compte rendu intégral

Présidence de Mme Christiane Demontès

vice-présidente

Secrétaires :

M. Marc Daunis,

M. François Fortassin.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Communication relative à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

3

Candidature à un organisme extraparlementaire

Mme la présidente. Je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger au sein de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations.

La commission des finances a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. Vincent Delahaye pour siéger au sein de cet organisme.

Cette candidature a été publiée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

4

 
Dossier législatif : projet de loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes
Discussion générale (suite)

Égalité réelle entre les femmes et les hommes

Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes (texte de la commission n° 761, rapport n° 760).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la rapporteur.

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes
Article 1er

Mme Virginie Klès, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mesdames les sénatrices, monsieur le sénateur, je pense que vous ne m’en voudrez pas si je commence par un bref exposé historique. Sans remonter jusqu’à la Préhistoire, mais tout de même jusqu’au milieu du XVIe siècle, dans le désordre et sans entrer dans le détail, j’émaillerai mon propos d’anecdotes ou de faits qui me semblent particulièrement importants ou, en tout cas, éclairants par rapport au texte élaboré par la commission mixte paritaire que nous examinons aujourd’hui.

Je commencerai par l’évocation de l’ordonnance du 21 avril 1944, maintes fois citée, donnant le droit de vote aux femmes. On oublie souvent que cette ordonnance accordait également le droit de vote aux militaires qui, à l’époque, étaient considérés, à l’instar des femmes, comme n’ayant pas suffisamment d’esprit critique pour avoir le droit de voter. (Sourires.)

Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts. Dans les années soixante, les manuels scolaires florissaient. Je me propose de vous lire quelques extraits de l’un d’eux, publié en 1960, choisi pas tout à fait au hasard, et portant sur l’économie domestique pour les femmes. Ces extraits me paraissent intéressants pour mesurer l’évolution entre 1944 et 1960.

« Faites en sorte que le souper soit prêt.

« Préparez les choses à l’avance, le soir précédent s’il le faut, afin qu’un délicieux repas l’attende à son retour du travail. C’est une façon de lui faire savoir que vous avez pensé à lui et vous souciez de ses besoins. La plupart des hommes ont faim lorsqu’ils rentrent à la maison et la perspective d’un bon repas (particulièrement leur plat favori) fait partie de la nécessaire chaleur d’un accueil.

« Soyez prête.

« Prenez quinze minutes pour vous reposer afin d’être détendue lorsqu’il rentre. Retouchez votre maquillage, mettez un ruban dans vos cheveux et soyez fraîche et avenante. Il a passé la journée en compagnie de gens surchargés de soucis et de travail. Soyez enjouée et un peu plus intéressante que ces derniers. Sa dure journée a besoin d’être égayée et c’est un de vos devoirs de faire en sorte qu’elle le soit.

« Pendant les mois les plus froids de l’année.

« Il vous faudra préparer et allumer le feu dans la cheminée, auprès duquel il puisse se détendre. Votre mari aura le sentiment d’avoir atteint un havre de repos et d’ordre et cela vous rendra également heureuse. En définitive, veiller à son confort vous procurera une immense satisfaction personnelle.

« Réduisez tous les bruits au minimum.

« Au moment de son arrivée, éliminez tout bruit de machine à laver, séchoir à linge ou aspirateur. Essayez d’encourager les enfants à être calmes. Soyez heureuse de le voir. Accueillez-le avec un chaleureux sourire et montrez de la sincérité dans votre désir de lui plaire.

« Écoutez-le.

« Il se peut que vous ayez une douzaine de choses importantes à lui dire, mais son arrivée à la maison n’est pas le moment opportun. Laissez-le parler d’abord, souvenez-vous que ses sujets de conversation sont plus importants que les vôtres. Faites en sorte que la soirée lui appartienne.

« Ne vous plaignez jamais s’il rentre tard à la maison ou sort pour dîner ou pour aller dans d’autres lieux de divertissement sans vous. Au contraire, essayez de faire en sorte que votre foyer soit un havre de paix, d’ordre et de tranquillité où votre mari puisse détendre son corps et son esprit.

« Ne l’accueillez pas avec vos plaintes et vos problèmes.

