M. le président. Je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Je vous rappelle également qu’en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de quinze minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’aborder la politique de la ville, j’évoquerai les deux autres missions rattachées à la politique des territoires.

Le programme 112, « Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire », concerne notamment la redynamisation des territoires ruraux, en confortant les bourgs comme pôles de centralité. Nous avons longuement évoqué ce sujet lorsque nous avons débattu des problématiques de la ruralité et de l’hyper-ruralité. J’entendais tout à l’heure notre collègue Pierre Jarlier évoquer la nécessité d’un calendrier : effectivement, puisque seulement cinquante bourgs ont été retenus sur les trois cents identifiés, est-il prévu d’étendre cette opération expérimentale ?

S’agissant de la résorption de la fracture numérique par le déploiement des réseaux, vos intentions sont bonnes, madame la ministre, mais les moyens trop limités. Pourtant, par le passé, c’est avec des moyens extrêmement limités que notre pays a réussi à couvrir son territoire, sans fracture, en réseaux d’électricité, de téléphone et d’eau potable. Toutefois, c’était avant l’avènement du grand libéralisme non régulé, qui n’a que faire des services publics !

S’agissant du programme 162, « Interventions territoriales de l’État », je dirai un mot, en ma qualité de breton, sur l’action spécifique Eau et agriculture en Bretagne. Plus de 8 millions d’euros en crédits de paiement sont encore prévus pour 2015. C’est bien sûr nécessaire, mais cette somme s’ajoute aux autres financements qui se cumulent depuis maintenant des années sans résultat probant.

Il est temps véritablement de mettre en œuvre la transition agricole sur notre territoire breton. La pression des élevages intensifs y est excessive, comme elle l’est sur l’environnement. Nous avons été condamnés de nouveau récemment par la Cour de justice de l’Union européenne pour le non-respect de la directive « nitrates ».

La politique de la ville, quant à elle, est en pleine refondation depuis le vote de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine. Comme l’a souligné Mme la ministre, il s’agit en quelque sorte De lui appliquer le choc de simplification. Espérons que celui-ci ne sera pas trop violent, tant le sujet est important…

Il était effectivement nécessaire de retrouver une cohérence après avoir empilé différents dispositifs pendant des décennies. Le critère qui a été choisi pour cette nouvelle carte des quartiers prioritaires est celui de la pauvreté des habitants. Le périmètre exact d’intervention sera déterminé en coordination avec les territoires, au travers de la conclusion des contrats de ville. Dès le mois de juin dernier, 1 300 quartiers, dont 200 en rénovation urbaine, ont été identifiés, dans 700 communes.

Une attention particulière doit être accordée aux quartiers qui sortiront des dispositifs précédents. Nous devons continuer à suivre leur évolution et vérifier que la transition se passe correctement. Il faudra donc les accompagner.

Nous saluons également l’effort prévu pour créer des entreprises, donc des emplois, dans ces zones qui connaissent un taux de chômage en moyenne deux fois supérieur au reste du territoire, notamment chez les jeunes.

L’ambition des contrats de ville est forte. Plus que les normaliser, nous devons faire de ces quartiers des quartiers exemplaires, exceptionnels, en vertu de la clause du « territoire le plus favorisé ». Ce principe a pour but de faire bénéficier ces quartiers prioritaires des atouts du territoire environnant, en commençant par l’excellence environnementale, qui réduira également la précarité énergétique, et l’innovation numérique, qui les rendra plus attractifs pour les entreprises.

Le nouveau programme de rénovation urbaine permettra une rénovation de ces quartiers, avec pour mission de les désenclaver aussi bien physiquement que dans les esprits. Cela se fera en concertation avec les habitants au travers des conseils citoyens regroupant les habitants, les associations et les institutions.

Il faut véritablement retisser le lien entre les habitants et les structures politiques locales. À cet égard, j’attire l’attention du Gouvernement sur le collectif Pas sans nous, qui fédère et coordonne les quartiers populaires. Il souhaite la mise en place d’un « fonds d’intervention citoyenne ». Celui-ci pourrait être complémentaire des conseils citoyens, auxquels il pourrait être juste de confier un budget permettant de mener des actions concrètes dans leurs propres quartiers.

