M. Gilbert Barbier. Tout à fait !

M. Jean-Pierre Godefroy. Pour moi, il s’agit bien là d’une assistance médicale pour mourir, mais passive, qui n’admet pas complètement ce qu’elle est. D’ailleurs, la distinction morale entre une assistance médicale active pour mourir et une sédation profonde et définitive passive menant à la mort me paraît bien ambiguë.

L’aide active à mourir s’effectuerait par un acte délibéré et exécuté à la demande du patient. Elle serait un acte de compassion, un acte de solidarité, un acte de fraternité ! Elle permettrait aussi à la personne qui le souhaite de quitter la vie en pleine conscience, entourée par ses proches, comme le souhaitait le philosophe Paul Ricœur qui avait écrit souhaiter « mourir en tenant la main d’un ami ».

Par ailleurs, reconnaître un droit à une assistance médicalisée pour mourir dans des conditions strictement encadrées répondrait, à mon avis, à certains problèmes qui se posent et que la proposition de loi telle qu’elle nous est présentée ne règle pas. Avec un cadre juridique clair, au sein duquel ils pourraient exercer leur clause de conscience, les médecins seraient protégés. Il en serait de même pour les proches, à qui les malades réclament parfois ce geste ultime, qui les expose à des sanctions pénales ; une situation que nous rencontrons souvent chez les personnes très âgées. Cela satisferait aussi les juges qui ont parfois à trancher des cas bien délicats et qui, finalement, n’appliquent pas la loi dans une lecture stricte et font preuve de compassion.

Madame la ministre, si le texte qui nous est proposé est adopté, je souhaite attirer votre attention sur un point, évoqué précédemment par notre collègue Georges Labazée.

La loi du 2 mars 2010 a créé une allocation journalière d’accompagnement d’une personne en fin de vie. Cette allocation n’est ouverte que lorsque la personne accompagnée se trouve à domicile, dans une maison de retraite ou un EHPAD, un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Pourtant, en France, près de 60 % des décès ont lieu dans des établissements de santé, et ces personnes ont tout autant besoin d’être accompagnées par leurs proches ; et elles en auront encore plus besoin si la présente proposition de loi est adoptée. J’avais déposé un amendement visant à étendre le champ d’application de cette allocation aux personnes qui accompagnent des malades en milieu hospitalier, mais il a été déclaré irrecevable au titre de l’article 40 de la Constitution. Aussi, dans l’esprit de cette proposition de loi, ne serait-il pas légitime et cohérent que le Gouvernement prenne des mesures permettant aux personnes en fin de vie d’être accompagnées dans leurs tout derniers moments quel que soit l’établissement dans lequel elles se trouvent ?

Le droit à une assistance active pour mourir n’est pas un choix entre la vie et la mort, c’est un choix entre deux façons de mourir !

Nous considérons que cette proposition de loi ne va pas assez loin dans la mesure où elle n’ouvre pas de droit à une aide active pour mourir. Les avancées de ce texte sont très limitées. On note une évolution positive concernant les directives anticipées les rendant contraignantes – c’est une très bonne chose ! –, mais avec des exceptions qui risquent de les vider partiellement de leur sens. Nous le savons bien, la sédation profonde ne fait que formaliser légalement des pratiques courantes. Elle est protectrice pour les médecins, mais change peu la condition des patients.

À cet égard, il est regrettable que l’avis de la conférence citoyenne remis en décembre 2013 au Comité consultatif national d’éthique ne soit pas entendu. J’aurais souhaité un texte plus audacieux et plus conforme aux souhaits de nos concitoyens. Cette loi aurait pu marquer la reconnaissance de la primauté du respect de la volonté de la personne dans la mise en œuvre des soins, l’aide active à mourir étant considérée comme l’ultime soin à prodiguer à la personne qui va mourir. Mais nous aurons bien sûr l’occasion d’engager ce débat lors de l’examen des amendements déposés sur ce sujet, comme l’a souligné mon collègue Georges Labazée.

En conclusion, permettez-moi de saluer, à mon tour, la qualité du travail réalisé par les rapporteurs ainsi que leur sens de l’écoute, et de remercier le président de la commission des affaires sociales de l’écoute dont il fait traditionnellement preuve. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. Jean-Claude Requier applaudit également.)

Enfin, je demande à mon collègue Georges Labazée de me prévenir avant de prononcer mon oraison funèbre ! (Sourires.)

