M. Michel Le Scouarnec. Quel dommage !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. … c’est pour une raison très simple. L’adoption de votre proposition de loi aurait un coût, vous l’avez souligné, de 1,65 milliard d’euros.

Mme Laurence Cohen. On a des solutions !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Ce coût n’est malheureusement pas compatible avec les engagements pris par le Gouvernement en matière de maîtrise du rythme de croissance des dépenses d’assurance maladie, un rythme de croissance qui a été supérieur, ces dernières années, à celui de la croissance de la richesse nationale et qui sera en moyenne de 2 % pour 2015, 2016 et 2017.

Pour autant, le Gouvernement ne se résigne pas à ce que les plus modestes de nos concitoyens soient pénalisés, d’autant que les « retenues » en question sont forfaitaires, et donc indépendantes des revenus. C’est la raison pour laquelle il a décidé de supprimer les franchises à compter du 1er juillet prochain pour plus d’un million de personnes supplémentaires, plus précisément les bénéficiaires de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé, l’ACS, grâce à une mesure adoptée en loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 voilà quelques mois et soutenue par le groupe CRC, madame Cohen.

L’engagement de ce gouvernement en faveur de l’accès aux soins n’est pas seulement une intention ; ce sont des actes.

C’est, tout d’abord, refuser tout transfert de charges de l’assurance maladie vers les ménages : ni déremboursement, ni franchise, ni forfait supplémentaire ! Ce choix montre déjà ses effets : la part des dépenses de soins à la charge des ménages a reculé depuis 2011, passant de 9,2 % des dépenses de soins à cette date à 8,8% en 2013. Certes, cette amélioration de 0,4 % est modeste, mais elle existe !

C’est aussi étendre à de nouveaux publics la couverture maladie universelle complémentaire, ou CMU-C, et l’ACS, en relevant les plafonds de ressources de ces prestations pour que toutes les personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté aient accès à l’un de ces dispositifs. Cette mesure représente un effort financier de 200 millions d’euros, qui permettra à terme à plus de 600 000 personnes supplémentaires de bénéficier de ces dispositifs.

C’est aussi améliorer le contenu de ces aides : en revalorisant la prise en charge de l’optique et des audioprothèses pour les bénéficiaires de la CMU-C ; en relevant le montant de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé pour les personnes âgées de plus de soixante ans, pour qui le coût de la complémentaire santé est le plus élevé ; en améliorant le rapport entre tarifs et prestations des contrats ACS, au travers d’une sélection de ces contrats, qui est en cours et entrera en vigueur le 1er juillet ; et en supprimant les franchises pour les bénéficiaires de l’ACS, comme je viens de le mentionner.

C’est aussi faciliter l’accès aux droits. Nous organisons une grande campagne d’information sur l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé. Parallèlement, le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, que le Sénat examinera la semaine prochaine, prévoit de rendre automatique le renouvellement de cette aide pour les bénéficiaires du minimum vieillesse.

Mais notre action ne se limite pas à améliorer l’accès aux soins des personnes les plus démunies. Nous savons que, même pour les familles des classes moyennes, des situations difficiles peuvent exister du fait des dépassements d’honoraires. C’est pourquoi, là aussi, nous avons agi, avec un encadrement conventionnel des dépassements d’honoraires qui porte ses fruits.

On a constaté que, en 2012 puis en 2013, la part des dépenses de soins prises en charge par l’assurance maladie avait progressé de 0,3 point et que celle qui reste à la charge des ménages avait reculé de 0,4 point. Ce sont les premiers résultats tangibles : la charge pesant sur les ménages a diminué de plus de 700 millions d’euros. Encore faut-il souligner que ces chiffres de 2013 ne tiennent pas compte des montants investis depuis dans la réduction du reste à charge des ménages, au travers des mesures que j’ai présentées précédemment.

Nous nous situons donc dans une démarche de consolidation de la prise en charge collective du risque maladie, qui est la condition d’un accès équitable aux soins. Mais nous le faisons en utilisant nos ressources de façon plus ciblée, contrairement à la mesure plus large que vous défendez, madame la sénatrice.

Bien sûr, idéalement, nous souhaiterions supprimer ces franchises pour tout le monde. Il n’est d’ailleurs pas exclu que nous puissions le faire plus tard. Toutefois, pour permettre une telle évolution, il nous faut d’abord, par les réformes en cours, diminuer durablement les dépenses inutiles, qui existent. Je veux parler de la prescription et de la consommation de médicaments de marque plutôt que de génériques ; je pense aussi à la multiplication des actes inutiles du fait du mode de tarification. Lorsque nous aurons fait des progrès dans ces deux domaines précis, nous pourrons avancer sur la question des franchises.

