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Candidature à une commission

M. le président. J’informe le Sénat que le groupe socialiste et apparentés a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission des affaires sociales, en remplacement de Claude Dilain, décédé.

Cette candidature va être publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

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Suppression des franchises médicales

Rejet d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe CRC, de la proposition de loi visant à supprimer les franchises médicales et participations forfaitaires, présentée par Mme Laurence Cohen et plusieurs de ses collègues (proposition n° 262, résultat des travaux de la commission n° 321, rapport n° 320).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme Annie David, auteur de la proposition de loi.

 
Dossier législatif : proposition de loi visant à supprimer les franchises médicales et participations forfaitaires
Article 1er

Mme Annie David, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, monsieur le vice-président de la commission des affaires sociales, madame la rapporteur, mes chers collègues, la présente proposition de loi, qui vise à supprimer les franchises médicales ainsi que les participations forfaitaires, reprend une proposition de loi plus ancienne, que mes collègues du groupe communiste, républicain et citoyen avions déposée dès 2012, à la suite de l’instauration des participations forfaitaires en 2005 par Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la santé, et de la création des franchises médicales, en 2008, par Roselyne Bachelot-Narquin, à l’époque titulaire du même portefeuille. Voici cette proposition enfin mise en débat.

Pour la clarté de nos débats, quelques explications préalables sont nécessaires.

Les participations forfaitaires, qui portent sur les consultations médicales et sur les actes de biologie, s’élèvent à un euro par acte, avec un plafond annuel de cinquante euros et un plafond journalier de quatre euros par personne ; elles concernent l’ensemble des assurés sociaux, hormis les mineurs et les bénéficiaires de la couverture maladie universelle complémentaire, la CMU-c, de l’aide médicale de l’État, l’AME, et de l’assurance maternité, ainsi que les pensionnés militaires d’invalidité pour les seuls actes liés à leur invalidité. Au total, 29 % des assurés sociaux sont exonérés des participations forfaitaires, auxquels s’ajouteront, à partir du 1er juillet 2015, les bénéficiaires de l’aide à la complémentaire santé.

Les franchises médicales, quant à elles, portent sur les médicaments, les actes des auxiliaires médicaux, notamment des infirmières et des masseurs-kinésithérapeutes, ainsi que les transports sanitaires. Elles concernent la même population d’assurés sociaux que les participations forfaitaires.

Les franchises ont clairement été instaurées pour « responsabiliser » les malades – j’insiste sur les guillemets. Il s’agit de leur dire que tout a un coût, même la santé, de sorte qu’ils doivent payer, bien que, salariés pour une grande partie d’entre eux, ils aient déjà contribué au financement de notre protection sociale par leurs cotisations salariales.

Déjà sénatrice lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, dont l’article 52 instaurait les franchises médicales, je me souviens des débats que nous avions menés dans cet hémicycle. Il faut se rappeler que Nicolas Sarkozy venait d’être élu président de la République, que Roselyne Bachelot-Narquin était ministre de la santé et que la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires n’avait pas encore été votée, même si l’on sentait déjà les prémices de ce que serait sa logique.

Je voudrais vous donner lecture des propos tenus à l’époque par mon ami et regretté collègue Guy Fischer : « Avec les franchises médicales de cinquante centimes d’euros par acte pour un plafond maximum annuel envisagé de cinquante euros, le président Sarkozy entend mettre une nouvelle fois à contribution les malades. "Qui ne peut pas payer quatre euros par mois ?", demandait récemment Mme Roselyne Bachelot, traduisant bien l’arrogance de ce gouvernement. [...] Les franchises, c’est punir les gens qui sont malades. » Guy Fischer ajoutait : « Vous inventez une nouvelle théorie, très éloignée de celle du "pollueur-payeur" : la théorie de "l’empoisonné-payeur" ! »

Je crois que ces quelques phrases résument assez bien le problème. Malheureusement, près de huit années plus tard, les faits nous ont donné raison. Notre opposition à l’idée même de franchises médicales et de participations forfaitaires reste totale ; pour nous, il s’agit de taxes sur la santé, ni plus ni moins !

