Mme Françoise Laborde. Au cours des travaux de la commission spéciale, le rapporteur a souhaité compléter le chapitre du présent projet de loi relatif à la facilitation de la vie des entreprises en introduisant une disposition qui protège les actionnaires minoritaires de PME non cotées contre le risque d’abus de majorité.

En effet, il arrive trop fréquemment qu’une PME prenne des décisions contraires à ses intérêts sous la contrainte notamment d’un grand groupe qui la contrôle, au risque de limiter son développement, voire de mettre en danger son existence.

Pour notre part, nous souhaitons protéger les PME, qui sont des lieux privilégiés d’innovation et d’emploi propres à dissuader les formes de prédation économique, et réduire la différence de traitement entre ces entreprises et les sociétés cotées.

Fidèle à l’esprit du présent texte, les dispositions que nous proposons permettraient de combler, si elles étaient adoptées, une lacune du droit existant, de préserver nos PME et de favoriser le développement d’un tissu d’ETI mieux préparé pour affronter la concurrence internationale.

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Lamure, pour présenter l'amendement n° 280 rectifié.

Mme Élisabeth Lamure. Cet amendement identique est défendu.

M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces deux amendements identiques ?

M. François Pillet, corapporteur. Ces deux amendements ont déjà été rejetés par la commission. Ils visent à intégrer dans le code de commerce la notion jurisprudentielle, bien connue en droit des sociétés, d’abus de majorité dans le cas où les actionnaires prennent une décision contraire à l’intérêt de la société.

Introduire cette notion dans la loi ne me paraît guère utile, car il sera de toute façon nécessaire de saisir le juge pour faire constater un tel abus.

Par ailleurs, ces amendements créeraient des discordances juridiques. D’une part, ils ne concernent que les sociétés non cotées alors que l’abus de majorité intéresse également les sociétés cotées. D’autre part, ils n’intègrent pas la notion d’abus de minorité en cas de détention d’une minorité de blocage, alors qu’elle existe tout autant.

De plus, ces amendements ne caractérisent pas correctement la notion de majorité d’un point de vue juridique : la notion de contrôle par des actionnaires qui y figure ne correspond pas juridiquement à celle qui est définie dans l’article L. 233-3 du code de commerce.

Par conséquent, l’abus de majorité tel qu’il apparaît dans ces amendements risque de perturber et de fragiliser la jurisprudence en vigueur.

Un abus de majorité engage bien sûr la responsabilité des actionnaires concernés en application du droit général de la responsabilité, sans qu’il soit besoin de le préciser.

L’apport de l’amendement réside en réalité dans l’idée que les actionnaires qui commettraient un abus de majorité devraient racheter, dans un délai donné, les titres des autres actionnaires si leur responsabilité n’est pas recherchée au titre de l’abus de majorité, ce qui suppose implicitement que le juge ne soit pas saisi. Ce dispositif ne peut donc pas fonctionner puisque seul un juge pourrait, le cas échéant, constater l’abus. Les actionnaires à l’origine de l’abus ne le reconnaîtront évidemment pas d’eux-mêmes, rendant de ce fait inopérant le dispositif concernant le rachat des autres titres.

Sur le fond, les amendements visent à résoudre des difficultés – que certains cas particuliers ont pu mettre en lumière, d’où les critères retenus – résultant du financement insuffisant des PME françaises. Ces dernières sont souvent acculées à demander à de grandes entreprises d’entrer dans leur capital et d’accompagner leur développement, faute d’outils de financement suffisants en fonds propres. Elles acceptent alors souvent de passer sous leur contrôle, parfois à leur détriment. Pour autant, si une société accepte l’entrée d’une autre société à son capital, elle ne peut pas ignorer la volonté de ses actionnaires.

En conclusion, je doute que l’artifice du droit des sociétés que proposent les auteurs de ces deux amendements, a fortiori s’il est inopérant comme je le crains, puisse résoudre les difficultés de financement du tissu des PME françaises.

