M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale chargée de l’examen du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. Monsieur le ministre, il y a quelques instants, vous avez évoqué la longue histoire de la décentralisation.

C’est vrai que la loi municipale de 1884 était très bien écrite. D’ailleurs, ses dispositions figurent toujours dans le code général des collectivités territoriales.

C’est également vrai que l’objectif visé par les lois de décentralisation de 1982 n’a pas été entièrement atteint. Cependant, celles-ci ont amorcé une véritable révolution, dont certains ne voulaient pas ! Il s’agissait d’abolir la tutelle de l’État sur les collectivités locales. On avait même supprimé le mot de « préfet », qui évoquait par trop le pouvoir de l’État. L’objet de ces textes était d’initier une « République décentralisée », désormais scellée dans la Constitution.

D’innombrables autres lois – je pense à la loi Joxe, à la loi Chevènement, à la loi Raffarin, à la loi de 2010, qui n’a pas de père ou qui en a peut-être plusieurs, ou encore à la loi de 2012 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite « loi MAPAM » – ont confirmé cette volonté de décentralisation, en recherchant une meilleure efficacité de l’action publique locale. D’ailleurs, si l’on prend un peu de hauteur, on s’aperçoit que tous ces textes, quoi qu’on en dise, sont relativement homogènes, bien qu’adoptés par des majorités différentes.

L’émergence, puis la généralisation des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, ainsi que le rôle attribué aux régions, érigées en collectivités locales de plein exercice, ont constitué les étapes les plus importantes, même si nous avons échoué partiellement s’agissant d’une meilleure définition des compétences de chacune d’entre elles. L’objet de ce projet de loi est d’ailleurs de remédier à cette situation. Il faut dire qu’on supprime la clause de compétence générale un jour – c’était en 2010 –, qu’on la rétablit le lendemain – c’était en 2012 – et qu’on la supprime à nouveau le surlendemain, en 2014. Pour ma part, cela ne me gêne pas, car j’ai toujours considéré qu’il s’agissait d’une notion juridique assez floue.

D’après d’innombrables rapports d’experts, bien souvent en chambre – ils n’ont jamais dépassé le périphérique et ils ne savent même pas qu’il y a des communes rurales en Seine-et-Marne… –, la modernité voudrait que les collectivités les plus enracinées dans notre histoire et nos territoires s’effacent devant les plus récentes, à savoir les communautés de communes, les communautés d’agglomération, les communautés urbaines, sans parler des métropoles, et les régions.

Par ailleurs, nous sommes confrontés à la nécessité de réduire la dépense publique. Vous le savez bien, monsieur le ministre, puisque vous étiez auparavant ministre délégué au budget. Pour ce qui concerne les collectivités locales, cette réduction sera effective, même sans réforme, par la baisse des dotations de l’État, car les impôts, dont le poids est déjà insupportable, ne pourront pas être augmentés. Les élus locaux ne sont pas fous ! Par conséquent, les économies se feront de toute façon. D’autres pays ont d’ailleurs réformé ainsi. Bien sûr, pour certaines collectivités, notamment les départements, ce sera impossible, car leurs dépenses sont liées à l’aide sociale.

On nous promet qu’une rationalisation de la structure de nos collectivités locale pourrait engendrer des économies substantielles. Las, ces propos sont contredits par la plupart des grands cabinets d’experts en finances locales, d’autant que ces promesses mirifiques ne sont appuyées par aucune étude sérieuse, vous vous êtes d’ailleurs exprimé sur ce point, monsieur le ministre. Toutefois, compte tenu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les études d’impact, je ne vais pas m’étendre sur le sujet…

Je me permets néanmoins de faire observer, en m’appuyant sur l’excellent rapport annuel de M. Charles Guené au nom de l’Observatoire des finances locales – c’est une mine de renseignements –, que les administrations publiques locales sont responsables de seulement 21 % des dépenses totales des administrations publiques, mais de 71 % de leurs dépenses d’investissement, ce qui pose une vraie question pour l’avenir. Il ne faut donc pas tuer les administrations locales ; autrement, c’est l’investissement public qui disparaîtra.