Alors, évidemment, les crédits sont en baisse, mais, comme l’ont souligné nos rapporteurs, c’est essentiellement lié à la fin de l’entrée dans le dispositif des zones franches urbaines et à la suppression des emplois francs à l’action « Revitalisation économique et emploi ».

Par ailleurs, la politique de la ville étant transversale, il est difficile de juger les volumes réels engagés à la lumière des seuls crédits de la mission. Les cinq milliards d’euros de subventions de l’ANRU pour la mise en œuvre du nouveau programme de renouvellement urbain sont de nature à nous rassurer quant aux moyens dédiés à cette politique, d’autant qu’un milliard d’euros devrait être consacré à la transition pour ceux qui sortent de la carte des quartiers prioritaires.

Madame la ministre, madame la secrétaire d'État, pouvez-vous nous indiquer sur quel rythme sont prévus ces financements ?

Pour nous, écologistes, il est essentiel que les opérations d’aménagement urbain intègrent aussi des objectifs de lutte contre la précarité énergétique, mais également prennent en compte la biodiversité et la nature en ville, pour rendre ces quartiers agréables à vivre. Qu’est-il prévu quant aux critères de ce nouveau programme national pour la rénovation urbaine ?

Le projet est ambitieux et il démarre à peine. Nous suivrons attentivement sa mise en œuvre. Évidemment, dans le contexte actuel de diminution des dotations aux collectivités territoriales, nous serons vigilants, afin que les mécanismes de péréquation garantissent une solidarité effective sur l’ensemble du territoire. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.

M. Jean-Pierre Bosino. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, s’agissant du débat sur la politique des territoires, si j’ai bien conscience de la diversité des enjeux que cette question présente, je me concentrerai ici sur le volet « politique de la ville », dans le peu de temps qui nous est imparti.

Pour reprendre le propos du philosophe Henri Lefebvre dans Le Droit à la ville, il faut poser « politiquement le problème de la société urbaine ». Il nous faut comprendre les enjeux auxquels nous avons à faire face, nous fixer des objectifs politiques, puis nous donner les moyens d’y répondre.

En matière de politique de la ville, le constat est aujourd’hui plutôt alarmant : les tensions sont bien présentes dans nos quartiers, et nous les ressentons ; la situation de nombre de nos concitoyens se dégrade dramatiquement, dans un contexte de mise en cause des services publics et de la protection sociale, et ce constat est encore plus vrai dans les quartiers populaires, où les populations sont plus qu’ailleurs en proie aux injustices et aux inégalités.

Dans les quartiers dits « prioritaires », la part des jeunes adultes au chômage est de près de 50 % ; les sans-diplômes sont, eux, 57 % ; quelque 22 % des ménages de ces quartiers sont concernés par une allocation chômage et près de 23 % de la population vivent avec moins de 60 % du revenu médian. Ces difficultés sont connues ; il faut y répondre.

Le Gouvernement, à maintes reprises, a rappelé la dimension prioritaire qu’il accordait à la politique de la ville. De fait, conduire une mutation profonde de cette dernière, la rendre plus lisible, plus juste, plus efficace, ce sont des objectifs que nous approuvons pleinement. C’est ce qui avait amené notre groupe, il y a un an, à voter la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine. Nous avions alors soutenu les avancées positives que représentaient notamment la reconnaissance du rôle central du maire ou encore l’adoption du principe de la participation des habitants au travers des conseils citoyens. Enfin, nous avions acté le lancement du nouveau programme de renouvellement urbain.

Notre vote n’était pas un blanc-seing donné au Gouvernement, et force est de constater que le budget que nous examinons aujourd’hui, autant que la situation dans laquelle se trouvent nos quartiers les plus en difficulté, donne raison à notre prudence.

La politique de la ville a bien souvent été pensée comme à part, alors qu’elle devrait au contraire constituer le ciment d’une politique publique au service des populations. Aujourd’hui, même cette « roue de secours » est remise en cause par la quête « austéritaire » de réduction des déficits à n’importe quel prix.

