M. le président. La parole est à M. Henri de Raincourt.

M. Henri de Raincourt. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, à la suite de l’intervention de Mme Conway-Mouret, je concentrerai mon propos sur la « nouvelle croissance » chinoise.

Nous le savons tous, la Chine a connu ces trente dernières années une croissance exceptionnelle, qui, selon certains, aurait débuté lors des réformes engagées par M. Deng Xiaoping dès 1978 et dans les années quatre-vingt, réformes qui ont porté des fruits rapides et importants. La Banque mondiale estime même que ce phénomène est unique dans l’histoire de l’humanité, en raison de son ampleur et de sa durée.

Nous devons être également conscients que cette croissance s’est accélérée ces dix dernières années et que, durant cette période – notamment pour des raisons démographiques –, l’effet masse et l’effet volume ont joué à plein. Que l’on en juge : en 2005, le produit intérieur brut de la Chine était égal à celui de la France, autour de 2 200 milliards de dollars ; il dépasse aujourd’hui les 11 000 milliards de dollars, alors que celui de la France atteint difficilement 3 000 milliards de dollars. Le PIB chinois a donc été multiplié par cinq en dix ans, ce qui est considérable !

Pour autant, le modèle chinois de développement n’est pas soutenable à terme, d’un point de vue social, économique ou écologique. Il ne peut continuer à faire totalement reposer la croissance sur l’exportation de produits à faible coût, grâce à une main-d’œuvre nombreuse et peu onéreuse.

Les autorités chinoises sont parfaitement conscientes de ces limites et de la nécessité de réorienter la croissance. Elles ont d’ailleurs pris des décisions en ce sens dès le début des années deux mille dix, à l’occasion du douzième plan quinquennal. Quand la Chine décide quelque chose, la mise en œuvre est rapide et puissante !

Tout le monde le sait, les pouvoirs publics continuent en effet de disposer de moyens d’action importants, y compris sur les plans politique et économique.

N’oublions pas qu’entre 80 millions et 90 millions d’habitants sont membres du parti communiste chinois – c’est l’équivalent de la population française – et qu’ils peuvent ainsi quadriller le pays et l’activité !

Pour autant, si le contrôle politique est bien réel, une véritable opinion publique a émergé, sensible aux questions sociales, notamment aux salaires, à la qualité de la vie et aux conditions de travail. Par ailleurs, les questions environnementales sont – enfin, serais-je tenté de dire – au goût du jour, ainsi que les problèmes de sécurité sanitaire auxquels la population chinoise s’intéresse de plus en plus.

La phase de transition dans laquelle est engagée la Chine présente donc des risques de tensions et d’instabilité. À cet égard, il n’est pas anodin que les nouveaux dirigeants aient lancé simultanément une vaste campagne de lutte contre la corruption.

Au final, que retenons-nous de ce travail sur la Chine ?

D’abord, la baisse de la croissance et sa réorientation n’entament ni l’optimisme ni la confiance des Chinois en leur avenir. Ils sont convaincus de réussir leur adaptation aux temps nouveaux. Cet état d’esprit positif est d’ailleurs partagé par les étrangers qui vivent et travaillent en Chine.

Il nous semble que la France, dans cette transformation, détient des atouts. Des opportunités nouvelles se présentent, notamment dans le secteur des services, de l’agroalimentaire, de la santé, etc. Monsieur le ministre, partagez-vous ce sentiment ? Quelles sont les intentions du Gouvernement à ce sujet ?

La Chine est animée, me semble-t-il, non par une volonté de domination mondiale, mais par une vision multipolaire.

La Chine ne peut plus être considérée exclusivement comme un concurrent. Nous devons la regarder comme un partenaire, avec lequel nous sommes en mesure non seulement d’entretenir des relations, mais probablement d’engager des actions communes.

Dans ce contexte, monsieur le ministre, les discussions avec la Chine pour travailler ensemble dans les pays tiers, particulièrement en Afrique, ont-elles avancé ? Que pouvons-nous en attendre ? Je crois sincèrement que, tout en restant vigilants, nous avons intérêt à travailler avec la Chine sur certains sujets, car toute politique de développement doit préférer la complémentarité à la concurrence. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Yves Pozzo di Borgo, François Fortassin et Daniel Reiner applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.