Le Gouvernement est en effet résolu, mesdames, messieurs les sénateurs, à continuer à lever les freins financiers à l’accès aux soins. La semaine prochaine, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale examinera le projet de loi relatif à la santé. Ce texte comportera, vous l’avez souligné, une mesure importante, attendue par les Français et déjà appliquée dans de nombreux pays étrangers, à savoir l’extension du tiers payant, lequel n’interdit malheureusement pas le prélèvement des franchises, le système étant déjà très organisé – vous l’avez souligné. Demain, les Français n’auront plus à avancer les frais de leurs consultations médicales.

Il s’agit d’une véritable avancée dans l’accès aux soins, au bénéfice de tous les Français. Je suis particulièrement satisfaite de vous entendre ici, dans cet hémicycle, défendre le tiers payant généralisé. Je l’avoue, on entend trop peu, ces derniers temps, un tel discours. Dans de nombreuses situations concrètes, le tiers payant généralisé peut faciliter l’accès aux soins, tout autant qu’une suppression complète des franchises.

Mme Nicole Bricq. Absolument !

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État. Si le Gouvernement est pleinement engagé pour atteindre l’objectif de cette proposition de loi, il ne peut malheureusement souscrire à l’option proposée et émettra donc un avis défavorable sur ce texte. Ce faisant, il ne rejette nullement l’objectif politique qui est le vôtre, mesdames Assassi et Cohen : sa décision résulte de la stratégie alternative qu’il met en place en faveur de l’accès aux soins. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi, déposée par Mme Laurence Cohen et ses collègues du groupe CRC, visant à supprimer les forfaits médicaux et franchises médicales institués les uns par la loi du 9 août 2004, les autres par la loi de financement de la sécurité sociale pour l’année 2008.

Je peux comprendre la démarche de nos collègues, dans le cadre de la philosophie qui est la leur, sur de nombreux points, et particulièrement en matière de santé. Si nombre de nos concitoyens souscrivent à l’adage selon lequel la santé n’a pas de prix mais un coût, le groupe communiste estime, si j’ai bien compris, que le problème du coût ne doit surtout pas intervenir. C’est une logique que je respecte, d’autant qu’en ces temps où Mme la ministre de la santé veut imposer coûte que coûte le tiers payant généralisé, il est de bon aloi de surenchérir, en supprimant toute référence au problème de financement du déficit de la sécurité sociale.

Je rappelle que ces franchises et forfaits sont d’un euro par consultation, de cinquante centimes par boîte de médicament ou par acte paramédical, et de deux euros par transport sanitaire. Je souligne également qu’ils ne s’appliquent pas au cours ou au décours d’une hospitalisation, que leur montant est limité annuellement à 50 euros par assuré et qu’une grande partie des personnes considérées comme ayant de faibles revenus en sont exemptées, ainsi que les enfants jusqu’à dix-huit ans, les femmes enceintes, les ressortissants de la CMU et de la CMU-C et, depuis le 21 octobre dernier, les personnes relevant de l’ACS.

On peut toujours arguer que, pour certaines personnes ne relevant pas de ces catégories, ces franchises et forfaits représenteraient une charge insupportable et une raison de renoncer à se soigner. Il faudrait rechercher plus précisément s’il reste quelque part des personnes dans cette situation. Votre rapport, madame Cohen, n’en apporte pas la preuve.

Un autre argument utilisé par l’auteur de cette proposition de loi tient à l’efficacité considérée comme nulle des franchises instaurées sur la consommation en matière de santé. On retrouve curieusement le même argument pour ce qui concerne le tiers payant généralisé, que l’on veut imposer dans quelque temps, ce dispositif n’entraînant, selon ses défenseurs, aucune surconsommation médicamenteuse. Un tel raisonnement va cependant à contresens de toutes les études en matière de consommation, la santé n’ayant aucune raison d’échapper au constat suivant : lorsque tout est gratuit, on consomme plus.

L’une des priorités des pouvoirs publics, rappelée douloureusement par M. Moscovici, est la réduction impérative de nos déficits, en particulier celui des dépenses sociales ! Or je ne peux me convaincre que la mesure que vous proposez ira dans ce sens.

