Sommaire

Présidence de Mme Isabelle Debré

Secrétaires :

MM. Jean Desessard, Philippe Nachbar.

1. Procès-verbal

2. Communication du Conseil constitutionnel

3. Questions orales

fonds social européen et réinsertion par l'activité économique

Question n° 1034 de Mme Dominique Gillot. – M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ; Mme Dominique Gillot.

établissement public d'insertion de la défense de montry (seine-et-marne)

Question n° 1037 de Mme Nicole Bricq. – M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ; Mme Nicole Bricq.

situation du secteur adapté et de l'emploi des personnes handicapées

Question n° 1035 de Mme Françoise Gatel. – M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ; Mme Françoise Gatel.

vacataires de l'enseignement supérieur

Question n° 1046 de M. Michel Savin. – M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ; M. Michel Savin.

développement de la consommation touristique locale en polynésie française

Question n° 1018 de Mme Hélène Conway-Mouret. – Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer ; Mme Hélène Conway-Mouret.

police municipale et procès-verbaux par timbre-amende

Question n° 1036 de M. Vincent Delahaye. – Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer ; M. Vincent Delahaye.

certificat médical de non-contre-indication à la pratique sportive

Question n° 1050 de Mme Élisabeth Doineau. – M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports ; Mme Élisabeth Doineau.

pénurie de médecins généralistes

Question n° 1011 de M. Antoine Lefèvre. – M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche ; M. Antoine Lefèvre.

autoroute a 831 fontenay-le-comte–rochefort

Question n° 1028 de M. Daniel Laurent. – M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche ; M. Daniel Laurent.

plan de relance autoroutier

Question n° 1030 de M. Michel Raison. – M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche ; M. Michel Raison.

Suspension et reprise de la séance

conséquences des procédures de rétablissement personnel de certains locataires pour les offices du parc social

Question n° 990 de Mme Dominique Estrosi Sassone. – M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget ; Mme Dominique Estrosi Sassone.

point d'étape sur le plan france très haut débit

Question n° 1023 de M. Hervé Maurey. – M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget ; M. Hervé Maurey.

dégroupage téléphonique abusif

Question n° 997 de Mme Catherine Procaccia. – M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget ; Mme Catherine Procaccia.

avenir de l’industrie papetière

Question n° 1039 de M. Thierry Foucaud. – M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget ; M. Thierry Foucaud.

Suspension de la séance

4. À la mémoire de Jean Germain, sénateur d’Indre-et-Loire

5. Réception solennelle de S.E. M. Béji Caïd Essebsi, président de la République tunisienne

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

6. Hommage à Jean Germain

7. Croissance, activité et égalité des chances économiques. – Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Rappels au règlement

M. Éric Bocquet ; M. Jean-Pierre Bosino ; M. le président.

Discussion générale :

M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique

Mme Catherine Deroche, corapporteur de la commission spéciale

PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur de la commission spéciale

M. François Pillet, corapporteur de la commission spéciale

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale

Mme Nicole Bricq

M. Jean Desessard

M. Pierre Laurent

M. Jacques Mézard

M. Philippe Adnot

M. Henri Tandonnet

M. Bruno Retailleau

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron

M. Yannick Vaugrenard

M. Jean-Marc Gabouty

M. Jacques Bigot

Mme Fabienne Keller

M. François Bonhomme

M. Emmanuel Macron, ministre

Clôture de la discussion générale.

Exception d'irrecevabilité

Motion n° 1692 de Mme Éliane Assassi. – Rejet par scrutin public.

Question préalable

Motion n° 1693 de Mme Éliane Assassi. – Rejet par scrutin public.

Motion d’ordre

Demande d’examen séparé d’amendements. – M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale ; M. Emmanuel Macron, ministre ; Mme la présidente. – Adoption.

Renvoi de la suite de la discussion.

8. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de Mme Isabelle Debré

vice-présidente

Secrétaires :

M. Jean Desessard,

M. Philippe Nachbar.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 2 avril 2015 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Communication du Conseil constitutionnel

Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 3 avril 2015, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur le III de l’article L. 3120 2 et les articles L. 3122 2 et L. 3122 9 du code des transports (Voitures de transport avec chauffeur) (2015-472 QPC).

Le texte de décision de renvoi est disponible à la direction de la Séance.

Acte est donné de cette communication.

3

Questions orales

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.

fonds social européen et réinsertion par l'activité économique

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Gillot, auteur de la question n° 1034, transmise à M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Dominique Gillot. Monsieur le ministre, depuis août 2014, les règles d’éligibilité au Fonds social européen, le FSE, sont mouvantes. L’accord-cadre signé le 5 août 2014 entre l’Assemblée des départements de France et l’État prévoit que les plans locaux pluriannuels pour l’insertion et l’emploi, les PLIE, et les conseils généraux contractualisent pour clarifier les responsabilités respectives des acteurs de l’inclusion et définir la stratégie territoriale d’intervention du Fonds social européen.

Pour la programmation en 2014, la demande de subvention globale des associations devait être accessible sur le site dans la rubrique « Ma démarche FSE » pour la fin du mois de septembre 2014. Or les informations sur le cadre – à savoir le schéma du périmètre global ou le schéma restreint –, les critères de sélection, tout comme la précision des axes d’élection des ateliers et chantiers d’insertion suivant leurs particularités ont fluctué pendant plusieurs semaines.

Le service FSE indiquait qu’il était possible que les ateliers et chantiers d’insertion, les ACI, se positionnent sur plusieurs axes, tout en présentant un dossier pour chaque projet : il convenait toutefois de s’assurer que le projet soit bien conforme aux objectifs décrits dans l’appel à projet.

Le service en charge de l’insertion par l’activité économique de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, la DIRECCTE, a ensuite précisé que l’appel à projet FSE était ouvert aux structures d’insertion par l’activité économique, les SIAE, sur l’axe 3 uniquement, alors que le service FSE de la DIRECCTE parlait de l’éligibilité des SIAE aux différents axes, tout en n’apportant pas de certitudes sur le financement de l’axe 3 en 2014.

Enfin, les documents « appel à projet et critères de sélection 2014 » – Accompagner vers l’emploi les demandeurs d’emploi et les inactifs et soutenir les mobilités professionnelles – ont été reçus, pour lancement définitif, le 16 octobre, avec une limite de dépôt fixée au 17 novembre 2014.

Entre-temps, les associations valdoisiennes, qui m’ont saisie, ont été informées par l’unité territoriale régionale – c’est elle qui instruit sur la forme les documents – que les chantiers d’insertion ne seraient plus éligibles sur l’enveloppe État-région, parce qu’ils ne relèveraient pas d’une compétence régionale ; mais aucune confirmation ne m’a été donnée de leur basculement sur l’enveloppe État-département, le conseil général du Val-d’Oise se retranchant derrière ses compétences obligatoires.

Dès lors, vous en conviendrez, monsieur le ministre, la situation est particulièrement dramatique. Ces tergiversations ne permettent pas l’utilisation de crédits destinés à l’accompagnement des personnes les plus éloignées de l’emploi. Les associations qui devaient bénéficier de ces fonds se retrouvent livrées à elles-mêmes, sans interlocuteur et sans moyens. Pour la plupart, il s’agit, à court terme, d’une fermeture programmée.

Pourtant, dans sa conférence de presse du 5 février 2015, le Président de la République a rappelé le « formidable travail que font ces femmes, ces hommes » des associations dans le cadre de l’accès aux droits et aux chances de réussite équitable et a précisé que « les crédits des associations seront non seulement préservés, mais augmentés ».

C’est pourquoi je vous demande, monsieur le ministre, de préciser clairement la nature des dispositions mises en place pour sauver le financement du Fonds social européen 2014 et enclencher une procédure pour 2015 qui garantisse des règlements et des délais compatibles avec la simple bonne gestion tant des deniers publics que de l’efficience et de l’énergie de ces partenaires locaux dévoués.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la sénatrice Dominique Gillot, vous souhaitez obtenir un certain nombre d’éclaircissements sur un dossier qui a connu diverses péripéties.

En effet, l’année 2014 a été une phase de transition pour la gestion des fonds européens, avec l’adoption des différents actes nécessaires à la mise en route de la nouvelle programmation 2014-2020 : ainsi, les règlements européens, publiés le 20 décembre 2013, ont été déclinés par l’accord de partenariat avec la France le 8 août 2014 et, concernant le Fonds social européen, le Programme opérationnel national, ou PON, a été approuvé par la Commission le 10 octobre dernier. Le programme opérationnel régional FEDER-FSE 2014-2020 pour la région d’Île-de-France a été approuvé par la Commission européenne le 18 décembre 2014. Je rappelle que l’approbation de la Commission est à chaque fois nécessaire.

Dans ce contexte, plusieurs mesures ont été mises en œuvre afin d’assurer la continuité, notamment pour l’insertion par l’activité économique, l’IAE, malgré les contraintes liées à cette période de transition. Les PLIE franciliens ont ainsi bénéficié en 2014 d’une tranche additionnelle de subvention globale au titre du programme FSE 2007-2013, qui a permis de cofinancer un certain nombre d’actions en lien avec les ateliers et chantiers d’insertion.

Par ailleurs, ainsi que vous l’avez vous-même souligné, cinq appels à projet ont été publiés dès le 16 octobre 2014. Ils prévoyaient la possibilité de déposer des projets pluriannuels, avec une rétroactivité possible au 1er janvier 2014. Ils ont permis aux acteurs de l’IAE de solliciter du FSE au titre des trois axes du programme opérationnel national ; dix-huit dossiers ont été déposés dans ce cadre.

Concernant l’organisation des délégations de gestion de l’État aux départements et aux PLIE pour les crédits relatifs à l’inclusion, le préfet d’Île-de-France a notifié le 17 juillet 2014 les enveloppes plafonds attribuées à chaque territoire départemental. À l’issue des concertations, l’enveloppe définitive déléguée à chacun des douze organismes intermédiaires retenus a été notifiée entre novembre 2014 et janvier 2015. Ce sont ainsi 223 millions d’euros de crédits du FSE qui sont délégués en Île-de-France aux départements et aux PLIE pour le financement des actions relatives à l’inclusion.

Ces organismes intermédiaires élaborent actuellement leur programmation FSE et peuvent dès 2015 cofinancer les projets relatifs à l’insertion par l’activité économique.

Enfin, conformément à l’accord État-région du 17 février 2015, les projets relatifs à la création d’activité dans le domaine de l’économie sociale et solidaire sont éligibles aux appels à projet de la région d’Île-de-France dans le cadre du programme opérationnel régional FEDER-FSE 2014-2020, dont la programmation démarre en 2015.

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Gillot.

Mme Dominique Gillot. Monsieur le ministre, je vous remercie de ces précisions.

Il s’agit d’un dossier à la fois très technique et extrêmement complexe, mais aussi très politique. Nous avons vraiment besoin de ces associations sur le terrain, et les explications que vous venez de donner montrent bien le désarroi dans lequel se retrouvent certaines d’entre elles. Entre les différentes dates, la difficulté des directions et des services de la DIRECCTE à travailler ensemble, faute d’en avoir l’habitude, et leur tendance à se renvoyer la balle, un certain nombre d’associations ont perdu ou pensent avoir perdu leurs droits à financement pour 2014.

Je sais que depuis que je vous interroge sur ce dossier, monsieur le ministre, vous avez organisé des réunions de travail et que des voies de sortie positives existent. Toutefois, j’insiste vraiment pour que les associations puissent récupérer leur droit à un financement pour 2014 : en effet, les crédits ont été engagés. Un certain nombre de responsables ne se versent plus de salaire et sont en grande détresse psychologique, ne sachant pas comment ils vont pouvoir maintenir les actions qui ont été menées avec les résultats que vous connaissez, ces actions participant véritablement à la réduction du chômage dans notre pays.

J’insiste donc pour que le plan 2014-2020 soit mis en place, que le décret de février 2015 nous donne des assurances, mais aussi pour que les associations puissent récupérer leur droit à financement de manière rétroactive en 2014.

établissement public d'insertion de la défense de montry (seine-et-marne)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, auteur de la question n° 1037, adressée à M. le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur les établissements publics d’insertion de la défense, les EPIDE, et particulièrement sur le centre de Montry, que je connais bien puisqu’il est dans mon département, et que vous connaissez aussi.

Ces structures peu connues ont été mises en lumière par le Président de la République lors de sa conférence de presse du 3 février dernier, et, joignant les actes à la parole, il est venu avec vous, monsieur le ministre, en visite à Montry le 16 février.

Ces structures permettent à des jeunes, souvent sans qualification et en situation d’échec, de trouver leur place dans la société, de disposer de prérequis nécessaires au travail en équipe, et rendent ainsi possible leur entrée dans le monde du travail. En s’attachant à agir en direction des jeunes afin de leur offrir une nouvelle chance de construire leur vie, les EPIDE sont un outil utile à l’apprentissage du vivre ensemble dans nos territoires.

Je connais de longue date l’action menée par l’EPIDE de Montry en Seine-et-Marne, dont l’avenir semblait encore incertain à l’automne dernier. Bénéficiant d’un cadre sportif et naturel et d’une proximité avec les zones d’activités de l’Est parisien particulièrement adaptés à l’orientation vers l’emploi, l’EPIDE de Montry peut accueillir jusqu’à 150 volontaires.

À l’occasion de sa venue à l’EPIDE de Montry, le Président de la République a salué la pédagogie qui y est appliquée et qui permet à plus de 50 % des jeunes de trouver un emploi, taux remarquable par rapport à d’autres EPIDE sur d’autres territoires.

Monsieur le ministre, comment allez-vous mettre en œuvre les objectifs fixés par le Président de la République et quelles seront les conséquences pour l’EPIDE de Montry ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la sénatrice Nicole Bricq, ainsi que vous l’avez rappelé, l’EPIDE, qui a été mis en place en 2005, est chargé de l’organisation et de la gestion du dispositif d’accompagnement à l’insertion sociale et professionnelle des jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans sans diplôme, sans titre professionnel ou en voie de marginalisation, pour une durée de six à douze mois.

L’EPIDE peut globalement accueillir aujourd’hui 2 085 jeunes dans dix-huit centres sur le territoire métropolitain où il organise des formations et actions d’insertion au profit de jeunes ayant souscrit un contrat dit de « volontariat pour l’insertion ».

En offrant aux jeunes volontaires un hébergement de semaine – les actions se doublent en effet d’un hébergement –, l’EPIDE leur permet, par une présence constante et intensive de plusieurs mois, au plus près du personnel réalisant leur accompagnement et leur formation, d’effectuer un travail en profondeur sur leur savoir-être, leur savoir comportemental.

Une pédagogie alliant éducation civique, débats et actions de solidarité complète ce dispositif et la formation de ces jeunes citoyens afin qu’ils s’inscrivent pleinement dans la société. L’acquisition des codes sociaux est en effet indispensable non seulement pour vivre en société et exercer pleinement sa citoyenneté, mais également pour une intégration réussie dans un collectif de travail.

Après des débuts délicats, vous l’avez rappelé, l’EPIDE a vu ses résultats en matière d’insertion croître régulièrement et s’est progressivement construit une place dans le monde de l’insertion professionnelle – plus de 50 % des jeunes trouvent, au sortir de l’EPIDE, une place dans le monde du travail –, en offrant un service spécifique et complémentaire aux réponses apportées par les autres dispositifs.

Le Gouvernement a récemment réaffirmé son intérêt pour les spécificités attachées à l’EPIDE. Lors de sa visite au centre de Montry le 16 février 2015, le Président de la République a annoncé l’extension des capacités d’accueil de l’EPIDE pour intégrer 1 000 volontaires supplémentaires chaque année, et ce dès 2015. Cet engagement, correspondant à la création de 570 places supplémentaires, a été réaffirmé par le comité interministériel à l’égalité et à la citoyenneté du 6 mars 2015. Alors qu’on ne savait, au début de 2015, quel serait son avenir, l’EPIDE s’est ainsi vu conforté.

Le choix a été fait d’accroître les capacités d’accueil de quinze centres pour répondre à cet objectif. Celui de Montry, que nous avons visité ensemble, verra sa capacité d’accueil passer ainsi de 150 à 180 places d’ici à la fin de l’année, ce qui nécessitera la réalisation de travaux, notamment pour réorganiser les locaux.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le ministre, je vous remercie de cette réponse précise. J’avais lu dans la presse que le nombre de places allait être porté à 2 650, mais je ne connaissais pas la répartition entre les différents centres.

La mise en lumière du Président de la République a été extrêmement utile sur cette question qui est discutée au niveau interministériel. Trois ministères sont en jeu et se renvoient la balle, si vous me permettez l’expression, ce qui rend difficile la prise de décision par l’État. Mais, en l’espèce, c'est du sort des jeunes dont il est question, et je vous remercie d’avoir agi avec célérité. Je reconnais bien là la marque du Président de la République : quand on veut, on peut !

situation du secteur adapté et de l'emploi des personnes handicapées

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel, auteur de la question n° 1035, adressée à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

Mme Françoise Gatel. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur la situation des entreprises adaptées et l’accès à l’emploi des personnes handicapées.

Il faut en convenir, dix ans après la promulgation de la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, l’égalité des chances d’accès à l’emploi n’est pas atteinte : le nombre de chômeurs en situation de handicap continue de s’accroître, avec plus de 423 000 personnes, avec un taux de chômage évoluant deux fois plus vite que celui des autres populations.

Dans le même temps, le rôle économique et social joué par le secteur adapté est primordial. Le dynamisme de ce modèle est confirmé : il représente 30 000 emplois, dont 24 000 pour des salariés handicapés, engendre un chiffre d’affaires cumulé de plus de 1 milliard d’euros et offre une réelle stabilité aux salariés, dont 91 % sont en contrat à durée indéterminée.

Dans la période économique difficile de 2012 à 2014, le bilan des engagements des acteurs du secteur adapté a été très positif : en effet, la création nette d’emplois dans les entreprises adaptées a dépassé les 2 000 postes depuis 2012. Le profil des personnes recrutées répond parfaitement aux engagements du pacte pour l’emploi que ce secteur avait signé avec l’État.

Dans le même temps, les résultats de la réactualisation d’une étude ont prouvé que, dès que l’État investit un euro dans un emploi dans une entreprise adaptée, il récupère, par le biais des différents organismes collecteurs, au moins la même somme. Cette même étude montre également que, globalement, chaque emploi retrouvé par un travailleur handicapé dans une entreprise adaptée représente une économie de près de 10 000 euros pour la collectivité.

Dans le cadre de la préparation des arbitrages pour l’exercice 2015, la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle a recensé des besoins supplémentaires équivalents à 1 200 postes de travail, dont 200 servant à accompagner 58 projets de nouvelles créations d’entreprise adaptée.

Ces besoins exprimés ne pourront pas être couverts en 2015, puisque l’enveloppe supplémentaire allouée par la loi de finances ne prévoit que 500 postes supplémentaires.

Monsieur le ministre, faisant le constat que la situation de l’emploi des personnes handicapées n’a jamais été aussi compliquée et que le modèle de l’entreprise adaptée est une des réponses possibles et efficientes à cette situation, quelle est la position du Gouvernement quant à la négociation, avec les associations représentatives du secteur, d’un nouveau plan de développement du secteur adapté pour 2016-2021 ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la sénatrice Françoise Gatel, vous l’avez rappelé, les entreprises adaptées constituent indiscutablement un acteur majeur de la politique d’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap. Depuis la loi du 11 février 2005, elles ont rejoint le milieu ordinaire de travail, devenant ainsi des acteurs économiques à part entière.

Dans un contexte économique difficile, avec un taux de chômage deux fois plus important pour les personnes handicapées que pour la population générale, les entreprises adaptées connaissent une croissance d’activité continue que le Gouvernement soutient et accompagne pleinement – je tiens à le dire.

Malgré un contexte budgétaire contraint, le Gouvernement a ainsi apporté un soutien financier sans précédent aux entreprises adaptées, avec le financement de 2 500 postes supplémentaires sur trois ans : 1 000 postes en 2012, 1 000 postes en 2013 et 500 postes en 2015. Vous m’avez interrogé sur les raisons de ce soutien.

L’engagement financier de l’État est passé de 269 millions d’euros en 2012 à 310 millions d’euros en 2015, soit une augmentation de près de 15 %. Au financement de ces postes s’ajoute, par ailleurs, une subvention d’un montant de 40 millions d’euros destinée à soutenir les entreprises adaptées dans leur rôle d’accompagnement social des travailleurs handicapés qu’elles emploient. C’est donc au total 350 millions d’euros qui seront mobilisés par l’État en 2015 en faveur des entreprises adaptées.

Par ailleurs, lors de la Conférence nationale du handicap qui s’est tenue le 11 décembre 2014, le Président de la République a souligné la nécessité de poursuivre le développement du secteur adapté et a annoncé la création de 1 000 postes supplémentaires d’ici à deux ans. Il se trouve que tous les postes fournis pour ce secteur n’avaient pas été pourvus : les 500 postes que j’ai évoqués correspondent donc aux besoins pour cette année.

Enfin, au-delà de cet engagement financier, le Gouvernement poursuit son action de modernisation et de consolidation du modèle économique que constituent les entreprises adaptées. L’État a ainsi engagé en novembre 2014 des travaux avec l’ensemble des associations représentatives du secteur pour fluidifier les relations entre le secteur et l’État, simplifier et faciliter les démarches des entreprises adaptées, favoriser la professionnalisation de leurs salariés et développer des passerelles avec les entreprises ordinaires – c'est aussi l’objectif –, dans une logique de sécurisation du parcours professionnel des personnes handicapées.

Madame la sénatrice, je vous assure que l’État est très sensible au secteur des entreprises adaptées et qu’il poursuivra en 2015 les efforts qu’il a déjà engagés.

Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Gatel.

Mme Françoise Gatel. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse très précise sur la situation actuelle. Ma question portait aussi sur l’avenir et sur l’intérêt d’une contractualisation pluriannuelle. Je pense, et vous l’avez également évoqué, qu’il faut donner de la visibilité et de la stabilité à un secteur qui est vraiment efficace, mais qui connaît aujourd’hui un problème du vieillissement de ses salariés.

vacataires de l'enseignement supérieur

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin, auteur de la question n° 1046, transmise à Mme la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche.

M. Michel Savin. Monsieur le ministre, nos universités font régulièrement appel à de nombreux intervenants – on estime leur nombre à plus de 100 000 –, qui assurent des enseignements de façon ponctuelle sous le statut de vacataires de l’enseignement supérieur.

Régulièrement, ces personnels rencontrent des difficultés à recouvrer la rémunération due pour leur travail et interpellent les pouvoirs publics à ce sujet. Ce fut encore le cas au mois de janvier dernier, lorsque les vacataires de l’université Lyon 2 ont débuté une grève, qui s’est poursuivie plusieurs jours, pour demander entre autres le paiement des heures de cours dispensés cinq à six mois plus tôt.

Les universités de Tours, Toulouse, Bordeaux, Caen, Clermont-Ferrand, Strasbourg et d’autres encore ont également alerté les pouvoirs publics sur ces situations préoccupantes.

Les revendications correspondent à des demandes qu’il paraît invraisemblable de devoir encore formuler aujourd’hui : la signature du contrat de travail, basé sur un volume horaire ferme, avant le début des cours ; l’envoi de la feuille de paie en même temps que le versement du salaire ; le paiement des heures de travail effectuées dans le mois qui suit la prestation.

En effet, en France, un vacataire attend en moyenne entre trois mois et six mois pour être payé par l’université.

Les universités justifient souvent les retards de versements par les contraintes d’une gestion administrative lourde et par de longs délais d’établissement des relevés horaires.

Cet état de fait est difficilement supportable pour les vacataires. Ces derniers, qui sont déjà dans une position instable en raison de leur statut, ne peuvent prévoir l’utilisation de leur revenu, souvent versé de manière trop aléatoire.

Les signaux d’alarme qui nous sont régulièrement envoyés à ce sujet me poussent, monsieur le ministre, à vous interroger : quelles mesures pourraient-elles être prises de façon pérenne par le Gouvernement pour remédier à ces situations que l’on peut souvent qualifier de « précaires » ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. François Rebsamen, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de Mme Najat Vallaud-Belkacem.

Vous l’avez dit, les établissements publics d’enseignement supérieur peuvent faire appel, pour des fonctions d’enseignement, à des agents temporaires vacataires, qui sont recrutés parmi les étudiants inscrits en vue de la préparation d’un diplôme de troisième cycle de l’enseignement supérieur.

Les vacataires sont employés pour une année au maximum : la nature de leur emploi nécessite donc de revoir à chaque rentrée leur dossier administratif. Cette situation conduit parfois à certains retards dans le traitement de leurs dossiers par les services administratifs des établissements employeurs. Néanmoins, vous l’avez dit, il est inacceptable que les vacataires attendent parfois plusieurs mois le paiement des heures qu’ils ont effectuées.

Pour autant, il paraît nécessaire de maintenir le dispositif de l’embauche en début d’année, car il permet aux étudiants de trouver une source de revenus au sein de leur université et aux établissements de compléter le service des enseignants titulaires.

S’agissant de la situation des agents vacataires de l’université Lyon 2, que vous avez citée, le retard pris dans le versement des rémunérations a pu être résolu. Il était lié à plusieurs absences au sein du personnel administratif de l’université.

Monsieur le sénateur, le Gouvernement est attentif à la situation des agents temporaires vacataires de l’enseignement supérieur. À ce titre, à la demande de Mme la ministre, les services du ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche rappellent régulièrement aux établissements que le paiement des heures de vacation doit être effectué mensuellement, à la suite du service fait, et accompagné d’une fiche de paie correspondante.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Savin.

M. Michel Savin. Monsieur le ministre, je tiens à vous remercier de votre réponse.

Tout comme vous, j’estime que le dispositif de l’embauche en début d’année doit être maintenu. En effet, s’agissant de l’enseignement dans les universités concernant certaines professions, notamment d’avenir – je pense en particulier aux métiers du secteur du numérique et de l’audiovisuel –, les cours ne peuvent bien évidemment pas être dispensés par un seul professeur. L’université a aujourd’hui l’obligation de recruter des vacataires très spécialisés dans les formations dispensées dans ces matières.

J’entends que Mme la ministre de l’éducation nationale a donné des directives très ciblées pour que le paiement des heures effectuées soit effectué dans le mois suivant les heures effectuées. C'est bien la moindre des choses que les vacataires soient rémunérés pour le travail accompli !

Il ne faudrait pas que les situations rencontrées par certaines universités se reproduisent, voire se pérennisent. En effet, la question qui se pose aujourd'hui est aussi celle de la qualité de l’enseignement supérieur et de la recherche dans nos universités. L’enjeu est important pour notre jeunesse.

Je le redis, le Gouvernement doit veiller à ce que ces difficultés ne se reproduisent pas afin d’éviter, à la rentrée prochaine, des situations de blocage dans plusieurs universités françaises.

développement de la consommation touristique locale en polynésie française

Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret, auteur de la question n° 1018, adressée à Mme la ministre des outre-mer.

Mme Hélène Conway-Mouret. Madame la ministre, nous avons la chance de vivre dans un pays qui attire de nombreux touristes. En effet, 85 millions de personnes ont choisi la destination France en 2014.

L’objectif fixé par le Gouvernement est de passer à 100 millions de touristes. Pour l’atteindre, nous devons cependant améliorer notre offre et être capables de répondre aux attentes de ces derniers. C’est ainsi que nous pourrons attirer une partie de plus en plus importante de celles et ceux qui partent à la découverte du monde.

Le tourisme, s’il renforce le rayonnement de la France à l’international, est aussi un facteur de croissance important, grâce aux devises qu’il rapporte et, surtout, aux emplois créés dans l’ensemble des filières touristiques, aujourd’hui estimés à 2 millions.

C’est toutefois sur l’ensemble des territoires français que nous devons agir par la mise en œuvre de mesures facilitant la venue des touristes et les incitant à consommer sur place. Je pense en particulier au développement économique touristique en Polynésie, qui ne doit plus seulement être stimulé par les dispositifs de défiscalisation ultramarins, que deux mesures, par exemple, pourraient venir utilement compléter.

Premièrement, l’ouverture des magasins en horaires étendus, de dix heures à vingt-deux heures, et une ouverture dominicale a minima pendant la période touristique haute ainsi que la mise en valeur de la qualité des services haut de gamme dans ce marché fortement concurrentiel permettraient de satisfaire, notamment, les attentes des croisiéristes.

Encore faudrait-il que ceux-ci puissent débarquer. À cette fin – c’est la seconde mesure que je préconise –, la délivrance des visas et leurs modalités d’obtention pourraient être facilitées. La clientèle des croisières représente, en effet, plusieurs centaines de milliers de personnes, qui sont à terre pendant seulement quelques heures, durant lesquelles nous pourrions mieux répondre à leurs besoins.

Je souhaiterais donc savoir, madame la ministre, quelles mesures le Gouvernement envisage de prendre pour permettre à la Polynésie française de se développer à la mesure du potentiel de croissance qui est le sien dans une zone dynamisée, plus que d’autres, par l’économie chinoise.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer. Madame la sénatrice, le tourisme est le principal vecteur de recettes extérieures de la Polynésie française. En 2013, il a représenté 13 % de la richesse et 16,3 % de l’emploi salarié, réparti dans 2 470 entreprises.

Le tourisme international est la branche la plus importante du commerce extérieur polynésien, dont il représente 78 % des ressources propres. À ce titre, le soutien à ce secteur d’activité constituera la deuxième enveloppe financière du contrat de projet 2015–2020, à hauteur de 8,950 milliards de francs Pacifique.

En glissement annuel, au mois de novembre 2014, la croissance du tourisme était de 9,9 % par rapport à 2013. Cette croissance profite à tous les types et modes de tourisme pratiqués en Polynésie française.

Outre la stimulation économique que permettent les outils d’incitation fiscale, l’objectif principal de l’action publique est de mettre en œuvre des outils d’action volontaristes, grâce, notamment, au développement du GIE Tahiti Tourisme, pour augmenter la capacité d’accueil touristique et renforcer la compétitivité des établissements hôteliers polynésiens. Le lancement récent de la nouvelle marque « The Island of Tahiti », fondée sur l’authenticité de la Polynésie française pour se démarquer de la concurrence internationale, est porteur de nombreux espoirs.

Le développement de l’activité touristique de la Polynésie française passe également par une meilleure captation de la clientèle de croisière. Selon les derniers chiffres du mois de novembre 2014, les croisiéristes progressent de 51,7 % par rapport à novembre 2013.

Les effectifs du marché asiatique connaissent également une hausse, de l’ordre de 18,4 % en glissement annuel, au mois de septembre 2014, et les récents accords entre la Polynésie française et la direction de l’aviation civile chinoise, permettant l’ouverture de liaisons aériennes avec les villes de Beijing, Shanghai et Canton selon une fréquence de quatorze vols réguliers ou chartérisés par semaine, rendront possible la consolidation de cette tendance.

Parallèlement, comme vous le notiez, d'ailleurs, l’État a considérablement assoupli les conditions d’obtention d’un visa pour les visiteurs chinois, avec la mise en place d’une dispense pour les séjours inférieurs à quinze jours. En outre, pour les touristes individuels, une extension du régime d’exemption de visa fait actuellement l’objet d’une concertation interministérielle.

S’agissant du développement de l’incitation à la consommation sur place, grâce notamment à l’adaptation des horaires d’ouverture des magasins – question que vous avez soulevée –, la compétence relève exclusivement de la législation sociale applicable localement. En application du principe de la liberté du commerce et de l’industrie, l’amplitude horaire des commerces est laissée à la libre appréciation des commerçants, sous réserve du respect des dispositions du code du travail local.

Enfin, je vous indique que le Conseil de promotion du tourisme tiendra une séance plénière consacrée aux outre-mer le 24 juin prochain, sous la présidence conjointe du ministre des affaires étrangères et du développement international et de moi-même, et que Mme Maina Sage, députée de Polynésie, est chargée de préparer cette séance.

Mme la présidente. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.

Mme Hélène Conway-Mouret. Madame la ministre, je veux vous remercier de votre réponse très détaillée et très précise.

Je salue l’action globale de l’État, qui est sur tous les chantiers, et œuvre, notamment, à faciliter l’arrivée des touristes, par avion, par bateau…

Je crois qu’aujourd'hui, si nous voulons véritablement atteindre ce chiffre très ambitieux de 100 millions de touristes pour la France et ses territoires, nous avons aussi besoin d’actions concrètes.

Au reste, nous savons tous que le tourisme est créateur d’emplois. Je tiens à le rappeler, au moment où le Gouvernement est très fortement engagé dans une lutte sans merci contre le chômage. Tout ce que nous pouvons faire pour faciliter les créations d’emplois et la venue de nombreux étrangers chez nous doit donc être mis en œuvre.

police municipale et procès-verbaux par timbre-amende

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye, auteur de la question n° 1036, adressée à M. le ministre de l'intérieur.

M. Vincent Delahaye. Madame la ministre, je souhaite attirer l’attention de M. le ministre de l’intérieur sur l’impossibilité, pour les agents de police municipale, de verbaliser par timbre-amende les infractions aux arrêtés municipaux.

Le maire doit veiller, au travers de ses pouvoirs de police, à assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques dans sa commune. Il est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l’État dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l’exécution des actes de l’État qui y sont relatifs. À ce titre, le maire est l’autorité compétente pour prendre et faire respecter les mesures nécessaires et se trouve souvent confronté à des infractions qui portent atteinte aux sujets énumérés, tels que les consommations d’alcool ou les travaux mécaniques sur la voie publique.

L’article L. 511–1 du code de la sécurité intérieure donne aux agents de police municipale le pouvoir de constater, par procès-verbal, les infractions aux arrêtés de police du maire. Ce procès-verbal doit être rédigé par le policier municipal, après que celui-ci a relevé l’identité du contrevenant. Il est ensuite transmis, par l’intermédiaire de l’officier de police judiciaire professionnel territorialement compétent, au procureur de la République, qui devra faire entendre le contrevenant, puis, éventuellement, faire poursuivre ce dernier devant le tribunal de police.

Dans la réalité, le procureur de la République, accaparé par des dossiers plus graves, classe très souvent sans suite ce procès-verbal, empêchant que les infractions relevées par le policier municipal sur le territoire de sa commune soient effectivement sanctionnées. Je rappelle que ces infractions concernent le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques et qu’il est préjudiciable que certains citoyens indélicats puissent ressentir et entretenir un sentiment d’impunité, car, dans les faits, ils ne sont jamais, ou presque, sanctionnés.

Financièrement, ces infractions sont prévues et réprimées par l’article R. 610–5 du code pénal, qui prévoit que la violation des interdictions ou le manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police sont punis de l’amende prévue pour les contraventions de la première classe, ce qui représente, actuellement, une amende peu dissuasive de 38 euros maximum.

Pour améliorer la procédure actuelle, en permettant de rendre la police municipale plus efficace, de mieux faire respecter les arrêtés de police du maire et de désencombrer les tribunaux, je propose les pistes de réflexion suivantes.

Tout d’abord, il convient de faire figurer l’article R. 610–5 du code pénal dans l’article R. 48–1 du code de procédure pénale. En effet, celui-ci dresse la liste des infractions pour lesquelles l’action publique est éteinte par le paiement d’une amende forfaitaire. Par exemple, les contraventions des quatre premières classes du code de la route sont verbalisables par timbre-amende. Outre la rapidité de cette procédure et son efficacité, qui n’est plus à démontrer, les montants des amendes peuvent être beaucoup plus élevés et donc bien plus dissuasifs.

Ensuite, le montant maximal des amendes prévues pour les contraventions de la première classe doit être relevé de 38 euros à 100 euros.

Enfin, il faut modifier l’article R. 610–5 et prévoir que les décrets et arrêtés de police du maire soient punis de l’amende prévue pour les contraventions de la première ou de la deuxième classe, portant le montant maximum de 38 euros à 150 euros.

Je souhaite connaître l’avis du ministre sur ces propositions et la suite qu’il entend leur donner.

Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.

Mme George Pau-Langevin, ministre des outre-mer. Monsieur le sénateur, pour commencer, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence du ministre de l’intérieur, qui est retenu par d’autres obligations.

Vous l’interrogez sur les conditions dans lesquelles les agents de police municipale pourraient verbaliser par timbre-amende les infractions aux arrêtés municipaux.

Comme vous le savez, les policiers municipaux disposent d’une compétence d’attribution pour assurer l’exécution des arrêtés de police du maire et pour rechercher et établir, par procès-verbaux, les contraventions à ces arrêtés, les infractions limitativement énumérées à l’article R. 15–33–29–3 du code de procédure pénale, certaines contraventions au code de la route ainsi que l’interdiction de fumer dans les lieux collectifs.

Seules certaines de ces contraventions figurent dans l’article R. 48–1 du code de procédure pénale, qui fixe la liste limitative de celles qui peuvent être éteintes par le paiement d’une amende forfaitaire. Comme vous le soulignez, les policiers municipaux ne disposent pas de la possibilité de dresser un timbre-amende en cas de contravention aux arrêtés de police du maire qui ne sont pas pris en application d’une réglementation nationale.

Le Gouvernement est favorable aux possibilités d’extension du recours au timbre-amende, qui présente de nombreux avantages quant au recouvrement. En effet, la procédure de l’amende forfaitaire permet de moduler le montant de l’amende en fonction de sa date de paiement et de solder la dette au Trésor public, selon le cas, par un montant minoré, normal ou majoré.

Dans cet esprit, vous proposez de faire figurer les dispositions de l’article R. 610–5 du code pénal, concernant les infractions aux décrets et arrêtés de police sanctionnées d’une contravention de la première classe, dans l’article R. 48–1 du code de procédure pénale.

Cette solution ne semble pas totalement satisfaisante, car elle ne permettrait pas de déterminer à l’avance, de façon limitative et sélective, les infractions donnant lieu à une amende forfaitaire. Cela pose un problème de principe, car le système de la forfaitisation permet à des agents verbalisateurs d’appliquer une sanction sans que le parquet soit en mesure d’apprécier l’opportunité des poursuites.

En revanche, et cela peut répondre à votre préoccupation, il est tout à fait possible de créer des contraventions réprimant de façon spécifique la violation de certains types d’arrêtés municipaux ou de règlements de police de portée nationale et de prévoir leur forfaitisation au cas par cas. Cela peut se faire par voie réglementaire.

À titre d’exemple, un décret en Conseil d’État qui précise la contravention de violation des règles en matière de ramassage d’ordures sera prochainement publié. Ce texte prévoit notamment que la contravention pour entrave à la libre circulation sur la voie publique, qui peut être constituée lorsque les ordures abandonnées entravent ou diminuent la liberté ou la sûreté de passage, sera forfaitisée et pourra désormais être constatée par les policiers municipaux.

Un groupe de travail sera prochainement constitué entre le ministère de l’intérieur et le ministère de la justice pour élaborer conjointement une liste des infractions dont la forfaitisation pourrait être utilement décidée de cette manière. Il pourrait ainsi être fait droit à votre demande.

Vous proposez également de relever le montant maximal des amendes prévues pour les contraventions de la première classe de 38 euros à 100 euros. Cette proposition nécessitera une modification législative, qui ne peut pas être réalisée isolément, en application des principes de nécessité et de proportionnalité des peines.

Enfin, vous proposez d’inscrire dans le code pénal que les arrêtés de police du maire puissent être sanctionnés d’une contravention de la première ou de la deuxième classe, ce qui porterait à 150 euros, au lieu de 38 euros, le montant maximal de l’amende. C’est une piste qui peut effectivement être explorée, pour des infractions préalablement identifiées, dans le cadre du groupe de travail que j’évoquais à l’instant.

Mme la présidente. La parole est à M. Vincent Delahaye.

M. Vincent Delahaye. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse. J’espère que M. le ministre de l’intérieur sera sensible à la demande que j’ai formulée, car de nombreux maires sont, comme moi, confrontés à des difficultés dans l’application des arrêtés municipaux édictés dans différents domaines.

J’ai bien noté qu’une de mes solutions n’était pas forcément acceptable, puisqu’il faut une liste définie des infractions aux arrêtés municipaux qui pourraient faire l’objet de contraventions. Toutefois, ce sujet de l’efficacité de l’action du maire et de la police municipale me semble devoir être pris très au sérieux.

Dans cette mesure, et étant partisan de l’extension du champ des contraventions permettant de faire respecter les arrêtés du maire, je serais heureux d’être sollicité, éventuellement par écrit, par le groupe de travail dont vous avez annoncé la constitution, de façon à pouvoir donner mon point de vue sur la liste des infractions aux arrêtés du maire qui semblent devoir faire l’objet de contraventions.

Madame la ministre, je vous remercie de transmettre à votre collègue mon souhait d’être associé à leur définition.

certificat médical de non-contre-indication à la pratique sportive

Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau, auteur de la question n° 1050, adressée à M. le ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.

Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le ministre, je voudrais attirer votre attention sur l’obligation de fournir un certificat médical au titre de l’exercice d’activités sportives de loisir.

En effet, j’ai été sollicité dans mon département, la Mayenne, par un citoyen soucieux de l’intérêt général et responsable d’organisation de petites courses à pied. Ce n’était d’ailleurs pas la première fois qu’il sollicitait les instances nationales pour réformer une procédure inutilement lourde, rébarbative et coûteuse. Je me fais donc devant vous, monsieur le ministre, le porte-parole d’une réflexion pleine de bon sens menée par cet organisateur.

Chaque année, il s’agit d’une véritable contrainte. En effet, un certificat médical de non-contre-indication à la pratique sportive est systématiquement demandé et doit être renouvelé chaque année pour s’inscrire dans un club sportif de quelque nature que ce soit.

Par ailleurs, si un non-licencié souhaite participer à une course de dix kilomètres, ou parfois moins, organisée dans le cadre d’un événement donné, il est là encore nécessaire de prendre rendez-vous avec son médecin généraliste pour obtenir le fameux sésame : le certificat médical.

Cette disposition décourage bon nombre de personnes de participer à ces activités, qui sont souvent organisées dans une optique d’échanges et de solidarité et dans un esprit bon enfant.

Ne croyez pas que je souhaite passer outre l’avis médical, mais, bien souvent, il ne s’agit ni de marathons ni de semi-marathons.

Il conviendrait donc d’assouplir certaines dispositions, comme celle qui permet aux organisateurs d’activités physiques ou sportives d’exiger la production d’un certificat médical de non-contre-indication à la pratique sportive, même en l’absence d’obligation légale explicite.

Par ailleurs, ce document doit certifier l’absence de contre-indication à la pratique de tel ou tel sport précisément identifié, et non valider une aptitude générale au sport. Ainsi, ne serait-il pas plus opportun d’inverser la charge de la preuve ?

Enfin, outre la corvée que cela représente pour le particulier, cette obligation entraîne un coût inévitable pour les finances de la sécurité sociale. Il convient par conséquent de réformer ce système au plus vite.

La circulaire du 27 septembre 2011 relative à la rationalisation des certificats médicaux rappelle les cas dans lesquels le certificat médical est obligatoire. M. le secrétaire d’État à la réforme de l’État, Thierry Mandon, a annoncé mercredi 5 novembre 2014 sa volonté de réformer le certificat obligatoire pour s’inscrire dans un club sportif.

Aussi, je vous remercie, monsieur le ministre, de bien vouloir m’indiquer quand les mesures de simplification concernant le certificat médical au titre de l’exercice d’activités sportives seront mises en place, et d’en préciser la nature.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports. Madame la sénatrice Élisabeth Doineau, je partage votre analyse. Le développement de la pratique du sport sous des formes de plus en plus diverses, vous les avez rappelées, constitue un atout pour la santé publique. Il faut l’encourager et la réforme du certificat médical de non-contre-indication va dans ce sens.

C’est pour répondre à cet enjeu, et à l’engagement du Gouvernement, que j’ai souhaité que cette mesure soit intégrée dès à présent, au projet de loi de modernisation de notre système de santé.

Avec le soutien de Marisol Touraine, un amendement gouvernemental a été proposé en commission des affaires sociales en première lecture à l’Assemblée nationale. Il pourra être complété par un amendement parlementaire qui sera examiné la semaine prochaine en séance publique.

Le principe même d’une visite médicale permettant d’attester de l’absence de contre-indication à la pratique du sport en loisir ou en compétition n’est pas remis en cause. Et j’insiste sur ce point, il ne doit pas l’être.

Cependant, le caractère systématique et indifférencié de ce contrôle médical annuel en fait trop souvent une « formalité », pour les sportifs, et les médecins qui voient leurs cabinets médicaux pris d’assaut en période de rentrée scolaire ou en fin d’année. Il nous faut redonner du sens au suivi médical des sportifs, à travers quatre mesures de simplification, que je vais évoquer rapidement.

La première mesure de simplification vise à permettre à un médecin de délivrer un seul certificat médical pour plusieurs activités sportives.

Actuellement un certificat médical ne vaut que pour une discipline. Avec cette mesure, un pratiquant d’athlétisme et de canoë pourra se voir délivrer un seul certificat médical pour la pratique de ces deux activités sportives. Il s’agit là d’une mesure de bon sens.

La deuxième mesure de simplification concerne la fréquence moindre de ce contrôle médical.

Le certificat de non-contre-indication restera nécessaire lors de l’établissement initial de la licence sportive – cela paraît naturel –, puis il devra être renouvelé seulement tous les deux ou trois ans, selon l’âge du licencié, les antécédents ou facteurs de fragilités connus du sportif, et au regard des contraintes d’intensité de la pratique et de la discipline.

Un décret viendra préciser la fréquence de la visite médicale au vu des critères que je viens de souligner.

Dans l’intervalle entre deux certificats médicaux, le licencié devra remplir un auto-questionnaire de santé lui permettant de déceler d’éventuels symptômes de fragilité pour lui-même.

Néanmoins, pour les sports présentant des risques particuliers pour la santé ou la sécurité du pratiquant, comme l’alpinisme, la plongée ou le parachutisme, le certificat médical restera annuel, et ce pour des raisons évidentes.

La troisième mesure de simplification vise à permettre à un sportif de prendre part à des compétitions à partir du moment où il fournit une licence sportive en cours de validité. Ainsi, il ne sera pas nécessaire de fournir un certificat médical supplémentaire pour participer à un événement comme celui que vous avez évoqué.

Enfin, la quatrième et dernière mesure de simplification, proposée par les députés et soutenue par le Gouvernement, c’est l’accès aux activités sportives organisées par les fédérations scolaires à partir du moment où les jeunes sont reconnus aptes à la pratique en cours d’éducation physique et sportive, EPS. Là encore, il s’agit là d’une mesure de bon sens.

Madame la sénatrice, je compte sur vous pour soutenir et confirmer ces dispositions lors de l’examen prochain du texte au sein de votre assemblée.

Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Doineau.

Mme Élisabeth Doineau. Monsieur le ministre, je vous remercie de ces éléments de réponse tout à fait satisfaisants. Bien évidemment, je soutiendrai ces propositions en commission des affaires sociales.

Je voudrais également vous remercier de la célérité avec laquelle le Gouvernement va agir dans ce sens, pour simplifier les obligations liées à la pratique sportive. En France, nous avons souvent l’habitude, permettez-moi l’expression, de mettre « ceinture et bretelles » ! Par conséquent, les mesures de simplification seront les bienvenues.

pénurie de médecins généralistes

Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Lefèvre, auteur de la question n° 1011, adressée à Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes.

M. Antoine Lefèvre. Monsieur le secrétaire d’État, ma question aborde un phénomène qui paraît devenir récurrent relatif à la désertification médicale.

À ce propos, je voudrais rappeler les chiffres de l’Aisne, qui sont alarmants : 212 médecins pour 100 000 habitants, avec une moyenne d’âge de 55 ans, dont près de 36 % de plus de 60 ans…

Ce manque de médecins contribue à créer une insécurité sanitaire croissante dans nos campagnes et dans nos villes.

Dans la réponse à une précédente question écrite que j’avais posée sur ce même sujet en 2012, il m’avait été répondu, en août 2013, « que l’accès aux soins urgents en moins de 30 minutes sera effectif d’ici 2015 ». Eh bien en 2015, nous y sommes !

Le recours à des centres de santé avait aussi été annoncé. Leur modèle économique devait d’ailleurs être révisé : l’Inspection générale des affaires sociales devait faire des propositions pendant l’été 2013 sur ce sujet. Qu’en est-il en 2015 ?

Certains maires, confrontés à cette pénurie de médecins généralistes, ont tenté d’inciter des praticiens étrangers à venir s’installer.

Ces communes, au départ en retraite de leur médecin, ont donc investi à la fois dans le cabinet – ordinateur, télétransmission, salle d’attente et logement équipés –, dans la prise en charge des loyers du domicile, et parfois même dans l’inscription scolaire des enfants, afin d’accueillir dignement un nouveau médecin et permettre à leur commune de rester attractive.

Ce sont souvent des praticiens originaires de pays d’Europe de l’Est, et parlant donc le français.

Pour information, ces médecins formés à l’étranger constituaient, déjà en 2010, 44 % des installations en Picardie. En 2012, dans l’Aisne, sur trente nouveaux médecins, seize étaient étrangers.

Or certains de ces médecins ne s’installent que pour quelques mois, et quittent ensuite ces communes pour un autre lieu, parfois toujours en France, sans même prévenir la commune et sans même respecter les conventions signées.

Deux fois déjà, à ma connaissance, des communes de mon département en ont été victimes, celles de Gandelu et Pinon, en janvier dernier.

Cependant, il semblerait que l’Aisne ne soit pas seule victime de telles pratiques.

Les maires ou présidents d’intercommunalité se retrouvent désemparés, sans possibilité de recours, alors que les frais engagés sont souvent très importants.

Les patients, après le temps nécessaire à l’appréhension de leur nouveau médecin, se retrouvent sans solution de remplacement, parfois en plein traitement.

Le conseil de l’Ordre ne dispose pas non plus de moyens d’action, dans la mesure où ces médecins ne sont parfois même pas inscrits.

Les réponses apportées alors à la question écrite, dont je reprends les termes aujourd’hui, n’étaient déjà pas satisfaisantes pour les communes, et c’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, je la réitère aujourd’hui.

Alors que dans le projet de loi sur le vieillissement, actuellement en navette, on prône le « rester à la maison » pour les personnes âgées, celles-là mêmes qui ne peuvent se déplacer vers ces maisons de santé – tardant d’ailleurs à sortir de terre –, et pour lesquelles les visites à domicile sont récurrentes, maintenir le maillage actuel en médecins dits « de campagne » est une nécessité, voire une obligation.

Aussi, monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie de bien vouloir me faire savoir les mesures concrètes envisagées contre ces pratiques. Quels pourraient être les recours des maires envers ces médecins, que je qualifierai de sans scrupules, qui mettent patients, élus et contribuables en difficulté ?

Pourrait-on prévoir des poursuites, des pénalités, des modalités de remboursement de certains frais engagés par la commune, à l’instar des mesures envers les étudiants ayant bénéficié d’une bourse d’étude d’une collectivité en vue d’une installation postérieure, et tenus de la rembourser en fin d’études dans le cas d’un désistement ?

Ces modalités pourraient-elles être inscrites dans le projet de loi relatif à la santé actuellement en discussion à l’Assemblée nationale ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, je vous prie d’excuser l’absence de Marisol Touraine, qui m’a chargé de vous apporter la réponse suivante.

Améliorer l’accès aux soins de proximité et réduire les inégalités entre les territoires est une priorité du Gouvernement, et c’est dans cet objectif que Marisol Touraine a lancé dès la fin de l’année 2012 « le pacte territoire-santé », auquel vous faites référence.

Parmi les douze engagements du pacte, un point essentiel consiste à faciliter et à sécuriser les conditions d’installation de médecins dans les zones sous-dotées. C’est notamment l’objet des contrats de praticiens territoriaux de médecine générale.

Le bilan de ce pacte, deux ans après sa mise en place, confirme bien qu’une nouvelle dynamique est lancée.

Les premiers recrutements de praticiens territoriaux de médecine générale sont intervenus dès septembre 2013. Aujourd’hui, plus de 370 contrats ont été signés. Le dispositif sera étendu très prochainement aux médecins spécialistes.

Pour créer des conditions d’installation attractives, il faut également soutenir le travail en équipe, plébiscité par les nouvelles générations de professionnels de santé. C’est l’objet des maisons de santé pluridisciplinaires, qui regroupent plusieurs professionnels, auxquelles vous avez également fait référence. Entre 2012 et 2013, leur nombre a plus que doublé, passant de 174 à 370. En 2015, il devrait y en avoir plus de 800, et nous visons 1 800 maisons de santé en 2017.

Par ailleurs, Mme la ministre vient de mettre en œuvre la rémunération d’équipe par la voie d’un règlement arbitral.

L’ensemble de ces dispositions permettent d’assurer l’installation durable des médecins sur un territoire.

Enfin, dans le cadre du projet de loi de modernisation de notre système de santé, actuellement examiné par l’Assemblée nationale, Marisol Touraine a souhaité que les objectifs du pacte territoire-santé soient inscrits dans la loi et que la lutte contre les inégalités territoriales d’accès aux soins soit réaffirmée comme un des enjeux majeurs de notre politique de santé.

Vous le voyez, monsieur le sénateur, le Gouvernement reste pleinement mobilisé, car c’est dans la durée que nous mesurerons la portée de nos efforts.

Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Lefèvre.

M. Antoine Lefèvre. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, pour cette réponse. Néanmoins, les effets du pacte territoire-santé peinent à être visibles. Comme vous l’avez rappelé, une nouvelle dynamique est nécessaire.