Alors que la totalité des dépenses des collectivités locales atteint 196 milliards d’euros, 130 milliards d’euros sont dépensés par le bloc communal, 71 milliards d’euros par les départements et seulement 27,6 milliards d’euros par les régions. Ce constat permet de relativiser les enjeux de la réforme des régions et les économies attendues. On pourrait d’ailleurs se livrer au même raisonnement pour le personnel des collectivités locales. Actuellement, ce personnel représente 1 880 000 agents : 77 % dépendent des blocs communaux, 18,2 % des départements et 4,5 % des régions, ce qui représente tout de même 80 000 fonctionnaires.

M. René-Paul Savary. Ça va changer avec le transfert des routes départementales !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Tels sont les éléments que nous aurions attendus d’une étude d’impact, afin de bien appréhender les effets de la réforme.

Nous sommes aujourd’hui saisis d’un premier projet de loi, qui vise essentiellement à redéfinir la carte des régions et à reporter les élections cantonales et régionales, d’où sans doute l’urgence à en délibérer. Mais, comme l’ont noté tous les observateurs et tous nos collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, avec plus ou moins de discrétion, selon le degré de liberté qu’ils s’accordaient, le second projet de loi concernant les compétences, d’ailleurs délibéré au cours du même conseil des ministres, est tellement lié au premier que l’exercice auquel nous allons procéder est assez étrange.

La question est posée des grandes régions à taille européenne. Sur ce point, nous nous sommes aperçus, en auditionnant certains professeurs éminents, qu’il ne fallait pas pousser trop loin la comparaison.

M. Jean-Pierre Sueur. Tout à fait !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. En effet, un Land est chargé de missions qui sont chez nous celles de l’État. Cette organisation ne correspond donc absolument pas à notre régime juridique et politique.

M. Michel Delebarre, rapporteur. Bien sûr !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Ne nous référons donc pas sans cesse à ce critère d’une taille européenne !

Ces grandes régions ont-elles un sens si on ne définit pas les compétences stratégiques et exclusives qu’elles devront avoir ? Ne peut-on même s’interroger sur celles que l’État pourrait lui confier, notamment dans le domaine de l’emploi ? Elles seront en effet chargées de la formation professionnelle, domaine qui sera donc complètement coupé de celui de l’emploi. Pourquoi les régions ne seraient-elles pas capables d’assurer un certain nombre de missions dans ce domaine ? Voilà une vraie question !

Le Sénat réfléchit depuis longtemps à ces questions et peut s’appuyer sur les travaux des états généraux de la démocratie territoriale, qu’il ne faut pas oublier, n’est-ce pas, monsieur le président ? Il serait en effet trop facile de passer sous silence tout ce qui a été fait par le Sénat. Je pense aussi au travail de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, chère Jacqueline Gourault, ou au rapport de la mission d’information sur l’avenir de l’organisation décentralisée de la République, présidée par Jean-Pierre Raffarin, dont le rapporteur était Yves Krattinger, et auquel ont participé la plupart des membres de la commission spéciale. J’imagine que beaucoup s’en inspireront dans la suite du débat. On peut toutefois regretter que quelques-uns, qui n’ont sans doute pas lu le rapport jusqu’au bout, prétendent qu’il a inspiré les projets du Gouvernement. J’ai entendu certains membres du Gouvernement le dire !

La volonté d’une majorité du Sénat de permettre un débat plus serein et mieux préparé s’est, hélas ! heurtée à la ferme volonté du Gouvernement de nous faire délibérer dans des conditions que je qualifierais d’« acrobatiques », certains allant jusqu’à nous menacer, comme si nous étions des enfants, de nous priver de vacances.

M. Jean-Claude Lenoir. On n’en prend pas !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Certains ministres devraient réfléchir davantage avant de parler. Pour ma part, je suis totalement indifférent à cet argument, puisque je ne prends jamais de vacances.

