Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.

M. François Pillet, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le champ de la protection de l’enfance a deux visages, l’un social, l’autre judiciaire. Il est donc à la confluence des champs de compétence de la commission des affaires sociales et de la commission des lois.

Le texte proposé, issu des travaux d’une mission d’information de la commission des affaires sociales, a été renvoyé à cette dernière au fond. Toutefois, nombre de ses dispositions concernant le code civil et le code pénal, cela a justifié la saisine pour avis de la commission des lois, qui s’est toutefois limitée aux articles de la proposition de loi qui concernaient l’intervention judiciaire ou l’articulation de cette dernière avec l’intervention sociale, ainsi qu’aux dispositions, de droit civil ou de droit pénal, qui entrent normalement dans son champ de compétence. Au total, treize articles sur vingt-trois sont concernés.

Je tiens à souligner la parfaite entente qui a régné entre nous, rapporteurs de ce texte. Nous avons d’ailleurs conduit une large partie de nos travaux ensemble et procédé à de nombreuses auditions en commun. Qu’il me soit permis de remercier ici Michelle Meunier.

Dans ce climat favorable, nous avons pu axer nos efforts sur l’intérêt primordial de l’enfant, rédigeant ensemble plusieurs amendements qui ont été adoptés en commission.

Par ailleurs, je salue ici la qualité et l’intérêt du long travail préparatoire conduit, au nom de la commission des affaires sociales, par les deux auteurs du texte, dont notre ancienne collègue Muguette Dini.

Sur un plan général, la commission des lois a reconnu la pertinence du diagnostic effectué par les auteurs du rapport : la loi de 2007 est une bonne loi. Cette constatation nous a été d’ailleurs d’autant plus agréable que cette loi a été présentée puis adoptée sous la maîtrise d’œuvre du président actuel de la commission des lois, Philippe Bas, alors ministre de la santé.

Il nous appartient, environ sept ans après son adoption, de conforter son application en adaptant à la marge certaines procédures et en évitant que certains bouleversements ne désarticulent sa construction et nuisent, en définitive, à son très louable objectif, auquel la commission des lois adhère sans restriction. Elle a d’ailleurs unanimement travaillé dans le but de l’atteindre.

La commission des lois a largement approuvé les dispositions tirées du rapport d’information, sous réserve de quelques modifications destinées à mieux servir l’objectif visé.

En revanche, elle a marqué une plus grande réserve à l’égard des autres dispositions de la proposition de loi, qui ne trouvaient pas leur source dans ce rapport d’information.

Ainsi, la commission des lois a marqué son attachement aux grands principes de la protection de l’enfance en droit français : protéger l’enfant et faire prévaloir son intérêt ; respecter, dans la mesure du possible, le rôle des parents ; refuser absolument tout systématisme, chaque situation étant particulière. Ainsi, il faut se méfier des simplifications abusives et privilégier l’appréciation éclairée des services sociaux et des juridictions. Enfin, il convient de préserver les domaines d’intervention propres du juge et des services sociaux, et d’éviter de placer les seconds sous la tutelle du premier.

D’une manière générale, la commission des lois a estimé que cette tentation du systématisme ou de la mise sous tutelle des intervenants sociaux et judiciaires exprimait, à l’encontre des juges et des services sociaux, une défiance qui n’avait pas lieu d’être.

Sur beaucoup de points, les analyses de la commission des lois et celle de la commission des affaires sociales ont convergé.

C’est le cas à l’article 6, sur l’explicitation des actes usuels de l’autorité parentale accomplis par les familles d’accueil, à l’article 8, sur le changement de famille d’accueil du mineur, et à l’article 11, sur le bilan de la situation de l’enfant après un placement long.

La commission des affaires sociales a aussi partagé l’analyse de la commission des lois sur les risques que ferait courir au mineur ou aux travailleurs sociaux la procédure dérogatoire de consultation du dossier administratif d’assistance éducative.

Par ailleurs, les deux commissions ont rejeté la remise en cause des règles de l’adoption simple ou de l’adoption plénière, estimant que de telles modifications ne pouvaient être éventuellement envisagées que dans le cadre d’une réforme plus globale de l’adoption.

