Mme Chantal Jouanno. Dans la rédaction issue des travaux de la commission, l’alinéa 28 de l’article 1er du projet de loi précise que les centrales nucléaires pourront être fermées en application de l’article L. 593-23 du code de l’environnement ou à la demande de l’exploitant.

Qu’une centrale nucléaire puisse être arrêtée sur la demande de l’Autorité de sûreté nucléaire en cas de risque grave, comme le prévoit cet article du code de l’environnement, relève du bon sens. En revanche, il me semble extrêmement malvenu qu’un texte supposé affirmer le primat des pouvoirs publics en matière de définition de l’évolution du mix énergétique renvoie une telle décision à l’initiative de l’exploitant.

Mme la présidente. L'amendement n° 194 rectifié bis, présenté par M. Longuet, Mme Troendlé et MM. Pintat, de Legge, César, P. Leroy, Gremillet et G. Bailly, est ainsi libellé :

Alinéa 28

Supprimer les mots :

à 50 %

La parole est à M. Gérard Longuet.

M. Gérard Longuet. Notre excellent collègue Jean-Claude Requier a défendu avant moi avec verve, talent et chaleur l’idée que le nucléaire ne doit pas être victime d’un choix idéologique que ses performances ne justifient en rien. (M. Ronan Dantec s’esclaffe.)

Le seuil de 50 % concerne-t-il la production d’énergie ou bien les capacités de production ? Il faut savoir que, aujourd’hui, l’énergie nucléaire ne représente que 49 % des capacités de production électrique de notre pays, l’énergie thermique en représentant environ 25 % et le solde étant assuré par l’énergie hydraulique et les autres énergies renouvelables.

Ma conviction est que nous n’avons pas à mettre en cause notre capacité de production d’électricité d’origine nucléaire et que nous devons conserver une filière nucléaire vivante pour fournir notre marché national et le marché international.

Si je suis, madame le ministre, en désaccord total avec votre argumentation, c’est parce que je considère que, pour pouvoir disposer d’une filière nucléaire offensive au plan mondial – vous avez évoqué l’Inde, qui souhaite s’équiper d’une vingtaine de centrales nucléaires –, nous devons maintenir un marché national vivant. Si notre marché national du nucléaire est soumis à un risque politique majeur, il n’y a aucune chance que les entreprises industrielles, fussent-elles publiques, continuent d’investir pour le renouveau des technologies nucléaires et pour la diversification de l’offre, qui est certainement l’une des voies à explorer, sachant qu’une demande existe pour des unités plus petites.

Il n’y a qu’une seule règle qui vaille : le bon sens économique ! Si la liberté économique prévaut, les investisseurs suivront, mais si la décision économique est soumise au risque politique, ils iront ailleurs. En imposant une barrière politique à la filière nucléaire, vous découragerez complètement les opérateurs de ce secteur industriel.

Concernant les arguments relatifs à l’économie décarbonée, j’appelle, comme M. Requier, à cesser de politiser la vie quotidienne, alors que le bon sens économique existe. Pourquoi aurions-nous raison contre tout le monde ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission des affaires économiques ?

M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. J’ai déjà eu l’occasion de rappeler, en commission puis lors de la discussion générale, ma conviction profonde sur le sujet. Oui, le nucléaire est un atout, c'est l’un des éléments forts de l’attractivité de notre pays. Oui, le nucléaire doit demeurer le socle de notre mix électrique, car il en garantit la compétitivité ainsi que le caractère très largement décarboné. Oui encore, le nucléaire n’est pas une énergie comme les autres, et fixer l’objectif d’une diversification du mix est par conséquent souhaitable. Nous ne sommes pas des partisans du tout-nucléaire ; nous sommes des élus qui entendent arrêter des choix responsables pour leur pays : ce n’est pas à nos voisins de le faire.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, notre commission a préféré, plutôt que de supprimer l’objectif de réduction de la part du nucléaire, faire en sorte qu’il puisse être mis en œuvre de façon progressive, pragmatique et raisonnée. Ainsi, nous avons posé le principe que la diversification du mix électrique ne doit pas mettre en péril l’indépendance énergétique de la France ni remettre en cause le caractère à la fois compétitif et peu carboné de notre production d’électricité. Le mix énergétique doit notamment continuer de garantir un prix de l’électricité parmi les plus faibles, et pour nos concitoyens, et pour nos entreprises.