Madame Cohen, puisque vous évoquez dans votre rapport le Conseil national de la Résistance, je voudrais vous rappeler que cette contribution modérée demandée à ceux qui, sans être richissimes, ont les moyens de participer modestement à ce financement va tout à fait dans le sens de Pierre Laroque, le fondateur de la sécurité sociale, qui souhaitait que celle-ci soit aussi une éducation à la solidarité.

Sans cette culture de la solidarité, la sécurité sociale devient un guichet ouvert à prestations dont chacun profite, sans conscience du rôle que joue cette institution dans la cohésion nationale. Le principe de responsabilisation était au cœur du pacte social de 1945.

J’ajouterai, ma chère collègue, qu’il eût été peut-être plus important de soulever les difficultés créées par les déremboursements de certains médicaments que Mme la ministre des affaires sociales s’était engagée à ne pas pratiquer tant qu’elle serait aux responsabilités. Ainsi, le déremboursement des médicaments anti-arthrosiques intervenu le 1er mars, qui apportaient sinon une guérison, du moins un soulagement à moindre coût notamment aux personnes âgées, pour ne citer que cet exemple, est beaucoup plus préjudiciable à ces personnes à revenus modestes que la franchise.

La prochaine loi de santé publique nous permettra certainement de revenir sur ce choix d’une médecine étatisée qui semble se dégager des intentions du Gouvernement ; à ce moment, votre proposition ressurgira probablement.

Pour l’instant, le groupe du RDSE, à l’unanimité de ses membres, ne votera pas ce texte. (Mme Valérie Létard applaudit.)

Mme Laurence Cohen, rapporteur. Quel dommage !

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.

Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la rapporteur, mes chers collègues, l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 a été rétrospectivement le premier round d’un débat portant sur les franchises médicales.

La position que je vais exprimer ici a donc été portée par le groupe UDI-UC, en novembre dernier.

En effet, les députés avaient inséré dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, sur proposition gouvernementale, un article 29 bis – devenu l’article 42 de la loi – qui exonérait des participations forfaitaires et des franchises les bénéficiaires de l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé, l’ACS.

Le même principe sous-tend la proposition de loi du groupe CRC, à la différence près que celle-ci a une visée beaucoup plus large que l’amendement gouvernemental d’alors.

À la suite de l’adoption définitive du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 par l’Assemblée nationale, en décembre 2014, les franchises seront supprimées pour les bénéficiaires de l’ACS à partir du 1er juillet 2015.

Cette mesure a un coût. Elle doit entraîner une perte de recettes estimée par le Gouvernement à 38 millions d’euros en année pleine et à 20 millions d’euros en 2015.

Elle complète l’alignement du dispositif ACS sur celui de la couverture maladie universelle complémentaire, la CMU-C, dont les bénéficiaires sont déjà exonérés des participations forfaitaires.

Comme le signalait en novembre dernier Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général de la commission des affaires sociales, avec cette disposition, « un peu plus de 6 millions de personnes seraient exonérées des participations selon des critères de revenus (5,1 millions au titre de la CMU-C et 920 000 au titre de l’ACS) ».

Il poursuivait : « Si l’on ajoute à cela le fait que les mineurs (environ 15 millions de personnes) sont également exonérés des participations, c’est donc un tiers de la population française qui est exonérée de ces charges. Par ailleurs, du fait d’exonérations touchant certains actes pris en charge par l’assurance maternité […], 2 milliards d’actes sur les 3,6 milliards entrant dans le champ de la franchise […] en sont exonérés. »

Quelle est donc la pertinence de maintenir des franchises dont l’assiette est devenue extrêmement mitée ? Tout le monde peut constater que ce système est devenu inéquitable.

C’est pourquoi le groupe CRC propose la suppression pure et simple des franchises et participations forfaitaires.

Pour autant, est-ce la bonne solution ? Notre groupe ne le pense pas. En réalité, autre chose de plus fondamental sous-tend cette proposition : c’est l’idée que plus le tiers payant avance, plus les franchises reculent. Le tiers payant complique la collecte des franchises.

Or, nous le savons, le Gouvernement envisage la généralisation du tiers payant dans le prochain projet de loi relatif à la santé. Ainsi, cela signifie-t-il, à terme, la suppression des franchises médicales ? Peut-être, mais cela ne doit pas se faire de la manière dont elle nous est présentée aujourd’hui, c’est-à-dire d’un trait de plume, au détour d’une proposition de loi sénatoriale.

