhension à l’égard des éducateurs, comme nous avons pu l’observer à l’occasion de la réforme des rythmes scolaires. Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation rassembleront tous ceux qui ont vocation à enseigner et qui […] doivent aussi apprendre à se connaître. »

Oui, apprendre à se connaître et à travailler ensemble prend du temps et passe par des structures de formation repensées. Quels sont les leviers de ces changements profonds ? En lieu et place d’un système hiérarchique, cloisonné et d’une préparation purement académique aux concours, la coopération entre les ESPE et les autres composantes universitaires doit être renforcée.

Afin de conjuguer les dimensions professionnelles et académiques tout en développant les compétences pédagogiques, didactiques et disciplinaires, il faut également sortir de la dichotomie inscrite dans les parcours de formation des enseignants du premier et du second degré, intégrer effectivement au sein des équipes pluricatégorielles des formateurs professionnels venus du terrain, relever le défi majeur que constitue la formation à de nouveaux outils pédagogiques innovants et aux ressources numériques, enfin, élargir les champs de formation auxquels les futurs enseignants doivent être solidement préparés.

Je pense, sur ce point, à la sensibilisation à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la lutte contre les discriminations et à la scolarisation des élèves en situation de handicap. Dans ces différents domaines, qui entrent dans le tronc commun de tous les étudiants, l’apport et le regard particulier des associations culturelles, artistiques et d’éducation populaire sont aussi nécessaires.

Un amendement en ce sens avait d’ailleurs été adopté par notre commission lors de l’examen, en première lecture, du projet de loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur. C’est vrai !

Mme Françoise Cartron. À ce propos, et ceci est ma première interrogation, où en est-on de l’application de la parité dans les instances de gouvernance des ESPE ?

Les écoles supérieures du professorat et de l’éducation forment les enseignants et les enseignantes, éducateurs et éducatrices de demain. Toutefois, quel paradoxe ! Alors que les femmes représentent 82 % des enseignants à l’école primaire et 58 % dans l’enseignement secondaire, la présence masculine s’affiche dans les mêmes proportions aux postes de commande, dans le corps des inspecteurs d’académie comme à la direction des services.

Certes, la loi de juillet 2013 a imposé la parité dans les modes de scrutin aux élections des universités et communautés,…

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur. Cela n’a pas été facile !

Mme Françoise Cartron. … des règles également appliquées pour les instances des ESPE, puisque chaque liste de candidats est composée alternativement d’un candidat de chaque sexe. Toutefois, je constate que, aujourd’hui, la direction de l’ESPE de Bordeaux est à 100 % masculine ! Cette situation n’est pas acceptable.

Dans ces conditions, comment inciter plus fortement à la mixité ? Si la création de modules de formation contre les stéréotypes est une avancée nécessaire, conformément aux préconisations de la convention interministérielle pour l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif 2013-2018, il n’est plus possible de ne pas mettre en application ce que l’on enseigne !

En outre, vous constatez, monsieur le rapporteur, que l’antériorité de la collaboration et du dialogue entre l’IUFM et les universitaires est un facteur important de facilitation de la réforme.

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur. C’est vrai !

Mme Françoise Cartron. D’ailleurs, les réformes mises en place depuis deux ans, qu’il s’agisse des nouveaux rythmes scolaires ou du rétablissement de la formation des maîtres, ont toutes ce point commun de vouloir faire travailler ensemble les acteurs qu’elles concernent, surtout lorsque ces derniers n’en avaient pas ou plus l’habitude.

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur. Tout à fait !

Mme Françoise Cartron. C’est pourquoi ces réformes sont difficiles et s’appliquent de façon inégale selon les territoires.

En effet, vous avez relevé, pour chaque point évoqué précédemment, des disparités régionales fortes, tant dans l’intégration des écoles dans l’université et leur collaboration avec les autres composantes universitaires que dans la formation et la diversité des intervenants. Pourtant, quelle formidable impulsion pour tirer tout le monde vers le haut !

M. Jacques-Bernard Magner, rapporteur. C’est vrai !

Mme Françoise Cartron. Les expériences réussies doivent être connues et partagées avec les structures qui connaissent des difficultés alimentant leurs doutes et leurs craintes. Ce rapport y contribue.

Cependant, ayons toujours en tête que, non, tout ne sera pas parfait à la rentrée, que les prochains mois seront cruciaux pour régler les tensions budgétaires et avancer sur chaque pan de la réforme et qu’il faudra une montée en puissance sur plusieurs années. Si la mise en place des ESPE nécessite du temps et de la continuité, la formation des enseignants elle-même nécessite du temps et de la continuité, afin de pérenniser et de diversifier les viviers de recrutement.