Surtout, nous avons précisé que la diversification devra s’opérer en mettant à profit la fin de vie des installations actuelles et les décisions de mise à l’arrêt définitif prononcées à la demande de l’exploitant et sur avis de l’ASN, l’Autorité de sûreté nucléaire. Cela sera du reste bénéfique pour les finances publiques, puisqu’EDF ne pourra demander à être indemnisée pour la perte d’un actif qui serait encore jugé sûr et rentable.

Madame la ministre, avec l’amendement n° 893, vous en revenez à votre objectif brutal d’une réduction de la part du nucléaire à 50 % en 2025. Certes, vous l’habillez en reprenant en quasi-totalité la rédaction que nous avons adoptée en commission, mais sa mise en œuvre signifierait la fermeture de vingt réacteurs !

M. Ronan Dantec. Mais non !

M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Or vous ne pourrez pas les fermer brutalement en 2025 : il faut commencer dès maintenant !

M. Ronan Dantec. Pas du tout !

M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Soyons un peu sérieux, on ne va pas annoncer aux Français que l’on va arrêter d’un coup vingt réacteurs en 2025, sans rien avoir fait auparavant ! Il faut programmer ces fermetures ! Même pour Fessenheim, madame la ministre, vous faites un peu marche arrière, à juste titre, après avoir d'abord annoncé la fermeture de cette centrale. En effet, arrêter deux réacteurs emporterait pour la région de très lourdes conséquences économiques, ainsi qu’en termes d’emploi ou de recettes fiscales. C'est ainsi que vous envisagez désormais de ne fermer qu’un seul réacteur, et encore !

M. Bruno Sido. On a investi!

M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Madame la ministre, vous êtes gênée aux entournures, compte tenu des conséquences économiques potentiellement catastrophiques d’une telle décision. En nous opposant à l’inscription dans la loi d’une échéance brutale, j’ai l’intime conviction que nous vous rendons service ! (Mme la ministre rit.)

M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Je ne veux pas faire de politique-fiction, mais certaines choses changeront peut-être d’ici à 2017…

M. Gérard Longuet. Et à 2025 !

M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Ce ne seront peut-être plus les mêmes au pouvoir !

M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Madame la ministre, vous avez invoqué la nécessité de donner de la visibilité aux acteurs du nucléaire ; or, à l’inverse, en prévoyant la fermeture brutale de centrales, vous inquiétez l’ensemble du monde économique, comme en témoignent les auditions que nous avons menées.

M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. C’est pourquoi nous avons supprimé la date butoir qui figurait dans la rédaction initiale du projet de loi et nous sommes totalement défavorables à votre amendement n° 893, qui vise à la réintroduire.

Concernant l’amendement n° 309 rectifié, je demanderai à Jean-Claude Requier de bien vouloir le retirer. J’adresserai la même demande à ma collègue Élisabeth Lamure, s’agissant de l’amendement n° 586 rectifié, mais pas à M. Dantec, à propos de l’amendement n° 717, car je ne me fais aucune illusion ! (M. Ronan Dantec sourit.)

Concernant l’amendement n° 622 rectifié, je voudrais dire à Mme Jouanno que la rédaction de la commission respecte le droit actuel. Pour décider la fermeture d’une centrale ou l’allongement de sa durée de vie de trente à quarante ans, une demande de l’exploitant est nécessaire. Madame la ministre, vous nous avez rappelé que, en 2025, une vingtaine de réacteurs auront dépassé trente ans de fonctionnement. J’espère bien qu’EDF demandera la prolongation de leur durée de vie à l’ASN, qui étudiera chacune des demandes, tout comme elle a étudié celle concernant Fessenheim. À cet égard, je rappelle que, paradoxalement, vous avez annoncé la fermeture de cette centrale à peine quinze jours après que l’ASN eut autorisé la prolongation de dix ans de sa durée de vie, moyennant l’exécution d’un certain nombre de travaux, pour un montant de près de 400 millions d’euros ! Il est vraiment dommage, à mon avis, d’avoir envoyé un aussi mauvais message…

Voilà pourquoi je suis défavorable à l’amendement n° 622 rectifié, de même qu’à l’amendement n° 621 rectifié bis.