Pour autant, je n’ai pas obtenu de réponse concernant les attentes très concrètes des élus. Pour que ce pacte territoire-santé produise tous ses effets, il est indispensable que les élus qui s’engagent dans la création de ces maisons médicales puissent avoir des garanties face à ces médecins peu scrupuleux, dont j’ai évoqué les attitudes. Par conséquent, la loi de modernisation de notre système de santé devra apporter des réponses plus concrètes que les intentions que vous venez de rappeler.

autoroute a 831 fontenay-le-comte– rochefort

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Laurent, auteur de la question n° 1028, adressée à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Daniel Laurent. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ma question porte sur un sujet très important pour le Poitou-Charentes, à savoir le projet d’autoroute A 831 reliant Fontenay-le-Comte et Rochefort. Bien entendu, j’associe à cette question mes collègues des régions et départements concernés.

Depuis la réponse du Premier ministre en février dernier, force est de constater qu’il n’est pas un jour sans que chacun y aille de son commentaire sur ce projet, et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il règne une certaine cacophonie.

Même le journal Sud–Ouest s’était emparé du sujet ; il titrait le 1er avril : « François Hollande a tranché, l’A 831 branchée, l’autoroute vers la Vendée sera créée mais réservée aux véhicules électriques ». Bien sûr, je ne ferai aucun commentaire : il s’agissait d’une simple anecdote.

Reprenons notre sérieux et revenons-en à la genèse de ce dossier : ce projet a été déclaré d’utilité publique par décret en Conseil d’État le 12 juillet 2005, pour une durée de dix ans. Cette déclaration d’utilité publique, ou DUP, arrivant bientôt à échéance, il faudra de nouveau solliciter le Conseil d’État pour obtenir une prorogation. Monsieur le secrétaire d’État, qu’en est-il ?

Rappelons que les recours intentés devant le Conseil d’État et la Commission européenne ont fait l’objet de rejets en 2007. En septembre 2011, le projet a été inscrit au schéma national d’infrastructures de transport.

De nombreuses études environnementales ont été réalisées sur ce projet, notamment par la Ligue de protection des oiseaux, dans le cadre d’une convention de recherche appliquée.

La commission « Mobilité 21 » a remis un rapport, le 27 juin 2013, reconnaissant l’intérêt socioéconomique du projet, ainsi que son impact positif sur le désenclavement des territoires, la desserte du littoral et du port de La Rochelle.

Dans un contexte budgétaire contraint, ce projet n’est certes pas une priorité pour le Gouvernement. Pour autant, il n’a pas été abandonné, comme l’a rappelé M. le Premier ministre. En décembre 2013, il a ainsi été demandé que les efforts d’insertion soient accompagnés d’actions complémentaires visant à inscrire le projet dans une démarche volontariste de développement durable.

Sous réserve de ces modifications, il n’y avait aucune objection à ce que la procédure de consultation soit lancée pour connaître le coût de l’ouvrage.

En parallèle, les services de l’État ont chiffré une solution alternative au contournement de la ville de Marans – dans le nord du département de la Charente-Maritime – qui, à ce jour, n’a pas été portée à la connaissance du public. Toutefois, à l’instar des conclusions de l’étude d’impact de la DUP qui avait comparé défavorablement les deux tracés, on peut s’interroger sur la pertinence d’une telle alternative à l’A 831.

Monsieur le secrétaire d’État, cette question aurait pu être adressée au Premier ministre, qui écrivait, en juillet dernier, dans un courrier adressé à Bruno Retailleau – alors président du conseil général de la Vendée – et à Dominique Bussereau – président du conseil général de la Charente-Maritime – être disposé à engager l’appel à concessions des entreprises pour connaître le coût du projet. En préalable, il proposait que les modifications environnementales substantielles soient portées à la connaissance du public ou à celle Mme la ministre de l’écologie, dont on connaît déjà le point de vue : pour elle, ce sera non.

Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.

M. Daniel Laurent. Cette réponse me paraît inadmissible de la part d’une ministre du Gouvernement, par ailleurs ancienne présidente du conseil régional de Poitou-Charentes, alors que d’autres engagements ont été pris par le Premier ministre.

J’ai donc choisi une troisième voie, si je puis dire, celle qui consiste à vous interroger, en espérant enfin obtenir les réponses idoines. (Mme la présidente manifeste un signe d’impatience.) Il s’agit d’un dossier important, madame la présidente, c’est la raison pour laquelle je me permets d’insister.

Mme la présidente. Votre temps de parole est écoulé, monsieur Laurent.

M. Daniel Laurent. Les enjeux économiques de ce projet, soutenu par la région Pays de la Loire, les départements de la Charente-Maritime et de la Vendée, ainsi que, je le souhaite, par la région Aquitaine–Limousin–Poitou-Charentes en devenir, sont très importants.

Les clubs d’entreprises des régions concernées, rassemblés à La Rochelle le 26 mars dernier – soit plus de trois cents chefs d’entreprise et dirigeants économiques du sud de la Vendée et de la Charente-Maritime…

Mme la présidente. Posez votre question, monsieur Laurent !

M. Daniel Laurent. Monsieur le secrétaire d’État, ma question est simple, pouvez-vous nous faire part de l’état d’avancement de ce dossier et des intentions du Gouvernement sur trois questions principales : quid de la prolongation du décret de déclaration d’utilité publique ? La consultation nécessaire auprès des entreprises sera-t-elle lancée et dans quels délais ? Entendez-vous formaliser un calendrier précis ?

En un mot, quel est l’avenir de l’A 831 ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, comme vous l’avez rappelé, la commission « Mobilité 21 » a souligné le bilan socioéconomique agrégé favorable du projet d’autoroute A 831. Elle a aussi évoqué les controverses soulevées par le projet « quant à son intérêt et à ses conséquences au plan environnemental ». À ce titre, la Commission « Mobilité 21 » a classé le projet dans la catégorie des projets dont le financement n’était pas prioritaire.

À la suite de ces conclusions, des collectivités territoriales ont manifesté leur soutien, notamment financier, à l’opération. Il s’agit en particulier du conseil régional des Pays de la Loire et des conseils généraux de Vendée et de Charente-Maritime.

À la fin de l’année 2013, l’État a indiqué aux collectivités concernées sa décision de poursuivre la procédure de concession sous les conditions suivantes : d’une part, que cela n’ait pas de conséquence budgétaire pour l’État et, d’autre part, que les efforts déjà entrepris pour conférer à l’autoroute A831 une meilleure insertion environnementale soient valorisés et accompagnés d’actions complémentaires visant à inscrire plus encore le projet dans une démarche de développement durable.

En février 2015, le Premier ministre a rappelé, dans un courrier adressé aux élus concernés, la démarche qu’il souhaitait mettre en œuvre pour ce projet : porter à la connaissance du public les améliorations apportées au projet, lancer un nouvel appel à candidatures auprès des entreprises, effectuer des expertises complémentaires sur les solutions alternatives et, enfin, au vu de l’ensemble de ces éléments, décider des suites à donner. Le travail interministériel se poursuit autour de ces objectifs.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Laurent.

M. Daniel Laurent. Votre réponse me plaît, monsieur le secrétaire d’État, mais encore faut-il que l’on avance concrètement.

La déclaration d’utilité publique arrivant à son terme, il va falloir la proroger. Il s’agit donc de prendre une décision ferme, dans un délai très court.

Or ce gouvernement m’inquiète beaucoup : alors qu’elle se trouvait à La Rochelle samedi dernier, Mme Ségolène Royal a condamné ce projet qui suppose une protection environnementale importante. Qui commande dans ce gouvernement ? Si les promesses de Mme Royal sont du même acabit que celles qui ont été faites au sujet des autoroutes… J’en passe et des meilleures.

Quoi qu’il en soit, monsieur le secrétaire d’État, je compte sur vous pour demander à M. le Premier ministre de proroger la déclaration d’utilité publique et de faire appel aux entreprises.

Mme la présidente. Merci d’avoir rattrapé le retard que vous aviez pris lorsque vous avez posé votre question, monsieur Laurent ! (Sourires.)

plan de relance autoroutier

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Raison, auteur de la question n° 1030, adressée à M. le secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche.

M. Michel Raison. Monsieur le secrétaire d’État, ma question concerne le département de la Haute-Saône, trop enclavé.

Le 27 juin 2013, dans le cadre de la « remise à plat » des priorités du schéma national des infrastructures de transport – le SNIT –, la commission « Mobilité 21 », installée auprès du secrétaire d’État chargé des transports, a conclu que la priorité devait être donnée à la réalisation, dans les meilleurs délais, des déviations de Langres et de Port-sur-Saône, dans le cadre du volet autoroutier des nouveaux contrats de plan État-région, qui ont succédé aux programmes de modernisation des itinéraires routiers, ou PDMI.

Cette décision est venue confirmer les enjeux de desserte, d’accessibilité et d’équilibre des territoires traversés. Les crédits nécessaires à la réalisation de la déviation de Port-sur-Saône sont inscrits dans le nouveau PDMI franc-comtois, concrétisant ainsi le travail engagé depuis 2002. Je ne parle ici que des crédits d’autorisation de programme ; j’espère que les crédits de paiement seront également inscrits…

L’État s’est également engagé à financer la déviation sud de Langres, autre infrastructure composant l’apport de l’État dans un projet de tronçon autoroutier Langres-Vesoul, finalement classé par cette fameuse commission parmi les secondes priorités, quel que soit le scénario financier envisagé.

Il apparaît que la déviation sud de Langres n’a pas été inscrite dans le PDMI de la région Champagne-Ardenne. Il apparaît également que ce projet n’a pas été retenu dans le cadre du plan de relance autoroutier notifié le 19 mai 2014 par la France à la Commission européenne, laquelle a avalisé le 30 octobre 2014 les avenants aux contrats de concessions autoroutières permettant le financement du plan de relance à hauteur de 3,2 milliards d’euros.

Je vous demande donc, monsieur le secrétaire d’État, de préciser les raisons pour lesquelles la prolongation de la concession de la société des Autoroutes Paris-Rhin-Rhône, ou APRR, qui permettrait une mise en service en 2020 du contournement sud de Langres n’a pas été autorisée.

Dans un contexte très tendu entre l’État et les sociétés autoroutières, je vous remercie de bien vouloir me préciser si le plan de relance sera bien engagé et si des négociations sont encore ouvertes afin d’aboutir à un deuxième plan de relance favorable à la croissance, à l’emploi et à l’aménagement du territoire national.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur deux opérations routières importantes pour la desserte de la Haute-Saône que sont la déviation de Port-sur-Saône et le contournement sud de Langres.

Tout d’abord, s’agissant de la déviation de Port-sur-Saône sur la RN 19, je vous confirme que les crédits nécessaires sont inscrits au contrat de projet État-région 2015-2020 de la région Franche-Comté. L’État se mobilise ainsi fortement aux côtés des collectivités concernées, notamment le département de la Haute-Saône, pour la réalisation de cette opération importante.

Pour ce qui concerne le projet de contournement sud de Langres, vous avez raison de rappeler que l’inscription des études préalables à l’enquête publique avait été envisagée dans le cadre du projet de plan de relance autoroutier.

Cependant, lors de l’examen du projet de plan de relance par la Commission européenne en 2014, l’option d’un financement par adossement à la concession existante d’APRR pour l’A 31 n’a pas été considérée comme conforme au droit européen de la commande publique.

En effet, les trafics prévisionnels de ce contournement sont trop faiblement liés à ceux de l’autoroute A 31 pour justifier l’argument de continuité de l’autoroute existante. Cela explique donc que le projet de contournement sud de Langres ne figure pas dans la liste des opérations validée par la Commission européenne le 28 octobre dernier.

Je précise que d’autres opérations de contournement autoroutier proposées dans le cadre du plan de relance ont fait l’objet de la même analyse juridique et n’ont pu être retenues pour des raisons similaires, tel, par exemple, le très gros projet de contournement de Caen.

L’opération n’a pas été abandonnée pour autant : afin de poursuivre le travail engagé, une enveloppe financière de 5 millions d’euros, dont 3 millions en part État, a été intégrée au mandat de négociation du préfet de la région Champagne-Ardenne pour la réalisation des études préalables à l’enquête publique et des acquisitions foncières du contournement sud de Langres.

L’ambition de l’État est de pouvoir porter le projet à l’enquête publique préalable à la déclaration d’utilité publique dans les meilleurs délais. Le calendrier prévoit ainsi une enquête publique pour 2018 et une déclaration d’utilité publique en 2019.

Pour préserver l’avenir, le projet de contournement est conçu de façon à être intégrable à une future liaison autoroutière entre Langres et Vesoul.

La mobilisation des collectivités locales aux côtés de l’État sera indispensable pour permettre une concrétisation rapide de cette opération, dont je mesure bien l’importance pour le développement économique local.

S’agissant du plan de relance, les réflexions sont encore en cours et des propositions seront faites dans les prochains jours.

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Raison.

M. Michel Raison. Merci, monsieur le secrétaire d’État, de votre réponse, qui peut sembler rassurante !

Au-delà du développement économique du territoire de la Haute-Saône, c’est surtout le maintien de son tissu industriel qui est en jeu. Nous avons la chance d’avoir à Vesoul l’usine spécialisée dans la fabrication et la distribution de pièces de rechange Peugeot et Citroën dans le monde entier.

Or, une fois les deux déviations terminées, nous risquerions de perdre des pans entiers de l’activité de cette usine si ce tronçon ne se faisait pas, au moins la partie reliant Vesoul à la région parisienne. Un millier d’emplois pourraient être en jeu !

C'est la raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d’État, nous comptons sur vous pour faire accélérer toute cette procédure routière. (M. le secrétaire d’État marque son approbation.)

Mme la présidente. Mes chers collègues, en attendant l’arrivée de M. Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix heures quarante-cinq, est reprise à dix heures cinquante.)

Mme la présidente. La séance est reprise.

conséquences des procédures de rétablissement personnel de certains locataires pour les offices du parc social

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, auteur de la question n° 990, adressée à M. le ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique.

Mme Dominique Estrosi Sassone. Monsieur le secrétaire d’État, ma question porte sur les conséquences, pour les offices du parc social, des procédures de rétablissement personnel, ou PRP, de certains locataires.

Les bailleurs sociaux sont confrontés à une augmentation du nombre de locataires surendettés qui entament une procédure dite de « rétablissement personnel » auprès de la Banque de France, en vue d’obtenir un effacement des loyers impayés. Dans ce cas, l’annulation de ces loyers par la commission de surendettement est quasi systématique, alors que de nombreux dossiers pourraient être réglés par un réaménagement de la dette.

Cette situation est gravement préjudiciable aux organismes d’habitation à loyer modéré qui, contrairement aux créanciers privés ou aux organismes de crédit, ne sont pas destinés à faire des bénéfices. Les pertes financières sont source d’injustice sociale, puisque d’autres locataires, malgré des situations personnelles parfois difficiles, payent leur loyer à temps. Enfin, cela engendre un important préjudice financier pour les bailleurs sociaux, qui réduisent les investissements d’entretien, et ce toujours au détriment des personnes payant leur loyer et voyant les conditions d’habitation se détériorer.

Par exemple, Côte d’Azur Habitat, premier bailleur social de mon département des Alpes-Maritimes, est lourdement frappé par l’accroissement du coût des PRP dans ses comptes. Entre 2010 et 2014, le montant total des sommes ayant fait l’objet d’un abandon de créance s’est élevé à 1 368 850 euros.

De plus, certains locataires récidivent et n’hésitent pas à entamer systématiquement une nouvelle procédure auprès de la Banque de France, dès que la décision d’expulsion devient imminente. Dans les Alpes-Maritimes, 47 % des locataires bénéficiaires d’une PRP étaient de nouveau en impayés entre 2012 et 2013, ce taux s’établissant à 40 % entre 2013 et 2014.

La PRP est donc devenue une démarche de facilité, permettant d’annuler les dettes sans chercher à trouver d’autres moyens de solvabilité.

Enfin, si la façon d’établir la PRP ne change pas, les bailleurs privés risquent de freiner leurs investissements sur le marché locatif. Il s’agit là d’un très mauvais signal pour la construction de logements, alors même que les objectifs de construction n’ont pas été tenus en 2014.

Monsieur le secrétaire d’État, qu’entendez-vous faire pour responsabiliser certains locataires peu scrupuleux du parc social qui accumulent des crédits à la consommation ? La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, dite « loi Hamon », prévoyait, je le rappelle, la création d’un fichier national des crédits.

Projetez-vous de modifier la procédure des PRP afin de pouvoir hiérarchiser les dettes des demandeurs ? Cela permettrait d’annuler en priorité les dettes contractées auprès des établissements de crédit et d’exclure du dispositif au moins une partie de celles qui sont dues aux bailleurs sociaux.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Le problème auquel vous faites référence, madame la sénatrice, est connu et documenté. Les bailleurs, qu’ils soient publics ou privés, ont parfois à faire face aux conséquences des décisions de surendettement et des procédures de rétablissement personnel.

De manière générale, ces décisions portant sur les conditions de recouvrement des dettes de loyer peuvent poser un certain nombre de difficultés de trésorerie, notamment aux petits propriétaires privés. Dans certains cas, que vous signalez être en augmentation, des annulations de dettes de loyer peuvent effectivement survenir. C’est à cette difficulté particulière que votre question s’intéresse.

Je tiens d’abord à revenir sur un des éléments évoqués par vos soins. Vous expliquez faire face de plus en plus fréquemment, dans le département des Alpes-Maritimes, à un comportement dommageable consistant à combiner crédits multiples à la consommation et procédures de rétablissement personnel à répétition, et regrettez que le Gouvernement ait renoncé à mettre en place un registre national des crédits, qui vous paraît répondre à cette préoccupation.

La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation prévoyait bien la création d’un registre national des crédits aux particuliers. Mais cette section du texte de loi a été entièrement supprimée, le Conseil constitutionnel ayant jugé que la création de ce registre portait « au droit au respect de la vie privée une atteinte qui ne [pouvait] être regardée comme proportionnée au but poursuivi ». Cette décision fait notamment suite, je le rappelle, à la saisine de soixante sénateurs du groupe UMP qui avaient fait valoir ce point de vue et auxquels le juge constitutionnel a donc donné raison.

J’ajoute que toute personne engageant une démarche auprès de la commission de surendettement est immédiatement inscrite au FICP, le fichier national des incidents de remboursement des crédits aux particuliers, qui est consultable par tous les établissements accordant des crédits.

S’agissant de l’autre partie de votre question, madame la sénatrice, je tiens à souligner que le risque est, en pratique, très limité pour un bailleur social.

En effet, le paiement du loyer est assuré à titre principal par le dispositif d’aide personnalisée au logement, dit APL, dès lors que le public effectif des locataires correspond à la cible. Les plafonds de ressources APL et les plafonds de ressources des constructions étant globalement alignés, le risque est donc très largement amorti : jusqu’à 80 %. Dès lors, au regard du volume de son parc, il est peu probable qu’un bailleur soit réellement mis en difficulté.

Toutefois, si un bailleur se trouvait réellement en difficulté, il pourrait faire appel à la CGLLS, la Caisse de garantie du logement locatif social. Comme vous le savez, cet établissement public à caractère administratif, recueillant des ressources auprès des bailleurs, peut venir en aide à n’importe lequel d’entre eux qui, pour une raison ou pour une autre, y compris du fait d’une difficulté liée à des effacements de dettes de loyer, serait amené à y avoir recours.

Pour conclure, la Banque de France a développé un partenariat avec le ministère du logement pour mieux travailler sur l’articulation avec les commissions de coordination des actions de prévention des expulsions locatives, les CCAPEX. Depuis le début de l’année 2015, les secrétariats des commissions adressent mensuellement, aux correspondants CCAPEX, un fichier reprenant les dossiers recevables avec la présence d’une dette locative.

La loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, ou loi ALUR, prévoit par ailleurs des possibilités de réaction plus rapide des bailleurs sociaux lors des premiers impayés, notamment une obligation de déclaration à la CCAPEX.

Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone.

Mme Dominique Estrosi Sassone. On peut entendre les arguments que M. le secrétaire d’État vient de développer si l’on s’en tient aux procédures de rétablissement personnel concernant les locataires de bonne foi. Pour autant, le problème n’est en rien élucidé pour les bailleurs privés ou les bailleurs sociaux qui se trouvent confrontés à un certain nombre de locataires utilisant ce type de procédure avec une mauvaise foi avérée, pour éviter un plan de rééchelonnement de leur dette locative, dispositif auquel les offices publics d’habitat ne s’opposent absolument pas.

C’est toujours envoyer un très mauvais signal, me semble-t-il, que de permettre une rupture d’équité entre des locataires ayant recours aux procédures de rétablissement personnel pour gommer leurs dettes et d’autres locataires qui, confrontés à des situations matérielles difficiles, sont prêts à envisager, avec leur bailleur, un rééchelonnement de leurs dettes de loyer et, in fine, leur règlement. Il est essentiel de faire preuve d’équité, surtout vis-à-vis des locataires qui se comportent bien et respectent leurs droits et leurs devoirs.

point d'étape sur le plan france très haut débit

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Maurey, auteur de la question n° 1023, adressée à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique.

M. Hervé Maurey. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, reprenant pour l’essentiel les orientations du programme national très haut débit engagé en 2010 par le gouvernement de François Fillon, le plan France Très Haut Débit, mis en œuvre par l’actuel gouvernement depuis 2013, prétend couvrir 100 % de la population à l’horizon 2022.

Ce plan laisse la part belle aux investisseurs privés, censés desservir 57 % de la population, et laisse le soin aux collectivités locales et à leurs groupements d’assurer une couverture des territoires restants, les plus coûteux, avec un concours limité de l’État.

Deux ans après la mise en place de ce plan, je souhaiterais, monsieur le secrétaire d’État, que vous établissiez un premier bilan.

À ce titre, pouvez-vous m’indiquer l’état des déploiements des opérateurs privés dans leurs zones d’intervention, le taux de raccordement et le rythme attendu de ces déploiements, au regard des engagements pris ?

Je souhaiterais également savoir quelles initiatives le Gouvernement a pris ou entend prendre pour contrôler et garantir la tenue des engagements des opérateurs.

Concernant les initiatives publiques, je vous demande de bien vouloir préciser l’état des déploiements, le taux de raccordement et le rythme attendu de ces déploiements.

Dans un contexte budgétaire extrêmement tendu pour les collectivités et leurs groupements, pensez-vous que les subventions limitées du FSN, le Fonds national pour la société numérique, à savoir 300 euros par prise, suffiront à garantir un déploiement ambitieux dans les territoires ruraux ?

Pour ma part, je ne le pense pas. Alors que le coût par prise peut atteindre 2 000 euros dans certains territoires, je ne pense pas que 300 euros soient suffisants et, surtout, permettent d’assurer une péréquation, qui est nécessaire.

En matière d’aménagement numérique du territoire, la question de la téléphonie mobile est également essentielle. Je me réjouis que, dix jours avant le premier tour des élections départementales, le Premier ministre ait découvert ce problème.

À l’issue du Comité interministériel aux ruralités, qui s’est tenu le 13 mars dernier, le Gouvernement a en effet annoncé un certain nombre de mesures, qui vont dans le bon sens en matière de couverture des territoires en téléphonie mobile.

Toutefois, au-delà des effets d’annonce, comment entendez-vous passer très concrètement des paroles aux actes, avec quels moyens et quel calendrier ?

Vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, nos territoires ont un besoin vital de couverture mobile, et la bonne volonté des opérateurs est, chacun le sait, tout à fait limitée. En matière de couverture mobile, notamment, force est en effet de constater que ces derniers ne respectent pas toujours leurs engagements. Ainsi, en février 2010, ils se sont engagés dans un accord tripartite à poursuivre le déploiement de leur réseau 3G et à atteindre une couverture équivalente à celle de la 2G d’ici à la fin de l’année 2013. Or nous sommes en 2015, et à peine un tiers de l’objectif annoncé a été atteint.

C’est donc avec beaucoup d’intérêt que j’attends, monsieur le secrétaire d’État, vos réponses à mes questions.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le sénateur, la couverture numérique en réseaux à très haut débit fixes et mobiles constitue un important levier d’égalité des territoires. Il s’agit d’un moyen pour améliorer la productivité des entreprises, l’accessibilité des services publics et l’attractivité des territoires.

Avec le plan France Très Haut Débit, nous avons voulu que le passage à une nouvelle génération de réseau soit l’occasion de combler des inégalités d’accès.

Ce plan a aussi marqué le retour de l’État stratège en matière de télécommunications. Il s’appuie sur l’intervention combinée des collectivités territoriales, des opérateurs privés et de l’État. Ce partenariat est essentiel pour atteindre l’objectif du très haut débit pour tous en 2022. L’État apporte 3,3 milliards d’euros de soutien aux projets des collectivités et son soutien est renforcé dans les territoires les plus ruraux.

Où en sommes-nous ? S’agissant de l’état des déploiements en fibre optique jusqu’à l’abonné des opérateurs privés, 3,4 millions de prises avaient été déployées à la fin de l’année 2014, soit une hausse de plus de 30 % en un an. À ce stade, les opérateurs respectent globalement leurs trajectoires de déploiement. Mais le Gouvernement sera particulièrement vigilant à ce que l’ensemble des opérateurs, et en particulier le nouvel SFR, poursuivent bien leurs investissements pour couvrir 57 % de la population en très haut débit.

Les conventions de suivi et de programmation des déploiements passées avec les collectivités sont l’outil privilégié pour confirmer localement ces engagements. À ce jour, une quarantaine de conventions ont été signées par les opérateurs Orange et SFR et une trentaine sont en cours de négociation.

S’agissant des initiatives publiques, 73 dossiers de collectivités ont été déposés, ce qui représente 86 départements, un investissement public global de près de 10 milliards d’euros, un soutien de l’État de 2,7 milliards d’euros, et plus de 6 millions de lignes très haut débit. Début mars, l’État avait engagé 1,5 milliard d’euros sur les 3,3 milliards d’euros prévus d’ici à 2022. Il devrait apporter en moyenne 50 % du financement public par prise. Au total, la couverture en très haut débit de notre territoire a d’ores et déjà considérablement progressé, avec plus de 13 millions de logements éligibles au 31 décembre 2014, soit une hausse de 20 % sur un an.

Nous avons aussi décidé de compléter la couverture mobile en zone rurale. Un courrier a été récemment adressé à tous pour préciser nos intentions. Je vous rappellerai simplement deux de nos objectifs : une couverture de l’ensemble des communes en zone blanche de la téléphonie mobile fin 2016 et la couverture de ces mêmes communes en internet mobile à la mi-2017.

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Maurey.

M. Hervé Maurey. Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie des éléments statistiques que vous venez d’apporter.

Vous avez dit que l’État stratège était de retour. C’est un slogan que j’entends régulièrement, mais que j’avoue ne pas comprendre complètement. En effet, vous avez repris à peu de choses près la politique de vos prédécesseurs.

Au-delà des chiffres, il faut bien avoir à l’esprit qu’il existe malheureusement encore de nombreux territoires dans lesquels il n’y a même pas de haut débit, voire de débit tout court. Il ne convient donc pas de nous gorger de mots témoignant de notre autosatisfaction. La réalité, c’est des territoires sans haut débit et sans téléphonie mobile.

Or une telle situation concourt au mal-être des territoires, notamment ruraux, mal-être qui s’exprime à l’occasion des élections. Sur le terrain, on le voit bien, l’une des principales demandes concerne une couverture numérique satisfaisante.

Il nous faut vraiment nous atteler à cette tâche ! C’est d’ailleurs l’objet du groupe de travail mis en place au Sénat sur l’aménagement numérique du territoire, qui a commencé ses travaux voilà quelques semaines et qui formulera des propositions concrètes. Au-delà des mots, il faut passer aux actes. Sur ce sujet, nous serons extrêmement vigilants.

Le problème, monsieur le secrétaire d’État, c’est que, comme d’autres avant vous, vous privilégiez les opérateurs au public. Tant que nous mènerons une politique qui considère les opérateurs uniquement comme des vaches à lait – on les taxe, mais sans leur fixer une obligation de couverture –, les choses n’avanceront pas.

Or, en la matière, il y a malheureusement peu de changements au rendez-vous et sur le terrain.

dégroupage téléphonique abusif

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia, auteur de la question n° 997, adressée à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire.

Mme Catherine Procaccia. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ma question porte sur le dégroupage téléphonique abusif.

Il arrive régulièrement que des citoyens français ayant souscrit à des offres triple play se retrouvent, du jour au lendemain, sans téléphone, sans internet et sans télévision, alors qu’ils n’ont pas été préalablement prévenus.

Et pour cause ! Leur ligne a été résiliée par leur opérateur, à la demande d’un opérateur concurrent, sans qu’ils aient souhaité changer d’opérateur ou souscrit à une nouvelle offre.

Lorsqu’ils parviennent finalement à joindre leur opérateur, ils doivent attendre plusieurs jours, si ce n’est plusieurs semaines, pour que la ligne soit rétablie et de nouveau opérationnelle.

Monsieur le secrétaire d’État, j’aimerais que vous me précisiez si des vérifications doivent être effectuées par l’opérateur pour s’assurer de l’effectivité de la demande du titulaire de la ligne. Par ailleurs, quelles obligations s’imposent aux deux opérateurs pour rétablir le titulaire de la ligne dans ses droits, et ce dans les plus brefs délais ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Madame la sénatrice, les changements de ligne non sollicités, communément qualifiés d’« écrasements à tort », résultent soit de pratiques commerciales abusives, en l’occurrence de ventes forcées que les corps d’enquête de l’État recherchent et répriment, soit d’erreurs techniques. De tels incidents peuvent s’avérer pénalisants pour les consommateurs concernés, a fortiori ceux qui, ayant souscrit à une offre triple play, se voient privés de l’ensemble des services qui y sont liés.

Conscients de la nécessité de lutter contre ce phénomène, les pouvoirs publics et les opérateurs ont pris des initiatives dans ce domaine. En outre, de nouvelles règles dans le processus technique de conservation du numéro, c'est-à-dire la portabilité, entreront en vigueur en octobre 2015 et devraient permettre une diminution sensible des cas d’écrasement à tort.

Quatre engagements clefs, pris par la Fédération française des télécoms, la FFT, sous l’égide des pouvoirs publics et applicables depuis le 1er janvier 2009, visent à prendre en charge les consommateurs victimes d’un écrasement à tort. Ces engagements sont les suivants.

Premièrement, la mise en place d’un interlocuteur unique, qui est l’opérateur contractuel du client, afin de rétablir la situation. Cela s’est traduit par la création de cellules dédiées chez tous les opérateurs pour assurer la coordination interopérateurs.

Deuxièmement, le client doit retrouver sa connexion dans un délai maximal de sept jours ouvrés à partir du constat de la perte de ligne.

Troisièmement, la gratuité du rétablissement de l’accès est prévue lorsque l’écrasement à tort est avéré.

Quatrièmement, le client est indemnisé par son opérateur.

L’opérateur contractuel, qui engage sa responsabilité puisque l’écrasement entraîne une interruption du service, se voit ainsi reconnu comme interlocuteur unique de l’abonné. Il lui appartient de régler les problèmes rencontrés par son client et d’indemniser ce dernier. Toutefois, si l’abonné n’est pas satisfait de l’indemnisation accordée par son opérateur, il a la possibilité de demander réparation pour le préjudice subi auprès de l’opérateur fautif à l’origine de l’écrasement à tort, conformément aux dispositions des articles 1382 et 1383 du code civil.

Une décision de l’ARCEP, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, qui prendra effet le 1er octobre 2015, permettra également d’améliorer sensiblement la fiabilité du processus de portabilité. En effet, à partir de cette date, un consommateur souhaitant changer d’opérateur devra donner à son nouvel opérateur non seulement le numéro de téléphone fixe qu’il souhaite conserver, mais aussi un code, associé à sa ligne, obtenu par interrogation d’un serveur vocal : le relevé d’identité opérateur, ou RIO. Celui-ci fournira, outre le numéro fixe, l’identité de l’opérateur technique et celle de l’opérateur commercial. Je vous passe les détails techniques, que je tiens néanmoins à votre disposition, madame la sénatrice.

Également à partir du 1er octobre 2015, un système d’identification de l’accès au numéro, le SIAN, donnera aux opérateurs, en temps réel, sur la base de la fourniture du numéro de téléphone et du RIO de la ligne, les informations permettant d’identifier clairement l’installation sur laquelle doivent avoir lieu les interventions techniques en vue du raccordement au nouvel opérateur, à savoir l’adresse technique d’installation et le nom de l’abonné.

La mise en place de ces dispositifs permettra de fiabiliser le traitement des demandes de portabilité et de limiter ainsi les écrasements à tort.

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Procaccia.

Mme Catherine Procaccia. Monsieur le secrétaire d’État, dans la mesure où je n’avais pas utilisé la totalité du temps qui m’était imparti pour poser ma question, j’apprécie d’avoir pu bénéficier d’une réponse très complète de votre part. Par ailleurs, je suis effectivement désireuse de connaître les détails techniques que vous venez d’évoquer.

Je suis satisfaite de savoir qu’un tel dispositif sera mis en place à compter d’octobre 2015. Parce que j’ai été sollicitée par des abonnés ayant subi ce type de coupures au cours de cette année, j’ai mené quelques recherches et découvert que, en 2007, avant la loi Chatel, les écrasements à tort existaient déjà, l’opérateur étant tenu de rétablir la ligne dans les plus brefs délais.

Or vous me dites que, depuis quelques années, celui-ci ne dispose que de sept jours ouvrés. Je peux vous assurer que ce n’est pas le cas ! Il a même récemment fallu que j’intervienne, comme je le pouvais, pour que le dossier de certains abonnés, dont la ligne était écrasée depuis dix à quinze jours, soit bien traité. Dix à quinze jours, monsieur le secrétaire d’État, c’est énorme !

Je note que l’ARCEP mettra en place le RIO. Il s’agit d’une procédure bien connue, puisqu’elle s’applique déjà pour la portabilité de nos téléphones mobiles. Elle permettra certainement de faire avancer les choses.

J’espère que tout sera opérationnel en octobre de cette année. Hervé Maurey a mentionné à l’instant l’existence de zones blanches, ces endroits non couverts par les réseaux. Il y a aussi ces personnes qui habitent dans des zones couvertes, et qui perdent soudainement le bénéfice de la couverture. Et ces Français, monsieur le secrétaire d’État, se trouvent fort dépourvus quand la coupure est venue !

avenir de l’industrie papetière

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud, auteur de la question n° 1039, adressée à M. le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique.

M. Thierry Foucaud. Monsieur le secrétaire d’État, la papeterie UPM-Chapelle-Darblay de Grand-Couronne, en Seine-Maritime, spécialisée dans la production de papier journal, est, vous le savez, un des fleurons du savoir-faire français en matière de production de papier à partir de déchets recyclés. La gamme de ses produits couvre l’ensemble des besoins de la presse quotidienne ou gratuite.

Soucieuse de la préservation de l’environnement, cette usine, qui emploie 400 salariés, utilise le transport fluvial, via l’axe de la Seine, pour livrer les grandes imprimeries parisiennes. Elle est également l’une des premières entreprises à avoir installé une chaudière fonctionnant à la biomasse sur son site.

Au moment où l’économie circulaire est au cœur des réflexions, l’annonce de la volonté de la direction de mettre fin à l’activité de sa machine « PM 3 », qui produit le papier recyclé, est incompréhensible.

Outre les 196 emplois directs qui seraient supprimés du fait de cette décision, c’est, à court terme, l’existence même du site de production de Grand-Couronne qui est menacée.

Au-delà de la question de l’avenir du site de Chapelle-Darblay, c’est, plus largement, l’avenir de toute l’industrie papetière française qui est, aujourd’hui, menacé, tout comme celui de la filière de recyclage du papier, lequel est pourtant un marché porteur et en pleine expansion.

Faute d’une volonté politique forte et du fait de l’absence de filière de tri suffisamment organisée, il semble aujourd’hui impossible de produire en France de la pâte à papier 100 % recyclée, destinée au papier de bureau de type « ramette ».

Pourtant, un minimum de coordination dans la filière de tri permettrait, par exemple, de collecter spécifiquement le papier de bureau de sites comme celui de la Défense, ou bien celui qui est utilisé dans les grandes entreprises et autres services publics, comme La Poste, la caisse primaire d’assurance maladie – CPAM –, ou encore les collectivités territoriales. C’est d’ailleurs ce que fait chaque jour notre voisin anglais, en collectant le papier dans le quartier de la City, pour exporter ensuite la pâte à papier en France.

Le site de Chapelle-Darblay est tout à fait adapté pour accueillir ces transformations industrielles, qui permettraient à la France d’organiser le recyclage de son papier.

De même, le marché du papier kraft est aujourd’hui en pleine expansion ; les besoins sont forts sur le territoire national, d’autant que le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte oblige, à compter du 1er janvier 2016, à ne plus utiliser de sacs plastiques. Or la machine « PM 3 », à l’activité de laquelle le groupe UPM veut mettre fin, permet notamment de produire ces sacs en papier à moindre à coût.

Pouvez-vous m’indiquer, monsieur le secrétaire d’État, dans quelle mesure le Gouvernement, outre la nomination d’un chargé de mission au niveau national sur la filière cellulose, compte-t-il accompagner la sauvegarde des 196 emplois menacés à Grand-Couronne et, plus largement, assurer l’avenir de l’industrie papetière de notre pays ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Christian Eckert, secrétaire d’État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le sénateur, comme vous le savez, le développement des supports de communication numériques affecte de plein fouet l’industrie papetière, qui voit son chiffre d’affaires stagner ou baisser selon les supports. Pour le papier, par exemple, la baisse a été de 17 % au cours des quatre dernières années.

Ainsi, la filière cellulose fait face à des défis de taille ; l’enjeu social, vous l’avez rappelé, est important ; cette filière emploie en effet plus de 200 000 salariés. Ces défis peuvent toutefois se transformer en autant d’opportunités et relais de croissance, sous réserve d’adaptations de ses procédés de fabrication et de ses modèles d’affaires.

L’investissement dans l’innovation est un élément majeur d’adaptation. L’État soutient pleinement la filière sur ces objectifs en finançant le centre technique du papier et l’Institut technologique forêt cellulose bois-construction ameublement. L’État maintiendra ces soutiens.

La structuration de la filière est déterminante. Le Gouvernement soutient les comités stratégiques de la filière chimie et matériaux et de la filière forêt-bois, qui abordent les questions relatives au secteur de la cellulose et du recyclage des supports en papier. Le Gouvernement soutient également le travail très précis réalisé par M. Serge Bardy ; il encourage la poursuite de ses travaux à travers la nomination, vous y avez fait allusion, monsieur le sénateur, de M. Raymond Redding comme chargé de mission au niveau national sur la cellulose. Le Gouvernement veillera à ce que les travaux qu’il mène soient coordonnés avec les travaux du comité stratégique de la filière chimie et matériaux et du comité stratégique de la filière forêt-bois. Plusieurs des recommandations de M. Bardy ont déjà été reprises dans le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, notamment pour développer l’usage des papiers recyclés.

Après plusieurs restructurations et cessions au cours des dernières années, le groupe UPM, quant à lui, ne dispose plus que de deux unités en France.

C’est dans ce contexte que la « machine 3 » de la papeterie Chapelle-Darblay, spécialisée dans le papier journal à partir de fibres recyclées, va être arrêtée. En effet, le groupe finlandais UPM a décidé d’arrêter quatre de ses dix-huit machines à papier européennes : une à Chapelle-Darblay, mais aussi deux en Finlande et une au Royaume-Uni.

Cela correspond à une réduction de capacité de production de 805 000 tonnes, dont 130 000 tonnes à Grand-Couronne. Cette décision est motivée par la baisse structurelle de la demande de papier journal et une surcapacité en Europe, où les capacités sont estimées à 43 millions de tonnes, pour des débouchés, exportations comprises, de 36 millions de tonnes.

Il restera à Grand-Couronne la « machine 6 », qui peut produire jusqu’à 250 000 tonnes, pour laquelle le groupe a prévu un nouvel investissement de trois à cinq millions d’euros afin de la rendre plus compétitive.

Les procédures engagées au Royaume-Uni et en Finlande pour l’arrêt des trois autres machines concernées par le plan sont d’ores et déjà terminées.

En France, l’arrêt de cette machine mobilise les acteurs publics. De très nombreux contacts ont eu lieu entre la préfecture, les représentants du personnel et les élus avec la direction du site, afin d’analyser les conséquences de l’arrêt de la « machine 3 », pour le site même de Grand-Couronne et pour l’ensemble de la filière et ses salariés.

Il importe en effet d’étudier conjointement des solutions industrielles alternatives pour conserver l’activité sur le site. C’est l’objet de la commission industrielle paritaire mise en place récemment et pilotée par le chargé de mission Raymond Redding, dont la première réunion a été tenue le 25 mars. Cette commission rassemble les organisations syndicales, UPM ainsi que les services de l’État et a pour mission de faire émerger d’éventuels scénarios industriels alternatifs au simple arrêt de la « PM 3 ». Ceux-ci pourraient comporter la reconversion du site vers d’autres sortes d’activités papetières, comme cela a par exemple été fait avec succès pour la papeterie de Strasbourg du même groupe, réorientée vers la production de pâte désencrée.

Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Vous allez vite en besogne, monsieur le secrétaire d’État, en indiquant que la « machine 3 » va être arrêtée. Je rappelle que le groupe UPM fait tout de même des bénéfices assez énormes, et sa situation financière n’est pas menacée. Je rappelle également que les salariés ont jusqu’au 30 avril pour présenter un plan et des projets alternatifs.

Depuis le mois de novembre 2014, en particulier avec les salariés, je demande au Premier ministre, au ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, ainsi qu’à la ministre de l’écologie, du développement durable et de l’énergie, qu’une table ronde sur l’avenir de la filière papetière soit organisée. Je souhaiterais qu’il soit répondu à cette proposition, pour que la direction, les organisations syndicales, les élus, de l’agglomération rouennaise notamment, étudient ensemble la question.

Cette usine UPM est située à Grand-Couronne, à côté, donc, de Petit-Couronne, où l’usine Petroplus a récemment fermé. La situation de l’emploi industriel en Seine-Maritime est donc gravement menacée.

Il faut se pencher sérieusement sur la question de la collecte du papier. Tout à l’heure, j’ai pris l’exemple de ce qui passe pour les bureaux de la City, en Grande-Bretagne : on y collecte les papiers, que l’on revend ensuite en France, après leur recyclage.

La suppression, par le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, de la distribution de sacs plastiques, qui seraient remplacés par des sacs en papier kraft, pourrait être utile à l’entreprise dont nous parlons. Sa reconversion dans ce domaine lui serait, en effet, totalement bénéfique.

Dès lors, je le répète, il faudrait que l’État, les salariés, les organisations syndicales, les chefs d’entreprise et les élus se rencontrent pour mettre les choses en place, le groupe UPM recevant des financements au titre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE.

Mme la présidente. Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les réponses à des questions orales.

Je vous rappelle qu’aura lieu à quinze heures, dans la salle des séances, la réception solennelle de Son Excellence M. Béji Caïd Essebsi, Président de la République tunisienne.

L’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.

La séance est suspendue.

(La séance est suspendue à onze heures vingt-cinq.)

4

À la mémoire de Jean Germain, sénateur d’Indre-et-Loire

M. Gérard Larcher, président du Sénat. En fin de matinée, nous avons appris avec stupeur le décès de notre collègue Jean Germain, sénateur d’Indre-et-Loire. Il avait décidé d’achever son chemin et laissé un message à ses proches.

Nous sommes tous atterrés par cette terrible nouvelle et sous le coup de l’émotion.

Jean Germain était un collègue apprécié pour la qualité du travail qu’il menait à la commission des finances et pour l’empreinte qu’il laisse à sa chère ville de Tours à laquelle il s’est consacré pendant dix-neuf ans.

Nous partagions ensemble le même attachement pour le Liban.

Au nom du Sénat tout entier, je veux assurer toute sa famille, tous les Tourangeaux, ainsi que ses collègues du groupe socialiste et de la commission des finances, de notre immense tristesse en cet instant de deuil.

Nous mesurons l’immense solitude à laquelle un élu peut se trouver confronté lorsqu’il est mis en cause, pour des raisons qui atteignent son honneur, sans aucune considération pour son engagement au nom de l’intérêt général pour sa commune ou pour la nation. Jean Germain s’est senti condamné avant même d’être jugé, par un système qui n’a finalement jamais rien retenu depuis Pierre Bérégovoy.

Ce système, qui s’emballe, sans discernement, sans considération pour l’honneur, peut amener un homme à commettre l’irréparable.

Chacun, me semble-t-il, doit observer la mesure des jugements qu’il peut porter sur autrui et savoir qu’ils peuvent avoir des conséquences tragiques.

Un homme public, une femme publique, a droit au respect de sa dignité comme tout autre citoyen.

Je vous propose d’observer un moment de recueillement. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que les membres du Gouvernement observent une minute de silence.)

5

Réception solennelle de S.E. M. Béji Caïd Essebsi, président de la République tunisienne

(À quinze heures quinze, M. Gérard Larcher, président du Sénat, et S.E. M. Béji Caïd Essebsi, président de la République tunisienne, font leur entrée dans la salle des séances. – Mmes et MM. les sénateurs, MM. les ministres se lèvent et applaudissent longuement.)

M. Gérard Larcher, président du Sénat. Monsieur le président de la République tunisienne, c’est un immense honneur de vous accueillir aujourd’hui dans cette assemblée, alors que vous entamez votre visite d’État en France.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mesdames, messieurs les ambassadeurs, mesdames, messieurs les parlementaires, mes chers collègues sénateurs, le Sénat renoue à cette occasion le fil d’une tradition interrompue le 3 mars 1999, lorsque de cette tribune le président de la République tchèque, M. Vaclav Havel, prenait la parole presque dix ans après la chute du mur de Berlin.

À un homme et un peuple de liberté succèdent aujourd'hui un homme et un peuple de liberté !

Jamais en revanche un chef d’État venu du sud de la Méditerranée n’a été accueilli dans cette enceinte : tous vos prédécesseurs, monsieur le président de la République, étaient des chefs d’État européens. Vous êtes le premier chef d’État à la tête d’un pays appartenant au monde arabo-musulman à s’exprimer dans l’hémicycle du Sénat, siégeant en séance solennelle. C’est dire si votre allocution revêt un caractère exceptionnel.

Votre présence ne doit rien au hasard. À travers vous, à travers votre pays, le Sénat rend hommage à la mobilisation du peuple tunisien qui a su se jouer des obstacles et réussir sa transition démocratique, en rejetant à la fois les dérives autoritaires et le péril des fondamentalismes.

La Constitution de la IIe République tunisienne, adoptée le 27 janvier 2014, consacre un large spectre de droits fondamentaux, sans rien nier des valeurs traditionnelles de la Tunisie. Texte unique dans le monde arabe, votre constitution pose sans ambiguïté l’égalité entre les citoyennes et les citoyens devant la loi, et condamne toute discrimination entre les femmes et les hommes. Je tiens ici à saluer le courage et la détermination des femmes de Tunisie : elles furent et demeurent parmi les gardiens les plus vigilants de la démocratie. (Applaudissements.)

La constitution tunisienne a également ouvert la voie à une série d’élections, l’élection législative d’octobre 2014, l’élection présidentielle, qui s’est déroulée pour la première fois au suffrage universel direct et a donné lieu à votre victoire, monsieur le président : c’était le 21 décembre dernier ! La communauté internationale dans son ensemble a salué la transparence et la régularité de ces scrutins. La transition politique de la Tunisie, qui aura duré quatre ans, s’est achevée au moment où votre présidence s’est ouverte.

Le rappel linéaire de ces étapes peut donner une impression de marche lente et continue vers la démocratie : ce serait oublier les débats, les tensions, le risque de réactions, le cadre régional, profondément instable, qui les ont accompagnées.

Ces chausse-trappes dans lesquelles votre pays n’est pas tombé font d’autant plus ressortir le sens des responsabilités de ses dirigeants dans leur diversité. Vous avez été l’un des acteurs les plus engagés dans le succès de la transition. Vous étiez Premier ministre, et vous m’aviez rendu visite en mai 2011, ici au Sénat, lorsqu’il s’est agi d’élire l’Assemblée nationale constituante tunisienne en octobre 2011. Monsieur le président de la République, vous incarnez, par votre expérience de la vie politique, le lien entre la Tunisie d’aujourd’hui et les idéaux qui ont inspiré la construction de l’État tunisien moderne, après l’indépendance : le statut personnel, la place accordée à l’islam dans la société, la conviction que le développement repose sur la généralisation de l’enseignement, une certaine conception de la Nation.

Il est probable que, sans ce terreau fertile hérité du passé, la Tunisie n’aurait pas surmonté les quatre années de transition avec les mêmes résultats.

Monsieur le président de la République, en Tunisie, en France, mais aussi bien au-delà du pourtour méditerranéen ou de l’Europe, le terrorisme continue de frapper.

C’était encore le cas le 2 avril dernier, au Kenya. La Tunisie et la France ont chacune payé, à quelques semaines d’intervalle, un lourd tribut au terrorisme. À Paris comme à Tunis, des familles ont été endeuillées : permettez-moi d’avoir une pensée particulière pour Yoav Hattab, tué lors de la prise d’otages de l’Hyper Cacher à Paris, le 9 janvier, et dont la famille est de Tunis, ainsi que pour l’ensemble des victimes assassinées au musée du Bardo à Tunis, le 18 mars dernier.

L’émotion collective a constitué une première réponse au terrorisme. Il y aura un « avant » et un « après » les marches de Paris et de Tunis, ces marches qui se répondent, tel un écho, de part et d’autre de la Méditerranée : nous sommes tous des cibles potentielles, Français, Tunisiens, quelle que soit notre nationalité ; nous sommes tous des cibles potentielles, juifs, chrétiens, musulmans, non-croyants, quelle que soit notre conviction. Ce n’est pas faire preuve d’angélisme que de l’affirmer, mais c’est faire face à la réalité : Daech, Al-Qaïda et d’autres encore auront démontré, si cela était nécessaire, que leurs victimes n’ont ni nationalité ni religion.

Bien évidemment, la réponse au terrorisme doit être sécuritaire : je sais que les autorités gouvernementales de nos deux pays travaillent en ce sens. Mais en Tunisie comme en France, des jeunes répondent à la tentation djihadiste et se radicalisent.

Il faut combattre la radicalisation et continuer à se mobiliser pour défendre les valeurs de la démocratie. Vous l’avez déclaré, « la Tunisie est un pays musulman, pas islamiste ».

Monsieur le président de la République, le temps me paraît venu d’un partenariat plus ambitieux entre la France et la Tunisie, afin d’être à la hauteur des enjeux et de la confiance qui nous lient.

Le Sénat est prêt à accomplir sa part du chemin. Je l’ai évoqué avec vous, monsieur le président Essebsi, et je le répéterai au président de l’Assemblée des représentants du peuple de Tunisie : en matière de décentralisation, en matière de coopération décentralisée, le Sénat français, assemblée des territoires, dispose d’une expertise spécifique dans les institutions de la République.

J’ai donc proposé que nous puissions travailler ensemble à un nouvel accord de coopération entre nos parlements.

Un partenariat plus ambitieux, aussi, est indispensable dans le domaine de l’économie : « il faut un minimum de bien-être pour pratiquer la vertu », avez-vous dit avec raison, citant Saint Thomas d’Aquin. Je forme des vœux pour que votre visite permette de progresser sur les dossiers bilatéraux.

Dans l’exercice de leurs fonctions de contrôle, les sénateurs veilleront à ce qu’un juste équilibre soit maintenu en faveur des aides destinées au sud de la Méditerranée, et donc à la Tunisie, dans le cadre de la politique européenne de voisinage.

Notre partenariat doit être plus ambitieux, enfin, en matière d’éducation. La Tunisie et la France ont la francophonie en partage, qui est porteuse de valeurs et d’une conception de la vie en société. Je sais, monsieur le président de la République, les efforts que vous accomplissez pour maintenir la place du français dans le système éducatif. Je souhaite que nous puissions vous aider à cet égard.

L’éducation est l’une des clefs d’une stratégie globale de réponse au terrorisme. Évitons les tracasseries administratives : les étudiants tunisiens sont les bienvenus en France. Renforçons notre coopération pour « élever les défenses de la paix dans l’esprit des hommes », comme le proclame le préambule de la Charte de l’UNESCO. Les sénateurs ici présents sont très nombreux, et c’est un signe d’amitié et de respect envers vous, monsieur le président de la République, comme envers la Tunisie. Chacun d’entre eux, comme je le fais à cet instant, aura à cœur de porter un message de confiance à l’égard de votre pays. Je le dis à nos compatriotes : renoncer à un déplacement touristique prévu en Tunisie, c’est quelque part céder à la pression terroriste, qui n’a pas de frontière ; c’est laisser le terrorisme envahir notre propre vie.

Monsieur le président de la République, de nouveau, soyez le bienvenu au Sénat de la République française, vous qui venez de l’autre rive de la Méditerranée, en voisin et en ami, porteur de valeurs qui nous sont si proches et que nous comprenons.

Depuis l’Antiquité, la Méditerranée n’a jamais constitué un obstacle à nos échanges. Et nous avons tant de moments d’histoire commune ! Moments heureux, parfois douloureux, mais qui ont au fond contribué à construire cette amitié si profonde.

Vive la Tunisie ! Vive la France ! Vive l’amitié franco-tunisienne ! (Vifs applaudissements.)

La parole est à Son Excellence M. Béji Caïd Essebsi.

M. Béji Caïd Essebsi, président de la République tunisienne. Monsieur le président du Sénat, messieurs les membres du Gouvernement, mesdames, messieurs les sénateurs, mesdames, messieurs, chers amis, c’est au peuple tunisien, à ses martyrs d’abord, mais aussi à tous ceux qui ont entrepris de démontrer au monde entier qu’en ce petit pays est né un grand dessein, que je dois l’honneur de m’exprimer devant vous aujourd’hui.

Notre dessein, c’est de construire, malgré les soubresauts, malgré l’agitation alentour, un havre de paix, de démocratie et de liberté, un lieu où le débat public est perçu comme une force et où la diversité, qu’elle soit culturelle, religieuse ou sociale, est considérée comme une richesse parce que la Tunisie est belle de cette diversité et que, pour reprendre Aragon, « fou qui songe à ses querelles au cœur du commun combat ».