Telles sont les raisons pour lesquelles je demande le retrait de ces deux amendements. À défaut, la commission émettra un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 266 rectifié et 280 rectifié.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)

M. le président. L'amendement n° 325, présenté par MM. Joyandet et Charon, Mme Gruny, MM. Houpert et Raison et Mme Troendlé, est ainsi libellé :

Après l’article 64 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – Le 1 du I de l’article 244 quater F du code général des impôts est complété par les mots : « , collaborateurs libéraux et gérants non-salariés ».

II. – Les dispositions du I ne s'appliquent qu'aux sommes venant en déduction de l'impôt dû.

III. – Le présent article entre en vigueur le 1er janvier 2016.

IV. – La perte de recettes résultant pour l'État des I et II est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La parole est à M. Alain Joyandet.

M. Alain Joyandet. Le crédit d’impôt famille bénéficie actuellement uniquement aux entreprises qui ont des salariés. Les professions libérales et les gérants non-salariés ne peuvent y prétendre qu’à la condition que leur entreprise emploie des salariés en bénéficiant également.

Étrangement, ce dispositif écarte donc de nombreuses entreprises n’ayant pas de salariés, comme les professions libérales évidemment, mais aussi les gérants non-salariés, les entreprises individuelles, les artisans et les auto-entrepreneurs.

Le présent amendement vise donc à mettre fin à cette discrimination et à faciliter la vie des entreprises. Il est en effet injuste que l’accès des enfants aux structures d’accueil soit différent selon le statut professionnel de leurs parents. Exclure les artisans ou les créateurs d’entreprises, n’est-ce pas créer un système pour les grands groupes et exclure les petites structures ? Un créateur d’entreprise, quand il se lance, n’a-t-il pas plus besoin que les autres d’un peu de stabilité dans son organisation familiale ? Un imprévu de garde d’enfant ne perturbe-t-il pas la journée de travail d’une personne exerçant une profession libérale ?

Je précise également qu’une telle mesure n’entraînera aucun coût supplémentaire pour l’État, car le nombre de places dans les crèches inter-entreprises est limité. Elle permettra même de réaliser des économies, car les places non pourvues dans les crèches inter-entreprises pourront être financées par des entreprises individuelles. Des places dans de tels établissements coûtent évidemment moins cher que dans des crèches municipales, lesquelles sont entièrement financées par des fonds publics.

Cet amendement suscite une forte attente. Je pense à toutes celles et à tous ceux qui sont au chômage et qui souhaiteraient rejoindre le monde du travail, aux personnes, en particulier les femmes, qui veulent créer leur propre activité, sous le statut d’auto-entrepreneur ou sous toute autre forme, et qui n’ont pas de salarié. Ces personnes doivent avoir accès aux crèches, au même titre que les salariés ou les autres formes d’entreprises.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Catherine Deroche, corapporteur. Cet amendement vise à étendre le bénéfice du crédit d’impôt famille aux entreprises qui assurent un service de crèche pour les enfants à destination de leurs collaborateurs libéraux ou de leurs gérants non-salariés.

La commission a émis un avis favorable sur cet amendement qui tend à favoriser le développement des crèches d’entreprise pour un coût budgétaire limité.

Le crédit d’impôt famille est un crédit d’impôt à destination des entreprises. Il correspond à 50 % des dépenses réalisées par l’entreprise en vue de l’accueil direct des enfants de leurs salariés de moins de trois ans, ou à 25 % des aides de l’entreprise en vue de l’accueil des enfants à l’extérieur. Son coût est évalué à 70 millions d’euros pour 2015.

Cependant, l’assiette de ce crédit d’impôt est actuellement limitée.

Compte tenu de la dépense fiscale actuelle et du caractère limité de l’ouverture proposée, le coût de la mesure proposée ne devrait pas dépasser quelques millions d’euros.

En revanche, elle pourrait permettre de favoriser le développement des crèches d’entreprise ou des aides à l’accueil par des assistants maternels ou des crèches extérieures. Cela est d’autant plus justifié que les horaires de travail dans les petites entreprises et dans les sociétés libérales rendent nécessaire une prise en charge des enfants de l’ensemble des collaborateurs.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Je comprends votre objectif, monsieur le sénateur. Tel que vous l’avez présenté, votre amendement relève du bon sens. Du reste, il est difficile de s’opposer à ses présupposés.

Je ferai néanmoins trois objections.