« Ne vous plaignez pas s’il est en retard à la maison pour le souper ou même s’il reste dehors toute la nuit. Considérez cela comme mineur, comparé à ce qu’il a pu endurer pendant la journée. Installez-le confortablement. Proposez-lui de se détendre dans une chaise confortable ou d’aller s’étendre dans la chambre à coucher. Préparez-lui une boisson fraîche ou chaude. Arrangez l’oreiller et proposez-lui d’enlever ses souliers. Parlez d’une voix douce, apaisante et plaisante. Ne lui posez pas de questions sur ce qu’il a fait et ne remettez jamais en cause son jugement ou son intégrité. Souvenez-vous qu’il est le maître du foyer et qu’en tant que tel, il exercera toujours sa volonté avec justice et honnêteté.

« Lorsqu’il a fini de souper, débarrassez la table et faites rapidement la vaisselle.

« Si votre mari se propose de vous aider, déclinez son offre, car il risquerait de se sentir obligé de la répéter par la suite et après une longue journée de labeur, il n’a nul besoin de travail supplémentaire.

« Bien que l’hygiène féminine soit d’une grande importance, votre mari fatigué ne saurait faire la queue devant la salle de bain comme il aurait à le faire pour prendre son train. Cependant, assurez-vous d’être à votre meilleur avantage en allant vous coucher. Essayez d’avoir une apparence qui soit avenante sans être aguicheuse. Si vous devez vous appliquer de la crème pour le visage ou mettre des bigoudis, attendez son sommeil, car cela pourrait le choquer de s’endormir sur un tel spectacle. »

Je vous passe peut-être les détails sur : « Si votre mari vous suggère l’accouplement. » Vous retrouverez aisément ce texte sur internet. À moins que vous ne souhaitiez connaître la suite !

Plusieurs sénatrices et Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Oui ! (Sourires.)

Mme Virginie Klès, rapporteur. Alors, je poursuis : « Acceptez alors avec humilité tout en gardant à l’esprit que le plaisir d’un homme est plus important que celui d’une femme ; lorsqu’il atteint l’orgasme, un petit gémissement de votre part l’encouragera et sera tout à fait suffisant pour indiquer toute forme de plaisir que vous ayez pu avoir.

« Vous pouvez alors remonter le réveil afin d’être debout peu de temps avant lui le matin. Cela vous permettra de tenir sa tasse de thé du matin à sa disposition lorsqu’il se réveillera. »

L’année 1960 n’est pas si lointaine que cela ! Je suis née peu de temps après et je pense que des manuels scolaires de ce type ont continué à circuler pendant les quelques années qui ont suivi.

M. André Dulait. C’était très bien ! (Sourires.)

Mme Virginie Klès, rapporteur. Je pensais bien recueillir quelque approbation masculine dans l’assemblée !

M. Claude Dilain. Pas de toute l’assemblée !

Mme Virginie Klès, rapporteur. Depuis, malgré tout, les choses ont un peu évolué, et l’on s’interroge aujourd’hui notamment sur le rôle de la première dame. Notez que l’on ne s’est encore jamais interrogé sur le rôle d’un éventuel premier monsieur…

Mais y a-t-il vraiment un rôle à tenir pour une première dame ou un premier monsieur en France, sachant que la loi n’y fait explicitement mention que pour les courriers des détenus qui, lorsqu’ils sont adressés à l’épouse du Président de la République, ne peuvent être ouverts ? C’est la seule référence, dans notre arsenal de textes, à l’époux ou à l’épouse du Président de la République.

Nous sommes en 2014, mais il n’est pas rare que des jeunes femmes choisissent un plan de carrière moins intéressant qui ne les oblige pas, par exemple, à déménager tous les deux ou trois ans pour que leurs maris n’aient pas à les suivre. J’ai encore eu le cas, très récemment, dans mon entourage.

Heureusement, je pourrais également citer des exemples ou des anecdotes qui attestent du contraire. Voilà déjà une vingtaine ou une trentaine d’années, j’ai rencontré une femme praticien hospitalier dont le mari, moniteur d’auto-école, avait pris, à la stupéfaction générale, un congé parental pour garder leurs trois enfants. Je vous laisserai leurs coordonnées, madame la ministre, si vous vouliez leur montrer votre nouvelle loi !

Je connais aussi des administrateurs du Sénat qui font quelquefois des allers et retours entre leur lieu de travail et leur domicile pour garder leurs enfants tout en se débrouillant pour faire leur travail en temps et en heure, quitte à déborder sur leurs congés ou sur la nuit. Donc, malgré tout, on avance !

