Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, des personnes âgées et de l'autonomie. Madame la présidente, madame la rapporteur, à laquelle j’associe Mme Muguette Dini – également à l’initiative de ce texte, celle-ci ne siège plus aujourd’hui dans cette assemblée, mais elle nous écoute, je le sais, avec grande attention –, monsieur le rapporteur pour avis, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis particulièrement heureuse que la proposition de loi relative à la protection de l’enfant commence son parcours législatif par un examen au Sénat.

Les conseils généraux sont, en effet, depuis la loi de 2007, confirmés dans leur rôle de chefs de file des politiques publiques de protection de l’enfance. Au quotidien, ce sont eux qui se trouvent au contact de la justice, des associations, des acteurs de terrain. Ils interviennent au plus près des familles, enfants et parents. Ils innovent. Ils font face à l’accroissement de la précarité, à la fois financière et affective, à laquelle est confronté un plus grand nombre de familles. Ils sont les pivots, les piliers, les premiers interlocuteurs pour les nombreux acteurs de la politique de l’enfance.

Engager l’examen de ce texte par une lecture au Sénat a donc, à mon avis, beaucoup de sens. Je dis « engager », car le temps nous manquera aujourd’hui pour étudier cette proposition de loi dans sa totalité.

Toutefois, je crois que le temps nous manquera toujours pour débattre d’un sujet aussi essentiel : comment protéger nos enfants, dans leurs fragilités, comment les aider à bien grandir, eux à qui il appartiendra de construire, demain, une société plus harmonieuse et plus pacifiée ? Ou simplement, comme le disait Hannah Arendt, comment « protéger l’enfant du monde et lui en donner l’accès » ?

Le temps nous manquera aussi, certainement, car la protection de l’enfance et la maltraitance sont des sujets sur lesquels nous devons prendre le temps de construire des consensus ; les débats qui émergeront de l’examen de cette proposition de loi, je le souhaite, le laisseront apparaître.

Pour assurer la protection de l’enfant, il nous faut pousser des portes souvent bien verrouillées.

Ce sont les portes que passent les professionnels de l’aide sociale à l’enfance, chaque matin, pour donner une suite aux informations préoccupantes qui remontent du terrain. Ce sont aussi des portes symboliques, comme celle de l’entrée de l’action publique au sein de la sphère privée. Il faut dire que la Rome antique les avait bien fermées à double tour, avec la figure du pater familias, et que notre code Napoléon y a ajouté un verrou supplémentaire en enserrant la famille patriarcale dans le carcan uniforme de la puissance maritale et paternelle.

Adultes miniatures, forces de travail, enfants rois, sujets de droit : la place que la société accorde à l’enfant n’a cessé d’évoluer, le plus souvent au gré des besoins des adultes, mais aussi, par bonheur, au gré du développement de la raison et de l’humanisme. Il a d’ailleurs fallu attendre les années soixante et l’appétence d’un historien atypique, Philippe Ariès, pour que l’enfant soit pleinement, pour la première fois, sujet d’histoire.

La place que la société accorde aux enfants a toujours fait l’objet de discussions, et j’en veux pour preuve les huit longues années de débat qui ont été nécessaires avant la promulgation de la première loi relative à la protection de l’enfance, la loi du 24 juillet 1889 sur la protection des enfants maltraités ou moralement abandonnés.

Le sujet est certes délicat. Il fait ressortir un certain nombre de dogmes qui s’affrontent depuis de nombreuses années et qu’il nous faut dépasser.

Dans notre débat à venir, les précédents orateurs l’ont dit, je nous invite à nous garder des fausses alternatives, celles qui opposeraient les droits de l’enfant et les droits de la famille, le maintien du lien parental au placement, le « tout judiciaire » à la méfiance à l’égard de la justice, ou encore le secret professionnel au partage de l’information.

Ce sujet nous impose d’interroger nos propres pratiques, celles de l’État, des collectivités, de la justice, des professionnels du secteur, des professions médicales.

Oui, la maltraitance institutionnelle à l’égard des enfants existe : elle nous est relatée, parfois avec plus ou moins de discernement dans l’actualité médiatique, mais surtout elle est vécue, ressentie et exprimée par les premiers concernés. Nous ne devons pas craindre d’interroger nos pratiques et nos doctrines, si nous faisons ce travail dans la perspective du meilleur intérêt de l’enfant.