C’est au nom du peuple et de cette diversité que je vous salue et que je vous exprime mes vifs remerciements pour cette invitation.

Nous n’oublions pas, monsieur le président du Sénat, cher Gérard Larcher, que vous fûtes l’un des premiers hommes d’État français à condamner ouvertement, plusieurs jours avant le 14 janvier 2011, la manière dont le régime d’alors répondait au soulèvement populaire. Nous n’oublions pas que, en 2014, le président du Sénat d’alors, M. Jean-Pierre Bel, était aux côtés du peuple tunisien pour célébrer la naissance de notre constitution.

Les slogans lancés au cours de la révolution ont puisé leurs sources dans les valeurs universelles de liberté, de justice et de démocratie. Comme le disait Pierre Mendès France, cher à nos deux patries, « la démocratie est d’abord un état d’esprit ».

En cette chambre haute du Parlement, temple de la démocratie, je peux affirmer que cet état d’esprit est aujourd’hui ancré dans notre vie politique, tout comme les valeurs démocratiques sont désormais ancrées dans notre constitution.

Le processus n’a certes pas été facile ; il n’est d’ailleurs pas achevé, et je m’incline devant la mémoire de ceux qui l’ont payé de leur vie. Un terrorisme aveugle, sans foi ni loi, a fait des victimes parmi les leaders tunisiens, les soldats, les membres des forces de sécurité, les civils et, tout récemment encore, parmi nos hôtes.

Mais tout au long de ce processus, le peuple tunisien et sa classe politique ont pu démontrer et affermir leur maturité, dépasser les oppositions et construire le consensus. Nous avons refusé de voir en la religion un élément de dissension, et nous gouvernons ensemble pour le renouveau économique et la justice sociale.

Ce n’est pas un hasard si la Tunisie a initié la vague des soulèvements arabes et a pu, en un temps si court, faire éclore les bourgeons que nous espérons annonciateurs d’un printemps. La Tunisie a toujours su marquer les esprits et contribuer à façonner son environnement régional. C’est en Tunisie qu’est né ce nom d’Ifriqya qui est devenu, par la suite, celui de tout le continent. C’est en Tunisie, que Phéniciens et Berbères ont donné naissance à l’un des plus grands ports de Méditerranée. C’est en Tunisie qu’a été fondé l’un des plus hauts lieux de l’Islam, la grande mosquée de Kairouan, et c’est de Tunisie que sont partis les fondateurs d’Al Quaraouiyine à Fès et d’Al Azhar au Caire.

La Tunisie de la Zitouna a donné à l’islam du juste milieu ses lectures les plus éclairées et parmi les plus brillants de ses savants. Cette lecture d’ouverture de l’islam n’est pas une innovation, c’est celle de la vieille orthodoxie malékite, bien antérieure aux doctrines rigides et extrémistes.

Très souvent, dans le monde, on confond islamisme et islam. L’islamisme est un mouvement essentiellement politique. Il instrumentalise la religion musulmane pour arriver au pouvoir en utilisant la force et la violence.

L’islam tunisien est également celui des réformateurs du XIXe siècle avec Kheireddine Pacha et d’illustres figures féminines telles que Aziza Othmana et Fatma El Fehria, ainsi que des réformateurs sociaux à l’instar de Mohamed Ali El Hammi et Tahar Haddad. À chaque fois, la Tunisie, confiante en son identité et attachée à son héritage, a répondu par les mots et non par la violence, mobilisant le génie face à l’obscurantisme.

C’est ainsi que la Tunisie a été le premier pays arabe à abolir l’esclavage en 1848, à promulguer une constitution en 1861, à donner le droit de vote aux femmes en 1957 et à initier, en 2011, un mouvement mondial et populaire de revendications démocratiques de la Kasbah à Tahrir, de la Puerta del Sol à Taksim, de Wall Street à Syntagma.

Ainsi la Tunisie est-elle à la fois singulière et complètement méditerranéenne, arabe, musulmane, africaine et inscrite dans une dynamique mondiale.

Notre histoire ouverte aux influences multiples nous a permis d’éviter des écueils, mais le message que nous portons aujourd’hui est celui de la parfaite compatibilité entre chacune de ces cultures et les valeurs de la République. Les peuples arabes et musulmans aspirent, comme tous les autres, à la démocratie, et le respect des libertés de croyance et de conscience y est possible. C’est ce qu’affirme notre constitution. Nous croyons en la possible coexistence pacifique entre les peuples et les religions. Elle est inscrite dans notre histoire.

Aussi sommes-nous frappés d’une grande tristesse lorsque la barbarie s’exprime de la manière la plus odieuse, comme cela a été le cas au Bardo, comme cela a été le cas à Paris en janvier dernier. Je tiens à saluer la mémoire de ses victimes, au nombre desquelles Yoav Hattab, que vous avez cité, monsieur le président, Elsa Cayat, François-Michel Saada et Georges Wolinski, qui étaient tous des enfants de Tunis.

Le refus de la barbarie s’exprimait déjà au cours de la Seconde Guerre mondiale par la bouche d’Habib Bourguiba, fondateur de la République tunisienne, qui, le 8 janvier 1943, à son retour d’exil, rappelait à l’ensemble de la population et à ses militants son rejet du fascisme et son soutien à la résistance gaulliste.

Je me rappelle que l’un de nos militants de base, interpellant Habib Bourguiba, lui avait dit ceci : « Alors, vous voulez que nous devenions des gaullistes, aujourd’hui ? » Ce à quoi Habib avait répondu : « Oui, monsieur, mieux vaut être gaulliste que dans les rangs des fascistes ! » (Vifs applaudissements.)

Néanmoins, nos acquis ne sauraient occulter les graves dangers qui risquent de grever le processus de transition démocratique.

La situation économique et sociale du pays s’est dégradée. Les finances publiques ont été déséquilibrées. La croissance s’est affaiblie. L’investissement privé s’est ralenti et le taux de chômage a fortement augmenté. Les exemples historiques sont nombreux qui montrent que des révolutions échouent par dégradation des situations économiques.

À tout cela s’ajoute le prix très lourd que nous payons en raison de la situation d’un pays voisin, la Libye. N’oublions pas que l’intervention en Libye s’est faite en soutien aux aspirations du peuple libyen à la démocratie. La réussite de la transition tunisienne est de ce point de vue essentielle. Elle peut être un exemple vivant et proche d’une transition réussie, d’une prospérité renouvelée et renforcée, ainsi que d’un débat pacifié.

L’enjeu, aujourd’hui, pour la Tunisie, est de conforter sa transition politique par une relance économique soutenue.

La création d’emplois reste évidemment la priorité, et un vaste programme de réforme des systèmes de formation professionnelle et d’éducation est en cours de préparation.

Mais nous savons également que le rétablissement de la sécurité et l’apaisement du climat social sont des conditions nécessaires pour le redressement de la situation économique.

Pour l’ensemble de ces actions, la Tunisie a besoin aujourd’hui que ses partenaires et amis se tiennent à ses côtés : pour investir à nos côtés, pour mobiliser avec nous des investisseurs potentiels, mais surtout pour nous accompagner sur les actions les plus structurantes et de plus longue haleine que sont la formation et la réforme administrative. Et en ce lieu de représentation des collectivités territoriales de la République, je voudrais tout particulièrement mentionner la mise en place d’une nouvelle gouvernance régionale et locale : nous nous en sommes entretenus, monsieur le président du Sénat, et j’ai bien compris, à l’écoute de votre message, que vous étiez favorable à une telle évolution.

Pour atteindre ces objectifs, la coopération décentralisée entre villes, entre gouvernorats tunisiens et régions françaises jouera un rôle essentiel.

À cet effet, nous appelons à une politique volontariste en matière d’échanges, de partenariat et d’investissement, fondée sur la complémentarité.

Nous appelons à l’instauration avec nos partenaires d’un cadre permanent de réflexion, à la mise en place d’une fondation pour promouvoir l’intégration verticale

Europe-Méditerranée-Afrique, en y incluant peut-être les pays du Golfe – mais c’est là un avenir beaucoup plus lointain.

La France assumera en mai prochain la présidence du dialogue 5+5. Travaillons ensemble à faire de la Méditerranée le centre d’un espace de prospérité partagée et non pas un mur qui ne sera jamais assez haut pour garantir la sécurité des uns et pour contenir la désespérance des autres.

Au sud, la Tunisie continuera à œuvrer pour faire du Grand Maghreb une aire de coopération économique renforcée. Ensemble, nous pouvons faire de la Méditerranée un lieu d’échanges culturels, une force économique et un modèle de développement environnemental, car nous partageons les mêmes valeurs, une même histoire, ainsi qu’une culture et une langue.

La Tunisie continuera de jouer son rôle de pont entre les cultures, les continents, les religions, un pont entre les jeunesses d’Europe, du monde arabe et d’Afrique.

Dans ces conditions, monsieur le président, permettez-moi de conclure mon allocution en saluant ces jeunesses, en appelant au renforcement de leurs relations, en les invitant à être les gardiens et les acteurs des liens déjà forts et anciens entre nos deux pays.

Vive l’amitié entre la France et la Tunisie ! Vive le Sénat français ! (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que MM. les ministres se lèvent et applaudissent vivement et longuement.)

M. Gérard Larcher, président du Sénat. Monsieur le président de la République tunisienne, le Sénat a été particulièrement honoré de vous accueillir dans sa salle des séances, en présence de plusieurs membres du Gouvernement.

Au nom de toute notre assemblée, je vous remercie chaleureusement pour votre intervention. (Applaudissements.)

(La séance, suspendue à quinze heures quarante, est reprise à seize heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

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Hommage à Jean Germain

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume.

M. Didier Guillaume. Monsieur le président, je tiens à vous remercier très vivement des mots que vous avez prononcés tout à l’heure à la suite du décès tragique de notre collègue et ami Jean Germain. (Applaudissements.)

Rien ne peut justifier la mort d’un homme, mais nous devons respecter le choix de Jean Germain.

Lorsqu’il siégeait dans l’hémicycle, il intervenait avec parcimonie, mais il écrivait et travaillait beaucoup, vous l’avez dit, monsieur le président. Nous qui l’avons connu savons qu’il était en effet un travailleur infatigable et, je le crois, un exemple pour tous.

Aujourd’hui, nous sommes abattus par cette nouvelle. Néanmoins, monsieur le président, je voulais, en mon nom personnel, au nom du groupe socialiste, ainsi que, je pense pouvoir le dire, au nom de l’ensemble des sénateurs et sénatrices, saluer l’acte fort, républicain et chaleureux par lequel vous avez rendu hommage à Jean Germain. (Applaudissements.)

M. le président. Croyez bien, monsieur le président du groupe socialiste, que mes mots venaient du cœur.

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Dossier législatif : projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
Discussion générale (suite)

Croissance, activité et égalité des chances économiques

Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (projet n° 300, texte de la commission n° 371, rapport n° 370, tomes I, II et III).

Rappels au règlement

M. le président. La parole est à M. Éric Bocquet, pour un rappel au règlement.

 
 
 

M. Éric Bocquet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon rappel au règlement a trait à l’organisation de nos travaux.

Était-il possible d’examiner sereinement un projet de loi comme celui dont nous débutons aujourd’hui la discussion en séance publique ?

Dans un premier temps, nous nous étions dit que les semaines allant du 14 février – date de l’adoption des derniers articles à l’Assemblée nationale – à ce mardi 7 avril pourraient être mises à profit pour étudier sereinement un texte qui, en son état initial, comprenait déjà 106 articles, soit un nombre assez important, mais encore « gérable ». Le problème, c’est que ce nombre a été porté à 209 par la commission spéciale de l’Assemblée nationale, puis à 295 en séance publique.

Ce qui était un texte pléthorique est devenu tout bonnement un monstre juridique, un texte instable, instable comme un terrain argileux où le Parlement risque fort de s’embourber.

Les quelques semaines de délai dont nous disposions au Sénat pour étudier ce projet se sont immédiatement avérées bien trop courtes.

Votre projet, monsieur le ministre de l’économie, aborde maintenant des dizaines de thèmes différents, et chacun aurait pu justifier un texte particulier. La commission spéciale du Sénat a reconnu d’emblée ce caractère hétéroclite.

Rappelons en effet que ce projet de loi traite de points aussi divers que le travail dominical, le permis de conduire, le logement, la libéralisation du transport par car, la méthode de privatisation, trois privatisations importantes, la filialisation des CHU, la simplification de la comptabilité des entreprises, les tribunaux de commerce, qui font l’objet d’une réforme non négligeable, le fonctionnement des conseils de prud’hommes, l’urbanisme commercial, les professions réglementées, le canal Seine-Nord – cher à notre cœur –, les obligations d’emploi de travailleurs handicapés, le droit de licenciement, auquel sont apportées de substantielles modifications, l’évolution de la profession de taxi, l’organisation des concessions d’autoroutes… À cette liste loin d’être exhaustive la commission spéciale du Sénat a encore ajouté les seuils sociaux, le compte pénibilité et, cerise sur le gâteau, l’ouverture à la concurrence des TER.

Certains vieux « routiers » du Parlement évoquent les DDOEF de jadis, ces textes portant diverses dispositions d’ordre économique et financier qu’on a beaucoup vus dans les années 1980 et 1990.

En fait, ce projet de loi n’a rien à voir avec ces pratiques anciennes. De l’avis même du Gouvernement – et cela a été martelé par vous-même monsieur le ministre –, il s’agit d’un texte parfaitement idéologique. Il doit, selon vous, permettre d’adapter la France à la mondialisation libérale, le meilleur moyen étant de la déréguler à outrance.

Pourquoi le choix d’un texte aussi massif et disparate ? Selon nous, pour deux raisons. D’abord, il s’agit de brouiller les pistes : qui peut en effet s’y retrouver dans ce capharnaüm juridique ? Ensuite, il s’agit de souligner la cohérence d’un texte qui démontre que le libéralisme est une conception susceptible de s’appliquer dans tous les secteurs de la société.

À cette cohérence libérale, nous opposerons tout au long de cette discussion, une cohérence sociale

Alors, monsieur le président, permettez-moi de vous poser cette question : vous qui avez à cœur la rénovation du travail parlementaire, estimez-vous acceptable d’examiner dans ces conditions un texte d’une telle ampleur ?

Je l’ai dit, nous ne disposions que de quelques semaines pour étudier un texte passé de 106 à 295 articles. Mais nous n’avons disposé que de six jours, week-end compris, pour examiner le texte modifié en commission spéciale par 347 amendements.

Le rapport, dont les deux premiers tomes comptent quelque 1 200 pages, ne fut disponible qu’en début de semaine dernière, alors que le délai limite de dépôt des amendements était fixé au jeudi 2 avril. On peut parler de complète précipitation eu égard à la longueur du texte et à l’extrême variété des sujets évoqués.

Par ailleurs, monsieur le président, acceptez-vous que le Gouvernement impose au Sénat de débattre dans un délai de deux semaines, tandis que l’Assemblée nationale, dans le cadre d’un temps programmé assoupli, mais d’un temps programmé quand même, a débattu pendant trois semaines ?

Nous avons 1 660 amendements à examiner – dont plus de 100 déposés par le Gouvernement –, alors que le travail a été pour le moins hâtif en commission spéciale, ce qui nécessitera du temps en séance publique pour y voir plus clair.

Ne croyez-vous pas qu’il faudrait au plus vite faire le point, avant même la discussion des articles, pour tenter d’expliquer au Gouvernement que débattre dans de telles conditions n’est pas tout à fait démocratique et donne à l’exécutif une forme de pleins pouvoirs législatifs ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino, pour un rappel au règlement.

 
 
 

M. Jean-Pierre Bosino. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon rappel au règlement se fonde sur l’article16 de celui-ci et a, lui aussi, trait à l’organisation de nos travaux.

Je souhaite revenir plus particulièrement sur le travail de la commission spéciale.

Premièrement, j’estime qu’un texte de cette ampleur aurait dû mobiliser l’ensemble des commissions, pour permettre au plus grand nombre de sénateurs de pouvoir travailler en amont, débattre et défendre des amendements.

La constitution d’une commission spéciale a été décidée le 14 décembre dernier, quand le projet de loi ne comportait que 106 articles et était examiné par la commission spéciale de l’Assemblée nationale. La prudence aurait nécessité d’attendre avant de déterminer la nature de la structure qui serait chargée de préparer le débat en séance publique.

De plus, pour une raison qui échappe à beaucoup, si huit rapporteurs ont été désignés à l’Assemblée nationale, le travail a été concentré au Sénat sur trois rapporteurs.

Alors que le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale ne fut transmis au Sénat que le 19 février, que les assemblées ont suspendu leurs travaux du 23 au 27 février, que la campagne pour les élections départementales, dont les enjeux sont devenus nationaux, mobilisait les énergies de tous, la première date limite de dépôt d’amendements sur près de deux tiers des articles fut fixée au jeudi 12 mars. Il était quasiment impossible aux groupes politiques, et en particulier aux groupes de faible effectif, de réaliser un travail d’analyse et de proposition. Dans ces conditions, mon groupe s’est contenté de déposer, à cette occasion, des amendements de suppression.

Monsieur le président, vous cherchez à promouvoir une attitude constructive du Sénat sur ce texte, mais cette précipitation ne peut permettre de rapprocher les points de vue, bien au contraire.

Ce projet de loi, mes chers collègues, est une démonstration par l’absurde de la raison essentielle des difficultés du travail parlementaire : l’inflation législative. La pression normative en général et la politique de l’affichage par le vote de lois de circonstances provoquent une effervescence du travail législatif nuisible à sa qualité.

Combien de centaines de dispositions comprises dans ce projet de loi seront-elles transcrites réellement dans le droit ?

Comment ne pas s’arrêter un instant sur l’excroissance des ordonnances ? Cette pratique qui, selon les auteurs de la Constitution de 1958, devait être exceptionnelle devient monnaie courante. Le Président de la République, pourtant garant du bon fonctionnement des institutions, a lui-même demandé une multiplication des habilitations du Gouvernement à légiférer par ordonnance. La connotation monarchique des ordonnances, par référence aux ordonnances royales, souligne le caractère très peu démocratique de cette méthode législative puisque les ratifications sont soumises au Parlement de manière tout à fait formelle.

Sachant que ce texte compte 254 articles à l’issue des travaux de la commission spéciale du Sénat et que, malgré le nettoyage effectué, il recèle encore très nombreuses habilitations à légiférer par ordonnance, comment considérer, mes chers collègues, que nous allons pouvoir débattre sérieusement ? N’est-ce pas un blanc-seing au Gouvernement et à la technostructure que nous sommes invités à donner ?

Enfin, cette précipitation a nui aux auditions effectuées par la commission spéciale. Alors que les rapporteurs ont beaucoup consulté, la commission n’a procédé qu’à de rares auditions en séance plénière. Les organisations professionnelles, par exemple, n’ont pas été auditionnées. Est-ce acceptable sur un texte comme celui-ci ? J’estime que, si des difficultés apparaissent au cours des débats, il faudra renvoyer le texte à la commission pour qu’elle puisse enfin conduire des auditions en séance plénière. (Protestations sur le banc de la commission.)

Monsieur le président, il serait appréciable que soit arrêtée dès à présent la règle d’un débat sérieux et approfondi, impliquant le refus de travailler dans la précipitation, ce qui va nous conduire à siéger la nuit et même le samedi, afin que le plus grand nombre d’entre nous soient en mesure d’assister aux débats. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. Mes chers collègues, avant que commence la discussion générale et pour faire suite à ces deux rappels au règlement, je voudrais vous inviter à un temps de méditation.

Jamais, depuis 1998, le Sénat n’a eu à examiner autant d’amendements sur un même texte. Monsieur le ministre, le fascicule contenant le projet de loi en l’état représente 228 pages. Il m’a semblé entendre le Président de la République appeler de ses vœux des textes législatifs plus légers, plus toniques. Or, pour ce qui est du projet de loi relatif à la santé, nous en sommes pour le moment à 171 pages…

Je veux saluer le travail très important réalisé par la commission spéciale, remercier son président et ses trois corapporteurs, ainsi que tous ses membres. Ce travail peut être résumé en quelques chiffres : 104 auditions, 218 contributions extérieures, 26 heures de réunions destinées à examiner les 1 000 amendements déposés en commission.

Demain, la conférence des présidents devra se pencher sur le déroulement de nos travaux. Il nous faudra débattre, avec les présidents de groupe, le président de la commission spéciale et tous les autres membres de la conférence des présidents, de la meilleure manière de mener cette discussion à terme.

Vous le savez, monsieur le ministre, vendredi, j’ai écrit au Premier ministre. Il m’est en effet apparu que le dépôt au dernier moment, par le Gouvernement, de quelque 170 amendements, dont certains tendent à récrire entièrement des articles, ne me semblait pas une bonne manière de travailler ni de respecter le bicamérisme. Nous avons mis la fin de la semaine dernière à profit pour avoir des échanges. Je sais que vous-même, monsieur le ministre, avez rencontré le président de la commission spéciale. Le Gouvernement a, ainsi, finalement renoncé à un certain nombre d’amendements.

Je me permets néanmoins d’insister sur le fait que, s’agissant des méthodes de travail, celles du Sénat ne sont pas seules en cause : en l’occurrence, celles du Gouvernement le sont peut-être aussi.

J’appelle donc chacune et chacun à réfléchir, d’ici à la conférence des présidents de demain, à ce qui pourrait nous permettre d’atteindre notre objectif. Car, ne l’oublions pas, c’est dans l’intérêt de notre pays que nous devons élaborer le meilleur texte possible, à l’heure où il nous faut impérativement répondre, en particulier, aux défis du chômage et de la compétitivité de nos entreprises.

Discussion générale

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
Exception d'irrecevabilité

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique. Avant toute chose, je veux à mon tour exprimer l’émotion du Gouvernement après la disparition de Jean Germain. L’homme nous manquera, assurément, et je m’associe bien évidemment aux propos tenus par Didier Guillaume, ainsi qu’aux belles paroles prononcées par Gérard Larcher.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui nous réunit aujourd’hui est un texte d’ambition. En effet, c’est l’ambition des Français qui nous oblige à réformer avec ambition. Je parle de l’ambition que les Français ont pour eux-mêmes, pour leur famille, pour leurs enfants et pour leur pays, car cette ambition est le plus grand de nos atouts collectifs. Elle nous interdit de rester sans rien faire ou d’abandonner les unes après les autres les réformes que nous voulons porter au motif que le combat ne vaudrait pas la peine d’être mené.

Cette ambition, que l’on retrouve chez tous ceux que nous rencontrons au quotidien et qui dépasse nombre de nos débats politiques, est légitime : elle n’est rien d’autre que la volonté ardente de retrouver une fierté, d’avancer et de s’en sortir. Cette ambition est partagée par tous ceux qui souffrent de la faiblesse de notre économie, tous ceux qui ont été affaiblis par des années de crise, tous ceux qui ne demandent rien d’autre que de pouvoir se battre pour retrouver des perspectives.

Cette ambition de créer, d’investir, d’entreprendre et de travailler, nous devrions l’épauler, la renforcer. Or, aujourd’hui, elle est trop souvent bridée dans notre pays : la défiance, la complexité, les corporatismes l’empêchent de se déployer. La libérer, lui permettre de se réaliser, c’est l’unique moyen de débloquer notre économie, de la débloquer fort, de la débloquer vite et de la débloquer pour longtemps.

Les responsables politiques, les pouvoirs publics, le Parlement, le Gouvernement, nous avons tous une responsabilité. C’est pourquoi nous avons le devoir de répondre à ces attentes. Nous avons l’obligation de nous battre pour ceux qui se battent, d’avoir de l’ambition pour ceux qui ont de l’ambition, de défendre tous ceux qui ont l’énergie pour avancer, mais aussi ceux à qui elle fait défaut.

Depuis le début de l’année 2015, une nouvelle donne économique nous permet d’avoir des premiers résultats, qui tiennent non seulement à l’amélioration de la situation macroéconomique, mais aussi aux efforts accomplis par le Gouvernement ; je pense au CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, ou au pacte de responsabilité et de solidarité. Cette nouvelle donne, loin d’être un quitus, un prétexte à l’inaction, doit être un aiguillon pour continuer le travail. Elle doit nous encourager à réformer sans relâche, afin que nous soyons à la hauteur des attentes de nos concitoyens. Chaque jour, nous constatons qu’il y a encore trop d’incertitudes, des marges trop faibles et trop peu de créations d’emplois dans notre pays. La reprise reste fragile, et nous devons collectivement tout faire pour la consolider. Tel est précisément l’objet du texte que je vous présente aujourd’hui.

Ce texte a d’abord été préparé par le Gouvernement tout au long de l’automne dernier, en concertation avec toutes les parties concernées. Il a ensuite été enrichi en profondeur par le travail de vos collègues à l’Assemblée nationale, en commission comme en séance – vous faisiez état à l’instant, monsieur le président, du volume de ce texte, mais c’est aussi le résultat de sa coproduction parlementaire. Les chiffres sont là, factuels, objectifs : il y a eu 82 heures de débat en commission, 111 heures en séance ; au total, 495 amendements ont été adoptés en commission et 559 en séance. Je ne vois pas là le signe d’un évitement du débat parlementaire. Aucune entrave n’a, me semble-t-il, été posée au bon déroulement des travaux législatifs, et j’espère que le débat au Sénat sera aussi constructif que celui qui s’est tenu à l’Assemblée nationale, où ce ne sont pas seulement des amendements de la majorité qui ont été adoptés, mais bien des amendements émanant de tous les bords politiques. À cet égard, l’usage de l’article 49-3 était un acte de responsabilité, au moment où notre économie est en état d’urgence et où des mesures sont attendues par nos concitoyens.

Le résultat est là : le texte qui a été soumis à la commission spéciale du Sénat dirigée par Vincent Capo-Canellas, que je tiens à remercier, est bien meilleur que celui que nous avions originellement proposé à l’Assemblée nationale.

M. Jean-Claude Lenoir. Le nôtre sera encore meilleur !

M. Emmanuel Macron, ministre. Il a profité du caractère contradictoire des débats et a été enrichi par des mesures concrètes. Il lève davantage de blocages, comme sur le permis de conduire. Il va vers plus d’efficacité économique, plus de simplicité au quotidien et plus de justice, comme sur le référentiel qui aidera les juges prud’homaux à fixer les indemnités. Il s’applique aussi à donner plus de droits réels et à offrir plus d’opportunités à nos concitoyens.

C’est précisément la philosophie de ce texte que de s’attacher en priorité à recréer des droits réels et à revisiter certains formalismes du droit derrière lesquels il est trop facile de se réfugier. Il vise aussi à rejeter une alternative simpliste : défendre le formalisme du droit existant ou, au contraire, tout libéraliser, qui peut également conduire à une forme d’immobilisme. Il existe selon nous une réponse intermédiaire, qui consiste à revisiter la réalité du quotidien de nos concitoyens en cherchant à récréer concrètement des droits réels et à redonner sa place à chaque acteur.

L’examen du projet de loi au Sénat est un moment décisif du processus parlementaire. Ensemble, fixons-nous trois exigences pour nos échanges à venir : enrichir le texte, l’améliorer et débattre.

La première exigence, c’est d’enrichir le texte en lui permettant d’être le vecteur de nouvelles réformes de structure, tout en conservant sa philosophie, à savoir aller vers plus de justice et plus d’efficacité. Je pense par exemple à la modernisation des chambres de commerce et d’industrie. Je pense également à des dispositions qui n’étaient pas initialement présentes dans le projet de loi. Au cours des discussions que j’ai pu avoir avec nombre d’entre vous ces dernières semaines, j’ai pu mesurer que l’équilibre de nos territoires était peut-être insuffisamment pris en compte. Nous pourrons donc collectivement essayer de créer plus d’unité, plus d’égalité et plus d’équilibre dans nos territoires. La modernisation de notre économie passe aussi par le renforcement de cet équilibre. Il me semble donc que, sur le numérique ou d’autres points, il est possible d’enrichir ce texte dans le bon sens.

La deuxième exigence, c’est précisément d’améliorer le texte, de parfaire ce qu’il contient déjà. Je pense notamment au sujet des autoroutes, sur lequel j’aurai l’occasion de revenir et pour lequel je vous propose que nous traduisions dans la loi les conclusions du groupe de travail transpartisan auquel nombre d’entre vous ont participé. Je souhaite aussi que l’examen de ce texte soit l’occasion d’avancer sur des enjeux importants comme celui relatif à la constitution de structures d’exercice interprofessionnelle associant des professions juridiques entre elles et des professions juridiques et du chiffre ou à celui concernant l’injonction structurelle ou les contrats de franchise dans les secteurs du commerce de détail.

Enfin, la troisième exigence est celle du débat. Dès aujourd’hui, nous devons engager ensemble des discussions sur des réformes capitales. J’ai en particulier à l’esprit les accords de maintien de l’emploi, ainsi que le droit d’information préalable des salariés. Je sais que vous allez aborder ces sujets lors de nos discussions. Je vous précise que, sur ces deux points, aucun amendement ne pourra obtenir l’avis favorable du Gouvernement, car il y a une articulation des temps à respecter. Les discussions sont en cours avec les partenaires sociaux et un bilan sera établi d’ici à la fin du mois de mai. Il faut donc attendre que le temps de la négociation sociale soit terminé.

Enrichir, améliorer, débattre : voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, les trois exigences que, pour ma part, je compte respecter. Cette volonté me semble partagée par la commission spéciale, qui a adopté 124 articles conformes et largement modifié et enrichi le texte. Soyez assurés que je répondrai sur le fond, point par point, et que je ne me lasserai jamais de tenter de vous convaincre de l’intérêt pour notre économie de chacune des mesures contenues dans ce texte, y compris celles qui n’ont pas emporté l’assentiment de la commission spéciale, comme la question des professions réglementées. Chacune de ces mesures est importante. Aussi ne doivent-elles pas être détournées, amoindries ou émoussées.

Je ne fixe pour ma part qu’une seule limite à ma volonté de débat permanent : ne pas être en deçà de l’ambition réformiste qui est la nôtre. Les 170 amendements de rétablissement déposés par le Gouvernement traduisent cet état d’esprit. J’insiste sur ce point de forme : ils ont été déposés dans les délais. (Rires et exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Bruno Retailleau. Heureusement !

M. le président. Sinon ils n’auraient pas été recevables !

M. Emmanuel Macron, ministre. Comme vous le savez, le Gouvernement peut aussi déposer des amendements en séance, au dernier moment.

M. Jean-Claude Lenoir. Oh non ! Pas ça ! (Sourires.)

M. Emmanuel Macron, ministre. Ce n’est pas l’option que nous avons retenue. J’ai refusé l’hypocrisie qui aurait consisté à ne pas chercher à rétablir en séance publique les articles supprimés par la commission spéciale du Sénat et à attendre le retour du texte à l’Assemblée nationale. Ce faisant, je fais peut-être preuve de naïveté ou d’inexpérience, mais c’est, me semble-t-il, une question d’honnêteté. Oui, je crois au débat parlementaire plein et entier, à l’Assemblée nationale comme au Sénat ! Je considère ainsi qu’il est de mon devoir de défendre des articles qui me semblent indispensables à l’équilibre du texte.

Mme Nicole Bricq. Nous vous soutiendrons !

M. Emmanuel Macron, ministre. Les amendements que le Gouvernement a déposés procèdent du souci de préserver l’ambition du texte ; j’ai toutefois décidé de retirer ce matin une cinquantaine d’amendements qui me paraissaient inutiles. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Emmanuel Macron, ministre. Il serait regrettable de revenir sur la réforme des professions réglementées, du transport par autocar, du permis de conduire – beaucoup de nos jeunes l’attendent – ou de la simplification des procédures pour les grands projets. Réduire l’ambition, ce serait en quelque sorte accepter de ne pas être au rendez-vous. Mon état d’esprit, à l’ouverture de cette discussion, est celui d’une ambition commune, mais nous ne pourrons pas construire de bons accords aux dépens des ambitions du Gouvernement.

Je ne considère le Sénat ni comme une chambre d’enregistrement ni comme une chambre de rejet, mais comme une étape à part entière du débat démocratique. Nos discussions ne doivent pas nous empêcher de continuer à avancer, à réformer et à traduire en actes ces réformes, car nos concitoyens les attendent et les réclament. Pour ma part, je n’aurai qu’un seul objectif : l’intérêt général. Collectivement, utilement, avançons dans ce sens autour des trois axes du projet de loi : libérer, investir et travailler.

Libérer – c’est le premier pilier du texte –, c’est donner des accès à notre système, à certains emplois, à certains secteurs. La première égalité à restaurer, c’est l’égalité des opportunités.

L’ouverture concerne certains secteurs majeurs de notre économie. Le projet de loi prévoit notamment de réformer le secteur des autocars, que j’évoquais il y a un instant, afin de favoriser la mobilité. Aujourd'hui, il est impossible de se rendre à peu de frais où l’on veut – par exemple d’aller à Nantes depuis Bordeaux – autrement qu’en voiture ou en train. L’an dernier – je ne citerai que ce chiffre, pour qu’il soit présent dans les esprits –, seules 110 000 personnes ont voyagé en car en France, contre 8 millions en Allemagne et 30 millions au Royaume-Uni. En effet, notre droit pose une interdiction de principe : dans ce domaine, la liberté d’entreprendre est une dérogation.

La portée de la réforme a été – nous aurons l’occasion d’en discuter – quelque peu réduite par les travaux de la commission spéciale, qui a notamment relevé à 200 kilomètres le seuil en dessous duquel l’autorité organisatrice des transports pourra interdire les lignes d’autocars qui feraient concurrence aux services publics de transport, après avis simple de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières. Or il faut garder l’ambition de mobilité et de simplicité du projet initial. Il s’agit à la fois de favoriser la mobilité de nos concitoyens, en particulier des plus modestes, et de libérer la capacité à entreprendre et à créer de l’emploi dans un secteur important.

Favoriser la mobilité, cela concerne aussi le permis de conduire. La réforme engagée par le Gouvernement en juin 2014 a franchi une étape importante à l’Assemblée nationale. De nouveaux droits ont été reconnus et une organisation administrative de l’examen pratique et des cours dispensés en amont a été créée pour réduire à 45 jours – c’est la moyenne européenne – les délais d’attente, qui sont aujourd'hui de 98 jours en moyenne et atteignent 200 jours dans certaines régions.

La situation actuelle est une entrave à la mobilité sur le territoire, mais c’est surtout une entrave à l’accès à l’emploi – elle empêche certains de se déplacer pour répondre à une offre d’emploi ou pour travailler – et à la liberté de se distraire. C’est donc une véritable injustice. Réduire l’ambition de la réforme adoptée par l’Assemblée nationale, c’est retirer des chances, en rendant l’obtention du permis de conduire moins simple et moins rapide. Peut-être peut-on faire mieux encore ; je n’aspire qu’à être convaincu. On peut aller plus loin, mais on ne saurait aller moins loin, car le statu quo n’est pas satisfaisant.

Libérer l’activité, c’est également favoriser la concurrence et mieux réguler les situations de monopole. Certains secteurs de notre économie sont insuffisamment transparents, voire même capturés par quelques acteurs. Le projet de loi prévoit de renforcer la transparence à tous les niveaux. Il s’agit par exemple de s’assurer que les documents d’urbanisme ne soient pas trop restrictifs et de permettre un meilleur fonctionnement du marché de la distribution, en donnant des pouvoirs supplémentaires à l’Autorité de la concurrence ; nous aurons l’occasion de revenir sur cette injonction structurelle.

Renforcer la transparence, c’est aussi permettre à une autorité de régulation, ainsi qu’au Parlement, de mieux réguler les concessions autoroutières. S’il y a bien un domaine dans lequel nous avons échoué collectivement depuis dix ans, c’est celui-là : force est de constater que les concessions autoroutières n’ont pas été régulées de manière satisfaisante. Le projet de loi prévoit d’étendre les compétences de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, l’ARAF, à la régulation du secteur autoroutier et du transport régulier routier de personnes ; il s’agit des autocars, dont je viens de parler. L’ARAF deviendra ainsi l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l’ARAFER.

L’ARAFER aura pour mission d’appuyer l’État dans les négociations tarifaires avec les sociétés concessionnaires d’autoroutes. Elle devra notamment garantir la meilleure prise en compte de l’intérêt des usagers dans le cadrage financier des investissements autoroutiers, un meilleur paramétrage des contrats de concession et une plus grande transparence dans les procédures de passation des marchés de travaux. C’est sur ce dernier point que nous avons tout particulièrement échoué. L’ARAFER sera dotée des pouvoirs d’investigation nécessaires au suivi des contrats. L’Assemblée nationale a également introduit une disposition prévoyant l’information du Parlement avant la conclusion des contrats. En outre, des clauses de bonne fortune devront obligatoirement être introduites dans le cadre d’une remise à plat des contrats pour les futures concessions.

Je tiens à saluer, comme j’ai déjà eu l’occasion de le faire ici même il y a quelques semaines, le rapport du groupe de travail parlementaire qui s’est réuni pendant près de deux mois afin de rendre une expertise sur le sujet. Dans la lignée du rapport, plusieurs amendements ont été déposés, notamment par Jean-Jacques Filleul, afin de renforcer la transparence des contrats et le pouvoir d’information et d’analyse de l’ARAFER.

Il est aussi proposé d’interdire pour l’avenir l’allongement systématique de la durée des concessions, qui avait été fortement critiqué tant par des parlementaires de tous bords que par les PME du secteur. Les plans de relance éventuels doivent être pleinement transparents vis-à-vis du Parlement et être soumis au plein contrôle, dans tous ses aspects économiques, de la nouvelle autorité de régulation.

Par ailleurs, le projet de loi a pour objectif de moderniser les professions du droit. Cet aspect a beaucoup fait parler de lui. La version du texte adoptée par votre commission spéciale indique que vous ne partagez pas l’approche que nous proposons pour atteindre cet objectif.

M. Henri de Raincourt. Ça, c’est sûr !

M. Emmanuel Macron, ministre. Je le regrette. D’autres approches ont été tentées par le passé, notamment dans le cadre de la réforme de 2009, mais elles ont échoué. Les professionnels n’ont en effet pas tenu leur engagement – ils l’ont eux-mêmes reconnu – de créer 3 000 à 4 000 postes pleins et entiers de notaires. Il faut dire qu’il n’y avait pas de mouvement spontané. D'ailleurs, oserais-je dire, s’il y avait un mouvement spontané, nous l’aurions collectivement constaté.

J’en viens aux grandes lignes de la réforme. La première est de ne pas toucher à ce qui fonctionne bien.

M. David Assouline. Arrêtez de défendre vos copains !

M. Emmanuel Macron, ministre. Les fondamentaux des professions du droit sont conservés. Par exemple, contrairement à ce qui a pu être décidé par le passé, nous n’allons pas revenir sur l’acte authentique des notaires. Il a pu être considéré que l’acte d’avocat pouvait être une bonne façon de le revisiter. Nous ne partageons pas ce point de vue. La sécurité juridique des missions de ces professionnels sera préservée dans son intégralité. Le maillage territorial, qui implique la présence de professionnels partout dans notre pays, est également un élément fondamental. Il est lui aussi préservé ; j’y reviendrai.

Certains éléments peuvent toutefois être améliorés. Le premier est l’accès aux professions du droit. Il existe actuellement des « déserts », des parties du territoire où nous manquons manifestement de notaires, d’huissiers, etc. En outre, les règles d’accès ne sont pas pleinement méritocratiques et manquent de transparence, ce qui est regrettable ; je pense que nous partageons le même attachement aux valeurs de méritocratie et de transparence. Pour autant, nous sommes tout à fait conscients qu’une liberté complète d’installation ne serait pas satisfaisante, car elle pourrait déstabiliser certains territoires ou certains professionnels garants de la sécurité juridique que j’évoquais il y a un instant.

Le but est d’apporter une information objective, en établissant une cartographie des manques, pleins et entiers ou relatifs, de professionnels sur le territoire. Là où il y a une insuffisance de professionnels, on peut considérer que la liberté d’installation ne va pas déstabiliser les professionnels en place. Là où il y a un manque relatif, on peut ouvrir un peu l’accès tout en laissant un droit de veto à la Chancellerie. Le droit existant est en revanche satisfaisant pour toutes les zones – elles sont majoritaires – où il y a un nombre suffisant de professionnels. Cette réforme me paraît être de bon sens ; elle me semble suffisamment objectivée pour pouvoir fonctionner.

Le deuxième élément est l’interprofession. Je crois – nous aurons l’occasion d’y revenir – que l’ouverture du capital entre professionnels du droit, dont la pleine indépendance déontologique sera garantie, est une bonne mesure pour faciliter le fonctionnement des structures, en particulier dans les territoires, et permettre aux plus jeunes d’accéder plus facilement à la profession, car l’installation sera moins coûteuse et l’organisation plus efficace.

Le texte a été substantiellement amélioré par l’Assemblée nationale. Il s’agit d'abord d’éviter la financiarisation des professions de droit. Contrairement à ce qui a pu être dit, c’était déjà l’intention initiale du Gouvernement. De nombreux verrous avaient été mis, notamment en termes de détention du capital par les professionnels eux-mêmes. Il s’agit ensuite d’éviter de relancer des guerres de territoire entre les professionnels du droit et les professionnels du chiffre. Le texte peut encore être amélioré pour lever toute ambiguïté. Je crois que les interprofessions que nous allons créer permettront une meilleure organisation et une meilleure ouverture des professions.

Les tarifs sont le troisième élément que l’on peut améliorer sans faire de révolution inutile. Le système actuel n’est pas satisfaisant, car les tarifs sont insuffisamment révisés et ne permettent pas le bon fonctionnement de notre économie. C’est un coût pour nos entreprises et nos concitoyens. Les tarifs sont déconnectés des coûts réels, surtout lorsqu’ils sont proportionnés aux actes ou à la vente.

Il n’est pas aberrant de penser que les tarifs des officiers publics ou ministériels doivent être révisés de manière régulière et en rapport avec les investissements consentis et les coûts réels. C’est cette philosophie d’une plus grande transparence et d’une plus grande adaptabilité des tarifs réglementés que nous défendons. Les professionnels concernés sont les notaires, les greffiers des tribunaux de commerce, les huissiers, les commissaires-priseurs judiciaires, les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires. Nous voulons promouvoir une juste rémunération plus proche des coûts réels.

Le projet de loi, toujours dans la volonté de libérer certains secteurs, vise à développer le logement, plus particulièrement le logement intermédiaire. Nous devons lever ce blocage. C’est parce que cette analyse est largement partagée parmi vous que la commission spéciale n’a pas modifié les principales dispositions du texte adopté par l’Assemblée nationale.

Le développement du logement intermédiaire est aujourd'hui entravé à la fois par des difficultés techniques liées à une réglementation excessive et parfois hétérogène entre le zonage « fiscal » et le zonage « réglementaire » – il faut donc la simplifier – et par les problèmes génériques que rencontre le secteur du logement : délai de délivrance des avis et accords périphériques au droit des sols trop long, complexité des régimes d’autorisation, complexité et parfois redondance des études environnementales à produire. Ce sont d’autant d’éléments que le projet de loi tend à simplifier. Il me semble important d’opérer cette simplification, afin de rendre notre droit plus lisible et d’accélérer les procédures, sans renoncer à nos exigences environnementales et démocratiques. Le système sera ainsi plus cohérent.

Il convient aussi de mettre en place des garde-fous pour que le développement du logement intermédiaire ne se fasse pas au détriment du logement social. L’étanchéité entre les offices d’HLM et leurs filiales est renforcée. Concernant les rapports bailleurs-locataires, diverses mesures viennent aménager des dispositions de la loi du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové, dite « loi ALUR », afin d’assurer un juste équilibre entre protection des locataires et incitation à l’investissement dans le logement. Les députés ont par ailleurs adopté une mesure qui protégera les locataires ayant à leur charge une personne âgée, sous condition de ressources ; cette mesure a été conservée par votre commission spéciale. Je crois que, à ce stade, cette partie du texte fait consensus.

Le deuxième pilier du projet de loi, c’est l’investissement. Nous devons investir plus et mieux, car c’est l’un des éléments qui permettra la reprise d’activité dont notre économie a besoin. Diverses dispositions tendent à simplifier les critères d’investissement, à associer davantage les salariés et à renforcer la stratégie de l’État actionnaire.

Le projet de loi vise à accroître l’investissement dans les infrastructures numériques. Comme je l’ai déjà souligné, je crois que nous pouvons aller encore plus loin. Plusieurs amendements ont été déposés en ce sens. Il faut accélérer l’investissement de l’État et des opérateurs dans les infrastructures numériques, afin d’améliorer la couverture fibre et la couverture mobile de notre territoire, car c’est un véritable levier pour garantir une plus grande égalité des territoires, mais aussi – c’est toute la philosophie du projet de loi – pour accroître l’accès réel de nos concitoyens à l’économie et à de nouveaux droits. Or si le numérique ne fonctionne pas sur nos territoires, comment tenir ce discours de manière cohérente ?

Le déploiement de la fibre optique doit être accéléré. Pour ce faire, il nous faut lever les blocages qui empêchent son introduction dans chaque foyer. C’est l’objet de plusieurs dispositions du texte, qui pourront être renforcées. Nous pourrons aussi, comme nous aurons l’occasion d’en débattre, donner de la visibilité aux conditions de passage du réseau hérité du cuivre vers les nouveaux réseaux de fibre optique.

Pour investir efficacement, le projet de loi prévoit un encadrement des accords de partage des réseaux mobiles afin non pas de freiner l’investissement, mais de l’encourager en assurant une transition réaliste dans le temps.

Investir dans l’avenir, c’est aussi apporter des améliorations tangibles dans la vie de nos concitoyens, où qu’ils se trouvent sur le territoire. Des propositions ont été faites à cet égard en matière de couverture des zones blanches de la téléphonie mobile ; nous pourrons nous appuyer sur les travaux réalisés en commission spéciale pour avancer ensemble sur ce sujet d’importance.

Le texte a en outre pour objet de faciliter la réalisation de grands projets en étendant les expérimentations d’autorisation unique et de certificats de projet en cours – j’y faisais référence voilà un instant en matière de logement. Le certificat de projet est une réponse garantie délivrée en deux mois par le préfet de département permettant aux acteurs économiques, pour une opération donnée, de bénéficier notamment d’un interlocuteur unique, d’un engagement de l’administration sur les procédures nécessaires ou potentiellement nécessaires et sur leur délai d’instruction. Enfin, il s’agit d’apporter une sécurité juridique essentielle, grâce à une cristallisation du droit applicable, sauf exception, à la date de délivrance du certificat, et ce pendant dix-huit mois. Ce dispositif, qui a prouvé son efficacité dans le cadre de l’expérimentation, serait par exemple étendu à l’Île-de-France afin de pouvoir s’appliquer aux projets du Grand Paris.

Vous l’aurez compris, par ces mesures, il s’agit d’accélérer la réalisation de grands projets afin de contribuer au retour de la croissance.

M. François Marc. C’est vrai !

M. Emmanuel Macron, ministre. Elles ont été en partie, voire largement supprimées par la commission spéciale, ce que je regrette. Je pense vraiment que nous devrions y revenir, car c’est un élément d’accélération et de simplification de notre économie. En élargissant ces expérimentations, nous ne renonçons en rien à notre degré d’ambition. Nous évitons simplement d’imposer aux acteurs économiques ce qui relève parfois de nos propres turpitudes. Je le répète, je pense que nous devrions collectivement regarder avec plus d’attention ce point.

Le projet de loi permet aussi de renouer avec l’actionnariat salarié. Récompenser le risque et traquer la rente : tel est l’objectif visé par ce texte, et j’assume l’intégralité des mesures qu’il tend à introduire à cet effet.

Chaque jour, dans notre pays, nous pourrions avoir des débats sur la rémunération de nos dirigeants. C’est d’ailleurs le cas… Comme nous vivons dans une économie ouverte, mondialisée, il faut comprendre que si nous continuons à avoir de tels débats, nous aurons beaucoup de mal à attirer les meilleurs, parfois à les garder, en tout cas à faire réussir notre économie. Pour autant, nous devons avoir le souci commun de moraliser certaines pratiques, à tout le moins d’avoir plus de clarté. L’État a pris ses responsabilités en tant qu’actionnaire dans les entreprises au capital desquelles il est, notamment en prenant des dispositions législatives en la matière. Maintenant, il nous faut trouver un équilibre.

Le texte comprend trois éléments illustrant cette philosophie, sur lesquels je veux ici revenir : l’actionnariat salarié, les bons de souscription pour créateurs d’entreprises et les retraites chapeaux. Avec ces trois dispositifs, nous tentons en quelque sorte d’atteindre l’équilibre que je viens de décrire.

La réforme de l’actionnariat salarié vise à restaurer une forme d’attractivité fiscale et sociale pour nos entreprises, qu’elles soient petites ou grandes. En effet, il s’agit de l’une des conditions de la compétitivité de notre économie.

Mme Nicole Bricq. Très bien !

M. Emmanuel Macron, ministre. À défaut de réforme en la matière, nous continuerons de constater que des entreprises, petites ou grandes, n’arrivent pas à retenir leurs cadres les plus talentueux ou que, pour garder des comités exécutifs, elles les expatrient. Je ne saurais me résoudre à cet état de fait.

Sur ce sujet, nous ne pouvons pas reprocher à nos voisins allemands d’être des grands libéraux dénués de bon sens. Aussi, il me semble qu’aligner notre fiscalité et nos contributions sociales sur le modèle allemand relève du bon sens. Cette philosophie permettra à nos PME de garder ou d’attirer de nouveaux talents, à nos ETI de croître plus vite et à nos grands groupes, qui sont des éléments de notre compétitivité internationale et qui tirent des filières, de rester tout simplement français. Je le répète, je ne me résous pas à voir, mois après mois, des grands groupes décider progressivement, de manière parfois insidieuse, d’installer leur comité exécutif à l’étranger parce qu’ils n’arrivent pas à les rémunérer décemment en France.

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Emmanuel Macron, ministre. Je le dis avec beaucoup de gravité, cette ouverture doit aller de pair avec une certaine exigence. Dire que mieux rémunérer des cadres dirigeants est inacceptable ou prétendre qu’il est logique de voir filer ces entreprises à l’étranger sont deux arguments un peu faciles. C’est pourquoi l’appel à la responsabilité que je lance à ces grands dirigeants doit avoir pour symétrie une responsabilité collective afin de pouvoir appréhender le monde ouvert dans lequel nous vivons.

Réformer les bons de souscription de parts de créateurs d’entreprise a pour objet de restaurer les mécanismes fiscaux et sociaux rendant ces outils suffisamment attractifs pour permettre, en particulier à nos entreprises les plus jeunes et les plus innovantes, d’attirer les talents qu’elles ne peuvent pas payer en salaires et de les garder en les intéressant au capital. Il était important de redonner une attractivité pleine et entière à ce dispositif qui a montré sa force par le passé.

Mme Éliane Assassi. Il faut oser ! Comme si c’était la priorité !

M. Emmanuel Macron, ministre. S’agissant des retraites chapeaux des cadres dirigeants ou des mandataires sociaux, nous introduisons pour la première fois des éléments de moralisation. Nous instaurons également de la transparence et des conditions de performance. S’il est vrai que la rémunération du risque est bonne pour l’économie, l’existence de rentes de situation, avec des salaires différés sans aucun critère de performance, ne peut être considérée comme acceptable. C’est justement ce que vient corriger le projet de loi.

L’épargne salariale sera renforcée, car c’est le meilleur moyen d’associer l’ensemble des salariés à la bonne marche de leur entreprise. Or elle est aujourd’hui trop complexe pour jouer ce rôle de manière satisfaisante, ce qui a tendance à créer une inégalité entre les salariés. Il faut être aveugle pour considérer que tout va bien aujourd’hui en matière d’épargne salariale, alors que huit salariés sur dix y ont accès dans les grands groupes, contre un salarié sur dix dans les PME.

M. Emmanuel Macron, ministre. Dénoncer est une chose, mais corriger est un progrès. Ce texte permet donc de corriger cette inégalité d’accès en étendant pour la première fois les dispositifs aux PME-TPE au travers de la mise en place d’accords d’épargne salariale. Il vise également à améliorer le forfait et, s’agissant des réinvestissements dans un PERCO, un plan d'épargne pour la retraite collectif, les six premières années, à bonifier cet avantage fiscalo-social avec un taux de forfait social encore réduit. (Marques d’impatience sur les travées de l'UMP.)

M. Emmanuel Macron, ministre. La commission spéciale a souhaité sur ce point augmenter la diminution du forfait social proposé par le Gouvernement. En toute honnêteté, je tiens à lui rendre pleinement hommage, car elle a repris à cet égard les conclusions du COPIESAS, le Conseil d'orientation de la participation, de l'intéressement, de l'épargne salariale et de l'actionnariat salarié, de manière plus rigoureuse que le Gouvernement ne l’avait fait. J’avoue ici que nous n’étions pas allés plus loin pour des raisons budgétaires, ces avantages ayant un coût important. Lorsque nous aurons cette discussion – n’y voyez pas un argument d’autorité –, j’évoquerai cette contrainte budgétaire, même si, vous l’avez compris, la philosophie du COPIESAS est partagée par le Gouvernement. Nous avons d’ailleurs déjà introduit des dispositions qui vont dans le sens qu’il préconise.

Pour pouvoir investir sur ses priorités et se désendetter, le Gouvernement propose d’autoriser l’État à céder certains de ses actifs, ou en tout cas de l’encourager à avoir une gestion plus active de son portefeuille de participations. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

M. Emmanuel Macron, ministre. Ce volet servirait d’abord à mieux accompagner des projets industriels d’entreprises publiques. Des dispositions autoriseraient, en particulier, le Gouvernement à mettre en œuvre le projet de rapprochement entre Nexter et KMW. Ce projet, annoncé le 1er juillet 2014, permettrait de créer un leader européen de l’armement terrestre, bénéficiant des compétences et des savoir-faire complémentaires des deux entreprises et disposant d’une envergure suffisante pour assurer son développement, en particulier à l’export.

