M. Daniel Laurent. Exactement !

M. Jacques Mézard. Les experts-comptables sont très bien vus à Bercy et vous leur ouvrez de nouveaux champs de concurrence contre les avocats pour les clients aisés !

La situation des notaires est-elle la même à Paris que dans la plupart des autres départements ? Bien sûr que non ! La situation très privilégiée des notaires parisiens ne doit pas entraîner encore de nouveaux déséquilibres dans le maillage territorial.

Ne pouvant citer toutes les professions, je m’en tiendrai pour terminer à la justice commerciale. La création de juridictions spécialisées a une finalité louable : apporter davantage de compétences techniques lors du règlement des litiges. Toutefois, elle a aussi un revers. En effet, comment voulez-vous que des magistrats siégeant parfois à plusieurs centaines de kilomètres des territoires où se pose le problème puissent avoir la connaissance du temps et le souci de préserver le tissu territorial ?

Nous avons souhaité que vous remontiez le seuil de salariés de 150 à 250, voire à 400. Vous le savez, le seuil retenu est trop bas, tirez-en donc les conclusions !

Monsieur le ministre, l’égalité des territoires doit être non seulement proclamée, mais aussi pratiquée !

En conclusion, j’ai davantage insisté sur les points du présent projet de loi qui nous posent problème que sur ceux qui nous conviennent, mais les membres de mon groupe sont ouverts – comme toujours –, à la discussion si vous le souhaitez, ce que nous espérons profondément. Nous disposons de deux semaines pour parvenir à un texte d’équilibre et de compromis. C’est en tout cas le sens des amendements que nous avons déposés et le souhait, je le crois, de nombreux sénateurs. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot.

M. Philippe Adnot. Monsieur le ministre, selon vos termes mêmes, l’objet du présent projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques s’articule autour de trois grands principes : libérer, investir et travailler en vue de satisfaire l’intérêt général.

L’esprit qui anime ce texte me paraît louable et je me suis efforcé de l’aborder avec ouverture, sans esprit partisan, mais, je l’avoue, avec une certaine perplexité et des regrets.

En effet, je regrette que vous ayez souhaité assembler, dans un même projet de loi, une centaine d’articles très hétérogènes par leur contenu et leurs ambitions, et parfois très contradictoires. Cela pourrait nous conduire à rejeter globalement le texte, alors que certains de ses articles nous paraissent utiles, même s’il aurait été parfois souhaitable d’aller un peu plus loin.

Heureusement, la majorité sénatoriale a décidé de prendre à bras-le-corps ce projet de loi, de le réguler sous certains aspects, de l’améliorer sous certains autres, pour en faire un texte satisfaisant !

J’ai pris la décision de contribuer à ce travail collectif en déposant un certain nombre d’amendements, dont les plus importants ont trait au financement de l’entreprise.

Monsieur le ministre, à ce sujet, je note avec satisfaction que le Président de la République a pris l’initiative d’améliorations non négligeables, via soit la Banque publique d’investissement, la BPI, soit un fonds nouveau destiné à permettre aux entreprises de passer du stade de PME à celui d’ETI.

L’amendement que je défendrai concernant le plan d’épargne en actions destiné au financement des PME et ETI, ou PEA-PME, et l’article 34 bis A, issu de l’adoption par la commission spéciale d’un amendement que j’ai proposé sur l’assurance vie, vont exactement dans ce sens. Je souhaite donc que vous les examiniez, non sous l’angle d’une diminution de recettes budgétaires, mais, au contraire, en tant que catalyseurs de rentrées de recettes supplémentaires tant sociales que fiscales qui rendent actifs des fonds, qui jusqu’à présent dorment par crainte de taxation.

Il s’agit d’appréhender les finances publiques selon une approche non pas comptable, mais dynamique et génératrice de création de richesse.

Dans le même discours de soutien à l’investissement, le Président de la République a également présenté un volet « TVA » relatif aux collectivités locales, qui leur permet d’obtenir un remboursement anticipé de la TVA au bout d’un an. Seulement, je voudrais souligner l’incohérence qu’il y a à inciter celles-ci à investir, tout en diminuant leurs dotations et en créant une incertitude quant à leur devenir : cela ne peut que bloquer l’investissement.