Je fais délibérément référence à cette notion de « meilleur intérêt de l’enfant », car, s’il existe des points de divergence, nous nous retrouvons tous, au sein de cet hémicycle, autour de valeurs communes que nous partageons et souhaitons promouvoir, celles qui sont portées par la Convention internationale des droits de l’enfant.

Cette convention, que la France a été l’un des premiers pays à signer, nous en avons récemment beaucoup parlé, car nous avons célébré son vingt-cinquième anniversaire, le 20 novembre dernier, à l’occasion de la Journée internationale des droits de l’enfant. À l’occasion de cet anniversaire, j’ai eu le privilège de me rendre à l’Organisation des Nations unies pour signer le troisième protocole de la Convention.

Ce troisième protocole, c’est tout d’abord une valeur ajoutée en termes de procédure. Chaque enfant, ou chaque adulte agissant en son nom, pourra dorénavant saisir individuellement le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, s’il estime ses droits violés, et après épuisement des recours internes.

Ce protocole a aussi une portée symbolique forte. C’est un message adressé à l’ordre judiciaire, et à toute la société. Il remet l’enfant à sa place, le considère comme un sujet de droit, restitue sa parole.

J’ai bien senti, lors de mon déplacement à l’ONU, à quel point la position de la France était attendue sur ces sujets. Je considère, pour ma part, la signature du troisième protocole comme une première étape dans la perspective de l’audition de la France par le Comité des droits de l’enfant de l’ONU, en janvier 2016.

C’est une première étape, car nous devrons consacrer l’année 2015 à poursuivre l’amélioration de la situation des enfants, au regard de leurs droits, dans notre pays. C’est de l’image de la France dans le monde qu’il s’agit.

Trop longtemps repoussée, la signature du troisième protocole marque une véritable rupture dans l’approche des droits de l’enfant, mais aussi la volonté politique de faire avancer la place des droits de l’enfant dans notre société.

Nous avons là une formidable occasion d’inscrire durablement et profondément une nouvelle approche des droits de l’enfant dans nos valeurs partagées, dans l’image de la France, mais aussi dans nos pratiques, au quotidien.

La sensibilité accrue du grand public et des acteurs de la protection de l’enfance, en cet anniversaire important, le volontarisme politique que j’ai indiqué, mais aussi une connaissance plus fine et plus forte de l’enfance qu’elle ne l’a jamais été, nous ouvrent des perspectives nouvelles.

C’est pourquoi je salue, à cet instant, les auteurs des nombreux documents qui sont venus éclairer notre connaissance et faire évoluer notre réflexion : le rapport d’évaluation de la loi de 2007, rédigé par Michèle Meunier et Muguette Dini ; le rapport issu de la mission d’évaluation de la gouvernance de la protection de l’enfance, piloté par l’Inspection générale des affaires sociales, l’IGAS, et l’Inspection générale des services judiciaires, l’IGSJ ; le rapport Gouttenoire ; le rapport d’André Vallini et d’Anne Tursz, faisant suite au colloque qui s’est tenu en 2013 au Sénat ; enfin, le rapport de l’UNICEF issu de la consultation de 12 000 enfants.

Nous sommes arrivés au moment où il n’est plus nécessaire de commander d’autres rapports. Il faut passer à l’acte, c’est-à-dire formuler des préconisations pour harmoniser et faire évoluer les pratiques, mais aussi changer la loi quand cela est nécessaire.

Cette impulsion, ce passage à l’acte, c’est à nous tous de l’entreprendre, donc aussi à l’État.

L’État demeure le garant de la protection de l’enfance. Son rôle est de donner du sens à la politique publique de la protection de l’enfance, de lui apporter le cadre nécessaire à l’épanouissement des initiatives et des singularités locales, tout en assurant à chaque enfant, sur l’ensemble du territoire, la même qualité de service public, la même attention portée aux difficultés qu’il rencontre. Car, nous le savons, de nombreuses disparités existent : certains territoires ont fait leur la culture du maintien du lien familial, d’autres favorisent le placement... Selon que vous vivez d’un côté ou de l’autre des limites d’un département, votre destin peut en être totalement modifié !

La protection de l’enfance relève, à mon sens, du pouvoir régalien, car elle s’inscrit dans une politique globale de l’enfant.