Et que dire des « princes consorts », du mari ou du conjoint de madame ! À cet égard, j’ai récemment entendu parler de l’époux d’une préfète, à qui il a gentiment été proposé de suivre une formation destinée aux épouses de préfets.

Mme Anne-Marie Escoffier. Mon mari a connu cela.

Mme Virginie Klès, rapporteur. Le programme était extrêmement intéressant – apprendre à réaliser des plans de table, à recevoir, connaître les règles du protocole, etc. –, mais à aucun moment il n’était envisagé que la personne en question puisse travailler ! Quoi qu’il en soit, c’est aujourd'hui un traitement qui est réservé aussi bien aux époux qu’aux épouses, ce que nous pouvons considérer comme un pas en avant ! Après tout, après l’égalité « réelle », ce sera peut-être l’égalité « supérieure » de demain…

Au milieu du XVIe siècle, Montaigne, très en avance sur son temps – il aurait sans doute été heureux d’être présent aujourd'hui –, écrivait : « Les femmes ont raison de se rebeller contre les lois parce que nous les avons faites sans elles. » Heureusement, quelques hommes nous ont rejoints depuis le début de la séance ; sinon, je vous aurais dit : ne faisons pas non plus les lois sans les hommes, ou alors considérons qu’ils nous font tellement confiance que nous pouvons les faire sans eux et élaborer malgré tout un très beau texte !

J’en viens plus sérieusement aux conclusions de la commission mixte paritaire, qui a abouti à un texte commun. Il restait une trentaine d’articles en discussion, en plus de l’intitulé du projet de loi.

Sur un certain nombre d’articles, les différences, que je ne vais pas détailler, entre nos deux assemblées, étaient essentiellement de forme ou portaient sur des questions de dates ou de références juridiques. Ne restaient, après ces ultimes modifications rédactionnelles, que dix-huit points nécessitant une discussion de fond et sur lesquels nous sommes parvenus à un accord.

À l’article 2 bis B, relatif à l’opportunité de permettre aux futurs pères de bénéficier de trois autorisations d’absence pour se rendre aux examens prénataux de leur compagne, nous nous sommes ralliés à la position de l’Assemblée nationale. Si nous ne sommes pas totalement convaincus que cette mesure permettra à tous les pères de s’investir très en amont dans la venue d’un enfant dans le foyer, elle permettra en tout cas à certains d’entre eux de le faire plus facilement. Il s’agit donc d’une bonne mesure, et c’est pourquoi le Sénat s’est rallié à la position de l’Assemblée nationale.

L’article 2 bis D, qui fixe à la Banque publique d’investissement un objectif d’encouragement de l’entrepreneuriat féminin, ne posait aucun problème de fond. Nous sommes simplement convenus d’une modification rédactionnelle afin de simplifier les mesures proposées.

Nous avons beaucoup discuté, en commission des lois, de l’article visant à remplacer l’expression « bon père de famille » par le terme « raisonnable ». Le Sénat avait préféré ceux de « prudent et diligent », sur la proposition de notre collègue Esther Benbassa. Nous nous sommes finalement ralliés à la position de l’Assemblée nationale, qui préférait le terme « raisonnable », suffisamment parlant et juridiquement éprouvé.

S’agissant de la question du versement de la pension alimentaire, nos collègues députés tenaient beaucoup à ce que la notion de virement bancaire apparaisse dans le texte de loi. Selon eux, il arrive régulièrement qu’après une séparation, l’ex-conjoint se montre récalcitrant à verser de façon régulière la pension alimentaire et prenne un malin plaisir à faire en sorte que son ex-épouse ou son ex-compagne la lui réclame plusieurs fois pour l’obtenir.

Or le virement bancaire, déjà autorisé de fait sans être explicitement cité dans la législation, n’était, semble-t-il, pas suffisamment utilisé par les juges qui fixent les conventions. Devant l’insistance de nos collègues, nous avons introduit le terme « virement bancaire » dans la loi. Nous avons toutefois tenu à ajouter « ou tout ordre de paiement », dans la mesure où tout le monde ne dispose pas d’un compte bancaire.

En effet, au moment de la séparation, les comptes ne sont pas toujours disjoints ou une personne peut se trouver en situation d’interdit bancaire et, donc, dans l’impossibilité de recevoir un virement bancaire. L’objectif de nos collègues de l’Assemblée nationale est ainsi atteint – on pensera peut-être plus souvent au virement bancaire –, tout en laissant au juge la possibilité de recourir à d’autres modes de paiement.