Enfin, concernant l’amendement n° 194 rectifié bis de Gérard Longuet, qui tend à supprimer la mention de l’objectif des 50 %, j’observe qu’il n’est guère différent de celui de la commission, qui vise à prévoir que cet objectif devra être atteint « à terme ». (M. Ronan Dantec s'exclame.)

M. Roland Courteau. Vous le reconnaissez !

M. Didier Guillaume. C’est un aveu !

M. Ladislas Poniatowski, au nom de la commission des affaires économiques. Bien sûr ! Si j’ai précisé « à terme », c'est que je ne souhaite pas que l’on y arrive ! Cela dit, je préfère la rédaction introduite par l'amendement adopté en commission, et je demande donc à Gérard Longuet de bien vouloir retirer le sien.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Ségolène Royal, ministre. Je ne crois pas que je parviendrai à convaincre le rapporteur, mais je souhaiterais faire quelques observations pour bien préciser la teneur de l'amendement gouvernemental et notre vision du mix énergétique.

D’abord, je rappelle que cet amendement ne fixe pas une échéance rigide, une date couperet, puisqu’il fait référence à « l’horizon 2025 ». De longs débats ont eu lieu sur ce sujet, et c'est pour tenir compte d’observations tout à fait fondées que j’ai retenu cette formulation à l’Assemblée nationale, sachant que, dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l’énergie prévue par le projet de loi, il sera possible de réévaluer régulièrement les objectifs.

Ensuite, 2025 est une date stratégique,…

Mme Ségolène Royal, ministre. … car trente-sept réacteurs auront alors dépassé quarante années de fonctionnement. Il faut donc préparer les décisions, et tous ceux qui pensent que c'est en ne changeant rien que l’on sert le mieux la filière nucléaire lui portent en réalité préjudice, tant elle a besoin de visibilité.

Mme Odette Herviaux. Tout à fait !

Mme Ségolène Royal, ministre. Que se passera-t-il pour ces trente-sept réacteurs ? L’ASN, dont nous renforçons d'ailleurs les pouvoirs au travers de ce projet de loi, devra se prononcer. Trois hypothèses sont alors envisageables : certains réacteurs seront arrêtés, d’autres pourront voir leur durée de vie prolongée – à cet égard, Pierre-Franck Chevet, le président de l’ASN, a rappelé il y a quelques jours que des étapes très importantes restaient encore à valider –, d’autres encore seront remplacés par de nouveaux réacteurs, ce dont je ne me suis jamais cachée.

M. Charles Revet. Il faut prendre en compte le fait que ces réacteurs seront beaucoup plus performants !

Mme Ségolène Royal, ministre. J’entends dire que cette position serait le fruit d’une négociation politique… Je me bornerai à rappeler que, pour un certain groupe politique ici représenté, l’objectif est la sortie du nucléaire ! C'est un point de vue légitime, parfaitement respectable, mais ce n’est pas celui du Gouvernement : je n’ai jamais défendu ici la sortie du nucléaire. Au contraire, j’essaie d’accompagner la transition énergétique pour consolider nos savoir-faire dans cette filière tout en tenant compte de la rapidité de l’évolution du marché industriel mondial. Il importe que nos entreprises puissent occuper des positions fortes en investissant puissamment dans les énergies renouvelables et les technologies de performance énergétique.

