Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 1052, présenté par Mmes Assassi et Cukierman, M. Le Scouarnec et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

L’article 21 de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie est abrogé.

La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’économie, les sénateurs de gauche, dans leur totalité, avaient dénoncé avec force la libéralisation des relations commerciales, plus particulièrement l’institution de la libre négociabilité des conditions générales de vente prévue à l’article 21 de ce texte.

À l’époque, mes collègues du groupe socialiste avaient souligné que s’en remettre à la concurrence pour faire baisser les prix consistait à faire le choix du laisser-faire, c’est-à-dire le choix de laisser opérer les lois naturelles du marché à la place d’une véritable politique de revenus. Si l’on pense qu’il n’existe pas de meilleur modèle économique que celui de la concurrence libre et loyale pour servir une société de progrès pour l’homme, on est dans la pensée magique !

Par ailleurs, dans un rapport d’information, fait au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire du Sénat en 2009, Mme Lamure dressait un bilan peu satisfaisant de la réforme des relations commerciales, soulignant « un déséquilibre persistant des relations entre fournisseurs et distributeurs : ces derniers divergent sur l’interprétation des règles en matière de négociabilité des tarifs ».

C’est pourquoi nous vous proposons tout simplement de supprimer l’article 21 susvisé. En société, il y a toujours une règle du jeu précisant ce que l’on a ou pas le droit de faire. En matière d’économie, il appartient à l’État de la définir. Il ne faudrait pas l’oublier !

Mme la présidente. L'amendement n° 1646, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Rétablir cet article dans la rédaction suivante :

I. – Le livre III du code de commerce est complété par un titre IV ainsi rédigé :

« TITRE IV

« DES RÉSEAUX DE DISTRIBUTION COMMERCIALE

« Art. L. 341-1. – L’ensemble des contrats conclus entre, d’une part, une personne physique ou une personne morale de droit privé regroupant des commerçants, autre que celles mentionnées aux chapitres V et VI du titre II du livre Ier du présent code, ou mettant à disposition les services mentionnés au premier alinéa de l’article L. 330-3 et, d’autre part, toute personne exploitant, pour son compte ou pour le compte d’un tiers, au moins un magasin de commerce de détail, ayant pour but commun l’exploitation d’un de ces magasins et comportant des clauses susceptibles de limiter la liberté d’exercice par cet exploitant de son activité commerciale prévoient une échéance commune.

« La résiliation d’un de ces contrats vaut résiliation de l’ensemble des contrats mentionnés au premier alinéa du présent article.

« Le présent article n’est pas applicable au contrat de bail dont la durée est régie par l’article L. 145-4.

« Art. L. 341-2. – Toute clause ayant pour effet, après l’échéance ou la résiliation d’un des contrats mentionnés à l’article L. 341-1, de restreindre la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’exploitant qui a précédemment souscrit ce contrat est réputée non écrite.

« Art. L. 341-3. – Les contrats mentionnés à l’article L. 341-1 ne peuvent être conclus pour une durée supérieure à neuf ans. Ils ne peuvent être renouvelés par tacite reconduction.

« Art. L. 341-4. – Les règles statutaires et les décisions collectives adoptées conformément aux dispositions législatives relatives aux associations et aux sociétés civiles, commerciales ou coopératives ne peuvent déroger aux articles L. 341-1 à L. 341-3. »

II. – Le I s’applique à l’expiration d’un délai de deux ans à compter de la date de promulgation de la présente loi s’agissant des contrats en cours dont la durée restant à courir est supérieure à six ans à la même date. Le même I s’applique quatre ans après la promulgation de la présente loi aux contrats dont la durée restant à courir est inférieure à six ans à la date de cette promulgation.

III. – Un décret, pris après avis de l’Autorité de la concurrence, définit, en tant que de besoin, les seuils de chiffre d’affaires en deçà desquels il peut être dérogé au I.

La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Cet amendement vise à rétablir, dans sa rédaction adoptée par l’Assemblée nationale, l’article 10 A, qui encadre les modalités d’engagement dans les réseaux de distribution composés de magasins indépendants.

L’objectif du Gouvernement, inspiré en cela par plusieurs études réalisées tant par ses services que par l’Autorité de la concurrence, est de corriger les pratiques observées dans certains réseaux de distribution, où les contrats d’engagement extrêmement longs peuvent conduire certains franchisés et certains concessionnaires à se sentir prisonniers. Cette situation ne permet pas la mobilité entre les différentes franchises et conduit ces franchisés et concessionnaires à subir des conditions parfois excessives imposées par le franchiseur.

