M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis.

Mme Colette Mélot, rapporteur pour avis de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au risque de nuire au suspense, qui est un ressort classique des industries culturelles, je vous indique d’emblée que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication vous recommande de rejeter les crédits du programme 334, « Livre et industries culturelles ».

Cette recommandation ne procède évidemment pas d’une volonté de réduire les moyens consacrés à une politique que sa dimension « civilisationnelle » justifie pleinement. Bien au contraire, ce sont les décisions budgétaires et l’immobilisme du Gouvernement face à des problèmes essentiels pour l’action publique dans le domaine culturel, qu’il devrait pourtant prendre à bras-le-corps, que nous souhaitons sanctionner par un rejet de ces crédits, seule position qui nous soit accessible.

Madame la ministre, on nous a affirmé que la culture serait préservée contre les coupes que le Gouvernement pratique dans le massif des dépenses publiques. Avec le programme 334, il n’en est rien. Faute d’une politique déterminée de redéploiement des dépenses publiques, vous nous présentez un budget au fil de l’eau, qui ne doit son augmentation qu’à un jeu d’apparences.

Sans les ouvertures de crédits de paiement rendues nécessaires par les opérations patrimoniales en cours, le soutien budgétaire au programme reculerait en euros constants. Nous pouvons en déduire le sort réservé aux grands opérateurs de l’action publique… En refusant de leur accorder les moyens de leurs missions, vous les condamnez soit à une gestion financière aventureuse, soit à un abandon de certaines d’entre elles, avec, en filigrane, des restructurations dont vous devrez porter la responsabilité.

En toute hypothèse, l’édifice subtil, mais fragile, qui permet à la culture de se déployer et de se défendre contre les dangers qui la menacent plus que jamais, dans une ère numérique dominée par quelques mastodontes prédateurs, est miné par vos choix budgétaires. Que dire de l’inexplicable inertie qui semble paralyser votre action dans des champs absolument stratégiques pour notre exception culturelle, c’est-à-dire pour notre culture ?

Madame la ministre, nul ne sait mieux que vous combien de rapports et combien de contributions ont été transmis ces dernières années au Gouvernement, pour que notre pays réussisse la révolution numérique des contenus. (Mme Nathalie Goulet opine.)

Le Sénat y a pris toute sa part. À ce sujet, je pense aux initiatives du président Philippe Marini et du président Bruno Retailleau. Plus près de votre majorité, je pourrais citer les contributions d’Yves Rome et d’Yvon Collin. En évoquant ce dernier, je pense bien sûr au rapport dit « des deux Collin », mais il y a aussi eu le rapport Lescure, le rapport Phéline et tant d’autres...

Que faites-vous de ces talents ? Un projet de loi sur la création, qui ne cesse d’être reporté, et une action au service d’une régulation européenne des industries culturelles que l’on attend, comme d’autres attendent Godot. Nous savons bien que la politique est l’art du possible, mais elle doit aussi être l’art de l’audace, faute de quoi il n’y a plus rien de possible.

Pour notre part, nous avons eu l’audace d’inventer la HADOPI. Cette autorité indépendante est le seul organe coordonnant des réponses aux problèmes posés à la volonté de culture par le numérique. En soi, donc, elle se singularise par rapport aux réactions désordonnées qui voient chaque secteur doté dans le désordre de régulations successives.

Ses missions sont appelées à être développées, si j’en crois les recommandations du rapport Imbert-Quaretta. Ce serait, en tout cas, souhaitable, mais, hélas, vous ne lui en donnez pas les moyens, ce que nous n’acceptons pas. Et je pourrais formuler des remarques identiques pour le Centre national du livre, la Bibliothèque nationale de France ou le programme de numérisation des ouvrages indisponibles du XXe siècle.

En somme, vous remettez en cause la possibilité pour la France de développer une offre culturelle numérique, grand impératif positif de notre affirmation culturelle.

Avant de clore mon intervention, madame la ministre, je souhaiterais vous rendre sensible au sort des librairies. Le Sénat les a défendues avec ardeur, en légiférant sur la vente à distance et en complétant la loi sur le prix unique du livre. Je sais bien que le Gouvernement n’est pas toujours attentif aux commerces de détail : j’en veux pour preuve la réforme des professions réglementées et ses dispositifs facilitant la vente de médicaments par les grandes surfaces. (M. Jacques-Bernard Magner s’exclame.)

