M. Philippe Adnot. Certes, mais le sous-amendement n° 146 vise à modifier l’amendement n° 41 rectifié ter. Si vous le permettez, je m’exprimerai donc sur ce sujet.

Je commencerai mon propos par une remarque. Hier soir, nous avons entendu dire que les parlementaires n’avaient pas à s’occuper des affaires des Alsaciens, que ces derniers étaient libres de décider ce qui était bon pour eux. Je rappelle que nous sommes des élus non pas régionaux, mais nationaux. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.) En tant que tels, nous avons la responsabilité d’examiner globalement la situation. Je me sens donc en droit de discuter aussi bien de ce qui se passe en Aquitaine, en Bretagne, qu’en Midi-Pyrénées ou ailleurs encore !

Je veux dire à mes amis alsaciens que j’apprécie les conditions dans lesquelles se déroule le débat. Nous ne sommes pas en train de nous insulter, chacun expose sa position et nous déciderons ensuite.

Aujourd'hui, ce qui nous gêne, c’est que l’Alsace avait pris une disposition pour créer une collectivité nouvelle. Or elle considère que, si elle s’insère dans une grande région Est, elle ne pourra pas mettre en place cette structure.

Il me semble qu’on mélange là deux dossiers très différents. Certes, il s’agit de créer une collectivité nouvelle rassemblant les compétences des deux départements et de la région, mais cela peut très bien s’opérer à l’intérieur d’une grande région Est. De la même façon, dans les grandes régions, des métropoles vont pouvoir s’organiser en récupérant à peu près la totalité des compétences des départements.

Il serait d’ailleurs bon, monsieur le ministre, que vous éclairiez le débat en nous annonçant que, avec le Grand Est, il sera possible à l’Alsace de mettre en place son projet, de fusionner ses deux départements et de garder la responsabilité de l’ensemble.

M. André Reichardt. À l’intérieur d’une région !

M. Philippe Adnot. Mais bien sûr !

M. André Reichardt. N’importe quoi…

M. Philippe Adnot. La Savoie et la Haute-Savoie ont elles aussi envie de le faire.

En disant les choses clairement, on rassurerait les Alsaciens sur la capacité d’avoir des responsabilités organisées, de rassembler leurs deux départements, de pouvoir exercer des compétences, à l’instar des métropoles qui pourront le faire en vidant pratiquement les régions et les départements de l’ensemble de leurs responsabilités sur leur territoire.

Le but, en créant les grandes régions, c’est de leur confier la gestion des grandes infrastructures. Par exemple, la construction du TGV Est incombera naturellement au Grand Est, de même que l’ensemble des équipements de cette nature. Selon moi, en raison de la subsidiarité, l’Alsace pourra s’organiser en conservant toutes les compétences de ses deux départements, et le Grand Est traitera, lui, des grands sujets. La Champagne, l’Alsace et la Lorraine ne se sont-elles pas rassemblées autour d’un cancéropôle afin d’aborder cette question dans toute sa dimension ?

Nos amis alsaciens peuvent croire en ma sympathie pour eux : c’est d’ailleurs dans l’Aube qu’est installé le plus grand choucroutier d’Alsace ! (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP.) Je voudrais que les Alsaciens soient convaincus qu’ils pourront réaliser leur communauté de destin entre les deux départements et la région à l’intérieur du Grand Est. Je suis certain que nous ferons des choses intéressantes ensemble !

Mme la présidente. La parole est à M. Charles Guené, pour explication de vote.

M. Charles Guené. En cet instant, je souhaite replacer dans son contexte le sous-amendement n° 146 et le justifier brièvement.

Je rappelle qu’il répond à une philosophie qui aurait dû être celle de la réforme : réaliser de grandes régions stratèges, à partir d’une reconfiguration des départements – au nombre de quarante ou cinquante –, laquelle aurait ensuite permis une mise en réseau des régions. Ce n’est pas le choix qui a été retenu, comme je l’ai déjà précisé.

En réalité, le présent sous-amendement a deux sortes d’adversaires. J’emploie le mot « adversaires »…

M. Jean-François Husson. Au sens sportif du terme !

M. Charles Guené. Tout à fait, mon cher collègue !

Il y a tout d’abord les partisans d’une Alsace seule, dont je respecte tout à fait la conception, que sous-tend la liberté de disposer de son propre destin. Toutefois, je relève que cette approche est tout aussi opposée à l’esprit du projet de loi que le concept des grandes régions.