M. Jacques Legendre. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, au nom de la commission des affaires étrangères, j’ai participé cette année au groupe de travail sur l’Iran avec Daniel Reiner, Michelle Demessine et Joël Guerriau. C’est donc cette question que j’évoquerai dans ce débat.

L’accord enfin trouvé à Vienne, le 14 juillet dernier, sur le programme nucléaire iranien a incontestablement changé la donne. Il l’a changée avant tout pour ce pays, qui a déjà commencé à faire son retour dans le concert des nations. Il l’a peut-être changée, aussi, pour le Proche-Orient et le Moyen-Orient. Espérons qu’il s’agira d’une bonne nouvelle dans un environnement si difficile et dangereux. Certes, l’accord de Vienne ne représente encore que la possibilité d’une vraie normalisation de l’Iran sur la scène diplomatique.

D’abord, pour que soient levées les sanctions contre l’Iran, notamment les sanctions européennes et américaines, il faudra attendre le rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique programmé pour le mois de décembre prochain, qui devra dire si l’Iran exécute effectivement ses obligations.

Ensuite, il faudra que l’Iran témoigne de sa bonne volonté à travailler, aux côtés des puissances occidentales, en faveur de la résolution des crises qui tourmentent la région. Je pense à la Syrie, au Yémen, mais aussi au Liban, qui seront autant de dossiers tests dans les prochains mois.

En outre, il faudra voir si le résultat des élections législatives prévues en Iran au mois de mars 2016 et si la politique étrangère des États-Unis conduite à partir de 2017 par le nouveau président permettent de réunir les conditions d’une application durable de l’accord.

Réserve faite de ces hypothèques – non négligeables, certes –, il semble tout de même que l’intérêt bien compris de l’Iran aujourd’hui soit d’œuvrer au bénéfice de la stabilité régionale. Tel est évidemment le souhait de la communauté internationale et celui de la France.

Dans ce nouveau contexte, l’intérêt de la France est donc, nous semble-t-il, de restaurer autant que possible avec l’Iran, qui est une puissance régionale incontournable, la densité de nos relations anciennes. Nous avons en effet une longue histoire commune avec ce pays et les Iraniens conservent une bonne image de la France. Faisons fructifier ce capital ! Multiplions les échanges, en multipliant les occasions !

La reprise est déjà lancée dans le domaine économique : nos entreprises, dans l’attente de la levée des sanctions, commencent à retrouver leurs marques en Iran. Il est important qu’elles y travaillent, car la compétition internationale est forte !

La reprise a également été amorcée, clairement, sur le plan politico-diplomatique : les visites et les rencontres bilatérales ont repris au plus haut niveau. On attend ainsi le président Rohani à Paris, le mois prochain.

Tout cela est heureux. Cependant, je souhaite insister sur la nécessité de redonner du souffle à notre coopération culturelle et scientifique avec l’Iran. Cette coopération paraît en effet à présent bien modeste, malgré son réel potentiel. Or il s’agit, là aussi, d’un puissant vecteur d’influence de notre pays dans la région, à condition, bien sûr, de s’en donner les moyens.

À cet égard, la « feuille de route » franco-iranienne à laquelle devrait donner lieu la visite en France du président iranien pourrait être opportunément nourrie. Nous avançons à cet effet, monsieur le ministre, quelques demandes concrètes.

D’un côté, essayons d’obtenir le soutien de l’Iran au développement de nos établissements culturels à Téhéran. Le Centre de langue française ne sera peut-être pas tout de suite autorisé à devenir Institut français ; du moins peut-il accroître son activité, car la demande locale, francophile, est bien présente ! Il faudra que le budget suive... La facilitation des missions de chercheurs français en Iran et la relance de nos traditionnelles fouilles archéologiques dynamiseraient l’Institut français de recherche en Iran.

Qu’il me soit permis d’appeler également votre attention sur la nécessité de revitaliser la recherche en France concernant l’Iran, qui est une tradition chez nous. Notre pays a connu de grands iranologues et il faut permettre de nouveau aux spécialistes de disposer à Paris d’éléments de recherche dans ce domaine.

Parallèlement, engageons-nous à augmenter le nombre d’étudiants iraniens accueillis chaque année en France : 1 800, ce n’est pas assez !

Mme Nathalie Goulet. Très bien !

M. Jacques Legendre. Un projet de coopération entre les musées iraniens et nos grands musées, entre autres le Louvre, se traduisant par des prêts d’œuvres et par des expositions croisées, serait également de nature à enrichir les liens entre la France et l’Iran, que nous avons tout intérêt à cultiver.