Néanmoins, je veux vous rendre attentive à la nécessité absolue de défendre les petits distributeurs du livre. Ils sont à l’édition française ce qu’est la tranche aux ouvrages imprimés, soit ce qui soutient les feuillets et permet la lecture. Complétez l’action publique à leur profit, et nous vous soutiendrons ! (M. Michel Savin applaudit.)

M. le président. Je vous rappelle que le temps de parole attribué à chaque groupe pour chaque discussion comprend le temps d’intervention générale et celui de l’explication de vote.

Je vous rappelle également qu’en application des décisions de la conférence des présidents, aucune intervention des orateurs des groupes ne doit dépasser dix minutes.

Par ailleurs, le Gouvernement dispose au total de vingt-cinq minutes pour intervenir.

Dans la suite de la discussion, la parole est à M. Loïc Hervé.

M. Loïc Hervé. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est la première fois que je m’exprime devant vous à la tribune du Sénat. J’en mesure à cet instant l’honneur en pensant à mon territoire d’élection, la Haute-Savoie. Je voulais partager avec vous ce moment d’émotion.

Les missions du champ culturel se ressemblent – malheureusement, dirai-je –, parce que l’on y retrouve les mêmes travers. En l’occurrence, comme la mission « Culture », la mission « Médias, livre et industries culturelles » se caractérise par une stabilisation des crédits qui pourrait n’être qu’illusoire et, surtout, par une absence de choix stratégiques.

En effet, à périmètre constant, les crédits de la mission enregistrent une légère hausse de 0,43 %, ce qui paraît remarquable dans une époque de contraction budgétaire. Toutefois, en réalité, cette relative stabilité sanctuarise des baisses passées et masque mal l’insoutenabilité des finances du secteur, en l’absence de véritables choix politiques.

C’est particulièrement caricatural pour ce qui concerne le budget de France Télévisions, dont la dotation concentre 85 % du programme « Contribution à l’audiovisuel », qui bénéficiera de près de 65 % de la contribution à l’audiovisuel public, la CAP. L’institution France Télévisions est donc placée au cœur de la contribution du secteur à la réduction des dépenses publiques et de la réforme structurelle de son financement.

Le contrat d’objectifs et de moyens 2011-2015 montre que France Télévisions a déjà fourni l’essentiel de l’effort budgétaire qui lui était demandé sur cette période, soit un décalage de près de 10 % de son budget global par rapport au projet de loi de finances pour 2015. Or les seuls gains de productivité ne permettent pas de couvrir la totalité de cet effort, ce qui place France Télévisions en tension financière et en position de forte vulnérabilité face aux incertitudes pesant sur la réforme structurelle du financement de l’audiovisuel public.

Sur le fond, nous soutenons son financement exclusif par la CAP. De même, l’augmentation de son montant ne nous choque pas, puisque son niveau demeure l’un des plus faibles d’Europe. En revanche, la structure des crédits de France Télévisions dans le présent projet de loi de finances est en contradiction avec ces choix. En effet, la part de la CAP qui lui sera attribuée baisse de près de 3 % et sa dotation augmente, au contraire, de plus de 42 %.

Nous comprenons bien les raisons techniques sous-tendant ces chiffres, mais, à l’heure où l’on veut garantir l’indépendance de France Télévisions grâce à la CAP, l’effet d’affichage laisse franchement à désirer.

Plus fondamentalement, il est bien hasardeux d’acter le financement exclusif de l’audiovisuel public par la CAP sans en réformer l’assiette. Une telle réforme était déjà préconisée en 2010 par la présidente Catherine Morin-Desailly dans son rapport d’information sur les comptes de France Télévisions. Elle s’impose aujourd’hui plus que jamais, car, si le Gouvernement est très optimiste sur l’évolution naturelle du rendement de la CAP, France Télévisions, au contraire, craint son décrochage.

Son rendement pourrait ainsi s’effondrer subitement en raison de l’obsolescence de son assiette, alors que la génération de l’internet et des réseaux sociaux entre sur le marché du travail. Un tel phénomène a déjà eu lieu en Finlande en 2006.