La conception des réacteurs futurs appelés à remplacer, sur les sites de production actuels, une partie des réacteurs existants dont la vie ne pourra être prolongée devra tirer parti du retour d’expérience sur les réacteurs de troisième génération, afin d’améliorer les performances tout en abaissant les coûts. Il conviendra également de travailler sur une quatrième génération de réacteurs…

M. Charles Revet. Voilà ! Ceux qui recyclent les déchets !

Mme Ségolène Royal, ministre. … consommant beaucoup moins de combustible, grâce au recyclage, et produisant un moindre volume de déchets, par ailleurs moins nocifs. Je pense par exemple au démonstrateur Astrid du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.

Ce n’est pas en posant pour principe que rien ne doit évoluer que nous consoliderons les savoir-faire de notre filière nucléaire ; il nous faut au contraire anticiper, accompagner la mutation énergétique, en gardant à l’esprit que, après Fukushima, le marché mondial du nucléaire s’est trouvé complètement perturbé. (M. Ronan Dantec acquiesce.) Si nous voulons continuer à compter sur ce marché, nous devons investir dans les réacteurs de nouvelle génération. Je crois que nous nous rejoignons sur ce point, monsieur Longuet.

Par conséquent, notre proposition de mix énergétique n’oppose pas les énergies les unes aux autres. Même si je sais que je ne vous convaincrai pas, monsieur le rapporteur, je tenais à bien préciser que l’échéance de 2025 n’est pas un couperet. De manière plus réaliste, nous prévoyons des stratégies de réinvestissement dans le nucléaire ainsi que la mobilisation de nos industries sur le développement des énergies renouvelables et sur l’amélioration de la performance énergétique, sachant que nous pourrons, année après année, ajuster les trajectoires avec la représentation nationale,…

M. Charles Revet. Cela devient intéressant !

Mme Ségolène Royal, ministre. … en fonction du résultat des investissements industriels qui seront faits dans tous les secteurs énergétiques. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe écologiste.)

Comme le rapporteur, j’émets un avis défavorable sur les amendements nos 309 rectifié, 586 rectifié, 717, 621 rectifié bis, 622 rectifié et 194 rectifié bis.

Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau, pour explication de vote sur l’amendement n° 309 rectifié.

M. Roland Courteau. Au travers de la rédaction proposée pour l’alinéa 28 de l’article 1er, la commission reconnaît qu’il faut ramener la part du nucléaire à 50 % et rééquilibrer le bouquet énergétique, sous certaines conditions, certes. Elle admet ainsi qu’il n’est pas sain que le nucléaire représente 78 % de notre mix énergétique.

La divergence de vues entre nous porte sur l’échéance. Pour la commission, l’objectif doit être atteint non pas d’ici à 2025, mais « à terme », ce qui signifie aux calendes grecques, c’est-à-dire peut-être jamais… Fixer l’échéance à l’horizon 2025, comme nous le proposons, est ambitieux, certes, mais aussi beaucoup plus mobilisateur pour l’ensemble des acteurs publics.

Nous considérons que le modèle français de transition énergétique repose sur une complémentarité entre le nucléaire et les énergies renouvelables. Si nous sommes aujourd'hui champions dans le secteur du nucléaire, nous souhaitons le devenir aussi dans celui des énergies renouvelables. La fixation de l’objectif de ramener la part du nucléaire à 50 % à l’horizon 2025 est motivée par la nécessité d’amorcer la décroissance de celle-ci, afin de rééquilibrer le bouquet énergétique. Je le répète, il n’est pas sain de dépendre à 80 % du nucléaire. Il s’agit, par ce rééquilibrage, de garantir dans la durée la diversification de notre production.

Notre parc nucléaire actuel ne sera pas éternel. On ne peut faire reposer le fardeau des investissements colossaux que nécessitera son renouvellement sur les générations à venir. Il faut étaler ces investissements dans le temps, utiliser le nucléaire pour assurer la production de base, tout en encourageant le développement des énergies renouvelables.

Non, mes chers collègues, nos centrales ne sont pas éternelles. On pourra peut-être prolonger leur vie, mais il faudra bien un jour les fermer et les remplacer. Nous serons moins en difficulté, alors, si notre production d’électricité dépend du nucléaire à hauteur de 50 %, plutôt que de 78 %.

