M. le président. La parole est à Mme Éliane Giraud.

Mme Éliane Giraud. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, ce débat a lieu à quelques semaines de la COP 21. Monsieur le ministre, je ne vous inviterai pas à prendre votre bâton de pèlerin. J’ai en effet pu constater hier matin, en écoutant le discours d’ouverture de la conférence internationale des ministres et hauts responsables de la défense sur le thème « Climat et défense : quels enjeux ? » que vous avez prononcé, qu’une telle exhortation n’était pas nécessaire.

Mon intervention s’appuie largement sur le contenu du rapport d’information Climat : vers un dérèglement géopolitique ?, élaboré par Leila Aïchi, Cédric Perrin et moi-même. Ce document à trois voix est transpartisan et, s’il propose une mosaïque de points de vue, il dresse le constat partagé de la gravité de la situation.

Ce rapport d’information analyse en particulier les conséquences géostratégiques du dérèglement climatique dans la zone arctique. Cette problématique doit être développée dans la réflexion stratégique française, car ses conséquences sur l’équilibre international seront très importantes.

Le réchauffement de l’Arctique, marqué par la fonte des glaciers et du pergélisol et le recul de la banquise, est deux fois plus rapide qu’ailleurs et autorise à qualifier cette région de « sentinelle avancée » du réchauffement climatique. Ces évolutions sont un signal d’alarme appelant la communauté internationale à réagir, car elles préfigurent des bouleversements à l’échelle mondiale.

Selon les chercheurs, il est probable que, d’ici à 2050, voire avant, l’océan Arctique sera libre de glace à la fin de l’été, pour la première fois depuis 125 000 ans.

Le réchauffement climatique au niveau de la zone arctique va entraîner des bouleversements géostratégiques qui nous obligent à repenser notre vision du monde. L’Arctique devient donc un enjeu international très important.

Dans cette région, jusque-là perçue comme une périphérie glacée et inhabitable, pourrait émerger un nouvel espace d’échanges par l’ouverture de nouvelles routes maritimes réduisant considérablement les distances entre les grands ports d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Asie.

De même, de nouvelles activités économiques pourraient y prendre place, avec la modification de la pêche, l’extension des terres arables et l’exploitation, devenue possible, de réserves considérables d’hydrocarbures et de minerais.

Avec cela, de nouveaux conflits potentiels pourraient se déclencher, dans ce qui constituerait un changement géostratégique majeur avec le statut des passages du Nord, des litiges frontaliers, une nouvelle zone de confrontation entre la Russie et l’OTAN et l’émergence des intérêts des grandes puissances asiatiques, notamment de la Chine.

Face à ces enjeux considérables, il nous faut œuvrer, plus encore, pour la cohésion européenne, pour la définition d’une politique commune, qui ne va pas de soi tant les histoires et les intérêts divergent, et pour l’admission de l’Union européenne au Conseil de l’Arctique.

La réussite de la conférence de Paris est donc indispensable à la préservation de cet environnement unique, fragile et déterminant pour l’ensemble de la planète. Hier, monsieur le ministre, vous parliez à ce sujet de « conférence de la paix ».

Les objectifs français pour l’Arctique doivent être affirmés et la COP 21 peut nous permettre de donner un écho à cette stratégie.

Il importe également de promouvoir un usage durable de la haute mer dans le cadre des négociations internationales entamées au mois de janvier 2015 sous l’égide des Nations unies et de renforcer l’effort scientifique français sur l’Arctique dans un cadre de coopération internationale.

En matière de défense, il serait enfin souhaitable que le prochain Livre blanc développe l’analyse des intérêts économiques et stratégiques de la France en Arctique et des menaces et des risques associés.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, le réchauffement climatique bouleverse considérablement les équilibres géostratégiques et nous conduit à réinventer toutes nos politiques, en particulier en matière de défense et de politique étrangère.

Nous devons en avoir pleinement conscience. La France est forte de nombreux atouts, que nous devons apprendre à mettre en avant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, chers amis, je remercie Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, d’avoir organisé ce débat, les rapporteurs, qui ont accompli un très gros travail, et l’ensemble des orateurs.

Quatre sujets principaux ont été abordés, en lien avec les quatre rapports d’information de la commission : les relations avec la Russie, le rôle international de l’Iran après l’accord sur le nucléaire, la croissance chinoise, le climat.