Mme Cécile Cukierman. On en parlera aux anciens salariés de GIAT !

M. Emmanuel Macron, ministre. Le projet de loi comporte également des dispositions relatives à la création de sociétés de projet en matière de défense nationale. (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.) Je sais que la commission spéciale a auditionné mon collègue ministre de la défense et que le débat reviendra en séance publique…

Ce volet de la loi ouvrirait aussi le capital de certaines entreprises publiques, en particulier de certains aéroports (Mêmes mouvements.), pour permettre à l’État de dégager des ressources financières, avec deux objectifs : d’une part, le désendettement et, d’autre part, le réinvestissement vers certaines priorités. J’aurai l’occasion d’y revenir de manière détaillée, mais je veux dire dès à présent que l’État n’est pas un bon actionnaire dans les sociétés gestionnaires d’aéroports. J’estime même que c’est une erreur de raisonnement de considérer que l’on peut faire respecter la souveraineté, qu’elle soit économique ou nationale, par ce truchement. L’État, au travers des contrats de régulation économique ou des décisions de la Direction générale de l’aviation civile, les fait déjà pleinement respecter, et il ne peut plus se permettre d’être un actionnaire dormant, comme il l’a été pendant des décennies. Nous pouvons continuer à dormir,…

Mme Éliane Assassi. On peut aussi se réveiller !

M. Emmanuel Macron, ministre. … mais nous considérons qu’il est préférable de se réveiller pour réinvestir sur des priorités. Nous l’avons fait dans le passé avec PSA, pour ne citer qu’un exemple.

M. Pierre Charon. Le PS en action.

M. Emmanuel Macron, ministre. Libérer de l’argent de participations qui ne sont plus des priorités pour aller le réinvestir dans d’autres ou se désendetter nous paraît être une philosophie d’État actionnaire plus constructive.

Enfin, le projet de loi a pour objet de réformer les procédures collectives.

Le droit en vigueur consacre la primauté absolue de l’actionnariat au nom de la protection du droit de propriété, même lorsque cette primauté conduit à la destruction de l’entreprise et des emplois. Nous avons, toutes et tous, vécu des situations où les actionnaires en place peuvent bloquer une opération de reprise par des investisseurs qui porteraient un projet. Lorsque les dirigeants et les actionnaires ne peuvent plus sauver leur entreprise, qui se dirige vers la liquidation, le tribunal pourra, en dernier recours, permettre à des créanciers ou à de nouveaux investisseurs de prendre le contrôle de la société contre l’avis des actionnaires, dans le cadre et les conditions que je viens d’évoquer.

Simplifier, accélérer,…

M. Jacques Grosperrin. Accélérez, oui !

M. Emmanuel Macron, ministre. … rendre plus attractif : telles sont les priorités de ces mesures pour favoriser l’investissement productif en France.

J’en viens au travail, qui est, rassurez-vous, le troisième et dernier pilier de ce texte (Ah ! sur les travées de l'UMP.) sur lequel nous devrions avoir une approche pragmatique.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je ne pense pas avoir été trop long. (Rires et exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Emmanuel Macron, ministre. Partant de l’hypothèse que tout le monde n’avait pas lu ce texte, j’ai pensé faire preuve de respect en détaillant les mesures…

Mme Cécile Cukierman. Rassurez-vous, on l’a travaillé !

M. Emmanuel Macron, ministre. … en expliquant leur philosophie, en disant ce à quoi je tenais.

M. Henri de Raincourt. Présentez-vous aux élections !

M. Emmanuel Macron, ministre. Maintenant, si vous préférez avoir un débat expéditif, je peux m’adapter….

Je veux revenir sur trois éléments.

Tout d’abord, l’ouverture du travail le dimanche… (Ah ! sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) Votre réaction traduit un appétit qui m’oblige à m’attarder. (Sourires.)

M. Gérard Longuet. Il est taquin !

M. Emmanuel Macron, ministre. Le système actuel entraîne des déséquilibres entre les territoires. Force est de constater que la situation est extrêmement insatisfaisante, notamment parce qu’elle est hétérogène : d’un côté, il y a les PUCE, les périmètres d’usage de consommation exceptionnel, dans lesquels les dimanches travaillés sont compensés ou payés double ; de l’autre, il y a les zones touristiques, dans lesquelles la loi ne prévoit pas de compensation. En outre, il y a des dimanches du maire qui ne sont pas obligatoires et qui peuvent faire l’objet de compensations selon les situations.

Les dispositions du texte portant sur l’exception au repos dominical pour les commerces de détail cherchent à apporter principalement trois éléments de changement.

Le premier est la simplification et l’homogénéisation des règles de compensation : partout sur le territoire, il doit y avoir une compensation au travail le dimanche. Celle-ci ne doit pas être définie par la loi, car les secteurs et les territoires sont très différents. Seul l’accord, soit d’entreprise, soit de branche, soit de territoire, peut la définir. S’il n’y a pas d’accord, il n’y a pas d’ouverture. C’est un premier facteur d’homogénéisation, de plus grande justice et, dans le même temps, une marque de confiance dans le dialogue social.

Le deuxième changement consiste en l’instauration de zones touristiques internationales, très circonscrites, où l’ouverture en soirée et le dimanche est source de création d’activité économique. Avec un encadrement très strict et une compensation salariale très généreuse pour le travail en soirée, puisqu’elle est supérieure à ce qui existe aujourd’hui pour le travail de nuit, le projet de loi permet une ouverture décidée par l’exécutif, pour éviter les blocages.

Enfin, le projet de loi offre aux maires la possibilité d’autoriser douze ouvertures dominicales des commerces dans l’année, au lieu de cinq actuellement. Le rapport rendu en 2013 par Jean-Paul Bailly avait prouvé la nécessité de trouver un équilibre entre les cinq dimanches du maire et les cinquante-deux dimanches des PUCE : dans certaines régions, les cinq dimanches ne suffisent pas, dans d’autres, c’est déjà trop ! Enfin, on voit bien que certaines villes cherchent une flexibilité supplémentaire, ce qui les a incitées à se classer en zone touristique, pour n’utiliser qu’un dimanche par mois, donc douze dimanches par an. Le projet de loi permet aux maires d’accorder jusqu’à douze autorisations d’ouverture dominicale, au lieu de cinq actuellement, avec un avis conforme de l’EPCI au-delà de cinq dimanches.

Au-delà de ces trois points sur lesquels je voulais insister, le projet de loi a aussi vocation à protéger le petit commerce, garant de la vitalité de nos territoires, en redonnant des marges de manœuvre aux maires et en coordonnant les ouvertures au niveau de l’EPCI. Les commerces alimentaires de plus de 400 mètres carrés qui, aujourd’hui, ouvrent le dimanche sans accorder de compensation salariale devront désormais verser à leurs salariés une majoration de leur rémunération d’au moins 30 %. Il s’agit de corriger une inégalité entre entreprises, d’apporter davantage de garanties aux salariés et de préserver l’équilibre des territoires, qui s’est largement dégradé ces dernières années.

Ensuite, je souhaite mettre l’accent sur la réforme de la justice prud’homale. Quelle a été notre philosophie ? Nous sommes partis du constat que cette justice était trop lente, la durée d’une procédure pouvant aller jusqu’à vingt-sept mois, et qu’elle recourrait peu à la conciliation – dans 6 % des cas seulement.

M. Pierre Charon. Il y a d’autres orateurs ! Nous voulons entendre Catherine Deroche !

M. Emmanuel Macron, ministre. Cette situation joue au détriment des plus petits employeurs et des salariés les plus fragiles. Notre volonté est donc d’encourager le recours à la conciliation, d’accélérer la mise en état des dossiers et de donner les voies et moyens aux parties de trouver plus vite un accord grâce à la mise en œuvre d’un référentiel, ce dernier point constituant, à mes yeux, l’un des apports majeurs du texte adopté par l’Assemblée nationale.

Enfin, pour achever mon propos,…

M. Pierre Charon. C’est trop long !

M. Emmanuel Macron, ministre. … je veux revenir sur d’autres mesures en faveur du travail. Nous devons nous battre contre la concurrence déloyale et renforcer l’attractivité de nos territoires. À cette fin, le projet de loi cherche à protéger la vitalité de nos régions et de nos départements en favorisant la lutte contre la concurrence déloyale et le travail illégal. L’inspection du travail serait donc réformée et la lutte contre la prestation de service internationale illégale serait facilitée par le renforcement des sanctions et l’instauration de nouveaux moyens de contrôle.

Le projet de loi simplifie également des dispositions qui ne sont pas utilisées, mais qui nuisent à l’attractivité économique de notre pays, en particulier la peine de prison associée au délit d’entrave au fonctionnement des institutions représentatives du personnel. Cette peine est disproportionnée, inefficace et très exceptionnellement appliquée. Parallèlement, le montant de l’amende pénale serait majoré pour rendre le délit d’entrave plus dissuasif – ce montant a été diminué par la commission spéciale, mais nous devrons en débattre.

Enfin, le dispositif de sécurisation de l’emploi, issu de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013 et repris dans la loi du 14 juin 2013, a été corrigé sur certains points qui posaient, notamment, des questions d’interprétation jurisprudentielle. Tous les articles du projet de loi relatifs à cette problématique ont fait l’objet d’une analyse par les services du ministère du travail, ainsi que d’une concertation avec l’ensemble des organisations syndicales avant d’être présentés au vote de l’Assemblée nationale. Certaines interprétations jurisprudentielles sont en effet contraires à l’esprit de la loi de sécurisation de l’emploi et le présent projet de loi tend à clarifier certains points. Nous aurons l’occasion de revenir plus en détail sur ces mesures qui visent à simplifier les procédures ainsi que leur sécurité juridique.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, voilà ce que je voulais vous dire. (Ah ! sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.) Si mon intervention a pu paraître trop longue à certains d’entre vous, croyez que je le regrette (Exclamations ironiques sur les travées de l'UMP.), mais je saurai être plus rapide si tel est votre souhait, toujours dans le même esprit constructif. Vous avez pu mesurer ce faisant que, lorsque je parle de débat constructif pour l’intérêt général, je ne me paie pas de mots !

M. Didier Guillaume. Belle démonstration !

M. Emmanuel Macron, ministre. Je défends mes arguments et j’écouterai ceux qui me seront opposés en temps voulu, mais débattre suppose d’aller au fond.

M. Jean-Claude Lenoir. C’est ce que nous voulons !

M. Emmanuel Macron, ministre. J’ai donc fait le choix d’aller au fond, parce que je crois en la vertu de l’échange que nous aurons. Aller au fond, pour l’intérêt général, avec plus d’ambition : tel est l’esprit dans lequel s’inscrit ma démarche ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, corapporteur. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)

Mme Catherine Deroche, corapporteur de la commission spéciale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai l’honneur d’engager le débat en séance publique au nom de notre commission spéciale, qui soumet aujourd’hui à la Haute Assemblée le fruit de ses travaux sur un texte d’une ampleur peu commune et, si l’on se fie à son intitulé, lourd de forts enjeux politiques, économiques et sociaux.

Il m’est revenu d’examiner les dispositions du volet social du projet de loi, c’est-à-dire la réforme des dérogations au repos dominical, le renforcement de la lutte contre le détachement illégal de salariés, les ajustements au droit des plans de sauvegarde de l’emploi et l’épargne salariale, ainsi que celles portant sur le financement des entreprises.

Le travail dominical est une thématique qui, chaque fois qu’elle est soumise au législateur, suscite un débat passionnel. Au-delà de questions purement juridiques sur l’évolution du droit du travail, ses enjeux sociétaux sont majeurs. Pourtant l’époque où toute activité cessait en fin de semaine est désormais révolue : la loi du 13 juillet 1906 prévoyait déjà de nombreuses dérogations au repos dominical, ce qui n’a pas empêché, au fil du temps, le développement des pratiques d’ouverture dominicale illégale.

En 2009, la loi Mallié a tenté d’apporter des réponses à ces situations, sans toutefois parvenir à simplifier la réglementation. Elle l’a même, à certains égards, complexifiée, sans apporter de solution pérenne aux problématiques liées à l’ouverture des commerces le dimanche, alors que la concurrence a désormais lieu en ligne, à tout instant du jour et de la nuit.

C’est pourquoi notre commission spéciale a conforté l’esprit des modifications de la réglementation du travail dominical proposées dans le cadre de ce projet de loi. Elle adhère à la philosophie du rapport remis par Jean-Paul Bailly en novembre 2013, intitulé La question des exceptions au repos dominical dans les commerces : vers une société qui s’adapte en gardant ses valeurs, que l’on peut résumer ainsi : simplifier le cadre juridique existant ; harmoniser, dans la mesure du possible, les contreparties en faveur des salariés privés du repos dominical et respecter leur volontariat ; faire du dialogue social et territorial la clé de ces dérogations et prendre en compte les enjeux d’attractivité touristique internationale de notre territoire associés à l’ouverture dominicale des commerces.

Tout en respectant l’équilibre du texte voté par l’Assemblée nationale, en particulier sur la question des « dimanches du maire », et sans prôner une libéralisation du travail dominical, nous avons souhaité compléter la réforme. Deux objectifs nous ont guidés : tout d’abord, garantir son effectivité afin que, demain, les dérogations au repos dominical que nous allons approuver ne restent pas purement virtuelles ; ensuite, éviter que des commerces qui, aujourd’hui, peuvent ouvrir le dimanche ne se voient contraints de fermer ce jour-là.

La commission spéciale a donc rétabli, pour les commerces situés dans une zone où le travail dominical est autorisé, la possibilité, subsidiaire et ouverte uniquement si la négociation d’un accord collectif de branche, d’entreprise ou d’établissement a échoué, d’ouvrir le dimanche sur la base d’une décision de l’employeur. Cette décision devra être approuvée par les salariés lors d’un référendum et sera soumise aux mêmes obligations, en matière de contreparties sociales, qu’un accord.

Il faut sans nul doute faire confiance au dialogue social. C’est la raison pour laquelle nous pensons, comme vous, monsieur le ministre, que la loi ne doit pas fixer un montant minimal de majoration salariale pour les employés travaillant le dimanche. Pour autant, on ne peut nier, et on peut même regretter, l'existence de nombreuses situations de blocage du dialogue social dans les entreprises sur cette question ainsi qu’une opposition de principe de certaines organisations syndicales, malgré le volontariat de nombreux salariés.

Nous avons ensuite exonéré les entreprises de moins de onze salariés situées dans les zones touristiques des obligations nouvelles en matière de dialogue social et de contreparties fixées par ce texte. Il s’agit d’ailleurs de la traduction d’une des recommandations du rapport Bailly. Ces commerces peuvent ouvrir aujourd’hui sans condition préalable. De petite taille, ils n’ont ni institutions représentatives du personnel ni habitude de la négociation collective. Commerces indépendants, ils assurent l’animation des centres-villes de nos communes touristiques, mais la plupart d’entre eux sont fragilisés économiquement par le développement des zones commerciales périurbaines et l’évolution des modes de consommation. À l’avenir, il ne faut pas qu’ils baissent le rideau le dimanche à cause de ce projet de loi. Je suis d’ailleurs heureuse de constater que Mme Carole Delga, secrétaire d’État chargée du commerce et de l’artisanat, a rejoint, dans une interview récente, notre position sur ce sujet.

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Très bien !

Mme Catherine Deroche, corapporteur. Enfin, dans un élan d’unanimité, notre commission spéciale a su se montrer plus ferme que vous, monsieur le ministre, puisqu’elle a supprimé l’article 82 bis relatif à l’adaptation des jours fériés outre-mer.

J’en viens aux autres dispositions relatives au droit du travail.

La commission spéciale a tout d’abord supprimé la demande d’habilitation du Gouvernement à réformer par ordonnance les pouvoirs de l’inspection du travail. Cette demande nous a semblé injustifiée, car nous connaissons très précisément son contenu depuis plus d’un an, lorsque notre assemblée a examiné et rejeté, en février 2014, l’article 20 du projet de loi relatif à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale. Cette réforme suscite de nombreuses inquiétudes, dans les entreprises comme chez les inspecteurs, et le recours à une ordonnance ne permet pas d’y répondre.

La commission spéciale a également parachevé la réforme du délit d’entrave aux institutions représentatives du personnel, qui traduit un engagement du Président de la République, en supprimant la peine d’emprisonnement d’un an en cas d’entrave à leur constitution, tout en portant l’amende afférente à ce délit à 15 000 euros.

Nous avons également supprimé les nombreux verrous qui obèrent le développement des accords de maintien de l’emploi, dont l’échec est manifeste, tout en donnant la possibilité aux partenaires sociaux dans l’entreprise de conclure des accords de développement de l’emploi qui seront soumis aux mêmes règles. Gages de flexibilité interne, ces accords permettront aux entreprises de répondre aux fluctuations de l’économie en modifiant l’organisation et la répartition du temps de travail de leurs salariés. L’économie française ne sera plus condamnée à recourir à des ajustements externes qui pénalisent les salariés en contrat précaire et nourrissent le chômage de masse. Nous attachons donc une grande importance à ces accords, car ils pourraient redonner de l’oxygène à nos entreprises qui en ont plus que jamais besoin.

Sur ma proposition, la commission spéciale a également simplifié deux mécanismes qui sont un frein au développement des entreprises et une source de très grande inquiétude pour les chefs d’entreprise. Elle a mis en place un dispositif permanent de lissage dans le temps des conséquences du franchissement des seuils sociaux, afin de laisser trois ans aux entreprises pour se conformer à leurs nouvelles obligations. Dans la même optique, elle a relevé de onze à vingt et un salariés l’effectif à partir duquel l’élection de délégués du personnel devient obligatoire. Enfin, elle a apporté plusieurs modifications au compte personnel de prévention de la pénibilité, en supprimant la fiche individuelle de suivi de chaque salarié et en le recentrant, pour l’instant, sur les trois facteurs de pénibilité dont la mesure est opérationnelle.

S’agissant du volet relatif à l’épargne salariale et à l’actionnariat salarié, la commission spéciale a souhaité s’inscrire, pour partie, dans la continuité des travaux du COPIESAS, ainsi que dans celle du projet de position commune des partenaires sociaux. Elle a ainsi abaissé de 16 % à 12 % le taux du forfait social applicable à un plan d’épargne pour la retraite collectif, ou PERCO, dont au moins 7 % des fonds sont destinés au financement des PME et des ETI. Elle a également totalement exonéré de cette contribution pendant trois ans les entreprises employant moins de cinquante salariés qui concluent pour la première fois un accord de participation ou d’intéressement, tout en prévoyant un taux réduit de 8 % pendant les trois années suivantes.

La commission spéciale a également veillé à tenir compte des spécificités des petites entreprises. Elle a en effet obligé les branches professionnelles à négocier, avant le 30 décembre 2017, un accord d’intéressement qui sera directement applicable par les entreprises souhaitant y avoir recours. Elle a par ailleurs suspendu pendant trois ans l’obligation de conclure un accord de participation pour les entreprises qui franchissent le seuil de cinquante salariés, si elles disposent déjà d’un accord d’intéressement et qu’elles l’appliquent continûment pendant cette période.

La partie du texte qui m’incombe comporte également des mesures qui, si elles ne relèvent pas du champ de l’épargne salariale, visent à améliorer le financement des entreprises. On citera, à titre d’exemple, la création de la société de libre partenariat, un nouveau véhicule de capital-risque destiné à attirer les investisseurs institutionnels étrangers. Je me félicite de bon nombre de ces mesures, qui constituent des avancées modestes, mais réelles.

Toutefois, comme le souligne la dernière note de conjoncture de l’INSEE, l’investissement des entreprises est actuellement au point mort, alors même que les autres moteurs de la croissance repartiraient enfin plutôt à la hausse. Face à l’urgence de la situation, la commission spéciale a tenu à renforcer le texte issu de l’Assemblée nationale plutôt que d’attendre une hypothétique « loi Macron II ». À titre d’exemple, la commission spéciale a adopté un amendement rendant la réduction d’impôt « Madelin » éligible au plafonnement global des avantages fiscaux de 18 000 euros, contre 10 000 euros dans le droit en vigueur. En contrepartie d’un meilleur ciblage qui pourrait être exigé par la Commission européenne, la commission spéciale a également souhaité doubler le montant du plafond de la réduction d’impôt « ISF-PME », le portant à 90 000 euros.

De manière générale, les mesures retenues par la commission spéciale répondent à deux critères.

Premièrement, leur impact budgétaire demeure raisonnable. Malheureusement, le Gouvernement n’a pas réalisé les économies qui auraient permis de faire des gestes fiscaux de grande ampleur en faveur du développement des entreprises et de la relance de l’activité économique. Le texte actuel ne semble pas adapté pour décider de tels aménagements, dans la mesure où il ne permet pas, contrairement à une loi de finances, de marcher sur deux jambes : réduction des dépenses et baisse des impôts.

Deuxièmement, les mesures retenues bénéficient aux PME. Pour ces sociétés, le niveau de risque très important, l’asymétrie d’information entre l’entreprise et les investisseurs et l’externalité positive liée à l’innovation technologique rendent indispensable la mise en place de dispositifs incitatifs visant à encourager les prises de participation.

Faire preuve de responsabilité budgétaire et d’efficacité économique : c’est de nouveau cette grille d’analyse que j’appliquerai dans ce domaine tout au long de l’examen du présent projet de loi.

Pour conclure, permettez-moi, monsieur le ministre, de vous faire part de ma déception et de mon inquiétude quant à l’état d’esprit dans lequel le Gouvernement aborde l’examen de votre projet de loi devant le Sénat, tel qu’il résulte des nombreux amendements que vous avez déposés et dont nous avons commencé l’examen ce matin. Je vous ai bien entendu : vous avez déposé ces amendements « dans les délais », mais vous n’en avez retiré qu’une cinquantaine aujourd’hui, à quatorze heures trente-huit, courriel faisant foi.

Permettez-moi de faire un rappel. Lors de ses travaux, la commission spéciale a suivi une ligne directrice claire : ne pas se faire le porte-parole d’intérêts particuliers, mais se saisir de toutes les opportunités présentées dans le projet de loi pour engager les réformes indispensables à la relance de notre économie. Nous avons souhaité partager l’état d’esprit qui a présidé à l’élaboration de ce texte.

Pour quelle écoute ? Malgré l’engagement que vous avez pris lorsque la commission spéciale vous a reçu et les assurances que vous aviez alors formulées sur votre volonté d’œuvrer avec le Sénat pour améliorer votre projet de loi, vous proposez une remise en cause quasi systématique des modifications que nous avons apportées, comme si le Gouvernement considérait le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale comme l’alpha et l’oméga, l’optimum de la législation. C’est pourtant loin d’être le cas…

Monsieur le ministre, en dépit de toutes les concessions que vous avez dû faire, vous n’avez pas été en mesure de faire voter ce projet de loi par les députés !

Mme Fabienne Keller. Absolument !

Mme Catherine Deroche, corapporteur. Dans ces conditions, constater que vous souhaitez, par exemple, le rétablissement de la consultation du conseil municipal sur l’ouverture dominicale des bibliothèques – quel est le lien de cette mesure avec l’objet du projet de loi ? – peut sembler décourageant à qui ignore que cette mesure trouve son origine dans un amendement d’une ancienne ministre de la culture, aujourd’hui députée frondeuse.

Mme Catherine Deroche, corapporteur. Comme vous le savez, les désaccords entre les deux assemblées sont courants et font partie intégrante de la procédure parlementaire. Habituellement, la deuxième lecture d’un texte permet de les circonscrire. Puisque vous avez engagé la procédure accélérée, il n’y en aura malheureusement pas, mais une commission mixte paritaire se réunira une fois le texte voté par le Sénat.

À cette occasion, nous confronterons notre position à celle de nos collègues députés. Si les deux chambres du Parlement ne parviennent pas à transiger, la Constitution fait prévaloir l’Assemblée nationale. Il en est ainsi… Cependant, il est regrettable que le Gouvernement prenne ouvertement parti en la matière. Si nous étions susceptibles, …

M. Bruno Retailleau. Nous ne le sommes pas !

Mme Catherine Deroche, corapporteur. … nous pourrions y voir, de votre part, un mépris du bicamérisme, en particulier des travaux de la chambre haute. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Étant de nature optimiste, je préfère penser que ce climat peu propice à un débat serein et constructif est lié au fait que votre « compagnonnage législatif » – c’est l’expression que vous avez utilisée à l’Assemblée nationale – n’est pas achevé. J’espère que votre découverte du Sénat, à l’occasion de l’examen de ce texte, permettra de dissiper ces malentendus et vous fera comprendre que nous sommes animés, tout autant que les députés, par l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. Alain Gournac. Bravo !

(M. Claude Bérit-Débat remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur de la commission spéciale. Monsieur le ministre, qu’avons-nous donc fait pour mériter un tel dédain ? Certes, j’ai pris bonne note, comme ma collègue corapporteur Catherine Deroche, que vous aviez retiré, deux heures avant le début de cette séance, une cinquantaine de vos amendements. Je précise toutefois que certains d’entre eux étaient intégralement identiques à plusieurs amendements déposés par le groupe socialiste, lesquels ont, quant à eux, été maintenus. (Eh oui ! sur les travées de l'UMP.)

Mme Nicole Bricq. Et alors ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Il reste donc 125 amendements déposés par le Gouvernement sur le texte de la commission spéciale, des amendements qui sont autant de coups de gomme sur notre travail.

Mme Nicole Bricq. Vous n’avez jamais fait cela, peut-être ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Lorsque vous êtes venu devant la commission spéciale, vous nous avez assurés de votre volonté de coconstruire ce texte avec le Sénat, comme vous l’aviez fait avec l’Assemblée nationale. Il faut croire que votre bonne volonté s’est quelque peu émoussée.

Nous pouvons, bien évidemment, constater des désaccords. La commission a toujours des désaccords avec le Gouvernement, y compris d’ailleurs lorsqu’elle le soutient.

M. Jean Desessard. Nous aussi !

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Néanmoins, le Sénat, que vous ne connaissez pas encore très bien, aime débattre sur le fond des choses. Mais comment débattre lorsque certains de vos amendements inscrivent comme seul objet « Rétablissement du texte issu de la première lecture à l’Assemblée nationale » ?

La commission spéciale n’a pas travaillé de manière arbitraire ou fantaisiste.

Mme Nicole Bricq. Elle a travaillé à sens unique !

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Mes collègues corapporteurs et moi-même avons mené plusieurs centaines d’heures d’auditions. La commission spéciale vous a entendu. Elle a aussi entendu l’Autorité de la concurrence, plusieurs économistes, ainsi que quatre de vos collègues du Gouvernement.

La commission spéciale a adopté des amendements sur le fondement d’arguments juridiques ou d’arguments d’opportunité nouveaux. Certes, me direz-vous, vous n’étiez pas présent en commission spéciale, mais telle est la tradition au Sénat. Ses travaux sont néanmoins publics, tout comme notre rapport. Vous connaissez donc les motifs qui nous ont conduits à retenir telle ou telle rédaction.

Avec cette formulation lapidaire, « Rétablissement du texte issu de la première lecture à l’Assemblée nationale », vous faites comme s’il n’y avait qu’une seule chambre au sein du Parlement.

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Or, par définition, dans un parlement bicaméral, le travail d’une assemblée ne constitue jamais un argument d’autorité pour l’autre assemblée. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.) Nous exerçons notre esprit critique indépendamment et librement les uns des autres ! Cela est vrai, quelle que soit la majorité dans l’une ou dans l’autre chambre.

Vous défendez à tous crins le texte de l’Assemblée nationale, alors que celle-ci ne l’a même pas adopté. Cette démarche doit être inédite dans les annales de la navette parlementaire… (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. Charles Revet. C’est vrai !

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Vous comprendrez également que nous éprouvions du courroux lorsque nous constatons que vos amendements tendent à rétablir massivement le texte de l’Assemblée nationale, sans argument à l’appui, tout en se bornant parfois – mais pas toujours ! – à retenir les modifications formelles que nous avons apportées. Là encore, je crois utile de vous détromper : le Sénat ne se contente pas de rectifier les virgules mal placées ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Charles Revet. Très bien !

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Vous venez de nous rappeler les grandes lignes de votre projet de loi, dont l’objectif est la croissance. La majorité sénatoriale partage le même objectif, mais elle fait le constat que le présent texte s’arrête au milieu du gué. C’est d’autant plus préjudiciable pour notre économie que le gouvernement auquel vous appartenez a renoncé à une politique de baisse substantielle de la dépense publique, ainsi qu’à celle de baisse des charges pesant sur les entreprises.

Si le projet de loi comporte des mesures qui vont dans le bon sens et que nous soutenons, il ne s’attaque pas aux verrous qui pourraient permettre à l’économie de la France de redémarrer et de créer des emplois.

Nous avons conforté et complété les dispositions visant à soutenir l’esprit d’entreprise et l’investissement. Par exemple, pour surmonter les blocages actuels sur le marché du logement, nous avons institué un socle juridique plus favorable à l’investissement immobilier, tout en préservant un niveau élevé de protection des locataires. Nous espérons ainsi réduire les excès de la loi ALUR, controversée et complexe.

De même, par les articles 47 et 48, le Gouvernement propose de soutenir deux projets ambitieux pour les entreprises publiques Nexter et LFB. Notre commission spéciale, après un examen très minutieux, s’y est déclarée favorable, car nous avons acquis la conviction qu’ils étaient véritablement bénéfiques pour la croissance et l’activité. Vous vous souviendrez, monsieur le ministre, que cette position n’était pas forcément celle qui prévalait à l’Assemblée nationale, y compris sur les bancs du groupe majoritaire.

En matière de financement de l’économie, nous avons repris et sécurisé l’article adopté par l’Assemblée nationale – contre l’avis du Gouvernement, même si vous avez depuis fait volte-face –, afin d’encourager les prêts interentreprises. Nous avons voulu que ce dispositif soit, à la fois, efficace et de nature à éviter les situations de dépendance économique abusive entre un donneur d’ordre et son sous-traitant.

M. Jean Desessard. Ça, ça reste à voir !

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Parce que nous voulons mettre fin à l’immobilisme et faire bouger les lignes, nous avons voulu aller plus loin et proposer de vraies nouvelles mesures pour la croissance.

Tout au long de la discussion qui s’ouvre, nous allons ainsi savoir si vous êtes décidé à agir, à ne pas vous contenter de faire semblant de réformer et à prendre à bras-le-corps le problème du chômage.

Vous avez dit à la commission spéciale : « Ma première ambition est de libérer l’activité et d’ouvrir à nos concitoyens des accès dans les secteurs trop fermés. C’est d’abord le cas des transports. » De fait, vous avez proposé l’ouverture à la concurrence du transport par autocar. Non seulement nous validons votre proposition, mais nous allons plus loin en proposant l’ouverture à la concurrence des transports ferroviaires régionaux à compter du 1er janvier 2019. Nous sommes persuadés que cette mesure est susceptible de rendre du pouvoir d’achat aux Français. Existe-t-il d’ailleurs un secteur plus fermé que le transport ferroviaire ?

Lors de votre audition, vous aviez également souligné qu’il devait être possible d’adapter davantage ce texte à la réalité des territoires. Nous y avons été très attentifs. Ainsi, conformément à une préoccupation constante du Sénat, la commission spéciale a adopté un dispositif de nature à assurer une meilleure couverture des zones dites « blanches » ou « grises » en matière de téléphonie mobile. C’est aussi dans cette perspective que nous avons supprimé l’article 10, qui prévoit la possibilité pour l’État ou le préfet de consulter l’Autorité de la concurrence sur les documents d’urbanisme. Outre que nous n’avons pas bien compris quel serait l’apport réel de cet avis, il nous a semblé, pour reprendre les mots d’un sénateur du groupe socialiste, que cette disposition était teintée d’une forme de jacobinisme que nous récusons.

M. Bruno Retailleau. Très bien !

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Nous avons également renforcé le volet numérique du projet de loi. La modernisation de l’économie passe en effet par son adaptation aux nouvelles technologies. Un projet de loi sur le numérique nous est d’ailleurs promis depuis plusieurs mois, mais nous ne savons pas à quelle échéance il sera présenté au Sénat et à l’Assemblée nationale.

C’est ainsi que nous avons encadré les relations entre les hôteliers et les plateformes de réservation sur internet, via un mécanisme de contrat de mandat. Nous avons aussi permis à l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’ARCEP, d’émettre un avis public sur les conditions tarifaires d’accès aux réseaux d’initiative publique des collectivités.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, malgré notre regard bienveillant sur des micro-mesures, certes utiles et bienvenues, mais aussi micro-efficaces, nous avons également considéré qu’il fallait « raison garder ».

M. Marc Daunis. Bonne nouvelle !

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Nous avons ainsi amendé, voire supprimé, certaines mesures, libérales mais maladroites, qui risquaient de mettre à mal un maillage social, territorial, ainsi qu’un service public qui fonctionnent bien.

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Aussi avons-nous modifié la procédure applicable aux transports par autocar afin de protéger davantage les services de transport conventionnés.

Nous avons également supprimé les dispositions introduites de façon improvisée ou ne reposant sur aucune étude ou élément précis. Je pense au recours à des fonctionnaires ou des agents publics comme examinateurs de l’épreuve pratique du permis de conduire.

Par ailleurs, alors que les relations entre distributeurs et fournisseurs sont aujourd’hui très encadrées dans notre pays, les tentatives de contournement et les risques de déséquilibre surgissent de manière constante. Plutôt que de légiférer dans la précipitation en modifiant le cadre juridique et en alourdissant les sanctions à intervalles de plus en plus rapprochés – il en est ainsi de l’article 10 A –, la commission spéciale préconise l’adoption de dispositifs précédés d’un tour de table et d’une expertise satisfaisante.

Lors de l’examen de tous les articles, nous avons cherché à éviter les formalités ou les normes nouvelles.

M. Charles Revet. On en a bien besoin !

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Pour lutter contre l’introduction hâtive de nouvelles « usines à gaz » dans notre droit, la commission spéciale estime nécessaire de consulter au préalable les acteurs économiques sur l’utilité et l’efficacité de nouvelles mesures qui les concernent directement.

Elle a aussi veillé à maintenir les prérogatives du Parlement en limitant le recours aux ordonnances aux seules habilitations au sujet desquelles le Gouvernement a expliqué avec précision ses intentions.

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. À l’évidence, ce n’était pas le cas de l’ordonnance prévue à l’article 28 en matière de droit de l’environnement. C’est pourquoi la commission spéciale a refusé de donner un blanc-seing au Gouvernement.

M. Charles Revet. C’est très bien !

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Plus largement, la commission spéciale a veillé au respect des grands piliers de notre droit et a écarté les mesures portant atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales ou à la vie privée.

Enfin, le dernier pilier de notre travail a consisté à simplifier le projet de loi et à clarifier le droit existant.

À propos du permis de conduire, par exemple, nous avons supprimé toutes les dispositions qui relèvent du domaine réglementaire. Les inscrire dans la loi aurait pour conséquence d’en rendre difficile, à l’avenir, toute modification, puisqu’il faudrait à chaque fois trouver un véhicule législatif.

Nous nous sommes aussi penchés sur les relations entre les locataires et les bailleurs. Ainsi, la commission spéciale a réduit une partie des imprécisions – donc les sources de conflits – issues de la trop complexe loi ALUR. Pour limiter les conséquences de l’instabilité législative, nous avons prévu d’éviter de prolonger trop longtemps la coexistence de plusieurs régimes locatifs différents. Toutefois, nous avons été attentifs à ne pas porter une atteinte excessive aux contrats légalement conclus. Notre pays a besoin de repères stables et les éléments essentiels de l’accord entre deux parties doivent être respectés.

Monsieur le ministre, vous le constatez, nous avons pris à bras-le-corps votre projet de loi et le vaste ensemble de dispositions qu’il contient. Parmi cet agglomérat de mesures, nous voterons en faveur de celles qui vont dans le sens de la croissance et nous supprimerons celles qui sont contre-productives, sans incidence sur la croissance.

M. Charles Revet. Il y en a beaucoup !

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Nous formulons des propositions fortes, visibles, de nature à peser sur la croissance.

Nous espérons que le débat qui s’ouvre aujourd’hui et qui se poursuivra dans les prochains jours permettra de constater que le dépôt d’amendements par le Gouvernement reposait d’abord sur une mauvaise compréhension de nos travaux. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le corapporteur.

M. François Pillet, corapporteur de la commission spéciale. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, mes chers collègues, les domaines dont l’étude et la présentation m’ont été confiées pour préparer les débats de la commission spéciale sont particulièrement variés. Je les rappelle, car nous aurons à en débattre.

La réforme des professions réglementées comprend d’importantes dispositions relatives aux tarifs. Monsieur le ministre, permettez-moi cette parenthèse : depuis que les professions réglementées existent, c’est toujours le Gouvernement qui a eu la main sur leurs tarifs. Ce ne sont pas les professions qui en décident.

M. Jean-Paul Emorine. Tout à fait !

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Très bien !

M. François Pillet, corapporteur. D’autres mesures touchent à la liberté d’installation, à l’accès à la profession, à l’exercice salarié, à l’exercice en société, aux ressorts d’exercice…

Quant au droit général de la consommation, il vise par exemple l’action de groupe, les sanctions administratives.

Sont également concernées les prérogatives et procédures de l’Autorité de la concurrence, comme celles qui tiennent aux pouvoirs d’injonction structurelle et de transaction.

En droit de la propriété industrielle, des aménagements de l’information de l’inventeur salarié sont prévus.

Le droit commercial est réformé ou élargi en matière de gestion du registre du commerce et des sociétés, de cession de fonds de commerce, des baux commerciaux, d’obligations comptables des entreprises, d’insaisissabilité de droit de la résidence principale de l’entrepreneur individuel.

Sont visés le droit des sociétés, en ce qu’il règle le cumul des mandats, l’encadrement des retraites chapeaux, et le droit civil, en ce qu’il organise le recouvrement des petites créances.

La réforme des tribunaux de commerce a un objectif délicat : la spécialisation de certains tribunaux.

Il faut mentionner le droit des entreprises en difficulté, avec la prise en compte des groupes de sociétés et, surtout, la possibilité d’une cession forcée des actions des actionnaires opposés à un plan de redressement.

Il convient d’évoquer aussi la réforme des conseils de prud’hommes portant modification de la procédure d’instruction et de règlement des contentieux, du statut du défenseur prud’homal.

Sans être toutefois complet, on peut même citer la réforme par ordonnance du régime du gage des stocks défini par le code de commerce pour pouvoir lui appliquer le pacte commissoire et le gage avec dépossession prévue par le code civil.

Cet inventaire synthétique s’ajoutant à celui qu’ont dressé Dominique Estrosi Sassone et Catherine Deroche laisse imaginer l’étendue du travail, certes gouvernemental, mais surtout parlementaire, puisqu’il s’agit de légiférer.

Monsieur le ministre, je ne dirai pas que c’est un projet fourre-tout, pour que vous conveniez avec moi que c’est un projet éclectique ! (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme Nicole Bricq. C’est mieux ! C’est plus élégant !

M. François Pillet, corapporteur. Ce faisant, sans être grand clerc, on peut admettre que, multipliant en quelque sorte les lois à l’intérieur d’une seule, ce texte risque par nature de susciter plus de rejet et d’irritation que d’adhésion. Il serait dès lors commode d’écarter la plupart, sinon la totalité, de ses dispositions au motif que, décidément, on ne contourne pas ainsi le pouvoir législatif, exclusif du Parlement !

M. François Pillet, corapporteur. Aurait-elle été légitime que le Sénat n’a pas, pour autant, choisi cette voie.

L’objectif général du texte n’étant pas remis en cause, nous avons recherché un consensus auquel l'Assemblée nationale n’était pas parvenue, et ce par l’écoute et l’écriture.

Outre les auditions plénières devant la commission spéciale, j’ai reçu environ soixante-dix personnes, représentants d’organismes publics et privés, d’administrations, de syndicats de salariés, d’organisations professionnelles ou personnalités qualifiées. Il a été expressément offert à chacun et chacune de développer ou compléter sa pensée par l’envoi d’une contribution écrite. Peu ont manqué d’user de cette offre ! L’avis du premier président de la Cour de cassation et de tous les premiers présidents de cour d’appel a été suscité. Toutes les contributions spontanées ont fait l’objet d’une lecture attentive.

Il est également à souligner qu’un espace participatif a été ouvert sur le site du Sénat afin de collecter les avis des différentes professions concernées par le texte et des citoyens.

Des dizaines de contributions ont été recensées.

Nous avons veillé à ce que l’expression et l’information soient les plus diverses et les plus complètes.

Il a été proposé à tous et à toutes d’appréhender les avancées et réformes de façon responsable, afin que les objectifs principaux du Gouvernement ne soient pas remis en cause.

Avec pragmatisme, en évitant les postures uniquement conservatrices ou partisanes, des voies raisonnables de compromis et d’apaisement ont aussi été recherchées. Elles ont mené à des solutions qui s’accordent parfaitement avec la mise en place de dispositions visant à favoriser la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

Même lorsque le projet de loi concernait des domaines extrêmement peu influents dans cette croisade, son contenu et sa rédaction furent non pas amputés, mais amendés, pour que l’incorporation des dispositions en cause s’effectue harmonieusement dans notre État de droit, et, surtout, pour que, au surplus, certaines innovations dépassent le champ premier d’application du texte.

Monsieur le ministre, vous pouvez aisément le constater, le Sénat, par l’intermédiaire de la commission spéciale et sous l’autorité souriante du président de celle-ci, Vincent Capo-Canellas, en associant toutes les forces sociales, économiques et professionnelles, n’a pas déstructuré le projet de loi pour dénaturer son objectif.

À titre d’exemple, vous avez pu noter que, à propos des professions réglementées, nous avons conservé l’avis de l’Autorité de la concurrence, concilié l’approche économique et la spécificité de la prestation juridique, maintenu la péréquation et les remises tarifaires en évitant leur dénaturation, confirmé la liberté d’installation, mais en précisant le régime juridique applicable aux zones non carencées.

S’agissant de la spécialisation des tribunaux de commerce, nous avons trouvé un compromis sur le seuil de compétence de ces juridictions spécialisées, prévu au moins un tribunal spécialisé par cour d’appel pour assurer un maillage territorial satisfaisant, sorti les dispositifs de prévention de la spécialisation.

Nous avons reconnu à l’Autorité de la concurrence la légitimité d’exercer ses pouvoirs, après des débats compatibles avec les grands principes de notre droit au respect desquels veillent tant le Conseil constitutionnel que la Cour européenne des droits de l’homme.

Si nous n’avons conservé qu’une seule des trois dispositions relatives aux sociétés d’exercice du droit – les deux autres ne présentant pas suffisamment de garanties –, c’était pour vous engager, monsieur le ministre, à reprendre la plume au sujet de dispositifs sans doute trop hâtivement rédigés et à proposer un texte plus conforme à la protection de l’indépendance d’exercice des professions juridiques. Cette suppression n’a été faite qu’à titre conservatoire.

J’arrête cette énumération. Nous en reparlerons lors de l’examen des amendements.

Mes chers collègues, ce projet de loi, amendé par la commission spéciale, dans un esprit dont chacun et chacune d’entre vous saluera, je suppose, le caractère constructif, a été sans doute, au surplus, en grande partie défendu, auprès de leurs membres plus radicaux, par les mandataires responsables de la plupart des activités économiques, juridiques ou judiciaires concernées.

Monsieur le ministre, ne laissez pas passer cette occasion, parmi d’autres, qui, contrairement à l’avis de M. le Président de la République, pourrait faire que la future loi soit celle de l’année ! Pour cela, restez-en à ce que vous avez affirmé sur ce projet de loi lors de votre audition par la commission spéciale du Sénat : « Le texte peut être amélioré tout en conservant l’équilibre entre efficacité économique accrue et justice sociale préservée, parfois même renforcée. » Vous indiquiez également : « Je ne doute pas qu’il sera encore enrichi par vos discussions guidées par l’intérêt général. »

Mes chers collègues, monsieur le ministre, il y a les lois qui, dès leur promulgation, se diluent dans les textes préexistants qu’elles ont modifiés ou phagocytés. Il y a les lois qui s’identifient par leur date ; elles ne peuvent alors espérer être évoquées que par quelques juristes et parlementaires. Il y a celles qu’on affuble d’un acronyme ; les médias leur accordent une attention souvent éphémère. Et puis il y a les lois que nos concitoyens, eux, gardent en mémoire, parce qu’ils ont jugé leur genèse et leurs effets. Veillons-y, monsieur le ministre. Ces lois-là sont celles qui portent le nom de leur auteur. (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission spéciale. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Monsieur le ministre, je commencerai par souligner un instant vos mérites. (Murmures sur les mêmes travées.)

Mme Catherine Deroche, corapporteur. Ça commence bien !

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Le présent texte était initialement marqué par des intentions que vous avez su remiser avec soin. Par exemple, rendre 6 milliards d'euros de pouvoir d'achat à nos concitoyens. Comme si une loi pouvait y suffire !

Mme Nicole Bricq. Ça peut aider !

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Vous avez donc su minorer cette intention de votre prédécesseur et revenir à des principes un peu plus réalistes.

M. Pillet vient de le rappeler, vous avez gardé un certain nombre de dispositions relatives aux professions réglementées qui visaient à désigner du doigt ces dernières : elles allaient rendre une partie des milliards d'euros en question. Nous y reviendrons. Quoi qu’il en soit, l’essentiel de l’idéologie a disparu, au moins dans le discours. Nous veillerons avec les corapporteurs à ce qu’il en soit de même dans les actes.

Monsieur le ministre, ce satisfecit est très partiel. Il vise une partie du travail accompli et vous invite à continuer à progresser avec nous. C’est ce que le Sénat s’est employé à faire lors des travaux de la commission spéciale.

À vrai dire, le Gouvernement et le Parlement vont vivre un moment singulier. Selon que seront défendues dans cette enceinte des positions utiles à la discussion, à la réforme du pays, au déblocage du marché de l’emploi et à la compétitivité – les deux vont de pair – ou que sera conduit un débat politicien, c’est une certaine idée de la réforme et de l’adaptation du pays au temps présent qui sortira consolidée ou entravée des travaux du Sénat.

Nous mesurons la responsabilité qui est la nôtre. Aussi l’ambition de la commission spéciale a-t-elle été, par son travail, d’apporter une contribution éclairée, exigeante, afin que la Haute Assemblée offre au Gouvernement l’occasion de clarifier sa démarche, non par plaisir, mais simplement pour être utile à l’emploi. Les temps actuels appellent de la clarté et requièrent que l’on s’intéresse aux véritables questions.

Monsieur le ministre, nous nous interrogeons : êtes-vous prêt à bouger ? Je vous donne acte du retrait de certains amendements par le Gouvernement et de votre volonté de discuter maintenant avec le Sénat. C’est cela qui compte.

La Haute Assemblée tente d’aborder les véritables enjeux : la situation de l’emploi et celle de la compétitivité des entreprises. Ces situations sont telles, si difficiles, que nous pourrions trouver des accords. Si vous sortiez du flou, monsieur le ministre, comme nous vous y invitons, des avancées seraient possibles.

Si je devais caricaturer votre action, je dirais que vous nous proposez trop souvent une mesure favorable à la compétitivité pour deux mesures d’atténuation, ce qui rend le tout illisible et peu opérationnel. Trop tard, trop peu, de façon contradictoire : c’est souvent la manière de faire du Gouvernement. Toutefois, je m’en tiendrai au fond.

Parmi les pays de l’OCDE, l’Organisation de coopération et de développement économiques, seule l’Italie a connu une croissance par tête plus faible que celle de la France au cours des vingt-cinq dernières années. C’est à dessein que je procède à une comparaison sur un laps de temps long, afin de ne stigmatiser ni le Gouvernement actuel ni aucun autre gouvernement. Je pense que nous devons méditer ensemble ce constat. Tel est tout l’enjeu de nos débats : en finir avec la fatalité qui fait que nous sommes à la traîne des pays européens.

Cela étant, l’examen de votre texte révèle plusieurs paradoxes.

Le premier a déjà été relevé à plusieurs reprises. Alors que vous parlez de favoriser la croissance et la compétitivité, vous traitez beaucoup du secteur réglementé, lequel n’est presque pas ouvert à la concurrence, en tout cas à la concurrence internationale.

Ensuite, vous abordez dans le présent projet de loi de nombreux sujets qui ne relèvent pas du champ de votre ministère, comme la justice, le travail, l’urbanisme, et j’en oublie. L’exercice a un côté classique, mais jamais un texte n’avait embrassé autant de champs ministériels, allant parfois jusqu’à les étouffer, au point qu’un certain nombre de ministères se sont sentis non seulement dépossédés, mais aussi désavoués.

Au final, et c’est là le principal paradoxe, l’ambition initiale de ce texte, favoriser la croissance et l’activité, disparaît assez vite.

D’abord, il faut souligner que le secteur du numérique est absent du projet de loi, même si vous nous assurez, monsieur le ministre, qu’il sera abordé plus tard. Or, à terme, le numérique constituera sans doute une véritable révolution, à laquelle nous devons donc nous préparer.

Ensuite, il manque à votre texte de véritables dispositions en faveur de la croissance et de l’activité, comme l’a fort bien relevé Catherine Deroche voilà quelques instants. La commission spéciale les a légitimement introduites. Alors que vous nous parliez de croissance et d’activité, monsieur le ministre, on se disait qu’il y avait une erreur d’étiquette, pour ne pas dire tromperie sur la marchandise, car le texte ne contenait aucune mesure susceptible de les favoriser.

M. Charles Revet. Très bien !

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. De ce texte qui aurait en fait pu être intitulé « projet de loi portant diverses dispositions d’ordre économique », nous avons fait un véritable texte pour la croissance et l’activité.

Nous pensons qu’il faut travailler à la fois pour la croissance, pour l’activité et pour l’emploi. C’est là l’essentiel.

J’évoquerai maintenant le volet relatif au droit du travail.

Nous avons lu avec attention la déclaration suivante de M. le Premier ministre – comme vous pouvez le constater, nos sources sont bonnes – au magazine Challenge il y a quelques jours : « Je veux ouvrir le chantier de l’emploi dans les PME. » Nous avons entendu M. Valls, et nous lui proposons des mesures utiles à cette fin.

Comme le titrait récemment un excellent quotidien du soir, « Le Premier ministre [avance] à tâtons sur la réforme du marché du travail ». Pour notre part, nous voulons le guider – cela part d’une bonne intention – en ayant à l’esprit les conclusions du rapport livrées la semaine dernière par l’OCDE : priorité doit être donnée en France à la réforme du marché du travail. Nous y venons.

Catherine Deroche a présenté des mesures tout à l’heure. Tous les experts en parlent. Le Gouvernement les met sur la table, au fil de déclarations perlées, considérant que ce sont de bonnes idées, mais qu’il convient d’attendre et qu’il faudra peut-être encore procéder à des changements.

Pour notre part, nous avons choisi de débattre de ces mesures et de les rendre opérationnelles. À cet effet, la commission spéciale a déposé des amendements. Vous voici donc placé devant vos responsabilités, monsieur le ministre : rester dans le flou ou faire des choix clairs. L’économie a besoin de simplicité et de clarté, tout comme le débat politique. Nous vous proposons par conséquent de revenir à la clarté, ou d’y venir tout simplement peut-être.

À vrai dire, à vous écouter, nous pourrions penser que nos divergences sur ce sujet tiennent uniquement à la temporalité. Vous nous demandez en effet d’attendre la fin de la négociation sociale. Or l’accroissement des difficultés de nos concitoyens et l’accélération du décrochage économique des entreprises, lesquelles créent les emplois, sont tels que le tempo du dialogue social devrait peut-être être accéléré.

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Il me semble donc que les propositions que nous formulons méritent d’être mises en place. Il me semble surtout que l’argument du calendrier dissimule en fait un manque de volonté et l’absence d’objectifs clairement définis.

Cela étant, un autre grand sujet mérite une réflexion de la Haute Assemblée, celui du droit et de l’économie. François Pillet en a parlé avec talent.

Lors de son audition par la commission spéciale, Mme la garde des sceaux a déclaré : « S’il est important que les professions juridiques réglementées participent à la revitalisation de l’économie, la justice et le droit ne peuvent être abordés sous un angle uniquement économique. » C’est ce propos qui a guidé la réflexion de François Pillet. On peut tout dire du dispositif qu’il a présenté, mais on ne peut en aucun cas le caricaturer.

M. Bruno Retailleau. On est d’accord !

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. M. le corapporteur a proposé des mesures qui, il faut le reconnaître, rendent la réforme applicable. C’est tout son talent. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Quant au volet « mobilité, économie pure », Dominique Estrosi Sassone a rappelé avec clarté et fougue les apports de la commission spéciale. Là encore, une clarification s’impose, en particulier concernant les sociétés de projet. Jean-Pierre Raffarin en parlera mieux que je ne saurais le faire. Un arbitrage du Président de la République est intervenu en la matière, mais il y a trois façons de le comprendre : soit la vente des fréquences hertziennes, soit les sociétés de projet, soit encore, selon Bercy, un autre dispositif à définir et à étudier si un problème se posait à la rentrée. Là encore, nous appelons très simplement à la clarté.

Pour ce qui concerne le secteur ferroviaire, Dominique Estrosi Sassone l’a dit à l’instant, nous pensons qu’il faut non pas refuser l’expérimentation de l’ouverture à la concurrence, mais l’encadrer. Nous ne rendrions pas service aux cheminots en renvoyant le sujet à plus tard, lorsque tout sera libéralisé d’un coup. Mieux vaut selon nous que la SNCF se prépare dès aujourd'hui à la libéralisation. Tel est le sens du dispositif, que je pense protecteur, adopté par la commission spéciale.