Dans cette situation de tension financière et d’incertitude sur la CAP, France Télévisions attend des choix sur son périmètre, c’est-à-dire des décisions politiques capables de restreindre ses missions.

N’est-ce pas le moment, cinq ans après l’adoption de la loi du 5 mars 2009, d’en faire le bilan ? À défaut, et sans orientations claires, si nous restons à périmètre constant dans un univers télévisuel hautement concurrentiel, c’est la qualité des programmes et de la production qui risque de s’en ressentir. Ce phénomène a d’ailleurs déjà malheureusement commencé. France Télévisions est ainsi la seule télévision publique européenne à ne pas avoir pu diffuser les principaux matchs de la Coupe du monde de football, et cela se reproduira pour l’Euro 2016.

Sur les 2,9 milliards d’euros de ressources globales brutes de France Télévisions, quelque 2,5 milliards d’euros proviennent de concours publics, dont 2,3 milliards d’euros de la contribution à l’audiovisuel public, la CAP. Les ressources publicitaires n’apportent que les 400 millions d’euros restants, ce qui doit nous conduire à relativiser l’enjeu qu’elles représentent. Quoi que l’on pense de la suppression de la publicité à partir de vingt heures, le véritable enjeu financier de France Télévisions est non pas là, mais dans la réforme de la CAP.

Je voudrais par ailleurs et de manière liminaire évoquer également la situation de Radio France, elle aussi bénéficiaire de la CAP. Nous le savons, la Maison de la Radio a connu des travaux importants depuis 2009 et elle a récemment été atteinte par un incendie qui ne peut laisser indifférents les parlementaires que nous sommes. Je veux ici marquer notre solidarité avec ce service public auquel nos compatriotes sont si fortement attachés.

De la même manière, au lendemain du sommet mondial de la francophonie, on ne peut oublier ni France Médias Monde ni la nécessité de maintenir la présence de notre pays et de notre langue dans le monde entier. Il s’agit d’œuvrer au renforcement des médias existants, France 24-RFI et TV5 Monde.

Les autres programmes de la mission ont quant à eux vocation à aider les secteurs de la presse, du livre et des industries culturelles à s’adapter à un environnement de plus en plus concurrentiel et aux bouleversements technologiques auxquels ils sont confrontés. À cet égard, nous nous réjouissons que la diminution des aides à la presse reste maîtrisée. Cependant, ces aides ne devraient-elles pas davantage bénéficier à la presse quotidienne régionale, qui constitue le principal vecteur d’information du pays ? Nous le pensons.

Les crédits consacrés au livre et aux industries culturelles augmentent de 2,5 %, ce qui représente un effort considérable dans un contexte de tension budgétaire. Quelque 80 % de ces crédits financent la Bibliothèque nationale de France. Ils financent aussi le Centre national du livre, le CNL, dont je tiens à saluer le plan de soutien aux librairies, qui, au travers du budget du CNL, est augmenté de 2 millions d’euros.

En outre, je tiens à relever un paradoxe concernant les industries culturelles proprement dites : leur part des crédits est résiduelle, alors qu’elles représentent 3 % du PIB.

Comme l’a très bien souligné notre rapporteur pour avis Colette Mélot, le jeu vidéo, en particulier, est devenu la première industrie culturelle du pays. Si nous ne voulons pas qu’elle se délocalise, nous devrions mieux accompagner cette industrie que nous ne le faisons aujourd’hui. Certes, la baisse du seuil d’éligibilité au fonds d’aide au jeu vidéo constitue un premier pas, mais le groupe du travail sur les jeux vidéo du Sénat avait formulé d’autres recommandations, qui mériteraient d’être suivies.

Je conclurai sur cette question des industries culturelles en dénonçant le traitement inadmissible que le présent projet de loi de finances réserve à la HADOPI. Alors que le transfert des activités de cette institution au Conseil supérieur de l’audiovisuel ne semble plus à l’ordre du jour, le montant de la subvention qui lui est accordée menace la conduite de ses missions.

Il manque aujourd’hui quelque 1,5 million d’euros à l’institution, qui ne peut plus puiser dans son fonds de roulement. Ce traitement s’apparente à une tentative d’asphyxie budgétaire, ce qui est inacceptable : si le Gouvernement veut supprimer la HADOPI, qu’il le fasse ! En revanche, tant qu’elle existe, cette institution doit disposer des moyens nécessaires à son fonctionnement.