Surtout, monsieur le ministre, la France doit être bien claire sur le fait qu’elle ne choisit pas entre le monde chiite et le monde sunnite. Nous devons légitimement ambitionner des rapports suivis avec le monde sunnite. Nous devons faire de même avec le monde chiite.

Nous parlons d’ambitions. Eh bien, plaçons l’autonomie de la France au service de cette ambition, celle d’une position équilibrée au Proche-Orient comme au Moyen-Orient ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Michel Boutant et Mme Michelle Demessine applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.

M. Daniel Reiner. Monsieur le président, mes chers collègues, j’ai également participé au groupe de travail dédié à l’Iran et je consacrerai donc, moi aussi, mon intervention à ce pays.

Monsieur le ministre, l’accord de Vienne conclu le 14 juillet dernier a mis fin à douze années d’une crise suscitée par le programme nucléaire iranien. Il faut en féliciter notre diplomatie, et vous féliciter vous-même, d’avoir maintenu, au cours des négociations, une ligne de fermeté clairement fondée sur le souci de la non-prolifération du nucléaire au Proche-Orient et au Moyen-Orient.

C’est là le premier résultat essentiel de cet accord, qui a d’ores et déjà permis à la communauté internationale, en particulier à la France, de renouer un dialogue plus normal avec l’Iran. Espérons que le dossier nucléaire est bel et bien derrière nous et que nous pourrons à nouveau tisser avec l’Iran des liens qui – il faut le dire – ont été, au cours des dernières années, très sensiblement affaiblis.

La restauration est en cours. Deux semaines après la conclusion de cet accord, monsieur le ministre, vous avez été reçu à Téhéran, et bien reçu. (M. le ministre le confirme.) Nous-mêmes y avions été bien accueillis au mois de juin dernier. La visite du président Hassan Rohani, annoncée pour le mois prochain, est de bon augure.

Nous avions placé notre mission dans la perspective de cet accord. Nous avons travaillé au cours de l’hiver et du printemps 2015. Au cours de nos rencontres, nous n’avons pas eu le sentiment que les Iraniens tenaient particulièrement rigueur à la France de sa position, au contraire.

Aussi, nous nous félicitons que puisse être renouée une relation franco-iranienne dense, et ce d’abord sur le plan politique.

Il s’agit de mieux défendre nos positions au Proche-Orient et au Moyen-Orient en jouant la carte de l’Iran, puissance régionale incontournable – tel était d’ailleurs l’intitulé de notre groupe de travail –, et en ayant pour but de lutter ensemble, autant que possible, contre le terrorisme et en faveur du règlement des crises.

La qualité actuelle de la coopération politique et militaire entre, d’une part, la France et, de l’autre, l’Égypte, l’Arabie saoudite et les monarchies du Golfe, constitue évidemment un point très positif. Mais nous avons également tout intérêt à entretenir de bonnes relations avec le monde chiite. C’est à nos yeux une évidence.

Bien sûr, nous restons dans l’expectative quant aux véritables intentions iraniennes. L’Iran va-t-il faire usage de sa capacité d’influence, au bénéfice du règlement des crises où il se trouve notablement impliqué, à commencer par la guerre en Syrie ? Travaillera-t-il dans le sens de la stabilité régionale, comme il le prétend, comme on nous l’a dit et répété tout au long de nos rencontres ? On songe, naturellement, aux cas du Liban et du Yémen.

On peut à tout le moins estimer que, pour conserver la place qu’il vient à peine de retrouver sur la scène diplomatique, l’Iran a intérêt à coopérer de manière constructive avec les puissances occidentales.

À ce titre, peut-être la France a-t-elle un rôle à jouer pour favoriser les conditions de cette coopération ?

Monsieur le ministre, cette fameuse feuille de route franco-iranienne qui est en cours de préparation comportera-t-elle bien un volet politique allant dans ce sens ? Et, le cas échéant, quelles ambitions traduira-t-elle ?

Bien sûr, l’enjeu de la relation franco-iranienne est également économique. Avec ses 80 millions d’habitants et ses ressources en hydrocarbures, l’Iran est un enjeu de développement international et un puissant vecteur d’investissement, notamment pour nos propres entreprises. Ces dernières peuvent utiliser l’atout que représente, pour leur réimplantation dans le pays, la bonne image dont y jouit aujourd’hui le nôtre. Elles s’y emploient déjà, et nous le savons.