M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de M. Hervé Marseille.)

PRÉSIDENCE DE M. Hervé Marseille

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Nous poursuivons la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, fallait-il légiférer à nouveau sur un sujet aussi sensible que la fin de vie ? Fallait-il exacerber de nouveau les antagonismes manifestes entre des conceptions bien différentes et très éloignées de la perception de l’être humain telles qu’elles existent au sein des différents courants de pensée de notre pays ?

Pour ma part, je n’en suis pas persuadé, dans la mesure où les lois en vigueur, et notamment la loi de 2005, ont contribué à l’établissement d’un équilibre relativement consensuel, qui est certes fragile, mais dont l’insuffisante application – pour diverses raisons, mais essentiellement par manque de moyens financiers – constitue le seul défaut.

La création des unités de soins palliatifs dans les grands hôpitaux et dans certains établissements ainsi que la mise en place de quelques unités ambulatoires avec des personnels consciencieux et admirables – auxquels il faut rendre hommage, car il s’agit là d’un domaine du soin particulièrement stressant et pesant pour les professionnels – ont démontré leur efficacité. Malheureusement, une couverture territoriale très insuffisante conduit à des situations inacceptables, qui sont encore beaucoup trop nombreuses.

À ce sujet, madame le ministre, il serait intéressant de connaître le montant des crédits dédiés aux soins palliatifs dans le nouveau plan triennal que vous avez lancé. La commission de réflexion sur la fin de vie avait été particulièrement sévère sur ce point, en estimant que « les moyens financiers des réseaux à domicile sont soumis à des changements incessants de modalité de répartition de crédits, ce qui entraîne souvent une baisse de leurs ressources » et que « tout se passe comme si l’encouragement répété en faveur des soins palliatifs n’était qu’incantatoire ».

Certes, il est intolérable qu’à l’hôpital, en EHPAD ou à son domicile, le malade en fin de vie imminente et inéluctable à bref délai ne soit pas pris en charge, de sorte qu’il trouve, en ses derniers instants, le calme, la sérénité et les conditions d’une fin de vie digne et apaisée, entouré de ses proches. Cependant, plutôt que de légiférer, ne serait-il pas préférable de rechercher les moyens financiers, matériels et humains nécessaires à la couverture de l’ensemble du territoire par ces unités spécialisées, qu’elles soient fixes ou ambulatoires ? En effet, comme le rappelait notre collègue député Jean Leonetti, « la loi ne peut pas être le verbe législatif incantatoire de l’impuissance publique qui dit la règle, le droit, la loi et ne les met pas en application ».

Pourtant, il en a été décidé autrement puisque nous allons légiférer : nouvelle loi, nouveaux débats, nouvelles confrontations.

Nos rapporteurs, qui ont réalisé un travail important, ont rappelé la réflexion menée sur ce thème par l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et par les auteurs de la proposition de loi. À l’aune de ces rapports ainsi que des travaux de la commission de réflexion animée par le professeur Didier Sicard, du Comité consultatif national d’éthique, de la conférence des citoyens, et de nombreuses contributions de toutes tendances – je ne saurai toutes les citer, qu’elles soient religieuses, philosophiques ou médicales –, un consensus existe sur la condamnation de l’acharnement thérapeutique, sur la nécessité de la formation des personnels et sur l’obligation de prendre en compte les directives anticipées du malade.

Toutefois, nous retrouvons très rapidement le clivage sociétal entre ceux qui considèrent – et j’en suis – que le rôle de la société n’est pas de provoquer la mort et ceux qui, au nom d’une prééminence décisionnelle de l’individu, appellent à l’euthanasie ou au suicide assisté. Notons d’ailleurs que le clivage ne s’établit pas uniquement sur le postulat du caractère sacré ou non de la vie humaine.

Comme l’écrit Axel Kahn, on peut aussi considérer que « lorsque la loi de notre République maintient qu’il est interdit de tuer, il n’apparaît pas satisfaisant qu’elle prévoie les conditions dans lesquelles ce principe – excellent – peut être battu en brèche en toute légalité » et que « les lois doivent se placer en amont des histoires individuelles et définir les principes dans lesquels se reconnaît une société ».