En outre, elles se sont opposées à la désignation systématique d’un administrateur ad hoc en matière d’adoption ou de protection de l’enfance.

Enfin, s’agissant de la réforme de la procédure judiciaire d’abandon, la commission des affaires sociales s’est ralliée à la rédaction proposée par notre commission.

J’ai toutefois noté que, lors de la réunion où elle s’est prononcée sur les amendements extérieurs, parmi lesquels figuraient des amendements que notre collègue Michelle Meunier, reprenant sa plume de co-auteur de la proposition de loi, avait déposés, la commission des affaires sociales est revenue sur certains de ses choix ayant conduit quelques jours auparavant à la rédaction du texte qui vous est soumis aujourd’hui. Il reste donc des questions qui reviendront en débat.

Conformément au mandat que j’avais reçu de mes collègues de la commission des lois, j’ai déposé à nouveau, pour qu’ils soient examinés en séance publique, les amendements qui n’ont pas été adoptés par la commission des affaires sociales.

Je souhaiterais, avant de conclure, revenir sur les deux principaux de ces amendements, qui concernent, d’une part, le principe du retrait automatique de l’autorité parentale et, d’autre part, la création d’une surqualification pénale d’inceste.

La rédaction initiale de l’article 20 de la proposition de loi rendait automatique le retrait de l’autorité parentale pour les parents reconnus coupables d’un crime ou d’un délit commis contre leur enfant ou l’autre parent. Il convient de noter que cette disposition est sans lien avec une quelconque recommandation du rapport d’information de nos collègues.

La commission des affaires sociales a adopté un amendement de Mme la rapporteur conservant le principe de l’automaticité, mais indiquant que le retrait n’était pas prononcé si l’intérêt de l’enfant le justifiait : une motivation du juge est en quelque sorte nécessaire. J’attire votre attention sur cette curiosité : cet amendement reprend paradoxalement le dispositif des peines planchers, qui vient pourtant d’être supprimé par la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales.

M. François Pillet, rapporteur pour avis. La commission des lois vous propose néanmoins de supprimer cette disposition en raison des risques qu’elle présente.

D’abord, il convient de rappeler que l’automaticité du retrait serait contraire à nos règles constitutionnelles comme à nos engagements européens ; il y a donc là un gros risque juridique.

Ensuite, j’observe que cette disposition nous ferait revenir quarante ans en arrière. En effet, la France a connu, jusqu’en 1970, un dispositif de retrait automatique de l’autorité parentale. C’est la grande loi du 4 juin 1970, celle qui a mis fin à la prévalence de la puissance paternelle et posé les bases de notre conception moderne de l’autorité parentale, qui a en outre supprimé ce retrait automatique. On a estimé, à l’époque, que cette automaticité était contraire au principe même de la protection de l’enfance.

Mes chers collègues, arrêtons-nous un instant sur ce point, car il me semble que le législateur de 1970 avait fait là preuve d’une certaine sagesse. La meilleure protection que l’on peut apporter à un enfant est ce qui correspond parfaitement à sa situation individuelle, avec toutes ses nuances et ses particularités. Il n’y a rien de plus éloigné de la protection de l’enfance que des solutions toutes faites, des mécanismes simplistes, ou des automatismes brutaux. Oui, il faut avoir le courage de le dire, il est parfois préférable pour l’enfant que le juge renonce à prononcer le retrait de l’autorité parentale.

J’ajoute qu’il suffit d’ailleurs de citer l’étendue du champ couvert par le retrait de l’autorité parentale pour voir que l’automaticité de celle-ci ne saurait pas être retenue. Dès lors que tous les crimes et tous les délits commis contre l’enfant ou l’autre parent sont concernés, une blessure involontaire par négligence ou maladresse justifierait le retrait de l’autorité parentale, exactement de la même manière qu’une atteinte portée à la vie privée de l’autre parent !

Vous voyez bien la dangerosité des automatismes : ne risquent-ils pas, dans bien des cas, de nuire à l’intérêt de l’enfant ?