Ainsi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer, conformément à la demande de la commission spéciale, qu’il y aura bien deux lectures de ce texte dans chaque assemblée, comme s’y est engagé le Premier ministre, ce qui permettra, même s’il n’est pas complet, un vrai dialogue entre l’Assemblée nationale et le Sénat ?

M. Philippe Dallier. Très bonne question !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Car il n’y a pas de vrai dialogue quand il n’y a pas de navette.

M. Philippe Kaltenbach. Il n’y a pas de dialogue s’il n’y a pas de débat !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Monsieur Kaltenbach, je me permets de vous le dire, l’opposition est capable de faire des efforts. La loi MAPAM en est un exemple récent.

M. Philippe Dallier. Exactement !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Sans nous, vous n’auriez pas obtenu la majorité au Sénat. Et cela a pu se faire en deuxième lecture !

M. Jean-Pierre Sueur. C’est vrai !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. Je dois saluer les efforts du rapporteur, …

M. Didier Guillaume. Excellent rapporteur !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission spéciale. … qui avait d’ailleurs anticipé la constitution d’une commission spéciale, pour augmenter le nombre de ses auditions et consulter un maximum de personnalités ou d’organismes. Je regrette qu’on n’ait pas pu en tirer profit, tout comme de cette table ronde extraordinaire, extrêmement enrichissante, qui a réuni huit géographes, démographes et sociologues.

Il est dommage qu’on nous impose des débats trop brefs. La preuve, la lecture récente d’un quotidien du soir nous a permis de connaître l’avis d’une éminence en la matière, celui de M. Le Roy Ladurie, qui estime que la carte territoriale prévue est bonne. Reste que je ne suis pas totalement de son avis… (Sourires.)

Quoi qu’il en soit, même si la commission spéciale n’a pas été en mesure d’adopter un texte, elle est néanmoins parvenue à délibérer, comme l’a rappelé le rapporteur, sur une nouvelle carte des régions, qui a au moins pour vertu d’écarter certains regroupements surprenants du projet gouvernemental. Un consensus a également été trouvé, qu’on le veuille ou non, sur la possibilité de faire évoluer l’appartenance de tel ou tel département à une région, sans toutefois en ouvrir la faculté immédiate.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Sénat est bien conscient de l’importance de la réforme qui est engagée. Il aura toujours le souci de la proximité, qui est nécessaire, et de la qualité des services publics locaux, une recentralisation rampante amenant à une dévitalisation accrue des territoires les plus fragiles, qu’ils soient ruraux ou périurbains.

Saurons-nous nous référer au principe de subsidiarité, qui devrait aussi concerner les missions de l’État ? Nous pourrions également nous inspirer de Pascal, qui préférait l’esprit de finesse à l’esprit de géométrie, trop rigide. Le problème est qu’on ne peut isoler l’élaboration de la carte des autres éléments de la réforme. Le Sénat est capable – la loi MAPAM en est un exemple – de trouver un consensus, mais veut avoir toutes les cartes, et non une seule, sur la table. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – M. le rapporteur et M. Jacques Mézard applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme la présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.

Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis sa création en 2009, la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation – je remercie d’ailleurs Jean-Jacques Hyest d’avoir souligné son rôle –, sous des présidences diverses, mes prédécesseurs étant MM. Alain Lambert et Claude Belot, a réalisé un travail constructif sur le fond, avec des propositions détaillées et concrètes, une « boîte à outils » permettant au Sénat de trouver des pistes de rénovation de la vie publique locale, toujours dans un esprit d’innovation et de prospective et dans un climat où les appartenances politiques sont, à mon sens, moins perceptibles que les volontés très réformatrices de la grande majorité de ses membres.