Il y a ensuite ceux qui, en quelque sorte, préemptent l’issue du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République qui attribue aux régions des compétences de proximité. C’est la principale erreur introduite dans ce texte, car si l’on donne de telles compétences aux régions, mieux vaut qu’elles ne soient pas trop grandes. Ce projet de loi n’étant pas encore voté, nous pouvons peut-être espérer à cet égard.

Je formulerai maintenant trois raisons de souscrire au présent sous-amendement.

Premièrement, il me paraît plus opportun d’envisager pour le futur une évolution vers une taille XXL, ce qui permettra plus facilement une mise en réseau des territoires et un fonctionnement en bonne intelligence.

Deuxièmement, je pense que la proposition que Bruno Sido et moi-même soumettons au Sénat correspond beaucoup plus à ce que souhaitent les populations que je qualifierai d’« intermédiaires ». À titre d’exemple, mon département est situé en région Champagne-Ardenne mais je me sens plus bourguignon que champenois. De même, notre collègue Michel Raison, sénateur de Haute-Saône, a tout à l’heure évoqué ceux qui sont partagés entre le nord et le sud de son département. Or plus les régions seront larges, moins ces populations seront en déshérence, car elles s’inscriront dans un cadre mieux défini. Les limites actuelles de nos départements, qui ont été fixées voilà longtemps, ne sont plus adaptées à la réalité d’aujourd'hui.

Troisièmement, au final, si nos amis alsaciens font scission, nous aurons deux régions, Champagne-Ardenne – Lorraine et Bourgogne – Franche-Comté, qui ne seront pas suffisamment fortes pour faire entendre leur voix, et je crois qu’elles le regretteront.

Cela étant, et pour terminer sur une note consensuelle, comme l’ont souligné bon nombre d’entre vous, mes chers collègues, je pense que nous finirons par mettre en réseau ce très Grand Est, puisque, chacun en convient, y compris les élus alsaciens, nous allons y travailler ensemble. Et même si ce sous-amendement n’est pas adopté, ce que je crains, ses dispositions s’imposeront avec le temps.

Mme la présidente. Je mets aux voix le sous-amendement n° 146.

(Le sous-amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Masseret, pour explication de vote sur l'amendement n° 41 rectifié ter.

M. Jean-Pierre Masseret. Hier, le ministre de l’intérieur m’a demandé de retirer l’amendement n° 66 visant à regrouper l’Alsace et la Lorraine, en sollicitant mon adhésion à l’amendement n° 41 rectifié ter. Je ne puis lui donner satisfaction.

Pour la définition de la carte, le président de la région Lorraine que je suis a un plan A depuis l’origine – je l’ai déjà exposé –, à savoir la fusion de l’Alsace et de la Lorraine, telle que le Gouvernement l’avait initialement proposée.

Le plan B consiste à souscrire à la proposition de regroupement des régions Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine. Le problème est que le plan B va être soumis au vote avant l’examen du plan A. Je vais donc m’abstenir sur l’amendement n° 41 rectifié ter et maintiens l’amendement n° 66, que je voterai évidemment.

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Mes chers collègues, je tiens à vous remercier du climat apaisé – je m’en félicite – qui préside à l’examen du présent amendement qui a pu déchaîner les passions. Je remercie de leurs contributions – je pense aux Champenois-Ardennais, notamment à Charles Guené, aux Alsaciens, aux Lorrains, aux Francs-Comtois – ceux qui ont apporté leur pierre avec passion – la passion est naturelle et ne me choque en rien –, mais sans excès.

Monsieur le ministre, vous avez retiré l’amendement que le Gouvernement avait déposé, ce qui m’a surpris et fait réagir, ainsi que d’autres collègues, particulièrement le président Jacques Mézard. Je tiens à vous le dire, l’habileté du procédé ne nous a pas échappé.

M. Bruno Retailleau. En agissant ainsi, vous avez fait « l’oblique génuflexion des dévots pressés », comme l’aurait dit Flaubert. (Exclamations et applaudissements sur les travées de l'UMP.) Je voulais filer la métaphore de la confession de Jean-François Husson ! (Sourires sur les mêmes travées.)