S’agissant de votre texte, monsieur le ministre, je l’examinerai en ayant présent à l’esprit un certain nombre de critères essentiels à mes yeux. Je suis favorable à plus de liberté afin de favoriser l’entreprenariat, mais je refuse des mesures qui pourraient conduire à une réduction du maillage territorial et des services en milieu rural.

Nous savons, nous parlementaires, que s’il existe encore des pharmacies dans certains territoires, c’est parce qu’il n’y a pas de liberté totale d’installation. De même, nous savons que s’il y avait plus d’incitation réglementaire, le milieu rural aurait encore des médecins, et ceux-ci ne seraient aujourd’hui pas tous en ville ou dans le Sud de la France

Nous n’avons pas vocation à soutenir des textes qui pourraient conduire à constituer de grandes structures juridiques avec « petites mains » à l’étranger, dans des pays à fiscalité intéressante, ce qui obligerait par là même nos concitoyens à faire de longs déplacements pour consulter leur notaire.

Je ne vais pas passer en revue tous les articles, leur examen nous permettra d’entrer dans le vif du sujet, mais je souligne simplement que nous serons ouverts et vigilants.

Je souhaite terminer mon propos en renouvelant mon estime pour le travail effectué par les corapporteurs, sous l’autorité du président de la commission spéciale, et les assurer de mon soutien attentif. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Henri Tandonnet.

M. Henri Tandonnet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, compte tenu de l’ampleur et de la diversité des mesures du présent texte, depuis le début de nos travaux, j’ai souhaité concentrer principalement mon attention sur les réformes qui s’imposeront bientôt aux conditions d’exercice des professions juridiques réglementées. Ce sera donc l’objet de mon propos.

Je veux tout d’abord remercier le président de la commission spéciale, Vincent Capo-Canellas, qui a su créer un climat favorable pour aborder le texte de manière pragmatique et constructive.

La commission spéciale a effectué un judicieux toilettage rédactionnel, mais également un élagage nécessaire en ce qui concerne les demandes de rapports, bien trop nombreuses, et d’autorisations à légiférer par ordonnance qui dépossèdent totalement le législateur de son rôle.

M. Henri Tandonnet. Je salue également François Pillet pour la finesse de son travail. Sa proposition d’ensemble établit un équilibre entre l’aspect économique des prestations de service des professions réglementées et leur spécificité. Les grandes avancées apportées par la commission spéciale restent à confirmer ; elles doivent recueillir votre adhésion, monsieur le ministre, et j’ai bien compris qu’il fallait encore vous convaincre ! (Sourires.)

Le cap fixé dans le texte que nous examinons me paraît bien meilleur que celui du projet de loi initial. En effet, ce dernier semblait complètement excessif et visait à libéraliser à l’extrême un système qui fonctionne pourtant parfaitement dans son état actuel, et qui, de plus, est envié, voire même copié à l’étranger.

Cette réforme d’inspiration bruxelloise méconnaît l’approche de notre droit latin, structuré, écrit, focalisé sur la sécurité juridique et sur la protection des individus, notamment des plus faibles. Il faut bien le reconnaître, le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale était mal construit : il mettait en péril le maillage juridique précieux du territoire, ainsi que l’accès de chacun au droit, à l’équité et à la protection.

Il me semble, monsieur le ministre, que le glissement vers l’approche anglo-saxonne que vous proposez est loin d’être une innovation. Le libéralisme a déjà montré ses limites. Votre réforme n’est donc pas très moderne, hélas !

C’est avant tout l’éthique qui favorisera la bonne marche des entreprises dans la vie économique. Notre économie souffre surtout d’un manque de déontologie et de nombreux conflits d’intérêts, comme les crises récentes l’ont révélé.

J’ai l’impression que vous êtes en retard d’une guerre. En effet, dans le domaine de l’économie, aujourd’hui, la notion de concurrence a trouvé ses limites et le développement des entreprises se fait aussi sur de nouvelles valeurs.

Les professions du droit et du chiffre doivent permettre d’apporter ces garanties de déontologie, et ce n’est pas en les remettant entre les mains de sociétés de capitaux que vous favoriserez cette légitime aspiration.

J’ai été très surpris de voir dans le projet de loi initial que l’Autorité de la concurrence déciderait seule de la carte de l’implantation des offices, par le jeu d’une liberté d’installation encadrée. Je pense que la solution préconisée à la suite des travaux de la commission spéciale est bien plus cohérente, puisqu’il s’agit de donner au seul ministre de la justice la compétence nécessaire pour établir la carte délimitant les zones où l’implantation de nouveaux offices est libre. L’Autorité de la concurrence formulera un avis simple, ce qui est suffisant à mes yeux.