Je tiens également à rappeler que, à l’époque et jusqu’à récemment, l’ensemble de la gauche faisait front commun contre ces mesures. Ainsi, lorsqu’un collectif regroupant cinquante organisations avait lancé un vaste appel national contre les franchises médicales, avançant des arguments qui rejoignaient les nôtres et dénonçant une injustice et une aberration dans la philosophie même de ce dispositif, le parti socialiste lui avait apporté son soutien ; il avait même appelé à la mobilisation contre les franchises médicales, qualifiées de « rupture inacceptable avec les principes de justice sociale et de solidarité nationale ».

Plus récemment, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2012, nos collègues sénatrices et sénateurs du groupe socialiste, en particulier Yves Daudigny, à l’époque rapporteur général de la commission des affaires sociales, avaient déposé un amendement visant à supprimer les franchises médicales. Au cours du débat, très dense, que cet amendement devait susciter dans l’hémicycle, M. Daudigny avait envisagé la tenue d’un débat sur une « réforme globale des participations et franchises », « lors de la campagne présidentielle ».

Je vous propose précisément de lancer ce débat.

Pourquoi souhaitons-nous, en tant que sénatrices et sénateurs communistes, supprimer les franchises médicales et les participations forfaitaires ?

Premièrement, parce que nous ne partageons pas l’idée qu’il faudrait « responsabiliser » les patients. Cela supposerait – certains le pensent sans doute - que les patients, les malades, abuseraient des médicaments et des consultations. Personnellement, je ne pense pas que l’on consulte par plaisir… Bien sûr, il y a sans doute quelques abus ; mais il convient de s’y attaquer, sans pour autant pénaliser l’ensemble de la population. Surtout, les patients ne contrôlent pas leur consommation de soins ni de médicaments : elle leur est dictée d’abord par leur état de santé, et ensuite par les prescriptions de leur médecin.

Ainsi, on demande aux patients d’agir sur un paramètre qu’ils ne contrôlent pas et on remet en cause le professionnalisme des praticiennes et praticiens prescripteurs. Au demeurant, cette remise en cause des professionnels de santé n’est pas sans effet sur notre système de protection sociale, notamment sur le respect par le patient des prescriptions médicales.

Quel est le coût économique et social d’une situation dans laquelle les patients sont mal soignés et les professionnels de santé continuellement suspectés de « sur-prescrire » ?

Deuxièmement, certaines patientes, certains patients vont jusqu’à renoncer purement et simplement à se soigner, ou reportent les soins dont ils ont besoin, pour des raisons financières. Bien entendu, il est difficile d’établir de façon claire et distincte la part des renoncements aux soins directement liée aux franchises médicales, le phénomène étant multifactoriel. Toujours est-il que les faits sont là, constatés par tous les professionnels : le renoncement aux soins pour raisons financières n’a fait qu’augmenter.

Songez que, en 2012, 27 % de la population a renoncé à au moins un soin pour des raisons financières et que, en 2010, selon l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé, l’IRDES, 12 % de la population a modifié ses achats de médicaments du fait de l’instauration des franchises médicales. Ce taux, d’autant plus élevé que les revenus sont modestes, monte à 14 % pour les personnes ayant un revenu inférieur à 1 166 euros par mois ; il est également plus élevé pour les malades que pour les bien portants, alors même que les premiers sont a priori moins concernés par la consommation de médicaments dits « de confort ».

Ces renoncements peuvent-ils être considérés comme un progrès social et sanitaire ? Est-ce là la « responsabilisation » recherchée ? Sans parler des conséquences de ces mesures en matière de prévention !

Je vous rappelle que le Conseil constitutionnel s’est prononcé par deux fois sur le sujet.

Saisi de la loi relative à l’assurance maladie, il a affirmé, dans sa décision du 12 août 2004, que « le montant de la majoration de la participation de l’assuré » devrait « être fixé à un niveau tel que ne soient pas remises en cause les exigences du onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 », aux termes duquel la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé ». Le Conseil a confirmé cette position dans sa décision du 13 décembre 2007 relative à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2008 instaurant les franchises médicales.

Le dispositif existant, parce qu’il ne tient pas compte des revenus des ménages, est profondément injuste : toute personne atteinte d’une maladie grave ou chronique, riche ou pauvre, devra s’acquitter de la même somme. Il s’agit d’une rupture claire et nette avec les fondements de notre système de sécurité sociale, qui repose sur le principe suivant : chacun paie selon ses moyens – ce sont les cotisations sociales – et reçoit selon ses besoins, la maladie frappant indifféremment les riches et les pauvres. Cela rompt également avec le principe de solidarité entre malades et bien portants.

À ce sujet, comment ignorer plus longtemps la situation des malades en affection longue durée qui, entre franchises, participations forfaitaires, déremboursements et dépassements d’honoraires, voient leurs restes à charge considérablement augmenter ? L’assurance maladie va jusqu’à prélever franchises et participations sur les indemnités journalières et les rentes d’invalidité, qui sont des éléments de subsistance. Cela me semble particulièrement choquant.

Je pense notamment aux victimes de maladies professionnelles, telles qu’en provoque l’amiante, ou bien aux porteurs du VIH, qui ont un besoin continu de soins. Je reprendrai l’exemple donné par l’association AIDES lors des auditions menées par ma collègue Laurence Cohen. Cette association a expliqué que le reste à charge pour une personne atteinte par le VIH était de l’ordre de 700 euros par an. Quand on sait que les personnes séropositives sont très souvent aux minima sociaux, on imagine aisément les dégâts !

Et je ne parle pas des personnes en situation de handicap, dont le forfait hospitalier, multiplié par six entre 1983 et 2010, peut être si élevé qu’il draine l’essentiel de leur allocation adulte handicapé, ne leur laissant rien pour subvenir à leurs besoins.

On le voit, le principe même de ces franchises est parfaitement mal conçu, puisqu’il n’y a aucune distinction entre un simple rhume et des pathologies lourdes et accidentelles, et aucune prise en compte des revenus des malades.

Au vu de leurs objectifs affichés, à savoir responsabiliser les patients et réaliser des économies pour notre système de santé, ces mesures se révèlent particulièrement inefficaces.

D’abord parce que les patients sont peu informés et souvent déboussolés par la complexité du dispositif. Ainsi, en 2010, l’étude de l’IRDES montrait que seuls deux tiers des personnes interrogées avaient entendu parler des franchises et que cette part diminuait avec le temps. Comment compter sur un dispositif que le patient ne connaît pas pour le « responsabiliser » ? Encore une fois, il n’a d’effet que sur les personnes les plus malades et celles dont les revenus sont modestes, pour lesquelles ces sommes font une différence.

Ensuite, même si j’adopte le point de vue du Gouvernement pour les besoins de la démonstration, je constate que ces franchises et ces participations sont inefficaces : elles n’ont pas permis de diminuer les dépenses de santé, l’objectif national de dépenses de l’assurance maladie, l’ONDAM, ayant augmenté de 10 % entre 2011 et 2015. La raison en est que, en France, la structure des dépenses de santé est très concentrée : 10 % de la population sont à l’origine de deux tiers des dépenses. Or ces dépenses concernent des maladies graves et chroniques, que l’on ne peut pas réduire.

Enfin, ces mesures sont inefficaces parce que les renoncements aux soins créent un surcoût : les personnes se soignent plus tard, à un stade plus avancé de la maladie. Le coût économique et social est ainsi plus élevé.

Comment ne pas dénoncer, par ailleurs, le leurre communicationnel du président de la République de l’époque, qui avait annoncé que les recettes seraient affectées à un plan Alzheimer, à la lutte contre le cancer ? Non seulement cela n’a pas été le cas, mais, une fois encore, le principe de ces mesures est tout simplement inacceptable puisque des malades paient pour d’autres malades.

Tout aussi inacceptable est le constat que, parallèlement à la hausse du reste à charge pour les patients, la part du financement par les cotisations patronales a diminué de cinq points en vingt ans. C’est en ce sens que nous proposons sans relâche de mettre fin aux exonérations de cotisations patronales. En effet, comment passer à côté de 30 milliards d’euros par an ?

Comparé à cette somme, le coût de la suppression des franchises médicales et des participations forfaitaires pourrait sembler dérisoire : 1,5 milliard d’euros par an, soit 870 millions d’euros pour les franchises et 600 millions d’euros pour les participations forfaitaires. Notez d’ailleurs, pour les franchises, que 40 % du montant est collecté sur le dos des patients atteints de maladies graves et chroniques.

Bien entendu, 1,5 milliard d’euros, ce n’est pas non plus une petite somme et, afin de ne pas tomber sous le couperet de l’article 40 de la Constitution, nous avons gagé notre proposition de loi par un relèvement de la contribution additionnelle à la C3S, la contribution sociale de solidarité des sociétés.

Nous avons bien conscience d’être à contre-courant de l’idéologie dominante, puisque la volonté du Gouvernement est de supprimer la C3S. Nous avons déjà eu l’occasion de dénoncer cette suppression, envisagée au nom du pacte de responsabilité. Là encore, comment accepter de se passer de 7,2 milliards d’euros sur trois ans ? Nous savons qu’une nouvelle mesure prendra le relais, mais nous ne savons pas sur quoi elle reposera. En attendant, nous considérons que le relèvement de cette C3S serait largement à même de compenser la perte de recettes issue de la suppression des franchises médicales et des participations forfaitaires.

Bien que nous soyons souvent taxés de manque de réalisme, nous avons de nombreuses propositions susceptibles de dégager des recettes nouvelles pour l’assurance maladie. Ainsi, nous aurions pu vous proposer de mettre un terme aux inégalités salariales entre femmes et hommes : cela rapporterait 52 milliards d’euros de recettes à la sécurité sociale.

Par ailleurs, notez que le système créé au sortir de la Seconde Guerre mondiale faisait en sorte que les recettes de la sécurité sociale soient dynamiques, puisqu’assises sur la richesse produite par l’entreprise. En effet, les cotisations sociales sont calculées à partir de la masse salariale. Modifiez la répartition des richesses dans l’entreprise au profit du travail, et vous dégagerez des recettes nouvelles pour combler le déficit de la sécurité sociale !

Pour cela, une solution intermédiaire consisterait à introduire une contribution additionnelle sur les revenus financiers des entreprises. À court terme, cela créerait des recettes supplémentaires. À moyen et long terme, cela conduirait sans aucun doute les entreprises à réorienter le partage de la valeur ajoutée des actionnaires vers les salariés.

Je voudrais conclure en soulignant deux points importants.

Premièrement, nous saluons l’exonération des franchises médicales et participations forfaitaires décidée pour les bénéficiaires de l'assurance complémentaire santé lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015. Cette décision a été rendue plus ou moins inévitable du fait de l’application du tiers payant dès le 1er juillet 2015 à ces mêmes bénéficiaires de l’ACS. Comment, en effet, récolter ces franchises quand le tiers payant est appliqué ?

Pour nous, c’est un premier pas vers la reconnaissance du fait que ce mécanisme de franchises et de participations contribue au renchérissement de l’accès aux soins, et comporte donc un risque potentiel de renoncement aux soins.

Deuxièmement, dans la logique de la généralisation du tiers payant prévue par le projet de loi de santé – nous en débattrons ici même dans quelques mois, madame la secrétaire d'État, ce que nous saluons également –, il sera très difficile, et coûteux, de continuer à prélever les franchises médicales et les participations forfaitaires.

Cela nous donne un argument supplémentaire pour que la Haute Assemblée décide dès à présent de supprimer ces dispositifs et donne toute sa cohérence à la future généralisation du tiers payant.

Enfin, mon propos ne serait pas complet si je ne précisais pas que cette proposition de loi ne constitue pour nous qu’une étape, dans la mesure où nous ne nous attaquons pas ici au ticket modérateur ou encore aux dépassements d’honoraires, à savoir à l’ensemble des restes à charge.

Notre ambition s’inscrit dans une optique plus large, celle d’une reconquête du remboursement par l’assurance maladie à 100 % pour toutes et tous. Mon collègue Dominique Watrin reviendra sur ce point.

Pour terminer tout à fait, j’aimerais insister sur le rôle de cette proposition de loi dans le contexte actuel, alors que la généralisation du tiers payant est en voie d’être mise en œuvre.

Comme je l’ai dit, il s’agit ainsi d’une première étape pour créer un système plus juste, mais aussi plus efficace en réduisant les coûts de gestion liés au recouvrement des franchises. Madame la secrétaire d'État, notre proposition de loi ne doit pas être perçue autrement que comme un point d’appui avant la généralisation du tiers payant. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteur.

Mme Laurence Cohen, rapporteur de la commission des affaires sociales et coauteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission des affaires sociales n’a malheureusement pas adopté ce texte, mais j’espère que nos échanges de ce matin feront bouger les lignes, et cela d’autant plus que, comme nos débats en commission ont permis de le montrer, personne ne croit que les forfaits et les franchises médicales « responsabilisent » les patients.

Aucun d’entre nous, je pense, ne trouve non plus normal que les personnes en affection de longue durée, y compris celles qui sont atteintes de la maladie d’Alzheimer, soient particulièrement nombreuses à atteindre le plafond de 100 euros laissés à leur charge sous prétexte de dégager des fonds pour financer la lutte contre la maladie dont ils souffrent.