Pourquoi ? Deux arguments peuvent être avancés.

D’une part, il s’agit d’une question de forme. Il n’est de bonne politique de suppression des franchises médicales qu’à partir du moment où l’on a préalablement généralisé le tiers payant. Il faut bien comprendre que c’est l’extension du tiers payant aux bénéficiaires de l’ACS qui a eu pour conséquence l’exonération des franchises pour ces publics. Respectons donc le parallélisme des formes par rigueur intellectuelle.

D’autre part, il existe un argument de fond, le plus fondamental. Il est question de supprimer les franchises, sans s’interroger sur leurs raisons d’être.

Nous le savons, il s’agit de responsabiliser le patient. Mais, bien sûr, cette responsabilisation ne doit pas conduire à lui faire supporter un reste à charge trop important. Il nous incombe donc de définir un juste équilibre entre responsabilisation et reste à charge.

Ainsi, la franchise médicale est intrinsèquement liée au reste à charge. Il est difficile de supprimer ce mode de responsabilisation sans réfléchir à d’autres modes de responsabilisation dans le cadre d’un tiers payant généralisé. En outre, il n’est pas possible d’éluder la question du reste à charge, qui se révèle être le véritable problème aujourd’hui.

Certains restes à charge particulièrement élevés sont dus aux dépassements d’honoraires. Ces derniers s’élèvent à 2 milliards d’euros par an sur 18 milliards d’euros d’honoraires en totalité. Les deux tiers de ces dépassements sont à la charge directe des ménages.

Ces chiffres ont fortement augmenté cette dernière décennie, malgré une légère diminution depuis deux ans. C’est sur ce sujet qu’il faut agir.

C’est pourquoi le groupe UDI-UC, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, avait déposé un amendement visant à relever à 150 % du tarif opposable le plafond de remboursement des dépassements d’honoraires par les complémentaires.

Le fait que le Gouvernement entende lutter contre les dépassements d’honoraires via son décret sur les « contrats responsables » va dans le bon sens. Néanmoins, il limitera à terme les remboursements des dépassements d’honoraires par les complémentaires santé à un seuil de 100 % du tarif de responsabilité. C’est très bas.

Ce système risque de créer une médecine à deux vitesses : les dépassements d’honoraires sont souvent supérieurs aux plafonds envisagés par le décret. Cela est régulièrement constaté chez les trois spécialités les plus sollicitées – les gynécologues, les pédiatres et les ophtalmologistes –, qui totalisent 40 % des actes.

Ainsi, alors que le but était de diminuer les honoraires, ce sont les restes à charge pour le patient qui vont s’accroître, ce qui aura pour conséquence de réduire l’accès aux soins des Français. Les plus favorisés pourront s’acquitter du reste à charge ou se doter d’une surcomplémentaire ; les autres, dont les classes moyennes, feront le terrible choix de ne plus se soigner, faute de moyens.

Ce décret créera également des disparités territoriales puisque la plupart des dépassements d’honoraires se concentrent dans les grandes métropoles et en Île-de-France.

Il est donc nécessaire de relever le plafond de remboursement des dépassements d’honoraires par les mutuelles pour réduire le reste à charge des patients. Le niveau de 150 % correspond au seuil à partir duquel les dépassements sont jugés excessifs par la convention médicale du 25 octobre 2012.

Enfin, le Sénat, par la voix de son rapporteur général, proposait en novembre dernier une réforme portant sur une évaluation plus rigoureuse du prix des médicaments, menée par la Haute Autorité de santé. Une tarification au plus juste des médicaments permettrait une optimisation des remboursements, tout en réduisant le reste à charge pour les patients.

Ainsi, le groupe UDI-UC ne partage pas l’avis du groupe CRC de supprimer d’un trait de plume les franchises médicales et les participations forfaitaires. Par ailleurs, il aurait été plus opportun d’étudier cette question dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la santé, lors du débat sur la généralisation du tiers payant. Nous ne voterons donc pas cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Bernard Lalande applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Noël Cardoux.

M. Jean-Noël Cardoux. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la rapporteur, mes chers collègues, les précédents orateurs ont évoqué l’essentiel du sujet ; aussi, mes propos ne pourront être que redondants. Il n’en demeure pas moins que je souhaiterais formuler quelques remarques, essentiellement d’ordre financier.