Ces trois dernières années, plusieurs dizaines de rapports ont été réalisés avec le souci constant de nourrir les débats parlementaires. D’ailleurs, un rapport de synthèse, qu’Edmond Hervé et moi-même avions rédigé, rendant compte d’un certain nombre de propositions sur l’organisation et les compétences des collectivités territoriales, a été publié en 2013.

À la lecture de ces rapports de la délégation, auxquels il faut ajouter ceux qui y sont extérieurs – monsieur le ministre, je ne remonterai pas au rapport de M. Balladur puisque vous faisiez partie du comité du même nom mais il y a eu plus récemment les rapports Raffarin-Krattinger et Lambert-Malvy, par exemple –, je suis frappée, comme l’a d'ailleurs déjà dit Jean-Jacques Hyest, par la permanence de certaines propositions. Je vais citer quelques-unes de ces idées – non par ordre d’importance, je le précise, afin d’éviter que ne s’élèvent peut-être certaines voix.

Se retrouvent ainsi en permanence dans tous les rapports : le renforcement du rôle des régions ainsi que la proposition de leur redécoupage ; l’achèvement et l’évolution de l’intercommunalité ; la clarification des compétences entre l’État et les collectivités et entre les collectivités elles-mêmes ; l’organisation des territoires urbains ; la nécessaire réorganisation des départements liée au succès et à l’évolution de l’intercommunalité ; les communes nouvelles ; la reconnaissance de la diversité des territoires dans l’unité de la République ; la nécessité d’une réforme des ressources fiscales liée à la réforme des compétences.

Je me permets de souligner que certaines de ces propositions figurent déjà dans la loi. L’achèvement et l’évolution de l’intercommunalité, c’est la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010. L’organisation des territoires urbains – les métropoles –, c’est la réforme des collectivités territoriales de 2010 plus la loi MAPAM, qui a complété et organisé le dispositif. Les communes nouvelles, c’est encore la loi de réforme des collectivités territoriales de 2010 qui en a posé le principe ; il existe même une proposition de loi du président de l’Association des maires de France, Jacques Pélissard, visant à l’alimenter encore.

Je pourrais continuer, mais, vous le voyez bien, il y a une construction progressive de la réforme qui correspond à la nécessaire adaptation d’une société et de territoires qui évoluent. Tous les historiens, les démographes, les géographes de diverses écoles et universités que nous avons reçus nous ont montré la même chose : la période dans laquelle nous vivons avec internet, avec des populations qui se déplacent sans cesse entre leur travail – quand elles en ont un –, leur lieu de résidence, de loisirs, est celle d’un monde ouvert et interdépendant ; nous ne pouvons plus rester sur une vision largement héritée de la Révolution, voire encore plus ancienne : communes, départements, État. Les choses ont changé !

Je rappelle aussi que nous vivons dans un pays en crise économique et que nous devons tous être solidaires si nous voulons favoriser le redressement de notre pays.

Tout cela m’amène à penser – je sais que nous sommes nombreux à partager cette pensée – que la réforme est absolument nécessaire. Mais quelle méthode devons-nous adopter ?

Nous avons réfléchi et tenu compte des réactions de ceux qui nous ont dit que nous aurions dû commencer par les compétences, les moyens et les cadres ne venant qu’après.

M. Jean-Claude Lenoir. C’est ce que nous demandons !

Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Je suis tout à fait d’accord, car c’est exactement ce que j’ai dit en 2009 et en 2010.

M. Philippe Kaltenbach. À l’époque, vous étiez plus discrète !

Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Je rappellerai à ceux qui auraient la mémoire courte que, au moment de la réforme de la taxe professionnelle, les ressources des collectivités territoriales ont été réparties entre le bloc communal, le département et la région, si ce n’est à la manière de marchands de tapis,...

Un sénateur du groupe socialiste. Pas loin !

Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. … tout au moins sans avoir aucunement clarifié la question des compétences. J’avais dénoncé le procédé à l’époque, tout comme mon collègue Jean-Léonce Dupont, qui siège sur les mêmes travées que moi. Il m’est donc d’autant plus facile de le dénoncer aujourd’hui.