Néanmoins, il faut rester prudent : les sanctions contre l’Iran, notamment les sanctions américaines, ne sont pas encore totalement levées. (M. Jacques Legendre acquiesce.)

Il revient à notre dispositif d’appui au commerce extérieur d’épauler nos entreprises en intervenant non seulement auprès des grands groupes, mais aussi auprès des PME. Notre diplomatie économique devrait conclure avec l’Iran des coopérations qui faciliteront la vie des affaires tout en accroissant notre influence.

À ce titre, nous vous adressons ces quelques suggestions, qui correspondent d’ailleurs parfois à des demandes qui nous ont été exprimées sur place.

Tout d’abord, il convient d’apporter le soutien de notre expertise à l’Iran pour restaurer ses circuits bancaires et améliorer son environnement des affaires, en matière de droit, de fiscalité ou de lutte contre la corruption.

Ensuite, il faudrait accompagner sur le plan technique, si elle se confirme, la candidature iranienne à l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC.

De plus, il serait bon de mettre en œuvre une coopération entre les services français et iraniens chargés du tourisme. On nous a adressé des requêtes très précises à ce sujet, que Mme Demessine pourrait évoquer plus précisément que moi. Le potentiel iranien est considérable et, dans ce domaine, notre savoir-faire a toutes les chances de s’y épanouir.

Enfin, il faut envisager un plan de jumelages entre les chambres de commerce et d’industrie iraniennes et françaises – c’est également une demande qui a été formulée. En la matière, les attentes sont réelles. Cette coopération décentralisée nous apparaît comme un important levier de succès.

Naturellement, toutes ces initiatives ne doivent en aucun cas nous empêcher de parler franchement avec l’Iran de la situation problématique, au regard de nos valeurs, des droits de l’homme dans ce pays. Ainsi, nous aurons plus de chances d’en accompagner les évolutions, que nous souhaitons naturellement positives ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – Mme Michelle Demessine applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Robert del Picchia.

M. Robert del Picchia. Russie-France : pour éviter l’impasse : tel est, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le titre du rapport d’information que nous avons rédigé. Dans quelques instants, Josette Durrieu expliquera la philosophie que nous avons suivie et qui a abouti au choix de ce titre. En outre, elle vous exposera l’ensemble du travail que nous avons effectué pendant les mois que nous avons consacrés à cette mission.

Face à la Russie, la situation est très tendue, voire inquiétante. Des risques de déstabilisation que l’on ne doit pas sous-estimer résultent en effet de diverses tensions à l’œuvre : attitude provocante en Crimée, ouverture d’une grave crise avec l’Europe en Ukraine, manifeste démonstration de force en Syrie et, aujourd’hui, déclaration de Vladimir Poutine à Ankara.

Certes, nous sommes face à une posture idéologique, toutefois, monsieur le ministre, à nos yeux, notre politique ne doit pas conforter la Russie dans un isolement qui ne fait que nourrir son sentiment anti-occidental et l’inciter à de violentes ruades. Au contraire, nous devons chercher à renouer avec elle un dialogue permettant de rétablir des relations normales.

Dans cette perspective, nous avons été conduits à émettre des recommandations. Il va de soi que le Quai d’Orsay est sans doute le mieux à même de prendre les décisions qui s’imposent, mais nous pouvons sans doute apporter une petite contribution.

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères. Et même une grande contribution ! (Sourires.)

M. Robert del Picchia. La première recommandation est bien entendu de prendre en compte le retour d’une « menace de la force » en Europe.

La Russie a une conception classique des relations internationales, fondée sur la notion de puissance et sur les rapports de force. Si elle ne rencontre pas de résistances, elle continuera à pousser ses pions conformément à ses objectifs : la reconquête de son rang et de sa puissance.

Pour être crédibles, nous devons donc faire preuve de fermeté en renforçant nos capacités militaires, à l’échelle nationale, au niveau de l’OTAN et peut-être aussi à l’échelle de l’Europe de la défense, qui mériterait également un débat.

Ensuite, la France devrait se doter d’une stratégie globale et cohérente à l’égard de la Russie.

Il faut bien admettre qu’au cours des vingt dernières années notre politique extérieure s’est parfois révélée peu lisible – ce constat ne vaut ni pour toutes les périodes ni pour l’ensemble des gouvernements.