Le Gouvernement a bien pris note de ce problème, et un dialogue s’est noué avec plusieurs de ces franchiseurs, en particulier les coopératives. J’en suis bien conscient, la rédaction du présent amendement ne saurait être la rédaction finale, les réseaux de distribution coopératifs ayant des caractéristiques bien spécifiques. Or cette rédaction pourrait conduire à des conséquences dommageables en termes de statut.

La volonté du Gouvernement est en tout cas de mieux encadrer les durées d’engagement en matière financière, commerciale, comme de franchise. Celles-ci ne sauraient être de vingt-cinq ans, parfois de trente ans, voire même s’enchevêtrer, ce qui rend la mobilité du franchisé ou du coopérant quasi impossible. Ce n’est évidemment pas de bonne pratique.

En même temps, le Gouvernement ne veut pas que cette réforme puisse avoir des conséquences sur la stabilité financière de ces coopératives et de ces groupes. Des corrections doivent donc être apportées à ce régime juridique. Comme je l’ai indiqué, un dialogue est en cours pour tenter d’améliorer la rédaction du présent amendement, mais supprimer l’article 10 A revient à renoncer à corriger une pratique, qui, elle non plus, n’est pas souhaitable.

C’est pourquoi le Gouvernement veut restaurer cet article dans sa rédaction initiale, tout en s’engageant à la corriger dans les prochaines semaines, de manière certaine d’ici à la nouvelle lecture à l’Assemblée nationale, pour prendre en compte les points que je viens d’évoquer.

Mme la présidente. Le sous-amendement n° 1700, présenté par MM. Guillaume, Vaugrenard, F. Marc et les membres du groupe socialiste et apparentés, est ainsi libellé :

Amendement n° 1646

I - Alinéa 5

Remplacer les mots :

autre que celles mentionnées aux chapitres V et VI du titre II du livre Ier du présent code, ou

par les mots :

autre que celles visées à l’article L. 341-4 et

II - Alinéa 10

Rédiger ainsi cet alinéa :

« Art. L. 341-4. – Les dispositions de l’article L. 341-1 ne sont pas applicables aux personnes morales de droit privé mentionnées aux chapitres IV, V et VI du titre II du livre Ier du présent code, ainsi qu’aux associations, sociétés civiles, sociétés commerciales ou coopératives regroupant des commerçants ou mettant à disposition les services mentionnés au premier alinéa de l'article L. 330-3, lorsque ces personnes sont majoritairement détenues, directement ou indirectement, par des personnes exploitant pour leur compte ou pour le compte d'un tiers au moins un magasin de commerce de détail sous l'une des enseignes de l'association, la société civile, la société commerciale ou la coopérative concernée. »

La parole est à M. Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard. Monsieur le ministre, j’ai bien pris note de votre volonté de voir le dialogue aboutir. Votre amendement tend à rétablir une mesure supprimée par la commission spéciale afin de renforcer la concurrence dans le secteur de la grande distribution, en facilitant les changements d’enseigne par les magasins indépendants. Nous sommes toutefois un peu surpris de ce rétablissement à l’identique.

Même si nous partageons la volonté de garantir la liberté d’exercice de leur activité par les commerçants liés à un réseau, nous sommes nombreux, au Sénat, à constater les dysfonctionnements provoqués par cette mesure, notamment l’inadaptation de celle-ci, si elle reste en l’état, pour les magasins organisés sous forme de coopérative. Vous venez d’ailleurs d’exprimer vos doutes sur ce point.

Nous continuons de penser qu’il serait préférable d’adopter des dispositions moins perturbatrices et mieux adaptées au commerce associatif et coopératif. C’est la raison pour laquelle nous proposons, à ce stade, d’exclure les coopératives du dispositif présenté par le Gouvernement.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. L’article 21 de la loi de modernisation de l’économie, la LME, de 2008 avait modifié l’article L. 441-6 du code de commerce relatif aux délais de paiement, avec pour objectif de réduire les délais de paiement interentreprises et de mieux sanctionner les abus.

Le rapport d’information fait par le Sénat en 2009 sur l’application de la LME montrait plutôt une incidence positive de cette nouvelle disposition. Aussi la commission spéciale pense-t-elle que revenir à la situation antérieure à 2008 constituerait une régression. C’est la raison pour laquelle elle émet un avis défavorable sur l’amendement n° 1052.