Nous ne pouvons aborder la protection de l’enfance sous un angle restrictif. Le rôle des pouvoirs publics, et je dirai même le rôle collectif de la société, c’est de garantir pleinement le développement des capacités de l’enfant, son « développement complet », tel que le nomme François de Singly, et qui est synonyme non pas de perfection ou d’excellence, mais de réalisation de soi. Comme l’évoque Hermann Hesse dans Narcisse et Goldmund : « Nous autres, nous sommes changeants, en devenir, nous sommes un ensemble de possibles, il n’y a pas pour nous de perfection, pas d’être absolu. »

Notre devoir, c’est de garantir à l’enfant cet ensemble de possibles. C’est pour cette raison que la protection de l’enfance ne peut s’envisager isolément. L’enjeu de la bientraitance, du développement complet des enfants, se traduit aussi au sein des politiques de l’éducation, des politiques de la jeunesse, de lutte contre la précarité, de la promotion d’une éducation sans violence.

La lutte engagée par le Gouvernement contre le décrochage scolaire, par exemple, montre bien toute la cohérence de notre action en faveur de l’enfant. C’est avec cette ouverture de champ, cet écho, ces articulations, que nous pourrons mettre en place des politiques concrètes, qui feront en sorte que l’enfant trouve dans sa famille, à l’école, dans la cité, la sécurité et les apports éducatifs dont il a besoin pour bien grandir.

La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a consacré les présidents de conseils généraux dans leur rôle de chefs de file de la protection de l’enfance. À ce titre, ils font entrer cette politique publique dans la modernité. Qui, aujourd’hui, se réclamerait de la DDASS des années soixante-dix ? Au demeurant, dans le langage courant, on parle encore bien souvent de la DDASS...

C’est pour cela que l’État doit prendre toute sa responsabilité, celle de faciliter la coordination des différents acteurs et de faire mieux travailler ensemble les différents intervenants de la protection de l’enfance. J’ai l’intuition que, si les juges des enfants et l’aide sociale à l’enfance parviennent à mieux travailler ensemble, alors l’éducation nationale, les médecins et tous les autres suivront, « emportés » dans ce travail collectif et cette cohérence.

Dans la pratique, cette harmonisation, ce travail en commun de différentes cultures professionnelles, de différentes approches, c’est le projet pour l’enfant qui peut et qui doit le porter. Comme vous, madame la rapporteur, j’ai pour objectif qu’il n’y ait plus qu’un seul document, qui soit la base, la référence, pour tout le monde. Rendre toute sa place au projet pour l’enfant est d’ailleurs un élément central de la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui.

Vous le savez, j’ai engagé, il y a quelques semaines déjà, une grande concertation. Elle m’a déjà permis de réunir les anciens mineurs de l’Aide sociale à l’enfance, l’ASE, les présidents de conseils généraux, les magistrats, les associations. D’autres suivront : les parents, les professionnels, les assistants familiaux, notamment. Mon ambition est de fluidifier l’action des différents intervenants, de mettre de l’huile dans les rouages de cette politique publique complexe, en plaçant toujours l’intérêt de l’enfant au centre.

Cette concertation a rapidement fait apparaître que, pour accompagner au mieux les enfants, il fallait, non pas remettre en cause, mais améliorer la loi de 2007. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la démarche s’est menée en étroite collaboration avec Mme la rapporteur, afin d’en assurer toute la cohérence.

Je tiens d’ailleurs, à cet instant, à rendre hommage au travail mené alors par l’actuel président de votre commission des lois, M. Philippe Bas, à la concertation qu’il avait engagée en tant que ministre et à l’intuition, qui a démontré sa pertinence, de consacrer les présidents de conseils généraux comme chefs de file de la protection de l’enfance.

La loi de 2007 a sept ans – l’âge de raison, selon certains –, ce qui nous offre le recul nécessaire pour pointer et identifier les marges d’amélioration, mais aussi pour confronter la loi et la pratique.

Ces pistes d’amélioration ont été soulignées par le rapport d’information sur la loi de protection de l’enfance de 2007 que vous avez rédigé avec Mme Dini, madame la rapporteur, et confortées par la concertation que j’ai conduite ces dernières semaines. Plusieurs sujets ont ainsi été identifiés : certains relèvent du législatif, d’autres non.