La Russie recherche avant tout une reconnaissance, de la stabilité et de la prévisibilité dans ses relations diplomatiques. Aussi, à notre sens, la France devrait avoir pour stratégie d’aider la Russie à reprendre toute sa place sur la scène internationale, et ce, bien entendu, dans le respect du droit.

À cette fin, notre diplomatie devrait peut-être s’efforcer de tester la bonne volonté russe, en acceptant un dialogue approfondi sur les dossiers en cours, y compris la difficile question syrienne.

Ce constat étant dressé, comment mettre en œuvre cette stratégie ?

Selon nous, cette politique trouverait à s’appliquer concrètement de deux manières.

D’une part, elle pourrait s’inscrire dans la poursuite des efforts que la France mène, dans le cadre du format Normandie, pour faire appliquer les accords de Minsk et obtenir la résolution de la crise en Ukraine.

D’autre part, la France devrait faire savoir dès à présent qu’elle souhaite une levée graduelle des sanctions si le cessez-le-feu est respecté – cela semble être le cas – et si les élections qui s’annoncent se déroulent conformément aux engagements pris. Peut-être faudrait-il commencer par mettre un terme aux sanctions diplomatiques et aux mesures visant des personnes non directement liées aux événements en Ukraine. Ces dispositions sont sans doute les plus humiliantes.

À ces suggestions s’ajoute un autre volet de recommandations : que la France prenne l’initiative d’un dialogue renouvelé avec la Russie, portant sur les questions de sécurité et de développement économique en Europe.

Dans ce cadre, l’Allemagne et la France seraient bien sûr des moteurs. Cependant, il importe d’y impliquer largement la Pologne. Cet État a un rôle essentiel à jouer pour désamorcer les tensions entre la Russie et les pays d’Europe orientale.

Soyons réalistes : avant d’aboutir, ce dialogue exigerait plusieurs années. Toutefois, nous souhaitons qu’il puisse se traduire par un accord semblable à l’Acte final d’Helsinki, permettant de réaffirmer notre attachement commun à la paix et à un certain nombre de grands principes, parmi lesquels l’inviolabilité des frontières en Europe.

En outre, peut-être faudrait-il réfléchir pour l’Ukraine à un statut de neutralité à l’égard des organisations militaires. C’est à ce pays de se prononcer en définitive. Les négociations pourraient aboutir à un résultat.

Enfin, la crise actuelle semble également liée à des problèmes de perception mutuelle et d’incompréhension. Aussi conviendrait-il de multiplier les contacts entre nos deux sociétés, russe et française.

Dans ce cadre, il nous paraît souhaitable de relancer les initiatives déjà engagées sur le front des visas et, pourquoi pas, d’envisager la suppression de ces titres à terme, bien entendu en lien avec l’Union européenne.

Mes chers collègues, à l’issue de nos travaux, nous convergeons pleinement vers la nécessité d’un équilibre entre fermeté et dialogue, pour éviter l’impasse.

La France a tous les atouts pour relever ce défi : son histoire, le génie de sa diplomatie et l’indépendance de son analyse. À présent, monsieur le ministre, c’est à vous de jouer ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – MM. Yves Pozzo di Borgo et François Fortassin applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Josette Durrieu.

Mme Josette Durrieu. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, mes chers collègues, vous l’avez compris, Robert del Picchia et moi-même avons mené ensemble ce travail, auquel s’est également associé Gaëtan Gorce, que je salue. Après Robert del Picchia qui vient de faire la conclusion, je vais me charger de l’introduction ! (Sourires.)

Nous avons pris pour point de départ une observation que font nombre d’intervenants aujourd’hui : la crise ukrainienne et l’annexion de la Crimée ont marqué un véritable tournant. Beaucoup l’ont déjà souligné : la Russie, membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, a violé la souveraineté et l’intégrité d’un autre État européen. Elle a, de ce fait, renié ses engagements internationaux souscrits à Helsinki, en 1975, au titre des frontières et à Minsk, en 1991, vis-à-vis des nouveaux États formés après la disparition de l’URSS.

Dès lors, une question se pose : la Russie peut-elle encore être un partenaire ?

Avec la crise syrienne, ce pays est désormais une menace pour l’ordre régional. Ce constat a été rappelé : la Russie se place au centre du jeu, elle se livre à des démonstrations de puissance, elle défie la coalition et l’alliance, notamment en procédant à des survols de la Turquie. Il s’agit certainement d’une posture, mais c’est également un message.