Monsieur le ministre, votre amendement n° 1646, sans surprise, ne tend qu’à rétablir le texte adopté par l’Assemblée nationale en première lecture, en limitant à neuf ans la durée des contrats conclus au sein des réseaux de distribution commerciale. Il vise également à prévoir que la résiliation du contrat d’affiliation entraîne la résiliation de l’ensemble des autres contrats qui y sont liés, afin d’améliorer la concurrence en matière d’affiliation des magasins indépendants à des grandes enseignes.

La commission spéciale, après de longs débats, a voté la suppression de l’article 10 A, car elle a identifié plusieurs problèmes qu’il était susceptible de poser. Pourtant, l’idée de renforcer la concurrence entre enseignes pour obtenir l’affiliation des commerçants indépendants est sans doute bonne.

Quels sont ces problèmes ?

Tout d’abord, le dispositif limite à neuf ans la durée d’affiliation pour l’ensemble des magasins, et pas seulement pour le commerce alimentaire, alors que, s’agissant du dispositif Lefebvre, l'Autorité de la concurrence ciblait plus spécifiquement son application aux commerces de grande distribution alimentaire. En l’occurrence, il y a une extension du champ concerné, puisque tout le commerce de détail serait concerné, alors que c’est dans le commerce alimentaire que se concentrent les difficultés. Or, à l’évidence, nous n’avons pas suffisamment de retour, ni d’étude d’impact pour pouvoir véritablement évaluer les effets de ce mécanisme sur les autres types de commerce.

Ensuite, je ne suis pas sûre que le dispositif change véritablement la donne. En effet, il ne me semble pas que le fait de remplacer une enseigne par une autre soit de nature à modifier vraiment les conditions de la concurrence. Je vous rappelle que l’Autorité de la concurrence a la possibilité, si une enseigne est en situation de position dominante, de la contraindre à céder certains points de vente.

Par ailleurs, les dispositions figurant dans l’amendement n° 1646 n’auront aucune conséquence sur les grands groupes de commerce intégrés, vous l’avez souligné. À l’inverse, elles perturberont le fonctionnement des groupes coopératifs, créant une distorsion de concurrence entre ces deux ensembles.

En outre, la durée d’affiliation est connue à l’avance par les acteurs. Si elle ne correspond pas aux investissements collectifs du groupe, les pénalités de sortie anticipée pourront être réduites, voire annulées, par le juge, qui, en cas de litige, veillera à l’équilibre des obligations des parties.

J’en viens au dernier point que la commission spéciale a voulu soulever concernant la concordance des durées des différents contrats : elle a observé que le cadre juridique actuel permettait déjà de la prévoir.

Je me permets de vous rappeler, monsieur le ministre, que la commission spéciale, lorsqu’elle a décidé de supprimer l’article 10 A, avait souhaité que les échanges puissent se poursuivre avec toutes les parties prenantes, afin d’aboutir à la présentation, en séance publique, d’un texte comportant des dispositions plus ciblées et moins perturbatrices pour le commerce franchisé, le commerce associatif et le commerce coopératif. Visiblement, en déposant un amendement tendant à rétablir le texte adopté par l’Assemblée nationale, vous manifestez votre refus de tout dialogue sur ce sujet. Vous comprendrez donc que la commission spéciale émette un avis défavorable sur cet amendement.

Pour ce qui concerne enfin le sous-amendement n° 1700, je reconnais qu’il pourrait paradoxalement recueillir un avis favorable de la commission spéciale. Malheureusement, celle-ci n’a pas pu l’examiner, vous le savez bien, puisque vous en êtes membre, monsieur Vaugrenard.

Ce sous-amendement tend à exclure les coopératives et les associations du champ de l’article L. 341-1 qu’il est proposé d’introduire dans le code de commerce et qui impose un terme commun à tous les contrats liant un commerçant à son réseau d’affiliation. Un traitement spécifique doit en effet être réservé aux coopératives et aux associations de commerçants dont la forme juridique particulière n’est pas prise en compte par la rédaction proposée pour l’article précité. Ce sous-amendement vise donc à répondre à l’une des critiques formulées par la commission spéciale à l’encontre du dispositif adopté par l’Assemblée nationale que M. le ministre souhaiterait rétablir.

