Mme Fabienne Keller. Absolument !

Mme Catherine Deroche, corapporteur. Dans ces conditions, constater que vous souhaitez, par exemple, le rétablissement de la consultation du conseil municipal sur l’ouverture dominicale des bibliothèques – quel est le lien de cette mesure avec l’objet du projet de loi ? – peut sembler décourageant à qui ignore que cette mesure trouve son origine dans un amendement d’une ancienne ministre de la culture, aujourd’hui députée frondeuse.

Mme Catherine Deroche, corapporteur. Comme vous le savez, les désaccords entre les deux assemblées sont courants et font partie intégrante de la procédure parlementaire. Habituellement, la deuxième lecture d’un texte permet de les circonscrire. Puisque vous avez engagé la procédure accélérée, il n’y en aura malheureusement pas, mais une commission mixte paritaire se réunira une fois le texte voté par le Sénat.

À cette occasion, nous confronterons notre position à celle de nos collègues députés. Si les deux chambres du Parlement ne parviennent pas à transiger, la Constitution fait prévaloir l’Assemblée nationale. Il en est ainsi… Cependant, il est regrettable que le Gouvernement prenne ouvertement parti en la matière. Si nous étions susceptibles, …

M. Bruno Retailleau. Nous ne le sommes pas !

Mme Catherine Deroche, corapporteur. … nous pourrions y voir, de votre part, un mépris du bicamérisme, en particulier des travaux de la chambre haute. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Étant de nature optimiste, je préfère penser que ce climat peu propice à un débat serein et constructif est lié au fait que votre « compagnonnage législatif » – c’est l’expression que vous avez utilisée à l’Assemblée nationale – n’est pas achevé. J’espère que votre découverte du Sénat, à l’occasion de l’examen de ce texte, permettra de dissiper ces malentendus et vous fera comprendre que nous sommes animés, tout autant que les députés, par l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. Alain Gournac. Bravo !

(M. Claude Bérit-Débat remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur de la commission spéciale. Monsieur le ministre, qu’avons-nous donc fait pour mériter un tel dédain ? Certes, j’ai pris bonne note, comme ma collègue corapporteur Catherine Deroche, que vous aviez retiré, deux heures avant le début de cette séance, une cinquantaine de vos amendements. Je précise toutefois que certains d’entre eux étaient intégralement identiques à plusieurs amendements déposés par le groupe socialiste, lesquels ont, quant à eux, été maintenus. (Eh oui ! sur les travées de l'UMP.)

Mme Nicole Bricq. Et alors ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Il reste donc 125 amendements déposés par le Gouvernement sur le texte de la commission spéciale, des amendements qui sont autant de coups de gomme sur notre travail.

Mme Nicole Bricq. Vous n’avez jamais fait cela, peut-être ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Lorsque vous êtes venu devant la commission spéciale, vous nous avez assurés de votre volonté de coconstruire ce texte avec le Sénat, comme vous l’aviez fait avec l’Assemblée nationale. Il faut croire que votre bonne volonté s’est quelque peu émoussée.

Nous pouvons, bien évidemment, constater des désaccords. La commission a toujours des désaccords avec le Gouvernement, y compris d’ailleurs lorsqu’elle le soutient.

M. Jean Desessard. Nous aussi !

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Néanmoins, le Sénat, que vous ne connaissez pas encore très bien, aime débattre sur le fond des choses. Mais comment débattre lorsque certains de vos amendements inscrivent comme seul objet « Rétablissement du texte issu de la première lecture à l’Assemblée nationale » ?

La commission spéciale n’a pas travaillé de manière arbitraire ou fantaisiste.

Mme Nicole Bricq. Elle a travaillé à sens unique !

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Mes collègues corapporteurs et moi-même avons mené plusieurs centaines d’heures d’auditions. La commission spéciale vous a entendu. Elle a aussi entendu l’Autorité de la concurrence, plusieurs économistes, ainsi que quatre de vos collègues du Gouvernement.

La commission spéciale a adopté des amendements sur le fondement d’arguments juridiques ou d’arguments d’opportunité nouveaux. Certes, me direz-vous, vous n’étiez pas présent en commission spéciale, mais telle est la tradition au Sénat. Ses travaux sont néanmoins publics, tout comme notre rapport. Vous connaissez donc les motifs qui nous ont conduits à retenir telle ou telle rédaction.

Avec cette formulation lapidaire, « Rétablissement du texte issu de la première lecture à l’Assemblée nationale », vous faites comme s’il n’y avait qu’une seule chambre au sein du Parlement.

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Or, par définition, dans un parlement bicaméral, le travail d’une assemblée ne constitue jamais un argument d’autorité pour l’autre assemblée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) Nous exerçons notre esprit critique indépendamment et librement les uns des autres ! Cela est vrai, quelle que soit la majorité dans l’une ou dans l’autre chambre.

Vous défendez à tous crins le texte de l’Assemblée nationale, alors que celle-ci ne l’a même pas adopté. Cette démarche doit être inédite dans les annales de la navette parlementaire… (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. Charles Revet. C’est vrai !

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Vous comprendrez également que nous éprouvions du courroux lorsque nous constatons que vos amendements tendent à rétablir massivement le texte de l’Assemblée nationale, sans argument à l’appui, tout en se bornant parfois – mais pas toujours ! – à retenir les modifications formelles que nous avons apportées. Là encore, je crois utile de vous détromper : le Sénat ne se contente pas de rectifier les virgules mal placées ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Charles Revet. Très bien !

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Vous venez de nous rappeler les grandes lignes de votre projet de loi, dont l’objectif est la croissance. La majorité sénatoriale partage le même objectif, mais elle fait le constat que le présent texte s’arrête au milieu du gué. C’est d’autant plus préjudiciable pour notre économie que le gouvernement auquel vous appartenez a renoncé à une politique de baisse substantielle de la dépense publique, ainsi qu’à celle de baisse des charges pesant sur les entreprises.

Si le projet de loi comporte des mesures qui vont dans le bon sens et que nous soutenons, il ne s’attaque pas aux verrous qui pourraient permettre à l’économie de la France de redémarrer et de créer des emplois.

Nous avons conforté et complété les dispositions visant à soutenir l’esprit d’entreprise et l’investissement. Par exemple, pour surmonter les blocages actuels sur le marché du logement, nous avons institué un socle juridique plus favorable à l’investissement immobilier, tout en préservant un niveau élevé de protection des locataires. Nous espérons ainsi réduire les excès de la loi ALUR, controversée et complexe.

De même, par les articles 47 et 48, le Gouvernement propose de soutenir deux projets ambitieux pour les entreprises publiques Nexter et LFB. Notre commission spéciale, après un examen très minutieux, s’y est déclarée favorable, car nous avons acquis la conviction qu’ils étaient véritablement bénéfiques pour la croissance et l’activité. Vous vous souviendrez, monsieur le ministre, que cette position n’était pas forcément celle qui prévalait à l’Assemblée nationale, y compris sur les bancs du groupe majoritaire.

En matière de financement de l’économie, nous avons repris et sécurisé l’article adopté par l’Assemblée nationale – contre l’avis du Gouvernement, même si vous avez depuis fait volte-face –, afin d’encourager les prêts interentreprises. Nous avons voulu que ce dispositif soit, à la fois, efficace et de nature à éviter les situations de dépendance économique abusive entre un donneur d’ordre et son sous-traitant.

M. Jean Desessard. Ça, ça reste à voir !

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Parce que nous voulons mettre fin à l’immobilisme et faire bouger les lignes, nous avons voulu aller plus loin et proposer de vraies nouvelles mesures pour la croissance.

Tout au long de la discussion qui s’ouvre, nous allons ainsi savoir si vous êtes décidé à agir, à ne pas vous contenter de faire semblant de réformer et à prendre à bras-le-corps le problème du chômage.

Vous avez dit à la commission spéciale : « Ma première ambition est de libérer l’activité et d’ouvrir à nos concitoyens des accès dans les secteurs trop fermés. C’est d’abord le cas des transports. » De fait, vous avez proposé l’ouverture à la concurrence du transport par autocar. Non seulement nous validons votre proposition, mais nous allons plus loin en proposant l’ouverture à la concurrence des transports ferroviaires régionaux à compter du 1er janvier 2019. Nous sommes persuadés que cette mesure est susceptible de rendre du pouvoir d’achat aux Français. Existe-t-il d’ailleurs un secteur plus fermé que le transport ferroviaire ?

Lors de votre audition, vous aviez également souligné qu’il devait être possible d’adapter davantage ce texte à la réalité des territoires. Nous y avons été très attentifs. Ainsi, conformément à une préoccupation constante du Sénat, la commission spéciale a adopté un dispositif de nature à assurer une meilleure couverture des zones dites « blanches » ou « grises » en matière de téléphonie mobile. C’est aussi dans cette perspective que nous avons supprimé l’article 10, qui prévoit la possibilité pour l’État ou le préfet de consulter l’Autorité de la concurrence sur les documents d’urbanisme. Outre que nous n’avons pas bien compris quel serait l’apport réel de cet avis, il nous a semblé, pour reprendre les mots d’un sénateur du groupe socialiste, que cette disposition était teintée d’une forme de jacobinisme que nous récusons.

M. Bruno Retailleau. Très bien !

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Nous avons également renforcé le volet numérique du projet de loi. La modernisation de l’économie passe en effet par son adaptation aux nouvelles technologies. Un projet de loi sur le numérique nous est d’ailleurs promis depuis plusieurs mois, mais nous ne savons pas à quelle échéance il sera présenté au Sénat et à l’Assemblée nationale.

C’est ainsi que nous avons encadré les relations entre les hôteliers et les plateformes de réservation sur internet, via un mécanisme de contrat de mandat. Nous avons aussi permis à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, d’émettre un avis public sur les conditions tarifaires d’accès aux réseaux d’initiative publique des collectivités.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré notre regard bienveillant sur des micro-mesures, certes utiles et bienvenues, mais aussi micro-efficaces, nous avons également considéré qu’il fallait « raison garder ».

M. Marc Daunis. Bonne nouvelle !

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Nous avons ainsi amendé, voire supprimé, certaines mesures, libérales mais maladroites, qui risquaient de mettre à mal un maillage social, territorial, ainsi qu’un service public qui fonctionnent bien.

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Aussi avons-nous modifié la procédure applicable aux transports par autocar afin de protéger davantage les services de transport conventionnés.

Nous avons également supprimé les dispositions introduites de façon improvisée ou ne reposant sur aucune étude ou élément précis. Je pense au recours à des fonctionnaires ou des agents publics comme examinateurs de l’épreuve pratique du permis de conduire.

Par ailleurs, alors que les relations entre distributeurs et fournisseurs sont aujourd’hui très encadrées dans notre pays, les tentatives de contournement et les risques de déséquilibre surgissent de manière constante. Plutôt que de légiférer dans la précipitation en modifiant le cadre juridique et en alourdissant les sanctions à intervalles de plus en plus rapprochés – il en est ainsi de l’article 10 A –, la commission spéciale préconise l’adoption de dispositifs précédés d’un tour de table et d’une expertise satisfaisante.

Lors de l’examen de tous les articles, nous avons cherché à éviter les formalités ou les normes nouvelles.

M. Charles Revet. On en a bien besoin !

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Pour lutter contre l’introduction hâtive de nouvelles « usines à gaz » dans notre droit, la commission spéciale estime nécessaire de consulter au préalable les acteurs économiques sur l’utilité et l’efficacité de nouvelles mesures qui les concernent directement.

Elle a aussi veillé à maintenir les prérogatives du Parlement en limitant le recours aux ordonnances aux seules habilitations au sujet desquelles le Gouvernement a expliqué avec précision ses intentions.

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. À l’évidence, ce n’était pas le cas de l’ordonnance prévue à l’article 28 en matière de droit de l’environnement. C’est pourquoi la commission spéciale a refusé de donner un blanc-seing au Gouvernement.

M. Charles Revet. C’est très bien !

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Plus largement, la commission spéciale a veillé au respect des grands piliers de notre droit et a écarté les mesures portant atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales ou à la vie privée.

Enfin, le dernier pilier de notre travail a consisté à simplifier le projet de loi et à clarifier le droit existant.

À propos du permis de conduire, par exemple, nous avons supprimé toutes les dispositions qui relèvent du domaine réglementaire. Les inscrire dans la loi aurait pour conséquence d’en rendre difficile, à l’avenir, toute modification, puisqu’il faudrait à chaque fois trouver un véhicule législatif.

Nous nous sommes aussi penchés sur les relations entre les locataires et les bailleurs. Ainsi, la commission spéciale a réduit une partie des imprécisions – donc les sources de conflits – issues de la trop complexe loi ALUR. Pour limiter les conséquences de l’instabilité législative, nous avons prévu d’éviter de prolonger trop longtemps la coexistence de plusieurs régimes locatifs différents. Toutefois, nous avons été attentifs à ne pas porter une atteinte excessive aux contrats légalement conclus. Notre pays a besoin de repères stables et les éléments essentiels de l’accord entre deux parties doivent être respectés.

Monsieur le ministre, vous le constatez, nous avons pris à bras-le-corps votre projet de loi et le vaste ensemble de dispositions qu’il contient. Parmi cet agglomérat de mesures, nous voterons en faveur de celles qui vont dans le sens de la croissance et nous supprimerons celles qui sont contre-productives, sans incidence sur la croissance.

M. Charles Revet. Il y en a beaucoup !

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Nous formulons des propositions fortes, visibles, de nature à peser sur la croissance.

Nous espérons que le débat qui s’ouvre aujourd’hui et qui se poursuivra dans les prochains jours permettra de constater que le dépôt d’amendements par le Gouvernement reposait d’abord sur une mauvaise compréhension de nos travaux. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le corapporteur.

M. François Pillet, corapporteur de la commission spéciale. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, mes chers collègues, les domaines dont l’étude et la présentation m’ont été confiées pour préparer les débats de la commission spéciale sont particulièrement variés. Je les rappelle, car nous aurons à en débattre.

La réforme des professions réglementées comprend d’importantes dispositions relatives aux tarifs. Monsieur le ministre, permettez-moi cette parenthèse : depuis que les professions réglementées existent, c’est toujours le Gouvernement qui a eu la main sur leurs tarifs. Ce ne sont pas les professions qui en décident.

M. Jean-Paul Emorine. Tout à fait !

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Très bien !

M. François Pillet, corapporteur. D’autres mesures touchent à la liberté d’installation, à l’accès à la profession, à l’exercice salarié, à l’exercice en société, aux ressorts d’exercice…

Quant au droit général de la consommation, il vise par exemple l’action de groupe, les sanctions administratives.

Sont également concernées les prérogatives et procédures de l’Autorité de la concurrence, comme celles qui tiennent aux pouvoirs d’injonction structurelle et de transaction.

En droit de la propriété industrielle, des aménagements de l’information de l’inventeur salarié sont prévus.

Le droit commercial est réformé ou élargi en matière de gestion du registre du commerce et des sociétés, de cession de fonds de commerce, des baux commerciaux, d’obligations comptables des entreprises, d’insaisissabilité de droit de la résidence principale de l’entrepreneur individuel.

Sont visés le droit des sociétés, en ce qu’il règle le cumul des mandats, l’encadrement des retraites chapeaux, et le droit civil, en ce qu’il organise le recouvrement des petites créances.

La réforme des tribunaux de commerce a un objectif délicat : la spécialisation de certains tribunaux.