Cela étant, je voudrais récuser un argument que vous avez utilisé hier soir selon lequel l’Alsace seule ne peut être le siège de la capitale européenne. À ce compte-là, il faudrait absorber aussi l’Île-de-France pour conforter le statut européen de la capitale alsacienne !

Je rappellerai que Genève, qui est l’une des capitales internationales, est située dans un petit canton suisse (M. Michel Bouvard s’exclame.), que Bruxelles, autre grande capitale européenne, ne fait partie ni de la Flandre ni de la Wallonie, que l’État de Washington n’est pas le plus grand des États-Unis.

La taille, comme le disait tout à l’heure notre excellente collègue Évelyne Didier, ne fait rien à l’affaire. En effet, si l’on compare les États américains, on constate que plus de quarante d’entre eux ont une population inférieure à celle de l’Île-de-France.

Pour revenir à la question sur laquelle nous allons nous prononcer dans quelques instants, à savoir une Alsace seule ou au sein d’une grande région, je suivrai l’avis de la commission spéciale pour trois raisons. Ceux d’entre vous, mes chers collègues, qui ne sont pas de cet avis ne m’en voudront pas j’espère.

Tout d’abord, au nom de quoi contraindrait-on des élus et une population qui a largement approuvé par référendum l’idée d’une collectivité unique ? Au nom de quoi érigerait-on un principe supérieur à cette volonté locale pour faire obstacle à la liberté ? Nous savons fort bien, mes chers collègues, que les mariages forcés débouchent toujours sur des divorces programmés.

M. André Reichardt. Très bien !

M. Bruno Retailleau. Ensuite, comme je l’ai dit, mardi dernier, en répondant au Premier ministre, la réforme territoriale ne doit pas être un grand jardin à la française. Parce que la modernité l’impose, on doit être capable d’assumer une diversité. Si un territoire de France veut inventer une nouvelle organisation amalgamant une région et des départements, on peut envisager cette expérimentation avec, si ce n’est sympathie, au moins bienveillance.

Enfin, j’évoquerai la question de l’identité.

Mon département est doté d’une très forte identité. J’ai entendu l’argument que certains se sont jeté au visage : l’identité, c’est le passé, il faut se méfier de cette notion. Or, en France, le mépris du passé a bien souvent alimenté les peurs de l’avenir. À l’ère de la mondialisation, accepter que celle-ci soit le grand bain de l’uniformité, c’est être tous perdants.

Les identités, lorsqu’elles restent ouvertes, sont des moteurs extraordinaires de développement. Dans mon département, plus de 1 000 entreprises ont choisi d’intégrer dans leur dénomination le mot « Vendée » parce que cela les distingue sur les marchés, qu’il s’agisse du marché domestique français ou des grands marchés internationaux. Pourquoi ne pas le reconnaître ?

Enfin, mes chers collègues, vous savez parfaitement que l’altérité n’est pas contradictoire avec l’identité, au contraire. Si nous étions les mêmes, il n’y aurait pas d’altérité. L’altérité suppose aussi l’identité, à la condition, bien entendu, que celle-ci reste ouverte au monde, aux autres, et c’est la conception, me semble-t-il, de nos amis alsaciens.

En conclusion, je souligne que nous vivons depuis des années avec des régions aux limites imparfaites. Cela ne nous a pas empêchés de travailler pour l’avenir. J’espère que ces questions de frontières seront rapidement oubliées et que l’on en viendra très vite aux compétences, c'est-à-dire au contenu, de manière que nous puissions nous projeter vers l’avenir.

Voilà ce que je voulais dire à ce moment d’un débat qui est important pour nous tous. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur. Monsieur Retailleau, je voudrais vous apporter plusieurs éléments de réponse.

D’abord, je ne suis pas un adepte de la « génuflexion oblique des dévots pressés ». (Rires.) Je ne suis en rien dévot, cela ne correspond pas à ma culture, même si par ailleurs je suis très respectueux de ceux qui peuvent avoir des croyances. En plus, quand on a ma taille, une génuflexion peut vous faire disparaître. (Sourires.) Par conséquent, je ne me livre jamais à ce type d’activité.