D’autres pays sont confrontés au même problème. Ainsi, à l’échelle de la planète, 450 centrales devront prochainement être démantelées. Si la part du nucléaire dans la production mondiale d’électricité était de 20 % en 2000, elle n’est plus que de 10 % aujourd'hui. C’est dire si l’ensemble des pays du monde investissent dans les énergies renouvelables.

M. Bruno Sido. Et dans le charbon !

M. Roland Courteau. Bref, il s’agit d’étaler dans le temps les investissements nécessaires pour le renouvellement des centrales nucléaires, tout en encourageant le recours aux énergies renouvelables. Ce n’est pas contradictoire avec la volonté de maintenir l’excellence de la filière nucléaire, en achevant l’EPR de Flamanville ou en soutenant nos industriels à l’exportation.

Rééquilibrer le bouquet énergétique en faveur des énergies renouvelables ne signifie pas abandonner le nucléaire, puisque des travaux sont en cours. Je pense au projet Astrid de réacteur nucléaire de quatrième génération, développé par le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives.

En conclusion, nous voterons l’amendement du Gouvernement, qui prévoit que la baisse de la part du nucléaire dans le bouquet énergétique accompagnera la montée en puissance des énergies renouvelables, lesquelles pourront enfin prendre leur essor. En outre, il rétablit le cap ambitieux de l’horizon 2025, seul à même de mobiliser l’ensemble des acteurs.

Mme la présidente. La parole est à M. Dominique de Legge, pour explication de vote.

M. Dominique de Legge. Madame la ministre, la rédaction que vous nous proposez me paraît assez révélatrice de la difficulté de positionnement du Gouvernement.

Nous sommes en train de rédiger une loi. Or j’ai beaucoup de mal à appréhender la portée juridique d’un « horizon ».

M. Didier Guillaume. Comme dans le Grenelle !

M. Dominique de Legge. Cela me semble un peu flou !

Par ailleurs, vous nous expliquez que cette formulation a le grand mérite d’apporter un assouplissement par rapport à la rédaction antérieure, qui signifiait une limite. Limite, horizon… Si je vois ce qui est devant l’horizon, j’ai bien du mal à percevoir ce qui est derrière !

La rédaction que vous nous proposez est donc floue et maladroite. Finalement, vous devriez vous rallier à celle qu’a élaborée le rapporteur, qui a eu la sagesse de fixer non pas une date, mais simplement un objectif. Au fond, en introduisant cette notion d’horizon, vous faites l’aveu que vous ne savez pas à quel terme l’objectif pourra être atteint.

En conclusion, cet amendement me paraît non seulement révélateur de votre difficulté à vous positionner, mais également totalement inopérant sur le plan juridique. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. Sauf erreur de ma part, personne n’a encore parlé de l’endettement d’EDF, qui atteint 40 milliards d’euros… Personne n’a parlé non plus du coût cumulé de la prolongation de la durée de vie des trente-sept tranches qui dépasseront quarante ans entre 2020 et 2025. Prolonger de vingt ans la vie d’un seul réacteur coûte entre 1 milliard et 1,5 milliard d’euros, selon l’ampleur des travaux à réaliser : est-il raisonnable de doubler l’endettement d’EDF, qui passera ainsi à 80 milliards d’euros ? Non, ce n’est absolument pas raisonnable.

On peut aussi parler d’Areva, ex-fleuron de l’industrie française. La presse s’est fait hier l’écho de la nécessité de céder rapidement 1 milliard d’euros d’actifs, le chiffre d’affaires de l’entreprise étant en baisse de 10 %.

M. Bruno Sido. À cause de qui ?

M. Ronan Dantec. À cause des écologistes français, peut-être ? C’est sans doute nous qui avons provoqué la catastrophe de Fukushima, en lançant une pierre dans la mer pour déclencher un tsunami ? (Sourires.)