Or c’est bien souvent en se référant à un vécu personnel, dans sa famille ou parmi ses proches, que chacun d’entre nous aborde cette réflexion et se forge un jugement dans lequel l’aspect émotionnel domine inévitablement. C’est aussi, malheureusement, au travers de l’abominable médiatisation d’un certain nombre de cas douloureux à laquelle l’actualité nous confronte d’une manière lancinante. Le rôle de l’affectif dans notre relation avec les mourants ne fait du reste que nous renvoyer inconsciemment à notre propre mort. Dans un livre tout à fait remarquable intitulé La mort peut attendre, le professeur Maurice Mimoun raconte comment la mort de l’un de ses amis l’a fait changer de ton, alors qu’il s’apprêtait à écrire un livre en faveur de l’euthanasie, s’appuyant sur de belles théories et des principes solides. Il termine son livre en affirmant nettement qu’« il ne faut pas légaliser la mort ».

Je souhaiterais attirer votre attention, mes chers collègues, sur un certain nombre de points concernant le texte dont nous débattons ici. J’estime qu’ils méritent d’engager une réflexion, même si je me contenterai de les citer, car nous y reviendrons ultérieurement.

Tout d’abord, je soulignerai l’absence totale de reconnaissance et de place donnée à l’accompagnement affectif, qu’il soit réalisé par des bénévoles ou par des membres de la famille : il n’y a donc aucune place pour « parler et même simplement toucher », comme l’a si bien écrit Marie de Hennezel dans son livre La mort intime.

Ensuite, je signalerai le flou que représente l’utilisation des mots « court terme » lorsqu’il est question de l’engagement du pronostic vital.

Enfin, à mes yeux, le point crucial de ce texte, qui le fait quitter cette ligne de crête qui faisait consensus pour le faire pencher – n’ayons pas peur des mots – vers une euthanasie masquée, ce sont les termes de « sédation profonde et continue ».

Nous examinerons les conditions dans lesquelles le texte a été dévié de son sens initial, par l’introduction, à l’Assemblée nationale, de l’adjectif « profonde » derrière le mot « sédation », ce qui signifie que nous atteignons les niveaux 5 et 6 dans l’échelle de « score de Ramsey », conduisant inévitablement à un encombrement bronchique immédiat, à une hypotension, voire à une apnée fatale, en quelques instants, à défaut d’une assistance respiratoire. L’intention des auteurs de la proposition de loi n’était certainement pas d’en arriver là, de même qu’un certain nombre de parlementaires ayant contribué aux débats sur ce texte n’ont probablement pas vu non plus la portée et la gravité d’une sédation « profonde et continue ».

En réalité, les protocoles de recours à la sédation pour détresse en phase terminale sont au point dans les établissements de soins palliatifs. N’en rajoutons pas, ne prenons pas le risque de basculer là où je crois beaucoup de personnes ne veulent pas aller !

Sans ce malheureux amendement n° 76 déposé et adopté en séance publique à l’Assemblée nationale, je pense que nous aurions pu parvenir à un très large consensus sur ce texte, ce qui n’est aujourd’hui pas le cas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Dominique Gillot.

Mme Dominique Gillot. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, écrire ses directives anticipées, les concevoir, les formuler, indiquer clairement la manière dont on souhaite finir sa vie, ou plutôt la façon dont on ne veut pas mourir : être maintenu artificiellement en vie alors que le diagnostic vital a été établi, ou rêver de mourir en dormant ? Quels sont ceux qui n’ont pas évoqué ce sujet, notamment ces derniers temps, alors que l’actualité nous fait de nouveau entrer dans l’intimité tragique d’un homme jeune, enfermé dans son corps, sans aucun espoir de retour à une relation lui permettant de communiquer avec le monde qui l’entoure, d’un homme jeune dont la famille se déchire et le donne en spectacle, et alors que toutes les procédures collégiales, médicales et expertes prévues par la loi dite Leonetti ont été menées, conclues et avalisées ?

Si Vincent Lambert ne peut pas sortir de cette vie qui n’en est plus une, tranquillement, avec l’assistance de ses soignants, sous l’affectueuse attention de ses proches, c’est parce qu’il n’a pas exprimé clairement quelle était sa volonté en pareil cas, lorsqu’il était capable de le faire. Seule son épouse, soignante comme lui, témoigne aujourd’hui de son expression orale, issue de conversations intimes qui sont, en revanche, contestées par les parents. D’autres proches, parents ou amis, décrivent à leur tour l’état d’esprit de Vincent Lambert face à une vie végétative.