Il est nécessaire de laisser les professions réglementées sous la coupe du garde des sceaux. Demander à un ministère d’en être responsable et attribuer à un autre la fixation du nombre de professionnels concernés tout en faisant dépendre celle-ci de l’avis d’une autorité indépendante ne fonctionnera pas.

Dans la mesure où les notaires manient à la fois des fonds privés et publics, la surveillance de la profession entraîne des responsabilités importantes, que l’Autorité de la concurrence n’assumera pas. Qui connaît mieux la profession que le ministre de la justice qui, par le réseau de ses procureurs généraux, suit l’activité et surveille la compétence de ces professionnels ?

Pour ce qui concerne les tarifs, nos collègues de l’Assemblée nationale ont rétabli une certaine cohérence en soutenant les professionnels qui se trouvent dans des territoires économiques moins favorables.

Je pense que l’apport du Sénat a fait avancer la réflexion sur la prise en compte des spécificités de l’activité juridique en extrayant les dispositions relatives aux tarifs du code de commerce pour les placer dans un code de l’accès au droit. En effet, rien ne justifiait un tel rattachement, puisque les professions juridiques règlementées sont incompatibles avec la qualité de commerçant. Le ministre de la justice sera donc seul compétent pour arrêter ces tarifs, ce qui une fois encore revient à redonner de la cohérence à cette réforme menée par Bercy.

Par ailleurs, la commission spéciale a supprimé le caractère interprofessionnel du fonds de péréquation prévu à l’article 12 et créé un fonds par profession. Ce fonds de péréquation favorisera, je le pense, l’installation des jeunes, et c’est ce que vous visez. Il ne serait pas cohérent de l’utiliser pour activer l’aide juridictionnelle, qui doit relever de financements publics et qui doit faire l’objet d’un débat plus général, dans le cadre du projet de loi relatif à la justice du XXIe siècle.

Le fonds de péréquation par profession, tel qu’il a été proposé par la commission spéciale, est à même de faciliter l’installation des jeunes. Avec un fonds de péréquation interprofessionnel, comment un jeune peut-il élaborer un projet d’entreprise s’il ne connaît pas la charge financière qu’il devra assumer au bout de six ans ?

La solution retenue par la commission spéciale permet, à travers le fonds de péréquation, d’épargner le jeune installé de la charge d’une indemnité aussi imprévisible qu’inéquitable, puisqu’elle sanctionnerait en quelque sorte le fruit de son travail et de sa compétence.

En mutualisant la charge au plan national, on favorise donc l’installation et on évite les conflits de voisinage.

J’aborde maintenant les sociétés interprofessionnelles, qui viennent à peine d’être mises en place par un décret de 2014. Le projet de loi bouscule un fragile équilibre entre le chiffre et le droit, mais aussi entre la direction de ces sociétés par les professionnels eux-mêmes ou par des représentants de sociétés de capitaux. Le périmètre étendu de ces sociétés autorise des collaborations source de conflits d’intérêts.

Par conséquent, il était nécessaire de séparer les professions du chiffre et du droit en excluant les experts-comptables, les administrateurs et mandataires judiciaires, ainsi que les avocats aux conseils du périmètre de ces sociétés.

La barre est donc redressée par rapport aux grands principes de cette réforme, même si je suis convaincu que celle-ci entraînera un processus de concentration peu favorable aux territoires ruraux et au public aux revenus modestes.

Après un important travail accompli par la commission spéciale, certains amendements pourront permettre d’adopter d’autres avancées. Je pense, par exemple, à la création de la profession de commissaire de justice regroupant les professions d’huissier de justice et de commissaire-priseur. Je doute de la plus-value apportée par une fusion de ces deux professions, dont les modalités d’intervention sont différentes. Si, comme le souhaite le corapporteur, les exigences de qualification aujourd’hui propre à chaque profession doivent être préservées et favorisées, quel est alors l’intérêt de changer l’existant ?

En revanche, étendre aux commissaires-priseurs la vente de biens incorporels permettrait la valorisation d’actifs sociaux. Je présenterai un amendement en ce sens.

Dans ce même souci de qualification, il serait utile de remplacer le mot « expérience » par le mot « diplôme » pour toute personne sollicitant son installation en tant que notaire ou membre d’une autre profession réglementée. En effet, la seule référence à l’expérience ne peut suffire pour l’exercice d’une délégation de puissance publique.

