M. Jacques Mézard. Au lieu de cela, nous avons eu droit à un salmigondis de textes et de déclarations parfois peu cohérents.

Cela a commencé avec la loi MAPTAM, que nous avons soutenue et votée ici après un long débat. Elle a introduit le rétablissement de la clause de compétence générale, que nous n’avons pas voté, avant que vous ne supprimiez de nouveau celle-ci.

Nous avons voté contre la loi relative à l’élection des conseillers départementaux créant les fameux binômes. Le ministre de l’intérieur de l’époque, puis le Président de la République, à Tulle, en janvier 2014, avaient rappelé que « le département est un échelon de proximité essentiel, un échelon républicain par excellence ». Et puis, patatras ! Quelques mois plus tard, le 19 juin 2014, ce fut l’examen en conseil des ministres du projet de loi relatif à la fusion des régions et du projet de loi NOTRe, dont l’exposé des motifs, encore aujourd’hui, vise expressément la suppression des conseils départementaux à l'horizon 2021.

Il est évident que créer arbitrairement treize grandes régions tout en supprimant les conseils départementaux bouleverserait tous les équilibres territoriaux. Je vous recommande au passage la lecture de l’étude de France Stratégie, organisme dépendant de Matignon, sur la réforme territoriale et la cohérence économique. Elle met en évidence le fait que certains départements, en premier lieu celui, massacré par cette réforme, que j’ai l’honneur de représenter, n’ont strictement rien à faire dans leur nouvelle région.

Avec le groupe du RDSE et le président du parti radical de gauche, Jean-Michel Baylet, nous avons mené une action forte pour préserver l’existence des départements, en en faisant une condition de la participation de représentants de notre sensibilité au Gouvernement.

Le Premier ministre nous a entendus, ainsi que vous, madame la ministre. Nous vous en savons gré. C’était la sagesse, car on ne réalise pas un tel bouleversement sans un large consensus, à l’exemple de celui qui a prévalu lors du vote de la loi Chevènement.

Reste la question de la répartition des compétences entre régions et départements. Comment voulez-vous que des compétences de proximité puissent être exercées par des exécutifs régionaux distants de plusieurs centaines de kilomètres ? Regrouper la gestion des collèges et des lycées pourrait avoir un sens, mais confier aux régions les compétences en matière de voirie départementale et de transports scolaires nous a paru aberrant. Manifestement, votre position sur la voirie a en partie évolué. C’est une bonne chose. Permettre aux régions de participer financièrement pour des itinéraires d’intérêt régional serait aussi un progrès.

Reste également la question des transports scolaires, sur laquelle nous vous demandons instamment de revoir votre position. Nous vous demandons aussi de bien vouloir considérer, à propos d’autres sujets, comme le tourisme, qu’éloignement et proximité sont antagonistes… (Sourires.)

Concernant les conférences territoriales, que vous promouvez au nom de la coopération, nous n’y sommes pas favorables. Organisées autour des présidents de conseil régional, ces instances ne peuvent être qu’un instrument de pouvoir aux mains de ces derniers ou un lieu de bavardage, ou encore les deux ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)

M. Antoine Lefèvre. Ce sera les deux !

M. Jacques Mézard. Quant aux fameux schémas, madame la ministre, cessez d’obliger les élus locaux à en fabriquer une foultitude !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Il en existait trente, il n’y en aura plus que deux !

M. Jacques Mézard. Si vous voulez de la simplification, vous ferez œuvre utile en en limitant le nombre et en évitant qu’ils ne soient prescriptifs. En effet, à nos yeux, des schémas prescriptifs imposés par la région sont contraires à l’article 72 de la Constitution, qui dispose qu’« aucune collectivité territoriale ne peut exercer une tutelle sur une autre » ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et de l'UMP.)

J’en viens à la question des intercommunalités : quelle mouche vous a donc piquée, madame la ministre, pour que vous vouliez imposer arbitrairement un seuil de 20 000 habitants ?

M. Bruno Sido. La mouche tsé-tsé !

M. Jacques Mézard. Dans vos déclarations, vous évoquiez la diversité des territoires ; dans la pratique, vous fixez un seuil, le même pour tous les départements, qu’ils comptent 1 million d’habitants ou 70 000.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Non !