Premièrement, le crédit d’impôt famille a été adopté dans la loi de finances de 2004 afin d’inciter les entreprises à prendre des mesures en faveur de leurs salariés. Je rappelle qu’il a été admis, par mesure de tolérance, que les dépenses engagées par une entreprise ayant pour objet de financer la création et le fonctionnement d’établissements destinés à assurer l’accueil des enfants de moins de trois ans de son personnel salarié, titulaire d’un contrat de travail, sont éligibles au crédit d’impôt, quand bien même ces établissements accueilleraient également les enfants du personnel non-salarié de l’entreprise, en particulier les gérants salariés ou les professions libérales.

Deuxièmement, contrairement à ce que vous avez dit, cette mesure aura évidemment un coût et représenterait une dépense publique que le Gouvernement n’a pas encore évaluée. Une telle mesure aurait en effet un caractère incitatif et permettrait aux entreprises qui ne sont pas aujourd’hui éligibles au crédit d’impôt famille d’en bénéficier. J’émets donc une réserve sur cet amendement pour cette raison.

Troisièmement, la réforme que vous proposez suppose évidemment une discussion préalable avec l’ensemble des parties prenantes concernées, notamment les différents acteurs participant au financement de ces crèches.

Ce type de mesures doit en effet s’inscrire dans une politique globale d’accueil des très jeunes enfants. Elle doit ainsi tenir compte des modalités de financement des places en crèches, qu’elles soient publiques ou privées. À cet égard, vous savez sans nul doute que la branche famille de la sécurité sociale reste l’un des principaux contributeurs au financement des crèches. Il s’agit de deniers publics.

Pour toutes ces raisons, bien qu’il soit nécessaire de traiter ce sujet, et même si je partage l’objectif qui est le vôtre, monsieur le sénateur, j’émets un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet, pour explication de vote.

M. Alain Joyandet. Je tiens beaucoup à cet amendement, dont l’adoption me paraît nécessaire au moment où nous nous efforçons de soutenir nos TPE et nos PME et alors que ceux qui s’engagent, le plus souvent seuls, dans la création d’entreprise, en particulier les femmes, rencontrent un certain nombre de problèmes sociaux.

Monsieur le ministre, si j’ai expliqué que l’extension du crédit d’impôt famille aux professions libérales et aux gérants non-salariés aurait un coût nul, c’est parce que le nombre de places est aujourd’hui limité et qu’on ne construira pas du jour au lendemain des places supplémentaires. À la vérité, il s’agit seulement de rendre l’accès à ces places équitable, afin que les entrepreneurs qui n’ont pas de salarié ne soient plus pénalisés par rapport à ceux qui en ont un ou deux.

De très nombreuses petites entreprises attendent cette mesure de bon sens et d’équité, destinée seulement à mettre fin à une discrimination dont on ne comprend pas très bien qu’elle n’ait pas été corrigée d’emblée, lorsque ce crédit d’impôt a été instauré.

J’invite donc résolument le Sénat à adopter cet amendement cosigné par plusieurs de nos collègues, dont Mme Gruny ici présente, et auquel la commission spéciale s’est déclarée favorable, ce dont je la remercie. Je remercie également M. le ministre qui, s’il a émis une réserve de forme, n’a pas contesté le bien-fondé de notre amendement.

M. Jean Desessard. Il a aussi parlé de son coût !

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 325.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 64 bis.

L'amendement n° 473, présenté par M. Desessard et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :

Après l’article 64 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Après le troisième alinéa de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« ...° Les infractions définies aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts. »

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Le présent amendement vise à prévenir la fraude et l’optimisation fiscales, qui coûtent à la France entre 60 et 80 milliards d’euros chaque année.

L’optimisation fiscale est le fait de grandes entreprises, mais aussi de cabinets de conseil réalisant des montages complexes en vue de permettre à des particuliers ou à de petites et moyennes entreprises de placer leur argent dans des paradis fiscaux.

Sur internet, voire par démarchage téléphonique, de nombreuses entreprises proposent des solutions pour payer moins d’impôts. Ces encarts publicitaires et ces sollicitations ont aujourd’hui tendance à se multiplier. On ne voit pas encore de publicité dans les stades, mais cela viendra peut-être, d’autant que certains sportifs professionnels en profiteraient volontiers… Il est vrai qu’ils ont déjà leurs canaux !