Pour conclure, je tiens à souligner l’excellent climat des travaux en commission, ainsi que l’implication très forte de tous les corapporteurs, leur talent et leur constance, de même que l’aide du personnel de la commission.

Monsieur le ministre, la majorité sénatoriale vous soumet aujourd'hui un texte amendé, c’était son devoir. Il est le fruit d’un travail effectué par la commission spéciale en concertation avec les présidents des groupes du Sénat que je tiens à saluer et à remercier de leur soutien et de leur exigence constructive.

En résumé, je rappellerai ce qu’a dit Jacques Attali lors de son audition par la commission spéciale : ce texte est anecdotique au regard du besoin d’adaptation du pays, mais votez-le, car cela peut être un starter. Nous avons fait d’un projet de loi anecdotique un texte bien plus musclé et ayant du pep. Nous en avons surtout fait un texte pour la croissance et pour l’emploi. Nous avons ajouté un moteur et du carburant au starter qu’évoquait Jacques Attali. Avançons ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Par la volonté réformatrice qu’il traduit, par son ampleur et sa diversité, grâce au recours à des méthodes innovantes d’évaluation d’expériences étrangères, du fait, monsieur le ministre, de votre personnalité et de votre implication dans le travail parlementaire à l’Assemblée nationale, le présent projet de loi est un texte d’exception (Exclamations amusées sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.), au sens étymologique du terme. Relisez le dictionnaire, mes chers collègues !

J’évoquerai pour ma part plus particulièrement le contexte macro-économique dans lequel s’ouvrent nos débats au Sénat. Tout concourt aujourd'hui à ce que les entreprises se mettent en phase avec les facteurs macro-économiques favorables, qu’ils soient exogènes ou internes. Nous assistons à une reprise portée par la consommation. (Mme Éliane Assassi s’exclame.) L’INSEE table sur une nette remontée des marges des entreprises, favorisée en cela par les effets positifs du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi. L’État lui-même voit la charge de sa dette allégée. Les conditions d’une accélération des réformes sont donc réunies.

À cet égard, les annonces en faveur de l’investissement faites par le Président de la République sont de bon augure. Le Premier ministre s’exprimera lui aussi sur ce sujet demain.

Il est également nécessaire, et tel est le mérite de ce texte, de redonner confiance tant aux entrepreneurs qu’aux salariés. Il faut en particulier leur donner de la prévisibilité et s’assurer que les décisions d’investissements publics et privés sont rapidement opérationnelles.

À cet égard, permettez-moi de répondre aux critiques qui sont faites sur toutes les travées de cet hémicycle sur l’habilitation à légiférer par ordonnance demandée par le Gouvernement au Parlement dans certains articles du projet de loi.

Je rappellerai tout d’abord que tous les gouvernements usent de cette faculté et qu’on ne saurait le leur reprocher. (Exclamations sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.) Je rappellerai ensuite, une bonne fois pour toutes, qu’une ordonnance n’est pas un simple arrêté administratif. L’habilitation à légiférer par ordonnance est encadrée par le Parlement. Les parlementaires peuvent être associés à l’élaboration des ordonnances – il appartient au rapporteur du texte et au président de demander cette association. Enfin, les ordonnances sont ratifiées par le Parlement. Ce dernier n’est donc en aucun cas dépossédé de sa capacité à légiférer.

Cela étant dit, même si nous appuyons sur la pédale « investissements », le problème de l’emploi demeure, cela a été souligné, notamment dans le secteur marchand. Une économie doit en effet marcher sur ses deux jambes : il faut à la fois réaliser un investissement productif dans les bons secteurs, c'est-à-dire investir dans nos capacités de production plus que dans le bâtiment et dans l’immobilier, et agir sur la création d’emplois dans le secteur marchand.

De ce point de vue, deux mesures ont été évoquées : le travail du dimanche et l’ouverture régulée de lignes d’autocars. Toutes les évaluations indépendantes conduites sous l’égide de France Stratégie ont montré que ces mesures avaient eu des effets positifs sur l’emploi à l’étranger.

Permettez-moi également d’insister sur le fil rouge de l’action gouvernementale et sur ce qui constitue à mes yeux une contribution essentielle du projet de loi à la reconnaissance du rôle des salariés et de leurs organisations syndicales dans l’entreprise. Force est de le constater, la commission spéciale n’est pas en phase avec cette volonté. Le texte qui est issu de ses travaux contient trop d’exemples de la défiance de la majorité sénatoriale à l’égard des salariés. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Caricature !

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Allons ! Nous avons adopté 125 articles conformes !

Mme Nicole Bricq. Nous, socialistes, tenons au statut de salarié protégé du défenseur syndical dans la procédure prud’homale. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)

Nous, socialistes, tenons à la négociation pour l’ouverture des commerces le dimanche.

Nous, socialistes, sommes attachés au principe de la négociation des plans sociaux d’entreprise qui permet de responsabiliser les acteurs économiques.

Mme Éliane Assassi. Le conseil de prud’hommes !

Mme Nicole Bricq. Nous, socialistes, sommes favorables à la relance de l’actionnariat salarié et de l’épargne salariale. (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP et du groupe CRC. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Nous, socialistes, sommes favorables à la dilution du capital si elle est nécessaire à une reprise de l’activité par une entreprise.

Mme Éliane Assassi. Cela s’appelle la méthode Coué !

Mme Nicole Bricq. Monsieur le corapporteur, cette discussion nous donnera l’occasion, même si nous avons déjà eu ce débat en commission spéciale, de confronter notre vision de l’entreprise à la vôtre.

M. François Pillet, corapporteur. Vous regardez le chômage monter !

Mme Nicole Bricq. Notre vision de l’entreprise, c’est celle d’un bien collectif qui appartient autant aux salariés qui la font vivre qu’aux actionnaires, alors que, vous, vous en avez une conception purement patrimoniale. (Mais non ! au banc des commissions et sur plusieurs travées de l’UMP.) Nous y reviendrons.

Depuis le mois d’octobre dernier, la majorité sénatoriale siège du côté droit de cet hémicycle. J’ai bien écouté les interventions que, les uns et les autres, vous avez faites, mes chers collègues. Elles sont empreintes d’un paradoxe. Vous ne pouvez pas dans le même temps, et souvent par les mêmes voix, prétendre que vous n’êtes pas dans une opposition systématique au Gouvernement et affirmer votre volonté de réécrire totalement le présent texte. C’est tout de même contradictoire !

M. Henri de Raincourt. C’est pour aider le Gouvernement !

Mme Nicole Bricq. J’ai même entendu employer le terme « détricotage »…

Alors, je vous laisse à votre paradoxe, mais tous ceux qui s’intéressent à nos travaux – j’ose espérer qu’il s’en trouve quelques-uns,…

M. Bruno Retailleau. Ils sont nombreux !

Mme Nicole Bricq. … des observateurs attentifs de la vie politique – ne pourront que constater le contraste évident qu’il y a eu dans le travail de la commission spéciale entre le protectionnisme acharné dont elle a fait preuve (Protestations sur les travées de l'UMP.) à l’égard, notamment, des professions réglementées du droit, et, parallèlement, le très grand libéralisme qui l’a inspirée quand il s’est agi de rogner les droits des salariés et de leurs représentants syndicaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Protestations sur les travées de l'UMP.)

Je ne prendrai que deux exemples de votre démarche, puisque nous disposons de quinze jours pour revenir sur tous ces sujets.

Vous avez supprimé l’article visant à renforcer la présence des salariés – elle avait été portée à la majorité des deux tiers – dans les conseils de surveillance des fonds communs de placement d’entreprise et vous êtes revenus au texte initial, c'est-à-dire à la moitié seulement. Il s’agit quand même de l’épargne salariale ; comme son nom l’indique, elle appartient aux salariés. Eh bien non, vous n’êtes pas d’accord avec le fait qu’on augmente la proportion des salariés dans ces conseils de surveillance.

Dans le cadre du travail du dimanche, en conditionnant l’ouverture dominicale à la décision unilatérale de l’employeur, approuvée par référendum par les salariés, à défaut d’accord collectif, vous faites un choix politique très fort. Cela signifie que vous niez les vertus du dialogue social et du compromis social. (Protestations sur les travées de l'UMP.)

Ce choix est contraire à toute l’action du Gouvernement, qui vise à renforcer le dialogue social et à permettre l’expression des salariés au travers de leurs représentants. C’est le sens du texte du ministre du travail qui vient d’être transmis aux partenaires sociaux et qui permettra, y compris dans les très petites entreprises, que cette représentation existe.

Cet immobilisme, associé à la non-reconnaissance des droits des salariés et de la négociation, est un très mauvais signal. Il ne ramène pas la confiance.

Il y a ceux qui disent que c’est trop et ceux qui estiment que ce n’est pas assez. En définitive, comme je l’ai déjà indiqué en commission, les vents contraires s’annulent et nous condamnent au blocage. Voilà ce qui apparaît au travers de vos interventions, mes chers collègues, alors que, vous le savez – les élections nous le rappellent d’année en année –, l’immobilisme politique nourrit le populisme. (Exclamations sur les travées de l'UMP et du CRC.)

Mme Éliane Assassi. Essayez de faire une politique de gauche !

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. C’est vous l’immobiliste !

Mme Nicole Bricq. Je voudrais aussi que l’on évite les excès de langage.

Monsieur Capo-Canellas, vous avez déclaré ce matin que ce texte était une coquille vide.

M. Charles Revet. C’est pis que cela !

Mme Nicole Bricq. Prenant le même ton que vous, je pourrais vous rétorquer que j’y vois pour ma part une corne d’abondance. (Exclamations sur les travées de l'UMP et du groupe CRC.) Mais en quoi aurions-nous amélioré la situation de la France et des Français ? En rien du tout ! Donc, épargnons-nous ces polémiques et ces joutes verbales stériles ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Des polémiques, vous en avez fait beaucoup !

Mme Nicole Bricq. Je terminerai en vous disant que le groupe socialiste croit que notre pays est capable de mouvement. Il soutient le Gouvernement dans sa volonté de réforme. Il s’agit de dégager de bons compromis, utiles à la France, dans une économie de marché régulée et face au processus de mondialisation. C’est à cela que vous invite, mes chers collègues, le texte du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi a été qualifié de « fourre-tout », de « catalogue de mesures », de « liste de courses » du Gouvernement : les adjectifs ne manquent pas dans la presse pour qualifier un texte volumineux, qui vise de très nombreux sujets, et dont la cohérence globale fait l’objet de questions. Mais qu’en est-il réellement ?

Monsieur le ministre, lors d’une audition, vous avez déclaré que le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a trois origines principales : tout d’abord, les réformes amorcées par votre prédécesseur, Arnaud Montebourg, à Bercy, notamment sur les professions réglementées ; ensuite, les apports du ministère du travail ; enfin, vos propres réflexions, alimentées par votre participation à la commission Attali, au début du quinquennat précédent.

Ces trois inspirations partagent un point fondamental : une certaine approche de la société, un fil rouge, dont a parlé Mme Bricq, bien que l’adjectif « rouge » ne soit pas spécialement adapté à ce projet de loi… (Rires et applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du CRC.)

Mme Éliane Assassi. « Rose » conviendrait mieux !

M. Jean Desessard. Cela étant, on reproche souvent aux textes dont nous débattons dans cet hémicycle d’être seulement des outils de gestion, des projets technocratiques. Il faut le reconnaître, ce n’est pas le cas de votre projet de loi, monsieur le ministre, qui esquisse une idéologie.

Ce texte repose sur une idée simple – je n’ai pas dit simpliste : notre pays dispose d’un potentiel de croissance inexploité et pour parvenir à libérer celui-ci, il nous faut supprimer un certain nombre d’obstacles normatifs.

Plusieurs domaines jugés « réformables » sont ainsi identifiés et constituent l’ossature du projet de loi : transports collectifs, professions réglementées, commerce, urbanisme, environnement, droit du travail. Vous les avez, monsieur le ministre, détaillés assez précisément.

Le but est de favoriser l’arrivée de nouveaux entrants sur des secteurs jusque-là protégés, afin que cette mise en concurrence crée de l’emploi, de la richesse, de la croissance.

Cette vision peut se comprendre, mais elle comporte une différence fondamentale avec celle des écologistes. Là où vous voyez des obstacles, monsieur le ministre, nous voyons des garanties, celles d’avoir un environnement sain, un cadre de vie agréable, du temps pour s’épanouir en dehors du travail et un accès à des services de même qualité pour tous.

Si le transport par autocar n’est pas aujourd’hui complètement libéralisé, c’est parce que la priorité a été donnée au ferroviaire, moins polluant. Si les notaires ne sont pas des commerçants comme les autres, c’est parce qu’ils assurent des missions de service public.

Mme Catherine Procaccia. Ce ne sont pas des commerçants !

M. Jean Desessard. Si le travail de nuit est très fortement limité, c’est parce qu’il a une incidence avérée sur l’espérance de vie.

Des ajustements doivent nécessairement être faits, mais il existe des garde-fous légitimes dont le projet de loi que nous examinons prévoit de s’affranchir.

Cette volonté de libéralisation est renforcée par la majorité sénatoriale pour ce qui concerne certaines parties du texte. On peut toujours compter sur vous, chers collègues qui siégez sur la droite de l’hémicycle, lorsqu’on commence à lever un frein, pour encourager la démarche…

M. Bruno Sido. Oui, en effet !

M. Jean Desessard. Et, vous l’avez d'ailleurs dit, vous assumez parfaitement ! La majorité sénatoriale a ainsi adopté en commission une série d’amendements, visant notamment le travail du dimanche, et qui vont encore plus loin que la version votée à l’Assemblée nationale.

Le texte contient un nombre important de demandes pour légiférer par ordonnances. Cette manière de réformer est discutable, surtout lorsque ces ordonnances concernent des sujets aussi importants que le droit de l’environnement ou des grands travaux comme le canal Seine-Nord ou la liaison Charles-de-Gaulle Express. Le Parlement est ainsi prié de laisser toute latitude au Gouvernement pour agir dans ces domaines, ce qui traduit une conception de son rôle que nous ne partageons pas.

Dans son contenu, le projet de loi aborde en premier la question des transports terrestres, principalement l’ouverture à la concurrence des lignes d’autocars.

Il faut conduire un débat intéressant – nous l’avons fait au sein de mon groupe – sur la place de l’autocar dans nos modes de déplacement, monsieur le ministre, et ce n’est pas si simple que cela.

Votre objectif est que cinq millions de voyageurs utilisent l’autocar d’ici à un an. Cette mesure est supposée créer 10 000 emplois et permettre des voyages plus aisés sur des trajets qui ne sont pas desservis par le train. Mais quelle réflexion avons-nous, aujourd'hui, sur l’aménagement du territoire ? Les acteurs privés qui assureront ces services n’ont que faire de l’aménagement du territoire ; ils s’installeront là où c’est rentable, ce qui ne résoudra pas l’isolement de certains territoires. Il faut toutefois noter qu’une amélioration sensible a été introduite par la commission spéciale : le doublement de la limite kilométrique de déclaration. Ainsi, les régions continueront à assurer leur rôle d’organisatrice des transports.

Pour nous, le risque est que les autocars ne deviennent les moyens de transport sur moyenne et longue distance les plus utilisés par les personnes les moins aisées, créant ainsi des déplacements à deux vitesses : les riches se déplaceraient en train et par avion, tandis que les pauvres le feraient par autocar. Et cette situation existe déjà. On peut le constater, ce sont essentiellement des jeunes qui utilisent les TER en provenance de Lyon le dimanche soir, parce que le TGV est trop cher.

Il y a donc aujourd'hui une réflexion importante à mener sur les rôles respectifs de l’autocar et du train, de façon que ces modes de transport soient complémentaires. Cela n’apparaît pas clairement, monsieur le ministre, même si, je le sais, vous avez envie de soulever cette question, dont nous sommes prêts à débattre avec vous au cours des quinze jours qui viennent.

En revanche, toujours dans le domaine des transports, l’introduction par amendement à l’Assemblée nationale de deux grands projets coûteux et douteux réalisés par ordonnance – le canal Seine-Nord et le Charles-de-Gaulle Express – n’est pas acceptable. Ces deux projets méritent à eux seuls un débat parlementaire complet…

M. Bruno Sido. Tout à fait !

M. Charles Revet. C’est toute la limite des ordonnances !

M. Jean Desessard. … et les écologistes en demandent le retrait du texte.

Pour ce qui concerne le permis de conduire, le projet de loi prévoit des avancées : en supprimant la durée minimale de vingt heures de conduite avant le passage de l’examen, en ouvrant la possibilité d’établir des contrats avec des auto-écoles en ligne et en interdisant la facturation de frais excessifs par les auto-écoles pour la présentation à l’examen, il permet de raccourcir les délais et de réduire le poids financier du permis.

En revanche, monsieur le ministre, nous ne souscrivons pas à votre projet relatif aux professions réglementées. Vous proposez de considérer les notaires et les avocats aux conseils comme des commerçants qui doivent être soumis à la concurrence comme toute profession. Or ces professionnels assurent avant tout un service public, le même pour tous. Les notaires sont assermentés et leurs actes sont obligatoires pour un grand nombre d’opérations. Ils assurent aussi, et ce n’est pas connu, une mission de lutte contre la fraude, avec près de 1 000 déclarations par an auprès de TRACFIN – traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins –, ce qui n’est pas rien. Un office notarial n’est donc pas un magasin soumis à une logique de marché.

La création d’entreprises interprofessionnelles donne lieu à une confusion des genres dangereuse, notamment entre les professions du droit et du chiffre. Les États-Unis ont démantelé les grands cabinets multiprofessionnels après des scandales comme l’affaire Enron. Quinze ans plus tard, vous nous proposez de refaire les mêmes erreurs en France.

Quant au fameux article 28 relatif aux ordonnances concernant le droit de l’environnement, le texte initial prévoyait une large habilitation à légiférer par ordonnance pour simplifier les règles d’urbanisme. Je n’entrerai pas dans le détail faute de temps, mais, là encore, le droit à l’environnement est perçu comme un frein à la croissance, alors que les écologistes le considèrent au contraire comme un garant de la qualité de vie et du respect de l’environnement.

Heureusement, la commission spéciale du Sénat a largement limité la portée de l’article susvisé aux seuls projets touristiques. Pour notre part, vous le comprendrez, nous demanderons néanmoins la suppression de cette disposition.

L’article 29 envoie un message catastrophique aux acteurs de la construction : « Privilégiez le passage en force, car une fois la construction réalisée, plus personne ne pourra s’y opposer. » En empêchant la démolition, hormis dans certains cas précis comme les constructions sans permis et les projets dans des zones sensibles, cet article constitue une attaque directe contre l’environnement. Nous nous y opposerons.

Viennent ensuite un certain nombre de privatisations qui ne disent pas leur nom. Il s’agit de Nexter, du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies, des sociétés de projet dans le domaine de la défense, et des aéroports de Nice et de Lyon. Les écologistes s’opposent à ces privatisations injustifiées, qui traduisent une volonté de recherche de capitaux à court terme – on peut certes la comprendre –, sans aucune vision d’investissement et de planification. Il s’agit là d’un énième recul de l’État planificateur, auquel nous n’apporterons pas notre soutien.

M. Henri de Raincourt. Cela fait de la peine !

M. Bruno Sido. Pas d’entrée au Gouvernement !

M. Jean Desessard. L’article 64, qui prévoit un rapport annuel d’information sur les retraites chapeaux, et l’article 64 bis, qui encadre celles des mandataires sociaux dirigeants, vont dans le bon sens. Nous y sommes favorables.

À partir de l’article 71, le projet de loi aborde une autre dérégulation, celle du droit du travail. Il est prévu d’augmenter le nombre de « dimanches du maire » et de le porter de cinq à douze, de créer des zones internationales dans lesquelles les règles relatives au travail de nuit et dominical seront simplifiées, de réformer la justice prud’homale et d’adapter les conditions d’embauche des travailleurs handicapés.

Il y a là un raisonnement qui m’échappe. Comment peut-on considérer qu’ouvrir les magasins le dimanche ou le soir créera de la croissance et de l’emploi ? Un bien acheté le dimanche ne sera pas acheté en semaine, sauf dans quelques zones marginales. C’est simplement un autre rythme de consommation que vous nous proposez : acheter 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, « non-stop », sans espace préservé pour soi ou ses proches.

Le dimanche est un jour collectivement et culturellement accepté comme chômé. En brisant cette règle, cette convention, c’est l’individualisme qui progresse et certainement pas le bien-être collectif. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Quant au travail de nuit, les risques qu’il fait encourir sont connus : désadaptation et isolement social, professionnel et/ou familial, probabilité plus élevée de cancers, notamment du sein et colorectal. Je n’invente pas ces effets, ils sont écrits en toutes lettres sur le site du ministère du travail !

Si le Gouvernement est prêt à mettre en place ces rythmes de travail, tout en étant parfaitement conscient des risques pour les travailleurs, cela se fera sans l’assentiment des écologistes. Il faut reconnaître que, sur ce point, vous avez décidé d’en rajouter ! Vous comprendrez que, comme le disait Mme Bricq, nous n’allions pas dans votre sens.

En conclusion, vous le savez, monsieur le ministre, les députés écologistes ont majoritairement voté contre votre projet de loi. Je pense que vous avez compris le sens de l’analyse que fait mon groupe au Sénat de votre texte. Néanmoins, nous resterons pragmatiques, une qualité que vous appréciez. En fonction des amendements qui seront adoptés et du texte issu des travaux de notre assemblée, nous vous réserverons peut-être la surprise d’un vote positif. (Exclamations sur diverses travées.)

Mme Éliane Assassi. L’attrait du pouvoir !

M. le président. La parole est à M. Pierre Laurent.

M. Pierre Laurent. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collèges, le projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, appelé désormais « loi Macron », dont nous entamons la discussion aujourd’hui au Sénat, n’aurait jamais dû parvenir jusqu’à nous. Alors que le Gouvernement a été privé de majorité à gauche à l’Assemblée nationale, ce texte n’a dû son salut qu’au coup de force du Premier ministre et à l’utilisation de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution. C’est donc un projet de loi démocratiquement entaché dont nous poursuivons l’examen.

Permettez-moi de formuler une remarque politique préalable. Depuis cet épisode bafouant la souveraineté parlementaire, la politique du Gouvernement a, une nouvelle fois, conduit à une lourde défaite électorale. Monsieur le ministre, nier le lien direct entre, d’une part, le contenu de votre projet de loi, de la politique gouvernementale en général, la persistance à imposer cette politique et, d’autre part, ces débâcles électorales relève soit de l’aveuglement idéologique, soit d’un choix assumé, et, sans doute, malheureusement, d’un peu des deux.

Le Premier ministre ne peut pas, d’un côté, regretter la forte abstention à gauche, le décrochage populaire des électeurs de 2012 et, de l’autre, continuer à appliquer à la ligne les recommandations du fascicule du « parfait petit libéral », alors que cette politique ne produit aucun résultat dans la lutte contre le chômage et pour l’amélioration de la vie quotidienne des Français qui souffrent le plus. C’est totalement contradictoire !

Les Français, qui attendent des changements sociaux importants, ne cessent de vous dire clairement qu’ils souffrent de cette politique à chaque occasion qui leur est donnée. Vous devriez les écouter au lieu d’enfoncer le pays dans cette dangereuse impasse !

Au lendemain des élections départementales, vous avez montré dans quelle considération vous teniez l’expression démocratique des Français. Dès le lendemain du second tour, vous avez lancé une de ces petites phrases dont vous avez le secret, en annonçant pour l’été prochain un second volet de votre dispositif de dérégulation, un « Macron II » en quelque sorte.

Devant le tohu-bohu déclenché y compris au sein du parti socialiste, le Premier ministre a repoussé cette annonce, mais nous savons que, avant même l’adoption définitive du texte dont nous discutons, vous pensez déjà à la seconde étape, qui vise en particulier à déstructurer le droit du travail dans les PME.

M. Michel Savin. C’est vrai !

M. Pierre Laurent. Notre discussion intervient dans un contexte économique et social toujours plus dégradé. Les dernières annonces de l’INSEE en témoignent. On nous prédit une petite reprise de la croissance, mais sans création d’emplois. Si l’on regarde les choses de près, c’est en réalité le contenu et les objectifs du développement économique qui doivent être repensés pour impulser un nouveau mode productif, social et écologique. Faute de le faire, l’effet de votre politique de soutien aux profits et des 50 milliards d’euros que vous avez offerts aux entreprises sera nul sur l’emploi et les investissements, contrairement à ce que vous annoncez. En revanche, notre pays reste le champion des dividendes versés aux actionnaires.

Mais revenons à votre texte, monsieur le ministre.

Votre projet de loi est un vrai fourre-tout. On s’y perd, on s’y noie. Nous ne sommes pas dupes : cette confusion est organisée ; elle relève d’une tactique déjà éprouvée pour soustraire du débat public les mesures les plus antisociales.

Mais cette profusion de dispositions masque mal une profonde cohérence, cette ligne dérégulatrice qui traverse l’ensemble du texte et qui est directement inspirée du rapport de la commission Attali dont vous fûtes le corapporteur, et dont M. Sarkozy jugeait les propositions « raisonnables ».

D’ailleurs, M. Attali ne s’y trompe pas en déclarant : « Ce n’est pas pour son contenu que la loi Macron doit être votée, mais parce qu’elle pourrait annoncer d’autres lois portant sur des sujets de fond. Elle est un peu comme le démarreur d’une voiture dont le conducteur appuiera ensuite sur l’accélérateur. » Votre démarrage, monsieur le ministre, est déjà en vérité une belle accélération libérale !

Je prendrai quelques exemples, puisque l’importance du texte ne me permet pas de tout traiter.

Alors que tout – le social, l’économique, l’écologique – appelle le développement du ferroviaire, rien dans ce projet de loi ne l’encourage. Ce dernier, en autorisant le développement massif du transport par autocar en concurrence de la SNCF, envoie le signal exactement contraire, et accompagne la mise en œuvre prochaine du quatrième paquet ferroviaire européen de déréglementation.

Plus de la moitié des lignes TER, de nombreuses lignes Intercités sont menacées de fermeture dans un délai très court, selon un rapport rendu public cette semaine. Comment ne pas faire le lien ?

J’ajoute que les conséquences porteront tant sur le service public que sur l’industrie. L’industrie ferroviaire, fleuron déjà en difficulté, risque, elle aussi, d’être entraînée vers le bas, avec des dizaines de milliers d’emplois menacés. Tout ce que vous préparez conduit à prendre en étau cette grande entreprise publique qu’est la SNCF pour réaliser le rêve libéral du tout-concurrentiel.

Le développement massif du transport par autocar, en lieu et place du développement attendu du secteur ferroviaire, représente une dérégulation non seulement économique, mais aussi sociale. Il induit également un risque écologique. Le transport routier pollue alors que le transport ferroviaire est propre.

Un tel développement conduit, enfin, à une dérégulation des territoires, puisque des zones entières ne seront plus desservies ni par le train, abattu par la concurrence, ni par les autocars. Car quel transporteur privé desservira des lignes non rentables ?

Les privatisations constituent un autre axe majeur de la dérégulation organisée par votre texte.

La vente au secteur privé – avec le soutien de la droite, comme je viens de l’entendre – de 50 % du capital de GIAT Industries pour permettre la constitution d’une nouvelle entreprise appelée NEWCO, en partenariat avec la société privée allemande KMW, n’est pas acceptable, et ce à plusieurs titres.

Tout d’abord, le bien public est, une nouvelle fois, bradé au nom d’un hypothétique développement de l’entreprise. Aucune garantie n’existe et aucune évaluation n’a été faite pour asseoir cette assertion.

Ensuite, au-delà de la capacité de la puissance publique à peser sur les choix industriels, la souveraineté est engagée en matière militaire, bien sûr, mais aussi diplomatique. Qu’en sera-t-il du contrôle du marché de l’armement terrestre lorsque les rênes seront, de fait, confiées au privé ?

Enfin, monsieur le ministre, pouvez-vous nous indiquer le curriculum vitae de cette entreprise privée allemande détenue par la famille Wegmann ? Pouvez-vous préciser ou démentir l’implication de cette société dans une affaire de corruption dans le cadre de vente d’armement à la Grèce en 2000 ?

Deuxième lot de privatisation : les aéroports de Nice et Lyon, après celui de Toulouse et avant celui de Marseille.

Là aussi, nous bradons le patrimoine public. Pensez-vous une seconde que les futurs actionnaires auront comme priorité le service public et un développement du territoire harmonieux ? Il faudrait un miracle ! La privatisation de ces grandes infrastructures relève du dogme libéral et répond directement aux injonctions de la Commission européenne de mettre tous les trafics en concurrence.

Ce bradage généralisé – nous évoquerons au cours du débat la privatisation du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies et la filialisation des CHU – a atteint des sommets caricaturaux dans toute l’Europe, particulièrement dans certains pays comme la Grèce, qui fait l’actualité en ce moment. Pour quel profit, hors celui des marchés et des actionnaires ?

L’ordonnance du 20 août 2014, qui, comme il se doit, n’a pas été débattue dans les enceintes parlementaires, est très importante et nous mènerons le débat, monsieur le ministre, sur des points qui, pour le moment, sont masqués dans le débat public. Car cette ordonnance ouvre la possibilité de privatiser toute entreprise publique à l’exception de celles qui sont protégées constitutionnellement, comme EDF ou ADP, alors que, auparavant, la liste en cause était limitative.

J’ai parfois l’impression que la conception gouvernementale de la gestion du patrimoine public relève plus du Monopoly que d’autre chose. Or il ne s’agit pas d’un jeu : c'est l’avenir de notre pays et de milliers de salariés qui est menacé par cette docilité à l’égard des exigences des marchés financiers.

Cette question des privatisations est, à nos yeux, cruciale. Le débat sur la nationalisation des autoroutes le montre. Il touche à des points essentiels et, là encore, vous avez décidé de renoncer.

Le troisième pilier de votre projet de loi, intitulé Travailler, apporte, quant à lui, de nombreuses satisfactions au MEDEF, qui – c'est un grand classique ! – en demande évidemment encore plus. Vous transcrivez dans la future loi les propos que vous avez tenus devant des patrons à Las Vegas : « Les entreprises pourront contourner des règles du travail rigides et négocier directement avec les employeurs. »

Par manque de temps, je ne détaillerai pas la liste des coups durs qui vont être portés, au nom de cette théorie, au monde du travail.

Vous banalisez le travail du dimanche – quoi que vous en disiez, c'est à cela qu’aboutira ce texte ! –, vous le généralisez, vous le déverrouillez. Vous assenez des poncifs : « Le travail du dimanche c’est plus de liberté et la liberté c’est une valeur de gauche. » Mais où est la liberté quand le travail du dimanche devient l’arme du chantage à l’emploi pour des salariés de plus en plus précarisés ?

Ce sont les salariés, les familles modestes, qui vont souffrir de cette disposition ; nous vous le prouverons au cours du débat. Le travail du dimanche ne permettra pas de créer plus d’emploi : aucune d’étude d’impact n’a pu démontrer le contraire. Il n’y a pas plus de consommation à la clé, car le budget reste identique; il a même régressé pour de très nombreuses familles.

Nous sommes, en vérité, en plein dogmatisme. Plus de déréglementation et la valeur consommation portée au pinacle : c'est comme cela qu’on va s’en sortir ! Sans doute est-ce votre monde idéal… D’ailleurs, quitte à étendre le travail du dimanche, pourquoi ne pas généraliser le travail de nuit, comme tendent à le faire certaines dispositions du projet de loi ?

Vous remettez en cause, dans le même esprit, les conseils de prud’hommes, dont vous limitez lourdement la capacité de jugement, sous prétexte de vouloir accélérer les procédures.

Vous dérégulez le droit du travail. Avec votre texte, le salarié et le patron pourront signer une convention dans le cadre du code civil, et non plus du code du travail. C’est un premier pas vers une justice à l’américaine : je le rappelle, aux États-Unis, les conflits du travail se règlent à 95 % entre avocats ! À votre avis, monsieur le ministre, qui aura les moyens de s’offrir les services des meilleurs cabinets ?

La réduction des compétences de l’inspecteur du travail et la simplification du droit du licenciement complètent ce tableau.

Dérégulation des transports, privatisations, attaques contre les droits des salariés sont donc des piliers de votre projet de loi.

Mais d’innombrables autres dispositions « simplifient » – pour ne pas dire « dérégulent » – les secteurs du logement et de l’urbanisme, ou encore la vie des entreprises, pour ce qui concerne les questions de transparence. Le Sénat pourra peut-être restreindre l’offensive démagogique contre les professions réglementées, mais la menace d’une libéralisation massive du secteur du droit est toujours présente.

Que dire, enfin, des cadeaux aux actionnaires, avec le développement des actions gratuites ou la validation des retraites chapeaux – c’est bien de cela qu’il s’agit –, que l’on nous avait promis de supprimer ?

Comptez sur nous pour revenir sur tous ces points au cours du débat. Et nous ne ferons pas que nous opposer : nous proposerons systématiquement des alternatives favorables aux salariés.

En revanche, ne comptez pas sur nous – et je m’adresse là aussi bien au Gouvernement qu’à mes collègues siégeant sur la droite de cet hémicycle – pour jouer les utilités dans le face-à-face de dupes que vous vous livrerez ! En effet, que fait la droite face à ce projet de loi ? Elle approuve à demi-mot. Elle minaude (Vives exclamations sur les travées de l'UMP. – M. le président de la commission spéciale s’exclame également.),…

Mme Éliane Assassi. C’est vrai !

M. Pierre Laurent. … un peu gênée que d’autres fassent le travail qu’elle n’a pas pu faire hier.

Tout à l'heure, Mme Estrosi Sassone disait que le projet de loi était au milieu du gué. Autrement dit, la moitié du chemin est déjà faite !

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Le gué est large !

M. Pierre Laurent. Dans ce débat, la droite va chercher à appuyer sur l’accélérateur, comme le prédisait M. Attali.

M. Bruno Retailleau. Absolument !

M. Pierre Laurent. Elle s’attaque aux seuils sociaux ; elle offre au secteur privé les TER ; elle remet en cause le compte pénibilité, elle double le plafonnement du dispositif ISF-PME, elle accélère la possibilité de vendre les HLM au secteur privé…

Monsieur le ministre, vous qui n’avez pas obtenu de majorité à gauche à l’Assemblée nationale, allez-vous rechercher cette majorité à droite au Sénat ? (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP.)

Pour conclure, je voudrais évoquer une anecdote, qui, je l’espère, vous fera sourire.

Le 1er avril dernier, un petit article publié par La Tribune, intitulé Les 35 heures, c’est fini !, relatait une réunion à Matignon, avec le Premier ministre, vous-même, monsieur le ministre, MM. Attali, Kessler, Gattaz et Tirole, au cours de laquelle avaient été décidées la fin des 35 heures, au bénéfice d’accords d’entreprise, la fin des seuils sociaux pour les entreprises de moins de 300 salariés et la libéralisation du licenciement économique.

M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !

M. Pierre Laurent. Figurez-vous qu’il a fallu beaucoup d’efforts pour démentir ce poisson d’avril, qui a été pris au sérieux par de nombreux lecteurs. C’est dire l’image du gouvernement auquel vous appartenez…

Nous qui défendons une gauche fière de ses valeurs et de ses engagements, nous nous battrons contre ce projet de loi pour proposer d’autres solutions.

M. le président. Concluez, mon cher collègue !

M. Pierre Laurent. Nous serons dans la rue aux côtés des très nombreux salariés qui défileront le 9 avril prochain. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Je préviens ceux qui seraient tentés de le faire pendant le débat sur le présent texte qu’il sera inutile d’opposer les immobilistes aux réformateurs. En effet, il existe de vrais réformateurs à gauche. (Exclamations ironiques sur les mêmes travées.) Nous le démontrerons ! (Vifs applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le titre du projet de loi – pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques – témoigne d’une forte et louable ambition.

Moderniser la France, faire bouger les lignes, faire reculer certains corporatismes : voilà des objectifs auxquels chacun peut souscrire.

Cependant, ce texte consiste, pour une large part, en un catalogue de mesures assez disparates. Or, comme dans tout catalogue, certains produits sont plus attirants que d’autres… Le problème, c’est que vous nous demandez, monsieur le ministre, de passer commande de tout ce que comporte le catalogue ! (M. le ministre sourit.)

Je vais surtout insister sur les points du texte qui nous posent problème. Vous me le pardonnerez, mais il me paraît essentiel de soulever un certain nombre de ces difficultés dans le débat, où le fond idéologique est important.

Par ses convictions et par son histoire, mon groupe a toujours été partisan, en matière économique, de favoriser la création de la production, à la condition de protéger les droits de ceux qui réalisent celle-ci et d’assurer une juste distribution des revenus qu’elle produit, ce qui implique une intervention de l’État dans le domaine économique pour préserver l’équilibre entre la finance et l’Homme.

Libérer la production, évacuer nombre de contraintes administratives étouffantes pour l’économie, sclérosantes pour le pays et, d’abord, pour les PME, les PMI et les artisans, nous y sommes favorables. Revenir à une véritable codification à la place d’une accumulation de textes de moins en moins compréhensibles et de plus en plus contradictoires, c’est une nécessité, mais c’est une vraie révolution, qui demande une véritable stratégie et un temps déconnecté de l’échéance présidentielle.

Votre projet de loi relève-t-il de cette stratégie ? Est-il un avant-propos ou un intermède ? À vous, monsieur le ministre, de nous donner la réponse.

Ce n’est pas la question du travail du dimanche qui posera problème à la majorité des membres de mon groupe, même si le texte initial fut l’œuvre d’un ministère où le rôle de Clemenceau fut essentiel.

M. Bruno Retailleau. Ah ! Clemenceau…

M. Jacques Mézard. C’est plutôt du point de vue de l’égalité entre les territoires que, selon nous, la question du travail dominical doit être posée, en évitant une fois encore de privilégier ceux qui, sur le plan économique, ont déjà le plus d’atouts.

De même, nous voyons d’un œil favorable les dispositions relatives à la gouvernance et aux opérations sur le capital des sociétés à participation publique.

Pour ce qui concerne le volet « mobilité » et la libéralisation des services de transport par autocar, il conviendra que vous nous rassuriez – vous avez déjà commencé à le faire – sur la protection de nos lignes ferroviaires, encore utiles dans certains territoires où le réseau routier national est quasi abandonné.

Nous sommes aussi tout à fait d’accord sur les dispositions de votre projet de loi relatives au logement et à l’environnement, en particulier sur l’extension de l’autorisation unique en matière d’installations classées pour la protection de l'environnement, les ICPE.

Toutefois, monsieur le ministre, nous tenons d’ores et déjà à attirer votre attention sur un problème à nos yeux très important – c’est vrai de ce projet de loi comme d’autres textes – et qui nous rend très circonspects : nous considérons qu’il n’est pas sain, dans une démocratie, d’accorder autant de pouvoirs à des autorités dites « indépendantes », dont personne, de fait, ne contrôle le fonctionnement.

Dans votre projet de loi, quelle place éminente, primordiale vous accordez à l’Autorité de la concurrence ! Est-ce bien raisonnable ? Nous ne le pensons pas. Imaginez, par exemple, que l’Autorité de la concurrence ait qualité pour exprimer son avis sur les avocats aux conseils. Ce serait aberrant ! Quelles sont les compétences réelles d’une telle autorité pour intervenir dans ces domaines ?

D’une manière générale, il est plus que temps de limiter les pouvoirs de telles autorités, de ne point en créer de nouvelles, voire d’en supprimer certaines. Elles sont plus souvent le refuge de la haute technocratie et le point d’orgue de carrières récompensées. (Marques d’approbation sur les travées du RDSE.) Voilà qui est dit !

M. Bruno Retailleau. Nous n’en attendions pas moins !

M. Jacques Mézard. Le groupe du RDSE a pris l’initiative, en vertu de son droit de tirage, de demander la constitution d’une commission d’enquête sur la création, l’organisation, l’activité et la gestion de ces autorités indépendantes. Nous nous ferons un plaisir de commencer, monsieur le ministre, par l’Autorité de la concurrence…

M. Charles Revet. C’est une bonne idée !

M. Jacques Mézard. Que l’État se départisse d’une part de ses missions régaliennes au profit d’autorités dont la légitimité démocratique est pour le moins contestable nous paraît dangereux. C’est au pouvoir politique, dans le bon sens du terme, qu’il convient d’assumer ses responsabilités,…

M. Jean Bizet. Très bien !

M. Jacques Mézard. … en veillant à un équilibre de la diversité des sensibilités dans la haute fonction publique. Les grands corps de l’État, dont les compétences sont indéniables, doivent avoir toute leur place dans l’organisation de l’État, mais sous le contrôle des élus, et non l’inverse. (M. Michel Savin applaudit.)

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. Charles Revet. On ne peut qu’approuver !

M. Jacques Mézard. J’en viens aux articles relatifs à la justice prud’homale, aux professions réglementées, essentiellement dans le domaine du droit, auquel je porte une attention particulière. Il ne s’agit pas de préserver telle ou telle situation. Il s’agit de voter des dispositions qui soient efficaces, équilibrées et qui apportent un plus au niveau économique. Nous doutons que les propositions faites en la matière respectent ces conditions.

Tout d’abord, monsieur le ministre de l’économie, de l’industrie et du numérique, nous sommes choqués qu’un texte émanant de votre ministère décide tant de la procédure judiciaire que de l’organisation des professions juridiques et judiciaires ; vous n’en serez pas étonné ! Cela s’appelle la victoire du chiffre sur le droit.

M. Loïc Hervé. Absolument !

M. Jacques Mézard. En cela, vous aggravez les mesures déjà prises par le gouvernement Fillon. Une fois de plus, les experts-comptables, que je suis amené à côtoyer, ainsi que les grandes structures financières jubilent. Or, monsieur le ministre, contrairement au monde du chiffre, le monde du droit a en charge l’accès à la justice et au droit de tous les citoyens, en particulier des plus défavorisés ! Comment imaginer que de tels projets ne puissent relever de la chancellerie, du garde des sceaux ? D’aucuns l’ont rêvé ; vous l’avez fait. Nous le déplorons.

Sur la question prud’homale, vous avez raison de vouloir raccourcir les délais, qui sont insupportables, mais dont une part relève des chambres sociales des cours d’appel, sans qu’une réponse – je veux dire par là de nouveaux moyens – soit apportée à ce niveau. Ce qui interpelle, c’est que, au nom de l’accélération, vous multipliez les choix de procédure, ce qui est source de conflits et de complexité.

En outre, vous voulez favoriser les modes de règlement alternatifs des litiges par la médiation et la procédure participative découlant de l’article 2064 du code civil. Cette procédure, création du gouvernement Fillon, a été vendue, en 2010, comme une compensation à l’entrée du chiffre dans le droit et s’est révélée un échec total. Cependant, le second alinéa de l’article 2064 l’avait écartée pour les litiges prud’homaux, à juste titre, car cela aurait été contraire aux fondements de notre droit du travail et à la protection des salariés. Nous ne pouvons souscrire à une modification qui consisterait à revenir sur cette disposition.

Le vrai moyen de développer la conciliation, c’est d’avoir des conseillers prud’homaux formés à celle-ci, qui est un exercice difficile. Quant au développement du départage, il ne saurait faire gagner du temps que si le nombre de magistrats professionnels est augmenté, mais nous n’avons pas vu de novation en la matière.

En ce qui concerne les professions réglementées, revenons aux fondamentaux. Il n’en existe pas de définition légale ; ce sont des professions auxquelles on accède par un diplôme. Il y en a des centaines. Ainsi, un rapport administratif en a recensé cent quinze.

Je commencerai par l’examen du cas des avocats aux conseils qui n’étaient pas concernés par votre projet initial. Disons la vérité – telle est notre habitude dans cette enceinte : quelques cabinets d’avocats d’affaires parisiens ont fait du lobbying auprès des députés pour pouvoir s’immiscer dans un nouveau marché.

M. Bruno Retailleau. C’est exactement cela !

Mme Catherine Procaccia. Bravo, monsieur Mézard !

M. Jacques Mézard. Ce n’est pas bien. C’est même détestable ! Si le nombre d’avocats aux conseils peut, certes, encore augmenter – ce serait une bonne chose, et ce point semble admis –, la profession s’est aujourd’hui modernisée et rend un service de très grande qualité, y compris pour les affaires relevant de l’aide juridictionnelle et dans le domaine du droit du travail, où le rôle de ces avocats est reconnu au niveau syndical. Ce ne sont pas de grands cabinets d’affaires parisiens qui vont assumer cette charge !

Je le répète, mettre l’organisation et l’avenir des avocats aux conseils sous la houlette de l’Autorité de la concurrence est un non-sens. L’amendement que nous proposons convient à la profession. Nous espérons qu’il recueillera votre assentiment, monsieur le ministre.

D’une manière générale, si nous pouvons être favorables à l’organisation de structures juridiques interprofessionnelles – c’est une modernisation qui marque un progrès –, nous sommes totalement opposés à l’entrée de capitaux extérieurs dans ces structures.

Les autres articles du projet de loi concernant les avocats, les notaires, les huissiers, les commissaires-priseurs et la justice commerciale ont, pour nous, un défaut majeur : ils relèvent d’une vision strictement technocratique et parisienne – peut-être celle de M. Attali –, mais complètement déconnectée des réalités de nos territoires ruraux. (Marques d’approbation sur les travées du RDSE et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Pour ce qui concerne les avocats, j’ai déjà eu l’occasion de vous exposer directement les conséquences négatives du projet de loi : la suppression de la postulation devant les tribunaux de grande instance va accentuer la désertification dans nos territoires ruraux.

La question n’est pas celle du tarif de la postulation, vous pouvez d’ailleurs la supprimer, puisqu’il n’a pas été réévalué depuis 1973. Mais la suppression de la postulation signifie pour les cabinets d’avocats implantés dans nos départements sans cour d’appel la perte programmée de toute clientèle institutionnelle, banque, assurance, agences régionales, etc., et, par voie de conséquence, une fragilité extrême et la charge totale de l’aide juridictionnelle. Or nous ne voulons pas de « sous-avocats » !

Ce sont encore de la matière grise et de l’activité économique qui vont quitter nos territoires et, à terme, une nouvelle carte judiciaire axée sur les grandes métropoles régionales se dessinera. Monsieur le ministre, pensez au barreau de Tulle. Le tribunal de grande instance vient d’être rétabli dans cette ville : il faut que des avocats de qualité puissent y travailler à l’avenir ! (Sourires.)

C’est pourquoi je vous suggère la suppression de l’article relatif aux avocats.

Je constate que la commission spéciale propose une expérimentation, manifestement pour gagner du temps jusqu’en 2017, mais les lobbies des cabinets d’affaires ne seront-ils pas alors encore plus puissants ? Je ne reviendrai pas sur le rôle prêté à Fiducial dans ce projet de loi !

M. Daniel Laurent. Exactement !

M. Jacques Mézard. Les experts-comptables sont très bien vus à Bercy et vous leur ouvrez de nouveaux champs de concurrence contre les avocats pour les clients aisés !

La situation des notaires est-elle la même à Paris que dans la plupart des autres départements ? Bien sûr que non ! La situation très privilégiée des notaires parisiens ne doit pas entraîner encore de nouveaux déséquilibres dans le maillage territorial.

Ne pouvant citer toutes les professions, je m’en tiendrai pour terminer à la justice commerciale. La création de juridictions spécialisées a une finalité louable : apporter davantage de compétences techniques lors du règlement des litiges. Toutefois, elle a aussi un revers. En effet, comment voulez-vous que des magistrats siégeant parfois à plusieurs centaines de kilomètres des territoires où se pose le problème puissent avoir la connaissance du temps et le souci de préserver le tissu territorial ?

Nous avons souhaité que vous remontiez le seuil de salariés de 150 à 250, voire à 400. Vous le savez, le seuil retenu est trop bas, tirez-en donc les conclusions !

Monsieur le ministre, l’égalité des territoires doit être non seulement proclamée, mais aussi pratiquée !

En conclusion, j’ai davantage insisté sur les points du présent projet de loi qui nous posent problème que sur ceux qui nous conviennent, mais les membres de mon groupe sont ouverts – comme toujours –, à la discussion si vous le souhaitez, ce que nous espérons profondément. Nous disposons de deux semaines pour parvenir à un texte d’équilibre et de compromis. C’est en tout cas le sens des amendements que nous avons déposés et le souhait, je le crois, de nombreux sénateurs. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.

M. Philippe Adnot. Monsieur le ministre, selon vos termes mêmes, l’objet du présent projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques s’articule autour de trois grands principes : libérer, investir et travailler en vue de satisfaire l’intérêt général.

L’esprit qui anime ce texte me paraît louable et je me suis efforcé de l’aborder avec ouverture, sans esprit partisan, mais, je l’avoue, avec une certaine perplexité et des regrets.

En effet, je regrette que vous ayez souhaité assembler, dans un même projet de loi, une centaine d’articles très hétérogènes par leur contenu et leurs ambitions, et parfois très contradictoires. Cela pourrait nous conduire à rejeter globalement le texte, alors que certains de ses articles nous paraissent utiles, même s’il aurait été parfois souhaitable d’aller un peu plus loin.

Heureusement, la majorité sénatoriale a décidé de prendre à bras-le-corps ce projet de loi, de le réguler sous certains aspects, de l’améliorer sous certains autres, pour en faire un texte satisfaisant !

J’ai pris la décision de contribuer à ce travail collectif en déposant un certain nombre d’amendements, dont les plus importants ont trait au financement de l’entreprise.

Monsieur le ministre, à ce sujet, je note avec satisfaction que le Président de la République a pris l’initiative d’améliorations non négligeables, via soit la Banque publique d’investissement, la BPI, soit un fonds nouveau destiné à permettre aux entreprises de passer du stade de PME à celui d’ETI.

L’amendement que je défendrai concernant le plan d’épargne en actions destiné au financement des PME et ETI, ou PEA-PME, et l’article 34 bis A, issu de l’adoption par la commission spéciale d’un amendement que j’ai proposé sur l’assurance vie, vont exactement dans ce sens. Je souhaite donc que vous les examiniez, non sous l’angle d’une diminution de recettes budgétaires, mais, au contraire, en tant que catalyseurs de rentrées de recettes supplémentaires tant sociales que fiscales qui rendent actifs des fonds, qui jusqu’à présent dorment par crainte de taxation.

Il s’agit d’appréhender les finances publiques selon une approche non pas comptable, mais dynamique et génératrice de création de richesse.

Dans le même discours de soutien à l’investissement, le Président de la République a également présenté un volet « TVA » relatif aux collectivités locales, qui leur permet d’obtenir un remboursement anticipé de la TVA au bout d’un an. Seulement, je voudrais souligner l’incohérence qu’il y a à inciter celles-ci à investir, tout en diminuant leurs dotations et en créant une incertitude quant à leur devenir : cela ne peut que bloquer l’investissement.

S’agissant de votre texte, monsieur le ministre, je l’examinerai en ayant présent à l’esprit un certain nombre de critères essentiels à mes yeux. Je suis favorable à plus de liberté afin de favoriser l’entreprenariat, mais je refuse des mesures qui pourraient conduire à une réduction du maillage territorial et des services en milieu rural.

Nous savons, nous parlementaires, que s’il existe encore des pharmacies dans certains territoires, c’est parce qu’il n’y a pas de liberté totale d’installation. De même, nous savons que s’il y avait plus d’incitation réglementaire, le milieu rural aurait encore des médecins, et ceux-ci ne seraient aujourd’hui pas tous en ville ou dans le Sud de la France

Nous n’avons pas vocation à soutenir des textes qui pourraient conduire à constituer de grandes structures juridiques avec « petites mains » à l’étranger, dans des pays à fiscalité intéressante, ce qui obligerait par là même nos concitoyens à faire de longs déplacements pour consulter leur notaire.

Je ne vais pas passer en revue tous les articles, leur examen nous permettra d’entrer dans le vif du sujet, mais je souligne simplement que nous serons ouverts et vigilants.

Je souhaite terminer mon propos en renouvelant mon estime pour le travail effectué par les corapporteurs, sous l’autorité du président de la commission spéciale, et les assurer de mon soutien attentif. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Henri Tandonnet.

M. Henri Tandonnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, compte tenu de l’ampleur et de la diversité des mesures du présent texte, depuis le début de nos travaux, j’ai souhaité concentrer principalement mon attention sur les réformes qui s’imposeront bientôt aux conditions d’exercice des professions juridiques réglementées. Ce sera donc l’objet de mon propos.

Je veux tout d’abord remercier le président de la commission spéciale, Vincent Capo-Canellas, qui a su créer un climat favorable pour aborder le texte de manière pragmatique et constructive.

La commission spéciale a effectué un judicieux toilettage rédactionnel, mais également un élagage nécessaire en ce qui concerne les demandes de rapports, bien trop nombreuses, et d’autorisations à légiférer par ordonnance qui dépossèdent totalement le législateur de son rôle.

M. Henri Tandonnet. Je salue également François Pillet pour la finesse de son travail. Sa proposition d’ensemble établit un équilibre entre l’aspect économique des prestations de service des professions réglementées et leur spécificité. Les grandes avancées apportées par la commission spéciale restent à confirmer ; elles doivent recueillir votre adhésion, monsieur le ministre, et j’ai bien compris qu’il fallait encore vous convaincre ! (Sourires.)

Le cap fixé dans le texte que nous examinons me paraît bien meilleur que celui du projet de loi initial. En effet, ce dernier semblait complètement excessif et visait à libéraliser à l’extrême un système qui fonctionne pourtant parfaitement dans son état actuel, et qui, de plus, est envié, voire même copié à l’étranger.

Cette réforme d’inspiration bruxelloise méconnaît l’approche de notre droit latin, structuré, écrit, focalisé sur la sécurité juridique et sur la protection des individus, notamment des plus faibles. Il faut bien le reconnaître, le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale était mal construit : il mettait en péril le maillage juridique précieux du territoire, ainsi que l’accès de chacun au droit, à l’équité et à la protection.