Au fond, le traitement de la HADOPI n’est pas si surprenant : c’est un symptôme caricatural de ce que j’évoquais au début de mon intervention : l’incapacité du présent budget à faire des choix politiques clairs. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, traiter en six minutes des crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles » est assurément un défi et frôle la « mission impossible ». Nous saluons la légère hausse du budget, chiffrée à 0,43 %, qui permettra de préserver, autant que possible, les éléments essentiels que sont le soutien à la lecture, le soutien au secteur du livre, les aides à la presse, à l’Agence France Presse et à l’audiovisuel public.

N’oublions pas cependant qu’il faut poursuivre la réorganisation des aides à l’audiovisuel public, afin de mieux soutenir ce secteur face aux enjeux qu’il rencontre. Nous devons mener une réflexion plus générale sur la question de l’adaptation du financement des industries culturelles à la révolution numérique. Dans ce contexte, nous devons également prêter une attention particulière à ce que les médias indépendants ne disparaissent pas au profit de grands groupes audiovisuels. Or le pluralisme est gravement en danger en France.

Concernant les crédits dédiés à l’audiovisuel public, et comme l’a souvent rappelé en commission notre collègue André Gattolin avant de rejoindre la commission des finances, nous devons de nouveau demander à France Télévisions de réaliser de vrais efforts de gestion.

Aujourd’hui encore, il n’existe pas de système sérieux de contrôle interne des coûts, notamment vis-à-vis des « producteurs extérieurs », qui sont parfois des « anciens » des chaînes publiques. On constate que leurs taux de marge peuvent être particulièrement élevés – parfois, ils restent même inconnus. Certaines entreprises se mettent aussi en situation de dépendance. De fait, lorsqu’une émission doit être supprimée ou écartée de la grille, le producteur-animateur argue qu’il se trouve dans une position de quasi-salariat, et l’émission est ainsi reconduite. Ce business model, selon nous assez peu transparent, est à assainir et à revoir.

Par ailleurs, l’alignement de la TVA de la presse en ligne sur celle de la presse papier nous a réjouis, car il s’agit d’une revendication portée de longue date par les écologistes. De fait, elle a certainement offert aux entreprises concernées une bouffée d’air.

Du reste, le véritable problème que je voudrais évoquer ce soir est celui de la presse écrite, en particulier de la presse d’information générale, qui va mal, notre collègue Pierre Laurent l’a dit, et même très mal ! Cette presse vend de moins en moins d’exemplaires et, lorsqu’elle en vend tout de même, vend de plus en plus cher au numéro, pour des raisons évidentes. Les chiffres des trois derniers mois sont de plus en plus préoccupants. Et je n’évoque même pas la disparition des kiosquiers, qui sont quasiment introuvables dans certains centres-villes en région, comme cela a été souligné dans le rapport de M. Baroin.

En outre, l’évolution du lectorat suscite, elle aussi, des inquiétudes légitimes, car les jeunes ne lisent plus la presse, même quand elle est mise à leur disposition gratuitement, et tous ne la lisent pas sur tablette. Une réforme structurelle pérenne des soutiens à la presse se fait toujours attendre, et nous l’appelons de nos vœux.

Selon nous, l’un des critères pour accorder les aides à la presse devrait être la défense et la protection du métier de journaliste, et surtout de photojournaliste, comme nous l’avons souligné en commission. Quels outils proposer pour que les éditeurs de presse utilisent les photographies d’une manière plus conforme à l’éthique ? Nous insistons donc sur la nécessité d’un vrai débat sur la rénovation des aides à la presse, qui pourraient prendre en compte de nouveaux critères.

Ensuite, en ce qui concerne le soutien aux radios locales associatives, sauf erreur de ma part, le Fonds de soutien à l’expression radiophonique est pratiquement bloqué à son niveau de 2010. Je désire attirer de nouveau votre attention sur le fait qu’un certain nombre de radios associatives pourraient en être fragilisées. Des espoirs nous ont été laissés en commission. Qu’en est-il, madame la ministre, de ce fonds qui semble être gelé ?