Si nous libéralisons les professions juridiques réglementées comme vous le souhaitez, monsieur le ministre, essayons au moins de préserver les compétences professionnelles au moment où le droit se spécialise.

Enfin, si la réforme des conseils de prud’hommes apporte une meilleure formation des conseillers prud’homaux et une rationalisation de la procédure par un meilleur respect de l’échange contradictoire des moyens de droit et des pièces, la spécialisation des tribunaux de commerce statuant en matière collective est à prendre avec précaution. La solution trouvée en commission spéciale rétablit la proximité et la confiance nécessaires au redressement des entreprises.

En conclusion, si notre système réglementé de professions juridiques doit certainement évoluer, il ne me semblait pas utile de le mettre à terre ! Le travail du Sénat sur ce texte vise à préserver la déontologie, les compétences et l’expertise qui font la qualité des professions en cause. Il tend également à éviter les conflits d’intérêts qui viennent polluer une saine concurrence.

Je souhaite vivement, monsieur le ministre, que vous teniez compte de la qualité des apports du Sénat, afin de réduire les effets pervers que pourrait bien nous réserver l’application du présent texte dans la réalité. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP, ainsi que sur les travées du RDSE.)

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Bruno Retailleau. À la suite du président Gérard Larcher, je veux tout d’abord dire à mes collègues socialistes, au nom de l’ensemble du groupe que j’ai l’honneur de présider, notre sympathie. Il est des circonstances, des drames, qui rendent absolument dérisoires les clivages partisans. L’épreuve que nous traversons aujourd’hui fait partie de ces circonstances exceptionnelles. Je sais que nombre d’entre vous, mes chers collègues, sont extrêmement touchés et je tenais à marquer ici notre solidarité.

Cela étant, je salue le travail du président de la commission spéciale et des corapporteurs, qui ont énormément et intelligemment travaillé. Nous sommes absolument fiers de ce qu’ils ont dit et proposé voilà quelques instants. Je pense que tout cela est de bon augure pour les débats qui nous attendent.

« Quand on est en situation d’urgence économique, on ne peut pas accepter d’être stoppé par le déni de réalité, les corporatismes ou les jeux d’appareils politiciens ». Ces mots, monsieur le ministre, sont les vôtres. Vous les avez prononcés voilà à peine deux mois. Vous n’imaginiez pas alors à quel point ils sonnent juste aujourd’hui ; vous n’imaginiez pas non plus à quel point nous en partageons le sens.

Oui, la France est dans une situation d’urgence, de double urgence, à la fois économique et politique.

Toujours plus de chômage, toujours plus d’endettement, une production industrielle qui a reculé à son niveau d’il y a vingt ans et la perte de notre cinquième place du classement des grandes nations économiques… Cette urgence économique, ce déclassement, les Français les ressentent de façon douloureuse, parfois sous la forme d’une grande souffrance sociale.

Cette urgence revêt aussi un autre aspect : on nous dit que, en 2015, nous profiterons d’un filet de croissance, sans doute en raison d’une conjonction astrale…

Mme Nicole Bricq. Les astres n’ont rien à voir !

M. Bruno Retailleau. Une croissance venue d’ailleurs, une croissance tombée du ciel ! (Sourires.)

Or dans cet hémicycle, monsieur le ministre, vous êtes sans doute l’un de ceux qui sait le mieux que cette fenêtre exceptionnelle – l’euro peu cher, les taux d’intérêt très bas, le pétrole bon marché – ne se reproduira pas. Dans dix-huit mois, les choses changeront ; dans dix-huit mois, si les réformes structurelles n’ont pas été faites, les ajustements qui devront être opérés seront extrêmement douloureux. Vous le savez parfaitement : dans dix-huit mois, il sera trop tard !

Il y a une urgence non seulement économique, mais aussi politique : en se dissipant, l’esprit du 11 janvier, comme la mer se retire au moment des grandes marées, a découvert un paysage politique français assez désolé. En douze mois, votre majorité a subi quatre défaites électorales. Le texte que vous avez proposé à l’Assemblée nationale a révélé – et consacré –, notamment par l’utilisation de l’article 49, alinéa 3, de la Constitution, des divisions profondes au sein de la majorité, voire au sein même du parti majoritaire.