Face à cette situation, l’Occident invoque toujours la surprise. Poutine est-il imprévisible ? Non ! Dans son discours de Munich, en 2007, il formulait déjà cet avertissement : « La Russie a toujours eu une politique extérieure indépendante. Nous n’allons pas faillir à cette tradition. »

Poutine est incontestablement l’homme qui fait l’histoire de la Russie aujourd’hui, en tout cas dans l’immédiat. C’est à la fois une personnalité, une méthode, une stratégie et des objectifs.

Ses buts sont clairs : conforter l’espace russe, affirmer la place et le rang de la Russie, renouer avec la puissance. La méthode qu’il met en œuvre est la suivante : avancer ses pions, selon les circonstances ; tester ses adversaires et ses partenaires et traquer leurs faiblesses – il est servi ! – ; être toujours en embuscade et coller aux événements.

Par sa rapidité d’action, Poutine renverse les situations. Par la voie de fait, il sanctuarise des situations devenues irréversibles. En Géorgie, en 2008, nous aurions dû être alertés, nous avons pourtant validé son action.

L’Occident est embarrassé et dépassé. La même histoire s’écrit à nouveau, et les frontières bougent.

La Russie remet en cause l’ordre régional européen, imposé par les Occidentaux à la fin de la guerre froide avec les élargissements successifs de l’OTAN, les bombardements de la Serbie en 1999 sans autorisation du Conseil de sécurité des Nations unies, la guerre en Irak en 2003, le soutien aux révolutions de couleur en 2003 et en 2005. La Russie a été humiliée et traitée en pays vaincu. Elle considère que cet ordre est injuste.

Gorbatchev a dit, à juste titre, que la Russie n’avait été ni accueillie ni récompensée par l’Europe, qu’elle était suspecte et n’était pas devenue un partenaire. C’est vrai, l’erreur était certainement là !

Est-il trop tard pour inverser l’ordre des choses ? La coopération est-elle encore possible ? Il faut le vouloir ! Et l’alliance ? M. Poutine et la Russie ont-ils encore besoin de nous ?

La Russie est une puissance nucléaire et elle reconstitue ses capacités militaires. La confusion est extrême : aujourd’hui, l’OTAN est considérée par la Russie comme une menace directe, alors que, pour la Pologne et les pays baltes, l’ennemi, c’est la Russie !

Nous, l’Europe, nous, la France, nous devons mieux identifier notre relation à la Russie : ni confrontation ni éloignement. Nous avons besoin de la Russie, comme la Russie a besoin de l’Europe, notamment sur le plan économique. Le pivot asiatique n’est pas une solution de remplacement.

La marginalisation de la Russie serait une erreur et comporterait des risques. La sécurité de l’Europe est en jeu : nous en sommes revenus à la menace de la force.

Au Moyen-Orient, deux coalitions s’affrontent. Le premier de leurs désaccords concerne M. al-Assad. C’est légitime. Nous soutenons la position de la France. Les autres désaccords ne sont pas pour autant résolus : la transition politique, une éventuelle partition du pays. Aujourd’hui, depuis Astana, au Kazakhstan, M. Poutine a résumé la situation : il n’y a rien à discuter dans l’immédiat, puisque les États-Unis n’ont pas de plan. Je crains qu’il n’ait raison.

Dans ce contexte, à mon sens, le dialogue et la fermeté s’imposent, comme l’a rappelé Robert del Picchia. Il faut faire preuve de fermeté, car la Russie multiplie les provocations et les tests et réactive beaucoup de foyers de tensions : dans les pays baltes, avec les russophones, en Moldavie, avec la Transnistrie et la Gagaouzie, en Géorgie et – il faut y prêter attention – dans les Balkans, entre Kosovo et Serbie. À ce titre, les opérations militaires menées avec la Serbie ne disent rien qui vaille.

Monsieur le ministre, la France a pris beaucoup d’initiatives qui vont dans le bon sens, et nous vous remercions, vous, de votre action, ainsi que le Président de la République. Maintenant, la France doit formuler des propositions pour éviter l’impasse. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Cédric Perrin.

M. Cédric Perrin. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, tous, quelle que soit notre place dans cet hémicycle, nous sommes parfois tentés de tenir un discours politique convenu ou des propos partisans. La matière qui m’amène à m’exprimer aujourd’hui rendrait cet exercice dangereux. L’importance de l’enjeu doit inhiber toutes les tentatives de récupération partisane.