L’auteur du rapport propose ainsi d’engager le processus d’acculturation en licence, en prenant soin d’articuler dès l’origine l’académique et le professionnel. Est également préconisée une montée en puissance du dispositif des emplois d’avenir professeur, les EAP, pilier important de la réforme de la formation initiale des enseignants, notamment par une meilleure association des ESPE à la gestion de ces EAP, laquelle relève actuellement plutôt des seules UFR. Pour l’heure, sur les 10 000 emplois offerts entre janvier 2013 et mars 2014, quelque 8 000 ont été pourvus. L’objectif est de recruter 18 000 étudiants boursiers via ce dispositif, entre 2013 et 2016.

Derrière ce résultat global se cachent, là encore, d’importantes disparités régionales. Des académies attractives, comme celle de Bordeaux, ont dépassé le nombre de contrats qui leur étaient initialement assignés, quand d’autres ne sont pas parvenues à pourvoir tous les postes. Le dispositif des EAP mérite d’être redynamisé, nos politiques devant favoriser la mixité sociale non seulement au sein des classes, mais également au sein du corps professoral.

Au bout d’un an de ce qui s’apparente à une reconstruction totale et ambitieuse de la formation des enseignants, le chantier n’est bien entendu pas achevé et mérite d’être progressivement ajusté. Soyons patients, constructifs et force de propositions !

En effet, il est évident que le succès de la refondation entreprise il y a deux ans sera conditionné, à terme, par la capacité de notre pays à offrir une formation initiale et continue performante, ainsi que des perspectives de carrière stimulantes aux jeunes qui se destinent aux métiers de l’enseignement et de l’éducation.

Cela dit, je souhaite revenir sur un autre point, qui me paraît fondamental. Nous l’avons vu, la formation des personnels de l’éducation doit nécessairement s’appuyer sur un continuum entre la formation initiale, la formation en alternance et la formation continue, afin de garantir l’acquisition, tout au long de la carrière, des savoirs théoriques et pratiques et des compétences professionnelles en matière de pédagogie.

Or la formation des personnels de direction et d’inspection demeure l’angle mort de la réforme. Pourtant, comme l’ont montré les difficultés d’application des lois d’orientation de 1989 et de 2005, les échelons administratifs locaux sont essentiels pour prolonger l’impulsion initiale.

C’est pourquoi, depuis deux ans, dans mes rapports successifs, j’ai appelé à une profonde réforme de l’École supérieure de l’éducation nationale, l’ESEN, qui ne donne pas satisfaction – les étudiants eux-mêmes le disent avec force – et dont l’articulation avec les services académiques de formation se révèle déficiente.

La rigidité et la faiblesse de l’accompagnement qui ont été relevées par endroits peuvent s’expliquer par l’alourdissement général des tâches administratives dévolues aux cadres de l’éducation nationale. Ces derniers sont contraints de privilégier le contrôle d’application des textes à l’accompagnement du changement et à la rénovation pédagogique. Il me semble donc aujourd’hui nécessaire de réformer l’ESEN, chargée d’une partie de la formation des chefs d’établissements et des inspecteurs. Monsieur le ministre, quelle est votre position sur ce point ?

En conclusion, vous étiez, il y a quelques semaines, à Melun, sur le site de l’école supérieure du professorat et de l’éducation de l’académie de Créteil. Avez-vous pu recueillir le « ressenti » des premiers concernés, à savoir les étudiants qui bénéficient des nouveaux masters MEEF ?

Le cas échéant, il me paraît important de le relayer, car, aujourd'hui, au-delà des aspects purement techniques que nous avons évoqués, nous devons rendre aux jeunes l’envie de s’engager dans ce beau métier d’enseignant, en les accompagnant, en les rassurant, mais aussi en reconnaissant la place essentielle qui sera la leur dans notre société. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Legendre.

M. Jacques Legendre. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, notre collègue Françoise Cartron ayant déclaré que tous les orateurs éminents se sont déjà exprimés, on comprendra que je doive être et rapide, et modeste ! (Rires.)

Mme Françoise Cartron. Monsieur Legendre, je ne me serais pas permis une telle impolitesse à votre égard !

M. Jacques Legendre. La mission d’information, dont j’étais membre, a suivi sur le terrain la mise en place des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, sans préjugé, mais également sans complaisance. Je pense que cela mérite d’être noté, car le respect mutuel qui a accompagné nos auditions et nos réflexions a permis de dresser un bilan objectif de cette installation.