Faisons confiance aux juges, car personne n’a démontré, à ce jour, une déficience de leur part. La proposition du retrait automatique ne repose sur aucune étude précise: gardons-nous donc de légiférer en nous fondant sur de fausses impressions ou des angoisses infondées !

J’observe d’ailleurs que, bien souvent, si les juges pénaux ne prononcent pas le retrait de l’autorité parentale, c’est parce que celle-ci a depuis longtemps été retirée aux parents fautifs par le juge civil, à la demande du procureur de la République. Un procès pénal, suivi d’un appel, dure entre trois et six ans. La justice n’attend pas tout ce temps pour protéger les enfants ! Que croit-on ? Elle prend les mesures nécessaires bien avant !

Je rappelle, par ailleurs, que les avocats, les magistrats, comme les représentants des associations familiales, notamment ceux de l’UNAF, se sont tous inquiétés de cette disposition, dont ils ont demandé la suppression parce qu’elle leur semblait dangereuse dans son principe même.

Enfin, mes chers collègues, je ne peux manquer d’observer que l’article 20 veut modifier la loi alors que nous nous sommes déjà prononcés sur la question en août dernier, lors de l’examen de la loi relative à l’égalité réelle entre les femmes et les hommes. Un amendement prônant l’automaticité a été repoussé ici même. À la place, nous avons retenu une procédure sage et raisonnable, qui fait obligation aux juges d’examiner la question du retrait de l’autorité parentale, mais qui leur laisse toute leur liberté d’appréciation. Il ne serait pas de bonne méthode législative de revenir sur ce point six mois après.

J’en viens aux dispositions concernant l’inceste, que la commission des lois vous proposera de supprimer. Les débats devant la commission des lois ont été particulièrement intéressants et ont montré à quel point nous pouvions évoluer, les uns et les autres, sur cette question importante.

Les dispositions proposées amèneraient à rendre notre code pénal plus expressif, mais pas forcément plus répressif. La suppression que nous préconisons n’exprime pas, je tiens à ce que l’on l’entende bien, une opposition au principe de l’intégration de la notion d’inceste dans le code pénal. Notre assemblée a d’ailleurs voté la loi de 2010 portant sur ce sujet. Il s’agit en fait d’un appel à la prudence.

En effet, la censure du texte de 2010 par le Conseil constitutionnel nous conduit à devoir tracer précisément le cercle de l’inceste pénal. Or les nouvelles configurations familiales, l’extension que l’on peut donner au concept de famille, rendent cette tâche extrêmement délicate. Objectivement, les quelques auditions auxquelles nous avons procédé ne nous permettent pas de nous prononcer avec certitude ou avec suffisamment de légitimité sur cette affaire complexe.

Il a semblé à la commission des lois qu’il serait prématuré de statuer définitivement sur la question, car il serait préférable de conduire des travaux d’information sur le sujet, afin d’éviter le risque d’une nouvelle censure. Rappelons-nous les déceptions que la précipitation législative a créées chez les victimes qui ont vu la loi qu’elles attendaient censurée par le Conseil constitutionnel. Tel fut le cas pour l’inceste, comme pour le harcèlement sexuel.

En conclusion, le thème que nous abordons, la protection de l’enfance, fait nécessairement jaillir en nous des attitudes nimbées d’affect et d’émotion. Nous y puiserons avec certitude la légitimité et la transparence de nos communes initiatives. Pour autant, nous prendrons un fort risque de les mener à l’échec si nous ne nous astreignons pas à mener des réflexions aussi objectives que possible. Nous devrons, en quelque sorte, nous extraire de nous-mêmes pour rechercher quelles seront les mesures assurément plus protectrices de l’enfance. Il nous faudra être quasiment certains que l’idée que nous nous faisons de l’intérêt de l’enfant est bien l’intérêt de l’enfant.

Préparons-nous donc à des débats empreints de sérénité, d’objectivité et de prudence. N’hésitons pas à retarder l’écriture, si la pensée n’est pas achevée. En effet, si nous nous trompons dans la rédaction de ce texte, non seulement nous aurons échoué, mais nous aurons encore dangereusement fragilisé la qualité maintes fois saluée de la loi de 2007.