Madame la secrétaire d’État, vous déclariez il y a peu que la « politique de la ville est une politique de cohésion sociale » : revenons sur les objectifs qui ont été fixés.

La réforme de la géographie prioritaire a réduit de 2 500 à 1 300 le nombre de quartiers bénéficiant de la politique de la ville. Si nous entendons l’argument d’une meilleure concentration des moyens, nous ne pouvons cependant que nous inquiéter de l’avenir des 1 200 quartiers dorénavant exclus de ces programmes prioritaires, qui concernent près de 200 communes et trois millions de nos concitoyens. Rien ne justifiait, selon nous, de restreindre aussi drastiquement la liste de ces quartiers.

Par ailleurs, seul le critère du revenu a été retenu pour identifier les territoires dits « prioritaires », alors que nous savons pertinemment que des réponses satisfaisantes exigent une prise en compte plus globale des problèmes posés aux habitants de ces quartiers.

Notre groupe sera extrêmement vigilant à ce que ces quartiers déclassés ne soient pas oubliés et puissent, comme cela était prévu dans la loi de février 2014 à la suite du vote de l’un de nos amendements, bénéficier de contrats de ville adaptés, avec la mobilisation des crédits de droit commun.

Un autre aspect sur lequel a beaucoup insisté le Gouvernement est justement la mobilisation du droit commun, notamment par une implication accrue de tous les ministères au travers de conventions bilatérales.

En dehors du fait que nous n’avons aujourd’hui aucune connaissance du contenu de ces conventions, posons-nous la question : comment une action plus efficace peut-elle être mise en place dans un climat d’austérité généralisée, qui amène le Gouvernement à réduire toutes ses interventions ?

L’exemple de l’éducation nationale est à ce titre parlant, puisque l’on sait à présent que les 60 000 postes supplémentaires promis seront pourvus, pour une très grande majorité d’entre eux, non par des postes pérennes de titulaire, mais des postes de stagiaire.

Va-t-on répondre aux besoins de formation de la jeunesse, a fortiori dans les quartiers prioritaires, avec des postes de stagiaire ? Qu’en est-il des établissements sortis de la géographie prioritaire, qui font l’objet d’une forte mobilisation ces derniers jours ?

Si la défense de ce budget de la politique de la ville repose donc en grande partie sur l’argument selon lequel les crédits de droit commun seront davantage mobilisés, ce que nous ne pouvons que soutenir, la traduction concrète demeure plutôt floue.

Enfin, je dirai quelques mots sur l’aménagement et le renouvellement urbains, au cœur de la politique de la ville. La loi de 2014 a prévu le lancement d’un nouveau programme pour la rénovation urbaine qui devra être mis en œuvre par l’ANRU. Doté de cinq milliards d’euros sur dix ans, ce programme est censé bénéficier aux deux cents quartiers dont les dysfonctionnements sont jugés les plus importants, quartiers encore inconnus à ce jour.

Toutefois, pour mener à bien ses missions, c’est de 9,3 milliards d’euros, et non pas de 5 milliards, que l’ANRU aurait besoin. En effet, le PNRU 1 n’est pas encore achevé et près d’un tiers des crédits d’engagement reste encore à verser. On ne peut donc que constater « l’impasse financière » dans laquelle se trouve l’ANRU, comme l’ont noté les rapporteurs de la majorité gouvernementale à l’Assemblée nationale.

Depuis 2008, l’État n’a pas versé un seul euro à l’ANRU, ses dotations relevant presque exclusivement d’Action Logement, qui doit aujourd’hui – c’est un comble – emprunter pour satisfaire l’ANRU ! Plus encore, le maintien du système d’avance de l’ANRU, qui existait jusqu’à présent, est remis en cause pour le nouveau PNRU. Sans ce dispositif, les communes ne pourront plus démarrer de chantier, faute de trésorerie ou de capacité d’endettement.