Nous nous sommes également ralliés à la version de l’Assemblée nationale pour les procédures de récusation en matière de procédure disciplinaire universitaire. Ce point ne posait pas de souci majeur.

À l’article 17, le désaccord entre nos deux assemblées portait sur l’ajout, par un amendement de Mme Tasca, d’une disposition relative à la diffusion sur internet d’images de violences aux personnes.

Si nous nous sommes rendus aux arguments de nos collègues députés, je voudrais néanmoins attirer l’attention du Gouvernement sur ce sujet important. Dans son amendement, Mme Tasca visait les images violentes captées par les adolescents avec leurs téléphones portables. Les jeunes sont malheureusement de plus en plus incités à filmer le moindre événement quelque peu inhabituel dont ils peuvent être témoins pour le diffuser sur internet. Cela ne vise pas les cas où ce genre de scènes est volontairement montré sur internet – je pense notamment au harcèlement.

Un tel comportement n’est pas excusable et ne peut être encouragé. En proposant de faire bloquer par les fournisseurs d’accès à internet les sites concernés, l’objectif de Mme Tasca était d’envoyer un signal aux jeunes, qui sont coutumiers du fait, et d’affirmer très clairement qu’il s’agit d’une pratique interdite et dangereuse.

Or nos collègues de l’Assemblée nationale nous ont fait remarquer, à juste titre, que les fournisseurs d’accès à internet n’ont pas les moyens juridiques de vérifier la réalité des images en question. Une scène de violence peut être feinte ou simulée, n’être qu’une comédie ou une farce, certes de mauvais goût, mais une farce tout de même.

Dans la mesure où la responsabilité pénale des fournisseurs d’accès à internet peut être engagée en cas de blocage d’un site, nous nous sommes rendus aux arguments de nos collègues députés et avons accepté de supprimer cette disposition.

Reste qu’une articulation est à trouver entre la responsabilité des fournisseurs d’accès à internet en cas de diffusion de telles images, les moyens mis à leur disposition pour vérifier l’origine des images et le blocage des sites concernés. Est-ce à eux d’agir ou à l’autorité judiciaire ? En l’état du débat, je l’ignore. Je crois savoir que des amendements en ce sens ont été déposés à l’Assemblée nationale dans le cadre de l’examen du projet de loi sur le terrorisme. Il s’agit d’un enjeu d’éducation, même si nous reconnaissons que ce n’était sans doute pas le bon texte ni le bon moment pour l’aborder.

S’agissant de l’utilisation du nom de famille dans les relations des usagers avec l’administration, les règles existent déjà ; je ne vais pas en retracer l’historique. Elles sont cependant peu connues, mal connues, méconnues, voire parfois foulées aux pieds. Laissez-moi vous faire encore part d’une anecdote : une personne m’a raconté qu’à l’occasion d’un renouvellement de chéquier, le nom de son épouse avait tout simplement disparu et que les chèques ne portaient plus que son nom à lui !

Ces dispositions étant manifestement méconnues, les réécrire clairement dans la loi n’est pas une mauvaise chose, même si, initialement, nous n’y étions pas favorables. Je reçois encore des papiers de la sécurité sociale au nom de mon ex-mari, alors même que je n’ai jamais utilisé son nom dans la vie courante. Sans doute faut-il réaffirmer les choses…

Sur l’objectif de parité pour les membres de l’Institut et de chacune des académies, le Sénat s’est rallié, là aussi, à la position de l’Assemblée nationale.

En revanche, les députés ont suivi notre position sur un certain nombre d’autres points, et notamment sur l’article 18 bis, qui posait un objectif de parité à la tête des exécutifs locaux. Autrement dit, si le maire était un homme, le premier adjoint devait être une femme, et vice-versa.

Selon nous, cette disposition posait un problème de constitutionnalité, car ces deux élections ne doivent, a priori, pas être liées. Or à partir du moment où le sexe du premier adjoint ou du premier vice-président était dépendant du résultat de la première élection, le principe d’égalité totale des candidatures était rompu. La mort dans l’âme, nos collègues députés se sont donc ralliés à notre position !

Toujours en matière d’élection, nous ne comprenions pas pour quelle raison la date d’entrée en vigueur des dispositions clarifiant les règles de remplacement des conseillers communautaires était fixée au 1er janvier 2015, alors qu’il s’agit d’une mesure très attendue sur le terrain. Nous avons simplifié quelque peu les choses pour faire en sorte qu’une femme puisse parfois remplacer un homme parmi les conseillers communautaires démissionnaires, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Là encore, l’Assemblée nationale s’est ralliée à nos arguments.