La réponse à cette double urgence ne peut être ni la médecine douce ni le traitement politicien. Or le projet de loi que vous nous présentez, c’est – au mieux – de la médecine douce. Le Président de la République a eu ce mot d’esprit – il en a souvent – en déclarant qu’il ne s’agissait sans doute pas de la loi du siècle. Je crains qu’il ne s’agisse pas même de la loi de l’année. Ce texte est simplement destiné à faire patienter les autorités bruxelloises. Il ne représente au mieux que 0,1 % de croissance, alors que la seule baisse des prix du pétrole rapportera à la France environ un demi-point de croissance. Ce n’est pas d’une loi « Macron I » ou « Macron II » dont nous aurions besoin pour atteindre le seuil de croissance permettant de faire basculer le chômage, mais bien plutôt de quinze textes Macron !

Mme Cécile Cukierman. Arrêtons-nous là ! (Sourires.)

M. Bruno Retailleau. Si les traitements homéopathiques ne suffiront pas, je pense que rien ne serait pis que des traitements politiciens.

La question n’est pas de savoir quel marchandage permettra à tel ou tel de ne pas déposer de motion au prochain congrès de Poitiers. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) La question n’est pas non plus de savoir à quelles conditions tel ou tel entrera au Gouvernement. (Mêmes mouvements.) La seule question qui vaille, c’est celle du redressement de la France, du redressement de l’économie française. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Bravo !

M. Bruno Retailleau. C’est dans cette seule perspective que la commission spéciale du Sénat a travaillé d’arrache-pied, animée d’une certitude : celle que les Français sont lassés, fatigués des faux-semblants de réforme.

M. Alain Richard. Bien vu ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)

M. Bruno Retailleau. Nous avons travaillé avec un objectif : faire de ce texte un accélérateur, un multiplicateur de croissance et d’activité.

Bien sûr, nous avons travaillé avec nos convictions ; ce n’est pas vous qui pouvez nous le reprocher. Nous avons toutefois veillé à ne pas faire preuve d’esprit partisan et à nous montrer pragmatiques. Je vous en donnerai quelques exemples, notamment concernant l’assouplissement du marché du travail.

Par ailleurs, ce qui est bon, nous l’avons retenu : 124 articles ont été votés conformes par la commission spéciale ! Bien évidemment, monsieur le ministre, quand il s’agit de détricoter la loi Duflot, vous ne pouvez trouver dans cette enceinte que des oreilles attentives et bienveillantes. (Sourires.) Mais nombre d’autres sujets sont abordés à travers ces 124 articles que, faute de temps, je ne pourrai traiter.

À l’inverse, face à certaines dispositions toxiques – je songe notamment à toutes celles qui concernent les professions réglementées qu’a mentionnées François Pillet et sur lesquelles il reviendra au cours du débat –, nous nous sommes souvenus de ce que nous ont dit les Français, ceux qui vivent en milieu rural, voilà quelques semaines seulement. Entendez ce peuple de France qui se sent abandonné ! Voyez cette fracture territoriale, la France des oubliés, la France des invisibles qui désespère qu’on s’occupe d’elle ! (Protestations sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et du groupe CRC.)

Mme Cécile Cukierman. Qui a mis en place la RGPP ?

M. Bruno Retailleau. Autant nous serons très vigilants pour vous permettre d’aller plus loin sur certaines réformes structurelles, autant nous ne vous laisserons pas détricoter le tissu rural français, comme l’a très bien souligné M. Mézard ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'UDI-UC et du RDSE.)

Par ailleurs, nous souhaitons faire de ce texte un véritable texte de réformes, celles que nous pensons bonnes et utiles pour la France, notamment en termes d’emploi.

Encore une fois, nous avons adopté une approche constructive. Nous avons écouté ce que vous avez déclaré ici ou là, monsieur le ministre. Nous avons retenu vos propos et, dans les prochains jours, nous vous dirons : « Chiche ! »

Vous avez déclaré à Beaune, il y a quelques jours : « Il faut accélérer les réformes maintenant, sinon on va rater ce train ». Or nous souhaitons justement que la France ne rate pas le train.

Les propositions que nous vous ferons ne seront pas des marqueurs idéologiques. Elles seront parfaitement compatibles avec votre corpus de pensée, ainsi qu’avec celui de tous les réformistes, peu importe qu’ils soient du centre, de droite ou de gauche… Car l’important, c’est de lutter contre le chômage.