Ce type de réseau de distribution recourt parfois à des contrats à durée indéterminée ou à des contrats à durée déterminée tacitement reconductibles, accessoires à la qualité de sociétaire. Or cette forme de contrat est rendue impossible par la rédaction proposée pour l’article L. 341-1, raison pour laquelle elle n’est pas satisfaisante. Néanmoins, ce sous-amendement pose certaines difficultés, car il tend à exonérer purement et simplement les associations et les coopératives de l’interdiction de proposer à leurs membres une pluralité de contrats dont les termes ne coïncideraient pas. C’est pourquoi la commission spéciale, qui s’est opposée à l’adoption d’amendements visant à instaurer un dispositif analogue, s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 1052 et le sous-amendement n° 1700 ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Le Gouvernement demande le retrait de l’amendement n° 1052, à défaut il émettra un avis défavorable.

En effet, la loi de modernisation de l’économie a tout de même permis, d’une part, de corriger la pratique des marges arrière observée auparavant et, d’autre part, de stabiliser les prix dans l’intérêt des consommateurs. J’en conviens, nous avons assisté, ces dernières années, dans un contexte déflationniste, à une guerre des prix parfois extrêmement nuisible aux fournisseurs, en particulier aux producteurs les plus fragiles.

Néanmoins, revenir sur la négociabilité des prix ne nous semble pas la bonne méthode, car cela nous ramènerait aux pratiques de la période antérieure, c’est-à-dire aux marges arrière qui n’étaient pas plus satisfaisantes pour les fournisseurs.

Avec la loi relative à la consommation, le Gouvernement a plutôt cherché à donner des marges de manœuvre aux fournisseurs en cours d’année. En effet, la négociabilité des prix empêchait de renégocier les prix, en particulier lorsque les cours des matières premières changeaient dans l’année. La loi susvisée prévoyait l’adoption d’un décret, qui a été publié : depuis le 1er mars dernier, les fournisseurs peuvent renégocier les prix dans l’année, dans un cadre bien défini, lorsque des changements substantiels du cours des matières premières interviennent. Cette disposition était très demandée par les fournisseurs, car elle permet de corriger l’un des effets pervers de la négociabilité des prix telle qu’elle existait.

Par ailleurs, la loi relative à la consommation nous a dotés de tous les moyens de contrôle permettant de détecter les dysfonctionnements potentiels intervenant dans le cadre de l’application de la loi de modernisation de l’économie. Ces moyens de contrôle ont été renforcés et la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, la DGCCRF, a été pleinement mobilisée sur ce sujet. Plusieurs contrôles ont donné des résultats, que j’ai communiqués aux intéressés, et des assignations ont été délivrées contre deux groupes de distribution auxquels nous reprochons des pratiques qui ne sont pas conformes à la loi.

Aujourd’hui, nous sommes parvenus à un équilibre qui n’est pas « moins-disant », si vous me permettez l’expression, mesdames, messieurs les sénateurs, par rapport à celui qui prévalait avant 2008. Nous avons amélioré les conditions de surveillance et pris en compte l’intérêt des producteurs et des fournisseurs avec l’aménagement introduit par le décret du mois de mars 2014.

Pour toutes ces raisons, j’invite les auteurs de l’amendement n° 1052 à le retirer, parce que revenir au statu quo ante en supprimant la négociabilité des prix nous ramènerait à la pratique antérieure des marges arrière, ce qui ne serait pas une bonne solution.

En ce qui concerne le sous-amendement n° 1700, j’ai eu l’occasion d’expliquer, en présentant l’amendement n° 1646, que j’approuvais votre démarche, monsieur Vaugrenard. Néanmoins, vous dépassez les objectifs que le Gouvernement s’est fixés, puisque vous excluez en totalité de la mesure le commerce associé ; or celui-ci doit, comme l’ensemble des secteurs visés par l’article initial, être concerné. Si je vous ai bien compris, comme le Gouvernement, vous estimez que cette mesure ne doit pas déstabiliser le fonctionnement du commerce associé et ses spécificités, en particulier les règles statutaires et le caractère d’adhérent à la coopérative.

Le Gouvernement continue à négocier – je veux rassurer sur ce point Mme la corapporteur –, en toute transparence, avec la Fédération des enseignes du commerce associé, la FCA, et l’ensemble des acteurs du secteur. Cependant, ces négociations n’ont pas encore permis d’aboutir à des résultats techniques pleinement satisfaisants. Je vous invite donc à retirer votre sous-amendement, monsieur le sénateur, tout en m’engageant à ce que la rédaction finale prenne en compte vos préoccupations et n’ait pas de conséquences négatives sur le fonctionnement de ces coopératives.