Je tiens à saluer à mon tour le remarquable travail de notre rapporteur, Jacques-Bernard Magner, et de notre présidente, Colette Mélot : ils ont su installer une ambiance consensuelle et prendre en considération les avis des uns et des autres. Une telle attitude permet la publication de bons rapports ! (Mme Françoise Cartron s’exclame.)

Cependant, ne nous trompons pas d’objet : l’adoption à l’unanimité de ce rapport par la commission des affaires culturelles n’est pas un satisfecit donné à la réforme de la formation des enseignants ; c’est l’approbation d’un rapport de travail particulièrement utile. Bien évidemment, nous souhaitons la réussite de cette réforme de la formation, dans l’intérêt des enseignants et des élèves, mais nous n’avons pas encore les moyens d’émettre un jugement éclairé à son sujet.

La mise en place des ESPE a dû être menée rapidement, ce qui explique en partie les dysfonctionnements que nous avons notés : dossiers d’accréditation insuffisants, définition complexe des corps électoraux… Je note, à cet égard, que l’exigence de parité, appliquée strictement, puisqu’il faut respecter la loi, a abouti, en l’espèce, à une baisse de la représentation des femmes au sein des instances de gouvernance – conseil de l’école et conseil d’orientation scientifique et pédagogique.

Ce constat doit nous amener à réfléchir sur l’inclusion systématique d’exigences en matière de parité lors de la discussion de textes de loi. J’ai cru comprendre, ma chère collègue Françoise Cartron, que vous vous interrogiez également sur ce point.

Mme Françoise Cartron. Je ne m’interroge pas, je la souhaite !

M. Jacques Legendre. Malgré ces difficultés administratives et la complexité de la constitution des organes de gouvernance, la mise en place structurelle des ESPE s’est globalement bien passée et la continuité du service public a été assurée.

Le principal problème rencontré par les ESPE réside maintenant dans la nouvelle configuration mise en place, puisqu’il faut intégrer ces structures dans le paysage universitaire, lui-même en pleine recomposition. Ces rigidités sont liées à la place occupée précédemment par les IUFM et les universités, ainsi qu’à leurs forces respectives.

Le rapport de la mission commune d’information dresse un tableau varié : la prédominance de l’une ou l’autre instance demeure dans certaines académies, alors que certains IUFM travaillaient en bonne intelligence avec les universités. À Clermont-Ferrand, exemple souvent cité, l’antériorité de bonnes relations de travail facilite l’application de la réforme.

L’enjeu est important : l’inclusion des ESPE dans les universités ne doit pas se résumer à une simple préparation académique des étudiants aux concours. Une participation aux modules transversaux à vocation professionnalisante et aux travaux de recherche des UFR, serait une valeur ajoutée souhaitée par la réforme, qui manifestement n’est pas encore réalisée partout. Le rapport relève que le conservatisme dominant en l’espèce puise en partie son origine dans la différence de parcours de formation des étudiants, selon que ceux-ci se destinent au premier ou au second degré.

Aussi la mission recommande-t-elle la généralisation de troncs communs de formation des étudiants se destinant au professorat, que celui-ci vise le primaire ou le secondaire. Cette symbiose, réalisée actuellement dans les deux tiers des écoles, devrait être étendue et généralisée, participant ainsi à l’apparition d’une « culture d’école ».

J’en viens au contenu de la formation dispensée et je formulerai quelques remarques sur les prescriptions établies par la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.

De nouveaux champs de formation sont prévus par la loi. Ils correspondent, d’une part, à l’évolution de notre société – ce qui explique, par exemple, une préparation à la gestion des conflits ou à la lutte contre les discriminations –, et, d’autre part, aux contenus pédagogiques.

Le rapport rappelle que ces prescriptions ne sont pas limitatives. Il faudra en effet veiller à ce que les maquettes respectent le « cadre national des formations liées aux métiers du professorat du premier et du second degré et de l’éducation », qui comprend la connaissance des processus d’apprentissage des élèves, les méthodes de différenciation pédagogique et de soutien aux élèves en difficulté, la connaissance du socle commun – celui-ci donne quelques soucis actuellement au Conseil supérieur des programmes... – et les méthodes d’évaluation des élèves.

La présidente de la mission commune d’information, Colette Mélot, a veillé à ce que la dimension européenne de l’enseignement soit précisée dans le rapport. En effet, l’Union européenne représente un enjeu central, car elle est une possibilité de soutien mutuel dans un monde en perpétuelle tension économique. Au-delà d’une coopération économique, la conscience d’une véritable citoyenneté européenne doit être inculquée aux enseignants, qui forment eux-mêmes les citoyens français et européens de demain.