Quelles sont ces propositions ?

S’agissant de l’accès au marché du travail, nous ne vous proposerons pas, monsieur le ministre, d’instaurer un contrat unique, qui pourrait, nous le savons, heurter tel ou tel. Nous vous soumettrons un contrat de mission, qui permettrait d’assouplir le marché du travail. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Vous le savez parfaitement, la rigidité de celui-ci se paie par la précarité et le chômage de millions d’hommes et de femmes.

Pourquoi, en France, plus de 80 % des CDD, qui constituent les contrats d’entrée dans les postes de travail, durent-ils moins d’un mois ? C’est bien évidemment le modèle des insiders-outsiders !

À propos des 35 heures, nous aurions pu vous proposer une solution brutale : la sortie du dispositif. Nous ne l’avons pas fait, Vincent Capo-Canellas vous l’a dit. Nous préférons assouplir, parce qu’ils ne marchent pas, les accords défensifs. Comme vous l’aviez déclaré à un hebdomadaire à la fin du mois d’août dernier – vous le pensiez, et peut-être le pensez-vous encore aujourd'hui si votre fonction ne vous a pas complètement transformé, puisque, à l’époque, vous n’aviez pas encore été nommé ministre –, pourquoi ne pas étendre ce qui est bon pour les entreprises en difficulté à celles qui sont en bonne santé, au travers d’accords de maintien de l’emploi offensifs ? N’attendons pas que les entreprises aillent mal pour développer des accords offensifs ! Nous défendrons aussi bien la première formule que la seconde.

Pour ce qui concerne la simplification de la vie des entreprises et la question des seuils, vous nous dites qu’il faut attendre. Nous vous répondons qu’il faut décider. Il y a un temps pour le dialogue social et un temps pour la décision. La démocratie, c’est la souveraineté du peuple, qui s’exprime dans notre assemblée, surtout lorsqu’il y a tant de chômeurs en France. Nous prenons nos responsabilités, de façon non pas violente ou brutale, mais en vous proposant de faire sauter un certain nombre de seuils.

Une autre mesure de simplification a trait au dispositif de M. Hamon, avec lequel nous ne souhaitons toutefois pas vous brouiller. (Rires sur les travées du groupe socialiste.) Nous ne défendrons donc pas une sortie brutale de son système d’information des salariés ; nous limiterons simplement celui-ci, par pragmatisme, aux cessations d’activité.

Enfin, nous aurions pu supprimer le compte pénibilité, mais telle n’est pas notre volonté. Nous proposerons des dispositifs qui sont réclamés par les petites et moyennes entreprises, pour sauver l’emploi et tuer cette peur de l’embauche, dont même le Président de la République se plaint. C’est aujourd'hui qu’il faut des actes et, surtout, des réformes.

Telles seront donc nos propositions, monsieur le ministre. J’espère que vous y serez attentif, plus attentif que ce que la séquence de vendredi nous a laissé craindre. Au demeurant, vous vous êtes tout à l’heure expliqué à cette tribune, et je vous en donne acte. Ce sera sur vos actes et votre capacité à réformer et à prendre en considération le travail de la commission spéciale que nous jugerons de vos intentions.

Je conclurai très brièvement. À titre personnel, vous avez sans doute joué un rôle déterminant dans la conversion du Président de la République à l’économie de l’offre. Car vous établissez souvent le bon diagnostic, mais vos remèdes sont trop faibles. Certes, nous comprenons vos contraintes politiques. Toutefois, l’urgence que j’ai évoquée tout à l’heure, et que vous ne remettez pas en cause, ne permet plus les demi-mesures ou les faux-semblants.

La France est dans un entre-deux : elle est en panne économiquement, mais voit se profiler à l’horizon une petite croissance exogène, comme on dit dans les manuels. C’est un entre-deux, dans lequel, je le sais, le Président de la République se complaît.

Ce que la France subit aujourd'hui, c’est beaucoup plus qu’une crise. J’emprunterai à Antonio Gramsci – je suis sûr que vous ne refuserez pas cette référence – son analyse : la crise, c’est le moment où le vieux monde ne veut pas mourir et où le monde nouveau tarde à naître. Monsieur le ministre, appuyez-vous sur le Sénat et sa majorité pour que ce monde nouveau puisse naître, pour que la France connaisse demain, enfin, un redressement, un renouveau, pour les générations actuelles et futures. (Vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)