Je souhaite en effet faire écho à nos travaux sur l’appréciation des conséquences géopolitiques du changement climatique.

Ce qui doit animer la politique étrangère française, à la veille de la COP 21, c’est d’abord le sentiment d’une responsabilité internationale historique, qui ne cessera pas au lendemain de la conférence, mais devra s’inscrire dans la durée.

Les enjeux sont en effet nombreux et multiformes. Chacune des difficultés que nous allons devoir surmonter, et surtout anticiper, mérite une réponse mondiale.

Ce sont d’abord des dommages croissants aux personnes et aux biens.

Les études les plus optimistes indiquent que le nombre de personnes touchées annuellement par une inondation serait de 93 millions à l’horizon 2080 et que, à l’horizon 2050, les dégâts causés par des événements extrêmes pourraient atteindre 1 000 milliards de dollars par an.

Ce sont ensuite des déplacements importants de populations : plus de 200 millions de personnes d’ici à 2 050, selon l’Organisation internationale pour les migrations, l’OIM.

Les États sous-développés, ou en voie de développement, si leur capacité de résilience n’est pas suffisante pour qu’ils s’adaptent et assurent une qualité de vie acceptable à leur population, transformeront les déplacements intérieurs en migrations internationales. Comment l’Europe s’y prépare-t-elle, alors qu’elle est aujourd’hui incapable de gérer l’accueil de quelques milliers de migrants ?

C’est enfin un risque accru de conflictualité et d’instabilité. Des États apparemment stables pourraient être mis sous tension et fragilisés par le changement climatique.

Bien évidemment, cette vulnérabilité croissante touche plus particulièrement les populations les plus pauvres et aggrave des situations déjà fragiles. Il faut y voir en quelque sorte un renforcement du risque de la faiblesse, un multiplicateur de menaces.

Le changement climatique est, par ailleurs, susceptible de modifier des équilibres régionaux, tels que celui qui existe en Arctique, emportant des conséquences potentiellement mondiales, puisque plusieurs grandes puissances coexistent dans cette région, tandis que d’autres, notamment en Asie, en suivent de près les évolutions.

Dans notre société de l’immédiateté, où le zapping de l’opinion publique s’oppose à une gestion à long terme, ces impacts sont jugés trop lointains et sont donc dramatiquement absents du débat public.

C’est pourquoi la France doit faire entendre sa voix dans le monde et promouvoir l’anticipation. Telle est notre responsabilité, elle est extrêmement importante et urgente.

Pour ce faire, il faut traiter avec sérénité les impacts décrits. Expliquer la réalité des évolutions en cours et les objectifs des décisions à prendre sans catastrophisme, sans nier la réalité s’impose. La protection des populations doit rester au cœur des échanges et passe par l’anticipation, l’information et la planification. Pour résoudre ces problèmes, il n’est nullement nécessaire de faire peur.

Pourtant, de façon un peu paradoxale, en cette année où la France préside et accueille la COP 21, la récente loi actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense ne fait pas référence au risque climatique, pourtant mentionné dans le Livre blanc de 2013.

Comme l’a souligné Jean-Pierre Raffarin, « la citation du changement climatique comme une menace et comme un facteur d’amplification des crises aurait été justifiée et cohérente par rapport au discours porté par la France. Elle traduit probablement une insuffisance de la réflexion stratégique française en ce domaine ». Cette absence de référence est une erreur révélatrice d’un attentisme inquiétant. Nous ne pouvons nous y résoudre.

Dans ce combat, l’endurance s’impose et l’une des étapes de ce marathon est la COP 21 et son indispensable accord pour la sauvegarde de notre « maison commune ».

L’abandon n’est pas envisageable, l’échec interdit. Trop de grandes conférences se sont enlisées, trop de discussions n’aboutissent pas.

Réussir la COP 21 est absolument nécessaire, mais aussi absolument insuffisant. Limiter les émissions de gaz à effet de serre afin de contenir le réchauffement en deçà de deux degrés Celsius constitue en soi un défi majeur. Néanmoins, d’autres décisions s’imposent à la communauté internationale, pour anticiper les déplacements de populations, gérer les catastrophes naturelles et les dommages, prévenir les risques d’instabilité et de conflits et aider les pays les plus pauvres et les plus vulnérables. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)