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote sur l’amendement n° 1052.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je partage l’analyse globale de la commission spéciale sur l’article 10 A. En effet, on ne peut pas comparer le commerce associé avec le commerce franchisé. Les franchisés sont locataires de services et de savoir-faire qui appartiennent au franchiseur. Les commerçants associés sont copropriétaires et deviennent donc codécideurs des choix stratégiques effectués par le groupe ; ils se portent aussi caution de toute une série d’engagements financiers pris par l’association des commerçants : ils sont par conséquent parties liées en termes de responsabilité commerciale ou financière, en cas de sortie d’un associé du réseau. Il faut donc traiter différemment sur le plan juridique la question des franchises et celle des commerces associés.

Dans les commerces associés, on trouve le sous-ensemble que constitue le fait coopératif, lequel, vous le savez, monsieur le ministre, est protégé par un droit européen, conforté en France par la loi relative à l’économie sociale et solidaire.

À cet égard, un vieux débat opposait l’Autorité de la concurrence au monde coopératif, car cette autorité, culturellement, considère trop souvent que les coopératives assurent des prestations de services qui peuvent être mises en concurrence entre les coopérateurs, ces derniers entrant et sortant comme ils veulent du système. L’Autorité de la concurrence refusait donc de reconnaître la spécificité de ce droit coopératif. Avec la loi relative à l’économie sociale et solidaire, nous avons insisté sur les clauses de retrait des coopérateurs, car ceux-ci ne peuvent pas être obligés de rester dans la coopérative : il faut par conséquent trouver un équilibre entre la liberté d’entrer et la liberté de sortir.

Un autre élément doit être pris en compte : du fait de l’affectio societatis, la liberté de sortie doit être prévue par les statuts, le règlement intérieur ou des systèmes de négociation, afin de garantir que l’affectio societatis des autres coopérateurs n’est pas menacée. C’est là que réside la difficulté du dispositif et c’est la raison pour laquelle je pense que la durée maximale de neuf ans est particulièrement courte, quand la coopérative engage des investissements importants au nom de ses membres.

J’ai bien compris que vous étiez conscient, monsieur le ministre, de la nécessité de traiter différemment ces sujets. Néanmoins, chat échaudé craint l’eau froide ! J’ai vu l’Autorité de la concurrence plaider plus souvent contre le droit coopératif qu’en sens inverse. Permettez-moi de vous dire que, si le Sénat maintenait la suppression de l’article 10 A, vous auriez ainsi l’occasion de travailler avec le monde coopératif. J’observe au passage que le Conseil supérieur de la coopération n’a pas été consulté sur cette disposition. J’espère que le Gouvernement pourra, en cas de nouvelle lecture, déposer à l’Assemblée nationale un amendement rédigé avec toutes les parties prenantes et je ne doute pas que bon nombre de mes collègues députés y seront sensibles, de même que le Sénat.

En l’état actuel des choses, monsieur le ministre, je le répète, l’Autorité de la concurrence et votre administration – du moins les services en charge de la concurrence et non pas ceux qui s’occupent de l’économie sociale et solidaire – ont toujours arbitré contre les spécificités du droit coopératif.

Mme la présidente. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, pour explication de vote.

Mme Élisabeth Lamure. Il a été question de la loi de modernisation de l’économie et je me sens donc un peu concernée, puisque j’ai eu le plaisir d’être le rapporteur de ce texte en 2008.

Je voulais préciser que nous n’avions pas l’intention, en adoptant cette loi, de libéraliser à tout prix les relations entre fournisseurs et distributeurs. Nous avons voulu fixer un cadre, en apportant toutefois une certaine souplesse pour éviter de tomber dans l’économie administrée. Néanmoins, il fallait intervenir pour rendre les relations plus saines, notamment en supprimant les marges arrière, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre.

Au mois de décembre 2009, soit un an et demi après l’adoption de la loi, j’ai rendu un rapport qui montrait que les résultats n’étaient pas satisfaisants. Deux raisons expliquaient ce constat : tout d’abord, notre pays venait de traverser une crise très grave qui avait particulièrement affecté son économie ; ensuite, les distributeurs ont fait preuve d’énormément de talent pour imaginer de multiples stratégies de contournement.