Aujourd'hui, notre filière nucléaire est en souffrance économique, mais personne n’en parle. Nous n’aurons pas les moyens, en 2025, étant donné le niveau d’endettement d’EDF, de prolonger la durée de vie de l’ensemble des tranches. Nous le savons tous, mais on fait semblant de croire que tout va parfaitement bien. Or tel n’est pas le cas !

Hier, le journal Les Échos rappelait que, aux termes de la loi relative à la nouvelle organisation du marché de l’électricité, 100 térawattheures sont mis sur le marché par EDF au tarif de l’ARENH, l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique. L’année dernière à la même époque, 36 térawattheures étaient déjà prévendus. Aujourd'hui, c’est moitié moins : cette situation tient au fait que le tarif de l’ARENH est aujourd'hui de 42 euros par mégawattheure, alors que le prix de gros sur le marché est de 37 euros. Les opérateurs n’achètent donc pas à EDF. La situation financière de l’entreprise est en train de se détériorer rapidement, comme en témoigne son cours en bourse.

Ainsi, alors que le bilan d’EDF se dégrade, que son endettement est particulièrement lourd, on prétend que cette entreprise pourra trouver 40 milliards d’euros pour maintenir le parc nucléaire à son niveau actuel ! Un tel discours relève du monde merveilleux de la fiction ; ce n’est pas économiquement sérieux.

Notre vision, en revanche, est raisonnable. Selon nous, plus vite on sortira du nucléaire, mieux on se portera, tant le risque est grand. Certes, cette position n’est pas complètement partagée par nos camarades socialistes. Cependant, nous sommes d’accord sur un point : il est de notre responsabilité collective que notre pays puisse s’appuyer sur une industrie énergétique viable. Sinon, ce sont des dizaines de milliers d’emplois qui seront sacrifiés ; or on en a déjà perdu beaucoup !

Recourir à la notion d’horizon fait sens : si la montée en puissance des énergies renouvelables prend deux ou trois ans de retard, on pourra envisager de prolonger de la même durée certaines tranches, sans devoir engager les investissements qui seraient nécessaires pour les prolonger d’une vingtaine d’années. Nous pourrons ainsi nous donner une marge pour passer le cap de 2025. C’est pourquoi il est pertinent de parler d’horizon ! La programmation pluriannuelle de l’énergie permettra de fixer le cadre. C’est totalement rationnel, que l’on soit pour ou contre le nucléaire.

Ce qui n’est pas rationnel, en revanche, c’est de dire que tout va bien, que nos centrales fonctionnent magnifiquement et que leur durée de vie pourra être portée à soixante ans sans réaliser d’investissements. De toute façon, il est bien connu que les caisses d’EDF sont pleines et que l’État a des moyens financiers à ne savoir qu’en faire ! C’est de la pure fiction ! Votre position, monsieur Longuet, relève non pas d’une vision libérale du monde, mais de la pure idéologie ! (Protestations sur les travées de l'UMP.)

A contrario, notre vision de la situation est totalement rationnelle. C’est en fixant pour cap de ramener la part du nucléaire à 50 % à l’horizon 2025 que nous nous donnerons les moyens de prolonger la vie d’un certain nombre de tranches, un arrêt brutal du nucléaire n’étant pas envisageable. Les tranches les plus vétustes ou les plus dangereuses seront arrêtées ; parallèlement, nous encouragerons la montée en puissance d’une industrie viable dans le domaine des énergies renouvelables.

Pour l’heure, seul Total, parmi les grands industriels français du secteur de l’énergie, investit pour le coup d’après : cette entreprise vient en effet de mobiliser 2 milliards d’euros pour prendre position dans le photovoltaïque. Si nous interdisons à notre grand opérateur public – je souhaite qu’il reste public – d’adopter la même démarche, nous jouerons contre nous-mêmes, par pure idéologie.

J’aurais aimé faire plaisir à M. le rapporteur, s’il m’avait demandé de retirer mon amendement… (Sourires.) Je le retire néanmoins, au profit de celui du Gouvernement, parce que je pense que l’objectif de ramener la part du nucléaire dans notre mix énergétique à 50 % à l’horizon 2025 pourra être atteint. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. François Marc applaudit également.)