Ensuite, hier, j’ai indiqué qu’il n’y a pas d’antinomie entre l’identité et la réalisation de grandes régions, et je suis convaincu que l’Alsace ne perdrait en rien son identité si, demain, elle s’intégrait dans une grande région. De la même manière qu’il n’y a pas d’incompatibilité entre le fait d’appartenir à une région et de s’ouvrir à d’autres en restant soi-même, il n’y a pas non plus nécessairement de logique qui voudrait que l’on perde son identité en s’intégrant dans des ensembles plus vastes. Votre argument est donc juste mais il est tout à fait réversible.

Comme nous pouvons raisonner de deux manières différentes sur cette question en ayant tous les deux raison, ne nous querellons pas inutilement !

Je voudrais maintenant insister sur le rôle de Strasbourg, qui est selon moi essentiel. Je reprends d'ailleurs pleinement à mon compte le propos très juste et extrêmement fort, dont la représentation nationale peut s’inspirer, qu’a tenu Gérard Longuet tout à l’heure : d’une part, l’Alsace ne retirerait rien à son âme en s’intégrant dans un ensemble plus vaste ; d’autre part, le statut de capitale européenne de Strasbourg se trouverait conforté, je le crois profondément, si cette ville devenait capitale d’une région Grand Est. Ainsi s’ouvrirait un pont vers un certain nombre de régions allemandes avec lesquelles, dans le cadre de coopérations transfrontalières, des habitudes de travail ont été prises.

Enfin, on ne peut pas à la fois reprocher au Gouvernement de présenter des amendements qui ne tiennent pas compte des propositions du Sénat et critiquer son « habileté » quand il se rallie à un amendement présenté par plusieurs des membres de votre groupe, monsieur Retailleau – parmi lesquels se trouvent d’éminents sénateurs, notamment François Baroin –, et non par l’ensemble de la majorité.

Le Gouvernement a retiré son amendement au profit de l'amendement n° 41 rectifié ter parce qu’il respecte le travail accompli par les membres de votre groupe qui l’ont signé, bien que ceux-ci ne partagent pas nos convictions. Dire que, ce faisant, nous sommes dans l’habileté, non !

Mme Catherine Troendlé. Mais si, monsieur le ministre !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous sommes dans la coproduction, dans la recherche du compromis, car nous avons la volonté de travailler avec vous. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. André Reichardt. Il faut oser !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Monsieur Retailleau, si c'est faire preuve d’habileté que de retirer un amendement gouvernemental au profit d’un autre présenté par des sénateurs de votre groupe, cela veut dire que ce dernier amendement reflète une forme de pensée pernicieuse, laquelle pourrait s’apparenter à ma propre habileté ! Vous ne pouvez tout de même pas prêter cette intention aux membres de votre groupe, compte tenu de l’estime que vous leur portez… (Protestations sur les mêmes travées.)

Mme Catherine Troendlé. Ça ne marche pas !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je propose que nous ne nous livrions pas à de mauvaise polémique sur ces sujets, que nous ne nous prêtions pas mutuellement de l’habileté. Même si je veux bien reconnaître que ni vous ni moi n’en sommes nécessairement dépourvus, vous pouvez accepter qu’elle ne soit pas la seule modalité qui guide notre parole et notre action lorsque nous sommes dans l’espace public, défendant nos convictions.

M. Bruno Retailleau. J’ai touché dans le mille !

Mme la présidente. La parole est à M. René Vandierendonck, pour explication de vote.

M. René Vandierendonck. M’exprimant au nom du groupe socialiste, je tiens à saluer la méthode retenue par le Gouvernement, à savoir donner la parole au Sénat et être à l’écoute de ses propositions. Nous avons choisi de voter pour le présent amendement non par habileté, mais par sincérité.

En effet, vous pouvez comprendre, mes chers collègues, que, pour certains membres de mon groupe, être à l’écoute des propositions du Gouvernement, c'est préférer la première proposition que celui-ci a faite, comme l’a expliqué mon ami Jacques Bigot et comme l’exprimeront de nombreux sénateurs du Nord – Pas-de-Calais.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.