Nous estimons que le législateur doit durcir les sanctions contre les auteurs de publicités incitant à la fraude, ainsi qu’il l’a fait pour les fraudeurs eux-mêmes à la faveur de la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière.

Certes, l’optimisation n’est pas la fraude.

M. François Pillet, corapporteur. Exactement !

M. Jean Desessard. Reste que la frontière est ténue, et que nous devons veiller à son étanchéité en renforçant les sanctions.

Mme Catherine Deroche, corapporteur. Il me semble que la frontière est très nette.

M. Jean Desessard. Dans cet esprit, nous proposons que l’incitation à la fraude fiscale soit punie de la même peine que l’incitation à attenter à la vie ou à commettre des vols ou des destructions, soit cinq ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

La sanction doit être dissuasive si nous voulons qu’elle soit suivie d’effets !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, corapporteur. La commission spéciale a rejeté cet amendement.

L’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse réprime l’incitation aux atteintes volontaires à la vie ou à l’intégrité des personnes et de leurs biens ; il punit cette infraction de cinq ans de prison et de 45 000 euros d’amende. Prévoir une peine similaire pour l’incitation à la fraude fiscale, qui à l’évidence ne se situe pas sur le même plan, soulève un problème de proportionnalité.

Par ailleurs, la disposition proposée par M. Desessard n’a peut-être pas sa place dans le présent projet de loi, nonobstant l’éclectisme de celui-ci.

Dans ces conditions, je sollicite le retrait de l’amendement n° 473 ; s’il est maintenu, j’y serai défavorable.

Réfléchir à l’instauration d’un délit de ce type n’est pas illégitime, mais suppose de préciser la définition de la fraude fiscale, qui, contrairement à l’optimisation fiscale, est hors-la-loi. Il convient également de veiller à la proportionnalité de la peine prévue. Il est vrai que, depuis quelque temps, la proportionnalité des peines est largement mise à mal par notre code pénal ; c’est pourquoi les membres de la commission des lois répètent régulièrement qu’il faudra très rapidement réétudier l’échelle des peines pour restaurer leur proportionnalité globale, qui a été perdue.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis.

M. Jean Desessard. Je retire mon amendement, monsieur le président.

M. le président. L’amendement n° 473 est retiré.

L'amendement n° 731 rectifié, présenté par Mme Imbert, MM. D. Laurent, Trillard, Mouiller, Vasselle, Pellevat, Milon et Vogel, Mmes Morhet-Richaud et Procaccia, MM. Husson, Morisset, Mandelli, Lefèvre et Laménie et Mme Lamure, est ainsi libellé :

Après l’article 64 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

I. – L’article L. 931-14-1 du code de la sécurité́ sociale est ainsi rédigé́ :

« Art. L. 931-14-1. – Sont exemptées des obligations mentionnées à l’article L. 823-19 du code de commerce :

« 1° Les personnes et entités contrôlées au sens de l’article L. 233-16 du même code lorsque la personne ou l’entité́ qui les contrôle s’est volontairement dotée d’un comité spécialisé au sens et selon les modalités de l’article L. 823-19 dudit code ;

« 2° Les personnes et entités liées à un organisme de référence au sens du 1° de l’article L. 933-2 lorsque l’organisme de référence est lui-même soumis à ces obligations ou s’est volontairement doté d’un comité spécialisé au sens et selon les modalités de l’article L. 823-19 du code de commerce. »

II. – L’article L. 212-3-1 du code de la mutualité est ainsi rédigé :

« Art. L. 212-3-1. –Sont exemptées des obligations mentionnées à l’article L. 823-19 du code de commerce :

« 1° Les personnes et entités contrôlées au sens de l’article L. 233-16 du même code lorsque la personne ou l’entité qui les contrôle s’est volontairement dotée d’un comité spécialisé au sens et selon les modalités de l’article L. 823-19 dudit code ;

« 2° Les personnes et entités liées à un organisme de référence au sens du 1° de l’article L. 212-7-1 lorsque l’organisme de référence est lui-même soumis à ces obligations ou s’est volontairement doté d’un comité spécialisé au sens et selon les modalités de l’article L. 823-19 du code de commerce. »

La parole est à Mme Corinne Imbert.