Les médecins peuvent attester être allés au bout de ce que la médecine pouvait faire pour le ramener à une conscience qui pourrait peut-être donner un sens au maintien d’une vie artificielle.

La délivrance de cet homme jeune fait désormais partie du débat public et, de fait, reste difficile à atteindre dans un délai raisonnable. Que n’a-t-il rédigé ses directives anticipées, déjà prévues dans la loi de 2005 et préconisées dans le texte examiné aujourd’hui ! Il aurait ainsi clairement indiqué, et de manière incontestable, qu’il refusait d’être maintenu en vie artificiellement en pareille situation.

Qui a déjà rédigé ses directives, exprimant ainsi de façon indiscutable ce qu’il souhaite et ce qu’il refuse ?

En 2009 et en 2010, l’équipe du centre d’éthique clinique de l’hôpital Cochin a questionné 186 personnes de plus de soixante-quinze ans sur leurs connaissances et leur perception des directives anticipées : neuf personnes sur dix n’en avait jamais été informée. Ciblant un public concerné par le vieillissement, cette étude indique bien la méconnaissance d’une telle possibilité.

Le texte dont nous débattons prévoit de modifier le statut des directives anticipées et de les rendre contraignantes. Cette nouvelle disposition qui concrétise le principe selon lequel « toute personne a droit à une fin de vie digne et apaisée » doit donc mettre réellement en œuvre le renforcement du droit des personnes à rester maîtres de leur vie jusqu’à son terme, sans être contraints d’abandonner leur corps malade, souffrant, agonisant à la décision d’autres individus, fussent-ils médecins !

Pour ce faire, une très forte évolution culturelle sera nécessaire au sein de la société tout d’abord, parmi les personnes qui seront les futurs sujets de ce nouveau droit ensuite, ou encore parmi les familles, les proches qui devront admettre la volonté du malade et ne pas faire de demandes de soins extravagantes, et enfin chez les soignants qui devront respecter la volonté du patient, exprimée dans une forme qui leur sera opposable.

Ce sera difficile, alors qu’existe un profond hiatus entre les attentes de nos concitoyens à l’égard de la médecine en matière d’accompagnement jusqu’à la mort et l’aide que la médecine se sent capable de fournir aux mourants.

C’est pourquoi l’article 8 de la proposition de loi est aussi important lorsqu’il dispose que « toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle serait un jour hors d'état d'exprimer sa volonté », que « les directives anticipées s'imposent au médecin » et qu’« elles sont révisables et révocables à tout moment ».

Il a été établi que 2,5 % des personnes décédées en 2009 avaient formalisé leurs directives, et que seulement 1,8 % des patients n’avaient plus été en mesure d’exprimer leurs attentes.

Si nous voulons que ce droit soit exercé et qu’il s’impose, il faudra l’expliquer, le populariser, le socialiser ; mais pour qu’il devienne un droit actif, vivant et connu, la route sera longue – souvenons-nous du temps qu’il a fallu au don d’organe pour faire son chemin. Raison de plus pour inscrire dans la proposition de loi des éléments explicites, comme le signalement sur la carte Vitale du signataire de l’existence de ces directives, par ailleurs consignées dans un registre national, et l’inscription sur cette même carte du nom de la personne de confiance. Raison de plus aussi pour insister sur la sensibilisation et l’information, afin que toute personne majeure soit mise au courant, et pas seulement par son médecin traitant, de la possibilité de prendre des dispositions anticipées et des conditions de leur rédaction.

Enfin, pour bien faire entrer cette pratique de précaution dans nos mœurs, je défendrai un amendement tendant à assurer la sensibilisation des jeunes au moment de la Journée défense et citoyenneté. Cette circonstance est l’occasion d’un grand rassemblement de toute une classe d’âge, au cours duquel les jeunes sont informés de leurs droits et de leurs devoirs citoyens. Des informations leur sont déjà communiquées relativement à l’éducation à la santé, à la prévention, à l’intérêt du don du sang et au don d’organe ; je souhaite que, de la même façon, ils soient sensibilisés à leurs droits d’éventuels malades, et préparés à rédiger, lorsqu’ils seront majeurs, leurs directives anticipées.