Il me semble, monsieur le ministre, que le glissement vers l’approche anglo-saxonne que vous proposez est loin d’être une innovation. Le libéralisme a déjà montré ses limites. Votre réforme n’est donc pas très moderne, hélas !

C’est avant tout l’éthique qui favorisera la bonne marche des entreprises dans la vie économique. Notre économie souffre surtout d’un manque de déontologie et de nombreux conflits d’intérêts, comme les crises récentes l’ont révélé.

J’ai l’impression que vous êtes en retard d’une guerre. En effet, dans le domaine de l’économie, aujourd’hui, la notion de concurrence a trouvé ses limites et le développement des entreprises se fait aussi sur de nouvelles valeurs.

Les professions du droit et du chiffre doivent permettre d’apporter ces garanties de déontologie, et ce n’est pas en les remettant entre les mains de sociétés de capitaux que vous favoriserez cette légitime aspiration.

J’ai été très surpris de voir dans le projet de loi initial que l’Autorité de la concurrence déciderait seule de la carte de l’implantation des offices, par le jeu d’une liberté d’installation encadrée. Je pense que la solution préconisée à la suite des travaux de la commission spéciale est bien plus cohérente, puisqu’il s’agit de donner au seul ministre de la justice la compétence nécessaire pour établir la carte délimitant les zones où l’implantation de nouveaux offices est libre. L’Autorité de la concurrence formulera un avis simple, ce qui est suffisant à mes yeux.

Il est nécessaire de laisser les professions réglementées sous la coupe du garde des sceaux. Demander à un ministère d’en être responsable et attribuer à un autre la fixation du nombre de professionnels concernés tout en faisant dépendre celle-ci de l’avis d’une autorité indépendante ne fonctionnera pas.

Dans la mesure où les notaires manient à la fois des fonds privés et publics, la surveillance de la profession entraîne des responsabilités importantes, que l’Autorité de la concurrence n’assumera pas. Qui connaît mieux la profession que le ministre de la justice qui, par le réseau de ses procureurs généraux, suit l’activité et surveille la compétence de ces professionnels ?

Pour ce qui concerne les tarifs, nos collègues de l’Assemblée nationale ont rétabli une certaine cohérence en soutenant les professionnels qui se trouvent dans des territoires économiques moins favorables.

Je pense que l’apport du Sénat a fait avancer la réflexion sur la prise en compte des spécificités de l’activité juridique en extrayant les dispositions relatives aux tarifs du code de commerce pour les placer dans un code de l’accès au droit. En effet, rien ne justifiait un tel rattachement, puisque les professions juridiques règlementées sont incompatibles avec la qualité de commerçant. Le ministre de la justice sera donc seul compétent pour arrêter ces tarifs, ce qui une fois encore revient à redonner de la cohérence à cette réforme menée par Bercy.

Par ailleurs, la commission spéciale a supprimé le caractère interprofessionnel du fonds de péréquation prévu à l’article 12 et créé un fonds par profession. Ce fonds de péréquation favorisera, je le pense, l’installation des jeunes, et c’est ce que vous visez. Il ne serait pas cohérent de l’utiliser pour activer l’aide juridictionnelle, qui doit relever de financements publics et qui doit faire l’objet d’un débat plus général, dans le cadre du projet de loi relatif à la justice du XXIe siècle.

Le fonds de péréquation par profession, tel qu’il a été proposé par la commission spéciale, est à même de faciliter l’installation des jeunes. Avec un fonds de péréquation interprofessionnel, comment un jeune peut-il élaborer un projet d’entreprise s’il ne connaît pas la charge financière qu’il devra assumer au bout de six ans ?

La solution retenue par la commission spéciale permet, à travers le fonds de péréquation, d’épargner le jeune installé de la charge d’une indemnité aussi imprévisible qu’inéquitable, puisqu’elle sanctionnerait en quelque sorte le fruit de son travail et de sa compétence.

En mutualisant la charge au plan national, on favorise donc l’installation et on évite les conflits de voisinage.

J’aborde maintenant les sociétés interprofessionnelles, qui viennent à peine d’être mises en place par un décret de 2014. Le projet de loi bouscule un fragile équilibre entre le chiffre et le droit, mais aussi entre la direction de ces sociétés par les professionnels eux-mêmes ou par des représentants de sociétés de capitaux. Le périmètre étendu de ces sociétés autorise des collaborations source de conflits d’intérêts.

Par conséquent, il était nécessaire de séparer les professions du chiffre et du droit en excluant les experts-comptables, les administrateurs et mandataires judiciaires, ainsi que les avocats aux conseils du périmètre de ces sociétés.

La barre est donc redressée par rapport aux grands principes de cette réforme, même si je suis convaincu que celle-ci entraînera un processus de concentration peu favorable aux territoires ruraux et au public aux revenus modestes.

Après un important travail accompli par la commission spéciale, certains amendements pourront permettre d’adopter d’autres avancées. Je pense, par exemple, à la création de la profession de commissaire de justice regroupant les professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur. Je doute de la plus-value apportée par une fusion de ces deux professions, dont les modalités d’intervention sont différentes. Si, comme le souhaite le corapporteur, les exigences de qualification aujourd’hui propre à chaque profession doivent être préservées et favorisées, quel est alors l’intérêt de changer l’existant ?

En revanche, étendre aux commissaires-priseurs la vente de biens incorporels permettrait la valorisation d’actifs sociaux. Je présenterai un amendement en ce sens.

Dans ce même souci de qualification, il serait utile de remplacer le mot « expérience » par le mot « diplôme » pour toute personne sollicitant son installation en tant que notaire ou membre d’une autre profession réglementée. En effet, la seule référence à l’expérience ne peut suffire pour l’exercice d’une délégation de puissance publique.

Si nous libéralisons les professions juridiques réglementées comme vous le souhaitez, monsieur le ministre, essayons au moins de préserver les compétences professionnelles au moment où le droit se spécialise.

Enfin, si la réforme des conseils de prud’hommes apporte une meilleure formation des conseillers prud’homaux et une rationalisation de la procédure par un meilleur respect de l’échange contradictoire des moyens de droit et des pièces, la spécialisation des tribunaux de commerce statuant en matière collective est à prendre avec précaution. La solution trouvée en commission spéciale rétablit la proximité et la confiance nécessaires au redressement des entreprises.

En conclusion, si notre système réglementé de professions juridiques doit certainement évoluer, il ne me semblait pas utile de le mettre à terre ! Le travail du Sénat sur ce texte vise à préserver la déontologie, les compétences et l’expertise qui font la qualité des professions en cause. Il tend également à éviter les conflits d’intérêts qui viennent polluer une saine concurrence.

Je souhaite vivement, monsieur le ministre, que vous teniez compte de la qualité des apports du Sénat, afin de réduire les effets pervers que pourrait bien nous réserver l’application du présent texte dans la réalité. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur les travées du RDSE.)

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Bruno Retailleau. À la suite du président Gérard Larcher, je veux tout d’abord dire à mes collègues socialistes, au nom de l’ensemble du groupe que j’ai l’honneur de présider, notre sympathie. Il est des circonstances, des drames, qui rendent absolument dérisoires les clivages partisans. L’épreuve que nous traversons aujourd’hui fait partie de ces circonstances exceptionnelles. Je sais que nombre d’entre vous, mes chers collègues, sont extrêmement touchés et je tenais à marquer ici notre solidarité.

Cela étant, je salue le travail du président de la commission spéciale et des corapporteurs, qui ont énormément et intelligemment travaillé. Nous sommes absolument fiers de ce qu’ils ont dit et proposé voilà quelques instants. Je pense que tout cela est de bon augure pour les débats qui nous attendent.

« Quand on est en situation d’urgence économique, on ne peut pas accepter d’être stoppé par le déni de réalité, les corporatismes ou les jeux d’appareils politiciens ». Ces mots, monsieur le ministre, sont les vôtres. Vous les avez prononcés voilà à peine deux mois. Vous n’imaginiez pas alors à quel point ils sonnent juste aujourd’hui ; vous n’imaginiez pas non plus à quel point nous en partageons le sens.

Oui, la France est dans une situation d’urgence, de double urgence, à la fois économique et politique.

Toujours plus de chômage, toujours plus d’endettement, une production industrielle qui a reculé à son niveau d’il y a vingt ans et la perte de notre cinquième place du classement des grandes nations économiques… Cette urgence économique, ce déclassement, les Français les ressentent de façon douloureuse, parfois sous la forme d’une grande souffrance sociale.

Cette urgence revêt aussi un autre aspect : on nous dit que, en 2015, nous profiterons d’un filet de croissance, sans doute en raison d’une conjonction astrale…

Mme Nicole Bricq. Les astres n’ont rien à voir !

M. Bruno Retailleau. Une croissance venue d’ailleurs, une croissance tombée du ciel ! (Sourires.)

Or dans cet hémicycle, monsieur le ministre, vous êtes sans doute l’un de ceux qui sait le mieux que cette fenêtre exceptionnelle – l’euro peu cher, les taux d’intérêt très bas, le pétrole bon marché – ne se reproduira pas. Dans dix-huit mois, les choses changeront ; dans dix-huit mois, si les réformes structurelles n’ont pas été faites, les ajustements qui devront être opérés seront extrêmement douloureux. Vous le savez parfaitement : dans dix-huit mois, il sera trop tard !

Il y a une urgence non seulement économique, mais aussi politique : en se dissipant, l’esprit du 11 janvier, comme la mer se retire au moment des grandes marées, a découvert un paysage politique français assez désolé. En douze mois, votre majorité a subi quatre défaites électorales. Le texte que vous avez proposé à l’Assemblée nationale a révélé – et consacré –, notamment par l’utilisation de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, des divisions profondes au sein de la majorité, voire au sein même du parti majoritaire.

La réponse à cette double urgence ne peut être ni la médecine douce ni le traitement politicien. Or le projet de loi que vous nous présentez, c’est – au mieux – de la médecine douce. Le Président de la République a eu ce mot d’esprit – il en a souvent – en déclarant qu’il ne s’agissait sans doute pas de la loi du siècle. Je crains qu’il ne s’agisse pas même de la loi de l’année. Ce texte est simplement destiné à faire patienter les autorités bruxelloises. Il ne représente au mieux que 0,1 % de croissance, alors que la seule baisse des prix du pétrole rapportera à la France environ un demi-point de croissance. Ce n’est pas d’une loi « Macron I » ou « Macron II » dont nous aurions besoin pour atteindre le seuil de croissance permettant de faire basculer le chômage, mais bien plutôt de quinze textes Macron !

Mme Cécile Cukierman. Arrêtons-nous là ! (Sourires.)

M. Bruno Retailleau. Si les traitements homéopathiques ne suffiront pas, je pense que rien ne serait pis que des traitements politiciens.

La question n’est pas de savoir quel marchandage permettra à tel ou tel de ne pas déposer de motion au prochain congrès de Poitiers. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) La question n’est pas non plus de savoir à quelles conditions tel ou tel entrera au Gouvernement. (Mêmes mouvements.) La seule question qui vaille, c’est celle du redressement de la France, du redressement de l’économie française. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Bravo !

M. Bruno Retailleau. C’est dans cette seule perspective que la commission spéciale du Sénat a travaillé d’arrache-pied, animée d’une certitude : celle que les Français sont lassés, fatigués des faux-semblants de réforme.

M. Alain Richard. Bien vu ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Bruno Retailleau. Nous avons travaillé avec un objectif : faire de ce texte un accélérateur, un multiplicateur de croissance et d’activité.

Bien sûr, nous avons travaillé avec nos convictions ; ce n’est pas vous qui pouvez nous le reprocher. Nous avons toutefois veillé à ne pas faire preuve d’esprit partisan et à nous montrer pragmatiques. Je vous en donnerai quelques exemples, notamment concernant l’assouplissement du marché du travail.

Par ailleurs, ce qui est bon, nous l’avons retenu : 124 articles ont été votés conformes par la commission spéciale ! Bien évidemment, monsieur le ministre, quand il s’agit de détricoter la loi Duflot, vous ne pouvez trouver dans cette enceinte que des oreilles attentives et bienveillantes. (Sourires.) Mais nombre d’autres sujets sont abordés à travers ces 124 articles que, faute de temps, je ne pourrai traiter.

À l’inverse, face à certaines dispositions toxiques – je songe notamment à toutes celles qui concernent les professions réglementées qu’a mentionnées François Pillet et sur lesquelles il reviendra au cours du débat –, nous nous sommes souvenus de ce que nous ont dit les Français, ceux qui vivent en milieu rural, voilà quelques semaines seulement. Entendez ce peuple de France qui se sent abandonné ! Voyez cette fracture territoriale, la France des oubliés, la France des invisibles qui désespère qu’on s’occupe d’elle ! (Protestations sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Cécile Cukierman. Qui a mis en place la RGPP ?

M. Bruno Retailleau. Autant nous serons très vigilants pour vous permettre d’aller plus loin sur certaines réformes structurelles, autant nous ne vous laisserons pas détricoter le tissu rural français, comme l’a très bien souligné M. Mézard ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.)

Par ailleurs, nous souhaitons faire de ce texte un véritable texte de réformes, celles que nous pensons bonnes et utiles pour la France, notamment en termes d’emploi.

Encore une fois, nous avons adopté une approche constructive. Nous avons écouté ce que vous avez déclaré ici ou là, monsieur le ministre. Nous avons retenu vos propos et, dans les prochains jours, nous vous dirons : « Chiche ! »

Vous avez déclaré à Beaune, il y a quelques jours : « Il faut accélérer les réformes maintenant, sinon on va rater ce train ». Or nous souhaitons justement que la France ne rate pas le train.

Les propositions que nous vous ferons ne seront pas des marqueurs idéologiques. Elles seront parfaitement compatibles avec votre corpus de pensée, ainsi qu’avec celui de tous les réformistes, peu importe qu’ils soient du centre, de droite ou de gauche… Car l’important, c’est de lutter contre le chômage.

Quelles sont ces propositions ?

S’agissant de l’accès au marché du travail, nous ne vous proposerons pas, monsieur le ministre, d’instaurer un contrat unique, qui pourrait, nous le savons, heurter tel ou tel. Nous vous soumettrons un contrat de mission, qui permettrait d’assouplir le marché du travail. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Vous le savez parfaitement, la rigidité de celui-ci se paie par la précarité et le chômage de millions d’hommes et de femmes.

Pourquoi, en France, plus de 80 % des CDD, qui constituent les contrats d’entrée dans les postes de travail, durent-ils moins d’un mois ? C’est bien évidemment le modèle des insiders-outsiders !

À propos des 35 heures, nous aurions pu vous proposer une solution brutale : la sortie du dispositif. Nous ne l’avons pas fait, Vincent Capo-Canellas vous l’a dit. Nous préférons assouplir, parce qu’ils ne marchent pas, les accords défensifs. Comme vous l’aviez déclaré à un hebdomadaire à la fin du mois d’août dernier – vous le pensiez, et peut-être le pensez-vous encore aujourd'hui si votre fonction ne vous a pas complètement transformé, puisque, à l’époque, vous n’aviez pas encore été nommé ministre –, pourquoi ne pas étendre ce qui est bon pour les entreprises en difficulté à celles qui sont en bonne santé, au travers d’accords de maintien de l’emploi offensifs ? N’attendons pas que les entreprises aillent mal pour développer des accords offensifs ! Nous défendrons aussi bien la première formule que la seconde.

Pour ce qui concerne la simplification de la vie des entreprises et la question des seuils, vous nous dites qu’il faut attendre. Nous vous répondons qu’il faut décider. Il y a un temps pour le dialogue social et un temps pour la décision. La démocratie, c’est la souveraineté du peuple, qui s’exprime dans notre assemblée, surtout lorsqu’il y a tant de chômeurs en France. Nous prenons nos responsabilités, de façon non pas violente ou brutale, mais en vous proposant de faire sauter un certain nombre de seuils.

Une autre mesure de simplification a trait au dispositif de M. Hamon, avec lequel nous ne souhaitons toutefois pas vous brouiller. (Rires sur les travées du groupe socialiste.) Nous ne défendrons donc pas une sortie brutale de son système d’information des salariés ; nous limiterons simplement celui-ci, par pragmatisme, aux cessations d’activité.

Enfin, nous aurions pu supprimer le compte pénibilité, mais telle n’est pas notre volonté. Nous proposerons des dispositifs qui sont réclamés par les petites et moyennes entreprises, pour sauver l’emploi et tuer cette peur de l’embauche, dont même le Président de la République se plaint. C’est aujourd'hui qu’il faut des actes et, surtout, des réformes.

Telles seront donc nos propositions, monsieur le ministre. J’espère que vous y serez attentif, plus attentif que ce que la séquence de vendredi nous a laissé craindre. Au demeurant, vous vous êtes tout à l’heure expliqué à cette tribune, et je vous en donne acte. Ce sera sur vos actes et votre capacité à réformer et à prendre en considération le travail de la commission spéciale que nous jugerons de vos intentions.

Je conclurai très brièvement. À titre personnel, vous avez sans doute joué un rôle déterminant dans la conversion du Président de la République à l’économie de l’offre. Car vous établissez souvent le bon diagnostic, mais vos remèdes sont trop faibles. Certes, nous comprenons vos contraintes politiques. Toutefois, l’urgence que j’ai évoquée tout à l’heure, et que vous ne remettez pas en cause, ne permet plus les demi-mesures ou les faux-semblants.

La France est dans un entre-deux : elle est en panne économiquement, mais voit se profiler à l’horizon une petite croissance exogène, comme on dit dans les manuels. C’est un entre-deux, dans lequel, je le sais, le Président de la République se complaît.

Ce que la France subit aujourd'hui, c’est beaucoup plus qu’une crise. J’emprunterai à Antonio Gramsci – je suis sûr que vous ne refuserez pas cette référence – son analyse : la crise, c’est le moment où le vieux monde ne veut pas mourir et où le monde nouveau tarde à naître. Monsieur le ministre, appuyez-vous sur le Sénat et sa majorité pour que ce monde nouveau puisse naître, pour que la France connaisse demain, enfin, un redressement, un renouveau, pour les générations actuelles et futures. (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante-cinq.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)

PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron

vice-présidente

Mme la présidente. La séance est reprise.

Nous poursuivons l’examen du projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous traversons une période particulière de notre histoire. Notre pays doute de lui-même, alors qu’il est une grande nation ; il dispose d’atouts incontestables, ainsi que de moyens qui peuvent et doivent être à la hauteur de ses ambitions économiques et sociales.

À l’heure de la mondialisation, nous devons nous adapter sans nous renier, innover sans fracturer et progresser économiquement sans nous affaiblir socialement.

Plus de compétitivité économique et plus de justice sociale : ce sont les deux jambes sur lesquelles il est nécessaire de nous appuyer pour combattre en même temps, et de manière tout aussi volontaire, les inégalités. Il s’agit d’un impératif tout autant politique qu’économique : les inégalités sont aussi source de faible croissance. Je souhaite que ce projet de loi, perfectible, et que ceux qui viendront ensuite gardent comme logique directrice ces quelques éléments.

Le texte arrive en discussion devant la Haute Assemblée dans un contexte politique particulier, au lendemain des dernières élections départementales. Le Gouvernement, comme nous tous, doit écouter et entendre les messages des urnes : des messages d’inquiétude, de désarroi parfois, d’indifférence ou encore de colère.

Je souhaiterais revenir plus précisément sur quelques aspects du projet de loi.

Permettre l’accessibilité géographique du territoire au plus grand nombre par une plus grande mobilité fait partie des enjeux de notre temps. C’est ce qui est proposé : le texte autorise l’ouverture des lignes d’autocar et raccourcit les délais d’obtention du permis de conduire. Voilà deux mesures utiles, notamment pour les jeunes ; elles ont des conséquences financières intéressantes.

De même, il est positif d’autoriser les crédits interentreprises. Les PME éprouvent parfois des difficultés à obtenir des crédits du secteur bancaire traditionnel, qui a trop souvent pris la mauvaise habitude de mettre « ceinture et bretelles » avant d’accorder son éventuel soutien. Un tel comportement n’aide au développement ni de nos PME ni de nos territoires.

L’adoption d’amendements déposés par Marc Daunis sur la question des aéroports devrait permettre de lever les inquiétudes quant au contrôle et à la maîtrise de la puissance publique en la matière, tout en reconnaissant en parallèle l’intérêt de contribuer à réduire nos déficits.

Par ailleurs, dans un contexte où nombre de nos concitoyens éprouvent des difficultés financières parfois graves, il était bon d’agir face à l’indécence de certaines retraites chapeaux ; c’est ce que prévoit le texte. Le bon sens ne conduit-il pas à affirmer qu’une rémunération de ce type ne peut qu’être liée, au minimum, à une performance ou à une prise de risques ?

Nous le savons, le projet de loi aborde de très nombreux sujets, recouvrant plusieurs ministères.

Parmi eux, le plan de sauvegarde de l’emploi revêt à mes yeux une importance non négligeable, tant sur le fond que sur les signes à envoyer à l’opinion. Lorsqu’une entreprise appartenant à un groupe se trouve en difficulté, il est logique que la santé financière de l’ensemble soit prise en considération et, a minima, que le reclassement en interne et l’éventuelle formation complémentaire des employés soient menés sous la responsabilité dudit groupe.

J’ai déposé un amendement en ce sens, un « amendement de bon sens », serais-je tenté d’ajouter. Je souhaite que vous l’examiniez avec une attention toute particulière, monsieur le ministre.

J’en viens au délit d’entrave à l’exercice du mandat syndical. Nous supprimons la peine de prison, qui n’était d’ailleurs jamais prononcée ; il est donc logique de la remplacer par une peine de substitution suffisamment dissuasive qui, au-delà de l’amende, pourrait par exemple tendre vers l’interdiction d’exercer la fonction de dirigeant d’une entreprise pendant cinq ans.

Cependant, la majorité sénatoriale de la commission spéciale a remis en cause des parties importantes du texte, voulant ainsi rompre l’équilibre que vous aviez tenté d’atteindre, monsieur le ministre. Ainsi, l’ouverture des magasins le dimanche s’effectuerait sans accord collectif et serait exonérée, dans plusieurs cas, de toute compensation salariale. Idem pour la suppression de la majoration de 30 % pour les surfaces alimentaires de plus de 400 mètres carrés. Ainsi, ce qui est remis en cause, c’est le principe « pas d’accord, pas d’ouverture », donc la recherche d’un équilibre entre nécessité économique et impératif social.

C’est regrettable, tout comme l’est le souhait de la majorité sénatoriale de doubler la réduction d’impôt pour le financement de PME. Cela coûterait 100 millions d’euros aux Français. Élever le plafond des niches fiscales, qui sont déjà fort nombreuses, contribue plus à l’aggravation de notre déficit public qu’à un réel soutien à l’activité.

Nous l’aurons compris, tout cela repose en réalité sur une logique politique et des « marqueurs idéologiques », pour reprendre une expression utilisée tout à l’heure par Bruno Retailleau, qui ne sont pas les nôtres. Ceux qui s’interrogeaient sur les différences entre conservatisme et progressisme seront peut-être rassurés !

L’ouverture des magasins le dimanche est un sujet controversé. La création des zones touristiques internationales est indispensable pour accompagner le développement touristique de notre pays. Les contreparties prévues dans le texte pour les salariés vont de pair ; c’est positif.

Pour autant, dans l’esprit des lois de décentralisation, engagées par la gauche dès 1982, il serait de bonne logique que les maires concernés aient voix au chapitre et qu’une forme de codécision puisse se mettre en place. On ne peut pas plaider pour une libre administration des collectivités territoriales et refuser en même temps leur indispensable coordination.

Pour les autres possibilités d’ouverture dominicale, le cadre est globalement fixé. Vous le savez, il est source d’inquiétudes, voire de méfiance.

Or ces inquiétudes et cette méfiance ne sont pas dépourvues de fondement. Il faut entendre les arguments sociétaux qui les sous-tendent. Je vous renvoie à ce que certains déclaraient voilà quelques années : « Nous refusons que la civilisation du supermarché remplace la civilisation du loisir » ; ce n’est pas « un bon système de rémunération » de faire que certains soient « obligés de sacrifier leur vie de famille pour avoir un peu plus de pouvoir d’achat » ; l’extension de l’ouverture des magasins le dimanche serait « une triple erreur : économique, politique et sociétale ».

Vous l’aurez compris, je considère que l’ouverture dominicale doit demeurer l’exception et qu’il faut à tout prix éviter une forme de banalisation.

Le nombre d’ouvertures potentiel mérite donc d’être rediscuté. Il est nécessaire de réfléchir encore sur ce sujet, ainsi que sur celui d’une prise en compte salariale minimale pour les commerces ouvrant le dimanche toute l’année.

Certes, les négociations entre partenaires sociaux sont indispensables. Mais il faut aussi une protection minimale ; le texte en définit bien pour d’autres zones commerciales. Il ne peut pas y avoir deux poids, deux mesures ; il ne peut pas y avoir un droit du travail à deux vitesses ou à géométrie variable !

Globalement, ce projet de loi se veut l’expression d’un volontarisme utile à la bonne marche de notre pays. Certes, il peut, nous l’avons vu, bousculer certaines formes de corporatisme. Mais on peut bousculer sans stigmatiser. C’est ce que vous avez réussi à faire, monsieur le ministre ; cela me semble être une bonne méthode.

Nous le savons bien, dans le monde d’aujourd’hui, le statu quo est à bannir. Il faut donc tenir bon dans l’esprit de réforme. Mais il est aussi indispensable de tenir compte du message des urnes. Tenir bon et tenir compte : cela me semble être le bon chemin.

Voilà un an, j’avais présenté, au nom de la délégation sénatoriale à la prospective, un rapport intitulé : Comment enrayer le cycle de la pauvreté ? Osons la fraternité ! Je citais une phrase de Victor Hugo en étant loin de m’imaginer qu’elle pourrait s’appliquer à nos échanges d’aujourd’hui. Notre illustre prédécesseur sur ces travées écrivait ceci : « L’homme est fait non pas pour traîner des chaînes, mais pour ouvrir des ailes. » Osons remplacer le mot « homme » par le mot « société ». La société aussi est faite non pour traîner des chaînes, mais pour ouvrir des ailes !

Monsieur le ministre, je vous souhaite, et je nous souhaite à tous bon courage ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty.

M. Jean-Marc Gabouty. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques porte-t-il bien son nom ?

La réponse à la crise économique, à la faiblesse de la croissance, à la hausse du chômage qui en découle, et la prise en compte des enjeux relatifs à la modernisation de la société française peuvent-elles prendre la forme d’un feuilleton de mesures législatives, sans véritable ligne directrice, ni interrogation sur le modèle de société que nous voulons ?

Nous ne pensons pas que la méthode utilisée permette des réformes structurelles en profondeur, menant à un environnement plus favorable au développement économique. Cette méthode parcellaire et transversale, qui a déjà été utilisée à l’automne dernier pour le projet de loi relatif à la simplification de la vie des entreprises, semble pourtant avoir la préférence du Gouvernement.

Le programme de mesures aurait plusieurs ambitions.

Premièrement, moderniser les conditions d’exercice de nombre de professions réglementées.

Deuxièmement, revoir, pour les rendre plus performants, le cadre d’exercice de nombre de secteurs : écoles de conduite, justice prud’homale, activité des tribunaux de commerce, organisation du transport public de personnes, urbanisme.

Troisièmement, renforcer ou assouplir, pour les rendre plus justes, un certain nombre de dispositifs : les retraites chapeaux, l’emploi des personnes handicapées, les contrats d’insertion ou la prestation de services internationale.

Quatrièmement, et, à en juger par l’intitulé du projet de loi, c’est l’élément essentiel, relancer l’activité économique en proposant des exceptions au travail dominical – je pense à la création de zones touristiques internationales et d’autres sites à caractère concurrentiel, notamment dans les zones frontalières –, en facilitant la vie des entreprises et en favorisant le financement des projets d’investissement.

Je m’arrête là. Je n’aurai pas le temps de passer en revue les quelque 250 articles de ce projet de loi, qui touchent de manière parfois trop superficielle les domaines les plus divers de notre vie économique et sociale.

Permettez-moi d’insister sur le manque de lisibilité de la méthode choisie, qui, de projet de loi en projet de loi, ne rend pas notre horizon plus perceptible.

Vous nous demandez de nous prononcer dans sa globalité sur un texte qui comprend des mesures d’importance inégale. Certaines sont hautement symboliques ; d’autres sont plus pragmatiques. D’autres encore sont sans doute même inopportunes, notamment lorsqu’il s’agit d’essayer de poser l’empreinte du marché dans le domaine du droit. Dans l’ensemble, on ne peut pas avoir de position tranchée a priori ; certaines orientations méritent d’être recadrées, quand d’autres sont à encourager ou à accentuer.

Prenant acte de la méthode retenue, la commission spéciale du Sénat a joué le jeu. Elle a mené un travail significatif d’amélioration de l’ensemble des volets du texte. Je tiens ici à remercier son président, M. Vincent Capo-Canellas, ainsi que les corapporteurs, Mmes Catherine Deroche et Dominique Estrosi Sassone et M. François Pillet. Je souligne leur capacité à allier qualité de dialogue et travail constructif en vue d’aboutir à un texte plus équilibré. Ce texte, je n’en doute pas, trouvera encore à s’améliorer grâce à nos travaux.

À cet égard, monsieur le ministre, je trouve tout à fait regrettable que l’on prête à votre entourage immédiat – la presse s’en fait l’écho – des propos dénonçant le détricotage que le Sénat tenterait d’opérer.

Mme Nicole Bricq. C’est vous qui le revendiquez !

M. Jean-Marc Gabouty. Manifestement, Mme Bricq fait partie des adeptes de cette thèse au sein de notre Haute Assemblée !

C’est totalement contraire à l’attitude constructive qui a été la nôtre depuis le début de l’examen du projet de loi. En commission spéciale, nous avons tenté de rester dans l’esprit du texte. Nous nous sommes parfois retenus d’apporter des modifications plus substantielles.

De nombreuses propositions des sénateurs du groupe UDI-UC figurent dans le texte de la commission spéciale. Je pense notamment aux mesures relatives aux professions réglementées qui ont été présentées par mon collègue Henri Tandonnet et reprises par le corapporteur François Pillet.

En ma qualité de référent du groupe UDI-UC sur le volet économique et social, je reviendrai rapidement sur les améliorations apportées en la matière grâce au travail réalisé avec les corapporteurs.

Notre démarche a été la suivante : nous nous sommes concentrés sur les mesures permettant la création et l’augmentation de l’activité économique créatrice de richesses et d’emplois, tout en laissant autant que possible à la négociation avec les partenaires sociaux le soin de décliner et d’appliquer concrètement les dispositifs. Comme vous le savez, notre groupe est particulièrement attaché à la négociation collective.

Nous avons proposé des mesures complémentaires pour assouplir et simplifier encore plus notre cadre législatif sur certains points. À ce titre, nous avons présenté des amendements en commission spéciale et, à quelques détails techniques près, nous avons obtenu satisfaction.

Satisfaction d’abord sur la mise en place de seuils différents pour lisser dans le temps les effets du franchissement : le seuil qui était jusqu’à présent fixé à onze est porté à vingt et un. Attachés au rôle des institutions représentatives du personnel, nous avons estimé qu’il était opportun, en temps de crise, de suspendre certaines dispositions liées au franchissement des seuils et d’en mesurer les effets.

Satisfaction ensuite sur le compte pénibilité, dont le principe n’est absolument pas remis en cause : un dispositif plus simple à mettre en œuvre pour les employeurs est adopté et les risques professionnels recentrés sur les facteurs aisément mesurables sont pris en compte.

Satisfaction encore sur la création d’un cadre juridique simplifié pour la mise en place d’accords offensifs de maintien dans l’emploi, afin de préserver la compétitivité des entreprises et de notre économie.

Satisfaction enfin sur le crédit interentreprises, disposition introduite à l’Assemblée nationale, sous réserve de revoir sur un plan technique le dispositif d’accompagnement et d’encadrement proposé.

J’espère que nous pourrons nous mettre d’accord sur une nouvelle rédaction du dispositif d’information des salariés en cas de cession de l’entreprise, afin de faire en sorte que l’information soit donnée quand un acquéreur s’est déclaré et non au moment des négociations préalables, dans l’intérêt même de l’entreprise et de ses salariés.

De nombreuses avancées figurent dans ce texte sur l’épargne salariale et l’actionnariat salarié. Je salue notamment la mesure d’abaissement du taux du forfait social relatif aux versements sur un plan d’épargne pour la retraite collectif, ou PERCO. Il serait cependant opportun de passer le taux du forfait social des contributions employeurs pour les dispositifs d’épargne salariale de manière différenciée : à 16 % pour les entreprises dont l’effectif est compris entre 51 et 249 salariés, et à 8 % pour les entreprises de moins de 50 salariés.

Enfin, notre action a été guidée par la volonté de clarifier et de faire respecter la loi, voire de dissuader la fraude. À ce titre, je vous proposerai, comme je l’avais fait en commission spéciale, d’augmenter l’amende sanctionnant les infractions à la réglementation sur le repos dominical en cas de récidive. J’espère que nous trouverons un terrain d’entente sur ce sujet avec la commission spéciale et le Gouvernement.

La mesure sur le travail du dimanche, si elle n’est pas la plus importante du projet de loi, a été très médiatisée ; elle revêt une portée symbolique. Je veux souligner mon attachement personnel, qui est, je le sais, partagé par nombre de collègues, à l’existence d’un jour de repos, réservé à une activité collective, familiale ou extra-familiale, qu’elle soit sociale, culturelle ou sportive, pour marquer une rupture hebdomadaire.

Cela dit, nous sommes unanimement favorables à toute mesure susceptible de créer des richesses et de l’emploi. Si l’ouverture dominicale des commerces peut être bénéfique dans les zones touristiques ou frontalières, l’effet positif d’une telle mesure est moins évident dans les autres parties du territoire en l’absence d’augmentation du pouvoir d’achat. Nous touchons là aux limites de l’élasticité d’une politique de l’offre !

Il y aurait lieu de clarifier l’application de la future loi, comme il aurait été nécessaire de le faire pour les règles actuelles, afin de garantir leur respect. Elles sont très largement contournées, avec des ouvertures sans autorisation ou des abus de cogérance fictive, et les sanctions sont insuffisamment dissuasives.

Je voudrais mentionner quelques mesures que nous avons proposées pour prendre date et qui mériteraient l’attention du Gouvernement. Je pense à la création de plateformes de cotations régionales ou de bourses régionales, idée défendue à l’Assemblée nationale par le groupe UDI, ou encore à la réutilisation sociale des avoirs saisis au crime organisé.

Le projet de loi esquive le sujet, qui revient souvent sur la table, de la durée légale du temps de travail de 35 heures, de ses aménagements et de ses effets sur l’activité économique. Ces points pourraient faire l’objet d’une conférence sociale spécifique réunissant les partenaires sociaux, comme l’a proposé le porte-parole du groupe UDI à l’Assemblée nationale lors de l’examen du texte. Nous n’avons pas souhaité rouvrir le débat au détour d’un amendement, mais la question reste posée.

Nous défendrons un amendement visant à supprimer la durée hebdomadaire minimum de 24 heures. Même s’il existe des possibilités de dérogation, cette règle entraîne d’importantes difficultés de mise en œuvre au détriment des employeurs, mais aussi des salariés, là où les négociations et les accords de branche ne sont pas possibles. Cela ne peut qu’encourager une résurgence du travail dissimulé.

Monsieur le ministre, je suis moins optimiste que vous sur les effets de levier directs ou indirects de votre projet de loi sur l’activité et sur la croissance. Les agents économiques, employeurs ou salariés, attendent des signaux plus forts sur le front des réformes.

Je suis impliqué depuis longtemps dans des responsabilités d’entreprises ; à mon sens, il faudra d’autres signes, plus tangibles, pour redonner aux entrepreneurs la confiance qui pèse au moins pour moitié dans une politique de relance.

Le projet de loi, malgré ses insuffisances et ses imperfections, peut contribuer à mettre en place un environnement plus favorable à la prise d’initiative et à l’investissement, sous réserve de permettre au Sénat de l’améliorer et de le compléter. Une telle ouverture, répondant à la nôtre, constituerait un gage d’unité dans l’effort de redressement économique auquel les entrepreneurs, les salariés et l’ensemble de nos concitoyens seraient sans doute sensibles. (Applaudissements au banc de la commission et sur les travées de l'UDI-UC. – M. Jean-Claude Carle applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Bigot.

M. Jacques Bigot. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, afin de ne pas allonger inutilement les débats à cette heure avancée de la soirée, je me contenterai de revenir sur l’esprit dans lequel le Gouvernement souhaite que nous abordions ce texte.

« Enrichir, améliorer, débattre », avez-vous dit tout à l’heure, monsieur le ministre. Je souhaite également que nous puissions enrichir notre économie, améliorer la situation de nos concitoyens et bien débattre : la démocratie y gagnerait.

Qui peut croire que l’économie n’est pas liée à la conjoncture ? Qui pourrait se plaindre des améliorations conjoncturelles et de la présence de signes de reprise et d’espoir ? Qui peut imaginer que la loi seule serait capable d’améliorer la situation économique ?

Le rôle d’une loi est de fixer un cadre qui protège, mais qui n’entrave pas. Aujourd'hui, nous sommes tous conscients de la nécessité d’aborder certaines problématiques sous un angle différent, d’où le côté très éclectique du texte, que l’un des corapporteurs a souligné à juste titre.

C’est la raison pour laquelle ce texte visant à favoriser la croissance et l’activité comprend, quitte à en surprendre certains, des dispositions qui interpellent le monde juridique et judiciaire. Je pense notamment à la réforme des professions réglementées.

À cet égard, il y a deux objectifs essentiels. D’une part, il ne faut pas favoriser des rentes de situation : évitons que certaines professions, sous prétexte d’être réglementées et de bénéficier de situations monopolistiques, ne dégagent des profits démesurés sans être soumises aux règles de la concurrence. D’autre part, il faut ouvrir ces mêmes professions, à la fois sur elles-mêmes et sur les autres.

Néanmoins, et nous devons en tenir compte, si ces professions sont réglementées, c’est parce qu’elles sont censées rendre un service à l’État. Il s’agit d’officiers ministériels chargés de garantir la sécurité juridique des contrats ou des modalités de recouvrement – tout le monde préfère faire appel à un huissier plutôt qu’à une société de recouvrement –, ainsi que l’accès à la justice et le fonctionnement de celle-ci. Les avocats, tout comme d’autres professions réglementées, sont des auxiliaires de justice.

La question de l’équilibre, qui a été abordée par certains devant la commission spéciale, se pose donc. Le fait d’exercer une profession réglementée ne dispense pas de rendre des comptes.

Cependant, il n’est pas sûr que la concurrence constitue le meilleur rempart. J’ai donc déposé un amendement à l’article 12. Ne faut-il pas abandonner le « corridor tarifaire », comme cela a été fait à l’Assemblée nationale ? Est-il judicieux de prévoir des remises avec un plafond et un plancher ?

À mon sens, s’il y a des professions réglementées avec des tarifs, il ne peut y avoir ni de mise en concurrence ni de remise. En revanche, si les tarifs pratiqués donnent lieu à des profits excessifs compte tenu des valeurs, notamment immobilières, du moment, il n’y a aucune raison pour que ces professionnels chargés de rendre des services à l’État ne lui rendent pas aussi celui de lui reverser de l’argent pour favoriser l’accès au droit et à la justice. C’est une piste à creuser ; j’aimerais que nous puissions en débattre.

Monsieur le ministre, vous avez aussi voulu ouvrir ces professions à d’autres et faciliter le recours à l’interprofessionnalité. C’est le débat entre les professions du chiffre et celles du droit, qui peut paraître un peu « ringard » dans certains pays. Sans doute faut-il évoluer.

Cela soulève également la question du respect des territoires. Jacques Mézard a notamment insisté sur l’importance de maintenir partout la présence d’auxiliaires de justice et de notaires.

La présence de professionnels compétents – je pense en particulier aux avocats – me semble tout aussi importante que celle de professionnels en situation de monopole. Tous ces sujets devront être abordés en toute transparence.

Au demeurant, après les Big five, découverts en France à la suite du dépôt de bilan d’Arthur Andersen et de l’affaire Enron, la question de l’interprofessionnalité fait craindre les Big four ! On sait qu’il ne s’agit pas d’un modèle absolu. Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, nous devrons sans doute veiller à empêcher la domination de certains professionnels sur d’autres. C’est le sujet qui préoccupe le plus le monde du droit. Cependant, s’il est important de sauvegarder nos spécificités, nous devons également être capables de nous ouvrir. Les professions réglementées n’ont sans doute pas su le faire suffisamment.

Enfin, le texte aborde la question de la réforme judiciaire. Je le rappelle tout de même, l’importance du dialogue dans les tribunaux de commerce est sanctuarisée. Le principe même du fonctionnement des tribunaux de commerce est maintenu ; il est seulement prévu d’instaurer des tribunaux de commerce spécialisés pour traiter des procédures de liquidation judiciaire. L’objectif est que ces tribunaux soient mieux armés pour maintenir l’emploi sur plusieurs secteurs du territoire.

De même, l’importance du dialogue social est réaffirmée au titre III du texte, « Travailler ». La prud’homie est pleinement réhabilitée. Monsieur le ministre, vous reconnaissez que les tribunaux des prud’hommes mettent du temps à rendre leurs décisions – d’ailleurs, ils ne sont pas les seuls –, mais vous souhaitez améliorer les choses, notamment en renforçant le rôle de la conciliation, qui se trouvera accru par l’existence de barèmes indicatifs, comme cela se pratique dans d’autres domaines. Il sera ainsi possible aux parties de régler rapidement le litige au moment de la conciliation, grâce au renforcement des bureaux conciliateurs. En clair, la volonté de dialogue est inscrite dans le projet de loi.

Certains ne peuvent pas s’empêcher de faire référence à une économie qui fonctionne bien de l’autre côté du Rhin. Pour bien connaître l’Allemagne, je puis vous l’assurer : ce qui fonctionne correctement chez nos voisins, c’est surtout le dialogue social dans les entreprises ! C’est ce qui a largement favorisé la compétitivité. Puisque nous cherchons des modèles, inspirons-nous de ce qui a fait la preuve de son succès. Il est important de promouvoir le dialogue, aussi bien dans notre pays que, je l’espère, dans nos travaux au sein de notre Haute Assemblée ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Nicole Bricq. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à Mme Fabienne Keller.

Mme Fabienne Keller. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, après une baisse quasi nulle du déficit public en 2014, d’un dixième de point seulement, notre pays est désormais au pied du mur.

Vous le savez bien, monsieur le ministre, avec 4 % de déficit, la France se situe en queue de peloton de l’Union européenne et de la zone euro. Avec l’Espagne et le Portugal, elle sera le seul pays de la zone euro à avoir un déficit public supérieur à 3 % en 2015. Elle doit à tout prix le réduire au plus vite. Pour y parvenir, elle doit retrouver le chemin de la croissance et diminuer ses dépenses publiques.

Dans son rapport annuel, publié au mois de février dernier, la Cour des comptes doute que nous améliorions les chiffres de notre déficit public, notant que la prévision de croissance des recettes « présente des fragilités » et que l’objectif d’évolution des dépenses en valeur « peut se révéler difficile à atteindre ». La Cour des comptes évoque notamment les baisses de dotations aux collectivités territoriales, qui ne se traduiront pas automatiquement dans les économies escomptées. Il s’agit du fameux « effet boomerang » dû aux investissements non réalisés, qui sont autant de taxes non perçues.

Présenté comme la grande loi du quinquennat, ce texte pour « la croissance » et « l’activité » ne permettra sans doute de relancer ni l’une ni l’autre. Ce n’est pas moi qui l’affirme ; c’est l’OCDE. Selon cette organisation, le gain de croissance permis par cette loi serait, au mieux, de 0,1 % par an pendant cinq ans.

M. Charles Revet. C’est peu !

Mme Fabienne Keller. C’est effectivement très faible.

Composé d’une juxtaposition de près de 300 dispositions – les corapporteurs l’ont souligné –, sans ligne idéologique claire, réécrit en séance publique en fonction des difficultés entre les composantes de la majorité à l’Assemblée nationale et, surtout, dépourvu de véritable mesure structurelle, le projet de loi n’aura malheureusement que très peu d’effet sur la croissance et l’activité économique.

En réalité, monsieur le ministre, à l’instar du reste du Gouvernement, vous comptez sur un retour de la croissance grâce à des facteurs extérieurs, comme l’amélioration de la conjoncture économique dans la zone euro, le plan de relance de l’investissement de la Commission européenne ou la facilitation de l’accès aux capitaux par la Banque centrale européenne. Mais, de ce jeu risqué, la France pourrait bien sortir perdante, notamment sur la création d’emplois, un sujet dont nous, élus locaux, connaissons bien le caractère prioritaire.

Certes, quelques mesures du projet de loi sont positives. Malheureusement, elles sont trop cosmétiques et relèvent parfois uniquement de l’affichage pour rassurer les autorités européennes.

Il s’agit de faire gagner du temps à la France, qui est pressée de se réformer par son partenaire allemand, par la Commission européenne, par le FMI, par la Cour des comptes ou encore par le Haut Conseil des finances publiques.

Le calendrier dans lequel s’inscrit l’examen de ce projet de loi n’est pas anodin. La Commission européenne avait indiqué qu’elle évaluerait « la situation de la France, suite à l’adoption du budget 2015 et la spécification du programme des réformes structurelles » au début du mois de mars.

Les nombreux articles du projet de loi demandant au Parlement d’habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance prouvent que ce texte a été inscrit à l’ordre du jour dans la précipitation, toujours au nom de ce fameux objectif d’affichage à l’égard de Bruxelles. Cela s’effectue au détriment du Parlement, qui se trouve dessaisi dans des domaines pourtant aussi primordiaux que l’urbanisme, le droit des sociétés, le droit de la concurrence, le droit des contrats publics, ou les pouvoirs de l’inspection du travail.

M. Charles Revet. C’est une mainmise de l’État !

Mme Fabienne Keller. Pour 2015, Bruxelles laisse à la France un délai de trois mois, jusqu’au 10 juin, pour présenter des mesures, notamment des réformes structurelles, garantissant que le déficit public baissera de 0,5 %. Cela représente un effort d’environ 4 milliards d’euros.

La lecture de la presse nous fait comprendre que ces 4 milliards d’euros d’économies résulteront d’abord de la diminution de la charge de la dette, les taux continuant de baisser sur le long terme. Ainsi, le crédit inscrit pour les charges d’intérêt sera finalement réalisé de manière bien inférieure au résultat escompté. Les économies seront également permises par des recettes plus élevées que celles qui étaient prévues, en raison de la régularisation des comptes détenus à l’étranger. Voilà deux mesures qui n’ont rien de structurel. Or, je me permets de vous le rappeler, ce sont bien des économies de structure que la Commission européenne attend !

Au-delà de ces dispositions immédiates, la nouvelle trajectoire budgétaire proposée par Bruxelles revient à demander un effort d’environ 30 milliards d’euros en plus des 50 milliards d’économies déjà programmées par le Gouvernement entre 2015 et 2017, soit un total de 80 milliards d’euros.

Monsieur le ministre, alors que la France ne cesse de repousser ses objectifs et se trouve en situation de décrochage, vous avez critiqué le 2 mars dernier l’effort demandé à la France, en le jugeant « procyclique » et en estimant qu’il détruirait la croissance et le retour au plein-emploi. Ces propos laissent une nouvelle fois présager que le Gouvernement ne réalisera pas l’intégralité de l’effort demandé.

Certes, monsieur le ministre, on ne peut pas vous donner complètement tort. Il convient effectivement de faire preuve de vigilance : le risque que les économies budgétaires aient un effet récessif sur notre économie est réel. Cependant, vous savez également que la France ne retrouvera pas une croissance durablement créatrice d’emplois sans efforts dans deux grands domaines : les finances publiques et les réformes structurelles, notamment sur le marché de l’emploi, le droit des sociétés… (M. Michel Vergoz s’exclame.)

La nouvelle trajectoire budgétaire et les mesures devaient théoriquement être annoncées par le Gouvernement au mois d’avril, au moment de la présentation à Bruxelles de son programme de stabilité et de son programme national de réformes. Pourtant, pour la première fois depuis la mise en place de ces programmes en 2011, le Gouvernement n’a pas souhaité inscrire un débat sur le sujet à l’ordre du jour du Parlement. Mais peut-être craignait-il le vote qui aurait normalement dû avoir lieu à l’Assemblée nationale, suite à l’utilisation de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution sur ce projet de loi…

Monsieur le ministre, dans la lignée des propos du président de la commission spéciale, M. Vincent Capo-Canellas, permettez-moi de vous faire part de notre inquiétude. On pourrait parler de mépris du Parlement, et singulièrement du Sénat !

M. Roland Courteau. Il ne faut pas exagérer !

Mme Fabienne Keller. En commission spéciale, nous avons examiné des amendements du Gouvernement dont l’objet répétitif se composait exactement des mots suivants : « Rétablissement du texte issu de la première lecture à l’Assemblée nationale ». Voilà un exposé des motifs pour le moins léger…

Pourtant, le 28 août dernier, vous aviez affirmé : « C’est le moment de passer à l’étape deux de la modernisation du marché du travail, parce que cela n’a pas d’impact déflationniste et peut restaurer la confiance. » Nous sommes d’accord !

Vous ajoutiez : « Rehausser et simplifier les seuils sociaux permettrait de lever un obstacle traumatisant pour beaucoup de petits patrons sans pour autant changer la vie des salariés. » Notre collègue corapporteur Catherine Deroche vous a parfaitement entendu.

Et vous poursuiviez en ces termes : « Nous pourrions autoriser les entreprises et les branches dans le cadre d’accords majoritaires, à déroger aux règles de temps de travail et de rémunération. C’est déjà possible pour les entreprises en difficulté. Pourquoi ne pas étendre à toutes les entreprises, à condition qu’il y ait un accord majoritaire avec les salariés ? »

Vous disiez encore : « Ensuite, nous pourrions autoriser les entreprises et les branches, dans le cadre d’accords majoritaires, à déroger aux règles de temps de travail et de rémunérations. C’est déjà possible depuis la loi de juillet 2013, mais sur un mode défensif pour les entreprises en difficulté. Pourquoi ne pas étendre ce dispositif à toutes les entreprises, à la condition explicite qu’il y ait un accord majoritaire avec les salariés ? »

Mme Annie David. Et pourquoi ne pas revenir au temps de l’esclavage ?

Mme Fabienne Keller. Force est de le constater, aucune des réformes structurelles que vous envisagiez voilà six mois seulement ne figure dans le projet de loi portant votre nom.

Qu’en est-il donc de votre volonté, affirmée à la même période, d’« ouvrir une nouvelle phase du quinquennat, comme Schröder a su le faire en Allemagne entre 2003 et 2005 ? » Voilà quelques jours, vous annonciez vous-même vouloir aller plus loin. Le groupe UMP et les centristes étaient en accord avec cette loi « Macron II ».

Je me permets d’ailleurs de vous l’indiquer, c’est précisément ce que vous proposent le Sénat et ses trois corapporteurs, qui ont beaucoup travaillé le sujet sur le fond !

Leur travail mérite d’être considéré, d’autant plus qu’il va dans le sens de vos annonces, dont celle sur la simplification de la vie des entreprises, en remontant les seuils sociaux de 11 salariés à 21 salariés et de 51 salariés à 101 salariés. Cette disposition figure ainsi dans le texte de la commission spéciale, tout comme l’aménagement et la simplification du compte pénibilité. En fait, monsieur le ministre, le vote de ces mesures permettrait de mettre en œuvre la loi « Macron II », à laquelle votre propre gouvernement fait blocage.

Le groupe UMP, pour sa part, prend ses responsabilités. Il s’attachera à vous montrer qu’il est possible d’aller plus loin en matière de soutien à la croissance et à l’activité économique, en proposant des mesures beaucoup plus structurelles.

Tels sont l’objet du rapport et l’ambition du texte de la commission spéciale. Les positions que les trois corapporteurs de ce projet de loi défendront dans les jours et les semaines à venir n’ont d’autre objectif que de libérer les forces créatrices d’emplois dans notre pays ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Bonhomme.

M. François Bonhomme. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre pays peut s’enorgueillir de disposer d’un modèle de droit qui s’exporte, en raison notamment de la qualité de la sécurisation juridique des actes produits.

Dès lors, fort logiquement, nous ne pouvons pas accepter qu’une réforme des professions réglementées fasse peser des risques sérieux sur la qualité de ces actes et l’accès des Français à la justice.

M. Charles Revet. Tout à fait !

M. François Bonhomme. Les mesures proposées par le Gouvernement, qui s’est affranchi de toute véritable concertation avec les acteurs concernés, ont suscité une véritable levée de boucliers, alors même que les professions réglementées s’entendent sur la nécessité de moderniser leurs pratiques et leur offre.

En réalité, la logique économique à laquelle le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale obéit méconnaît la spécificité de l’activité juridique. Monsieur le ministre, votre projet de loi risque par conséquent de contribuer à la détérioration de la situation de l’emploi, au détriment de la sécurisation des actes juridiques.