Au bénéfice de l’ensemble de ces observations, et sous réserve de l’adoption et du maintien des amendements qu’elle a adoptés, la commission des lois a donné un avis favorable à l’adoption des articles dont elle s’est saisie. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC, du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui s’inscrit dans la continuité de la dernière grande réforme du dispositif de la protection de l’enfance opérée par la loi du 5 mars 2007, dont les objectifs étaient : « mieux prévenir, mieux signaler, mieux intervenir ».

Sans bouleverser les principes généraux appliqués auparavant, la loi de 2007 avait mis l’accent sur la prévention, affirmé le rôle central du département et élargi les modes de prise en charge des enfants. Elle a renforcé la prévention en améliorant le dispositif d’alerte et de signalement, et en diversifiant les modes d’intervention auprès des enfants et de leur famille. Plaçant déjà au cœur du dispositif l’intérêt de l’enfant, elle traduisait aussi l’ambition de renouveler les relations avec les familles.

Cette proposition de loi s’inscrit également dans la continuité des études et travaux récents, dont, bien entendu, le rapport d’information de Mmes Dini et Meunier, fait au nom de la commission des affaires sociales, celui de la députée Michèle Tabarot, au nom de la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi sur l’enfance délaissée et l’adoption, ou encore le rapport de février 2014, intitulé 40 propositions pour adapter la protection de l’enfance et l’adoption aux réalités d’aujourd’hui, du groupe de travail présidé par Mme la professeur Gouttenoire.

Tous ces travaux traduisent, d’une part, la volonté de rendre effectifs les droits de l’enfant, droits issus de la Convention internationale des droits de l’enfant, qui fête ses vingt-cinq ans d’existence et, d’autre part, le souhait de construire autour du mineur un droit axé sur son intérêt.

Tout d’abord, il convient de souligner que cette proposition de loi va, selon moi, dans le bon sens en ce qu’elle privilégie la recherche de la stabilité affective de l’enfant. Je souhaite d’ailleurs souligner trois points particulièrement positifs.

Premièrement, la création d’un conseil national de la protection de l’enfance, à l’article 1er de la proposition de loi, devrait permettre l’amélioration de la gouvernance à la fois nationale et locale de la protection de l’enfance. Encore faut-il que lui soit imparti un rôle fonctionnel et qu’il ne fasse pas double emploi avec d’autres institutions, notamment l’observatoire national prévu à l’article 3 ou encore celle du Défenseur des enfants.

Deuxièmement, est prévue la généralisation du document appelé « projet pour l’enfant », auquel le mineur sera associé selon des modalités adaptées à son âge et à son projet de maturité, librement consultable par les parties prenantes. Ce projet pour l’enfant permettra de définir les objectifs des interventions tout autour de l’enfant, d’y apporter la concertation et le suivi qui font parfois défaut.

Troisièmement, la sécurisation des parcours proposés en matière de protection de l’enfance est également l’un des objectifs du texte. Sur ce point, la proposition entend améliorer les parcours des enfants, afin qu’ils soient stabilisés, avec plus de cohérence dans les actions mises en place. Pour bien aider les enfants à se construire un avenir, il faut leur donner des repères solides.

Ainsi, les personnes qui accueillent les enfants auront la possibilité d’accomplir les actes usuels de l’autorité parentale, sans formalité préalable, selon des modalités qui seront discutées avec le service départemental de l’aide sociale à l’enfance et précisées dans le projet pour l’enfant.

Le texte de la commission des affaires sociales tend en outre à instituer plus de modération en matière de changement de structure d’accueil, tout en ne prévoyant pas d’automaticité.

Il impose également au service de l’aide sociale à l’enfance en charge de l’enfant d’examiner les autres mesures susceptibles de garantir la stabilité de ses conditions de vie, lorsque le placement, en principe provisoire, se prolonge au-delà d’une certaine durée qu’il restera à définir par décret selon l’âge de l’enfant. Sur ce point, il me semble que les travaux des commissions ont amélioré le texte initial en supprimant toute automaticité et en intégrant l’objectif de sécurisation du placement dans le dispositif actuel, conformément à la pratique et au principe de subsidiarité qui gouverne la protection de l’enfance.