Mais auparavant, je tiens à rendre hommage au groupe CRC pour sa persévérance et sa constance dans sa démarche,…

Mme Laurence Cohen, rapporteur. C’est vrai !

M. Jean-Noël Cardoux. … même si nous ne sommes pas d’accord avec les termes de cette proposition de loi. Mes chers collègues, c’est tout à fait à votre honneur.

En revanche, je serai un peu plus mesuré pour évoquer la persévérance et la constance de la majorité présidentielle. Je note simplement que, au moment où ces franchises ont été mises en place, en 2009, Mme Marisol Touraine, alors député, avait fait part de son opposition de principe à celles-ci.

À vous écouter, madame la secrétaire d’État, il semblerait que telle ne soit plus tout à fait la position du Gouvernement. En entendant vos propos, j’ai bien compris votre embarras bien significatif : il vous est difficile, dans votre exercice gouvernemental, de trouver un équilibre entre les bons sentiments que vous affichez – à plusieurs reprises, vous avez dit à nos collègues du groupe CRC que vous ne pourriez « malheureusement » pas les suivre – et le nécessaire équilibre financier de la sécurité sociale ; à un moment, les chiffres priment. Même si c’est un peu à votre corps défendant, vous êtes bien obligée de mentionner l’enjeu financier non négligeable de cette proposition de loi.

Telles sont les remarques que je souhaitais faire à titre liminaire.

Gilbert Barbier a parfaitement exposé les éléments chiffrés de ces franchises. Il nous a rappelé que ces dernières étaient limitées à 50 euros par an et a dressé la liste – très importante – des personnes concernées, liste qui a encore été modifiée puisque, à compter du 1er juillet 2015, les 1 200 000 ayants droit à l’ACS bénéficieront de ces franchises.

Les enjeux, nous les connaissons donc. J’ai bien entendu les propos de notre collègue de l’UDI-UC, Élisabeth Doineau. Mais s’il est exact que l’on rencontre des problèmes avec les dépassements d’honoraires, globalement, les personnes les plus démunies voient quand même leur accès aux soins favorisé, et ce sans guère de limites.

Alors, mes chers collègues du groupe CRC, pardonnez-moi de vous provoquer un peu sur un mode humoristique : vous ne nous aviez pas habitués à proposer des textes visant à faire des cadeaux aux personnes les moins démunies ! Or c’est tout de même un peu la philosophie de votre proposition de loi !

Mme Éliane Assassi. C’est une provocation, en effet…

M. Jean-Noël Cardoux. En tant que président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale du Sénat, je me permettrai, madame la secrétaire d’État, de rappeler quelques chiffres dont il a été fait état lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015.

En 2014, le déficit cumulé du régime général et du fonds de solidarité vieillesse a atteint 15,4 milliards d’euros, soit 2,2 milliards d’euros de plus par rapport à ce qui avait été envisagé.

Pour 2015, il est prévu une réduction de ce déficit à 13,2 milliards d’euros, avec des hypothèses macroéconomiques quelque peu optimistes – c’est en tout cas ma crainte –, à savoir une croissance de la masse salariale et du PIB respectivement de 2 % et de 1 %.

Même si l’environnement actuel, extrêmement favorable grâce à la baisse conjuguée de l’euro et du prix du pétrole, peut laisser envisager un retour de la croissance, comme le confirment d’ailleurs les prévisions économiques à l’échelon européen, force est de constater que, dans ce peloton des pays européens, la France est à la traîne en matière de croissance, et il n’est pas du tout évident que cette dernière atteigne 1 %.

Quant à la masse salariale, même si la Banque centrale européenne réinjecte massivement des fonds dans les finances européennes, la désinflation est toujours là. Par conséquent, miser sur une augmentation des salaires de 2 % en 2015 semble, là aussi, une hypothèse quelque peu optimiste.

Compte tenu de ces constatations – moins de salaires, moins de charges sociales –, il semble difficile d’atteindre l’objectif de 13,2 milliards d’euros de déficit.

Bien entendu, si l’on compare cet objectif avec le 1,5 milliard d’euros des franchises médicales, on est parfaitement conscient de faire face à un enjeu financier incontournable.

C’est pourquoi, si le groupe UMP considère que le problème mérite certes d’être posé, ce dernier l’est à son avis au plus mauvais moment, la sécurité sociale se trouvant dans une situation financière extrêmement fragile ; en outre, le Gouvernement, pour des raisons qui lui sont propres, a décidé de supprimer la C3S.