Pourtant, le 2 février dernier, vous déclariez à l’Assemblée nationale : « En revanche, je n’accepte pas comme argument des chiffres que, d’une manière scandaleuse, certains professionnels ont pu mettre en avant, sans aucun fondement, sans aucune preuve et sans aucun sérieux. […] Prétendre que cette réforme de la libre installation et des tarifs conduira à la suppression de plusieurs dizaines de milliers d’emplois ne vise qu’un objectif, celui d’agiter les peurs des salariés et des plus fragiles qui travaillent dans ces offices. »

Or les études les plus fines et les plus sérieuses, à commencer par celle qui a été menée par le cabinet Ernst and Young, démontrent que l’introduction en 2016 des nouvelles dispositions tarifaires prévues par ce texte devrait provoquer une forte baisse, de 10 % à 20 %, du chiffre d’affaires de la profession, et cela s’accompagnerait d’une chute de la marge jusqu’à 26 %. Dans le cas d’une baisse des tarifs de 20 %, le nombre de collaborateurs non notaires pourrait également baisser considérablement, jusqu’à 9 500 personnes entre 2015 et 2020.

Par ailleurs, alors que le Gouvernement a annoncé le 13 mars dernier un grand plan en faveur des territoires ruraux – je crois même savoir qu’une ministre en est chargée, malgré le quasi-anonymat dans lequel elle demeure (Sourires sur les travées de l'UMP.) –, vous créez de véritables déserts ou des zones blanches juridiques, avec des conséquences encore difficilement estimables en termes d’emploi.

Vous mettez à mal le maillage territorial actuel de l’accès au droit, dont je rappelle qu’il a été patiemment construit au fil des décennies, voire des siècles.

Le groupe UMP, grâce au travail scrupuleux et bien inspiré de notre collègue François Pillet, qui a été salué de toutes parts, a adopté une position équilibrée, en réécrivant le texte. La rédaction que nous proposons apporte des réponses pragmatiques tout en confortant le rôle des professions réglementées et en précisant les dispositions relatives à la réforme des juridictions.

Plusieurs dispositions risquaient de nuire à la sécurité des actes juridiques. Comme l’a rappelé M. le corapporteur, nous avons souhaité les corriger sur trois points majeurs.

D’abord, la compétence relative à la tarification des actes – cela a été l’un des points les plus discutés à l’Assemblée nationale – doit revenir au ministère de la justice, et non relever du code du commerce. En effet, les prestations juridiques ne peuvent pas être considérées comme des prestations commerciales et figurer dans le code du commerce.

Le Gouvernement est bien revenu à l’Assemblée nationale sur les dispositions créant un corridor tarifaire, mais pour les remplacer par un système trop complexe de remises sur les tarifs. Le fait que ces remises portaient seulement sur les actes moyens mettait en péril l’équilibre des études intermédiaires. Nous avons donc fait évoluer le dispositif, afin d’autoriser ces dernières sur des tarifs supérieurs à un certain plancher, sans plafond et en supprimant la fixité des remises.

Ensuite, l’extension du périmètre d’activité des experts-comptables risquait de nuire à l’équilibre des professions du droit. Monsieur le ministre, vous aviez choisi de remettre en cause la « théorie de l’accessoire » et l’équilibre résultant de la jurisprudence. Le groupe UMP entend faire respecter la règle existante du double accessoire, en rendant plus claire l’exclusion des prestations juridiques des actes des experts-comptables. Cela réduira les contentieux et garantira la qualité de conseils apportés aux clients dans les deux disciplines : chiffre et droit.

Enfin, à propos de l’interprofessionnalité, il nous est apparu essentiel de trouver un équilibre entre les différents domaines d’activités, en ayant comme exigence la nécessité de garantir l’indépendance des professions et l’exercice de leurs droits.

J’évoquais tout à l’heure certaines dispositions qui risquaient de mettre en péril l’accès des Français au droit et le maillage territorial. À nos yeux, les quatre propositions ambitieuses soumises par la commission spéciale vont dans un sens tout à fait favorable.

Premièrement, notre crainte était que le dispositif relatif à la postulation des avocats ne remette en cause le maillage territorial résultant de la carte judiciaire en vigueur et ne crée de véritables déserts juridiques, en incitant à des regroupements d’avocats auprès des barreaux situés au siège des cours d’appel. C’est pourquoi il nous est apparu nécessaire de faire en sorte que la mesure soit expérimentée à l’échelle de deux cours d’appel, puis fasse l’objet d’une évaluation avant d’être généralisée, le cas échéant.

Deuxièmement, le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale revient sur le principe de liberté d’installation des notaires, principe inscrit dans la loi, l’installation devant répondre à des critères cartographiques établis par les ministères de l’économie et de la justice, sur proposition de l’Autorité de la concurrence.

En réalité, cette liberté d’installation serait contrôlée et non garantie. De ce fait, le rapporteur a eu raison de donner compétence au seul ministre de la justice pour établir la carte délimitant les zones où l’installation de nouveaux offices est libre, l’Autorité de la concurrence n’ayant plus qu’un pouvoir d’avis, ce qui est plus conforme à ses attributions.

Le dispositif proposé par l’Assemblée nationale pour la carte d’installation distinguait seulement deux types de zones. Or, comme l’a rappelé François Pillet, cette distinction laisse de côté un troisième type de zones : celles où l’on ne constate pas de défaut de proximité ou d’offre de services. C’est donc le ministre de la justice qui détiendrait seul le pouvoir d’appréciation à réguler ou non l’implantation d’un office dans ce type de zones.

Par ailleurs, l’obligation d’indemnisation des concurrents répondant à une obligation constitutionnelle, il est pertinent que l’ensemble de la profession participe à l’installation de nouveaux offices et que cette obligation d’indemnisation soit prise en charge par le fonds de péréquation professionnelle.

Troisièmement, ce fonds de péréquation doit rester interne à la profession des notaires. Nous entendons donc supprimer son caractère interprofessionnel. L’affectation du fonds de péréquation à l’aide juridictionnelle nous a semblé relativement incongrue : cette création de « taxe » masquée risquait de nuire gravement à l’activité des études et ne présentait aucune cohérence en termes d’affectation.

Quatrièmement, il nous est apparu important de préciser les compétences de ces tribunaux de commerce pour connaître des procédures collectives, à l’exclusion des dispositifs et procédures de prévention des difficultés des entreprises pour les procédures impliquant des entreprises de plus de 250 salariés. Afin d’assurer un maillage territorial de plus grande proximité, nous ne pouvions pas accepter qu’il y ait moins d’un tribunal dans le ressort de chaque cour d’appel.

Monsieur le ministre, les représentants des professions réglementées nous ont indiqué être satisfaits des propositions formulées par la commission spéciale.

Je terminerai donc par une exhortation et même par une supplique : de grâce, prenez en compte le travail constructif mené au sein de la Haute Assemblée ! Peut-être même sera-t-il profitable à votre image et à la volonté que vous affichez. Il s’agit d’un travail constructif, avec un même objectif : moderniser le service rendu à tous les Français et ce, sur l’ensemble du territoire. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je reviendrai de manière synthétique sur l’ensemble des points qui ont été abordés, sans toutefois anticiper sur les débats que nous aurons lors de l’examen des articles.

D’abord, sur la philosophie générale du texte, j’ai du mal à comprendre que l’on puisse juger un texte en fonction des inspirations qui lui sont prêtées ou du parcours professionnel antérieur d’un membre du gouvernement ; cela cadre mal avec l’état d’esprit dans lequel nous avons tous indiqué vouloir travailler.

Pour ma part, j’ai effectivement participé à la commission animée par Jacques Attali. Je suppose que chacun d’entre vous a eu une vie professionnelle riche, et que ces expériences vous inspirent aujourd’hui. Il n’y a aucune malice ou intention cachée. Le rapport Attali a été plusieurs fois évoqué comme une sorte d’ombre portée sur le projet de loi. Or ce texte est d’abord et avant tout celui du Gouvernement ! Et, contrairement au soupçon que M. le sénateur Jacques Mézard a laissé planer, il n’y a pas non plus de dessein secret au profit d’un certain Fiducial.

On peut sans doute reprocher beaucoup de choses à ce projet de loi, mais certainement pas d’avoir été conçu sous la pression de quelque lobby que ce soit.

Mme Éliane Assassi. Ce n’était pas nécessaire…

M. Emmanuel Macron, ministre. Rendons au moins à ce gouvernement la grâce de s’être affranchi de tous les lobbies existants. D’ailleurs, c’est peut-être ce qui a valu à certains d’être plus vocaux que d’autres.

Je vous rassure, aucun cabinet, si grand soit-il, n’a inspiré les propositions de ce texte. Nous avons simplement essayé de regarder concrètement ce qui fonctionnait ou non. Ainsi que je pourrai vous le démontrer point par point, nous améliorons le réel.

Je récuse également une caricature qui nous est adressée, celle d’une prétendue influence bruxelloise. Comme j’ai pu le souligner à plusieurs reprises, ce n’est pas parce que certains à Bruxelles partagent nos analyses et soutiennent notre réforme que cette dernière serait par essence mauvaise, ni qu’elle vaudrait quitus pour d’autres mesures que nous n’oserions pas prendre. Qui dit dynamique européenne ne dit pas forcément inspiration bruxelloise ou volonté de s’affranchir de quelque obligation que ce soit !

Des discussions se sont tenues entre mon collègue chargé des relations avec le Parlement et M. le président du Sénat. Le programme national de réformes et le programme de stabilité seront présentés aux commissions parlementaires compétentes le 22 avril prochain. Compte tenu des délais, le débat en séance ne pourra pas se tenir avant le 30 avril, date de la transmission à la Commission européenne, mais il aura lieu au début du mois de mai.

Ainsi que je l’indiquais dans mon propos introductif, ce projet de loi a deux objectifs : une plus grande justice et une plus grande efficacité.

Plusieurs orateurs se sont interrogés sur l’efficacité des mesures proposées. Il me paraîtrait inapproprié de comparer l’effet du texte à celui de la baisse du pétrole, ou même de mettre les chiffres en parallèle. Les effets d’une baisse conjoncturelle de tel ou tel indicateur sont nécessairement tout aussi conjoncturels et se dissipent aussi vite qu’ils étaient apparus. Or le projet de loi engage des réformes en profondeur dont les effets se feront sentir progressivement. Nous pourrons les observer non pas sur les trois premières années, mais de manière dynamique dans la durée.

Ainsi, la réforme des prud’hommes mettra du temps à entrer dans les pratiques et à produire tous ses effets sur les créations d’emplois. De même, parmi les réformes en matière de numérique, d’investissement, de simplicité et d’accès au droit ou encore d’ouverture du secteur des transports, certaines auront des répercussions rapides, mais leurs pleins effets se feront sentir à l’horizon de trois ans à cinq ans. C’est le propre de ce qu’on appelle les réformes structurelles. Ne perdons pas de vue dans nos raisonnements le caractère progressif de ces effets dans le temps.

Précisément, la forme de myopie qui consiste à observer les effets d’une mesure le lendemain ou l’année suivante et non dans la durée a empêché un certain nombre de réformes d’être menées.

Quand d’autres pays ont demandé voilà dix ans de s’affranchir de certaines règles budgétaires pour mener des réformes structurelles, l’erreur française a été de solliciter les mêmes facilités sur le plan budgétaire sans pour autant mettre en œuvre les mêmes réformes ! Nous sommes aujourd’hui dans une situation éminemment contrainte, parce que, au cours de la décennie, nous nous sommes à deux reprises dispensés des efforts budgétaires sans mener les réformes structurelles. Aujourd’hui, il faut mener les deux de front, ce qui constitue une difficulté particulière. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Je veux d’abord lever un malentendu sur les transports. Contrairement à ce que j’ai pu entendre, l’ouverture du secteur des transports par autocar ne vise pas à créer un secteur public, qui peut d’ailleurs exister ; il peut y avoir des conventions avec les collectivités territoriales. Le dispositif envisagé concerne bien la possibilité d’ouvrir des lignes privées. À cet égard, les modifications introduites par la commission spéciale viendront immanquablement réduire la portée de la mesure, en termes tant de créations d’emplois que d’accès aux territoires.

Notre proposition ne s’oppose pas au rail. Comme cela a été rappelé, le secteur ferroviaire n’a pas attendu cette réforme pour rencontrer des difficultés. D’ailleurs, nous les connaissons bien, et nous nous attelons à y répondre. Vous pouvez compter sur mon implication en faveur de cette filière essentielle de notre économie.

Au demeurant, la SNCF compte également s’engager sur le transport par autocar. À l’instar de M. Jean Desessard, je crois qu’il faut envisager la complémentarité des modes de transport, et non une concurrence mécanique. Cette complémentarité est le cœur de la multimodalité et de l’intermodalité, dimensions parfois insuffisamment prises en compte.

Pour améliorer l’aménagement du territoire, il faut mieux articuler mieux les différents modes de transport. Si je considère que le « Charles-de-Gaulle Express » est un bon projet, c’est précisément parce qu’il s’inscrit dans une logique d’intermodalité et de complémentarité entre le rail, le transport aérien et le transport individuel. Les différents éléments doivent être considérés dans une perspective large ; c’est le choix que nous faisons avec ce texte.

Toujours à propos des transports, je réitère mes regrets quant à la réforme du permis de conduire. Nous apporterons des compléments sur l’étude d’impact, grâce aux opérateurs publics que nous avions engagés dans l’opération et qui avaient fait acte de candidature sur l’externalisation du code comme sur l’examen pratique. Mais les éléments sont bien connus ; c’est même ce constat qui avait inspiré notre démarche : le délai moyen d’attente est de 98 jours, voire 200 jours dans certains territoires. C’est malheureusement la situation que subissent nombre de nos concitoyens. Je vous apporterai les indications complémentaires nécessaires. Je comprends votre volonté de transparence, et je la partage.

Le sujet des professions juridiques a été longuement soulevé. Mettons-nous d’accord sur les termes : il faut bien en convenir, « concerter », ce n’est pas « contenter » ! Moi et ma collègue garde des sceaux avons mené une large concertation. Nous avons reçu de nombreuses personnes, conjointement ou individuellement. J’admets toutefois que nous n’avons pas « contenté » : en l’occurrence, cela aurait signifié faire le choix de l’immobilisme.

Rien dans cette réforme ne remet en cause la sécurité des actes juridiques et l’accès à la justice. Nous en débattrons article par article. Mais je vous assure que nous avons été très vigilants à cet égard.

Je voudrais à présent revenir sur plusieurs points récurrents dans les interventions des différents orateurs.

Tout d’abord, ce texte ne met aucunement les professions du droit dans la main de l’Autorité de la concurrence.

Il faut avoir le souci de la précision : si l’Autorité de la concurrence est chargée de rassembler des éléments objectifs sur la base desquels la décision s’organise ensuite, elle ne se substitue en rien au Gouvernement, en particulier au garde des sceaux. Elle se contente d’établir une cartographie objective permettant d’identifier les zones dans lesquelles il manque des officiers publics ministériels : celles qui présentent un manque relatif – dans ce cas, une discussion peut s’engager, même si le droit de veto du garde des sceaux est préservé – et celles qui comptent suffisamment de professionnels.

L’Autorité de la concurrence ne prend pas de décision ; elle rend un avis indicatif.

M. Charles Revet. Cela reviendra au même !

M. Emmanuel Macron, ministre. Il existe d’ores et déjà des formes de « déserts juridiques ». Dans ces zones, nous pouvons accepter le principe d’une liberté d’installation relative. Au contraire, dans d’autres zones, l’équilibre des professionnels en place sur les territoires justifie une régulation par le Gouvernement. Je conteste donc le reproche selon lequel l’Autorité de la concurrence aurait un « pouvoir rampant » sur ces professions. Elle objective simplement un échange contradictoire qui doit avoir lieu.

Je veux également lever toute ambiguïté sur les interprofessions : les règles posées dans le texte ne permettent pas leur financiarisation. En particulier, la possibilité pour les professions du chiffre la possibilité de revenir sur les séparations structurantes établies par le passé n’est pas ouverte. La séparation entre le métier de commissaire aux comptes et celui d’expert-comptable a été implicitement ou explicitement mentionnée, et à juste titre. Nous ne revenons pas sur cette séparation.

La première forme d’interprofession proposée, l’interprofession d’exercice, n’est ouverte qu’aux professionnels du droit, et non à ceux du chiffre. De surcroît, elle est plus stricte que le droit existant ; elle est réservée aux professionnels du droit qui détiennent l’intégralité du capital. Ne l’oublions pas, certains professionnels du droit anglo-saxons opèrent aujourd’hui en France, via des filiales dont le capital est majoritairement détenu par des acteurs financiers.

Mme Nicole Bricq. Bien sûr !

M. Emmanuel Macron, ministre. Ce texte, en renforçant les contraintes relatives à la détention du capital par les professionnels du droit, nous permettra de mieux nous battre dans la « compétition » des modèles juridiques à l’œuvre au plan européen. En effet, ainsi que des jurisprudences récentes l’ont montré, nous n’avons pas su protéger notre modèle par rapport au droit allemand, qui autorise l’ouverture de filiales de cabinets juridiques dont le capital est majoritairement détenu par des non professionnels.

Le projet de loi clarifie la situation actuelle et protège les professionnels. Il leur permettra de promouvoir un modèle beaucoup plus robuste au niveau européen.

J’en viens à la séparation entre le droit et le chiffre. Je défendrai un amendement visant précisément à clarifier la notion d’accessoire. Je sais que le sujet est sensible et que M. le corapporteur s’y est particulièrement investi. Il s’agit non pas de revenir sur des équilibres aujourd’hui satisfaisants, mais de prendre en compte certains ajustements nécessaires bien au bon fonctionnement de certaines de ces professions. Ce débat mérite, me semble-t-il, d’être largement dépassionné.

L’interprofession ouverte aux professionnels du chiffre est également strictement limitée. D’abord, les conditions de détention du capital par ces professionnels sont strictement précisées. Ensuite, la séparation stricte de l’expertise-comptable et du commissariat aux comptes, qui procède des scandales auxquels certains d’entre vous ont fait référence, est préservée. Là encore, ne nous amusons pas à agiter des peurs : il y a des acquis, et nous entendons les réaffirmer.

La postulation territoriale pour les professions juridiques a également été évoquée à plusieurs reprises.

Nous voulons tirer les conséquences de la réforme des avoués, qui a été menée voilà plusieurs années, le ressort de la cour d’appel étant considéré comme le bon niveau.

Au regard de la dématérialisation des actes, il nous semble également légitime de permettre aux avocats, sur un certain nombre d’affaires, d’opérer librement d’un tribunal de grande instance, ou TGI, à l’autre au sein du ressort d’une même cour d’appel. En termes d’accès et de clarté du droit, c’est, selon nous, un meilleur service à rendre à nos concitoyens. La postulation territoriale, outre qu’elle apparaît le plus souvent obsolète, est source de surcoûts.

Le sujet est sensible. La profession a indiqué à plusieurs reprises que cette réforme de la postulation pouvait déstabiliser les équilibres économiques de certains barreaux. Certaines matières ont donc été retenues au niveau du TGI.

À cet égard, comme je l’ai indiqué à M. le corapporteur, vouloir simplement poursuivre l’expérimentation qui a déjà été partiellement lancée depuis quelques années relève quelque peu de la procrastination.

Mme Nicole Bricq. La droite dit vouloir aller vite…

M. Emmanuel Macron, ministre. En l’occurrence, une telle position me paraît assez incohérente avec les positions de la commission spéciale sur les autres volets du texte. Pourquoi faudrait-il continuer à expérimenter sur certains points et se jeter immédiatement dans le grand bain sur d’autres pour lesquels le problème n’a pas encore été examiné au fond ? Il y a là, me semble-t-il, une certaine contradiction.

Je trouve que la commission spéciale fait preuve d’une certaine pusillanimité. Je suis toutefois prêt à débattre des matières – je pense notamment aux contentieux impliquant les banques ou les assureurs – que l’on pourrait maintenir au niveau du TGI pour assurer la transition et éviter de déstabiliser la profession. En revanche, il ne m’apparaîtrait pas opportun de différer une réforme somme toute assez logique. Comment expliquer par exemple les quelque 500 euros de postulation territoriale pour régler un divorce entre Annecy et Chambéry ?

M. le corapporteur a eu raison de rappeler que les tarifs étaient à la main du Gouvernement. Leurs modalités de fixation n’étaient toutefois pas suffisamment explicites. Le projet de loi prévoit donc de clarifier les principes que le Gouvernement applique actuellement. Cela nous semble constituer malgré tout une avancée. La commission spéciale a amendé le texte de l’Assemblée nationale, tout en préservant le principe de revues régulières à la lumière des coûts et des investissements. Je ne doute pas que nous pourrons débattre et avancer efficacement.

Je note également une contradiction dans les critiques émises à l’égard du fonds interprofessionnel. D’un côté, les professionnels concernés nous expliquent que leur statut d’officier public ministériel devrait les préserver d’une réforme « à la va-vite », ce qui n’est pas le cas de ce texte ; de l’autre, ils prétendent n’avoir rien à voir avec le financement de l’accès au droit, qui devrait relever exclusivement de la profession d’avocat. L’idée d’un fonds interprofessionnel et d’une mise à contribution de professionnels ayant rappelé à plusieurs reprises leur attachement au service public du droit ne me semble pas relever de l’hérésie. Ne soyons pas captifs d’un double discours selon les intérêts en cause !

Le sujet des tribunaux de commerce spécialisés est, je le sais, sensible dans les territoires. Je connais aussi le dévouement des juges, qui exercent le plus souvent leur mission à titre gracieux.

M. Charles Revet. Et ils sont proches du terrain !

M. Emmanuel Macron, ministre. En effet, monsieur le sénateur. Et nous ne voulons pas mettre fin à cette proximité. D’ailleurs, vous l’aurez noté, contrairement à ce que d’autres ont pu faire par le passé, nous ne supprimons pas de tribunaux de commerce ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jacques Chiron. Ils l’ont déjà oublié !

Mme Nicole Bricq. Ils ont la mémoire courte…

M. Emmanuel Macron, ministre. En revanche, certaines affaires, notamment celles qui concernent des entreprises implantées sur différents sites, nous semblent plus complexes que d’autres à traiter. Je pense en particulier aux exemples de Mory Ducros ou de Pet Food à Villeneuve-sur-Lot. Dans ces cas, les salariés sont soumis à différentes justices consulaires, avec un risque de dissonance.

Au-delà d’un certain seuil de salariés, nous proposons simplement de regrouper ces affaires à quelques juridictions existantes qui se seraient spécialisées dans ce type de contentieux. Cela me semble un élément de clarification et de plus grande sécurité juridique.

Le débat porte surtout sur le seuil à retenir. Le seuil de 400 salariés concernerait seulement quelques affaires. J’avais défendu le chiffre de 150 salariés, mais je suis ouvert à la discussion autour d’un seuil de 200 salariés. Il faudrait qu’une centaine d’affaires puissent ainsi « remonter » chaque année.

Selon nous, une telle mesure ne déstabiliserait pas les tribunaux de commerce existants. Nous devons avoir un discours apaisant et renvoyer aux chiffres. Cela permettrait aux quelques tribunaux de commerce ainsi spécialisés d’être plus au fait de ces procédures complexes, mais aussi aux présidents de tribunaux de commerce impliqués de participer à la formation de jugement, donc de pouvoir porter la vision du terrain.

Je voulais également insister sur l’ambition de ce texte en matière de numérique. Comme je l’ai indiqué dans mon propos introductif, je souhaite qu’elle soit renforcée. Vous avez déposé des amendements en ce sens ; nous en défendrons aussi.

Nous devons aller encore plus loin sur le très haut débit ou l’accès aux données publiques. Le sujet est complexe. Même s’il n’est pas totalement stabilisé juridiquement, nous devons pouvoir le faire avancer lors de la discussion au Sénat.

Il faut aussi que l’on puisse aller plus loin sur la couverture mobile, en traduisant dans la loi les engagements pris par le Premier ministre, notamment à Laon voilà quelques semaines.

Je veux aussi apporter des clarifications en matière de privatisations et de gestion du portefeuille de participations publiques.

Ce texte ne permet en aucun cas de faciliter les privatisations de manière rampante. Au contraire ! (Marques de désapprobation sur les travées du groupe CRC.) Mesdames, messieurs les sénateurs, si vous pensez que le texte facilite les privatisations, il faudra m’en faire la démonstration !

Mme Annie David. On s’en chargera !

M. Emmanuel Macron, ministre. Car nous abaissons le seuil de l’autorisation par le Parlement ! Mon prédécesseur avait pu prendre par décret la décision de privatiser la société de gestion de l’aéroport de Toulouse. Si le texte est adopté, une telle décision devra impérativement relever de la loi.

M. Pierre-Yves Collombat. Quand on a une bonne majorité…

M. Emmanuel Macron, ministre. Il me semble préférable d’avoir un débat préalable transparent plutôt que de devoir ensuite affronter une polémique polluée par le manque de transparence initiale. (Exclamations sur les travées de l'UDI-UC.) Je tenais à dénoncer certaines contre-vérités.

Mme Éliane Assassi. N’employez pas d’argument d’autorité !

M. Emmanuel Macron, ministre. Je n’emploie pas d’argument d’autorité, madame la sénatrice. Je vous demande de faire preuve d’une courtoisie symétrique à mon endroit. Nous pourrons ainsi avoir des débats de fond ; c’est ce que je recherche.

Le groupe GIAT Industries a deux filiales. La première, SNPE, est d'ores et déjà privatisée. NEXTER est la seconde. Nous demandons l’autorisation de la privatiser, non pas pour nous désengager – l’État ne compte pas vendre quelque action que ce soit –, mais pour pouvoir nous rapprocher d’un acteur allemand, KMW, afin de créer un « EADS des équipements terrestres ». Ce projet industriel est soutenu par le ministre de la défense, par moi-même et par les deux entreprises.

Ces dernières mènent leurs négociations. Dans ce cadre, elles ont à connaître de l’ensemble de la documentation juridique et financière. J’ai lu comme vous un article de presse mentionnant des accusations de corruption à l’étranger dirigées contre KMW. Un processus de vérification est en cours. Nous avons demandé que la lumière soit faite. Elle le sera dans le cadre des négociations conduites par les deux entreprises. C’est ainsi que les choses doivent se dérouler. Nous sommes pleinement vigilants sur ce sujet.

Dans ces secteurs – nous avons eu l’occasion de le vérifier à propos de nombre d’entreprises françaises employant des salariés sur notre territoire –, la mise en cause d’entreprises existe. De telles polémiques peuvent voir le jour. Nous sommes aussi vigilants que vous. Je tiens à vous rassurer. Nous avons demandé à l’entreprise d’exercer une surveillance toute particulière.

Monsieur le sénateur Pierre Laurent, je me dois de vous le dire, vous avez proféré une contre-vérité sur le Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies, le LFB. Le projet de loi ne prévoit en aucun cas sa privatisation.

M. Pierre Laurent. On s’engage quand même dans cette voie !

M. Emmanuel Macron, ministre. Il s’agit de permettre à la Banque publique d’investissement, la BPI, dont il n’aura échappé à personne ici qu’elle est codétenue par la Caisse des dépôts et consignations et par l’État, donc pleinement publique, d’entrer au capital du LFB pour accompagner les développements en cours. Je pense en particulier à un investissement de 250 millions d'euros à Lille. Le code de la santé ne le permet pas pour le moment. C’est cette situation que nous souhaitons corriger.

Le débat sera totalement transparent. J’ai entendu beaucoup de contre-vérités. Le sujet est suffisamment sensible – je pense que nous en convenons tous – pour que l’on ne déforme pas le contenu du texte. La filière du sang et la question du don du sang valent mieux que des polémiques fallacieuses et des contre-vérités.

J’ai pris l’engagement devant l’Assemblée nationale qu’il n’y aurait pas d’ouverture, même minoritaire, du capital du LFB. Je l’ai également confirmé par écrit à son président. Aujourd'hui, dans le silence de la loi, un acteur privé peut acquérir jusqu’à 49 % du capital de LFB. Ce ne sera plus possible demain. C’est donc l’inverse de ce que certains ont affirmé.

Je crois avoir été explicite dans mon propos liminaire sur les actions de performance et les retraites chapeaux. J’ai expliqué à la fois la logique et la philosophie de ces mesures. Je n’y reviens pas. Nous en débattrons de nouveau plus tard.

J’en viens aux investissements. Mme la corapporteur a exprimé son souhait de réforme de l’épargne salariale. J’ai expliqué les limites de nos avancées. Nous partageons la même volonté d’aller plus loin pour restaurer la philosophie de l’épargne salariale et du forfait social. Ce sont les contraintes budgétaires qui nous ont empêchés d’aller au bout des recommandations du Conseil d’orientation de la participation, de l’intéressement, de l’épargne salariale et de l’actionnariat salarié, le COPIESAS. Elles n’ont pas été levées entre-temps. Je ne veux pas qu’il puisse y avoir de malentendu sur les intentions du Gouvernement.

Je souhaite également revenir sur les propos de Philippe Adnot au sujet du PEA-PME, dont la création est récente : elle date du 1er janvier 2014. Là encore, si nous ne sommes pas allés plus loin, c’est essentiellement à cause des contraintes budgétaires, qui continueront à exister, même si les mesures que le Premier ministre annoncera demain en matière d’investissement public et privé permettront de renforcer l’efficacité des dispositifs existants.

Je souhaite aborder plusieurs points relatifs au volet social.

Tout d'abord, comme cela a été souligné, il faut que nous ayons un débat très détaillé sur les plans de sauvegarde de l’emploi, les PSE. Le débat a été renvoyé à l’examen des articles. Je suis moi aussi vigilant. Le projet de loi comporte des éléments de clarification et de sécurisation des procédures, et en aucun cas d’allégement des garanties dont disposent les salariés. Nous débattrons en détail des homologations des PSE, des moyens du groupe ou encore de l’ordre de reclassement. Le sujet le mérite. J’expliquerai ce que moi et mon collègue François Rebsamen avons voulu faire.

Pour ce qui est des accords de maintien dans l’emploi, qu’ils soient défensifs ou offensifs, j’ai essayé de rappeler l’articulation des temps. La loi votée en 2013 a apporté une première avancée, en créant les accords de maintien dans l’emploi défensifs. Je partage le constat qui a été dressé ; je ne reviendrai pas sur les propos que j’ai pu tenir, à quelque période que ce soit. Nous devons aller plus loin. C’est d'ailleurs pour cette raison que le Premier ministre a appelé dès le mois de février à une évaluation du dispositif par les partenaires sociaux.

C’est dans le cadre de la loi dite « Larcher » que toutes les réformes doivent être menées. Il y a eu une négociation sur les accords de maintien dans l’emploi défensifs. Les partenaires sociaux doivent maintenant en faire l’évaluation. De deux choses l’une : soit ils arriveront à un accord lors de leur réunion du 18 mai, et nous en tirerons les conclusions, soit ils ne trouveront pas d'accord, et nous pourrons reprendre la main.

Il n’y a pas eu de négociation à proprement parler pour ce qui est des accords de maintien dans l’emploi offensifs. Nous ne pouvons donc pas prendre la main. Le Premier ministre a toutefois appelé les partenaires sociaux à aller plus loin dans la négociation. Le sujet n’est pas encore mûr. Il ne participe pas de la même logique que les accords de maintien dans l’emploi défensifs, ces derniers permettant à des entreprises en difficulté de procéder à des aménagements par le truchement d’un accord majoritaire. On peut discuter des modalités ; je pense qu’il est déjà possible d’aller très loin en termes de flexisécurité par ce biais, c'est-à-dire de manière négociée.

Le débat sur les accords de maintien dans l’emploi offensifs implique une réflexion plus large sur la hiérarchie des normes. Il faut aborder cette question de manière franche et transparente. Aller vers les accords de maintien dans l’emploi offensifs, c’est aller vers l’inversion de la hiérarchie des normes. Le sujet mérite une négociation en soi. Le Premier ministre l’a lancée. Elle prendra évidemment plusieurs mois, et nécessitera la contribution de toutes et tous.

On ne peut pas avancer sur ce sujet au détour d’un tel projet de loi. Il ne s’agit pas simplement de prolonger la philosophie des accords de maintien dans l’emploi défensifs. Il y a en quelque sorte une « rupture de charge ». Cependant, nous pourrons faire dès à présent beaucoup de bien à notre économie, en termes d’efficacité, si nous parvenons à apporter davantage de fluidité et d’agilité aux accords de maintien dans l’emploi défensifs.

Le travail dominical a donné lieu à de nombreux débats. J’ai évoqué la question de la compensation. Je comprends les sensibilités qui s’expriment sur ce sujet. Toutefois, je ne peux pas laisser dire que le projet de loi prévoit une banalisation du travail dominical. De nombreux verrous sont mis. Je suis sensible à la situation des entreprises de moins de onze salariés, que Mme la corapporteur a évoquée, mais je pense que nous devons aller au bout d’une logique. Nous aurons ce débat.

Le dialogue social est, je le crois profondément, un élément de protection des salariés en même temps qu’un moyen de trouver les bons compromis et les bons équilibres au niveau de la branche, de l’entreprise ou du territoire. La philosophie selon laquelle l’ouverture dominicale nécessite un accord définissant les compensations a cette force. Si l’on commence à prévoir des exceptions à cette philosophie, par exemple dans un souci de simplification pour les plus petites entreprises, on perd en cohérence et en force, et on acte le fait que les salariés n’ont dans certains cas plus les mêmes protections. On change alors de logique, et il faut rouvrir différemment le débat. Pour ma part, je n’ai pas trouvé la solution idéale.

Le projet de loi vise un double objectif de simplicité et de cohérence. Il repose sur la confiance dans le dialogue social ou, si je puis dire, économique et social. C’est cette philosophie qui inspire l’innovation que nous proposons. Ce n’est pas la loi qui définira la compensation, ce qui est une première ; mais, s’il n’y a pas d’accord, il n’y aura pas d’ouverture dominicale, ce qui est aussi une première. C’est, me semble-t-il, la bonne manière d’aller au bout de la logique du dialogue social comme élément d’une meilleure protection et d’une meilleure agilité économique.

Pour certains, nous faisons trop de réformes structurelles ; pour d’autres, nous n’en faisons pas assez. La réforme des prud’hommes est une réforme structurelle. Elle va profondément modifier le contentieux du licenciement individuel, qui constitue un aspect du mauvais fonctionnement de notre marché du travail et une cause d’injustice sociale pour les salariés les plus modestes comme pour les plus petits employeurs. Il me paraît donc faux d’affirmer que le projet de loi ne porte pas de réformes structurelles. Celle que je viens d’évoquer n’est qu’un exemple parmi d’autres.

La réforme des prud’hommes permettra d’améliorer la capacité à trouver les voies et moyens d’accords. Des modes alternatifs de règlement des conflits sont proposés. Je ne veux cependant pas majorer l’importance ou le potentiel succès de ces voies parallèles. Nous avons en revanche une vraie volonté de rendre la conciliation plus efficace. Aujourd'hui, on recourt trop peu à cette procédure, faute peut-être de mise en l’état du dossier. C’est pourquoi nous réformons le dispositif, en le précisant. Je pense que cela va dans le bon sens. Il se peut aussi que les parties n’aient pas suffisamment de visibilité. Le référentiel permet d’avancer en ce sens ; je pense qu’il s’agit d’un véritable apport.

Il faut également des voies accélérées pour éviter la procrastination. Le projet de loi prévoit que l’on puisse réputer la chose jugée en cas de manœuvre dilatoire de l’une ou l’autre partie. Cela évitera que les jugements ne soient différés de six mois en six mois. Nous savons bien que cette pratique existe dans nos territoires. La réforme des prud’hommes est donc un exemple de conciliation entre une plus grande efficacité et une plus grande justice. Ses effets se révéleront progressivement, y compris dans le domaine macroéconomique.

Tels les éléments que je souhaitais apporter en réaction à vos propos.

Je voudrais maintenant répondre aux multiples interpellations sur des sujets européens. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le préciser, ce projet de loi n’est pas un texte fait pour Bruxelles.

M. Emmanuel Macron, ministre. Cependant, il n’est interdit ni d’avoir un débat avec nos partenaires ni d’engager des réformes qu’ils ont parfois conduites voilà dix ans alors que nous n’avons pas su les mener. Nous le faisons dans un contexte qui n’est pas facile. Cela aurait pu être fait à d’autres moments. Mais nous n’étions pas là, et je le regrette.

Le débat qui doit être organisé au niveau européen est celui des réformes et de la croissance. Ce projet de loi permet de l’amorcer. Si le débat européen consiste simplement à nous dire de ne pas faire trop de réformes, mais d’ajouter, milliards d'euros après milliards d'euros, de nouveaux ajustements en termes d’économies, c’est une mauvaise solution.

Notre trajectoire budgétaire est ce qu’elle est. Pour les uns, elle est excessive ; pour les autres, elle est insuffisante. Je considère simplement que, quand les dépenses publiques représentent plus de 56 % du PIB, le sérieux budgétaire est une nécessité.

Le sérieux budgétaire, ce n’est pas l’austérité ! Prétendre le contraire, c’est manquer de respect à l’égard de ceux qui vivent l’austérité ailleurs en Europe. L’austérité, cela signifie des baisses de salaires et de pensions de retraite ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)

Alors, non, nous ne menons pas de politique d’austérité dans ce pays. (Vives protestations sur les travées du groupe CRC.)

Mais, de la même façon, la dérive budgétaire n’est pas, n’est plus à l’ordre du jour. Nous ne sommes plus au temps où, comme entre 2007 et 2012, on a pu augmenter les dépenses publiques de 120 milliards d’euros. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Ce n’est plus possible, nous n’en avons plus les moyens. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) C’est la réalité !

M. Emmanuel Macron, ministre. Eh oui, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes sur un chemin qui est celui du sérieux budgétaire.

Ces 50 milliards d’économies en trois ans nous permettent, de manière crédible, durable, sans détruire notre économie, de retrouver progressivement, en quelques années,…

Mme Natacha Bouchart. En vingt ans !

M. Emmanuel Macron, ministre. … la moyenne européenne.

En parallèle de ces économies, que nous devons faire et que nous faisons, nous devons conduire des réformes. C’est l’ambition de ce texte.

Grâce à ces réformes, qui prennent du temps et qui, vous avez raison, mettront du temps à produire leur plein effet sur l’économie, nous aurons plus de vitalité économique, donc plus de rentrées budgétaires.

Regardez le cas allemand : si l’Allemagne est aujourd’hui en excédent budgétaire, c’est parce qu’elle a su conduire des réformes voilà dix ans.

Mme Natacha Bouchart. Et le Royanume-Uni !

M. Emmanuel Macron, ministre. Pour le coup, le Royaume-Uni est très loin de la surconsolidation budgétaire, je vous rassure. Son déficit budgétaire est même pire que le nôtre !

Cependant, les pays qui ont su mener des réformes de structure en ont vu les effets avec le temps. Cela prendra donc du temps pour nous, mais je crois en la force, dans le temps, des réformes que nous conduisons.

C’est parce que nous savons nous réformer aujourd’hui, et que nous adoptons simultanément cette démarche de sérieux budgétaire que nous pouvons aussi être exigeants à l’égard de nos partenaires, en demandant plus d’investissements européens, en accroissant la pression pour une meilleure coordination des politiques européennes, en étant plus intransigeants à l’égard du plan Juncker. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Nous ne gagnerons pas à répéter à l’envi que nous n’avons rien à faire sur le plan budgétaire et que les réformes sont pour les autres.

Depuis le début de notre débat, j’ai en effet relevé un paradoxe constant : il faudrait toujours faire plus d’économies et de réformes, mais les économies sont toujours pour l’autre, et les réformes, ce sont toujours celles que l’on ne fait pas ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Il y a constamment chez nous un bovarysme budgétaire et un bovarysme de la réforme économique ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

Pour ce qui est des réformes, ce projet de loi en porte déjà un certain nombre. Elles ne sont peut-être pas suffisantes ; elles vont peut-être trop loin. En tout cas, nous les assumons dans un effort de modernité, car nous voulons aller de l’avant.

Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est parce que nous saurons porter collectivement ces réformes et ce sérieux budgétaire que nous pourrons être exigeants avec nos partenaires et retrouver cette capacité à créer une nouvelle donne européenne. En effet, nous avons besoin de beaucoup plus de relance au niveau européen, mais, si la France ne se réforme pas, si la France n’adopte pas la politique de sérieux budgétaire dont je parlais, elle ne pourra pas porter cette voix. À mon sens, ce texte contribue à lui en donner l’opportunité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des motions.

Exception d'irrecevabilité

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
Question préalable

Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n°1692.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (n° 371, 2014-2015)

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à Mme Éliane Assassi, pour la motion.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mesdames, monsieur les rapporteurs, monsieur le président de la commission spéciale, mes chers collègues, alors que nous sortons d’une période électorale marquée par une forte abstention, un sentiment d’abandon des plus précaires et un rejet de la politique libérale menée par François Hollande, à l’évidence, le Gouvernement reste sourd à l’expression de la colère, au dégoût face aux promesses non tenues, aux reniements, aux capitulations.

Vous ignorez cette exigence d’une autre politique qui réponde aux attentes de nos concitoyens, une autre politique qui les rassure sur l’avenir de leurs enfants. Ils n’en peuvent plus de l’accroissement des inégalités sociales et de la désespérance sociale.

Face aux peurs de déclassement, face aux peurs du chômage, du surendettement et de pensions insuffisantes pour survivre, vous nous proposez une loi mastodonte, dont l’unique souci, quand on l’étudie de près, article par article – eh oui, monsieur le ministre, nous travaillons beaucoup, surtout mon groupe ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) –, est de répondre, d’une façon ou d’une autre, aux attentes du marché.

Monsieur le ministre, vous faites miroiter l’idée que votre préoccupation première est la croissance, alors que, en totale contradiction avec cet affichage, vous menez depuis le début du quinquennat une politique d’austérité qui empêche un retour à la création de richesse. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)

Mme Éliane Assassi. En revanche, vos choix favorisent une croissance et une seule : celle des dividendes des actionnaires du CAC 40 !

Chers collègues du groupe socialiste, osez dire que ce n’est pas vrai !

Vous faites assaut de démagogie, monsieur le ministre, pour protéger les vrais responsables de la dégradation de la situation économique de notre pays.

Pour vous, la France est malade de son aspiration à l’égalité et à la justice, malade de son particularisme social, mais aussi territorial – vous n’avez aujourd’hui que le mot « territoires » à la bouche, sans doute pour complaire aux sénateurs –,…

M. Dominique Bailly. Ce n’est pas possible d’entendre cela !

Mme Éliane Assassi. … alors même que notre modèle social nous a permis d’éviter des effets encore plus désastreux de la crise économique.

Ainsi, vous faites vivre, dans un long développement, la fiction d’un discours moderniste et simpliste pour cacher de vieilles recettes néolibérales qui consistent à mettre à bas les acquis gagnés à coup de luttes sociales et de résistance.

« La République partout, la République pour tous » disait il y a peu le Premier ministre, oubliant que notre République est avant tout sociale.

Vous le savez, monsieur le ministre, les mots ont un sens, et si la tentation est forte pour le Gouvernement d’utiliser le même langage que M. Gattaz, nous savons lire entre les lignes lorsque vous parlez de « pacte de responsabilité », de « choc de compétitivité » et de « libérer la croissance ». Les mots ont effectivement un sens, et nous sommes là pour vous le rappeler.

La liberté, monsieur le ministre, est une valeur de gauche. (Protestations sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme Catherine Deroche, corapporteur. C’est universel, madame !

Mme Éliane Assassi. C’est une valeur républicaine qui permet à l’homme de s’émanciper, de se libérer des jougs qui pèsent sur ses épaules, à commencer par celui d’une exploitation sans borne.

Nous entendons sans arrêt cette rengaine usée : il faut redonner confiance aux entreprises pour ensuite redistribuer de la richesse. En réalité, et tous les chiffres le montrent, cette richesse est de moins en moins distribuée, alors que les profits ne diminuent pas.

Ainsi, sous le titre prometteur de « projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques », votre texte utilise les mots du MEDEF ou même les noms de commissions créées par Nicolas Sarkozy.

M. Alain Joyandet. Vous le regrettez, n’est-ce pas ?

Mme Éliane Assassi. Mais ce titre est aussi trompeur. Les mesures proposées ne créeront ni activités ni emplois ; elles se contentent en réalité de transférer des services et des activités du secteur public vers le secteur privé, sans la moindre utilité sociale ou économique.

Pire, des mesures facilitant les licenciements économiques et la casse du droit du travail, prévues dans la dernière partie du texte, desserviront l’activité économique et aggraveront encore la condition sociale des salariés. À moins que vous ne fassiez vôtre ce point de vue thatchérien selon lequel les droits des salariés, les droits syndicaux sont un frein à la croissance…

L’ordonnance du 20 août 2014 relative aux privatisations permettra de brader les biens publics, tandis que la première partie du texte s’attaque aux impératifs d’aménagement du territoire. Il s’agit en fait d’une remise en cause de l’État social, voire de l’État, tout simplement.

D’un point de vue juridique, ce projet de loi suscite plusieurs griefs quant à sa constitutionnalité. Si l’on ne peut que lui reconnaître une réelle cohérence doctrinale, il n’en demeure pas moins que son caractère formellement désordonné et sectoriel remet en cause les principes de sincérité des débats et de clarté de la loi, ainsi que ses corollaires que sont les principes d’égalité et d’intelligibilité de la loi. Les guides légistiques nous rappellent pourtant que, lorsque le Parlement débat d’un projet de loi et procède au vote, il le fait article par article, la clarté et la cohérence du contenu de l’article facilitant le débat et l’expression du vote.

Or nous sommes vraiment loin de la clarté et de la cohérence permettant l’expression de la représentation nationale.

Ainsi, dans ce projet de loi, il est question, pour reprendre l’énumération faite voilà peu par La Semaine Juridique, des administrateurs judiciaires, d’autorisations d’urbanisme, des autocars, de diverses autorités administratives indépendantes, des avocats, du bail commercial, du cadre juridique de l’intervention de l’État actionnaire, de la carte d’identification professionnelle des salariés du bâtiment et des travaux publics, des commissaires-priseurs, du compte épargne-temps, de concentration économique, des conseils en propriété industrielle, de la copropriété des immeubles bâtis, des dispositifs publicitaires implantés sur des équipements sportifs, des experts-comptables, des installations classées pour la protection de l’environnement, des greffiers des tribunaux de commerce, de la justice prud’homale, de la liquidation judiciaire, de la lutte contre la prestation de service internationale illégale, des microentreprises, des notaires, des péages autoroutiers, du permis de conduire, des plans de sauvegarde de l’emploi, des positions dominantes, du redressement judiciaire, des relations dématérialisées des entreprises avec l’administration et les tiers, du repos dominical, du repos en soirée, des réseaux de communication électronique à haut débit, des sociétés à participation publique, des sociétés d’exercice libéral, des taxis, des tribunaux de commerce, d’urbanisme, sans oublier la mérule, chère à Éric Bocquet….

J’arrête là cet inventaire à la Prévert, pourtant loin d’être exhaustif !

Ce texte, pour certains, ne mérite pas d’être qualifié de « projet de loi », parce qu’il a pour projet non pas une loi, mais au mieux plusieurs lois, rendant le travail parlementaire des plus difficiles, voire impossible.

Cette pratique questionne les principes de clarté et d’intelligibilité de la loi, qui découlent des articles IV, V, VI et XVI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Ces exigences constitutionnelles imposent que les dispositions législatives soient formulées de manière « suffisamment précise ». Avouez, mes chers collègues, qu’au vu de la rédaction des plus byzantines de certains articles nous en sommes loin !

Pourtant, garantir au citoyen une accessibilité à la loi tant matérielle qu’intellectuelle signifie que la norme doit être compréhensible.

Et même si le principe de sincérité des débats relève de la loi de finances, une évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière serait des plus opportunes, tant l’étude d’impact du présent texte est lacunaire, ce qui questionne, cette fois, la compétence du législateur

De plus, nous considérons que le recours aux ordonnances prévu dans le projet de loi initial est détourné de son utilisation normale. Il n’y avait pas moins d’une vingtaine de demandes d’autorisation de recourir aux ordonnances, soit, en moyenne, dans un article sur sept.

Ces ordonnances concernent des sujets tels que le projet de canal Seine-Nord-Europe, estimé, excusez du peu, à 5 milliards d’euros, ou la réalisation d’une infrastructure ferroviaire entre Paris et l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, évaluée à 1,5 milliard d’euros.

Elles concernent aussi le droit des privatisations, le droit du logement, le texte allant même jusqu’à demander la ratification d’ordonnances qu’il modifie.

Mes chers collègues, il n’y a pas de limite à la complexité !

En ce qui concerne le droit de l’environnement, les ordonnances prévues par le texte interrogent le respect de principes fondamentaux reconnus par la Charte de l’environnement. Monsieur le ministre, comment prétendre que les procédures d’information du public sont une contrainte, alors qu’elles sont, au contraire, une exigence de nature constitutionnelle ?

L’article 38 de la Constitution autorise le Gouvernement à réformer par voie d’ordonnances, en cas d’urgence et de technicité. Or, force est de le constater, la justification de l’urgence a conduit, depuis de nombreuses années, à faire exploser le recours aux ordonnances par les gouvernements successifs. Pourtant, jamais, vraiment jamais, l’urgence n’est démontrée !

À l’origine, le recours aux ordonnances était exceptionnel et réservé à des matières très techniques. Progressivement, et surtout depuis le début des années deux mille, le recours aux ordonnances, de l’exception qu’il était, est devenu le principe. Dans leur quasi-totalité, les lois comportent désormais un tel renvoi, qui équivaut à un dessaisissement du Parlement, n’en déplaise à certaines et à certains.

C’est pourquoi, d’un point de vue démocratique, nous condamnons le dessaisissement des représentants du peuple sur des sujets d’ampleur.

Cependant, comme l’ont souligné de nombreux juristes, la méthode des ordonnances n’est pas simplement critiquable en raison de son caractère antidémocratique, elle est également l’une des causes de l’inflation normative et de la complexité du droit. Il s’agit d’un outil absolument inadapté pour simplifier le droit en général.

Le recours aux ordonnances est toujours la promesse d’un surplus de normes dont la rédaction et l’application n’auront pas été suffisamment réfléchies.

Pour les élus du groupe CRC, ce procédé est anticonstitutionnel, parce que les conditions d’urgence et de technicité ne sont pas réunies.

Ce projet de loi porte aussi atteinte au principe de sécurité juridique. Ainsi, le Conseil d’État souligne, dans son avis, que « en modifiant à nouveau des dispositions relatives au régime de l’épargne salariale, lesquelles ont déjà fait l’objet de nombreuses modifications législatives ces dernières années, le projet de loi accroît l’instabilité de ce régime, ce qui paraît préjudiciable à son bon fonctionnement. »

Ce n’est là qu’un exemple !

De plus, le texte prévoit de donner de nouvelles compétences à l’Autorité de la concurrence en matière de documents d’urbanisme, afin de s’assurer que les dispositions d’urbanisme commercial respectent les conditions d’une concurrence équitable. Or les documents d’urbanisme sont des outils de concertation et de pilotage qui permettent aux élus locaux d’organiser l’aménagement de leur territoire en fixant les règles d’utilisation du sol et en répartissant les surfaces dédiées au logement, aux équipements publics, au commerce, à l’artisanat et à l’agriculture, en vue de satisfaire les besoins de développement local de façon durable.

Cette intervention de l’Autorité de la concurrence est, pour nous, contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales.

Enfin, le droit au repos est un élément de la protection de la santé des salariés reconnu par le onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, qui prévoit que la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. » Le Conseil constitutionnel en a déduit que le principe d’un repos hebdomadaire est l’une des garanties du droit au repos ainsi reconnu aux salariés.

Les articles 72, 73 et 74 du présent projet de loi dérogent aux règles du repos dominical pour les établissements de vente au détail situés dans certaines zones géographiques, et l’article 80 autorise à déroger au repos dominical à douze reprises par an.

Quant aux dispositions relatives au travail de nuit, elles répondent aux attentes de quelques grandes enseignes seulement : le principe d’égalité est bafoué, sacrifié sur l’autel de quelques intérêts particuliers !

Nous ne faisons donc pas preuve d’un égalitarisme forcené, nous demandons simplement le respect de notre Constitution.

À partir du moment où les salariés sont amenés à travailler le dimanche une fois par mois, la récurrence est telle que le travail dominical est non plus une exception, mais bien un principe contraignant pour les salariés.

Pour cette raison, nous estimons que le texte est inconstitutionnel.

Le principe d’égalité est énoncé à l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui précise que la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Et relisons l’article XVI de cette même déclaration : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».

Pour le Conseil constitutionnel, « si le législateur peut prévoir des règles de procédures différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l’existence d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties ».

Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.

Mme Éliane Assassi. J’en ai bientôt terminé, madame la présidente. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

Le projet de loi prévoit une distinction entre les salariés qui n’est pas justifiée. En effet, comment admettre, ainsi que le prévoit l’article 76, qu’un salarié travaillant le dimanche dans une entreprise de vente au détail de moins de onze salariés n’ait pas les mêmes droits qu’un salarié travaillant le dimanche dans une entreprise de vente au détail de plus de onze salariés ?

Que prévoit le huitième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 ? « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ». Or l’article 85 bis du présent texte supprime la peine d’emprisonnement applicable aux employeurs en cas d’entrave au fonctionnement régulier des délégués du personnel. Cette mesure remet donc en question le droit de participation des salariés à la gestion des entreprises.

Mme la présidente. Madame Assassi, je vous demande de conclure !

M. Marc Daunis. Vous faites des heures supplémentaires de nuit !

Mme Éliane Assassi. Je sais bien que mes propos vous gênent, chers collègues… (Protestations sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur celles de l’UDI-UC et de l’UMP.)

Respect de la Charte de l’environnement,…

Mme la présidente. Madame Assassi, il s’agit ici de respecter votre temps de parole !

Mme Éliane Assassi. … respect de la libre administration des collectivités territoriales, des principes du droit de participation à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises, droit au repos des salariés, protection du patrimoine public et des droits du Parlement revalorisés par la réforme constitutionnelle de 2008, la liste des griefs constitutionnels contre ce projet de loi est longue. (On en appelle à la présidente sur les travées du groupe socialiste et de l’UMP.)