Il faut mentionner le droit des entreprises en difficulté, avec la prise en compte des groupes de sociétés et, surtout, la possibilité d’une cession forcée des actions des actionnaires opposés à un plan de redressement.

Il convient d’évoquer aussi la réforme des conseils de prud’hommes portant modification de la procédure d’instruction et de règlement des contentieux, du statut du défenseur prud’homal.

Sans être toutefois complet, on peut même citer la réforme par ordonnance du régime du gage des stocks défini par le code de commerce pour pouvoir lui appliquer le pacte commissoire et le gage avec dépossession prévue par le code civil.

Cet inventaire synthétique s’ajoutant à celui qu’ont dressé Dominique Estrosi Sassone et Catherine Deroche laisse imaginer l’étendue du travail, certes gouvernemental, mais surtout parlementaire, puisqu’il s’agit de légiférer.

Monsieur le ministre, je ne dirai pas que c’est un projet fourre-tout, pour que vous conveniez avec moi que c’est un projet éclectique ! (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme Nicole Bricq. C’est mieux ! C’est plus élégant !

M. François Pillet, corapporteur. Ce faisant, sans être grand clerc, on peut admettre que, multipliant en quelque sorte les lois à l’intérieur d’une seule, ce texte risque par nature de susciter plus de rejet et d’irritation que d’adhésion. Il serait dès lors commode d’écarter la plupart, sinon la totalité, de ses dispositions au motif que, décidément, on ne contourne pas ainsi le pouvoir législatif, exclusif du Parlement !

M. François Pillet, corapporteur. Aurait-elle été légitime que le Sénat n’a pas, pour autant, choisi cette voie.

L’objectif général du texte n’étant pas remis en cause, nous avons recherché un consensus auquel l'Assemblée nationale n’était pas parvenue, et ce par l’écoute et l’écriture.

Outre les auditions plénières devant la commission spéciale, j’ai reçu environ soixante-dix personnes, représentants d’organismes publics et privés, d’administrations, de syndicats de salariés, d’organisations professionnelles ou personnalités qualifiées. Il a été expressément offert à chacun et chacune de développer ou compléter sa pensée par l’envoi d’une contribution écrite. Peu ont manqué d’user de cette offre ! L’avis du premier président de la Cour de cassation et de tous les premiers présidents de cour d’appel a été suscité. Toutes les contributions spontanées ont fait l’objet d’une lecture attentive.

Il est également à souligner qu’un espace participatif a été ouvert sur le site du Sénat afin de collecter les avis des différentes professions concernées par le texte et des citoyens.

Des dizaines de contributions ont été recensées.

Nous avons veillé à ce que l’expression et l’information soient les plus diverses et les plus complètes.

Il a été proposé à tous et à toutes d’appréhender les avancées et réformes de façon responsable, afin que les objectifs principaux du Gouvernement ne soient pas remis en cause.

Avec pragmatisme, en évitant les postures uniquement conservatrices ou partisanes, des voies raisonnables de compromis et d’apaisement ont aussi été recherchées. Elles ont mené à des solutions qui s’accordent parfaitement avec la mise en place de dispositions visant à favoriser la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

Même lorsque le projet de loi concernait des domaines extrêmement peu influents dans cette croisade, son contenu et sa rédaction furent non pas amputés, mais amendés, pour que l’incorporation des dispositions en cause s’effectue harmonieusement dans notre État de droit, et, surtout, pour que, au surplus, certaines innovations dépassent le champ premier d’application du texte.

Monsieur le ministre, vous pouvez aisément le constater, le Sénat, par l’intermédiaire de la commission spéciale et sous l’autorité souriante du président de celle-ci, Vincent Capo-Canellas, en associant toutes les forces sociales, économiques et professionnelles, n’a pas déstructuré le projet de loi pour dénaturer son objectif.

À titre d’exemple, vous avez pu noter que, à propos des professions réglementées, nous avons conservé l’avis de l’Autorité de la concurrence, concilié l’approche économique et la spécificité de la prestation juridique, maintenu la péréquation et les remises tarifaires en évitant leur dénaturation, confirmé la liberté d’installation, mais en précisant le régime juridique applicable aux zones non carencées.