Le travail parlementaire qui s’engage aujourd’hui permettra tout d’abord de conforter la nécessité d’une politique nationale de protection de l’enfant. Ainsi, l’article 1er de ce texte crée un organe national de protection de l’enfance, qu’il faudra articuler avec le Haut Conseil de la famille et des âges de la vie prévu dans le cadre du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, pour lequel je reviendrai avec plaisir devant la Haute Assemblée.

Il permettra aussi d’affirmer l’importance d’un médecin référent de la protection de l’enfance au sein de chaque département, afin d’établir un lien régulier avec les CRIP, les cellules de recueil des informations préoccupantes, de prendre en compte de manière effective les droits de l’enfant et la sécurisation de son parcours, et, enfin d’adapter le statut de l’enfant confié sur le long terme. Je suis sûre que les débats en séance publique viendront encore enrichir le travail de la commission.

La loi de 2007 porte des avancées considérables. Je pense, notamment, à la mise en place des CRIP, qui, dans l’esprit comme dans la pratique, sont des outils incontournables pour l’efficacité de notre politique de protection de l’enfance. Ces outils, il faut les conforter, mais cet effort ne passe pas nécessairement par des ajustements législatifs.

Il faudra également s’atteler à faire changer les pratiques, mettre en place des référentiels communs sur lesquels l’ensemble des acteurs pourra s’accorder, afin d’améliorer la prévention et le repérage des situations de danger.

Dans les pratiques, il nous faudra répondre à deux grands enjeux : d’une part, le partage des informations entre les professionnels et les départements, et, d’autre part, une meilleure évaluation d’une politique publique qui représente, pour les conseils généraux, un engagement financier de près de 7 milliards d’euros par an.

Ce travail d’importance qui s’engage, qu’il relève ou non du domaine de la loi, devra également intégrer les nouvelles connaissances qui sont récemment parvenues jusqu’à nous. Je fais notamment référence aux expertises et travaux des psychologues, psychanalystes, pédopsychiatres sur la construction de l’attachement : pour l’enfant, et c’est d’autant plus vrai pour le jeune enfant, la priorité doit être accordée à la stabilité des figures d’attachement. Dans l’intérêt de l’enfant, dans le respect des droits de l’enfant, nous ne pouvons pas ignorer cet élément.

La protection de l’enfance est le plus souvent efficace dans l’urgence, pour extraire un enfant d’une situation menaçante pour lui. Si nous laissons de côté cet aspect, notre politique de protection de l’enfance est encore tournée vers le droit des parents. Il est temps de la réorienter vers les droits des enfants.

Que l’on ne se méprenne cependant pas sur mes propos. Je ne m’inscris pas dans une politique qui pointe un doigt accusateur sur la manière dont les parents éduquent leurs enfants. Être parent, ce n’est pas un métier facile.

M. Jean Desessard. Absolument ! (Sourires.)

M. Roland Courteau. C’est sûr !

Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. En outre, ça l’est de moins en moins. Je note d'ailleurs que certains, dans cet hémicycle, en ont l’expérience ! Il est vrai qu’être parent et parlementaire en même temps, c’est encore plus difficile ! (Nouveaux sourires.)

Le soutien à la parentalité n’est en aucun cas antinomique avec la défense des droits des enfants.

Pour réussir cette démarche ambitieuse, qui requiert minutie, attention et discernement, j’ai la conviction que nous devons renouveler notre approche, nous inscrire dans un processus atypique, qui va, dans les faits, au-delà de la concertation.

Il faut pousser encore la démarche de concertation, proche d’une forme de conférence de consensus. Nous aurons besoin non seulement d’intégrer les acteurs à la démarche, mais aussi de les faire adhérer aux conclusions auxquelles nous aboutirons.

Aujourd’hui, ce que je souhaite, c’est que soit envoyé à l’Assemblée nationale un texte qui aura rassemblé le Sénat. Je souhaite que la Haute Assemblée porte le consensus.

Être capable de remettre en question ses pratiques, permettre à chacun de s’exprimer, écouter la parole des premiers qui sont concernés, c'est-à-dire des enfants : nous devons mettre tous les sujets sur la table. Pour aller au bout de cette démarche, il nous faut également parler des angles morts, des non-dits.

Aux deux finalités de la protection de l’enfance, qui sont, d'une part, protéger l’enfant, et, d'autre part, restaurer une autorité parentale défaillante, j’en ajoute une troisième, que j’érige à la hauteur des deux autres : assurer aux enfants un cadre affectif stable. Cette troisième finalité doit nous amener à réfléchir à ce que nous pouvons proposer à l’enfant, lorsqu’il n’est pas possible de restaurer l’autorité parentale défaillante.