Avant de répondre aux questions soulevées sur ces quatre points, je profiterai de ce débat pour effectuer un tour d’horizon un peu plus large de notre politique étrangère. Je pense que vous ne m’en tiendrez pas rigueur, car vous avez tous rappelé que, dans un monde global et interconnecté, tout se tient.

Le président Raffarin a présenté à cette tribune une synthèse très puissante, et je ne voudrais pas le compromettre en lui disant que je me retrouve largement dans ses propos ! (Sourires.)

Qu’il s’agisse de la notion d’indépendance, de l’Iran, de la Russie, du climat, de la Chine – un pays qu’il connaît extrêmement bien – ou de la position américaine – sur laquelle il a tenu des propos d’une grande diplomatie, mais dont on a bien compris le sens –, ses analyses, qui sont d’ailleurs largement partagées dans cet hémicycle, m’ont paru frappées au coin de l’observation des faits et du bon sens.

On me demande parfois quels principes orientent notre action extérieure depuis 2012. Si je devais n’en retenir qu’un, je dirais : l’indépendance.

En quoi consiste l’indépendance de la France ? C’est notre capacité à définir librement ce que nous considérons comme juste, et à agir en conséquence.

Cette indépendance – et cela a été très bien dit par les différents orateurs – fait partie de notre histoire et de la vision que nous avons de notre rôle dans les relations internationales. Elle contribue à la crédibilité de notre diplomatie. Elle est une clé de notre influence.

Certes, et heureusement, nous avons des partenaires, des amis, des alliés, et nous tenons à la solidité de ces liens. Mais le monde sait et voit – parfois mieux que certains dans notre pays – que, face aux grandes questions internationales, nous nous déterminons en fonction de notre propre jugement, non sous la pression d’un quelconque protecteur.

En d’autres termes, personne, ni les États-Unis, ni la Russie, ni la Chine, ni les pays du Golfe, ni l’Allemagne, avec lesquels nous avons des relations souvent excellentes, ne nous dicte nos choix : seuls nous guident l’intérêt de la France et des Français et notre vision du monde.

J’aurai là une appréciation légèrement différente de celle de M. Billout – c’est mon appartenance successive au Conseil d’État puis au ministère des affaires étrangères, ainsi que ma fréquentation du Sénat, qui me pousse à utiliser ce genre de litote – lorsque, dans un langage modéré, je le reconnais, il parle du « manque d’ambition de la France », des « initiatives insuffisantes en Syrie », de « propositions peu claires ».

Même si M. Hue n’a pas versé dans le même discours, à certains moments, je ne savais pas si sa critique s’adressait au pouvoir précédent ou à l’actuel ! (Sourires.)

M. Alain Joyandet. C’est trop facile !

M. Laurent Fabius, ministre. Nos choix, quels sont-ils ?

Face à un monde chaotique dans lequel les crises s’ajoutent aux crises, nous refusons ce que j’appellerai la « diplomatie girouette » – personne ici n’est concerné ! –, qui ne sait pas fixer ou garder un cap, qui procède par à-coups et même parfois par coups, qui confond l’audace du verbe et le courage dans l’action, une diplomatie que l’on pourrait résumer en empruntant le beau mot de Danton à propos de Vergniaud : « Il parle, et il croit qu’il a agi. »

M. Alain Joyandet. Cela, au moins, ne concerne pas le gouvernement précédent !

M. Laurent Fabius, ministre. Merci de le préciser ! (Sourires.)

C’est pourquoi, avec le Président de la République et le Premier ministre, et sous le contrôle du Parlement, nous avons défini quatre priorités qui, concrètement, déterminent mon action : la paix et la sécurité ; l’organisation et la préservation de la planète ; la relance et la réorientation de l’Europe ; le redressement économique et le rayonnement de notre pays.

Chaque fois que nous avons des décisions de politique étrangère à prendre, c’est à cette boussole-là que nous nous référons.

D’abord, la paix et la sécurité.

Devant l’accumulation des dangers et des crises, la France doit être une puissance de paix, et elle l’est, comme chacun des orateurs a bien voulu le rappeler, sur le dossier du nucléaire iranien.

Face au risque de prolifération, nous avons adopté une position de « fermeté constructive », que les Iraniens ne nous ont d’ailleurs nullement reprochée ensuite : oui à un accord, mais un accord qui écarte de manière certaine, c'est-à-dire vérifiable, l’accès de l’Iran à l’arme nucléaire.