Concernant l’instauration de la parité dans les conseils d’administration des établissements publics locaux, nous y sommes tous favorables sur le principe et sur le fond. Toutefois, dans la pratique, cela est aujourd’hui impossible. Ces conseils d’administration, ce sont, par exemple, ceux des caisses des écoles, des centres communaux et intercommunaux d’action sociale, des collèges et des lycées.

Or instaurer la parité « de force » dans ces établissements ne serait pas forcément possible pour les toutes petites communes, dont les conseils municipaux eux-mêmes ne sont pas paritaires. De plus, les instances de nomination à ces postes ne sont pas identiques. Il n’est donc pas possible, aujourd’hui, d’avancer de manière brutale sur ce sujet.

À l’article 20 ter, nos collègues de l’Assemblée nationale souhaitaient instaurer un principe de nullité des nominations aux emplois d’encadrement de la fonction publique intervenues en violation de l’obligation de parité. Là encore, sur le principe, nous avions envie de suivre les députés. Toutefois, cette disposition risquait de poser d’énormes problèmes constitutionnels.

Si l’Assemblée nationale n’a pas tenu compte de ces arguments, elle a, en revanche, pris conscience des problèmes concrets et pratiques qui risquaient de se poser et notamment d’un effet domino : certaines personnes risquaient de devoir revenir à un traitement inférieur pour des raisons leur échappant totalement, les nullités de nomination n’intervenant qu’une fois par an. Face à ces difficultés, les députés ont accepté de se rallier à notre position, à l’exception des cas où l’obligation de parité ne posait aucun souci.

Nous sommes parvenus à un compromis sur l’article 23, très technique : le Gouvernement pourra légiférer par ordonnance pour instaurer la parité au sein des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, autorité par autorité. En revanche, une disposition balai est maintenue pour l’ensemble des instances consultatives collégiales. Cela nous permettra également d’avancer sur le sujet.

Mme la présidente. Veuillez conclure, madame la rapporteur.

Mme Virginie Klès, rapporteur. J’en ai presque terminé, madame la présidente.

S’agissant de l’article 7 et de l’ordonnance de protection, un désaccord subsistait entre nos deux assemblées sur la possibilité pour les femmes victimes de violences et protégées par une ordonnance de protection de dissimuler leur domicile en élisant domicile chez une personne morale qualifiée, autrement dit dans une association.

Nous avons, au Sénat, des réticences sur le sujet. Ces femmes ayant déjà la possibilité de dissimuler leur domicile, nous craignons que cette disposition ne les place davantage en danger en les mettant de nouveau en évidence. Toutefois, nos collègues de l’Assemblée nationale estiment que cette solution permettra d’avancer sur le sujet. Dans la mesure où il ne s’agit que d’une possibilité et non d’une obligation, nous nous sommes ralliés à leur position.

Nous avons fait de même concernant l’obligation de parité dans les conseils d’administration ou de surveillance des sociétés anonymes cotées en l’avançant à 2017 au lieu de 2020 et en l’étendant, pour les non cotées, aux entreprises de 250 à 499 salariés.

Reste le titre… J’ai fait allusion au début de mon propos à une égalité « supérieure » au lieu d’une égalité « réelle ». Nos collègues de l’Assemblée nationale tenaient à faire figurer le terme « réelle » dans l’intitulé afin de bien souligner que les choses allaient enfin bouger, progresser. Nous, au Sénat, nous tenions plutôt à « l’égalité », qui évoque notre devise républicaine : « Liberté, Égalité, Fraternité ». Sur ce sujet, le président Sueur se fera sans doute un plaisir de vous donner un argumentaire beaucoup plus détaillé.

M. Jean-Pierre Sueur, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Si vous m’y invitez ! (Sourires.)

Mme Virginie Klès, rapporteur. En tout état de cause, avec ou sans hommes, voilà une très belle loi ! Je vous en remercie, madame la ministre, et je vous invite, mes chers collègues, à voter le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste, du RDSE et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre des droits des femmes, de la ville, de la jeunesse et des sports. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteur, madame la présidente de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, mesdames, messieurs les sénateurs, nous arrivons au terme d’un travail qui est véritablement à l’honneur du Parlement.