Cependant, les travaux des deux commissions ont mis au jour la difficulté de diversifier les remèdes proposés en matière de protection de l’enfance et de trouver des solutions véritablement pérennes pour les enfants placés en dehors de leur famille.

À cet égard, nous pouvons regretter que les commissions ne soient pas parvenues à proposer une rédaction satisfaisante de l’article 18 de la proposition de loi, qui tend à réformer l’actuel article 350 du code civil, c’est-à-dire la déclaration judiciaire d’abandon. Cet article 350, l’un des plus remaniés du code civil depuis qu’il y a été introduit par la loi du 11 juillet 1966, a été rédigé à l’origine par Simone Veil, alors magistrat affecté à la Chancellerie, et a fait couler beaucoup d’encre.

Il s’agit de faire constater par le juge qu’un enfant n’a plus, depuis un an au moins, aucune relation avec ses parents, qu’il n’existe plus entre eux de liens affectifs, bref, qu’il est délaissé ou en situation d’abandon. Il y a moyen de concilier ces deux termes : le délaissement est progressif et lorsqu’il s’inscrit dans la durée, il a pour résultat l’abandon, mais c’est le juge qui doit le constater. Il serait donc préférable de garder les termes de « déclaration judiciaire d’abandon » pour qualifier cette décision du juge et d’utiliser le mot « délaissement » pour caractériser la situation de l’enfant.

La rédaction du texte issue des travaux des deux commissions dénature, nous pouvons le regretter, l’esprit de la réforme souhaitée par Mmes Dini et Meunier.

Introduire la notion d’abstention volontaire dans le texte, c’est aller plus loin que la jurisprudence actuelle quant au caractère volontaire du désintérêt. C’est revenir subrepticement à la notion de grande détresse, adoptée par la loi du 5 juillet 1996 relative à l’adoption et abandonnée par celle du 4 juillet 2005, dont je fus le rapporteur.

J’ai, à l’époque, défendu l’abrogation de la notion de grande détresse. Il faut en effet rappeler que, pendant les neuf années d’application de cette disposition, le nombre de déclarations judiciaires d’abandon a diminué d’un tiers. Des enfants définitivement séparés de leurs parents de naissance sont restés placés au sein des services de l’aide sociale à l’enfance, qui craignaient que les juges ne leur opposent la grande détresse de la famille.

Introduire la notion d’abstention volontaire, c’est aussi mettre en exergue que seuls les parents qui ont voulu délaisser leur enfant peuvent être sanctionnés. Or la vocation de la déclaration judiciaire d’abandon n’est pas de déterminer si les parents sont coupables. Selon la Cour de cassation, il faut avant tout examiner la situation de l’enfant : en l’absence de marque d’intérêt pour l’enfant, seul le caractère involontaire du comportement des parents ou l’intérêt de l’enfant peut fonder le rejet de la requête en déclaration judiciaire d’abandon.

Prévoir que seul le désintérêt intentionnel des parents peut justifier le prononcé de la déclaration d’abandon par le tribunal, c’est, encore une fois, comme en 1996, détourner son regard de l’enfant pour ne considérer que les adultes et leur responsabilité.

Je ne peux pas non plus me satisfaire des délais actuels d’instruction de la requête en déclaration judiciaire d’abandon par les tribunaux, ces douze à quinze mois qui s’additionnent au temps de préparation de la requête, à l’année de désintérêt manifeste, à toutes celles de délaissement progressif. À force de se cumuler, tous ces temps font que l’enfant placé, par exemple, à l’âge de quelques semaines, sans contact avec ses parents depuis en réalité plusieurs années, devient pupille de l’État à cinq ou six ans. Il faut encore ajouter à ces délais quelques mois avant que la décision ne soit éventuellement prise de confier l’enfant à une famille adoptive.