Si nous avions pu connaître les compétences, puis les moyens fiscaux et les cadres, cela aurait été beaucoup mieux.

M. Gérard Longuet. On met la charrue devant les bœufs !

Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Je suis d’accord avec vous, et ce n’est pas la première fois qu’on se trouve dans cette situation.

M. Philippe Bas. Ce n’est pas une raison pour continuer !

Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Absolument !

Le Gouvernement nous propose une carte des régions qui ne satisfait pas tout le monde, moi la première. Comment peut-on faire une bonne carte ? Quels sont les critères d’appréciation pour définir la bonne taille et la cohérence des régions ?

Comme Jean-Jacques Hyest, je pense que la taille n’a aucune importance. Je crois plutôt à la dynamique territoriale, à l’identité, au bassin de vie, à l’histoire, aux déplacements.

Certains ont dit que cette carte avait été dessinée sur un coin de table. Je ne sais si la table était ronde, ovale ou carrée mais, en tout cas, elle devait être un peu bancale, car il y a vraiment des régions qui me surprennent. C’est la raison pour laquelle, le rapporteur l’a dit, nous avons, en commission spéciale, présenté des amendements visant à créer une autre carte.

Au-delà de la méthode que je viens de définir, je veux dire une vérité que peu de gens osent exprimer : vouloir faire passer une telle réforme à un moment où la moitié des sièges de sénateurs sont renouvelables n’est peut-être pas totalement judicieux.

M. Gérard Longuet. Ça, c’est sûr !

Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Certains de nos collègues sont stressés, voire angoissés par le renouvellement, ce qui ne les incite pas à être des réformateurs à tous crins. Après les élections sénatoriales, cela aurait été peut-être plus facile.

M. Didier Guillaume. Très bonne remarque !

Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Je suis de ceux qui pensent, en dépit de mes propos précédents, que le Sénat doit imprimer sa marque à la discussion législative. C'est la raison pour laquelle j’ai voté contre la motion référendaire. Le rôle de représentant des collectivités territoriales qu’attribue l’article 24 de la Constitution au Sénat rendrait incompréhensible son retrait du débat.

M. Philippe Kaltenbach. Tout à fait !

Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Le Gouvernement nous assure qu’il y aura deux lectures de ce texte. Pour autant, décidons dès maintenant : ce qui aura été fait en première lecture ne sera plus à faire ! D'ailleurs, même si la commission spéciale n’a pas adopté de texte, Jean-Jacques Hyest a presque tenu le même raisonnement.

Si l’on peut adopter en première lecture une autre carte, j’en serais très heureuse, car, encore une fois, l’expérience parlementaire montre que ce qui est fait est fait. Discuter signifie non pas signer un chèque en blanc, mais légiférer – c’est la raison pour laquelle nous avons été élus –, qu’on soit pour, qu’on soit contre ou qu’on s’abstienne, en toute connaissance de cause.

Mes chers collègues, malgré ses imperfections, en dépit de la méthode utilisée, qui n’est pas satisfaisante, ce texte existe. J’aime beaucoup mes camarades députés,…

M. Jean-Claude Lenoir. C’est réciproque ! (Sourires.)

Mme Jacqueline Gourault, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. … mais je préfère que le Sénat leur remette une feuille de route plutôt qu’une feuille blanche. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette réforme territoriale relève d’un bon diagnostic mais d’une mauvaise solution.

Lors de son discours d’investiture du 8 avril 2014, le Premier ministre, Manuel Valls, a annoncé une vaste réforme de l’organisation territoriale de la France avec, à terme, un regroupement des régions et la suppression des départements.

Le diagnostic est bon, car le millefeuille territorial repose sur des structures dont la configuration n’a pas suivi les évolutions de la société. En revanche, la solution n’est pas pertinente. Plus précisément, le projet de réforme territoriale tel qu’il a été annoncé le 2 juin dernier par le Président Hollande relève du bricolage et du cafouillage : bricolage, car les choix ont été improvisés sans réflexion d’ensemble ; cafouillage, car, d’un jour à l’autre, le Président dit tout et son contraire. Il n’est donc pas surprenant que les protestations se multiplient, aussi bien à l’encontre des futures institutions locales que de la nouvelle carte des régions.