Je le dis en pesant chaque mot, avec beaucoup de simplicité, d’humilité et, en même temps, de reconnaissance. Vous avez été les avant-gardes, les têtes de pont, les premières lignes du combat pour les droits des femmes. J’en ai été témoin, ici même, au mois de juillet 2012, lorsque nous discutions du projet de loi relatif au harcèlement sexuel.

Ce projet de loi-cadre, c’est une première ; j’espère également que c’est un commencement. Nous l’avons préparé ensemble avec un regard neuf, une approche totalement intégrée des politiques d’égalité et une philosophie de l’action qui, je crois, répond bien aux défis de notre temps : le défi de droits qui s’appliquent et de lois sur l’égalité qui sont respectées, mais aussi le défi du changement des mentalités, d’un partage nouveau des responsabilités parentales, d’une exigence de parité enfin pleinement effective.

Je vous avais demandé, au début de l’examen de ce texte, d’affirmer avec moi – ce que vous avez fait – l’ambition de réaliser l’égalité réelle. En sachant combien cet objectif est attendu notamment par nos concitoyennes, le titre finalement retenu pour ce texte par votre commission mixte paritaire prend tout son sens.

Ce projet de loi, c’est l’affaire de tous : non seulement parce que nous y avons contribué tous ensemble, mais au-delà, parce que Parlement, Gouvernement, collectivités locales, entreprises, citoyens, nous en serons tous les garants et les acteurs, chacun dans nos responsabilités.

Le Parlement et chacun des groupes de vos assemblées ont apporté à ce projet de loi une contribution extrêmement précieuse, dans l’esprit d’une coconstruction législative qui est plutôt de tradition sur les textes relatifs aux droits des femmes et que vous allez – je l’espère ! – concrétiser de nouveau tout à l’heure par vos votes.

Je veux évidemment, à cet instant, saluer l’excellent travail de la rapporteur, Virginie Klès, et les contributions des rapporteurs des commissions saisies pour avis, Michèle Meunier et Maryvonne Blondin. Je tiens à vous dire à toutes les trois que c’est sous votre impulsion – j’en ai pleinement conscience – que nous avons pu faire avancer ce texte et aborder des questions nouvelles. Votre travail de fond a apporté une grande sérénité à nos débats.

Je le disais, l’égalité est l’affaire de tous. Tous les ministères sont, bien évidemment, concernés par ce texte qui matérialise l’approche interministérielle dont j’ai fait un automatisme depuis que j’ai pris mes fonctions de ministre en 2012. Cette approche est, je le pense, la condition de la réussite et d’un changement qui investisse toutes les politiques publiques et tous les secteurs de la société.

Avec ce projet de loi, c’est une conception nouvelle que nous affirmons : la politique de l’égalité est un ensemble cohérent qui doit combattre, en même temps et dans un même mouvement, toutes les inégalités, d’où qu’elles viennent et quels que soient leurs modes d’expression, les violences, la précarité des familles monoparentales ou encore la persistance des inégalités entre les femmes et les hommes dans le milieu professionnel comme dans la sphère personnelle.

Ce texte forme in fine une belle loi. Tout au long de nos débats, nous avons veillé à ce qu’il en soit ainsi. J’en suis très heureuse, nous y sommes arrivés ! Nous avons été attentifs à ne pas le surcharger de dispositions bavardes et à la concentrer sur l’essentiel, sur ce qui crée de la norme et donnera des outils véritablement nouveaux pour gagner en efficacité et en effectivité.

Cette loi, vous l’avez faite avec nous pour qu’elle soit un puissant coup d’accélérateur au mouvement pour l’égalité. Vous l’avez faite aussi pour modifier très concrètement la vie de nos concitoyennes et de nos concitoyens dans tous les domaines. Je m’investirai totalement pour qu’elle soit rapidement appliquée. Nous publierons, je m’y engage, l’ensemble des textes d’application de la loi avant la fin du mois de novembre.

Avec la réforme du congé parental, nous mettons en place une logique nouvelle des prestations sociales, qui doivent désormais être conçues dès le départ avec un réflexe d’égalité entre les femmes et les hommes.

Avec la réforme de la négociation en matière d’égalité professionnelle et l’introduction de cette mesure essentielle qu’est l’interdiction d’accès à la commande publique pour les entreprises qui ne jouent pas le jeu de l’égalité professionnelle, nous allons donner plus d’ampleur aux changements introduits depuis deux ans dans ce domaine. Tout le monde le sait désormais, il n’y a plus d’impunité pour ceux qui ne respectent pas leurs obligations en matière d’égalité professionnelle.