Au final, ce budget est bien loin des exigences auxquelles nous avons à faire face. La baisse de la dotation globale de fonctionnement a un impact sur l’ensemble de nos communes, et ce n’est pas l’amendement voté à l’Assemblée nationale visant une hausse de la dotation de solidarité urbaine, aussi intéressant soit-il, qui pourra réparer les dégâts que cause à des milliers de communes une telle réduction.

De même, les crédits spécifiques de la politique de la ville, qui devraient être plus soutenus que jamais, sont encore réduits, contrairement à ce qui a été affirmé. Sont particulièrement concernés, par rapport à l’année passée, la réussite éducative et les postes d’adultes relais. On nous demande de ne pas nous inquiéter… Madame la secrétaire d’État, vous avez déclaré que « gouverner, c’est faire des choix ». Nous veillerons à ce vous assumiez ces choix.

En tout état de cause, nous ne voterons pas les crédits du programme 147, tels qu’ils nous sont aujourd’hui proposés.

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, mes chers collègues, je sais, madame la ministre, madame la secrétaire d'État, que vous êtes l’interprète de nos territoires auprès de l’exécutif. Aussi, vous ferez le maximum pour que nous soyons entendus par celui-ci.

Parler aujourd’hui de la politique des territoires, c’est souvent verser du vitriol sur une plaie purulente. Pour nous, cette politique doit être une politique d’aménagement du territoire, une politique par laquelle l’État assure sa mission constitutionnelle, garantit à chaque citoyen, à chaque territoire les moyens de se développer. Elle doit donc être une politique d’équilibre, une politique juste pour tous.

Or, depuis plus de trente ans, que constatons-nous ? Exit la planification – la DATAR change de nom, parce qu’elle se dissout dans le paysage –, une décentralisation dont les aspects positifs sont reconnus, mais dont les effets pervers sont voilés, et dont le premier fut récemment mis en exergue par l’un de nos collègues députés socialistes, qui déclarait ceci : « Vous avez aimé le jacobinisme national, vous allez adorer le jacobinisme régional ».

En tant que jacobin national, j’ose affirmer que c’est malheureusement la réalité depuis déjà plusieurs décennies. Les métropoles régionales existent et nous sommes favorables à leur développement – nous avons d’ailleurs voté la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi « MAPAM » –, mais il ne faut pas que cela se fasse au détriment des territoires interstitiels. Or tel est ce qui s’est passé.

À une échelle différente, ce fut aussi le cas pour certaines banlieues par rapport aux plus grandes concentrations urbaines. Il n’y a pas de territoires ruraux et de territoires urbains, il y a des territoires riches et des territoires pauvres et en difficulté, que ce soit dans l’urbain ou dans le rural.

M. Jacques Mézard. De quoi avons-nous besoin ? Et là je me fais l’interprète des territoires interstitiels. Il nous faut trois ingrédients essentiels : liberté, accessibilité à nos territoires et préservation de la matière grise qui peut exister dans nos territoires – et, si possible, en faire venir.

S’agissant de la liberté, nous la trouverons dans la clarification des compétences. Vous annoncez, madame la ministre, et le Gouvernement avec vous, vouloir faire la chasse aux normes. Mais nous devons aussi faire la chasse aux schémas, friandises préférées de nos technocrates nationaux et régionaux, et encore plus aux schémas directifs que le Gouvernement veut sacraliser dans la loi NOTRe, au mépris du principe constitutionnel de non-tutelle d’une collectivité sur une autre.

Nous avons des projets dans nos territoires. Nous les connaissons mieux que des technocrates à vision éloignée parfois de plusieurs centaines de kilomètres. D’ailleurs, il est déraisonnable que des régions continuent de nous imposer des usines à gaz pour obtenir tel ou tel financement. Cela engendre des surcoûts, des pertes de temps et les projets ne se réalisent pas, à commencer dans la région que je connais le mieux, mais cela peut se décliner dans nombre de régions.

Nous avons aussi besoin de matière grise. Nos territoires voient leur matière grise aspirée par les métropoles régionales : préfecture de région – j’ai bien entendu le discours du Premier ministre, il faut renforcer les préfectures des départements qui ne sont pas préfecture de région, et il a raison, mais on continue à ne pas le faire et à supprimer encore dans nos territoires gendarmerie, trésorerie, et j’en passe –, sièges de banque, de compagnie d’assurance et d’agences diverses. Nous avons des difficultés pour embaucher, nous connaissons des problèmes d’accessibilité à nos territoires, sans parler des régimes indemnitaires et des salaires.