Cette fermeté a permis de parvenir à l’accord robuste du 14 juillet 2015. Tout au long des négociations, nous avons, en toute indépendance et responsabilité, défendu, parce que c’était notre rôle et notre conception, la cause de la sécurité internationale et de la paix.

Plusieurs orateurs ont à juste titre posé la question : cet accord peut-il désormais servir la stabilité, notamment au Moyen-Orient ? Nous l’espérons, mais nous jugerons sur pièces, en particulier – je reprends des termes que vous avez utilisés et qui étaient parfaitement choisis – pour vérifier si l’Iran s’implique concrètement et positivement sur plusieurs sujets : la démarche de réconciliation menée en Irak par le Premier ministre al-Abadi, la sortie de l’impasse institutionnelle au Liban, une solution pacifique au Yémen, le soutien aux efforts de M. de Mistura, l’envoyé spécial des Nations unies en Syrie, pour mettre en œuvre le communiqué de Genève de 2012.

Si je résume notre position, qui me semble être aussi la vôtre à tous, l’accord de Vienne peut ouvrir la voie à un monde plus sûr. L’Iran, pays important et héritier d’une grande civilisation, doit y prendre sa part, mais les choses ne sont pas acquises et nous jugerons ce pays non pas sur les proclamations, mais sur les actions.

Je rejoins donc M. Legendre et M. Reiner lorsque l’un et l’autre ont souligné, en parfait accord, semble-t-il, qu’il faudrait établir une feuille de route lors de la visite du président Rohani à Paris. Nous sommes en train d’y travailler, et j’ai noté votre insistance sur la dimension culturelle et éducative, mais aussi sur les enjeux diplomatiques et économiques.

J’ai également noté que l’accord de Vienne était considéré comme positif, mais que nous étions, selon l’expression de M. Reiner, « dans l’expectative », et que nous avions besoin de travailler ensemble sur plusieurs points, parmi lesquels le tourisme ou les chambres de commerce.

Je crois donc pouvoir dire que, sur ce sujet, notre position est claire et rien ne nous sépare.

C’est le même engagement au service de la paix et de la sécurité qui commande depuis maintenant un peu plus de trois ans notre position dans la tragédie syrienne. Je veux être assez précis sur ce point parce que certaines interprétations ne me semblent pas correspondre à la réalité.

Face à ce drame effrayant, probablement le plus lourd depuis le début du siècle si l’on considère le nombre de victimes, où les atrocités terroristes s’ajoutent à ce qu’il faut bien appeler la barbarie de M. Bachar al-Assad, la position de la diplomatie française – je réponds là, notamment, à l’intervention de M. Billout – s’articule autour de plusieurs points fixes.

D’abord, nous devons lutter, le plus collectivement possible, contre Daech et contre les autres groupes terroristes. La France le fait en Irak depuis un an avec plus de soixante États, dans le cadre d’une coalition qui ne doit pas relâcher son action. Depuis quelques semaines nous le faisons également en Syrie, en légitime défense puisque nous visons des cibles qui menacent notre propre sécurité.

Que ne dirait-on pas si, ayant identifié des cibles, c'est-à-dire des groupes qui menacent de tuer des Français ou des Européens, nous ne réagissions pas !

Tous ceux qui veulent nous rejoindre dans cette lutte sont les bienvenus, à condition, comme je l’ai dit à la tribune des Nations unies, que leurs frappes soient effectivement dirigées contre les terroristes. Nous condamnons celles qui touchent les civils, ainsi que celles qui touchent les opposants modérés qui, courageusement, défendent une vision de la Syrie qui est la nôtre : une Syrie unie, démocratique et respectueuse de toutes les communautés.

La Russie est intervenue. J’observe que, jusqu’à présent, elle n’a ciblé que marginalement Daech et les groupes terroristes, centrant ses raids sur l’opposition à Assad. Au point que cette intervention peut déstabiliser des opposants modérés et favoriser, comme on l’a vu ces derniers jours, la progression de Daech, notamment vers Alep.

Une autre condition parmi les trois que pose la France est l’arrêt des bombardements des civils à l’explosif, ce que les Anglo-Saxons appellent le barrel bombing. Ces violences, qui sont commanditées – nul ne peut le contester – par M. Bachar al-Assad, alimentent à la fois l’essentiel du flux de réfugiés et l’extrémisme. Vous m’avez demandé quelles étaient nos initiatives : eh bien, nous envisageons de déposer une résolution sur ce sujet aux Nations unies.