M. Jean Louis Masson. Monsieur le ministre, vous êtes d’accord avec le Sénat quand il est lui-même d’accord avec vos propositions ! Donner l’impression que le Gouvernement est prêt à dialoguer avec le Sénat alors que c'est uniquement si celui-ci vote ce que vous souhaitez, c'est une gigantesque hypocrisie ! Je trouve tout de même cela exagéré !

Il serait préférable que le Gouvernement assume clairement sa position. Dans l’affaire qui nous occupe, il veut manifestement bloquer la position de la commission spéciale du Sénat. Mais on trouvera toujours dans cette enceinte quelques sénateurs pour présenter tel ou tel amendement…

Mes chers collègues, depuis trois jours, le principal reproche qui est fait au Gouvernement, c’est de vouloir forcer la main des collectivités territoriales, de refuser le dialogue, d’empêcher l’expression des souhaits des populations locales.

Je suis tout de même quelque peu stupéfait de voir que, après avoir adressé, avec insistance, ce reproche au Gouvernement, certains membres de notre assemblée font exactement la même chose en voulant forcer la main de nos collègues alsaciens !

Comment voulez-vous sérieusement reprocher au Gouvernement de ne pas écouter, de n’en avoir rien à faire de nos propos, de ne pas faire de concertation – tout cela est vrai ! –, si, dans le même temps, alors que nous avons la possibilité de prendre en compte les souhaits de ceux qui sont sur le terrain, on leur fait un bras d’honneur et on leur dit d’aller se faire voir ?

Dans ces conditions, voter cet amendement, c’est en fait donner raison au Gouvernement. Pourquoi n’aurait-il pas le droit de faire comme certains d’entre nous, qui se sont montrés très durs à son égard, lui reprochant de ne rien écouter, et qui font aujourd'hui exactement la même chose ? Ils pourraient être ministre de l’intérieur !

Il y va de la crédibilité du Sénat. Si nous, sénateurs, nous forçons la main aux Alsaciens, nous serons ensuite mal placés pour nous plaindre du Gouvernement !

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Joyandet, pour explication de vote.

M. Alain Joyandet. Mon explication de vote vaudra pour tous les amendements qui tendront à modifier la position de la commission spéciale. Au fond, nous sommes dans une situation particulièrement compliquée.

Je voudrais d’abord expliquer pourquoi je me suis abstenu lors du vote du sous-amendement n° 146. En tant que Franc-comtois, je n’ai rien contre une grande région, ni d’ailleurs contre une petite ! Je n’ai rien non plus contre le fait de fusionner la région et les quatre départements, comme je l’ai dit hier dans mon intervention. Une fois n’est pas coutume, je rejoins Jean Louis Masson : un certain nombre de propositions de nos collègues ressemblent fort à ce que le Gouvernement a fait. En quelques heures, nous voudrions nous aussi, chacun avec notre solution, réécrire une carte, ce qui est particulièrement complexe…

Je le répète, je souhaite en rester au texte de la commission spéciale, même si je n’ai absolument rien contre les propositions de mes collègues. Je trouve d’ailleurs que ce temps d’explication est utile, car c’est peut-être l’un des rares moments où chaque parlementaire, en faisant preuve de respect, a pu exprimer, selon ses convictions, ses idées pour sa région et ses concitoyens.

M. Bruno Retailleau. C’est vrai !

M. Alain Joyandet. Et nous ne pouvons que constater que la précipitation gouvernementale a créé un manque de débats, d’explications.

L’exercice est très limité : nous faisons, là aussi, la démonstration que si nous voulions tous nous mettre d’accord pour élaborer une carte, ce sont nos petits-enfants qui auraient une chance de la voir !

Nous avons chacun nos convictions, qui doivent toutes être respectées. Néanmoins, à ce stade de la compétition, si je puis m’exprimer ainsi, si l’on veut en rester au texte de la commission spéciale élaboré par des représentants de tous les groupes siégeant dans cet hémicycle, nous sommes quasiment obligés de voter contre les amendements de nos amis. Cela ne nous réjouit guère, mais si nous nous abstenons, une minorité fera adopter des amendements contre une majorité qui veut s’en tenir à la position de la commission spéciale.