Se pose aussi, en ce qui concerne la matière grise, la question fondamentale des formations post-bac hors des métropoles régionales. Et là, c’est un véritable chantier sur lequel il faut intervenir rapidement. L’autonomie des universités, c’est bien, mais quand elles sont en difficulté que font-elles ? Comme je l’ai dit ce matin, quand il y a le feu à la maison, on ne s’occupe plus de la grange. Or, pour nombre de ces universités, les pôles universitaires délocalisés, c’est la grange !

Tout cela est bien évidemment aggravé par les futurs projets de réforme territoriale.

Concernant l’accessibilité, l’injustice flagrante par rapport à l’enclavement de certains territoires s’est creusée : sur la route – les temps de trajet sont plus longs aujourd’hui qu’il y a vingt ans –, sur le rail – il en est de même –, sur les lignes à grande vitesse. À cet égard, j’ai lu dans la presse que le Conseil d’État s’apprêtait à annuler le projet de TGV Poitiers-Limoges. Ce sera une grande réussite s’ils y arrivent, alors que l’on a un besoin vital de ce type de lignes au milieu de la France ! Mais l’injustice s’est creusée aussi en matière de nouvelles techniques, par exemple la 4G.

J’ai là un document relatif à la couverture des services 4G par département métropolitain au 10 juillet 2014. (L’orateur brandit le document.) Je prendrai trois départements emblématiques : la Lozère voit 0,5 % de sa surface et 15,9 % de sa population couvertes ; la Creuse, 0 % de sa superficie couverte et 0 % de sa population ; enfin, le département que je connais le mieux, le mien, le Cantal, a 1,3 % de sa superficie couverte et 22,2 % de sa population.

Est-ce cela la justice ? Est-ce cela une politique d’aménagement du territoire ? Évidemment, ce n’est pas la faute du gouvernement au pouvoir depuis deux ans. (Mme la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité acquiesce.) C’est la faute de décennies d’absence d’aménagement du territoire. (M. le rapporteur pour avis de la commission du développement durable opine.) Cela vise surtout les territoires à faible démographie, mais il y a un lien de cause à effet.

Les dispositifs utilisés par les gouvernements successifs depuis des décennies pour pallier la fracture territoriale n’ont pas permis de la réduire. Il arrive même qu’ils l’aggravent (M. le rapporteur pour avis de la commission du développement durable opine de nouveau.) parce que ces dispositifs sont à effet souvent homéopathique, sont insuffisants et, souvent, sont distribués par l’exécutif, madame la ministre, au gré des services rendus par tel ou tel élu. On l’a d’ailleurs constaté encore récemment.

Ce n’est pas une modification marginale du système des ZRR, les zones de revitalisation rurale, ou le renouvellement de quelques-uns de ces dispositifs qui remédiera à l’absence d’une véritable politique d’aménagement du territoire – que nous demandons au Gouvernement et à vous-même, madame la ministre. En fonction de vos réponses, notre groupe apportera son soutien à votre politique. (Applaudissements sur les travées du RDSE et sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. Joël Labbé applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. David Rachline.

M. David Rachline. Monsieur le président, mesdames les ministres, mesdames, messieurs les sénateurs, en préambule de mon intervention sur le sujet si sensible de l’aménagement des territoires, je tiens à dire ici toute ma sympathie et ma compassion à l’ensemble des populations, spécialement celles de mon département du Var, qui ont été durement touchées par les inondations. Nous avons passé une semaine sur le terrain pour organiser le soutien et la gestion de crise dans ma commune et je sais combien ces épreuves sont éminemment difficiles sur le court terme, lorsqu’il faut évacuer, mais aussi sur le long terme, lorsque l’on voit que rien n’est fait, malgré de belles promesses, pour limiter les caprices de la nature, pas plus en termes d’organisation qu’en termes administratifs ou financiers. Nous arrivons donc dans le vif du sujet et dans le cœur des sujets financés, notamment, par cette mission.