En rompant avec l’idée que les directives anticipées concernent uniquement des personnes malades, âgées ou en fin de vie, voire en phase terminale, et en dédramatisant, à un âge où l’on se croit invincible, un acte de responsabilité susceptible d’être renouvelé et actualisé tout au long de la vie, nous inscrirons véritablement ce nouveau droit dans le quotidien du dialogue avec la médecine et dans l’évolution de notre société.

Mes chers collègues, comme nombre d’orateurs l’ont déjà fait observer, la question est universelle : tous nous serons confrontés un jour à la fin de vie, celle d’un proche ou la nôtre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par présenter deux observations, qui, peut-être, seront partagées par tous.

En premier lieu, ce débat intervient dans un contexte particulier, non seulement sur le plan juridique, puisque la Cour européenne des droits de l’homme a rendu ses conclusions dans l’affaire Lambert, mais aussi sur le plan émotionnel, tant chacun s’est senti interpelé ; des images, malheureusement, ont même été données en spectacle. Or nous savons, au Sénat, que, pour faire de bonnes lois, l’émotion est très souvent mauvaise conseillère. Comme François Bonhomme l’a souligné, si nous devons toucher à la législation sur la fin de vie d’une main tremblante, selon la formule de Montesquieu, notre raison, elle, ne doit pas trembler.

En second lieu, je constate un paradoxe français en ce qui concerne la façon de légiférer. Alors que pas une semaine ne passe sans que, sur toutes les travées, nous dénoncions le trop-plein de lois et l’habitude très française de les modifier incessamment sous l’effet d’une bougeotte législative, on nous propose de modifier une loi qui, en 2005, a été adoptée à l’unanimité, chose si rare, et dont chacun reconnaît qu’elle est mal connue, et peut-être mal appliquée. Pour qu’un texte soit bien connu et bien appliqué, il faut qu’il s’inscrive dans la durée. Or voilà qu’on veut modifier la loi Leonetti, qui a réalisé ce dont M. Barbier a parlé tout à l’heure : le consensus !

Pourquoi donc veut-on la modifier ? Sans doute pour cocher une case dans un programme présidentiel. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Certainement aussi pour franchir une nouvelle étape…

M. Bruno Retailleau. … dans ce que certains appellent le droit à mourir dans la dignité.

M. Roland Courteau. Tout à fait !

Un sénateur du groupe socialiste et républicain. C’est plutôt cela !

M. Bruno Retailleau. Comme si la dignité n’était pas une qualité ontologique ! La dignité, mes chers collègues, c’est à Paul Ricœur que nous en devons l’une des plus simples et des plus belles définitions : « quelque chose est dû à l’être humain du seul fait qu’il est humain ».

Pour comprendre le pas supplémentaire qu’on nous propose de franchir, il faut, je crois, revenir au point de départ, c’est-à-dire à la déclaration que le Président de la République a faite lorsque, voilà à peu près six mois, Alain Claeys et Jean Leonetti lui ont remis leur rapport : il a employé l’expression, sans doute juste, de « droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès ». Mes chers collègues, c’est de ce droit qu’il nous faut débattre, car il est la pièce centrale de la proposition de loi, celle qui détermine son économie générale.

Nous devons, plus précisément, nous poser deux questions : pourquoi ce droit et quelles seront son application, sa portée, sa signification ?

À propos de la première question, je tiens à insister sur des chiffres qui ont déjà été mentionnés à cette tribune, mais qui me paraissent de la plus haute importance. Madame la ministre, vous nous avez annoncé un plan pour les soins palliatifs. Tant de plans ont été annoncés qui sont restés des incantations que c’en est devenu une habitude ! Songez bien, mes chers collègues, que seulement 20 % de la population française a accès à des soins palliatifs, et que 70 % des lits palliatifs sont concentrés dans cinq régions. Au Sénat, nous parlons souvent de la fracture territoriale ; s’il y a bien une injustice territoriale, c’est celle qui tient à la politique palliative ! Ainsi, les régions de l’ouest, dont je suis issu, sont parmi les moins bien dotées.

Pourquoi ce nouveau droit ? Parce que 80 % des médecins n’ont pas reçu de véritable formation à la prise en charge de la douleur. Parce que, en définitive, nous avons échoué à garantir un droit pourtant inscrit dans la loi depuis 1999, et réaffirmé en 2002 puis en 2005. Par facilité, par fatalité, par incapacité à garantir ce droit, nous voilà sur le point d’instaurer un droit nouveau. Cette fuite en avant, cet engrenage, cette étape qui en prépare d’autres ne doivent pas nous conduire à une dérive éthique.