Mes chers collègues, je voterai donc contre tous les amendements qui s’éloignent de la position de la commission spéciale, par pure cohérence, même si je n’ai absolument rien contre les convictions de leurs auteurs et les solutions qu’ils proposent, dont ils estiment qu’elles sont meilleures que celle du Gouvernement.

Cette démarche législative, plutôt originale, est, dans le même temps, contraignante. Nous sommes partis de la contrainte du fameux entonnoir, nous allons y rester jusqu’au bout ! Au fond, la solution de simplicité, c’est de rester droit dans ses bottes et de suivre la position de la commission spéciale. Autrement, on ouvre la boîte de Pandore et on ne sait pas du tout ce qui sortira de votes divers et variés, en fonction des amendements qui seront adoptés. On risque d’aboutir à un résultat totalement hybride. Je suis un adepte de la génuflexion non pas oblique, mais plutôt verticale, en bon fidèle, loyal – pas dévot ! (Sourires.) C'est la raison pour laquelle je préfère en rester à ce que nous avons décidé tous ensemble. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Bockel, pour explication de vote.

M. Jean-Marie Bockel. J’interviens au nom de la plupart de mes collègues du groupe UDI-UC, et sur un ton moins véhément que celui de mon collègue Jean Louis Masson, lequel a pourtant rappelé quelques vérités.

Monsieur le ministre, le fait que vous ayez immédiatement répondu à Bruno Retailleau à la suite de son intervention, puissante, m’a fait penser à un mot : touché ! L’argumentation a porté et a été finalement plus forte que les arguties.

Je voudrais dire, sans aucune agressivité et avec beaucoup de respect, car, au fond, cela nous permet de remettre les choses en perspective, que nous devrions tous balayer devant notre porte.

Sur le sujet dont nous débattons, je l’indiquais précédemment, le Gouvernement a tout de même souvent varié. Au début de l’été, nous avons d’ailleurs été pris de court par un changement de pied brutal. Qui nous dit, monsieur le ministre, que votre position d’aujourd’hui, par-delà l’habilité qui a été évoquée, est totalement intangible ?

Si je formule cette remarque, c’est parce le match n’est pas joué, le débat n’est pas terminé ! Plusieurs de nos collègues ont dit, en toute bonne foi et sincérité, qu’il fallait anticiper ce qui allait se passer à l’Assemblée nationale et se préparer à une situation inéluctable. Non ! À chaque jour suffit sa peine ! La discussion a lieu au Sénat. Nous connaissons la position actuelle du Gouvernement, nos idées respectives, mais le débat doit se tenir, car il n’est pas terminé.

D’une certaine manière, le sujet que nous examinons est le sujet par excellence pour un Sénat qui veut retrouver pleinement sa place et son influence. C’est dans cet esprit-là que la commission spéciale a travaillé. Ce qui est en jeu aujourd’hui, au travers de la position qu’adoptera in fine le Sénat, c’est la réaffirmation de notre assemblée.

C'est dans le débat démocratique que se jouera le rapport de forces, au sens le plus républicain du terme : dans les discussions que nous aurons avec nos collègues députés d’ici à l’examen du présent texte en deuxième lecture par l’Assemblée nationale, avec l’exécutif, bien entendu, dans le respect, mais avec force, également entre nous, entre l’opposition et la majorité et à l’intérieur des différents groupes qui constituent nos assemblées. Tout cela est encore devant nous ; l’affaire n’est pas terminée. La discussion que nous avons aujourd’hui et le vote que nous émettrons tout à l’heure – c’est en quelque sorte le nœud du débat – sont extrêmement importants.

Nos prises de position et nos décisions nous permettent de répondre à une question à laquelle ceux d’entre nous qui sont allés sur le terrain pour défendre leur candidature à l’élection ou à la réélection à la Haute Assemblée ont été constamment confrontés – pour ma part, je l’ai entendu des centaines de fois : à quoi sert le Sénat à l’heure actuelle ? Va-t-il de nouveau jouer son rôle d’assemblée des territoires ? Voilà ce qui est attendu de nous et en train de se jouer en ce moment.

Donc ne faisons pas comme si ce débat était inutile eu égard au rôle final de l’Assemblée nationale. Nous sommes dans notre rôle ! Ce que nous faisons en ce moment est important et, je le répète, la partie n’est pas jouée ! (Applaudissements sur certaines travées de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Grosdidier, pour explication de vote.