Je rappelle que, dans son rapport public annuel de 2013, la Cour des comptes a inséré une analyse de la politique de lutte contre la maladie d’Alzheimer. Elle a estimé que « le lien ainsi fait entre la mise en place des franchises et leur affectation à des actions de santé publique apparaît artificiel. »

Comment peut-on imaginer responsabiliser les patients alors qu’ils ne sont pas prescripteurs ? À titre d’exemple, notez qu’un cadre dépense 16 % de plus qu’un ouvrier en soins de ville, tandis qu’un ouvrier dépense 13 % de plus qu’un cadre en soins hospitaliers. Que faut-il en conclure ? Que les ouvriers ne sont pas assez responsables ni éduqués en termes de santé, ce qui les conduirait à se soigner au dernier moment à l’hôpital ? Ou plutôt que le coût des soins de ville, avec un remboursement de l’ordre de 50 % seulement, est dissuasif pour les plus modestes ?

Comme le souligne l’IRDES dans son rapport de 2010, il existe une plus forte propension des franchises à affecter les personnes disposant de faibles ressources et celles qui sont en mauvaise santé, ce qui a pour conséquence « une perte d’accès aux médicaments ». D’ailleurs, comme elles sont forfaitaires, ces participations et franchises impactent davantage, par définition, les personnes aux plus bas revenus.

Cela questionne la logique sous-jacente de dispositifs qui font porter davantage, et très clairement, leur effet de responsabilisation, ou de culpabilisation, sur les malades les plus modestes…

Madame la secrétaire d'État, je sais que Mme Touraine – comme vous-même, certainement – est particulièrement sensible à cet argument. Le 10 novembre 2014, elle déclarait en effet : « Dans le contexte financier contraint que nous connaissons, nous refusons tout transfert de charges vers les patients : ni déremboursement, ni forfait, ni franchise ».

C’est sans doute ce qui vous a conduits à exempter, à compter du 1er juillet 2015, les bénéficiaires de l’ACS, c’est-à-dire 1,2 million de personnes ayant un revenu de 975 euros mensuels. Pour mon groupe, il s’agissait, comme l’a dit Annie David, d’une première étape, et nous avons soutenu cette mesure.

La proposition de loi que nous présentons aujourd’hui devrait permettre, madame la secrétaire d'État, d’en franchir une seconde en supprimant, pour toutes et tous, franchises et forfaits, qui sont, en réalité, des déremboursements purs et simples.

Quel est l’obstacle qui nous en empêche ? Pour revenir aux débats en commission, j’ai surtout noté une certaine résignation financière de la part de la majorité de mes collègues. En somme, se disent-ils, comme 1,65 milliard d’euros manquerait à la sécurité sociale si l’on supprimait les franchises et les forfaits, que ceux qui les payent continuent à le faire, en attendant des jours meilleurs…

C’est là, me semble-t-il, un raisonnement largement partagé parmi celles et ceux qui s’opposent à cette proposition de loi.

Il y a donc au mieux une politique des petits pas, au pire un refus de corriger une iniquité caractérisée. En effet, ces dispositifs, qui ne s’appliquent qu’à une part de la population, contreviennent à un principe fondateur de notre système d’assurance maladie : la solidarité entre bien portants et malades. Ils entravent l’accès aux soins et font espérer des économies de court terme en négligeant le risque de coûts supérieurs dus au non-recours aux soins.

À cet égard, le professeur Didier Tabuteau, de Sciences Po, m’a fait part de ses vives inquiétudes sur l’accès aux soins et la prévention, ainsi que sur l’observance. En effet, une proportion significative des patients n’achète qu’une partie des médicaments qui leur sont prescrits du fait des franchises – plus précisément, plus des deux tiers des 12 % des personnes ayant modifié leur consommation de médicaments à la suite de la mise en place des franchises. On ne peut que s’interroger sur les effets de ces évolutions sur la santé et sur la prévention. Le professeur Tabuteau rejoint ainsi l’analyse de l’ensemble des associations de patients et des syndicats que j’ai pu auditionner.

À mes yeux, il est donc urgent de mettre fin à ces dispositifs.