Sans entrer dans des considérations d’écriture budgétaire, je m’accorde avec le rapporteur pour souligner que, pour avoir une meilleure lisibilité, il serait souhaitable que cette mission soit élargie à l’ensemble des programmes qui sont de facto de l’aménagement des territoires. Ce morcellement dans plusieurs missions ne facilite pas la vision globale de la politique gouvernementale sur ce sujet qui touche la vie quotidienne de nos compatriotes.

Commençons par nous féliciter de la mutualisation des moyens pour les administrations en charge de ces questions. La création du Commissariat général à l’égalité des territoires, le regroupement de plusieurs administrations est une bonne chose et nous espérons des économies budgétaires, mais surtout un accroissement de l’efficacité des politiques publiques portées par ces administrations.

Il en est de même pour la fusion annoncée de l’Agence française des investissements internationaux et d’UbiFrance. Notre pays a trop souvent laissé s’installer en parallèle des structures œuvrant sur les mêmes problématiques. Les années passées n’ont pas montré que la concurrence entre structures publiques était très bénéfique.

Un mot sur les pôles de compétitivité : ces actions lancées depuis plusieurs années partent d’une excellente idée et il convient de les pérenniser tout en étant vigilant sur leurs résultats concrets – j’insiste sur le mot « concret ».

Cependant, les pôles de compétitivité ne doivent pas être un prétexte pour faire déménager des structures, notamment d’enseignement, et participer ainsi à la désertification de certaines zones. Il paraît inconcevable que les pôles ne puissent pas concentrer en leur sein des structures éclatées sur un territoire mais participant à son maillage. Je pense ici au déménagement d’un certain nombre d’IUT, par exemple à Saint-Raphaël, IUT qui est déplacé de Saint-Raphaël à Toulon, au prétexte qu’ils ne permettraient plus aux gens, par exemple de Saint-Raphaël, aux jeunes en particulier, de mener à bien leurs études.

Un mot rapide, enfin, sur la politique de la ville. Il serait grand temps que cette politique ne soit plus guidée seulement par l’idéologie, voire par le clientélisme ; nous avons toute une série d’exemples dans les rangs de la gauche : M. Guérini, etc. Il faudrait que ce soient les élus de terrain, et eux seuls, qui portent cette responsabilité. Finalement, ils sont élus pour cela. Il faut donc que ce soit eux qui aient le levier pour mener à bien ce pour quoi ils ont été élus.

Comme pour pratiquement tous les sujets, votre seul objectif, avec ce projet de loi de finances, c’est de vous soumettre au diktat bruxellois et de réduire la voilure, encore et encore. Le désengagement de l’État impose aux collectivités territoriales de gérer des politiques qui ne sont pas de son niveau ou pour lesquelles elles n’ont ni les moyens ni la légitimité. Le tragique exemple du barrage de Sivens en est la triste illustration. Les projets d’infrastructures d’envergure doivent être portés par l’État et, dans le même temps, les populations au niveau local doivent être consultées.

L’aménagement du territoire doit être piloté par l’État, garant de l’unité nationale, mais validé par les populations au niveau local ! N’ayez pas peur de la démocratie ! N’ayez pas peur, par exemple, des référendums locaux, qui permettraient probablement de résoudre bien des choses dans ces cas-là.

M. le président. Il faut conclure, monsieur le sénateur.

M. David Rachline. Je conclus. Il nous faut retrouver un État stratège, une administration centrale qui, à travers ses services déconcentrés, décline cette stratégie au niveau tactique, et des collectivités territoriales qui la rendent opérationnelle avec des moyens alloués par l’État en fonction des missions fixées.

Comme les discussions sur la mission « Relations avec les collectivités territoriales » l’ont souligné, le flou sur les missions et les moyens de chacun entraîne gaspillage, inefficacité, déresponsabilisation et, donc, mécontentement. Nous voterons donc contre.

M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle.