Les dossiers préparés par les services du département à l’appui de la requête en déclaration judiciaire d’abandon sont très bien documentés sur la situation de l’enfant : il est très rare que le tribunal soit contraint de compléter son information. Nous savons qu’un délai prévu pour prononcer un jugement civil n’est pas assorti d’une sanction : il a valeur incitative. En 1993, lorsqu’il s’est agi de mettre la loi française en conformité avec la Convention internationale des droits de l’enfant, le législateur n’a pas hésité à prévoir un délai de six mois pour prononcer l’adoption, alors même que l’enfant est déjà dans sa nouvelle famille.

Dans ces conditions, il me semble que la réflexion intégrant tous ces éléments devrait être poursuivie et qu’une étude plus précise des décisions de justice rendues devrait être menée. C’est la raison pour laquelle il m’apparaît préférable de nous abstenir volontairement de modifier une nouvelle fois l’article 350 du code civil.

Nous pouvons aussi regretter que les travaux en commission aient abouti au retrait de deux articles relatifs à l’adoption, répondant en particulier aux préoccupations du Conseil supérieur de l’adoption, même si je reconnais que les arguments du rapporteur pour avis, François Pillet, sont fondés et cohérents.

L’adoption est une mesure de protection de l’enfant, la plus complète sans doute, puisqu’elle lui donne une nouvelle famille en cas de défaillance de sa famille d’origine. Qu’elle soit prononcée en forme simple ou plénière, elle donne aussi une nouvelle filiation et une nouvelle identité à l’enfant.

C’est sous cet angle de « l’adoption mesure de protection de l’enfant » que le texte initial prévoyait de clarifier le régime de la révocation de l’adoption simple.

On l’oublie trop souvent, l’adoption simple crée un lien de filiation pérenne entre l’adoptant et l’adopté, qui a vocation à se perpétuer de génération en génération et qui transfère à l’adoptant, de manière exclusive, les droits d’autorité parentale. La famille adoptive devient celle où vit l’enfant et où il devient adulte. Certes, les liens avec la famille d’origine ne sont pas rompus et la révocation de l’adoption peut être décidée par le tribunal, mais uniquement pour motifs graves. La jurisprudence se montre d’ailleurs particulièrement rigoureuse à cet égard et, si les demandes de révocation sont très peu nombreuses, plus des deux tiers d’entre elles sont rejetées.

Il me semble essentiel de préserver le principe même de la révocabilité de l’adoption simple, mais il faut en restreindre l’exercice pendant la minorité de l’adopté, dans son intérêt.

En tout état de cause, il conviendrait de limiter la possibilité d’agir en révocation aux plus proches parents de l’enfant. Il semble inconcevable que des cousins issus de germains du père ou de la mère, sans autre condition, puissent intervenir et peser sur le devenir de l’enfant. En revanche, au quatrième alinéa de l’article 13, il est écrit que « l’enfant bénéficiera d’un accompagnement médical, psychologique, éducatif et social ». L’emploi du futur de l’indicatif donne un caractère obligatoire à cette mesure. Il convient donc de modifier cette rédaction.

De même, l’article 14 du texte initialement proposé visait concrètement à mieux protéger les enfants qui ont vécu une situation d’échec de leur adoption en leur permettant d’être adoptés une seconde fois. Ce sont souvent des enfants adoptés à l’étranger, des enfants qui ont des besoins spéciaux, auxquels la famille qui leur avait été choisie initialement n’était pas adaptée. Il s’agit de donner à ces enfants toutes les chances de bénéficier des meilleures conditions d’accueil dans une nouvelle famille, une seconde chance d’être adoptés pleinement.

Ce n’est pas un bouleversement des règles applicables en matière d’adoption plénière. L’irrévocabilité de l’adoption plénière est la conséquence de celle de la rupture des liens avec la famille d’origine ou de l’impossibilité définitive d’établir ces liens, afin d’éviter à l’adopté de se retrouver sans filiation. C’est assurément la raison pour laquelle une seconde adoption plénière est possible en cas de décès du ou des adoptants « premiers ».