M. Jacques Mézard. Heureusement que le texte prévoit désormais des dérogations !

Pourquoi 20 000 habitants plutôt que 40 000 ? En réalité, cette mesure découle de l’idée de créer de « grandes régions » et de supprimer les départements. Ce chiffre de 20 000 habitants n’a pas été fixé à la suite d’une concertation avec les élus nationaux et locaux ; il s’agit d’une décision totalement arbitraire de l’exécutif, que vous avez tenté de conforter en commandant, le 24 juin 2014, un rapport à Mme la commissaire générale à l’égalité des territoires, laquelle vous a évidemment appuyée en fixant pour objectif de ramener à moins de 1 000 le nombre d’intercommunalités et en proposant de transférer les clauses de compétence générale des communes aux intercommunalités, dont les exécutifs « seraient élus au suffrage universel direct ». En bons petits soldats, les députés ont immédiatement recopié les conclusions de cette étude !

M. Bruno Sido. Les godillots !

M. Jacques Mézard. Soyons clairs : faire confiance à l’intelligence territoriale, faciliter les fusions d’intercommunalités au-dessus de 5 000 habitants, oui ; favoriser la création de communes nouvelles, oui, mais dans la liberté. Quant à l’élection des conseillers communautaires au suffrage universel, disons-le nettement, c’est la fin des communes ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)

Madame la ministre, vous ne comprendriez pas que je quitte la tribune sans avoir parlé du Haut Conseil des territoires, pour réaffirmer l’opposition unanime des membres de mon groupe à la création de ce nouveau « machin » ou d’un quelconque succédané.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Parlez-en à l’Association des maires de France !

M. Jacques Mézard. La création du Haut Conseil des territoires serait un acte de défiance à l’égard du Sénat de la République, qui, en vertu de la Constitution, représente les collectivités territoriales. Les associations d’élus, dans leur diversité et leurs contradictions, ont leur utilité, mais elles n’ont pas vocation à se substituer au Sénat !

Vous aviez pris ici l’engagement de renoncer à la création de cette instance, rejetée presque unanimement par le Sénat, mais vous avez finalement appliqué la maxime selon laquelle les promesses n’engagent que ceux qui les reçoivent.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Mais non !

M. Jacques Mézard. La manœuvre exécutée à l’Assemblée nationale n’honore pas ses auteurs ni ses complices. De fait, le rétablissement du Haut Conseil des territoires par la voie de l’adoption d’un amendement dont le dépôt a été suscité par le rapporteur, M. Dussopt, avec la complicité d’un député de l’UMP et d’une députée socialiste, était manifestement orchestré !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Adressez-vous à l’AMF !

M. Jacques Mézard. Madame la ministre, le 18 février dernier, devant l’Assemblée nationale, vous avez tenu les propos suivants : « J’avais quant à moi beaucoup appuyé l’excellente idée du rapporteur. Or les sénateurs […] refusent l’existence d’un Haut Conseil des territoires. Ils estiment en effet que c’est leur travail. […] Pour répondre à cette malheureuse position du Sénat, le Premier ministre a donc proposé, pour l’application de la loi MAPTAM, la création d’une instance, le Dialogue national des territoires. »

Mme Marylise Lebranchu, ministre. J’assume !

M. Jacques Mézard. Interrogée ensuite sur l’avis du Gouvernement, vous avez répondu ceci : « Il ne peut qu’être favorable à l’idée, mais il est défavorable à l’appellation choisie par les auteurs de ces amendements, puisqu’il en a inventé une nouvelle ! » (M. Pierre-Yves Collombat s’esclaffe.)

C’est, tout bonnement, se moquer de nous… Madame la ministre, nous voulons obtenir l’engagement que cela ne se produira plus, et qu’il soit définitivement renoncé à la création du Haut Conseil des territoires, sous une forme ou sous une autre ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées de l'UDI-UC et de l'UMP.)

Le groupe RDSE arrêtera sa position définitive en fonction de l’attention que vous porterez aux différents points que j’ai évoqués. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.

M. Michel Mercier. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les corapporteurs, mes chers collègues, la position des sénatrices et des sénateurs centristes n’est pas plus facile à exposer au Sénat que celle des membres des autres groupes, d’autant que, loin de vouloir simplement nous opposer, nous sommes soucieux d’adopter une attitude constructive.