Aujourd’hui encore, les relations entre fournisseurs et distributeurs sont singulièrement dégradées ; nous aurions donc tout intérêt à adopter un certain nombre des amendements déposés sur le présent texte pour y remédier. En effet, la doctrine de la grande distribution se résume essentiellement au diktat des prix bas, ce qui fragilise et appauvrit l’ensemble de la chaîne économique.

Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 1052.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Marc, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 1700.

M. François Marc. Nous sommes face à deux positions.

D’un côté, il y a celle de la commission spéciale. J’ai bien entendu les arguments de Mme la corapporteur, qui a expliqué les raisons pour lesquelles il était opportun de surseoir et de ne pas retenir le dispositif issu des travaux de l’Assemblée nationale. Je partage l’essentiel de son argumentation.

De l’autre côté, vous nous proposez, monsieur le ministre, de rétablir sans changement un dispositif qui, vous l’avez reconnu vous-même, n’est pas satisfaisant. Il traite en effet à l’identique le statut des franchisés simples et celui des commerçants coopérateurs et associatifs.

Si l’article 10 A était adopté dans la rédaction retenue par l’Assemblée nationale, on sait bien que les conséquences seraient néfastes pour le modèle coopératif.

Je le rappelle, les commerçants associatifs ou coopératifs, par opposition aux franchisés, qui sont de simples utilisateurs des services de leur franchiseur, investissent dans leurs outils et partagent les risques en tant que copropriétaires de ces investissements, lesquels sont essentiels au fonctionnement de leur réseau.

En limitant à neuf ans la durée des contrats, on fragilisera ces réseaux en créant un manque de visibilité et une incertitude sur ces investissements, lesquels pourraient porter sur des périodes supérieures à neuf ans.

Cette inquiétude appelle une réaction, laquelle nous est proposée immédiatement : vous nous suggérez, monsieur le ministre, d’améliorer la rédaction de l’amendement n° 1646. Je considère, pour ma part, que le sous-amendement n° 1700 permettrait de résoudre cette difficulté à laquelle nous essayons de trouver une solution.

Il nous faut aussi veiller à préserver la concurrence en assurant la pérennité de la diversité des enseignes. Or des craintes pèsent sur le maintien de toutes ces enseignes, qui créent cette concurrence dans la distribution et contribuent aussi, sans doute, à la baisse des prix.

Mettre en place un système qui tend à concentrer davantage les enseignes, ce qui pourrait être la conséquence de la disposition en l’état, serait sans doute préjudiciable aux consommateurs, en termes tant de politique des prix que d’emploi. Nous ne pouvons que partager cette préoccupation.

Enfin, je crois que le modèle coopératif appelle un regard particulier. Marie-Noëlle Lienemann l’a dit à l’instant, et je souscris à certains de ses arguments. Il nous faut donc être vigilants quant à la préservation de ce modèle.

Pour conclure, monsieur le ministre, je rappelle qu’ont été évoqués le manque d’étude d’impact et la difficulté à évaluer les conséquences et les incertitudes qui entourent les hypothèses futures, au travers de la mise en œuvre d’un tel dispositif. Je tiens à dire, à cet égard, que d’autres ont procédé à des anticipations et à des simulations.

Je pense en particulier à Bank of America Merrill Lynch, qui a publié la semaine passée une recommandation financière et boursière, dont vous me permettrez de citer les termes : « La loi Macron prévoit de raccourcir les contrats de franchise et d’affiliation afin d’augmenter la concurrence. Merrill Lynch considère que les groupes intégrés comme Carrefour, Casino ou Auchan ont plus à gagner dans ce contexte que les autres réseaux coopératifs ou associatifs. En effet, la mesure pourrait offrir des opportunités d’acquisition de magasins indépendants ou de franchisés pour agrandir la force de frappe des distributeurs. »

On voit bien quelles pourraient être les conséquences d’un tel dispositif, si l’on n’y prêtait pas garde : une forme de dépeçage du réseau coopératif. Le sous-amendement n° 1700 permettrait, en apportant une réponse immédiate à cette difficulté, de prévenir ce risque et de rassurer les investisseurs, qui sont aujourd’hui dans l’attente. Nous avons en effet, les uns et les autres, été interrogés à ce sujet par des investisseurs : ils souhaitent savoir ce qui adviendra dans le secteur de la distribution.

Je préconise, pour ma part, dans l’hypothèse où l’amendement du Gouvernement devait être adopté, qu’il soit sous-amendé. Ce serait une bonne manière de rassurer l’ensemble de nos interlocuteurs.