La maîtrise totale de l’outil informatique me semble elle aussi incontournable. Les enseignants seront de plus en plus confrontés à des générations d’élèves imprégnés de culture numérique. Si certaines ESPE ont intégré cet enjeu et ont déjà mis en place de bonnes pratiques en ce sens, ces dernières sont cependant loin d’être généralisées. Il s’agit d’un investissement coûteux, mais indispensable, dans lequel l’État doit avoir sa part, puisqu’il s’agit d’un domaine de formation essentiel des agents de l’éducation nationale.

Concernant les méthodes de travail, la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République a accordé une large place au travail en équipe, au regard d’intervenants extérieurs, ainsi qu’à l’interdisciplinarité. Bien que des échanges soient souhaitables, je pense, comme je l’ai affirmé en commission, qu’il faudra veiller à ce que cette démarche se fasse dans le respect absolu du principe de liberté pédagogique de l’enseignant. (Mme Corinne Bouchoux acquiesce.) Ma chère collègue, vous attendiez que je le rappelle ! (Sourires.)

Je tiens également à souligner, car j’y attache beaucoup d’importance, qu’il n’y a pas une seule bonne méthode dans le domaine de la pédagogie. Les ESPE ne doivent pas formater a priori les enseignants dans un seul moule. Le succès de l’enseignement dépend aussi de notre capacité à disposer de plusieurs pédagogies. Il faut rappeler qu’il n’y a pas qu’une seule pédagogie.

Enfin, toujours en matière de formation dispensée aux futurs enseignants, afin de ne pas retomber dans les travers des IUFM, il faudra assurer des retours périodiques des formateurs sur le terrain, pour éviter qu’ils ne se trouvent déconnectés de leur métier au fil du temps. Leur témoignage direct sur le métier qu’ils enseignent me semble aussi important que la professionnalisation qui est favorisée par cette réforme. C’est en effet du contact avec le terrain que nos étudiants pourront acquérir de bonnes pratiques. On vante les bienfaits de l’alternance dans beaucoup de secteurs ; il doit en être de même dans l’éducation nationale.

Au lendemain de l’enquête PISA qui a classé la France à un rang très inférieur à ce que l’on doit attendre d’elle, l’avenir de notre système d’enseignement ne peut s’envisager sans la mise en place de nouvelles stratégies de lutte contre l’échec scolaire. Je suis convaincu que l’une d’elles passe par l’excellence de la formation des enseignants, mais également par la revalorisation de leur statut. Cette revalorisation n’est malheureusement pas à l’ordre du jour, le Gouvernement privilégiant l’augmentation du nombre de postes. Il faudra se pencher sur ce problème.

L’exemple de la Finlande, déjà cité, est particulièrement révélateur à cet égard. Il confirme que c’est non seulement dans la quantité des postes créés, mais aussi dans la qualité de l’enseignement dispensé à nos enfants par des professionnels ayant une véritable reconnaissance sociale que se construit la valeur du système éducatif d’un pays.

Mme Françoise Cartron. C’est vrai !

M. Jacques Legendre. Toutefois, si le contenu éducatif proposé par les enseignants n’est pas adapté aux besoins de nos élèves, cela ne suffira pas.

Tout se joue par l’acquis des fondamentaux au primaire, et par la suite au collège, pour éviter l’échec scolaire qui ruine l’avenir d’une partie de nos jeunes. Si nous devons rester attachés à l’idée d’un collège unique, c’est par une diversification des voies et des pédagogies que nous garantirons un avenir meilleur à ces jeunes.

Le débat d’aujourd’hui devra donc se prolonger par une réflexion approfondie sur d’autres thèmes et nous devrons garder à l’esprit qu’il est urgent d’entreprendre la modernisation de notre système éducatif. Sur ce sujet, nous sommes tous mobilisés. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Benoît Hamon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Madame la présidente, madame la présidente de la commission de la culture, madame la présidente de la mission commune d’information, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, selon une répartition sexuée assez classique, dans cet exercice à deux voix auquel nous allons nous livrer, ma collègue et moi, Geneviève Fioraso se chargera des questions les plus difficiles et moi des questions les plus simples. (Sourires.)

M. Benoît Hamon, ministre. Je savais que cela vous plairait, madame Cartron ! Cela confirme vos convictions profondes à mon sujet, ce qui m’inquiète, d'ailleurs... (Nouveaux sourires.)

Mme Françoise Cartron. Je savais que vous étiez un homme de progrès, monsieur le ministre, et cela se vérifie ! (Rires.)