Certes, il n’est pas question de priver la sécurité sociale de 1,65 milliard d’euros. Ainsi, la proposition de loi comporte un financement alternatif pour venir compenser l’augmentation des charges liées à la disparition du forfait et des franchises. Mais que ce soit la contribution additionnelle à la C3S ou une autre des ressources que propose le groupe CRC à l’occasion de la discussion de chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale, vous conviendrez que nous sommes très constants – notre collègue Annie David vient de le rappeler.

La question fondamentale est celle des moyens que nous sommes prêts à consacrer aux besoins de santé des Français.

Faut-il donc sacrifier l’un des principes fondateurs de la sécurité sociale et faire reposer sur les personnes malades, surtout sur celles qui le sont le plus, le financement des soins parce que l’on refuse de mobiliser les ressources nécessaires à notre système d’assurance maladie ? Je ne le crois pas.

Certes, le Gouvernement n’a pas été inactif – il a exempté les bénéficiaires de l’ACS, je l’ai déjà souligné -, mais il n’est pas juste de s’arrêter au milieu du gué.

Un argument supplémentaire plaide en faveur de cette proposition de loi, madame la secrétaire d’État. Il concerne la généralisation du tiers payant, incompatible, de mon point de vue comme de celui des personnes auditionnées, avec le maintien des franchises et forfaits. Pour continuer à récupérer ces sommes, l’Inspection générale des affaires sociales a d’ailleurs dû imaginer des mécanismes complexes, notamment le prélèvement sur le compte en banque des assurés. Outre le caractère quelque peu choquant d’un tel dispositif, sa mise en œuvre me paraît complexe et, qui plus est, coûteuse.

J’ai d’ailleurs été particulièrement choquée que le directeur de la sécurité sociale ne puisse me fournir, lorsque je l’ai rencontré, aucun élément chiffré sur le coût lié à la récupération des franchises et forfaits. Il m’a même affirmé que ces chiffres seraient encore plus difficiles à obtenir après les suppressions d’emploi prévues au sein des services de la sécurité sociale. Ainsi, d’un côté, on prône la simplification administrative et, de l’autre, on complexifie à outrance un système.

On ne peut indéfiniment concilier l’inconciliable, à savoir la justice sociale, qui repose sur la solidarité entre bien portants et malades, l’accès aux soins, ainsi que la volonté de faire des économies, ces dernières reposant sur un transfert de charges des malades entre eux.

Mes chers collègues, la commission des affaires sociales n’est pas favorable à la proposition de loi, mais, à titre personnel, je ne peux bien évidemment que vous appeler à corriger une injustice flagrante et à faire preuve de cohérence politique en adoptant le texte soumis à notre examen. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Ségolène Neuville, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l'exclusion. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi visant à supprimer les franchises médicales et participations forfaitaires, déposée par Mme Laurence Cohen et ses collègues, poursuit un objectif sur lequel nous sommes bien évidemment d’accord avec vous : assurer l’accès de tous aux soins.

Garantir l’accès aux soins, c’est mettre en œuvre la promesse de 1946 : « la Nation garantit à tous […] la protection de la santé ». C’est pourquoi Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, a inscrit l’accès aux soins au cœur de la stratégie nationale de santé.

Garantir l’accès aux soins, c’est assurer la présence d’une offre de soins adaptée sur le territoire. Nous nous y employons, en confortant les hôpitaux isolés et en soutenant l’exercice médical dans les zones où il n’est pas assez présent, que l’on nomme « les déserts médicaux ».

Mais c’est aussi s’attaquer aux freins financiers à l’accès aux soins. Nous ne pouvons en effet accepter que des Français renoncent à se soigner pour des raisons financières.

C’est pourquoi le Gouvernement est d’accord avec vous, madame la sénatrice, quand vous rejetez l’idée d’une « responsabilisation » des patients, laquelle a inspiré la création des franchises. Il faut le dire une fois pour toutes, cette notion est à la fois fausse et choquante, car elle repose sur l’idée qu’on se ferait soigner par plaisir et non parce qu’on en a besoin.

Nous voulons au contraire lutter contre le renoncement aux soins pour des raisons financières, chacun devant pouvoir se faire soigner lorsqu’il en a besoin. Par ailleurs, renoncer ou retarder les soins, c’est souvent aggraver ses problèmes de santé, ce qui induit un coût supérieur non seulement pour sa propre santé, mais aussi pour la collectivité.

Si nous ne pouvons pas vous suivre, madame la sénatrice,…