Le premier reproche qui peut être formulé porte sur l’absence de proximité des institutions avec le terrain.

Les nouvelles institutions s’organiseraient sur deux niveaux : de grandes régions entraînant la suppression des départements et de grandes intercommunalités ayant vocation à absorber les communes. C’est un non-sens total, car, dans l’exercice de leurs compétences, ces deux niveaux n’auraient plus aucune proximité avec le terrain.

Si l’on crée de grandes régions, il est alors indispensable de conserver un échelon de proximité, c’est-à-dire les départements. Si, au contraire, on supprime les départements, il faut alors que les régions ne soient pas trop étendues et correspondent, au plus, au statu quo actuel.

De même, les communes, notamment en zone rurale, assument des fonctions indispensables pour la vie au quotidien. Leur absorption par des intercommunalités de taille démesurée serait une fausse bonne idée. Si l’on s’obstinait dans cette voie, le bon sens serait au moins de préserver un minimum de proximité avec des intercommunalités n’ayant précisément pas une taille excessive.

C’est tout le contraire de ce que proposent le Président de la République et le Gouvernement, lesquels réclament un minimum de 20 000 habitants pour chaque intercommunalité, ce qui, dans certaines zones rurales, conduirait à des périmètres de plus de quarante à cinquante kilomètres.

Telle est la première remarque je voulais faire, qui a trait à la proximité.

Ma seconde remarque sera pour souligner l’importance des départements, pas obligatoirement au regard de leur découpage actuel, mais, en tout état de cause, en tant qu’échelon du millefeuille. En effet, les départements assurent des compétences de proximité – routes départementales, aide sociale, etc. – qui ne pourront pas être gérées correctement dans le cadre de nouvelles grandes régions ayant une étendue tentaculaire. À l’évidence, si l’on crée de très grandes régions, il faut donc, parallèlement, maintenir des structures à caractère départemental. Cela ne justifie pas pour autant un statu quo des départements. Ceux-ci ont été découpés en 1790 à une époque où les moyens de déplacement et de communication étaient rudimentaires.

Comme le préconisait Michel Debré en 1947 dans son livre La Mort de l’État républicain, une cinquantaine de grands départements suffirait pour remplacer la centaine actuelle. Pour réduire le millefeuille territorial, on peut en effet soit supprimer une couche, soit réduire le nombre de collectivités à l’intérieur de chaque couche. Si l’on augmente la taille des régions, on peut très bien conserver la taille des départements en en réduisant le nombre.

Une réforme réaliste du millefeuille territorial passerait par la création d’une dizaine de grandes régions subdivisées en une cinquantaine de départements. On parviendrait ainsi à réduire de moitié le nombre total de collectivités concernées. Toutefois, une opération de ce type doit aussi tenir compte des spécificités locales. Pour cela, lorsqu’une région de taille modeste a une identité forte, il faudrait la conserver, mais en fusionnant alors la région et les départements concernés.

Pour ce qui est de la carte des découpages, je voudrais évoquer la situation de l’est de la France.

Le projet initial de redécoupage des régions dans le nord et l’est de la France était globalement pertinent. Il créait deux régions, l’une réunissant la Picardie et le Nord-Pas-de-Calais, l’autre l’Alsace, la Lorraine et la Champagne-Ardenne. Cette configuration géographique très compacte aurait donné une bonne cohérence administrative aux territoires situés entre la région parisienne et les frontières. Du point de vue de l’aménagement du territoire et des infrastructures, les complémentarités étaient évidentes. Au Nord, on trouve l’autoroute A1, le TGV-Nord, le tunnel sous la Manche ; dans l’Est, les autoroutes A4 et A31, ainsi que le TGV-Est.