S’agissant de la spécialisation des tribunaux de commerce, nous avons trouvé un compromis sur le seuil de compétence de ces juridictions spécialisées, prévu au moins un tribunal spécialisé par cour d’appel pour assurer un maillage territorial satisfaisant, sorti les dispositifs de prévention de la spécialisation.

Nous avons reconnu à l’Autorité de la concurrence la légitimité d’exercer ses pouvoirs, après des débats compatibles avec les grands principes de notre droit au respect desquels veillent tant le Conseil constitutionnel que la Cour européenne des droits de l’homme.

Si nous n’avons conservé qu’une seule des trois dispositions relatives aux sociétés d’exercice du droit – les deux autres ne présentant pas suffisamment de garanties –, c’était pour vous engager, monsieur le ministre, à reprendre la plume au sujet de dispositifs sans doute trop hâtivement rédigés et à proposer un texte plus conforme à la protection de l’indépendance d’exercice des professions juridiques. Cette suppression n’a été faite qu’à titre conservatoire.

J’arrête cette énumération. Nous en reparlerons lors de l’examen des amendements.

Mes chers collègues, ce projet de loi, amendé par la commission spéciale, dans un esprit dont chacun et chacune d’entre vous saluera, je suppose, le caractère constructif, a été sans doute, au surplus, en grande partie défendu, auprès de leurs membres plus radicaux, par les mandataires responsables de la plupart des activités économiques, juridiques ou judiciaires concernées.

Monsieur le ministre, ne laissez pas passer cette occasion, parmi d’autres, qui, contrairement à l’avis de M. le Président de la République, pourrait faire que la future loi soit celle de l’année ! Pour cela, restez-en à ce que vous avez affirmé sur ce projet de loi lors de votre audition par la commission spéciale du Sénat : « Le texte peut être amélioré tout en conservant l’équilibre entre efficacité économique accrue et justice sociale préservée, parfois même renforcée. » Vous indiquiez également : « Je ne doute pas qu’il sera encore enrichi par vos discussions guidées par l’intérêt général. »

Mes chers collègues, monsieur le ministre, il y a les lois qui, dès leur promulgation, se diluent dans les textes préexistants qu’elles ont modifiés ou phagocytés. Il y a les lois qui s’identifient par leur date ; elles ne peuvent alors espérer être évoquées que par quelques juristes et parlementaires. Il y a celles qu’on affuble d’un acronyme ; les médias leur accordent une attention souvent éphémère. Et puis il y a les lois que nos concitoyens, eux, gardent en mémoire, parce qu’ils ont jugé leur genèse et leurs effets. Veillons-y, monsieur le ministre. Ces lois-là sont celles qui portent le nom de leur auteur. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Monsieur le ministre, je commencerai par souligner un instant vos mérites. (Murmures sur les mêmes travées.)

Mme Catherine Deroche, corapporteur. Ça commence bien !

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Le présent texte était initialement marqué par des intentions que vous avez su remiser avec soin. Par exemple, rendre 6 milliards d'euros de pouvoir d'achat à nos concitoyens. Comme si une loi pouvait y suffire !

Mme Nicole Bricq. Ça peut aider !

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Vous avez donc su minorer cette intention de votre prédécesseur et revenir à des principes un peu plus réalistes.

M. Pillet vient de le rappeler, vous avez gardé un certain nombre de dispositions relatives aux professions réglementées qui visaient à désigner du doigt ces dernières : elles allaient rendre une partie des milliards d'euros en question. Nous y reviendrons. Quoi qu’il en soit, l’essentiel de l’idéologie a disparu, au moins dans le discours. Nous veillerons avec les corapporteurs à ce qu’il en soit de même dans les actes.

Monsieur le ministre, ce satisfecit est très partiel. Il vise une partie du travail accompli et vous invite à continuer à progresser avec nous. C’est ce que le Sénat s’est employé à faire lors des travaux de la commission spéciale.