M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, madame la ministre, madame, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la mission « Politique des territoires », composée des programmes « Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire », « Politique de la ville » et « Interventions territoriales de l’État », constitue un outil d’intervention en faveur de l’ensemble de nos territoires, qu’ils soient urbains ou ruraux.

L’approche globale de cette mission budgétaire nous permet de tenir compte des disparités entre les territoires, entre des zones urbaines, périurbaines ou touristiques qui concentrent une part croissante de la population et certaines zones de montagne ou rurales de plus en plus isolées et dépeuplées.

Tous ces territoires, malgré leurs nombreuses diversités, rencontrent des problématiques communes, comme le logement, l’emploi, les transports, l’accès aux services publics de proximité, le très haut débit, la téléphonie mobile, dont nous avons déjà parlé, le développement économique, l’égal accès aux soins et, enfin, la mise en réseau des territoires – des métropoles aux villes moyennes jusqu’aux petits bourgs et aux zones rurales et hyper-rurales environnantes.

C’est pourquoi il me paraît essentiel et urgent de disposer des moyens nécessaires pour mettre enfin en œuvre une politique nationale volontariste en matière d’aménagement du territoire afin de permettre un développement territorial équilibré, plus harmonieux, et d’éviter que le déséquilibre déjà existant entre ces zones rurales et urbaines ne se transforme en fracture irrémédiable.

Nous avons longuement évoqué lors de ces réformes territoriales, notamment dans les départements ayant une métropole, l’articulation future entre l’urbain et le rural. Je rappelle que l’articulation est un système permettant de relier deux entités. Or j’ai peur qu’une entité ne fasse rapidement défaut et que l’articulation ne serve plus à grand-chose. Si je prends le cas de mon département, la Haute-Garonne, 87 % de la richesse se trouve aujourd’hui concentrée sur 10 % du territoire ; nous ne sommes pas loin de mes prévisions catastrophiques.

Malheureusement, le projet de loi de finances pour 2015 prévoit des crédits à hauteur de 708 millions d’euros en autorisations d’engagement et 761 millions d’euros en crédits de paiement, alors que la loi de finances pour 2014 prévoyait 812,22 millions d’euros en autorisations d’engagement et 815,31 millions d’euros en crédits de paiement. Cette baisse notable des crédits, de 12,77 % pour les autorisations d’engagement et de 6,64 % pour les crédits de paiement, tend à montrer que ce gouvernement, comme les précédents – pas de jaloux, comme disait Jacques Mézard –, n’a pas réellement pris conscience de l’utilité d’une politique territoriale cohérente et du potentiel existant dans les zones rurales pour insuffler une véritable dynamique dans tout notre pays. D’autant que cette baisse des crédits touche particulièrement le programme 112 « Impulsion et coordination de la politique d’aménagement du territoire », dans lequel figurent pourtant les moyens pour redynamiser nos territoires, comme les contrats de plan État-région.

En effet, la nouvelle génération de contrats de plan 2014-2020, avec des orientations prioritaires telles que la couverture du territoire en très haut débit, le développement des usages du numérique ou les mobilités multimodales – sera essentielle pour soutenir l’investissement et la croissance de nos futures régions.

Aussi, cette baisse des crédits met en péril notre politique d’aménagement, dont l’objectif majeur reste l’harmonisation du développement et le rééquilibrage économique.

Après cette présentation assez générale, plusieurs points ayant déjà été abordés cet après-midi, j’insisterai pour ma part plus particulièrement sur deux thématiques : la lutte contre les fractures numériques et le développement du haut et du très haut débit, et tout simplement la téléphonie mobile ; et l’égalité d’accès à une offre de soins de qualité et de proximité pour tous les citoyens.

Aujourd’hui encore, trop de communes, notamment dans mon département, sont en « zone blanche ». Ces communes, situées en zones rurales ou de montagne, ne disposent pas d’une couverture numérique digne de ce nom, même la téléphonie mobile est absente de quasiment toutes les vallées ainsi que du Piémont.