Bien sûr, nous sommes interpellés par ces situations, et la question du droit des personnes se pose. Notre optimisme, notre foi en l’homme nous poussent à refuser le déterminisme, à croire aux prises de conscience, à l’évolution, à l’éducation, au travail social. Pour autant, nous ne pouvons pas sacrifier l’enfant sur l’autel de ces principes.

À nous donc d’être créatifs, de repenser peut-être l’autorité parentale, d’en distinguer l’exercice et l’attribut, d’inventer une troisième voie. En effet, on peut être le parent sans être l’éducateur de l’enfant ; on peut maintenir le lien entre l’enfant et les parents tout en confiant à un tiers l’exercice de l’autorité parentale.

Je vois fréquemment les anciens mineurs de l’ASE, l'aide sociale à l'enfance. L’un d’entre eux m’a dit : « Moi, j’avais un père et un papa » ; une autre a eu cette phrase : « Ma mère m’a mise au monde, ma maman m’a élevée ». Avons-nous le droit de rester insensibles à ces réalités, d’être en quelque sorte psychorigides face à des réalités que les enfants acceptent et auxquelles ils s’adaptent naturellement, tout simplement parce qu’il s’agit de leur vie ?

Ces non-dits – ils le sont moins, maintenant que j’en ai parlé – feront, j’en suis sûre, l’objet de riches débats au sein de cette assemblée, débats que je souhaite apaisés et mus par l’unique intérêt de l’enfant.

Mesdames, messieurs les sénateurs, si les amendements du Gouvernement n’ont pas pu être examinés en commission, ce n’est pas par un manque de respect à l’égard de cette assemblée, que j’aime particulièrement, comme vous le savez. Cela tient plutôt au déroulement de la concertation que j’ai engagée, dans un souci de cohérence du travail, des démarches et des calendriers. Je préfère que nous étudiions ensemble ces amendements avant la prochaine séance, afin que nous prenions le temps de construire ces consensus que j’appelle de mes vœux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Hermeline Malherbe.

Mme Hermeline Malherbe. Madame la secrétaire d'État, le 4 juin dernier, j’ai eu l’honneur, en tant que présidente du GIP Enfance en danger, le GIPED, de vous remettre le neuvième rapport de l’Observatoire national de l’enfance en danger, l’ONED.

Ce rapport évoquait plusieurs chiffres concernant la protection de l’enfance. Je crois utile de rappeler ici que, au 31 décembre 2011, environ 275 200 mineurs étaient pris en charge par les services de protection de l’enfance, soit près de 2 % des moins de 18 ans.

Plusieurs pistes visant à améliorer la législation étaient également envisagées. Ainsi, il était question de développer de manière systématique le projet pour l’enfant, ou PPE, et de définir à l’échelon national un référentiel des besoins de l’enfant. Il s’agissait également de réaliser des études sur le fonctionnement des parquets dans le circuit du signalement et dans l’articulation entre évaluation administrative et évaluation judiciaire. Il était enfin proposé de mieux comprendre les points de vue des parents et leurs possibles engagements dans le déroulement des mesures de protection et de rechercher une meilleure implication de leur part, bien sûr, mais aussi et surtout de la part du mineur dans la mesure mise en place.

Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je suis heureuse de constater que la proposition de loi de Michelle Meunier, également membre du GIPED, et de Muguette Dini – je tiens à les remercier et je les félicite de leur excellent travail – reprend l’ensemble des pistes déjà suggérées dans le rapport d’information que celles-ci avaient remis sur la protection de l’enfance.

La proposition de loi qui est soumise à notre examen n’est pas une réforme globale du dispositif de protection de l’enfance. Elle a vocation à améliorer la loi du 5 mars 2007, qui s’inscrit dans la lignée de la Convention relative aux droits des enfants, dont on fête cette année les vingt-cinq ans, cela a été dit.

Dès 2007, l’application de cette loi a fortement mobilisé les conseils généraux et, je tiens à le rappeler, s’est réalisée à moyens constants dans un contexte de travail déjà en tension.