À vrai dire, le Gouvernement et le Parlement vont vivre un moment singulier. Selon que seront défendues dans cette enceinte des positions utiles à la discussion, à la réforme du pays, au déblocage du marché de l’emploi et à la compétitivité – les deux vont de pair – ou que sera conduit un débat politicien, c’est une certaine idée de la réforme et de l’adaptation du pays au temps présent qui sortira consolidée ou entravée des travaux du Sénat.

Nous mesurons la responsabilité qui est la nôtre. Aussi l’ambition de la commission spéciale a-t-elle été, par son travail, d’apporter une contribution éclairée, exigeante, afin que la Haute Assemblée offre au Gouvernement l’occasion de clarifier sa démarche, non par plaisir, mais simplement pour être utile à l’emploi. Les temps actuels appellent de la clarté et requièrent que l’on s’intéresse aux véritables questions.

Monsieur le ministre, nous nous interrogeons : êtes-vous prêt à bouger ? Je vous donne acte du retrait de certains amendements par le Gouvernement et de votre volonté de discuter maintenant avec le Sénat. C’est cela qui compte.

La Haute Assemblée tente d’aborder les véritables enjeux : la situation de l’emploi et celle de la compétitivité des entreprises. Ces situations sont telles, si difficiles, que nous pourrions trouver des accords. Si vous sortiez du flou, monsieur le ministre, comme nous vous y invitons, des avancées seraient possibles.

Si je devais caricaturer votre action, je dirais que vous nous proposez trop souvent une mesure favorable à la compétitivité pour deux mesures d’atténuation, ce qui rend le tout illisible et peu opérationnel. Trop tard, trop peu, de façon contradictoire : c’est souvent la manière de faire du Gouvernement. Toutefois, je m’en tiendrai au fond.

Parmi les pays de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, seule l’Italie a connu une croissance par tête plus faible que celle de la France au cours des vingt-cinq dernières années. C’est à dessein que je procède à une comparaison sur un laps de temps long, afin de ne stigmatiser ni le Gouvernement actuel ni aucun autre gouvernement. Je pense que nous devons méditer ensemble ce constat. Tel est tout l’enjeu de nos débats : en finir avec la fatalité qui fait que nous sommes à la traîne des pays européens.

Cela étant, l’examen de votre texte révèle plusieurs paradoxes.

Le premier a déjà été relevé à plusieurs reprises. Alors que vous parlez de favoriser la croissance et la compétitivité, vous traitez beaucoup du secteur réglementé, lequel n’est presque pas ouvert à la concurrence, en tout cas à la concurrence internationale.

Ensuite, vous abordez dans le présent projet de loi de nombreux sujets qui ne relèvent pas du champ de votre ministère, comme la justice, le travail, l’urbanisme, et j’en oublie. L’exercice a un côté classique, mais jamais un texte n’avait embrassé autant de champs ministériels, allant parfois jusqu’à les étouffer, au point qu’un certain nombre de ministères se sont sentis non seulement dépossédés, mais aussi désavoués.

Au final, et c’est là le principal paradoxe, l’ambition initiale de ce texte, favoriser la croissance et l’activité, disparaît assez vite.

D’abord, il faut souligner que le secteur du numérique est absent du projet de loi, même si vous nous assurez, monsieur le ministre, qu’il sera abordé plus tard. Or, à terme, le numérique constituera sans doute une véritable révolution, à laquelle nous devons donc nous préparer.

Ensuite, il manque à votre texte de véritables dispositions en faveur de la croissance et de l’activité, comme l’a fort bien relevé Catherine Deroche voilà quelques instants. La commission spéciale les a légitimement introduites. Alors que vous nous parliez de croissance et d’activité, monsieur le ministre, on se disait qu’il y avait une erreur d’étiquette, pour ne pas dire tromperie sur la marchandise, car le texte ne contenait aucune mesure susceptible de les favoriser.