C’est cet objectif d’une seconde chance d’adoption que visait Jean-François Mattei en introduisant, en 1996, dans le code civil le prononcé d’une adoption simple « sur une adoption plénière », en cas de motifs graves, c’est-à-dire, en réalité, en cas d’échec manifeste de la première adoption plénière. Depuis maintenant dix-huit ans, ce sont des dizaines d’enfants qui ont pu être accueillis par une famille et adoptés une seconde fois. Et cela sans que l’institution de l’adoption s’en trouve pour autant déstabilisée, en dépit des commentaires parfois alarmistes qui avaient pu se faire jour lors de la promulgation de cette loi.

On le voit, il n’est nul besoin d’attendre une « grande réforme de l’adoption », dont on ne sait d’ailleurs pas sur quels points elle pourrait porter, pour faire ces retouches recommandées par le Conseil supérieur de l’adoption, composé, je le rappelle, de parlementaires, de représentants des conseils généraux, de professionnels, de magistrats, de personnes en charge de l’aide sociale à l’enfance et des pupilles de l’État, de représentants des associations de pupilles de l’État, de familles adoptives, de personnes adoptées, d’organismes autorisés pour l’adoption et de personnalités qualifiées en matière d’adoption.

II ne faut pas non plus oublier que notre droit de l’adoption continue à servir de référence dans de nombreux pays.

Mes chers collègues, je voudrais revenir sur l’absolue et urgente nécessité de revoir les conditions de l’admissibilité de l’enfant en qualité de pupille de l’État.

Il faut se souvenir qu’à l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a censuré l’article L. 224-8 du code de l’action sociale et des familles, qui prévoit un recours contre l’arrêté d’admission pris par le président du conseil général. Le reproche fait à l’ancien texte était de méconnaître le droit à un recours juridictionnel effectif des personnes qui présentent un lien plus étroit avec l’enfant. L’atteinte au droit de recours effectif résulte tout d’abord de l’absence d’information donnée à la personne quant à la décision rendue et quant au délai et aux modalités de recours.

Comme l’a jugé la Cour de cassation le 9 avril 2013 à propos de ce même article L. 224-8 ancien, un délai de recours ne peut pas commencer à courir lorsqu’une décision est prise non contradictoirement et que n’est pas assurée l’information des personnes admises à la contester.

Or, la loi du 26 juillet 2013, écrite sans doute dans une certaine précipitation, a reproduit, sinon amplifié, ces erreurs. Elle donne qualité à exercer le recours contre l’arrêté à une multitude de personnes sans prévoir que ces personnes admises à le contester en seront informées.

Le texte prévoit en effet que la décision n’est notifiée qu’aux personnes qui ont manifesté un intérêt pour l’enfant auprès du service de l’aide sociale à l’enfance. Les membres de la famille, sans aucune précision quant au degré de parenté, le père de naissance, sa famille, celle de la mère de naissance, qui sont restés inconnus pour l’aide sociale à l’enfance, et pour cause, n’en sont pas moins recevables à agir. La loi ne prévoit donc pas pour eux les modalités d’un recours effectif. L’arrêté ne leur est pas notifié, le délai pour agir ne court pas, ils conservent ce droit de remettre indéfiniment en cause la situation de l’enfant.

Ainsi les services départementaux, chargés de notifier cet arrêté à la famille des parents lorsque la filiation est juridiquement établie et aux familles de naissance dans les branches maternelle et paternelle en l’absence de filiation établie, sont confrontés à des difficultés insurmontables.

Comment informer de la décision des personnes dont a priori on ne connaît ni l’identité ni l’adresse ? C’est encore pire lorsque la mère de naissance a accouché sous le secret. J’ai cru comprendre que, dans certains départements, aucune notification de l’arrêté n’était faite. Ce défaut de notification ne prive pas de possibilité de recours celui qui se prétendrait apparenté à l’enfant, juridiquement ou en fait, comme étant lui-même de la famille de la mère de naissance, supposée inconnue, ou du père de naissance, tout aussi inconnu. Le recours de cette personne pourrait ainsi retarder le placement de l’enfant dans son foyer familial ou troubler le nouveau foyer constitué autour de lui. On imagine même les fraudes à l’état civil qui pourraient en résulter.

Voilà comment, à un texte déclaré non constitutionnel sur le fondement de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, s’est substitué un texte tout aussi contraire à ce même article !