Les conseils généraux se sont donc consacrés à l’amélioration du repérage des situations de danger par la mise en place ou l’officialisation de « cellules enfance en danger », les CRIP. Ils ont été mobilisés pour élaborer des projets relatifs à l’amélioration de la prise en charge des enfants par les services de l’aide sociale à l’enfance. Ils ont su répondre favorablement aux défis posés. Je suis fière du travail accompli par tous les personnels du service public de la protection de l’enfance, même si nous sommes tous bien conscients de la nécessité de toujours améliorer nos actions en faveur des enfants et des jeunes en danger.

Aujourd’hui, c’est parce que la loi du 5 mars 2007 continue d’avoir un impact sur les pratiques et les organisations qu’il convient de trouver, ensemble, les moyens de la faire évoluer.

Ce texte prévoit d’améliorer la réforme en poursuivant la mobilisation des professionnels et des acteurs, qu’ils soient publics ou privés. Je profite de cet instant pour saluer le travail de l’ensemble de ces professionnels – éducateurs, intervenants sociaux et médicaux-sociaux, assistants familiaux – qui œuvrent dans les services, établissements ou chez eux. Ils sont parfois injustement mis en cause, alors qu’il est nécessaire de faire évoluer les pratiques et de mieux coordonner l’ensemble des interventions auprès des jeunes et de leur famille. Madame la secrétaire d'État, vous l’avez d'ailleurs fort bien rappelé à l’instant.

Il est également primordial de ne pas avoir une vision dogmatique, dualiste, binaire de la protection de l’enfance, opposant l’intérêt de l’enfant et les droits des parents. Cette dualité, je m’y refuse : c’est une vision simpliste qui enferme les acteurs et les décideurs. Il faut se permettre d’innover, d’expérimenter, en s’inspirant aussi de schémas familiaux parfois différents des nôtres, qui peuvent apporter de véritables solutions pour les enfants confiés.

J’en viens aux apports de la proposition de loi.

Il s’agit tout d’abord d’améliorer la gouvernance nationale et locale de la protection de l’enfance. À ce titre, il me paraît important de s’inspirer de la représentation du GIPED respectant l’équilibre entre les différents partenaires – services de l’État, conseils généraux, élus, associations. J’en profite pour rappeler les deux missions principales du GIPED : d’une part, le fonctionnement du numéro d’urgence, le 119, et, d’autre part, l’observation et l’évaluation des politiques publiques de la protection de l’enfance, notamment avec l’ONED.

Je veux insister sur un autre apport significatif du texte, à savoir la sécurisation du parcours des enfants protégés, qui connaissent encore trop souvent des itinéraires chaotiques. Il faut considérer l’enfant non pas en fonction de son statut – en assistance éducative, en accueil provisoire, en établissement –, mais dans sa globalité, afin de concilier ses besoins et son projet de vie à court, moyen et long termes.

Il est indispensable d’interroger la finalité du projet pour l’enfant. Quelles sont les actions à mettre en œuvre pour permettre à cet enfant de devenir un adulte autonome et de s’insérer socialement avec des repères affectifs ? C’est bien là le sens de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Je terminerai en évoquant les situations de délaissement ou d’abandon, qui doivent être mieux repérées et prises en compte.

L’adoption est une véritable mesure de protection de l’enfance. Pour autant, elle est souvent identifiée comme un dispositif « à part », devant répondre aux besoins des couples sans enfant. D’aucuns l’ont dit d’une autre manière déjà. Pour l’enfant, le pire n’est pas l’abandon ou le délaissement, c’est de ne pas savoir pendant cinq ans, dix ans, voire quinze ans s’il est abandonné ou pas. C’est cette instabilité qui crée la plus grosse difficulté.

Il me semble également indispensable d’avoir les retours de la concertation que vous avez mise en place, madame la secrétaire d'État, concertation unique en son genre, à laquelle j’ai pu participer, vous l’avez signalé, en tant que présidente de conseil général. Il s’agit, là encore, de croiser les regards et de construire, ensemble, la politique de protection de l’enfance.

Madame la secrétaire d'État, ce texte devra être complété par les dispositions réglementaires adéquates, afin de permettre aux services départementaux et à la justice de le mettre efficacement en œuvre.

Si certains points me paraissent perfectibles, ce que j’étayerai lors de l’examen des articles en proposant plusieurs amendements, cette proposition de loi me semble un bon support législatif, pour améliorer la réforme de 2007, sept ans après son entrée en vigueur, au regard des pratiques constatées. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste.)