Mme Nicole Bricq. C’est inexact !

M. Jean-Noël Cardoux. Or la proposition de nos collègues vise précisément à financer ce 1,5 milliard d’euros par une augmentation de la C3S !

L’incohérence est évidente, surtout si l’on se réfère aux objectifs de financement de la C3S qui rapportait globalement, avant la réforme gouvernementale, 5 milliards d’euros à différents secteurs et finançait à parité le régime social des indépendants et le Fonds de solidarité vieillesse. Automatiquement et mécaniquement, lorsque la C3S sera totalement supprimée, ces financements retomberont dans le régime général de la sécurité sociale. De même, le 1,5 milliard d’euros dont il est question dans notre débat d’aujourd’hui viendra augmenter le déficit.

J’en viens à un élément, que tous les orateurs précédents ont souligné.

Ce texte tombe au plus mauvais moment, puisque le Gouvernement est en pleine réflexion sur la généralisation du tiers payant – vous l’avez dit, madame la secrétaire d’État –, disposition qui viendra prochainement en débat mais qui suscite d’ores et déjà de nombreuses résistances.

Nous nous interrogeons – et nous sommes tout à fait prêts à en discuter dans le cadre d’une réflexion constructive – sur le maintien du principe de ces franchises médicales dans le processus de mise en place du tiers payant auquel le Gouvernement semble très attaché. Des solutions existent peut-être, mais nous ne les entrevoyons pas encore. Madame la secrétaire d’État, nous serons très heureux de vous écouter sur ce sujet.

Sous le bénéfice de ces observations, les sénateurs du groupe UMP ne pourront pas suivre leurs collègues CRC sur cette proposition de loi et ne voteront donc pas ce texte.

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le groupe CRC, par la voix énergique de Mme Laurence Cohen, nous propose de supprimer la participation forfaitaire sur les consultations médicales, ainsi que les franchises.

Il s’agit, cela a été rappelé, d’un montant cumulé estimé en 2014 à 1,65 milliard d’euros. Mme le rapporteur a l’honnêteté de reconnaître l’importance de la somme en jeu. En effet, nous devons prendre en compte le contexte dégradé des finances publiques de notre pays, de nos comptes sociaux, et il faut resituer la suppression qui nous est proposée dans le mouvement d’économies engagé par les gouvernements successifs de Jean-Marc Ayrault et de Manuel Valls.

Comme les auteurs de la proposition de loi, le groupe socialiste est profondément attaché à ouvrir le plus possible l’accès aux soins, mais il ne pense pas que la suppression du forfait et des franchises soit le meilleur moyen pour y parvenir.

À ce propos, je rappellerai les propos de Mme Marisol Touraine, qui est déterminée à réduire les inégalités d’accès pénalisant les personnes les plus fragiles, ambition avec laquelle nous sommes tous d’accord. Lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, le 21 octobre 2014, Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes rappelait sa position : « Malgré le contexte financier contraint qui est le nôtre […], j’ai refusé toute mesure de transfert de charge vers les patients ; il n’y a eu depuis deux ans ni forfait ni franchise. »

Je rappelle que la part des dépenses de soins restant à la charge des ménages a diminué depuis 2011, passant de 9,2 % à cette date à 8,8 % en 2013, soit exactement le mouvement inverse de ce qui s’était passé auparavant : le reste à charge n’avait fait qu’augmenter sous les gouvernements de droite, sans que les déficits soient pour autant réduits ; c’est pour moi la démonstration qu’il n’existe aucun lien mécanique entre les deux.

De plus, dans l’action du Gouvernement, l’efficacité est la compagne de la justice. L’une et l’autre sont bien en cohérence avec les objectifs du Gouvernement, et nous soutenons ce dernier dans sa volonté de poursuivre le désendettement des comptes sociaux sans renoncer à la solidarité, et, au contraire, en élargissant son spectre.

Lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, notre collègue Yves Daudigny – vous l’avez cité, madame David – relevait que, comparée à d’autres pays de l’OCDE au sein desquels un coup de frein brutal sur les dépenses de santé a suivi de fortes augmentations, la France a réussi à préserver le fonctionnement de son système de santé d’à-coups majeurs. D’ailleurs, l’évolution de l’ONDAM, supérieure à celle du produit intérieur brut en valeur, dément tout constat d’austérité.

Je rappelle aussi que Mme la ministre Marisol Touraine n’a jamais endossé le concept de responsabilité du malade au travers des forfaits et franchises.