C’est un changement de fond qui se joue là, sur lequel les collectivités publiques sont désormais responsabilisées, et que nous poursuivrons en visant trois objectifs : faire respecter la norme votée par le Parlement ; dialoguer avec les partenaires sociaux pour aller plus loin ; et accompagner les entreprises, comme nous l’avons notamment fait dans ces neuf régions d’excellence que nous avions identifiées il y a deux ans. Nous y avons mené un important travail de formation auprès de quelque 8 000 entreprises, pour l’essentiel des petites et moyennes entreprises. Les partenaires sociaux sont désormais au rendez-vous pour que davantage d’accords sur l’égalité professionnelle soient signés. Nous amplifierons, bien entendu, cet accompagnement.

Toutes les enquêtes l’ont montré et vous en avez tous témoigné pour le constater sur vos territoires, les familles monoparentales sont trop souvent dans une situation de grande précarité. Cela est particulièrement vrai dans les territoires de la politique de la ville, où j’ai décidé de faire de cette lutte contre la précarité des familles monoparentales une priorité des prochains contrats de ville que nous nous apprêtons à négocier avec les collectivités.

Grâce à ce projet de loi, si vous l’adoptez, nous nous attaquerons à une cause bien identifiée de la précarité des mères isolées en engageant la mise en place de la garantie publique contre les impayés de pensions alimentaires. Nous apporterons plus de sécurité à ces femmes et à leurs enfants. Nous mettrons en place cette garantie publique d’abord dans vingt départements pour la préfigurer, avant de la généraliser en 2016. Je peux vous confirmer, pour être allée sur le terrain, le très fort engagement des caisses d’allocations familiales et des caisses de la Mutualité sociale agricole, qui ont bien compris l’intérêt de déployer un tel dispositif pour mettre fin à cette précarité.

C’est sans doute dans le domaine des violences que nous avons poussé le plus loin le travail de coproduction législative. Vous l’avez rappelé, madame la rapporteur, des améliorations sensibles ont été obtenues au cours de la navette et consacrées par la commission mixte paritaire : une protection renforcée des femmes dans le cadre de l’ordonnance de protection, une protection renforcée des femmes étrangères victimes de violences, la définition d’un arsenal législatif de lutte contre les violences sexuelles dans l’armée et à l’université, la lutte contre le harcèlement moral hors du cadre de travail, l’élargissement du périmètre du téléphone portable « femmes en très grand danger » aux victimes de viol – au-delà des victimes de violences conjugales –, la lutte contre les mariages forcés.

Tout cela est dans ce texte. Le résultat est une loi qui changera vraiment la donne. Elle apportera plus de protection aux femmes victimes de violences, mais ouvrira aussi de nouvelles possibilités de prise en charge des auteurs de violences, afin de mieux lutter contre la récidive.

Enfin, j’en viens à la parité. N’en doutez pas, les évolutions prévues par le texte seront profondes et durables. Nous concrétisons enfin le principe inscrit dans la Constitution de l’égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités politiques, professionnelles et sociales.

Toutes les institutions de la vie sociale seront désormais concernées et les pouvoirs publics seront exemplaires : pour lutter contre le plafond de verre dans la fonction publique, nous avons décidé d’avancer d’un an, à 2017, l’obligation d’atteindre 40 % de nominations féminines aux postes de cadres dirigeants de la fonction publique.

Instances consultatives, établissements publics administratifs ou industriels et commerciaux, autorités administratives indépendantes : toutes ces structures seront touchées par cette obligation de féminiser leur personnel, ce qui devrait modifier la représentation des femmes dans l’espace public en attendant que, en 2017, les nouvelles règles que vous avez adoptées dans ce texte changent aussi le visage à la représentation nationale. J’ai compris que les principaux partis y étaient prêts, par adhésion ou, parfois, par souci d’économie. Nous verrons bien, mais ce sera sans nul doute un rendez-vous important.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le vote que je sollicite auprès de vous est un vote d’adhésion pour un texte qui se donne les moyens de ses ambitions ; un vote de conviction dans la capacité de notre pays à faire le dernier saut pour offrir enfin aux Françaises et aux Français la perspective de vivre dans une société de l’égalité réelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC, du groupe écologiste, du RDSE et de l'UDI-UC.)