Mme la présidente. L’amendement n° 717 est retiré.

La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour explication de vote.

Mme Chantal Jouanno. Sans surprise, nous voterons contre l’ensemble des amendements n’émanant pas de notre groupe, y compris celui du Gouvernement.

Autant j’estimais tout à l’heure que c’était une erreur politique de ne pas voter la réduction de la consommation d’énergie, objectif que nous avions, je le rappelle, adopté unanimement dans le cadre du Grenelle de l’environnement, autant je considère que réintroduire la date de 2025 interdit de faire émerger un compromis au sein de notre assemblée et réintroduit un facteur de polémique. Nous sommes pourtant tous favorables à une réduction de la part du nucléaire, en vue d’assurer une diversification du mix énergétique autour d’énergies décarbonées, à savoir le nucléaire et les énergies renouvelables. À cet égard, je ne comprends pas pourquoi M. le rapporteur et Mme la ministre sont contre l’introduction du principe selon lequel la réduction de la part du nucléaire doit être concomitante du développement des énergies renouvelables.

Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Longuet, pour explication de vote.

M. Gérard Longuet. « Le mieux est parfois l’ennemi du bien » : si elle n’est guère originale, cette formule, que j’emprunte à Charles Revet, me semble de circonstance.

Je considère que le projet de loi, tel qu’il a été adopté par l’Assemblée nationale, ne peut qu’être ressenti comme une humiliation par l’ensemble de la filière électronucléaire française et ses milliers de salariés, aux niveaux de compétences extraordinairement différents mais qui partagent la légitime fierté d’avoir doté notre pays d’un outil de qualité exceptionnelle, dont la performance est universellement reconnue. Tout ne va pas toujours très bien en France, et les secteurs industriels dans lesquels nous figurons sur le podium mondial ne sont pas innombrables. Par conséquent, lorsqu’une filière, qui a été soutenue par une très large majorité politique, allant de l’extrême gauche communiste à la droite gaulliste, en passant par les libéraux, connaît le succès, je trouve très regrettable de lui adresser un signal de méfiance.

M. le rapporteur a souligné avec clarté que l’objectif de réduction à 50 % de la part du nucléaire à l’horizon 2025, outre qu’il est humiliant, est impossible à atteindre, sauf à arrêter deux centrales par an, ce que nul ne saurait accepter. En outre, il faudrait nécessairement, à court terme, substituer au nucléaire une énergie carbonée. En effet, le nucléaire ne représente en France que 50 % du potentiel de production électrique, même s’il fournit 76 % de l’électricité que nous consommons. La différence s’explique par la stérilisation actuelle du potentiel de production thermique : pour atteindre l’objectif visé, la France serait contrainte de le mobiliser en remettant en activité des centrales thermiques fonctionnant au charbon, comme l’a fait l’Allemagne.

C’est donc fort lucidement que M. le rapporteur nous propose de renoncer à inscrire dans le texte la référence à l’horizon 2025 : il sera tout simplement impossible de tenir cette échéance. En effet, madame le ministre, vous ne pourrez pas mettre en œuvre votre programme, car cela entraînerait des conséquences économiques, sociales, environnementales et en matière d’aménagement du territoire tout à fait insupportables. Je le répète, à l’échéance de dix ans, seule la production d’énergie thermique serait en mesure de prendre la relève, compte tenu des réactions mitigées que suscite l’implantation d’éoliennes, des faibles capacités du photovoltaïque et de l’insuffisance de l’énergie thermique renouvelable – géothermie et biomasse. Affirmer le contraire, c’est mentir de façon éhontée ! J’ajoute que si cette année les cours du Brent sont bas, il pourrait en aller tout autrement demain.

Cela étant dit, le mieux étant parfois l’ennemi du bien, je retire mon amendement au profit de la rédaction élaborée par la commission, qui a l’immense mérite d’être réaliste et de ne pas décourager une filière dont la réussite honore la France. (Applaudissements sur les travées de l'UMP. – M. Jean-Marc Gabouty applaudit également.)