Mme Corinne Imbert. Cet amendement vise à harmoniser les rédactions du code de la sécurité sociale, du code de la mutualité et du code des assurances en ce qui concerne le comité d’audit que l’ordonnance du 8 décembre 2008 a rendu obligatoire pour les entreprises d’assurance, les mutuelles régies par le code de la mutualité et les institutions de prévoyance relevant du code de la sécurité sociale.

Cette ordonnance prévoit que le conseil d’administration d’une entreprise d’assurance, d’une mutuelle ou d’une institution de prévoyance n’est pas tenu de mettre en place un comité d’audit dès lors que celle-ci appartient à un groupe dont l’entité de tête s’est dotée d’un tel comité en application d’une obligation légale.

La loi du 22 octobre 2010 de régulation bancaire et financière prévoit que, si une entité de tête se dote volontairement d’un comité d’audit en respectant les conditions prévues par le code de commerce, une entreprise d’assurance contrôlée par cette entité n’est pas tenue de constituer elle aussi un tel comité.

Or si le code des assurances a été aménagé en ce sens, le code de la sécurité sociale et le code de la mutualité ne l’ont pas été en 2010. L’objet du présent amendement est de procéder à l’harmonisation nécessaire en prévoyant le cas où une entité de tête contrôlant des mutuelles ou des institutions de prévoyance se dote volontairement d’un comité d’audit.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. François Pillet, corapporteur. Cet amendement vise à réparer un oubli de la loi du 22 octobre 2010. Comme souvent lorsque des dispositions sont prises relativement à l’organisation des entreprises d’assurance, il y a lieu de prendre des dispositions similaires pour les mutuelles, ce qui n’a pas été fait à l’époque. L’avis de la commission spéciale est donc favorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 731 rectifié.

(L'amendement est adopté.)

M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 64 bis.

L'amendement n° 826 rectifié bis n'est pas soutenu.

L'amendement n° 1492 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Après l’article 64 bis

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La loi n° 48-824 du 14 mai 1948, réglementant l’emploi de la dénomination de qualité « fait main » et l’emploi de l’expression « bottier » dans l’industrie et le commerce est abrogée.

La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Il est défendu, monsieur le président.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Dans un premier temps, la commission spéciale a émis un avis favorable sur cet amendement, mais nous avons ensuite tenu à nous renseigner sur les réalités de terrain. Or les témoignages des professionnels que nous avons consultés nuancent fortement les indications du Gouvernement.

En effet, les méthodes de fabrication décrites par la loi du 14 mai 1948 réglementant l’emploi de la dénomination de qualité « fait main » et l’emploi de l’expression « bottier » dans l’industrie et le commerce semblent n’être en aucun cas périmées ou désuètes ; au contraire, elles correspondraient parfaitement aux procédés de fabrication utilisés par nos plus prestigieux fabricants. Mieux encore : ces techniques susciteraient aujourd’hui un regain d’engouement, en particulier auprès des jeunes en formation.

De plus, l’abrogation proposée par le Gouvernement ne semble pas justifiée par un inconvénient économique bien identifié.

Il semble en réalité que l’un des bureaux de la Commission européenne ait exprimé un doute juridique sur la législation de 1948.

M. Jean Desessard. Et voilà !

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Dans cette hypothèse, il serait préférable de faire valoir les arguments que je viens d’exposer pour démontrer que cette loi est tout le contraire d’un frein à l’activité. Il serait dommage de céder sans combattre en qualifiant de désuète une méthode de fabrication bien vivante, ainsi que le fait le Gouvernement dans l’objet de son amendement.

Compte tenu de ces observations, je souligne à titre personnel qu’un très sérieux doute entoure le bien-fondé de cet amendement. En ce qui me concerne, je ne voterai pas l’abrogation d’une loi à la fois opérationnelle et mobilisatrice, qui marque la reconnaissance du législateur pour toute une profession qui y est particulièrement attachée ! (M. le ministre rit.)

M. Marc Daunis. Voilà un argumentaire « fait main » ! (Sourires.)

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. J’appuie la position de Mme la rapporteur, qui nous a expliqué que l’abrogation de la loi du 14 mai 1948 visait à satisfaire une demande européenne.