Élus locaux comme la plupart des membres de cette assemblée, les sénatrices et les sénateurs centristes vivent la diversité de nos territoires au quotidien.

Madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, nous aimerions que cette loi soit la dernière en matière d’organisation des territoires. (M. Philippe Dallier s’exclame.)

M. Jean-Claude Lenoir. Vous rêvez !

M. Michel Mercier. Que l’on attende un peu avant de revenir sur le sujet des métropoles d’Aix-Marseille-Provence ou du Grand Paris ! Que l’on marque une pause ! Les élus locaux sont saturés de réformes, ils n’en peuvent plus,…

M. Philippe Kaltenbach. Pour ça, vous avez raison !

M. Michel Mercier. … d’autant que nous sommes en train de défaire ce que nous avons fait il y a six mois… (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.) Tâchons donc d’aboutir à un résultat qui leur permette de souffler !

Pour cela, que nous le voulions ou non, nous devons trouver un accord avec nos collègues de l’Assemblée nationale. Ce que je dis là peut paraître une abomination, j’en ai bien conscience, mais nous devons considérer la situation avec pragmatisme.

Notre rôle n’est pas de bâtir un conservatoire des collectivités territoriales : il s’agit au contraire de les adapter à la réalité vécue par nos concitoyens, à leurs besoins et à leurs formes de vie actuelles, qui ne sont pas les mêmes qu’il y a dix, vingt ou trente ans. Nos concitoyens attendent que nous fassions évoluer les collectivités territoriales pour qu’elles leur rendent les meilleurs services, suivant le principe d’adaptation qui est au fondement même de l’idée française de service public.

M. René Vandierendonck, corapporteur. Très bien !

M. Michel Mercier. Telle était la conception de Léon Duguit. La vraie fidélité est non pas dans la perpétuation de l’existant, mais dans son adaptation en vue d’une plus grande utilité. C’est dans cet esprit que nous devons nous efforcer de bâtir les structures territoriales de demain, en fonction de la réalité vécue, sans vouloir changer pour changer, mais sans parti pris d’immobilité.

J’aime la notion de « territoire vécu », qui ne coïncide pas avec celle de bassin de vie. On habite à un endroit, on envoie ses enfants au collège ou au lycée dans un autre, on travaille ailleurs encore, au sein de ce qui constitue le territoire vécu. Regroupe-t-il 20 000 habitants, 15 000 ou moins encore ? La réponse varie d’un territoire à l’autre, mais nous devons prendre en compte la réalité telle qu’elle est pour aider nos concitoyens à être un peu plus heureux, ce qui est tout de même la finalité de toute politique ! (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC. – Mme Annie Guillemot et M. Ronan Dantec applaudissent également.)

M. Michel Mercier. Notre groupe porte sur ce projet de loi un regard pragmatique. Certains de ses aspects ne nous conviennent pas. À vrai dire, je crois que les députés se sont un peu amusés, et que c’est surtout pour nous exciter qu’ils ont réintroduit le Haut Conseil des territoires…

M. Philippe Kaltenbach. Apparemment, ils y ont réussi !

M. Michel Mercier. Raison de plus pour cesser d’en parler, car nous leur donnons raison en revenant sur le sujet ! Contentons-nous de dire, calmement mais fermement, que nous n’en voulons pas. Disons-le aussi à l’adresse de l’AMF, qui promeut également l’idée de la création d’un Haut Conseil des territoires.

M. René Vandierendonck, corapporteur. Très bien !

M. Michel Mercier. Je le dis, en particulier, à mon ami Jacques Pélissard, qui est un vieux copain de faculté !

Mme Annie Guillemot. Ce n’est plus lui qui préside l’AMF !

M. Michel Mercier. Je le sais bien, madame le maire de Bron, mais M. Pélissard n’en est pas moins l’inspirateur du projet de création d’un Haut Conseil des territoires !

De même, affirmons sereinement et calmement notre opposition à l’élection au suffrage universel direct des conseillers communautaires, sans y revenir encore et encore : passons aux choses concrètes, consacrons-nous à élaborer un texte qui permette à nos territoires de bien vivre.

Je tiens à féliciter les membres de la commission des lois, en particulier nos deux corapporteurs, qui n’ont pas ménagé leurs efforts pour rechercher – tâche difficile ! – un équilibre entre les points de vue des uns et des autres.

Il y a un point sur lequel je me démarque un peu de leur position : les délégations m’inspirent des réserves. En effet, attribuer une compétence à un niveau de collectivités territoriales tout en laissant à celui-ci la possibilité d’en déléguer l’exercice à un autre ne me paraît pas de très bonne méthode, dans la mesure où nos concitoyens veulent savoir précisément qui fait quoi en pratique, et ne s’intéressent pas à la répartition théorique des compétences. Celui qui a reçu une compétence doit se débrouiller pour l’exercer, après quoi les électeurs jugeront !

M. Bruno Sido. Bien sûr !

M. Michel Mercier. On le voit, le groupe centriste aborde la deuxième lecture de ce projet de loi avec le souci de tenir compte des réalités.

Certaines questions, tout en étant techniques, sont hautement politiques. Il en est ainsi de celle du seuil de population des intercommunalités, qui est assurément une affaire compliquée. Pourquoi instaurer un seuil, étant donné que, dès qu’on en a fixé un, on voit bien qu’il faut prévoir des exceptions ? (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.)

M. Charles Revet. Il faut laisser aux communes la liberté de s’organiser !

M. Michel Mercier. La commission des lois a adopté une position claire et parfaitement logique : elle propose d’en rester au seuil de 5 000 habitants instauré, sauf pour les zones de montagne, par la loi du 16 décembre 2010. Je suis assez favorable à cette solution, mais il va falloir trouver un accord. Je pense que l’on y arrivera si sénateurs et députés font preuve d’esprit de responsabilité et s’attachent à répondre aux attentes des élus locaux, qui éprouvent une profonde lassitude.

Un seuil de 20 000 habitants me semble trop élevé. On peut sans doute trouver un accord sur un chiffre inférieur, en prévoyant là encore des adaptations aux réalités des territoires. À cet égard, il faut redonner du pouvoir aux élus locaux, en particulier aux commissions départementales de la coopération intercommunale, pour qu’ils puissent participer à la fixation du seuil.

Pour conclure, je voudrais dire qu’il ne faut pas réformer en fonction des dotations de l’État.

M. Bruno Sido. Bien sûr !

M. Pierre-Yves Collombat. Il n’y en aura bientôt plus !

M. Michel Mercier. Je suis souvent invité, dans toute la France, pour parler des communes nouvelles. Il existe actuellement 234 projets, dont certains seulement aboutiront. Je dis toujours aux maires intéressés par cette formule de ne pas la choisir en raison des dotations octroyées par l’État, car demain il n’y en aura plus !

M. Bruno Sido. C’est vrai !

M. Michel Mercier. Vraiment, je crois qu’il faut se garder de prendre des décisions en fonction des bonifications de DGF. L’Assemblée nationale en a adopté une pour inciter à faire des économies en matière d’éclairage public. Il faut prendre des mesures adaptées aux réalités des territoires, sans mélanger aspects structurels et aspects financiers. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je commencerai par féliciter la commission des lois, en particulier son président et ses corapporteurs, pour l’excellent travail accompli de nouveau sur un texte difficile.

En vous écoutant, madame la ministre, je me suis demandé si vous parliez bien du projet de loi qui nous est soumis, tant votre propos m’a paru irénique, en décalage avec la réalité.

Dans la plupart de nos départements, depuis plusieurs mois, nous voyons les préfets presser le pas, exercer des pressions sur les élus,…

M. Bruno Sido. Exactement !

M. Bruno Retailleau. … en faisant comme si rien ne se passait au Parlement, comme si le seuil de 20 000 habitants pour la constitution des intercommunalités était gravé dans le marbre et comme si le calendrier initialement inscrit dans le projet de loi pour la révision des schémas intercommunaux n’avait pas été modifié. Madame la ministre, considérez-vous que le travail de l’Assemblée nationale et celui du Sénat servent à quelque chose ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Oui !

M. Bruno Retailleau. Des consignes ont-elles été données aux préfets ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Non !

M. Bruno Retailleau. Dans ce cas, donnez-leur-en vite pour les ramener au bon sens républicain !

M. Roger Karoutchi. Une bonne circulaire, et c’est réglé !

M. Bruno Retailleau. À la vérité, l’attitude des préfets illustre à merveille la méthode qui a été suivie depuis le début de l’élaboration de ce texte, dont il faut se souvenir qu’il a été écrit sur un coin de la table par le Président de la République,…

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Non !

M. Bruno Retailleau. … après quelques coups de téléphone à des amis éléphants.

Aujourd’hui, le projet de loi revient au Sénat en deuxième lecture. Nous allons y travailler et j’espère que nous pourrons ensemble le modifier afin de remédier à ses trois défauts majeurs.

Premier défaut : cette réforme ne présente, pour le moment, aucune audace décentralisatrice. Comme Jean-Jacques Hyest l’a indiqué tout à l'heure, il s’agit de la première réforme territoriale dénuée de toute ambition décentralisatrice, notamment en matière de politique de l’emploi, thème sur lequel, au Sénat, nous avions formulé des propositions.

L’erreur, ici, est double.

Tout d’abord, il aurait été logique que les régions, dès lors qu’elles détiennent la compétence économique et qu’elles sont chargées de la formation et de l’apprentissage, puissent, dans un souci de cohérence, coordonner territorialement la politique de l’emploi, ce qui n’aurait pas manqué de conférer à celle-ci davantage d’efficacité.

Ensuite, la France étant devenue championne du monde des dépenses publiques, il est nécessaire, madame la ministre, de revoir le périmètre d’intervention de l’État, sans quoi aucune économie ne pourra être faite. Et il aurait été pertinent de procéder à cette révision à l’occasion de l’examen de ce projet de loi. Vous auriez ainsi pu, dans un même mouvement, réfléchir à la fois au périmètre d’intervention de l’État et à la réorganisation des collectivités. Malheureusement, ce n’est pas la démarche que vous avez adoptée.

Deuxième défaut de ce texte : il ne répond toujours pas aux deux grandes crises qui déchirent notre territoire, à savoir la crise territoriale et la crise civique.

Concernant la crise territoriale, peut-on croire un seul instant que c’est en fixant arbitrairement et de façon totalement uniforme un seuil de 20 000 habitants pour l’intercommunalité que l’on prendra en compte la réalité de nos territoires ruraux ? Bien sûr que non ! La preuve en est que les députés ont dû créer un régime de multiples dérogations !

De même, les schémas régionaux au caractère prescriptif qui vont tomber de loin et de haut sur ces territoires ruraux, qui sont déjà des territoires périphériques, très en marge des grandes métropoles régionales, ne seront-ils pas ressentis comme des contraintes insupportables par les élus ?

J’en viens à la crise civique, qui est peut-être encore pire. Nous sentons bien que, partout, les élus sont de plus en plus découragés, particulièrement quand ils voient que l’État réduit aussi bien ses financements que son assistance technique aux collectivités.

J’ai cité le comportement des préfets, mais de nombreux autres exemples montrent un risque progressif de découragement chez les élus.

Cela a été dit et répété, en cinq ans, nous aurons connu quatre réformes ! Une entropie institutionnelle quasiment permanente !

Que ferons-nous lorsque l’ensemble des 500 000 élus locaux du territoire seront totalement découragés ? Qui se chargera de recoudre le tissu social déchiré par tant de crises sur l’ensemble du territoire français, qu’il s’agisse de quartiers ou de villages ?

Enfin, troisième défaut de ce projet de loi : il ne répond en rien aux objectifs fixés.

Ainsi, alors qu’il est censé apporter de la simplification, il institue de grandes régions, des mastodontes, des « gros machins », presque aussi grands que certains États européens, dans un pays qui n’a évidemment pas de tradition fédérale.

Comme Jacques Mézard l’a souligné, l’exposé des motifs porte toujours la trace de cette volonté d’anéantissement du département, qui porte atteinte à notre réalité territoriale. Heureusement, grâce au travail des uns et des autres, et surtout grâce au travail de la commission des lois du Sénat, les départements resteront bien vivants.

De même, la création d’un Haut conseil des territoires n’est pas seulement une atteinte au Sénat, c’est une provocation

Quant à la répartition des compétences, on en cherche encore la logique. Expliquez-moi, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, quelle est la valeur ajoutée du transfert des transports scolaires aux régions ? Il n’y en a aucune ! Une telle répartition des compétences est absolument incohérente.

Si vous voulez élargir les périmètres, alors, relevez les horizons, pour que les régions soient des échelons non de gestion, mais de préparation de l’avenir, des échelons stratégiques.

Le projet de loi ne répond donc en rien aux objectifs de simplification, d’économie et d’efficacité. Pourquoi ? Parce qu’il ne respecte pas cette grande loi, qui est une loi simplement humaine, selon laquelle plus la décision est lointaine, plus il est nécessaire d’administrer les territoires pour compenser cet éloignement, ce manque de proximité.

Vous le savez parfaitement, ce projet de loi ne permettra pas de dégager un seul centime d’économie dans le budget de l’État ou dans ceux des collectivités ; pis, il engendrera des dépenses supplémentaires !

En conclusion, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite que le Sénat puisse être entendu et que nous travaillions ensemble, dans la mesure où le Sénat est, lui, le Grand Conseil des territoires. Sur quelque travée que nous siégions, nous partageons tous une même conviction profonde : il faut arrêter de compliquer la vie des élus !

M. Bruno Sido. Très bien !

M. Bruno Retailleau. La vie est déjà suffisamment compliquée, les textes de loi sont déjà suffisamment complexes, et les exigences de nos concitoyens sont déjà tellement contradictoires !

Rappelons-nous surtout que nous avons besoin d’une démocratie vivante. Au moment où l’on parle tant de citoyenneté, de civisme, souvenons-nous qu’il ne peut y avoir ni citoyenneté ni civisme sans Cité. La Cité, ce n’est pas seulement un périmètre administratif ou une structure de gestion, c’est avant tout un ensemble humain. Puissions-nous avoir cela à l’esprit lorsque nous serons finalement amenés à nous prononcer sur ce texte ! En tout cas, le groupe UMP ne manquera pas de proposer ou de soutenir des amendements pour faire en sorte qu’il soit amélioré à l’issue de nos travaux. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l’UDI-UC. – MM. Jacques Mézard et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Michel Delebarre.

M. Michel Delebarre. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les corapporteurs, mes chers collègues, c’est reparti pour un tour ! (Sourires.) Madame la ministre, quel plaisir de vous revoir ! (Nouveaux sourires.)

Le Gouvernement a eu l’audace et le courage de présenter un projet de loi relatif à la délimitation des régions, un autre relatif aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, ainsi qu’un autre encore portant nouvelle organisation territoriale de la République. C’est pourquoi nous nous retrouvons régulièrement depuis quelque temps… (Nouveaux sourires.)

M. Bruno Sido. C’est sympathique !

M. Michel Delebarre. Mais nous avons toujours un peu, lorsque nous entamons l’examen d’un texte, le même sentiment : nous ne savons pas très bien où nous allons… (Nouveaux sourires.)

M. Roger Karoutchi. On arrive toujours quelque part !

M. Michel Delebarre. On avance à tâtons.

Bien sûr, le travail des commissions nous aide beaucoup. En l’occurrence, nous avons même deux corapporteurs – et de quelle qualité ! – pour nous aider à trouver la piste.

Alors que nous pensions avoir effectué l’essentiel du travail en première lecture de ce projet de loi NOTRe, nous nous rendons compte que le texte qui nous vient de l’Assemblée nationale nous oblige à nous y « recoller »… Plus de 700 amendements ! En seconde lecture !

M. Roger Karoutchi. C’est un bon début !

M. Michel Delebarre. Allons, mes chers collègues, vous auriez pu faire un petit effort ! (Nouveaux sourires.)

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. On aurait pu atteindre les 1 000 amendements !

M. Roger Karoutchi. Attendez la troisième lecture ! (Nouveaux sourires.)

M. Michel Delebarre. Il est bien évident qu’il va y avoir des redites ! Et nous, en plus, nous avons déjà vu tout cela passer en commission des lois ! Si je vous disais combien de fois nos corapporteurs ont dit : « Défavorable ! » sur les amendements… C’est impressionnant ! Du reste, je pense que les amendements qui ont reçu un avis défavorable en commission ne devraient pas être examinés en séance plénière : cela permettrait de gagner du temps et donnerait du relief à la position des corapporteurs et de la commission des lois.

M. Bruno Sido. Nous pouvons aussi repartir chez nous !

M. Roger Karoutchi. Le droit d’amendement est tout de même inscrit dans la Constitution !