Nous ne partageons évidemment pas le même point de vue sur la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet, la HADOPI. Nous, écologistes, pensons qu’un débat au Parlement sur l’avenir de l’institution et de ses missions s’impose. Depuis la promesse présidentielle, dont le numéro m’échappe, de supprimer la loi HADOPI, où en est-on, madame la ministre ?

Je le répète, la réponse graduée est devenue presque caduque, en raison notamment de la diminution des moyens affectés à cette institution. L’effet pédagogique de ce dispositif sur les internautes reste très controversé et, selon nous, la suppression de la HADOPI se fait encore attendre. Nous souhaitons que cette situation soit clarifiée rapidement.

Sur ce point, nous retenons la proposition de Mme la présidente de la commission : celle-ci suggérait de créer une mission d’information sur cette institution, qui réunirait des données objectives et approfondies en vue de supprimer la HADOPI. Un encouragement plus important au développement de l’offre légale serait également une bonne chose.

Alors que la protection des libraires indépendantes était la priorité de l’année 2013, en 2014, la défense des bibliothèques a été mise en avant, nous semble-t-il, notamment celle de la Bibliothèque nationale de France et de la Bibliothèque publique d’information. Nous saluons ces efforts, mais nous nous permettons de relever que ce sont des sites parisiens. Il convient également de préserver le site de Sablé, qui est situé en région et qui a, lui aussi, son utilité. (Mme Nathalie Goulet approuve.)

Mme Françoise Laborde. C’est vrai !

Mme Corinne Bouchoux. Enfin, madame la ministre, et sans malice – je l’ai déjà fait l’an dernier au même moment –, puisque nous évoquons la défense du livre, je voudrais partager l’intérêt que j’ai eu à lire l’ouvrage d’Astra Taylor intitulé Démocratie.com. Pouvoir, culture et résistance à l’ère des géants de la Silicon Valley. Nous ne serons pas d’accord, les uns et les autres, à propos des problèmes abordés par cet ouvrage, mais je souhaite attirer votre attention sur ce livre, dont l’auteur prône un « écosystème médiatique » et « des politiques progressistes qui fassent passer l’humain avant le profit ».

Aussi, madame la ministre, en dépit des inquiétudes et des réserves dont nous vous avons fait part, et sur lesquelles je reviendrai, les écologistes ont soutenu en commission le budget qui nous était soumis initialement. Néanmoins, leurs souhaits n’ont pas été suivis par la majorité sénatoriale. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.

Mme Françoise Laborde. « Qui que vous soyez qui voulez cultiver, vivifier, édifier, attendrir, apaiser, mettez des livres partout. », écrivait Victor Hugo en 1878.

Mme Nathalie Goulet. Belle formule !

Mme Françoise Laborde. Ce constat est toujours d’actualité. Tel est l’objet de cette mission consacrée aux médias, à l’industrie culturelle et aux livres.

À l’heure où le numérique modifie en profondeur nos habitudes, la lecture reste un enjeu majeur des politiques publiques : qu’on lise sur un écran, une tablette ou qu’on lise un vieux livre au papier jauni, un beau livre d’art ou une bande dessinée, lire est toujours l’occasion d’apprendre et de s’évader.

Dans le contexte budgétaire serré que nous connaissons, le groupe RDSE salue l’augmentation de 3 % des crédits de paiement du programme au bénéfice de l’action « Livre et lecture ».

Les Français liraient plus, nous dit-on. Toutefois, le mot « lire » inclut indifféremment littérature, presse, modes d’emploi et manuels de bricolage. D’un point de vue qualitatif, des élites aux classes populaires, on lit moins aujourd’hui qu’hier. Le programme international de recherche en lecture scolaire, coordonné tous les cinq ans dans quarante-cinq pays, a récemment révélé que les élèves français âgés de dix ans maîtrisent moins bien la lecture que la moyenne des écoliers européens du même âge et que, sur plusieurs points, leurs performances se sont dégradées depuis une décennie.

Si la lecture publique est une compétence décentralisée, l’État a son rôle à jouer par le maintien de son concours financier et technique. La transmission du savoir par l’intermédiaire du réseau des 1 700 bibliothèques réparties sur le territoire français et des 2 500 librairies indépendantes, et le fait d’encourager les publics défavorisés à lire par la promotion des associations qui s’y consacrent sont essentiels pour lutter contre les inégalités sociales. La réussite du dispositif des « contrats territoire-lecture » mis en place en 2010 doit être saluée, même s’il faut encourager le rapprochement avec d’autres dispositifs de conventionnement et de subventionnement.

Il serait d’ailleurs souhaitable de réfléchir sur l’élargissement de l’amplitude horaire des bibliothèques publiques. À Copenhague, à Amsterdam et dans nombre d’autres villes du nord de l’Europe, les bibliothèques publiques frôlent les cent heures d’ouverture hebdomadaires, contre trente heures en moyenne en France et quarante dans les plus grandes villes. Aux États-Unis, les bibliothèques universitaires restent ouvertes vingt heures sur vingt-quatre, voire vingt-quatre heures sur vingt-quatre en période d’examens ! En France, notamment à Paris, quelques bibliothèques publiques font exception, mais elles sont rares.

Cette mesure viserait aussi à combler les inégalités entre les étudiants, puisque nombre d’entre eux ne disposent pas d’un espace suffisant chez eux pour travailler dans le calme nécessaire. Pour ces étudiants qui cumulent tous les handicaps, les bibliothèques sont des espaces de travail et de réussite. Une pétition, qui a recueilli plus de 10 000 signatures en quelques semaines, a déjà été signée par de nombreuses personnalités. Nous souhaiterions savoir, madame la ministre, où en sont les négociations entre les collectivités locales, le personnel des bibliothèques et votre ministère sur cette question essentielle.

« Cultiver, vivifier », c’est aussi le rôle du programme 180 dédié à la presse, dont le groupe RDSE soutient les objectifs. Si les aides à la presse diminuent de plus de 9 % dans le présent budget, c’est en raison de la baisse de l’aide au transport postal. Et nous savons que l’avenir du schéma de diffusion de la presse écrite fera prochainement l’objet d’un rapport.

Nous saluons les mesures qui ont déjà été prises concernant la modernisation du secteur et le développement de ses diffusions numérique et physique, notamment l’application du taux de TVA réduit de 2,1 % aux services de presse en ligne, de même que le ciblage accru du fonds stratégique pour les services de presse en ligne.

Le modèle économique de la presse n’est plus viable et doit évoluer. À l’ère du tout-numérique, le paradigme de la lecture a changé. Le numérique a permis de rajeunir au quotidien le lectorat de la presse et doit permettre de repenser le modèle de soutien et de diffusion de la presse nationale.

Depuis le début des années deux mille, la diffusion de la presse papier a connu une baisse de 25 %. Si la mutation numérique, déjà largement entamée, est inéluctable, il convient de ne pas enterrer trop vite ce type de presse, qui reste un vecteur essentiel de l’information. Dans une logique d’anticipation, le groupe RDSE plaide pour une réflexion à moyen et long terme sur l’avenir de la presse et de son modèle économique.

Madame la ministre, mes chers collègues, la majorité du groupe RDSE votera les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». (Applaudissements sur les travées du RDSE. – Mmes Corinne Bouchoux et Nathalie Goulet applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Michel Savin.

M. Michel Savin. Comme vous l’aviez annoncé lors de votre prise de fonction, madame la ministre, le budget de la mission « Médias, livre et industries culturelles » est sanctuarisé pour les trois années à venir. Présentant une légère hausse des crédits de 0,43 % pour 2015, il pourrait recevoir nos suffrages, car nous pensons que le secteur de la culture doit être préservé de la rigueur budgétaire en raison de son poids économique – un peu plus de 3,2 % du PIB.

Ce projet budget présente cependant plusieurs défauts majeurs : il masque des situations contrastées, manque d’ambition et laisse en suspens des interrogations qu’il faudrait traiter.

Tout d’abord, je le répète, il masque des situations contrastées. Notre rapporteur pour avis, Mme Mélot, a notamment pointé la réduction de 14 % des autorisations d’engagement sur le programme « Livre et industries culturelles ». Ce sont les dépenses d’investissement qui sont réduites, alors que le développement du numérique oblige les différents secteurs à s’adapter pour effectuer leur mutation dans un contexte de compétition internationale, ce qui nécessite des moyens importants.

Sur le plan budgétaire, l’écart se creuse entre autorisations d’engagement, qui diminuent, et crédits de paiement, qui augmentent. Cet effet de ciseau entraîne cette année un reliquat évalué à près de 64 millions d’euros, qui pèseront sur les années à venir et risquent de pénaliser d’autres postes.

On peut parler d’un véritable désengagement de l’État, qui, pour régler ses dépenses, puise dans les fonds de roulement de ses opérateurs, tels la Bibliothèque nationale de France ou la Haute Autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet, la HADOPI. On voit sur le terrain les effets de cette sous-budgétisation, alors qu’il est impératif de ne pas prendre de retard dans l’adaptation de notre droit et de notre économie aux défis du numérique. Le projet de loi sur la création, évoqué pour l’année 2014, a d’ailleurs été maintes fois repoussé.

Ce projet de budget reporte, par ailleurs, la résolution de problèmes de plus en plus prégnants. Ainsi, bien que le Gouvernement ait annoncé la suppression totale des dotations budgétaires aux entreprises de l’audiovisuel public d’ici à 2017, il ne résout pas les difficultés que va poser leur financement.

Certes, la baisse progressive des crédits budgétaires est justifiée, car elle vise à assurer l’indépendance de ces sociétés et à empêcher l’incertitude des fluctuations budgétaires. Ce souci est légitime, mais encore faut-il s’assurer de la fiabilité et de la pérennité des ressources de substitution. Or quelle est la réflexion menée ?

L’avenir du financement de l’audiovisuel public repose, cela a été dit, sur une augmentation constante de la contribution à l’audiovisuel public, précédemment appelée « redevance », telle qu’elle a été créée aux débuts de la télévision. Cette taxation reste-t-elle légitime lorsque les supports de consultation se diversifient jusqu’à rendre l’écran de télévision obsolète ?

Comme l’a rappelé le rapporteur spécial de la commission des finances, François Baroin, revoir l’assiette de la contribution deviendra incontournable, non seulement pour qu’elle soit plus juste, mais également pour assurer la stabilité de son rendement.

À l’image de nos rapporteurs, je m’interroge donc sur la démarche du Gouvernement, qui consiste à remettre la question à plus tard, en augmentant de deux euros la redevance pour 2015.

J’ajouterai que, l’année dernière, lors de l’examen du précédent budget, notre collègue David Assouline appelait à « réfléchir sérieusement au risque d’évasion que représente le visionnage de programmes sur ordinateurs et tablettes, et donc à la modification de l’assiette de la redevance ». Il semble qu’il n’ait pas été entendu.

Je souhaite également évoquer le sujet de la protection des droits d’auteur dans notre pays, depuis que le numérique a transformé les usages.

Le budget de la HADOPI n’a cessé de diminuer : 11 millions d’euros en 2012, quelque 8 millions d’euros en 2013, quelque 6 millions d’euros en 2014 et pour 2015. L’année 2015 est un tournant, car la faiblesse du fonds de roulement est désormais insuffisante pour permettre à la HADOPI d’assurer l’ensemble des missions que le législateur lui a confiées. Une diminution de ses effectifs de 20 % est prévue, ainsi qu’une baisse de 50 % des crédits destinés à la mission d’encouragement au développement de l’offre légale, et de 25 % de ceux qui sont destinés à la réponse graduée.

Selon la direction de la HADOPI, pour maintenir la conduite de ses missions, la dotation devrait être augmentée de 1,5 million d’euros. Les députés avaient déposé un amendement d’appel en ce sens, mais le budget est si contraint qu’il est difficile d’envisager un prélèvement sur d’autres actions de la mission.

C’est à l’État de prendre ses responsabilités : soit il supprime l’institution ou transfère ses compétences, soit il reconnaît son efficacité et lui donne les moyens de poursuivre sa mission. Il est regrettable que, en choisissant de baisser les moyens de cet organisme, le Gouvernement ne prenne pas de position claire pour l’avenir.

Pour toutes ces raisons, et parce que nous sommes convaincus de la nécessité d’aller plus loin et plus vite dans l’adaptation de nos entreprises aux réalités du numérique, le groupe UMP rejettera les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles ». (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)