Mme la présidente. Mme Assassi conclut, mes chers collègues !

Mme Éliane Assassi. C’est la raison pour laquelle nous vous invitons, mes chers collègues, à voter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – M. Pierre-Yves Collombat applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche, corapporteur.

Mme Catherine Deroche, corapporteur de la commission spéciale. Bien évidemment, la commission spéciale n’est pas favorable à l’adoption de cette motion : nous n’avons pas travaillé pendant des semaines pour que notre travail, que nous jugeons pertinent et positif par rapport au texte transmis par l’Assemblée nationale, soit ainsi réduit à néant.

Nous contestons le grief selon lequel ce projet de loi ne respecterait pas les principes d’intelligibilité de la loi et de sécurité juridique.

M. Pierre-Yves Collombat. En tout cas, le projet de loi n’est pas écrit en français !

Mme Catherine Deroche, corapporteur. Certes, ce texte est copieux et très riche, mais nous l’avons allégé, puisqu’il est passé de 295 à 254 articles.

M. Pierre Laurent. C’est pour la galerie !

Mme Catherine Deroche, corapporteur. Nous avons amélioré ce texte sur le fond et sur la forme, c’est pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à rejeter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Beaucoup d’arguments ont été invoqués, nous aurons l’occasion d’y revenir lors de l’examen des articles. J’ai déjà eu l’occasion de le dire, on ne peut pas parler d’austérité pour qualifier la politique économique actuelle du Gouvernement.

Quant au simplisme, l’accusation pourrait s’appliquer à la motion qui vient d’être défendue, puisque, sur chaque article, la description de l’existant était une véritable caricature.

Pour ne prendre qu’un exemple, je reviendrai sur ce que vous avez pu dire au sujet du travail dominical ou du travail en soirée.

Le projet de loi tend à clarifier la situation du travail en soirée dans les zones touristiques internationales, donc de manière très circonscrite, là où un flou existe encore aujourd’hui sur le plan jurisprudentiel en ce qui concerne le travail effectué jusqu’à 22 heures, et là où aussi les compensations salariales actuelles pour travail de nuit sont largement inférieures à ce que le projet de loi, tel qu’il vous est présenté, prévoit pour le travail en soirée. Comment pouvez-vous soutenir que ce texte constitue un recul, en particulier pour les salariés ?

M. Didier Guillaume. C’est l’inverse !

M. Emmanuel Macron, ministre. Ensuite, j’ai bien entendu vos arguments concernant l’exception au repos dominical. Mais quelle est la réalité dans notre pays ? Aujourd’hui, 30 % de nos concitoyens travaillent de manière occasionnelle ou régulière le dimanche. Ce projet de loi procède non pas à une généralisation du travail dominical, mais bien à une clarification des règles de compensation et augmente seulement de cinq à douze le nombre d’ouvertures des commerces le dimanche que peut décider le maire, avec les éléments de régulation territoriale que j’ai évoqués dans mon propos introductif.

Permettez-moi de m’interroger : pourquoi ne vous indignez-vous pas de la situation actuelle, alors que le travail dominical, dans les 640 zones touristiques, n’ouvre pas forcément le droit à une compensation salariale, de par la loi ? Cela ne choque personne ! Pourquoi ne vous interrogez-vous pas sur le fait que, pour le travail de nuit, les accords de branche n’accordent, en moyenne, qu’une compensation de 8 % du salaire, alors que, dans ce projet de loi, c’est un doublement qui est prévu pour le travail en soirée ? (M. Pierre Laurent proteste.)

Excusez-moi, mais la réalité du pays dans lequel nous vivons n’est pas conforme à ce que vous en dites !

Mme Annie David. C’est vous qui ne vivez pas dans la réalité !

M. Emmanuel Macron, ministre. Sur ce point, ce texte comporte des avancées et les reproches que vous avez pu formuler ne sont pas conformes à la réalité des avancées juridiques qu’il contient.

Enfin, en ce qui concerne la méthode, ce projet de loi est effectivement transversal et s’applique à divers secteurs. J’assume totalement cette méthode, puisque c’est la seule manière de réformer ces secteurs les uns après les autres…

Mme Éliane Assassi. Non, ce n’est pas la seule manière !

M. Emmanuel Macron, ministre. Peut-être auriez-vous préféré, en opportunité, quinze réformes mises bout à bout, mais je ne crois pas que le fait de toucher en même temps à plusieurs secteurs soit un obstacle à l’intelligibilité de la loi ; quoi qu’il en soit, le juge constitutionnel aura à en juger si vous décidez de le saisir. Il me semble cependant que votre interprétation va bien au-delà de la signification que la jurisprudence du Conseil constitutionnel accorde à ce terme.

En l’espèce, le quotidien de nos concitoyens et de nos entreprises, la complexité de notre vie économique et tous les éléments très concrets que vous avez pu citer sont revisités par ce projet de loi, parce qu’il faut débloquer la situation de manière ambitieuse, plus ou moins radicale, pour que tout marche mieux.

J’assume pleinement cette philosophie et c’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable sur cette motion.

Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, pour explication de vote. (Marques de satisfaction sur les travées de l'UMP.)

Mme Élisabeth Lamure. Le groupe CRC a souhaité déposer une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur le présent projet de loi en invoquant deux griefs, touchant au non-respect du principe d’intelligibilité de la loi et du principe de sécurité juridique.

En premier lieu, le principe d’intelligibilité de la loi signifie que la loi doit être « intelligible et accessible » et qu’elle ne peut « priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ». La loi doit être claire pour ne pas être équivoque et source d’insécurité juridique. Or, mon groupe et moi-même le disons sans crainte, le projet de loi, tel qu’il nous a été transmis par l’Assemblée nationale, témoigne à certains égards d’une méconnaissance de ce principe.

Pour autant, le législateur ne saurait se substituer au Conseil constitutionnel dans son contrôle a priori de la loi. Surtout, le Sénat et la commission spéciale ont souhaité pleinement jouer leur rôle, en corrigeant, autant qu’il était possible, les lacunes de ce texte, y compris celles qui sont de nature à constituer un grief constitutionnel, tel que le manque d’intelligibilité de la loi ou la méconnaissance de l’exigence de sécurité juridique.

Cependant, comme pour la plupart des griefs qui peuvent être invoqués, ceux-ci ne revêtent aucun caractère absolu. Dans le cas de ce projet de loi, le nombre de mesures réglementaires déjà prévu est, certes, important. Pour autant, si nous pouvons légitimement nous interroger sur le futur taux d’application de ces mesures, nous estimons que, dans le cadre de ce projet de loi, le législateur n’a pas confié au pouvoir réglementaire l’élaboration de dispositions qui relèveraient de sa compétence exclusive au titre de l’article 34 de la Constitution.

Pour notre part, nous n’avons aucun doute sur le fait que le législateur est allé au bout de sa compétence, qu’il s’agisse des dispositions relatives aux professions réglementées, au travail du dimanche, aux transports ou à la participation. Toutes ces dispositions sont en effet déjà codifiées, le législateur n’a donc fait que marcher dans les pas de ses prédécesseurs en inscrivant directement dans la loi les modifications souhaitées.

Par ailleurs, nous estimons que le travail en commission a pu être réalisé dans de bonnes conditions.

L’objectif que se fixent les auteurs de ce projet de loi est la croissance. Nous approuvons ce choix, monsieur le ministre, même si nous regrettons que vous vous soyez arrêté au milieu du gué. Pour notre groupe, proposer un projet pour la croissance, l’activité et l’égalité, eu égard à la situation économique de notre pays, relevait de l’urgence.

Encore faudrait-il que les mesures proposées aient un effet significatif sur l’économie. C’est pourquoi nous avons proposé de nombreux amendements visant à faire de ce texte un véritable texte sur la croissance.

Nos propositions sont ambitieuses, elles sont à la hauteur des défis économiques que notre pays doit relever, car nous ne souhaitons pas inscrire notre démarche dans une opposition systématique, bien au contraire ! Tel est le sens des travaux menés par nos rapporteurs, Catherine Deroche, Dominique Estrosi Sassone et François Pillet au sein de la commission spéciale, sous la présidence de Vincent Capo-Canellas. Tel est aussi le sens des amendements que présentera notre groupe.

Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UMP votera contre la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, qui ne paraît pas juridiquement fondée. Nous souhaitons que l’examen de ce projet de loi aille jusqu’à son terme. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.

Mme Nicole Bricq. Le groupe socialiste ne votera pas cette motion.

Madame Assassi, vous avez commencé très fort en évoquant une prétendue politique d’austérité, et le ministre vous a répondu sur ce point.

Les Français ne sont ni les Irlandais ni les Espagnols. Nous avons traversé la crise avec tous les amortisseurs sociaux, et il faut plutôt nous en féliciter. (Mme Éliane Assassi et M. Pierre-Yves Collombat s’exclament.)

Avec des dépenses publiques qui s’élèvent à 57 % du produit intérieur brut et 84 milliards d’euros de déficit, on ne peut pas parler d’austérité. Ce n’est pas la vérité !

Vous reprenez des arguments concernant la lisibilité du projet de loi. Or nombre de dispositions prévues dans ce texte apportent une sécurité juridique, éclairent le droit et facilitent sa compréhension.

Vous invoquez le recours aux ordonnances. Mais vous avez, en tant que législateur, la possibilité de les encadrer, et les rapporteurs ne s’en sont pas privés. Ils l’ont fait systématiquement ; vous pouviez et pouvez le faire aussi.

Enfin, ce texte ne supprime ni n’ampute aucun droit.

Mme Nicole Bricq. Au contraire, il introduit des droits nouveaux. Il est dommage que vous ne reconnaissiez pas ces avancées du droit favorables aux salariés !

Mme Éliane Assassi. Il est dommage que vous ne nous ayez pas entendus… Vous restez droits dans vos bottes !

Mme Nicole Bricq. Je ne porte jamais de bottes, c’est très mauvais pour la circulation ! (Sourires.)

Le groupe socialiste ne peut donc pas voter cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. Pierre Laurent. Continuez à aller dans le mur !

Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Vous n’avez pas répondu, monsieur le ministre, madame la rapporteur – ce n’est malheureusement pas une surprise ! –, aux arguments précis que nous avons développés en présentant cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Je tiens à le rappeler ici, présenter une telle motion ne revient pas à remettre en cause le travail de la commission spéciale. Nous avons d’ailleurs dénoncé, dans un précédent rappel au règlement, les conditions dans lesquelles cette commission avait dû examiner le projet de loi.

Ce que nous remettons en cause, c’est ce texte, qui vise, à nos yeux, à fragiliser le droit, et nous semble donc de nature à justifier une telle motion.

J’ajouterai un rappel historique aux propos d’Éliane Assassi.

À l’heure où l’on commémore l’esprit de la Résistance, dont tous se glorifient, à l’heure où l’on célèbre les valeurs républicaines et le vivre ensemble, et ce encore davantage depuis les tragiques événements du mois de janvier, ce projet de loi foule aux pieds l’idéal du Conseil national de la Résistance, dont l’expression constitutionnelle se retrouve au sein du préambule de la Constitution, lequel, je le rappelle, a valeur constitutionnelle. Le Conseil constitutionnel, dans sa jurisprudence de 1971, a en effet intégré ce texte fondamental dans le bloc de constitutionnalité.

Deux alinéas du texte de 1946 sont, à mon sens particulièrement, visés par ce projet de loi.

Permettez-moi de citer le huitième alinéa : « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises ».

Votre texte, monsieur le ministre, impose de manière autoritaire de nouvelles conditions de travail détestables. Je pense à l’extension du travail du dimanche et à la promotion du travail « de soirée avant minuit », comme vous le rebaptisez pudiquement.

Non, madame Bricq, nous ne partageons pas votre avis : ce texte ne contient pas de droits nouveaux !

Monsieur le ministre, s’il y a contrevérité, elle vient plutôt de vous, car rien dans ce texte ne renforce ni ne développe le dialogue social, bien au contraire !

Vous le savez, comme nous tous – les salariés, et même des chefs d’entreprises et des commerçants, le disent ! –, le travail du dimanche n’est pas un choix, mais bien souvent une contrainte, que le dialogue social ne permettra pas de surmonter. En effet, c’est l’état actuel du pouvoir d’achat, des salaires et des contrats de travail qui fait qu’un certain nombre de personnes acceptent in fine, de façon dite « volontaire », de travailler le dimanche.

Mme Cécile Cukierman. Ils le font pour couvrir les dépenses de leur ménage, faisant ainsi fi de leur vie personnelle ainsi que des solidarités familiales et sociales qui se nouent et se renouent le dimanche.

Le second alinéa du préambule de la Constitution de 1946 que je souhaite évoquer ici concerne la nécessaire pérennité des services publics nationaux.

Nous le verrons dès les premiers articles de ce projet de loi, l’attaque portée au service public de chemin de fer est une atteinte directe et grossière au principe de 1946 et, au-delà, une insulte au souvenir de 1936 et de ceux qui ont fait les grandes conquêtes ouvrières.

Je souhaitais resituer votre texte, monsieur le ministre, dans une perspective historique. Mais cette perspective est, selon nous, en recul, puisque votre visée libérale met en cause les grands acquis du monde ouvrier et salarié du XXe siècle. Ils seront nombreux à vous le rappeler, jeudi, dans la rue ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Pour m’en tenir à la question posée, je crois que ce texte est bien conforme à la Constitution. Il serait, en tout cas, jugé comme tel s’il devait être soumis au Conseil constitutionnel. En revanche, il n’est pas écrit en français. (C’est clair ! sur les travées du groupe CRC.)

Avec ce texte, on atteint des sommets dans le charabia et l’illisibilité !

Mes chers collègues, je me demande si vous réalisez bien ce que l’on nous demande : il s’agit de codifier et, dans le même temps, d’établir des lois. Je sais bien que tout le monde fait de même… Mais là, vraiment, on bat des records !

Je trouve tout simplement scandaleux que, pour faciliter la vie des bureaux, on leur fasse faire le boulot. Et, pour comprendre ce texte, c’est un peu coton… M’y étant employé, je peux vous le dire : heureusement que certains le lisent pour vous ! En cherchant bien, on arrive à trouver ce que l’on y cherche ; sinon, on n’y comprend rien !

Je ne parlerai pas du fond, car je pense que l’on aura l’occasion d’y revenir lors de l’examen de la motion tendant à opposer la question préalable. Mais, à un moment donné, je crois qu’il faut savoir dire : « Assez ! » (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Gabouty, pour explication de vote.

M. Jean-Marc Gabouty. Quels que soient nos réserves et les désaccords que nous pouvons avoir avec le Gouvernement et la majorité à l’Assemblée nationale – nous ne savons d’ailleurs pas exactement quels sont ces désaccords, les députés ne s’étant pas totalement exprimés sur ce texte ! –, nous avons un objectif commun : la croissance économique, l’activité et l’emploi.

Nous pensons que notre économie a besoin de réformes. Le chemin qui nous y conduira n’est peut-être pas exactement le même que celui qui est ici préconisé, mais il y a lieu d’en discuter et, de la part de la majorité sénatoriale, de proposer, à la suite du travail effectué en commission, un texte opérationnel et efficace.

Le groupe UDI-UC rejettera donc cette motion.

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1692, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

Je rappelle que l’adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

J’ai été saisie d’une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 118 :

Nombre de votants 337
Nombre de suffrages exprimés 326
Pour l’adoption 19
Contre 307

Le Sénat n’a pas adopté.

Question préalable

Exception d'irrecevabilité
Dossier législatif : projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
Motion d'ordre (début)

Mme la présidente. Je suis saisie, par Mme Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n°1693.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération du projet de loi considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (n° 371, 2014-2015).

La parole est à Mme Annie David, pour la motion.

Mme Annie David. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe communiste républicain et citoyen a souhaité déposer cette motion tendant à opposer la question préalable afin que soit rejeté l’ensemble de ce projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, intitulé qui traduit un mépris profond à l’égard de nos concitoyennes et de nos concitoyens, en tout cas de celles et ceux qui nous font confiance, et qui ont fait confiance à François Hollande en 2012.

Non, monsieur le ministre, nous n’avons pas débité de contrevérités, pas plus que nous n’avons énoncé d’informations fallacieuses. Comme d’autres ici, nous avons étudié votre texte !

Comme le président du Sénat, Gérard Larcher, vous l’a indiqué, dans les colonnes du quotidien Le Figaro :…

M. Didier Guillaume. Belle lecture ! (Sourires.)

Mme Annie David. … « C’est de manière extrêmement pragmatique et non pas idéologique que ce projet de loi va être examiné par la droite sénatoriale ».

Or nous, sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, assumons pleinement notre engagement pour une société plus juste, plus égalitaire, pour retisser du lien social, pour lutter contre le chômage. Tel est, en somme, notre engagement politique et idéologique.

D’ailleurs, vous-même ne manquez pas d’idéologie, monsieur le ministre, notamment quand, à Las Vegas, vous expliquez au Wall Street Journal que « les entreprises pourront contourner les règles de travail rigides et négocier directement avec les employés ».

Votre idéologie est libérale. Elle sous-tend l’ensemble de votre projet de loi, ce qui nous amène à proposer de le rejeter en bloc. En effet, sous l’apparence d’un texte « fourre-tout » ou « éclectique », comme l’a qualifié le corapporteur dans la discussion générale, il a bien une cohérence : déréglementation, recul de l’État, remise en cause des acquis sociaux, pour plus de libéralisme.

Cette cohérence ultralibérale est grave. Elle nous a conduits à la crise que nous connaissons aujourd’hui, ne répond pas aux grands enjeux de notre société et entraîne notre pays vers une situation économique et sociale pire que celle que nous vivons !

Or nos concitoyennes et nos concitoyens sont à bout. Ils l’ont montré, exprimé, crié par leur vote, ou leur non-vote, lors des dernières élections départementales. Pourquoi refusez-vous de les entendre ?

L’effritement du lien social, le manque de perspectives offertes à notre jeunesse, le développement de la précarité sociale et économique, non seulement ne sont pas pris en compte par ce projet de loi, mais s’en trouveront accentués.

Que dire aux 23 % de jeunes au chômage actuellement ?

Que dire aux salariés, contraints d’accepter tous les contrats qui leur sont proposés et de se plier à toutes les conditions de travail, pour garder ou trouver un emploi ?

Parmi eux, les plus précaires sont sans doute les saisonniers. Ils ont témoigné ici, au Sénat, dans le cadre d’un colloque organisé par mon groupe, des conditions de vie et de travail extrêmes qui sont les leurs, qui détruisent leur santé, leur vie familiale, sociale. Ils en ont fait part à votre collègue, Matthias Fekl, qui était présent.

Monsieur le ministre, comment leur expliquer que vous proposez un texte qui accentuera encore plus leur précarité ?

Et que dire aux 1 600 salariés du groupe Vivarte, qui ont appris aujourd'hui même qu’ils avaient perdu leur emploi ?

Dans ce contexte de chantage à l’emploi, c’est toujours le « moins-disant social » qui prime et devient la règle. C’est ce que votre projet de loi organise.

Comme le résume très bien Martine Bulard dans LMonde diplomatique, ce texte s’articule autour de la formule « toujours moins » : moins de droits sociaux, moins de règles pour les entreprises, moins de contrôle public. Ainsi, on arrive à plus de libéralisme, plus de précarité, plus d’individualisme.

L’exemple du travail du dimanche est en cela flagrant. Le lien familial et social tissé durant ce jour de repos commun à toutes et tous n’existera plus. Cela touchera particulièrement les foyers les plus modestes, là où les gens « n’ont pas le choix » de travailler ou non le dimanche.

Au passage, monsieur le ministre, notez que 70 % des salariés du commerce sont des femmes et que 60 % à 70 % d’entre elles élèvent seules leurs enfants.

Ainsi, sans ce lien social, sans le temps consacré par les parents à leurs enfants, comment éviter le désespoir, l’échec scolaire, l’isolement, voire l’endoctrinement de certains jeunes, qui conduit parfois à des actes irréversibles ?

Qui plus est, aucun effet positif n’est prouvé sur l’économie. À pouvoir d’achat constant, l’ouverture des commerces une journée de plus aura pour résultat de détourner les achats vers cette journée et vers les grandes surfaces, au détriment des petits commerces.

Cette mesure, emblématique, met donc en évidence que ce qui est visé est non pas la croissance, pas plus que « l’égalité des chances économiques », mais la déstructuration du contrat de travail et la promotion d’une société fondée sur la consommation.

L’adoption du « contrat zéro heure » anglais ou du « mini job » allemand, si cher au MEDEF, se profile à l’horizon…

Et, pendant que vous déconstruisez le droit du travail et précarisez les salariés, monsieur le ministre, d’autres s’enrichissent : la France a atteint en 2014 la deuxième place mondiale en termes de rémunération de ses actionnaires, derrière les États-Unis !

En 2014, les entreprises du CAC 40 ont distribué 80 milliards d'euros de dividendes à leurs actionnaires, alors que leurs profits, en baisse, s’établissaient à 48 milliards d'euros… Nous aurons d’ailleurs l’occasion d’évoquer la question de l’épargne salariale au cours de ce débat, monsieur le ministre.

Parallèlement à cela, ou à cause de cela, depuis la crise, les entreprises ont détruit plus d’un demi-million d’emplois, pour 100 000 actifs qui arrivent chaque année sur le marché de l’emploi.

Vous nous parlez d’entreprises en difficultés ? Je vous réponds entreprises gérées de manière court-termiste, le propre du système capitaliste, pour satisfaire la volonté des actionnaires sans prendre en compte les besoins en termes d’investissement et d’emploi.

Mais, au lieu de lutter contre ce système, vous y adaptez notre droit du travail. L’entreprise est-elle en difficulté, car elle a distribué l’essentiel de ses ressources aux actionnaires ? Ce n’est pas bien grave : l’emploi fera office de variable d’ajustement. Pour ce faire, les conditions de licenciement sont assouplies.

Comment faire confiance à ce modèle pour nous sortir de la crise ? Pourquoi vendre à ce système des entreprises publiques, actives dans des domaines stratégiques, si ce n’est par idéologie ?

Il est en effet prouvé qu’en plus d’être injuste ce système libéral est inefficace sur le plan économique. Selon un rapport de l’OCDE, les inégalités ont coûté 8,5 points de PIB sur vingt-cinq ans dans les pays membres de l’OCDE.

Mme Nicole Bricq. Pas en France !

Mme Annie David. Cela rend urgente une intervention de l’État auprès des 40 % de personnes les plus défavorisées.

Ce n’est pas ce que fait ce texte. À la place, il prévoit de « libérer » le patronat de ses « charges » et, dans les faits, de toute responsabilité sociale, territoriale et environnementale.

Ce qui nous pose problème, c’est la quasi-totalité des mesures contenues dans ce texte, qui remettent en cause le service public, le rôle de l’État dans l’économie, les acquis sociaux, les ambitions de notre pays, notamment en termes de développement durable ou de solidarité.

Ainsi, au lieu de vous attaquer à la rente des actionnaires, à la fraude fiscale ou encore à la fraude aux cotisations patronales, vous pointez du doigt la supposée rente des notaires.

« Moderniser » la France nécessiterait, selon vous, d’introduire la liberté d’installation des professions réglementées, en permettant de facto des concentrations au profit de grands groupes, là où ils les jugeront rentables, et des désertifications ailleurs, notamment en zone rurale.

« Moderniser » la France nécessiterait, toujours selon vous, de réintroduire le transport par autocar ! Ce faisant, vous incitez au développement d’un mode de transport présentant un risque de mortalité deux fois plus élevé que le rail, selon une étude de l’Union européenne, mais aussi plus polluant et dont le développement est en total décalage avec les objectifs affichés par le ministère du développement durable.

Là encore, l’objectif de modernisation n’est qu’un leurre, qui cache une volonté de casser le service public de la SNCF.

La casse du service public s’effectue aussi en « bradant » les avoirs de l’État dans certaines entreprises. Ainsi, l’article 47 organise la privatisation du Groupement industriel des armements terrestres. Il en est de même pour les aéroports de Nice-Côte d’Azur ou de Lyon-Saint-Exupéry. De plus, la privatisation du Laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies, le LFB, est préparée, avec une ouverture partielle de son capital à la BPI. (Mme Catherine Génisson s’exclame.)

Ces « opérations sur le capital des sociétés à participation publique » s’inscrivent dans une longue liste de cessions des participations de l’État : l’aéroport de Toulouse-Blagnac récemment, mais aussi EADS, Safran, Aéroports de Paris, GDF-Suez, Orange…

Pour améliorer sa trésorerie à court terme, l’État se prive de 4,5 milliards d'euros de recettes et, surtout, d’un contrôle sur des entreprises clés, actives dans des secteurs stratégiques.

D’ailleurs, la gestion actuelle des autoroutes prouve, s’il en était besoin, que la privatisation ne profite pas au consommateur et conduit à une augmentation des prix.

Mme Éliane Assassi. Exactement !

M. Jacques Chiron. C’est vrai !

Mme Annie David. En ce sens, 78 % des Françaises et des Français sont favorables à la nationalisation des autoroutes.

C’est donc non pas aux besoins de nos concitoyens que vous répondez, mais à ceux des entreprises. Ainsi, pour les entreprises du bâtiment, ce texte lève les obstacles réglementaires qui limiteraient l’offre de logement, afin de développer l’offre de logements intermédiaires. Soit ! Mais quelle réponse est apportée au 1,7 million de ménages en attente d’un logement social ? Quelle réponse est apportée aux 3,5 millions de personnes mal logées dénombrées par la Fondation Abbé Pierre ? Elles sont les grandes oubliées de ce projet de loi sur « l’égalité des chances économiques ».

D’ailleurs, monsieur le ministre, comment prendre en compte l’avis des citoyennes et des citoyens, quand vous méprisez même leurs représentants, en leur retirant leur pouvoir de légiférer ? (M. le ministre s’étonne.)

C’est que notre rejet du texte ne tient pas à son seul contenu : il tient aussi à sa forme.

« Brutalité », « déni de démocratie » : tels sont les mots employés à l’époque par François Hollande pour qualifier l’utilisation du 49-3. Je ne peux, pour une fois, qu’être d’accord avec lui.

Mme Nicole Bricq. Le 49-3 au Sénat ?…

Mme Annie David. Autre coup porté à la démocratie, le recours aux ordonnances, notamment pour modifier le code de l’environnement, mais aussi le code du travail, en particulier l’organisation de l’inspection du travail.

Alors que l’État devrait se donner les moyens de lutter efficacement contre la fraude aux cotisations patronales et le travail illégal, l’inspection du travail sort affaiblie de ce texte. Par voie d’ordonnances, elle devrait voir un certain nombre de ses prérogatives passer aux mains de l’administration ou des juges.

Quand les salariés doivent accepter toujours plus de sacrifices et d’insécurité, quand les assurés sociaux perçoivent de moins en moins de prestations, le détournement du droit du travail à moindres frais est organisé.

C’est notamment le sens de la suppression de la peine d’emprisonnement en cas de délit d’entrave. Certes, cette peine n’avait jamais été utilisée. Pour autant, elle comportait une force dissuasive réelle et envoyait un message fort. Aujourd’hui, une simple amende de 15 000 euros maximum pourra être demandée. Or l’exemple de l’emploi des travailleurs handicapés nous prouve que les entreprises préfèrent trop souvent payer plutôt que de respecter leurs obligations.

Il en va de même concernant les licenciements abusifs. Avec le référentiel indicatif imposé aux conseillers prud’homaux, l’employeur pourra déterminer à l’avance ce qu’il lui en coûtera s’il licencie un salarié sans respecter le droit.

La casse des prud’hommes est également organisée, sous prétexte de raccourcir les délais de jugement. Effectivement, cette juridiction n’est pas du goût du MEDEF : chaque année, 200 000 salariés s’adressent à elle pour faire valoir leurs droits. Au lieu d’allouer les moyens nécessaires au bon fonctionnement de l’institution, le texte organise la mise en œuvre d’une justice expéditive et privilégie la relation directe entre l’employeur et le salarié, laquelle est forcément inéquitable.

Cette idée parcourt d’ailleurs l’ensemble du texte : la relation patron-salarié prime les accords collectifs. À terme, le code civil pourrait l’emporter sur le code du travail, qui a pour fondement et particularité de reconnaître le lien de subordination existant entre employeurs et salariés.

De même, les décisions prises d’en haut priment les décisions des responsables locaux. L’exemple du travail du dimanche est significatif : pour la délimitation des zones touristiques internationales, les maires ne sont consultés que pour avis, la décision finale revient au Gouvernement.

La liste des mesures qui nous posent problème est longue.

Nous aurions pu aussi évoquer l’assouplissement des conditions de licenciement ou encore des règles concernant l’emploi des travailleurs handicapés.

Ces mesures, cyniques, ultralibérales, inefficaces pour sortir notre pays de la crise, la droite sénatoriale les approuve. Elle va même plus loin : ouverture à la concurrence des trains régionaux, remise en cause des seuils sociaux et des 35 heures, suppression du compte pénibilité, doublement du plafond du dispositif ISF-PME, etc. Elle propose même un amendement spécial « ferme des 1 000 vaches ». Car, oui, la recherche de rentabilité à tout prix n’épargne pas l’agriculture. Tant pis si cela nuit au consommateur et à l’environnement !

Nous ne voulons pas avoir à choisir entre le libéralisme du Gouvernement et l’ultralibéralisme d’une droite décomplexée qui se réjouit de voir passer les mesures qu’elle affectionne, mais qu’elle n’a pas mises en œuvre quand elle était au gouvernement, pour ne pas en supporter le coût électoral…

Nous ne pouvons assister sans réagir à cette casse de tous les garde-fous qui permettaient encore à notre pays de résister à la précarisation profonde de la société. En cela, madame Bricq, je vous rejoins.

D’après l’OCDE, « jamais en trente ans le fossé entre riches et pauvres n’a été aussi prononcé ». Ce n’est pas acceptable et cela ne vient pas de nulle part : c’est le fruit d’une politique délibérément libérale et injuste, qui consiste à supprimer tout ce qui fait obstacle à l’enrichissement des plus riches et à la mainmise des actionnaires sur les entreprises.

Le résultat est au rendez-vous. Dans certains pays d’Europe, pendant que les peuples luttent pour survivre, garder leur emploi, se soigner, les dividendes versés ont augmenté de 22 % depuis 2009 !

Pourtant, monsieur le ministre, vous continuez de suivre les dogmes libéraux, ce qui vous a attiré les compliments de la Chancelière allemande, Angela Merkel, et du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Ce dernier voudrait d’ailleurs que la France aille plus loin dans ses efforts. À lui qui a oublié de lutter contre la fraude fiscale lorsqu’il était Premier ministre du Luxembourg, vous offrez des gages, en lui promettant une loi « Macron II ». (Murmures sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur celles de l’UMP.)

Mme Nicole Bricq. Quel rapport ?

Mme Annie David. Nous aurions préféré voir votre gouvernement de gauche épauler le Premier ministre grec, M. Tsipras ! (Exclamations sur les mêmes travées.)

Monsieur le ministre, au regard des difficultés que vivent nos concitoyens, votre positionnement idéologique est grave. Il s’exprime dans l’ensemble de ce texte. C’est pourquoi nous le rejetons en bloc et c’est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je vous invite à adopter cette motion tendant à opposer la question préalable ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Deroche, corapporteur.

Mme Catherine Deroche, corapporteur. La commission spéciale émet un avis défavorable sur cette motion.

Dans l’objet de votre motion, madame la sénatrice, vous indiquez que le texte « renvoie aux vieux poncifs du libéralisme du XIXsiècle ». Croyez bien que, si la commission spéciale avait fait preuve d’un libéralisme effréné ou débridé, le projet de loi serait bien différent de celui qui résulte de ses travaux !

On peut admirer votre sincérité, et respecter la constance de vos convictions, mais souffrez qu’on ne les partage pas. Votre obsession du dirigisme et de l’étatisme, votre refus absolu de toute concurrence relèvent, à nos yeux, d’une vision un peu passéiste et dépassée.

Mme Éliane Assassi. Cela fait longtemps que l’on ne nous l’avait pas faite, celle-là !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Je pourrais répondre point par point à l’ensemble des arguments de Mme David, (Protestations amusées sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP), mais puisque vous criez grâce vous-mêmes, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous épargnerai ! (Sourires.)

En vous écoutant, madame la sénatrice, je repensais à ces chansons enfantines que l’on dit « en laisse », c'est-à-dire que la dernière syllabe d’un vers inspire la première du vers suivant.

Oui, madame David, vous nous avez finalement livré un petit discours en laisse, rebondissant sans trop de cohérence d’une idée à l’autre. (Vives protestations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Éliane Assassi. Vous êtes bien le seul à nous reprocher notre manque de cohérence !

M. Emmanuel Macron, ministre. Vous avez évoqué de nombreux sujets qui n’ont rien à voir les uns avec les autres. Nous y reviendrons, mais de manière cohérente, en les abordant successivement, au cours de l’examen des articles, car il existe une véritable cohérence d’ensemble sur ces questions, mais qui n’est pas celle de la chanson en laisse !

J’émets donc un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le ministre, vous avez à plusieurs reprises évoqué la philosophie de ce texte, en vous abstenant d’ailleurs prudemment de la définir…

L’intitulé du titre Ier du projet de loi, « Libérer l’activité », la résume parfaitement. C’est la philosophie de multiples textes du même genre qui ont été déposés depuis une trentaine d’années, textes tout aussi pleins de bonnes intentions et proches de celui-ci, parfois au titre près, à l’instar de la fameuse loi du 31 mars 2006 pour « l’égalité des chances », votée, comme celle-ci, au bénéfice du 49-3 à l’Assemblée nationale, et déférée au Conseil constitutionnel par les groupes socialistes de l’Assemblée nationale et du Sénat, alors dans l’opposition – j’en étais.

Autres temps, autres mœurs !

Selon cette croyance, si l’investissement stagne, si le chômage augmente, en un mot, si une économie tourne au ralenti, c’est non pas parce que la demande n’est pas au rendez-vous – le catéchisme est formel : l’offre crée la demande –, mais parce que cette économie est tout simplement enchaînée. Il faut donc la libérer.

Il suffit de libérer de ses entraves le tigre tout prêt à bondir pour que l’activité économique redémarre et que le chômage s’efface. C’est élémentaire.

Libérer l’économie, c’est privatiser les activités immédiatement rentables et externaliser les investissements lourds et le maximum de coûts à la collectivité : ainsi, aux transporteurs privés les autocars utilisant des voies qu’ils n’ont pas payées, à la SNCF et aux collectivités la charge des réseaux.

Ce ne sont là que quelques exemples parmi de nombreux autres.

Libérer l’économie, c’est supprimer progressivement la contribution fiscale des entreprises aux budgets publics, tordre le cou au code du travail qui, chacun le sait, fausse la concurrence entre l’employeur et l’employé, ce dernier étant libre de vivre pour travailler plutôt que de travailler pour vivre, libre de travailler, si bon lui semble, la semaine, le dimanche, le jour, la nuit, et désormais « en soirée ».

Tout le reste est laissé de côté, à commencer par l’essentiel : le circuit économique et comment il fonctionne.

Or le circuit fonctionne lorsque les recettes des uns constituent les dépenses des autres. Mais nous sommes vraiment très forts, nous voulons que les uns aient des recettes, mais que les autres ne dépensent plus. Vous m’expliquerez comment cela peut marcher !

J’ai encore en mémoire la discussion ici du projet de loi pour l’égalité des chances, déjà évoqué. Le ministre du travail de l’époque, qui a fait une belle carrière depuis, expliquait alors que, si l’Espagne avait aussi fortement réduit son chômage en quelques années, notamment le chômage des jeunes – la lutte contre le chômage des jeunes était l’objet principal du texte –, elle le devait au contrat de travail « allégé » du type de celui que le ministre proposait alors, le fameux CPE, ou contrat première embauche, mort d’ailleurs le lendemain de sa naissance. Certains s’en souviennent encore !

Je ne parvins pas à faire admettre au ministre à l’époque que la dynamique économique de l’Espagne, qui était alors effectivement exceptionnelle, était due plutôt à la spéculation immobilière qu’à l’inventivité juridique de son gouvernement et que cela risquait de mal finir. On était en 2005, et vous connaissez la suite.

Vous savez aussi ce qu’il advint du « taureau ibérique » et du « tigre celtique » irlandais. Nicole Bricq rappelait que nous ne sommes pas dans la situation catastrophique des Espagnols. Or, à l’époque, on nous reprochait justement de ne pas faire comme eux ! (Mme Nicole Bricq s’exclame.) Mais oui, ma chère collègue !

M. Jean Desessard. Absolument !

M. Pierre-Yves Collombat. Ma foi, là encore, les temps ont changé !

Depuis trente ans, les dispositifs de libération de l’économie se sont accumulés. François Hollande n’a pas failli à la tradition : loi relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, loi relative à la sécurisation de l’emploi, crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, Accord national interprofessionnel. Il n’y a plus une loi de finances sans innovation. Aujourd'hui, on nous soumet le présent texte, d’autres sont annoncés pour demain.

Pour quels résultats ?

Durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy, à qui l'on doit, entre autres, la suppression de la taxe professionnelle, cet « impôt imbécile » qui était responsable de la sous-compétitivité de la France, le nombre de chômeurs de catégorie A a augmenté de 714 000. À mi-mandat de François Hollande, il a déjà augmenté de 600 000, ou de près de 1 million, si l’on prend les catégories A à E.

Quant à la croissance, le 1 % annoncé est vendu comme un exploit, alors qu’un tel taux ne permet même pas de compenser les pertes nettes d’emplois.

Les remèdes sont sans effet et pourtant – ce projet de loi en porte témoignage –, on nous propose de continuer à les appliquer.

Gageons que, s’ils ne sont pas bons pour tous les Français, ils le sont pour quelques-uns – pour ceux qui tiennent la laisse, peut-être ? –, ou alors, c’est à n’y rien comprendre ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. - Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. Jean Desessard applaudissent également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Monsieur le ministre, vous l’avez réaffirmé dans plusieurs de vos interventions, vous prétendez, par ce texte, agir pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances. Or plusieurs éléments font grandement défaut de ce point de vue.

Par exemple, le projet de loi comprend des dispositions relatives à l’épargne salariale, le but étant notamment de trouver des financements pour l’activité des PME et des TPE, que les banques ne soutiennent plus. Or le texte ne répond pas à la question, essentielle, du partage des richesses créées par les salariés dans les entreprises.

Au début des années quatre-vingt, les sociétés non financières consacraient 30 % de leurs profits à la rémunération de leurs actionnaires. Cette part a considérablement augmenté, pour atteindre 85 % en 2012.

Ainsi, alors que notre pays est confronté depuis des décennies à un chômage de masse, c’est le versement de dividendes qui est préféré à l’emploi et à l’investissement par les entreprises.

À cet égard, rappelons que la rémunération des actionnaires représente 2,6 fois les sommes consacrées à l’investissement, contre moitié moins au début des années quatre-vingt.

Quant à la part consacrée au travail, l’INSEE montre que le salaire moyen perçu par les salariés a quasiment stagné au cours des trente dernières années. Dans le même temps, les salariés situés tout en haut de la pyramide des rémunérations ont vu leur salaire augmenter. Ainsi, le 1 % de salariés les mieux rémunérés perçoivent 6,5 % du total des rémunérations distribuées. Cette part, mes chers collègues, était de 5,5 % au milieu des années quatre-vingt-dix. Elle a donc augmenté.

Il est étonnant donc qu’une loi pour l’égalité des chances ne prenne pas en compte cette question et contribue par ailleurs à l’augmentation de la rémunération des dirigeants d’entreprise, du fait de la mise en place des actions gratuites, nous y reviendrons.

Vous dites vouloir garder les talents, monsieur le ministre, mais pourquoi le faire au mépris des salariés ?

Il est également étonnant qu’une loi visant à favoriser la croissance et prévoyant un grand nombre de dispositions n’en comprenne pas sur le financement de l’économie, notamment sur les banques. Monsieur le ministre, comment peut-on prétendre que les banques, qui participent à la crise que nous connaissons et qui reçoivent près de 300 millions d’euros au titre du CICE, n’ont besoin ni d’être modernisées ni de voir leurs missions totalement revisitées ?

Ce projet de loi de modernisation de la France, dont les trois axes sont « libérer, investir, travailler », comme vous aimez à le rappeler, monsieur le ministre, ne se situe pas non plus à l’avant-garde en matière de croissance verte.

Le groupe CRC, loin de se contenter de formuler des critiques, a d’autres propositions à faire. Nous voulons construire, mais vous ne nous entendez pas, monsieur le ministre.

Nous voulons construire pour une croissance juste et durable, respectueuse de l’environnement et répondant aux besoins des populations. Il nous semble essentiel et urgent de lutter notamment contre les licenciements boursiers, de taxer les revenus du capital au même niveau que les revenus du travail, ou encore d’abolir les privilèges fiscaux, particulièrement les 30 milliards d’euros d’exonérations accordées aux entreprises.

Nous proposons une reprise en main du secteur de l’énergie par le secteur public, dans une logique de développement durable.

Les ressources vitales, telles que l’eau, devraient aussi être gérées par un service public national.

Nous proposons enfin de sécuriser les parcours de vie, en faisant du CDI la norme ou en défendant une véritable sécurité sociale de l’emploi et de la formation.

Or non seulement votre texte ne reprend aucune de ces propositions, pourtant réellement de nature à améliorer la vie des gens, mais, dans chacun des domaines que je viens brièvement d’aborder, il introduit des dispositions libérales contraires tant au bien-être de nos concitoyens qu’à la nécessaire lutte contre le réchauffement climatique, pour ne prendre que cet exemple.

Vous proposez de développer une société de consommation à outrance, avec tout ce que cela implique pour l’environnement, une société dans laquelle les salariés les plus fragiles sont contraints de travailler le dimanche, quand d’autres se voient proposer de dépenser l’argent qu’ils n’ont pas dans des centres commerciaux ouverts sept jours sur sept, tandis qu’un petit nombre continue de s’enrichir de manière abusive !

Nous sommes décidément loin du progrès humain et de la modernité…

Alors, même s’il nous faut nous répéter, même si vous ne trouvez pas de cohérence dans ce que vous considérez comme autant de leitmotiv, vous devez revoir totalement votre texte, lequel n’est cohérent que d’un point de vue libéral.

Pour toutes ces raisons, nous voterons évidemment la motion tendant à opposer la question préalable défendue par Annie David. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour explication de vote.

Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation économique du pays est sans appel. Les indicateurs sont au rouge et Bruxelles nous presse d’apporter des réponses structurelles à la situation. Mes collègues l’ont rappelé dans la discussion générale.

La France et les Français ne peuvent plus attendre. Le temps des tergiversations et des demi-mesures est terminé. Au contraire, la situation nous pousse à agir. Il y a urgence à réformer.

Alors, oui, nous sommes d’accord : le texte proposé par le Gouvernement n’est pas satisfaisant. L’OCDE a d’ailleurs estimé qu’il permettrait seulement de gagner 0,1 point de croissance. Ce projet de loi est une série bien longue de dispositions diverses, un texte fourre-tout, bien plus qu’un véritable texte susceptible de favoriser la croissance. Pourtant, tel est l’objectif affiché.

Le groupe UMP partage cet objectif de croissance, mais il fait le constat que le Gouvernement s’arrête au milieu du gué.

Le travail effectué par la commission spéciale et celui que nous allons faire en séance publique au cours des prochaines semaines visent justement, de manière pragmatique et responsable, à faire évoluer le projet de loi afin d’en faire un véritable texte de croissance économique.

S’il comporte des mesures qui vont dans le bon sens et qui seront par conséquent soutenues par le groupe UMP, le projet de loi ne s’attaque cependant pas aux verrous qu’il faudrait lever pour permettre à l’économie, tout en profitant de facteurs exogènes favorables, de redémarrer et de créer des emplois. Le groupe UMP du Sénat propose justement de faire sauter ces verrous.

Nous pouvons citer à cet égard plusieurs mesures qui ont été adoptées en commission afin de donner du corps à ce texte, notamment la simplification des accords de maintien de l’emploi et leur extension à des accords défensifs de développement de l’emploi – on ne peut pas attendre qu’une entreprise aille mal pour réagir –, et le relèvement de onze à vingt et un salariés du seuil déclenchant des obligations pour les entreprises. On le sait, le passage de certains seuils est trop lourd pour les entreprises et les empêche d’embaucher.

Ont été également adoptées des mesures qui renforceront la participation des salariés à la croissance de l’entreprise, notamment dans les entreprises de moins de cinquante salariés.

C’est tout le sens de la démarche que l’UMP propose, avec des mesures fortes et constructives qui viendront conforter le travail de nos trois rapporteurs.

Nos propositions tourneront autour de quatre axes essentiels : l’accès au marché du travail, la compétitivité des entreprises, la simplification de la vie des entreprises, la pérennité des entreprises au travers, d’une part, de la participation des salariés à la croissance et, d’autre part, de la simplification des opérations de transmission.

Ce qu’attendent les Français, ce sont de vraies réformes. Ils sont lassés des faux-semblants. Ils se sont d'ailleurs clairement exprimés lors des scrutins départementaux, et ce ne sont pas les seuls : nos partenaires européens, la Commission européenne nous pressent également.

Il est donc de notre responsabilité de redresser le pays et de mettre fin au décrochage économique de la France.

Par conséquent, le groupe UMP estime que non seulement il y a lieu d’engager les discussions sur le texte mais qu’il y a même urgence à le faire. C'est pourquoi il votera contre cette motion. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yannick Vaugrenard, pour explication de vote.

M. Yannick Vaugrenard. Nous ne voterons pas cette motion.

Quels que soient les textes qui sont soumis à notre examen et le moment où ils nous sont proposés, la vigilance politique s’impose à chacun des membres de notre assemblée en fonction de ses idéaux, qu’ils soient ou non partagés. Je me suis exprimé lors de la discussion générale sur ce point en réclamant certaines précisions et informations complémentaires qui m’apparaissaient nécessaires.

À l’instant ont été évoqués les acquis importants du Conseil national de la Résistance, acquis que je partage. Je ferai référence à l’histoire un peu plus ancienne, en citant Jean Jaurès : « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ». Nous aurons l’occasion de chercher la vérité et de la dire de manière très précise au cours de la discussion des amendements, de façon à éviter d’asséner des contrevérités. Il est donc important que nous entreprenions cette recherche.

La dérégulation libérale qui est évoquée dans cette motion ne correspond pas à la vérité sur un certain nombre de sujets.

Lorsqu’on s’attaque aux retraites chapeaux ou qu’on les encadre davantage, ce n’est pas de la dérégulation libérale.

M. Jean Desessard. Non, c’est bien ! Chapeau !

M. Yannick Vaugrenard. Merci, monsieur Desessard !

Lorsqu’on met en place le crédit interentreprises parce que, manifestement, le système bancaire n’est pas à la hauteur pour soutenir les très petites, petites et moyennes entreprises, ce n’est pas de la dérégulation libérale.

De la même manière, lorsqu’on remet en cause la manière de fonctionner de certaines professions réglementées, ce n’est pas de la dérégulation libérale ; il y a là aussi parfois une forme d’héritage condamnable, même s’il faut faire la différence, par exemple, entre les notaires parisiens et ceux de province. Néanmoins, il est indispensable de revoir certaines situations acquises.

Sur les zones de commerce internationales, pour citer cet autre exemple, dès lors qu’à partir d’une heure donnée les salaires seront doublés, les transports étudiés, les enfants gardés (Exclamations sur les travées du groupe CRC.), à partir du moment où il sera porté une plus grande attention aux charges induites par le travail de nuit, ce n’est pas de la dérégulation libérale.

M. Michel Le Scouarnec. Ni une vie de famille !

M. Yannick Vaugrenard. Sur le fond, le principe « pas d’accord, pas d’ouverture », implique celui d’une discussion entre les partenaires sociaux. La discussion entre les partenaires sociaux, ce n’est pas de la dérégulation libérale. (Protestations sur les mêmes travées.)

Indépendamment de cela, je pense que nous traversons – nous le sentons bien – une période politique, économique et sociale particulière : pour la première fois dans l’histoire probablement, la génération actuelle, voire la suivante, nous le savons pertinemment, risque de vivre moins bien que les générations précédentes. C’est une situation inédite.

Cela signifie par conséquent qu’il faut intervenir, qu’il faut réformer, et réformer encore, en agissant sur l’économie mais, bien évidemment, avec un souci absolu de justice sociale ; l’un ne va pas sans l’autre, réforme économique rimant avec justice sociale. C’est le sens de la volonté qui est exprimée. Donc, allons dans ce sens-là !

Près de 70 % des Français considèrent en effet aujourd'hui qu’il est nécessaire de réformer notre société.

Mme Éliane Assassi. Mais ils n’ont pas voté pour vous, c’est bête !

M. Yannick Vaugrenard. Il n’est donc pas urgent d’attendre, mais, dans un souci global d’équité et de justice sociale, il est urgent d’agir ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Olivier Cadic, pour explication de vote.

M. Olivier Cadic. J’ai écouté avec attention cet argumentaire qui dénonce les « vieux poncifs du libéralisme du XIXe siècle ». Au XIXe siècle, je n’étais pas né (Sourires.), j’ai donc consulté l’article « libéralisme » sur Wikipédia, et le résultat de ma recherche ne manque pas d’intérêt.

Voici en effet ce qu’on peut lire sur cette page : « Le libéralisme prône la liberté d’expression des individus, dans le domaine économique, l’initiative privée, la libre concurrence et son corollaire, l’économie de marché, et d’autre part, dans le domaine politique, des pouvoirs politiques encadrés par la loi librement débattue. » (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

XIXe siècle ? Moi, je trouve cela furieusement tendance !

Orwell écrivait : « Parler de liberté n’a de sens qu’à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre ». Nous avons beaucoup travaillé sur ce texte, il va falloir vous y faire et nous écouter, chers collègues. Notre liberté, c’est de vous dire ce que vous n’avez peut-être pas envie d’entendre ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées de l'UMP.Vives protestations sur les travées du CRC.)

Mme Éliane Assassi. Si vous voulez parler philosophie, nous sommes partants !

Mme Cécile Cukierman. Et notre liberté ? Vous confondez libéralisme et liberté d’expression !

Mme la présidente. Je mets aux voix la motion n° 1693, tendant à opposer la question préalable.

Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.

J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 119 :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 330
Pour l’adoption 20
Contre 310

Le Sénat n'a pas adopté.

Motion d’ordre

Question préalable
Dossier législatif : projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
Motion d'ordre (interruption de la discussion)

Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission spéciale.

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Madame la présidente, pour éviter les longs « tunnels » auxquels ressemblent parfois les discussions communes, et rendre de ce fait nos travaux plus lisibles, je demande, en application de l’article 49, alinéa 2, de notre règlement, l’examen séparé d’un certain nombre d’amendements tendant à rédiger l’intégralité d’articles. Nous les examinerons en priorité et traiterons ensuite des autres amendements faisant l’objet de discussions communes.

Voici la liste des amendements à disjoindre des discussions communes : à l’article 11, l’amendement n° 1552, à l’article 12, l’amendement n° 1664, à l’article 13 bis, l’amendement n° 1618, à l’article 14, l’amendement n° 1619, à l’article 16, l’amendement n° 1622, à l’article 17 bis, l’amendement n° 1625, à l’article 19, l’amendement n° 1617, à l’article 20, l’amendement n° 1620, à l’article 21, l’amendement n° 1630, à l’article 26, l’amendement n° 1561, à l’article 33 septies C, les amendements nos 604 rectifié bis et 1645, à l’article 40 bis A, l’amendement n° 1589, à l’article 66, l’amendement n° 1585, à l’article 67, l’amendement n° 1586, à l’article 70, l’amendement n° 259, à l’article 75, l’amendement n° 707, à l’article 80, les amendements nos 124 rectifié, 709, 892 rectifié bis et 712 ; enfin, à l’article 83, l’amendement n° 1651.

Mme la présidente. Je suis donc saisie par la commission spéciale d’une demande d’examen séparé de l’amendement n° 1552 à l’article 11, de l’amendement n° 1664 à l’article 12, de l’amendement n° 1618 à l’article 13 bis, de l’amendement n° 1619 à l’article 14, de l’amendement n° 1622 à l’article 16, de l’amendement n° 1625 à l’article 17 bis, de l’amendement n° 1617 à l’article 19, de l’amendement n° 1620 à l’article 20, de l’amendement n° 1630 à l’article 21, de l’amendement n° 1561 à l’article 26, des amendements nos 604 rectifié bis et 1645 à l’article 33 septies C, de l’amendement n° 1589 à l’article 40 bis A, de l’amendement n° 1585 à l’article 66, de l’amendement n° 1586 à l’article 67, de l’amendement n° 259 à l’article 70, de l’amendement n° 707 à l’article 75, des amendements nos 124 rectifié, 709, 892 rectifié bis et 712 à l’article 80 et de l’amendement n° 1651 à l’article 83.

Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Favorable !

Mme la présidente. Je consulte le Sénat sur cette demande d’examen séparé formulée par la commission spéciale et acceptée par le Gouvernement.

(L’examen séparé est décidé.)

Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

La parole est à M. le président de la commission spéciale.

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Je rappelle aux membres de la commission que nous nous réunissons à neuf heures trente pour poursuivre l'examen des amendements.

Motion d'ordre (début)
Dossier législatif : projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques
Discussion générale

8

Ordre du jour

Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 8 avril 2015 :

À quatorze heures trente et le soir :

Suite du projet de loi, considéré comme adopté par l’Assemblée nationale en application de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution après engagement de la procédure accélérée, pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (n° 300, 2014-2015).

Rapport de Mmes Catherine Deroche, Dominique Estrosi Sassone et M. François Pillet, fait au nom de la commission spéciale (n° 370, tomes I, II et III, 2014-2015).

Texte de la commission (n° 371, 2014-2015).

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 8 avril 2015, à zéro heure quarante-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART