M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.

M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’amitié entre la France et les États-Unis a été scellée voilà plus de deux siècles : pensez à La Fayette, Benjamin Franklin ou Thomas Jefferson !

M. Jeanny Lorgeoux. Très bien !

M. Jean-Claude Requier. Nos deux nations partagent depuis longtemps des valeurs et un idéal de paix qui les engagent bien souvent sur la scène internationale. Certains de ces engagements en faveur de la liberté exposent nos concitoyens, notre territoire et nos intérêts au risque terroriste.

Au début de cette année, l’attaque contre Charlie Hebdo est une illustration tragique de cette menace qui met au défi notre pays par rapport à la sécurité de nos concitoyens. Visant un symbole de la liberté d’expression, cet attentat a eu un retentissement planétaire, tout comme celui contre le World Trade Center en 2001, dont la dimension spectaculaire avait frappé d’effroi le monde entier.

Aussi, la lutte contre le terrorisme est un combat international qui mobilise fortement la France et les États-Unis. L’accord relatif au renforcement de la coopération judiciaire qu’il nous est proposé d’approuver aujourd’hui participe de ce combat commun. Il est le prolongement d’une coopération transatlantique déjà à l’œuvre dans le domaine de la criminalité grave et du terrorisme. En effet, comme l’a rappelé Mme la rapporteur, deux accords existent déjà, concernant l’un, l’extradition, l’autre, l’entraide judiciaire. Mais, au regard des événements dramatiques qui ponctuent régulièrement l’actualité, ainsi que de l’évolution des méthodes des organisations terroristes, il est nécessaire de renforcer la coopération entre la France et les États-Unis.

Effectivement, il faut rapidement approfondir cette coopération pour l’adapter aux nouvelles menaces. Je pense en particulier aux filières djihadistes, qui se jouent des frontières et des techniques d’investigation pour perpétrer leurs funestes opérations. M. le Premier ministre l’a rappelé mardi dernier devant le Sénat, lors de l’examen du projet de loi relatif au renseignement : « Il est en effet indispensable que notre dispositif de lutte contre le terrorisme s’adapte en permanence à une menace particulièrement mouvante qui ne cesse d’évoluer et de s’intensifier. »

Il est aujourd’hui évident que la localisation et l’identification, à l’échelle internationale, de personnes suspectées de préparer un attentat ou d’appartenir à une organisation criminelle sont un axe important de la lutte contre le terrorisme. Les sénateurs de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe l’ont d’ailleurs souligné dans leur rapport en proposant de lever les obstacles aux coopérations judiciaires bilatérales.

À cet égard, il était donc urgent d’examiner le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord relatif au renforcement de la coopération en matière d’enquêtes judiciaires entre les États-Unis et notre pays, cet accord ayant été signé dès 2012.

Comme vous le savez, mes chers collègues, cet accord s’inspire du traité de Prüm. Dans cette ville d’Allemagne, d’ailleurs peu éloignée des Ardennes françaises, sept États membres de l’Union européenne ont signé en 2005 ce traité, qui permet l’échange de données génétiques, d’empreintes digitales et de données à caractère personnel. Dans la même optique, il s’agit ce jour d’encadrer la consultation automatisée de données dactyloscopiques et de profils ADN dans le cadre de l’entraide franco-américaine. Le champ d’application d’une telle mesure est bien sûr limité aux infractions relatives à la criminalité grave et au terrorisme.

Si le contenu de cet accord ne pose pas de problème de principe pour l’ensemble des membres du groupe du RDSE, je soulignerai seulement notre attachement au respect de la protection des données à caractère personnel. Comme nous avons eu l’occasion de le rappeler encore tout récemment dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif au renseignement, dans le domaine touchant au recueil et à l’analyse d’informations personnelles, il importe bien évidemment de toujours rechercher l’équilibre entre sécurité et liberté.

En l’espèce aussi, nous devons faire montre d’efficacité sans pour autant porter atteinte aux droits fondamentaux et aux libertés individuelles pour lesquelles la France et l’Union européenne ont des exigences fortes, probablement plus fortes qu’outre-Atlantique. En effet, certaines dispositions du Patriot Act autorisant la collecte massive et indiscriminée de données témoignent de cette différence ; le USA Freedom Act, adopté mardi dernier par le Congrès des États-Unis, semble encore timide en matière de respect de la vie privée.

Cependant, malgré les réserves que nous pouvons avoir sur la politique générale de recueil de données aux États-Unis, nous pouvons être satisfaits des garde-fous qui ont été apportés au sein de l’accord qui nous intéresse.

Parmi ces garanties, citons le système de l’accès aux données de type concordance / pas de concordance, ou encore la consultation de celles-ci uniquement au cas par cas dans le respect de la législation nationale. On peut également apprécier les dispositions de l’article 10 de l’accord relatives à l’utilisation des données, s’agissant notamment des principes de sécurité liés à leur manipulation.

Les mesures d’information des personnes concernées et celles qui visent le droit de recours vont naturellement dans le bon sens : la protection de la vie privée. Mon groupe défend ce droit depuis toujours, ou plutôt depuis plus d’un siècle : à défaut d’être le plus nombreux, c’est en effet, mes chers collègues, le groupe le plus ancien du Sénat ! (Sourires.)

La lutte contre le terrorisme est devenue une préoccupation majeure des pouvoirs publics. L’accord en cause est un pas supplémentaire dans le combat commun que nous devons mener contre ce fléau, face auquel les démocraties doivent être plus fortes, plus unies et plus inflexibles.

C’est pourquoi les membres du RDSE apporteront leur plein et entier soutien au texte proposé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mme Christiane Kammermann applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.

Mme Nathalie Goulet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à ce stade du débat sur un accord international qui ne pose pas vraiment de difficultés, je lèverai d’emblée le suspense : bien évidemment, le groupe UDI-UC votera en faveur de son approbation.

Ce texte est extrêmement important, comme les orateurs précédents l’ont souligné. Voilà quelques mois, en tant que présidente de la commission d'enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, j’ai pu rencontrer, en compagnie du coprésident, André Reichardt, et d’autres collègues, le directeur de la CIA, John Brennan. Celui-ci a beaucoup insisté non seulement sur l’importance de cet accord et l’urgence de son approbation, mais également sur la qualité des échanges d’informations avec les services français et, plus généralement, de ses relations avec la communauté du renseignement de notre pays. Cela atteste que l’extrême qualité de notre renseignement est reconnue.

Dans cette enceinte, nous traitons depuis quarante-huit heures de ce sujet. On aura pu remarquer, fait rare, la présence au banc du Gouvernement du garde des sceaux, des ministres de l’intérieur et de la défense, et même du Premier ministre, venus défendre le projet de loi relatif au renseignement. Cela témoigne de l’engagement gouvernemental en faveur de nos services de renseignement – ô combien investis –, en faveur de ces hommes qui servent notre pays et la coopération antiterroriste.

Je veux donc ce matin apporter mon propre témoignage de la qualité de ces services, et rappeler qu’il est absolument normal que le Parlement donne aux hommes qui travaillent afin de garantir la sécurité nationale et internationale l’ensemble des moyens dont ils ont besoin. Le terrorisme ne connaît pas de frontières, nous le savons.

Le présent accord comporte un certain nombre de dispositions déjà décrites par les précédents orateurs. Reste le problème de la peine de mort, qui est encore en vigueur outre-Atlantique, et parfois appliquée. Il faut des garanties en ce domaine, mais l’accord en prévoit évidemment.

Permettez-moi d’ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, une digression au sujet de notre base militaire d’Abu Dhabi. L’accord signé entre les Gouvernements français et émirati formalisant le cadre juridique de cette base laisse ouverte la possibilité que la peine de mort soit infligée à nos agents par les tribunaux des Émirats arabes unis. Je souhaiterais par conséquent que vous accordiez une attention particulière à l’application de cet accord, afin d’assurer la protection de nos agents.

Pour en revenir au texte examiné aujourd’hui et au problème de la protection des données personnelles, cet accord octroie des garanties, comme le mentionne le rapport de la commission. Par ailleurs, le Congrès américain vient de refuser de reconduire un certain nombre de dispositions du Patriot Act et a retiré à la NSA certains de ses moyens. Ces évolutions nous donnent bon espoir quant à la réalisation d’un équilibre entre sécurité et liberté. Notre niveau d’exigences est désormais le même.

Le système d’échange d’informations prévu dans cet accord est évidemment essentiel. Toutefois, il est regrettable qu’il soit exclusivement articulé autour des États-Unis, qui ont conclu un très grand nombre de conventions de cette nature.

Nous devrons formuler, comme pour le passenger name record, le PNR, des exigences à l’échelon européen. En effet, un accord avec les États-Unis seulement sera insuffisant.

Monsieur le secrétaire d’État, il serait également utile de réfléchir, au plan administratif et réglementaire, à la façon dont nous pourrions articuler l’application de cet accord avec les dispositions contenues dans le projet de loi relatif au renseignement, afin qu’il trouve sa pleine application et toute sa force. La concomitance des textes nous appelle à une meilleure articulation, notamment par le biais du contrôle exercé par la délégation parlementaire au renseignement.

Nul doute que cette délégation aura à cœur de faire des points de contact nationaux les interlocuteurs privilégiés. L’UCLAT fait évidemment un travail absolument remarquable : il ne saurait y avoir un autre interlocuteur qu’elle.

Au final, au-delà de ces trois problèmes d’articulation, d’extension à nos voisins européens, et de contrôle par la délégation au renseignement, je ne peux que saluer la conclusion de cet accord, ainsi que son examen en séance publique. Cela aussi est bon pour la transparence, d’autant plus que cet examen s’effectue de manière concomitante avec la discussion du projet de loi relatif au renseignement. Sous ces réserves d’usage, comme je vous l’ai dit en commençant mon intervention, le groupe UDI-UC votera tout naturellement en faveur de ce texte absolument nécessaire. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jeanny Lorgeoux.

M. Jeanny Lorgeoux. Puisque nous souscrivons, mes chers collègues, à l’analyse exhaustive de l’accord qu’a effectuée dans son excellent rapport Joëlle Garriaud-Maylam, et puisque ce texte constitue à n’en pas douter un outil supplémentaire pour faire pièce à la guerre insidieuse que le terrorisme et le crime organisé livrent à notre pays avec constance et virulence, la seule question politique qui se pose alors, et qui a été posée par les orateurs qui m’ont précédé à la tribune, est de savoir si cet accord présente des garanties satisfaisantes du point de vue des libertés publiques.

Si l’on adopte cet angle d’analyse – je le dis sans ambages –, il apparaît clairement que les craintes à ce sujet, si tant est qu’elles existent réellement, sont dénuées de fondement, même si des lacunes ou des imprécisions demeurent dans ce texte. Qu’on en juge !

Il s’agit d’abord de compléter l’arsenal de coopération et d’entraide judiciaire déjà existant, autorisant l’échange de données génétiques, d’empreintes digitales et palmaires et de données à caractère personnel. La connexion et le rapprochement de tels éléments permettront d’identifier des concordances ou des non-concordances de traces ADN et dactyloscopiques, ou d’autres données. Cela se fera dans des conditions encadrées.

Premièrement, la concordance constatée ne débouchera pas sur l’identification de la personne. Ce n’est que si des résultats du tri automatique intéressent les services concernés qu’une recherche de vérification, d’approfondissement ou de précision sera menée. Le harpon, pas le chalut...

Deuxièmement, si une urgence survient, une transmission « spontanée » peut être effectuée. Mais cela ne peut être fait qu’au cas par cas. Il s’agit d’être réactif, efficace et opérationnel ! Le temps est, dans ces circonstances, un facteur capital. Comme l’a souligné Nathalie Goulet, l’UCLAT sera la plateforme de contact national, assurant par là même une homogénéité de fléchage.

Troisièmement, la transmission de données personnelles sera réalisée conformément à la législation nationale, et la protection de ces données sera assurée par l’autre État. Sauf exception, un État tiers ne recevra pas de données personnelles.

Quatrièmement, il est exclu qu’une information française puisse constituer une aide à un jugement conduisant à la peine de mort aux États-Unis, et ce pour des raisons évidentes. À cet égard, il me plaît de rendre hommage à notre ami Robert Badinter.

Cinquièmement, les États s’engagent à assurer la confidentialité, la sécurité et la protection des données personnelles, et pourront, le cas échéant, rectifier, compléter, voire gommer les données dont l’intangibilité est bornée dans le temps.

Sixièmement, la transmission des données sera limitée à l’objet même de l’enquête, et son périmètre d’investigation sera proportionné, ne serait-ce que pour des raisons d’efficacité et de coût.

Septièmement, l’accord prévoit un mécanisme de contrôle exercé par une autorité de contrôle. Ce point est important, même si les organismes ne sont pas réellement nommés. Aussi, il conviendra de préciser ce volet ultérieurement.

Huitièmement, un registre des données sera tenu ; il permettra la traçabilité des échanges.

Quant aux personnes concernées, elles auront droit à la transparence et seront informées de l’action qui pourrait être menée à leur insu et, plus précisément, du contenu et de la raison du contrôle subi, du nom de l’auteur et du destinataire si tel est le cas. La seule exception – c’est parfaitement compréhensible ! – est liée au caractère grave d’une circonstance urgente.

Ces personnes pourront aussi, s’il advenait que de graves manquements soient mis au jour, engager un recours. C’est en tout cas possible en France, les États-Unis n’ayant, pour le moment, réservé cette possibilité qu’à leurs ressortissants et résidents dans le cadre du Privacy Act de 1974, comme cela a été indiqué par Mme la rapporteur. Il serait judicieux que nos amis américains comblent cette lacune législative.

Enfin – last but not least –, en cas de très graves dysfonctionnements, les États pourront toujours suspendre leur accord.

On le constate, l’accord est pragmatique, réaliste et concret. Même s’il est légitime de s’interroger, les garanties sont sérieuses, réelles et solides. Il n’y a donc pas lieu de suspecter un déficit démocratique réel. À l’inverse, chacun peut aisément comprendre combien l’échange et la possibilité du croisement de données peuvent faire surgir, ébaucher, dessiner des profils actifs ou dormants, dangereux ou menaçants, et aussi, à l’évidence, peuvent aider à débusquer le plus rapidement possible les sectateurs et les semeurs de haine, ainsi que les terroristes de tout acabit.

Échanger, confronter, partager nos informations est une bonne chose, au service de la sécurité et de la liberté. Cette recherche de l’équilibre est, au demeurant, l’apanage des démocraties. Nos amis américains viennent d’ailleurs de le démontrer avant-hier, en votant le USA Freedom Act, qui protège mieux la vie privée d’intrusions aveugles dignes de Big Brother.

Il faut donc se féliciter que le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord relatif au renforcement de la coopération en matière d’enquêtes judiciaires en vue de prévenir et de lutter contre la criminalité grave et le terrorisme soit aujourd'hui soumis à notre vote. Cette procédure de coopération sera d’une grande utilité pour mener à bien des enquêtes très sensibles et toujours très difficiles et délicates, et ce sans verser dans le « tout sécuritaire ».

Il revient à nos deux nations de se doter des moyens financiers, matériels et humains adéquats. L’efficacité de notre sécurité collective et de notre liberté commune en sera renforcée.

C’est par conséquent une approbation franche que les membres du groupe socialiste apporteront à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du RDSE et du groupe Les Républicains.)

M. Didier Guillaume. Très bonne intervention !

M. le président. La parole est à Mme Christiane Kammermann.

Mme Christiane Kammermann. Je tiens avant tout à remercier Mme la rapporteur, Joëlle Garriaud-Maylam, qui s’est énormément investie sur ce texte. Elle a effectué de nombreux déplacements aux États-Unis et rencontré beaucoup de personnalités qualifiées sur le sujet.

L’accord entre la France et les États-Unis relatif au renforcement de la coopération en matière d’enquêtes judiciaires en vue de prévenir et de lutter contre la criminalité grave et le terrorisme est très important.

Tout d’abord, je veux rappeler que la collaboration entre la France et les États-Unis est ancienne, notamment en matière d’entraide pénale et judiciaire. Depuis 2001, nos pays et d’autres en Europe sont les cibles du terrorisme, dont les ramifications internationales sont de plus en plus difficiles à appréhender. De fait, la collaboration opérationnelle entre les États est décisive. Cela implique un échange d’informations utiles et exploitables par les services chargés de la sécurité des citoyens.

L’accord permettra de faciliter des échanges d’informations concernant les profils ADN et les données dactyloscopiques, c'est-à-dire l’échange d’empreintes digitales et génétiques. L’échange de ce type de données peut, je le sais, mes chers collègues, inquiéter certains d’entre nous ; c’est parfaitement compréhensible. Aussi, il est capital de préciser que ces échanges seront mis en place dans un cadre bien spécifique et sous des conditions particulières.

Rappelons que le transfert de données vers des États tiers, hors Union européenne, est soumis à un régime prévu par les articles 68, 69 et 70 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

Cette loi transpose la directive n° 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation des données. En outre, son article 68 précise que le transfert de ces données n’est possible que vers les États assurant « un niveau de protection suffisant de la vie privée et des libertés et droits fondamentaux ».

Dans la mesure où la Commission européenne estime que les États-Unis ne présentent pas un niveau de protection globale adéquat pour ces données, les échanges ne se feront qu’avec une appréciation du niveau de protection au cas par cas. Précisons que ces échanges ne seront ni systématiques ni automatiques.

L’accès aux données ne se fera que par des points de contact nationaux désignés par chacune des parties.

De plus, l’article 10 de l’accord oblige les parties à tenir un registre des données reçues ou transmises, ce qui permet la traçabilité des échanges, qui feront aussi l’objet d’un bilan, comme le prévoit l’article 12.

Par ailleurs, ne nous méprenons pas, ces échanges seront pratiqués pour des faits très graves, tels que le terrorisme, l’adhésion à un groupe criminel organisé, ou encore l’infraction de conspiration.

À ce stade du débat, je tiens à dire que cet accord ne vise pas que la lutte contre le terrorisme ; il concerne aussi la lutte contre la criminalité grave.

Aujourd’hui, la sécurité internationale est largement compromise par l’internationalisation du crime organisé, qui, depuis plus de vingt ans, connaît des mutations structurelles. Les États doivent faire face à des organisations criminelles transnationales, dont les domaines traditionnels d’activité évoluent.

En effet, la lutte contre le crime organisé doit s’adapter aux mutations créées par la mondialisation. Ce fut l’objet de la conférence de signature de la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée qui s’est tenue à Palerme en 2000. L’ancien secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan déclarait alors : « Les groupes criminels n’ont pas perdu de temps pour adopter d’enthousiasme l’économie mondialisée d’aujourd’hui et les technologies de pointe qui l’accompagnent. Mais nos efforts pour les combattre sont restés jusqu’à présent très fragmentaires et nos armes pratiquement obsolètes. »

De fait, les États doivent modifier leur législation et leurs coopérations. Les mafias et les autres organisations criminelles n’ont pas disparu, bien au contraire ! En Chine, en Russie, en Europe, en Amérique latine, elles luttent pour garder le contrôle des trafics de drogue, de produits de contrefaçon et d’êtres humains. Cet aspect est, pour moi, très important. Les actions de ces organisations peuvent déstabiliser des régions entières du globe, notamment dans des États aux structures de gouvernance fragile.

L’accord dont nous débattons ce matin peut conduire à des progrès en matière de lutte contre ces mafias, et nous nous en félicitons. Pour toutes ces raisons, le groupe Les Républicains votera ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Jean-Marc Todeschini, secrétaire d'État. La lutte contre la criminalité grave transfrontalière et le terrorisme est devenue, nous en convenons tous, de plus en plus compliquée et a fortiori de plus en plus nécessaire. Aussi convient-il de mettre en place des outils internationaux, car, comme vous l’avez souligné, mesdames, messieurs les sénateurs, les groupes criminels ont une incroyable faculté d’adaptation aux situations nouvelles.

Oui, le renforcement de la coopération transatlantique est une nécessité absolue.

MM. Billout et Gattolin ont évoqué la question du droit de recours. Ce droit est prévu dans l’accord ; c’est même l’une des principales demandes émanant des Européens. Les Américains ont pris l’engagement de travailler avec le Congrès pour y parvenir.

En tout état de cause, l’accord franco-américain prévoit que toute personne considérant que ses droits sont violés doit avoir accès à un recours approprié. Des garanties ont d’ailleurs été négociées par le Gouvernement pour suspendre l’application de cet accord en cas de manquements graves à cette clause. Cette dernière doit donc être considérée au regard de ce droit de recours.

Ensuite, vous avez parlé, mesdames, messieurs les sénateurs, de la CNIL. À cet égard, je précise que, d’une part, le Conseil d’État a été saisi de ce projet de loi et l’a examiné et que, d’autre part, la France a veillé, dans le cadre de négociations dont Mme la rapporteur a souligné la durée, à se référer aux principes majeurs de la loi informatique et libertés.

Quoi qu’il en soit, la CNIL n’est habituellement pas saisie des projets de loi autorisant l’approbation d’accords de sécurité intérieure. En réalité, il s’agit d’une faculté et non d’une obligation, à laquelle le Gouvernement n’a pas recouru, car, comme je l’indiquais, les grands principes ont été respectés dans ce projet de loi.