J’écoutais avec grand intérêt il y a quelque temps votre collègue Axelle Lemaire nous présenter le Plan France Très Haut Débit pour 2026. Il est très bien, séduisant. J’ai été séduit aussi. Je peux toutefois vous assurer que nous nous contenterions déjà d’une téléphonie normale. Bien sûr, insuffisamment peuplées, ces zones blanches présentent peu d’intérêt pour les grands opérateurs. Le coût du très haut débit étant très élevé en zone rurale, les programmes d’équipement actuels privilégient très majoritairement les zones offrant un retour sur investissement très rapide.

Il serait intéressant de se pencher sur de nouvelles pistes de financement, soit une taxe sur les opérateurs, soit une taxe beaucoup plus faible – qui a déjà été proposée par Hervé Maurey – sur tous les abonnements, afin de mettre en place un système de péréquation. Nous pourrions ainsi équiper de façon correcte les zones rurales.

On pourrait enfin raisonner en pourcentage de territoire couvert et non plus uniquement en pourcentage de population, ce qui donnerait une image plus réaliste des carences en matière de couverture.

L’apparition sur le marché de certains opérateurs low cost nous a permis de constater que les opérateurs pouvaient aisément supporter une nouvelle petite taxe en vue de cette péréquation.

Dans mon département, pour pallier cette fracture numérique, certains fournisseurs d’accès à internet indépendants et associatifs ont décidé d’investir les campagnes. C’est le cas de l’association toulousaine Tetaneutral.

Même si je salue ces initiatives indépendantes, cette carence reste inadmissible à notre époque et ne manque pas de poser de sérieux problèmes également dans le domaine de l’organisation des secours et des soins médicaux d’urgence.

Depuis décembre 2012, le Gouvernement a lancé un plan de lutte contre la désertification médicale, qui s’ajoute au déploiement à partir de l’année 2010 des maisons de santé et pôles de santé pluridisciplinaires. Il faut aller encore plus loin, car les inégalités ne cessent de croître.

Heureusement, l’installation dans certains territoires ruraux de praticiens roumains est très importante pour l’aménagement du territoire et l’égalité de l’offre de soins. Quand va-t-on se poser la question du numerus clausus dans nos universités de médecine, de pharmacie ou de dentaire ? En effet, parallèlement à l’arrivée de ces praticiens, essentiellement de Roumanie, certains jeunes Français partent étudier à l’étranger, en Roumanie, en Belgique pour une prépa-véto ou en Espagne pour devenir kinésithérapeutes ou dentiste.

Les maires de ces communes situées en zones rurales sont totalement conscients de toutes ces difficultés et de leurs conséquences néfastes pour la population et l’attractivité future de leur territoire.

Aujourd’hui, le sentiment d’abandon dans ces zones rurales est de plus en plus flagrant : suppression de services publics, apparition de déserts médicaux et, de surcroît, diminution des dotations de l’État aux collectivités ! Je citerai encore mon département, qui a été sinistré du fait des inondations en juin 2013. Nous avons vu, lors de la campagne sénatoriale, des maires désespérés quasiment jeter les clefs et se plaindre de manquer, à côté des aides de l’État à hauteur de 90 %, des 5 % ou 10 % d’autofinancement nécessaires pour démarrer la construction d’ouvrages de sécurité basiques. Des mesures d’urgence s’imposent en cas de sinistres pour au moins permettre à ces communes de commencer à dépenser les aides qu’elles ont obtenues.

Comme on a pu le constater lors de la présentation de la réforme territoriale, L’État ne semble malheureusement plus faire confiance aux élus ruraux ni sentir le pouls de ces territoires éloignés des grands centres de décision.

Pourtant, le dynamisme et le potentiel de ces communes existent et reposent sur une politique d’aménagement du territoire volontariste de l’État avec une mobilisation de toutes les forces vives comme les collectivités et les acteurs économiques, sociaux ou associatifs.

Voilà quelques années déjà, l’opinion publique et les médias s’étaient émus de la situation en Roumanie où l’ancien dictateur Ceausescu, dans un de ses délires mégalomaniaques, avait projeté de déplacer toute la population dans de gigantesques mégapoles. C’est, hélas ! chez nous un phénomène naturel…