Il s’agit de donner au plus tôt aux départements les outils pour rendre efficace l’arrêté d’admission en qualité de pupille de l’État et le purger de toute possibilité de recours. Car c’est uniquement à partir de ce moment que le pupille, admis définitivement, peut être confié en vue de son adoption à sa nouvelle famille choisie pour lui par le conseil de famille.

Le texte proposé définit les membres de la famille habilités à agir : il limite ce droit aux très proches parents de l’enfant, ses grands-parents, oncles ou tantes, qui lui ont manifesté un intérêt lorsqu’il était pupille à titre provisoire et qui demanderaient à le prendre en charge avant qu’il ne soit placé en vue de son adoption. Il impose aux départements de notifier l’arrêté à ces seules personnes qui seront ainsi en mesure d’exercer le recours juridictionnel.

Dans un souci de cohérence, il serait nécessaire d’apporter quelques aménagements à la rédaction du texte de la proposition. Je propose uniquement un amendement rédactionnel à l’article 19.

Enfin, je ne voudrais pas clore mon intervention sans évoquer les « enfants de kafala », qui, encore une fois, sont les grands oubliés du dispositif français de la protection de l’enfance.

Les enfants de kafala, ce sont les enfants légalement recueillis dans des pays où le prononcé de l’adoption est interdit par le droit de la famille local, tout comme y sont interdits non seulement la gestation pour autrui, mais aussi toute assistance médicale à la procréation, a fortiori avec donneur. Le principe est que la seule filiation reconnue est la filiation procréative dans le mariage.

La France est le seul pays européen à avoir reproduit dans son code civil l’interdiction de l’adoption pour les enfants recueillis dans des pays où l’adoption est prohibée, c’est-à-dire essentiellement l’Algérie et le Maroc.

C’est la loi relative à l’adoption internationale du 6 février 2001 qui, mettant fin à une jurisprudence bienveillante de la Cour de cassation, a introduit cet article 370-3, alinéa 2. Depuis lors, il est interdit aux juges français de prononcer l’adoption simple ou plénière de ces enfants.

À plusieurs reprises déjà, j’ai tenté d’emporter votre adhésion à l’abrogation de ce texte discriminatoire. Or une récente circulaire du ministère de la justice du 22 octobre 2014, relative aux effets juridiques du recueil légal en France, clarifie – enfin ! – la situation de ces enfants. Elle affirme le principe de la reconnaissance de plein droit des décisions de kafala rendues à l’étranger en faveur de familles françaises.

La kafala, rebaptisée « recueil légal », est analysée comme une mesure de protection qui n’est pas une adoption et qui s’apparente, selon les cas, à une tutelle ou à une délégation d’autorité parentale, avec des effets souvent plus larges.

Cette circulaire reconnaît pour la première fois, très officiellement, que l’enfant recueilli en kafala et ayant acquis la nationalité française par déclaration, conformément aux dispositions de l’article 21-12 du code civil, peut être adopté.

Même si cette procédure suppose, comme pour toute adoption, le recueil du consentement des personnes habilitées à donner ce dernier, elle constitue une avancée importante, notamment pour les enfants orphelins ou abandonnés. Mais encore leur faudra-t-il attendre au moins cinq ans : ce n’est qu’après ce très long délai que l’enfant pourra devenir Français.

En effet, actuellement, un enfant qui est recueilli et élevé par une personne de nationalité française ne peut pas réclamer la qualité de Français avant un délai de cinq ans.

Comme le propose le rapport intitulé 40 propositions pour adapter la protection de l’enfance et l’adoption aux réalités d’aujourd’hui, il est donc opportun, dans l’intérêt de l’enfant recueilli, de réduire le délai lui permettant d’acquérir la nationalité française. Une durée de deux années me semble tout à fait raisonnable, étant rappelé que l’enfant adopté en la forme simple par un Français n’a pas à attendre pour la déclaration de nationalité française.

Il s’agit, là encore, d’une disposition protectrice de l’enfant, qui mérite de figurer dans cette proposition de loi et qui répond tout à fait à son objet. (Applaudissements.)