Pourquoi donc un écologiste s’intéresse-t-il à cette question ? Parce que, pour lui, notre avenir économique passe par des produits et des services de qualité non seulement dans l’alimentaire, mais dans tous les secteurs. Nous ne nous en sortirons jamais en fabriquant des produits bas de gamme à faible coût !

La qualité est pour notre économie un ressort de développement d’autant plus puissant qu’elle est associée à l’image de la France dans le monde, qui est très bonne dans les domaines du luxe et de l’élégance. Quel pays peut-il prétendre que ses produits ont une meilleure image que les nôtres dans ces domaines ? À nous, mes chers collègues, de cultiver cette image en privilégiant des produits d’une qualité certifiée !

Comme Mme la rapporteur, j’ai voulu prendre des renseignements. Je me suis donc intéressé à la maison Berluti. (Exclamations amusées.)

M. Jean-Pierre Grand. Vous vous êtes souvenu de Roland Dumas !

M. Jean Desessard. Je vois que certains de nos collègues jettent un œil sur mes chaussures… Je ne porte pas de Berluti et, soyez tranquilles, je n’en porterai pas davantage dans les mois qui viennent. Pas de cadeau ! (Sourires.)

On lit dans l’objet de l’amendement du Gouvernement que la fabrication des chaussures « nécessite systématiquement le recours à des machines ». Or une brochure de Berluti que j’ai sous les yeux prouve que cela est faux. On y trouve décrite la fabrication de chaussures assemblées à la main et personnalisées. On apprend ainsi que c’est dans une pièce en bois de charme, un bois dur et dense, que le formier sculpte progressivement la forme du soulier avec son paroir, une forme ensuite affinée à la râpe ou au papier de verre ; que le patronnier recouvre la forme d’une toile adhésive sur laquelle il dessine le modèle ; que cette toile adhésive est ensuite décollée, avant que le modèle ne soit reproduit sur un patron en carton.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Vous pourriez peut-être abréger !

M. Jean Desessard. La brochure indique que c’est de ce patron que le coupeur découpe au trancher les pièces de cuir. Je vous fais grâce, mes chers collègues, de l’essayage. (Sourires.)

M. Marc Daunis. Dommage !

M. Jean Desessard. Vient ensuite le montage, au cours duquel le monteur et le bottier assemblent les pièces à la main sur la forme en bois. Je ne dirai rien de la patine et de la livraison, mais vous constatez, mes chers collègues, qu’il n’est à aucun moment question d’une machine. Voilà une entreprise française où tout est fait à la main !

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Emmanuel Macron, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, j’aurais préféré vous faire grâce d’une longue tirade sur les bottiers, mais vous n’avez pas résisté au plaisir de la provoquer… (Sourires.)

La description que M. Desessard vient de faire illustre le caractère particulièrement contraignant de la loi du 14 mai 1948, dont le Gouvernement propose l’abrogation. Tel qu’il y est défini, le « fait main » suppose que l’intégralité de la fabrication soit assurée à la main et interdit le recours au moindre instrument d’automatisation, à quelque stade de la chaîne que ce soit.

Si le Gouvernement vous propose cette mesure de simplification, c’est non pas pour faire de la moins bonne qualité, mais parce que, contrairement à Berluti, de nombreux artisans seront exclus de cette certification, faute d’avoir les moyens de suivre un processus aussi luxueux et de pouvoir vendre des chaussures aussi coûteuses.

Or la définition du « fait main » n’est pas aussi contraignante dans les autres pays européens. Ainsi, en Italie, le « fatto a mano » permet à de nombreux bottiers italiens de suivre un processus dont une partie n’est pas totalement assurée à la main, contrairement à ce qui se passe pour les souliers de Berluti, dont il ne vous aura pas échappé qu’ils ne sont pas les meilleurs marché. Une telle définition permet de qualifier de « faites à la main » des chaussures d’un prix raisonnable qui ne sont pas en totalité fabriquées à la main.

Je ne vous cache pas, mesdames, messieurs les sénateurs, que la disposition proposée par le Gouvernement ne me paraît pas être la plus importante du projet de loi.