Compte tenu des événements et de la nécessaire accélération de la lutte contre le terrorisme, j’estime que nous avons absolument besoin d’outils comme celui-là, et que le projet de loi sera très utile dans ce cadre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le gouvernement de la république française et le gouvernement des états-unis d’amérique relatif au renforcement de la coopération en matière d’enquêtes judiciaires en vue de prévenir et de lutter contre la criminalité grave et le terrorisme

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d'Amérique relatif au renforcement de la coopération en matière d'enquêtes judiciaires en vue de prévenir et de lutter contre la criminalité grave et le terrorisme
Article unique (fin)

Article unique

Est autorisée l'approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d'Amérique relatif au renforcement de la coopération en matière d'enquêtes judiciaires en vue de prévenir et de lutter contre la criminalité grave et le terrorisme (ensemble une annexe), signées à Paris le 3 mai 2012 et à Washington le 11 mai 2012, et dont le texte est annexé à la présente loi.

M. le président. Avant de mettre aux voix l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, je donne la parole à M. André Reichardt, pour explication de vote.

M. André Reichardt. En ma qualité d’ancien coprésident de la commission d’enquête sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, je tiens à dire à quel point j’approuve ce projet de loi autorisant l’approbation de l'accord sous forme d'échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement des États-Unis d'Amérique. Je souhaite saluer la traduction législative d’un accord qui arrive à point nommé dans la lutte que nous menons contre le terrorisme.

Certes, la maturation de ce texte aura été longue. Cependant, Mme la rapporteur, Joëlle Garriaud-Maylam, a rappelé l’importance de parvenir à un bon équilibre entre la nécessité d’une lutte efficace contre le terrorisme et, naturellement, celle de la protection des données individuelles et des individus.

En effet, nous avons réellement besoin d’échanges d’informations entre les États-Unis et la France en matière d’empreintes digitales et génétiques. Pour m’être rendu aux États-Unis dans le cadre des travaux de la commission d’enquête précitée et avoir constaté l’antériorité, pour ne pas dire l’avance, dont dispose ce pays en matière de lutte contre le terrorisme – en raison bien entendu des attentats de 2001 –, je pense véritablement que toutes les mesures qui contribuent au rapprochement des méthodes et des dispositifs entre nos pays doivent être prises.

À mon tour, je souhaite élargir un peu les débats, en rappelant l’intérêt de tels échanges, non seulement avec les États-Unis, monsieur le secrétaire d’État, mais aussi avec tous les pays impliqués dans la lutte contre le terrorisme, puisqu’il s’agit là d’une action internationale.

Je tiens de nouveau à insister sur le fait qu’il y a urgence à appliquer correctement le code frontières Schengen aux frontières extérieures de l’Union européenne, car, à l’heure actuelle, tel n’est pas le cas !

Ainsi, le rapport de la commission d’enquête susvisée qui a été approuvé à l’unanimité a montré de nombreux dysfonctionnements. Certains d’entre nous ont parlé d’un espace Schengen « passoire » ; je ne suis pas loin de penser la même chose ! Pourtant, il n’est nul besoin de modifier le code frontières Schengen pour que celui-ci accorde aux différents pays de cet espace les moyens de réaliser ces indispensables échanges d’informations qui sont, aujourd’hui encore, insuffisants.

Quand on sait que la Commission européenne n’obtient pas de la part de pays qui se situent à nos frontières de réponses aux enquêtes qu’elle mène – par exemple, sur le nombre de migrants dont, malheureusement l’actualité est pleine, qui ont débarqué depuis des cargos et ont traversé le territoire –, on doit se poser la question de l’utilité d’un code frontières qui ne serait pas appliqué !

Par ailleurs, je voudrais signaler que la commission des affaires européennes a adopté à l’unanimité une proposition de résolution européenne relative à la lutte contre le terrorisme et tendant à l'adoption d'un Acte pour la sécurité intérieure de l'Union européenne, qui va dans le sens de ce que j’indique.

Enfin, si le Gouvernement reprend actuellement, au travers du projet de loi relatif au renseignement, un certain nombre de préconisations qui figurent notamment dans le rapport de la commission d’enquête, il n’en reste pas moins, monsieur le secrétaire d’État, qu’il est absolument indispensable d’entreprendre un maximum d’efforts à l’échelon européen pour que la lutte contre le terrorisme soit menée dans les meilleures conditions et aboutisse aux résultats que nous attendons toutes et tous.