M. François Grosdidier. Mes chers collègues, je voudrais d’abord écarter complètement la question de savoir si Strasbourg restera capitale européenne. Là n’est pas le sujet ! On sait très bien que Strasbourg restera capitale de l’Europe si l’État français défend avec suffisamment de persuasion cette position auprès de nos collègues européens.

Cela étant, le président du conseil général de Vendée, département à forte identité, a magnifiquement défendu cette idée d’identité, qui est légitime, mais qui peut s’exprimer aussi dans un cadre départemental, à l’intérieur d’une région qui pourtant n’en a pas, dès lors que cette collectivité conserve des compétences économiques, touristiques, culturelles et qu’elle ne devient pas simplement un super bureau d’aide sociale. De la même façon, l’Alsace dans une grande région pourrait défendre au moins autant son identité que la Vendée peut le faire en Pays de la Loire aujourd’hui.

Ensuite, comme beaucoup de Lorrains, je ne peux pas suivre la position de la commission spéciale. Avec Gérard Longuet, François Baroin et tous mes collègues des départements lorrain, champenois et ardennais, je veux réfuter l’argument selon lequel l’amendement n° 41 rectifié bis deviendrait suspect parce que le Gouvernement en a présenté un identique. Cela vaudrait même tout d’un coup adhésion à la réforme instaurant les grandes régions !

Nous sommes nombreux à être opposés aux grandes régions. Mais en vertu de la règle de l’entonnoir et en raison de la nécessité pour le Sénat d’être partie prenante aux débats, la majorité sénatoriale et la commission spéciale estiment qu’il s’agit non plus de revenir à ce que nous aurions souhaité, c’est-à-dire l’approfondissement des régions, mais de nous inscrire dans un schéma de grandes régions. Nous le faisons à contrecœur, mais en cherchant au minimum à assurer une cohérence entre ces grandes régions. Il serait bon que le Gouvernement propose une carte cohérente avec l’idée qu’il défend, qui n’était pas la nôtre initialement, mais que la majorité sénatoriale nous demande d’accepter.

Aujourd’hui, on nous incite à modifier la carte pour permettre à certaines régions – l’Alsace, la Bretagne – de vivre une vie solitaire, en rompant avec les régions limitrophes sans lesquelles une grande région n’a pas de sens.

Une grande région de l’Est avec la Lorraine mais sans l’Alsace est insensée. Au reste, les Lorrains ont au moins autant de raisons que les Alsaciens – les mêmes, pour la plupart – de demander l’approfondissement de leur région plutôt que son élargissement. Or le texte issu des travaux de la commission spéciale ne le permet pas.

Au fond, ceux qui appellent au rejet de l’amendement n° 41 rectifié ter nous demandent de souscrire à un texte dont nous ne nous satisfaisons pas, pour permettre à d’autres d’échapper à ce que nous ne voulons pas… Cette situation n’est pas tenable. Elle n’est, bien sûr, pas défendable territorialement, et, de surcroît, elle n’est même pas cohérente, ni intellectuellement, ni politiquement, ni philosophiquement.

Mes chers collègues, nous vous prions donc de voter en faveur du présent amendement. Je le répète, ses auteurs ne soutenaient pas le projet du Gouvernement et auraient préféré approfondir la construction régionale actuelle plutôt que de l’élargir. Cela étant, animés par un esprit de compromis, ils considèrent que, tant qu’à découper de grandes régions, il faut le faire avec une certaine cohérence pour que cette réforme puisse avoir un sens et s’applique sur l’ensemble du territoire.

Au-delà de la question de l’autonomie de l’Alsace, nous sommes déjà passés, hier soir, à côté de certaines réformes. Nous avons maintenu un conseil général et un conseil régional dans les départements et régions d’outre-mer, sur un même territoire. Cela n’a pas de sens ! Nous avons maintenu, en Corse, un conseil régional et deux conseils généraux.

Dès lors, dessinons au moins sur le continent une carte qui ait un minimum de cohérence, pour construire, par le biais des lois qui vont être adoptées ultérieurement, une réforme qui ait un sens, une réforme qui, sans consacrer l’uniformité de toutes les régions, leur donne, à toutes, des chances égales.