De là la seconde question que nous devons nous poser : celle des modalités du nouveau droit. Sera-t-il un droit à dormir avant de mourir ou un droit à endormir pour faire mourir ? Sera-t-il un moyen de soulager ou un moyen d’euthanasie qui ne dit pas son nom ? Ces questions sont troublantes, dérangeantes, brutales, mais il est légitime, je crois, de se les poser, quelque opinion qu’on ait.

Si les conditions de mise en œuvre de ce que j’appelle « la sédation terminale » sont importantes, c’est parce que cette sédation sera beaucoup plus qu’un geste palliatif : elle ne sera pas intermittente, mais sans doute définitive ; il s’agira d’un endormissement sans retour, conduisant à une mort certaine, d’autant plus que les traitements n’ont pas été séparés des soins. À cet égard, je tiens à remercier les rapporteurs et la commission des affaires sociales d’avoir dissocié la nutrition et l’hydratation des traitements.

Mes chers collègues, je vous invite tous, quelles que soient vos conceptions, à lire le très beau texte que Jean Clair a publié ce matin, dans lequel il cite l’injonction que Victor Hugo met dans la bouche de son père, sur un champ de bataille, à la vue d’un Espagnol qui se meurt : « Tiens, donne à boire à ce pauvre blessé ». Ce mot est, en somme, une injonction universelle faite à l’humanité bien portante d’avoir souci de l’humanité souffrante.

Certains ont présenté la présente proposition de loi comme un texte de prolongement et de clarification de la loi Leonetti. Je pense, au contraire, qu’elle marque une rupture. En effet, la loi du 22 avril 2005 repose sur la notion, centrale, du double effet, bien connue de ceux qui s’intéressent à la question de la fin de vie. Je pense qu’il suffit tout simplement de revenir aux sources, par exemple en lisant Alain Claeys, qui le 17 novembre dernier, dans Libération, a écrit ceci : « Nous parlons d’une sédation forte dans le but d’aider à mourir ». Point n’est besoin d’en rajouter, tout est dit. (M. Gilbert Barbier opine.)

Encore faut-il parler de l’opposabilité des directives anticipées, qui potentialisent, si je puis dire, les dérives euthanasiques. Pouvons-nous concevoir à l’avance, par anticipation, ces instants ultimes, ces instants extrêmes après lesquels les instants ne comptent plus ? Je n’apporte pas de réponse définitive à cette question, mais nous devons nous la poser.

En conclusion, madame la ministre, mes chers collègues, je crois que la présente proposition de loi est porteuse d’un risque : un risque de dérive euthanasique, que nous devons tenter d’éliminer en pesant chaque terme et en fixant un certain nombre de limites. Des précisions juridiques suffiront-elles pourtant à réduire la terrible complexité d’un texte qui a la prétention de protocolariser la fin de vie, comme pour essayer de régler une fois pour toutes la question de la mort, pour les autres et pour soi-même ? Telle est la grande question.

La mort, cette « monstruosité solitaire », cet événement « inclassable », selon Jankélévitch, mort il y a trente ans presque jour pour jour, nous effraie évidemment, qui que nous soyons. Face à elle, la loi ne peut pas tout, mais une chose est sûre : elle ne doit pas conduire à donner la mort ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur plusieurs travées de l'UDI-UC. – M. le président de la commission des affaires sociales applaudit également.)

M. le président. La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie
Articles additionnels après l'article 1er

Article 1er

I. – L’article L. 1110-5 du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) à la première phrase, après le mot : « soins », sont ajoutés les mots : « curatifs et palliatifs » ;

b) (Supprimé)

c) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée :

« Ces dispositions s’appliquent sans préjudice ni de l’obligation de sécurité à laquelle est tenu tout fournisseur de produits de santé, ni de l’application du titre II du présent livre Ier. » ;

2° Les deuxième à dernier alinéas sont remplacés par un alinéa ainsi rédigé :

« Toute personne a le droit d’avoir une fin de vie digne et accompagnée du meilleur apaisement possible de la souffrance. Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour que ce droit soit respecté. »

II. – La formation initiale et continue des médecins, des pharmaciens, des infirmiers, des aides-soignants, des aides à domicile et des psychologues cliniciens comporte un enseignement sur les soins palliatifs.