Enfin, nous voulons favoriser une transition politique – elle est indispensable – qui montre au peuple syrien que le responsable de 80 % des 250 000 morts de Syrie et des millions de réfugiés ne sera pas son avenir.

J’entends l’argument développé par certains, pas très longuement dans cet hémicycle, mais qui tend à se faire de plus en plus insistant, selon lequel Bachar serait un antidote au chaos.

M. Daniel Reiner. C’est l’auteur du chaos !

M. Laurent Fabius, ministre. Or il est, en effet, le principal responsable du chaos !

D’autres le tiennent pour un « moindre mal » par rapport à Daech. Cela peut faire l’objet d’une discussion, mais nous considérons que s’allier avec Assad constituerait, au-delà même de la faute morale, une impasse politique. On voit mal, en effet, comment on pourrait aller vers une Syrie vraiment unie sans le départ de M. Bachar al-Assad et comment on pourrait lutter efficacement contre Daech et les terroristes sans forces syriennes unifiées comprenant les militaires ?

Depuis 2012, nous plaidons et nous agissons pour une transition. Nous en connaissons les paramètres : c’est le communiqué de Genève de 2012. Nous en connaissons également les acteurs. Ma communication ou votre information sont sans doute insuffisantes sur ce point, mais nous en discutons avec les États-Unis, bien qu’ils donnent parfois l’impression de s’intéresser davantage à la zone Pacifique qu’au Proche et au Moyen-Orient ou à l’Europe. Nous en discutons avec les Européens, les Arabes, les Turcs, les Russes, les Iraniens. Nous sommes prêts à l’action avec tous, mais aux conditions que je viens d’évoquer, parce qu’elles seules, notamment la transition de sortie, garantiront l’efficacité.

Je suis heureux que ce débat m’ait permis de préciser la position de la France à cet égard.

Nous savons tous qu’en Syrie comme en Irak, au Mali comme en Lybie, la paix n’est pas le pacifisme, et que l’action militaire, aussi importante soit-elle, doit être accompagnée d’avancées politiques.

En Irak, nous soutenons la démarche de réconciliation menée par le Premier ministre al-Abadi, car nous considérons que seul un régime dit « inclusif » et des forces irakiennes unies pourront lutter efficacement contre Daech.

Au Mali, après notre intervention militaire de 2013, notre diplomatie s’est mobilisée pour permettre l’accord de paix et de réconciliation signé en juin dernier. Nous sommes engagés aujourd’hui pour en faciliter la mise en œuvre.

En Lybie, j’estime, avec le recul, qu’une certaine erreur a été commise en 2011 en considérant qu’après l’action militaire le suivi ne nous concernait pas ; peut-être n’était-ce pas vraiment l’idée au départ, mais c’est ce qui s’est produit dans les faits. Dès 2012, nous avons soutenu les efforts diplomatiques du représentant de l’ONU, M. Bernardino León, pour la formation d’un gouvernement d’union nationale.

Ainsi, qu’il s’agisse de la Syrie, de l’Irak, du Mali ou de la Lybie, la leçon est finalement la même : face au terrorisme, dès lors que l’on veut rétablir la paix et la sécurité, il n’y a pas de solution militaire efficace s’il n’y a pas d’évolution politique. C’est en ce sens que nous nous attachons à agir.

Nous agissons également en puissance de paix face à l’imbroglio israélo-palestinien, ainsi que plusieurs d’entre vous l’ont relevé. La recrudescence des violences en Cisjordanie, à Jérusalem et à Gaza nous préoccupe très gravement. Depuis des mois, je mets en garde contre les risques d’embrasement, mais la France a été un peu seule… Là, nous y sommes ! Il y a donc urgence à relancer un processus politique crédible, qui permette d’avancer vers une paix juste et durable.

La France, trop seule parfois, je le disais à l’instant, est à l’initiative. Dans le débat politique national, j’entends certains prétendre que nous ne nous mobiliserions pas assez sur ce sujet. Mais nos partenaires étrangers ont plutôt tendance à soutenir la thèse inverse… En tout cas, nous appelons la communauté internationale à ne pas laisser la solution des deux États se déliter. Nous alertons même sur le risque, qui paraît lointain, mais qui ne l’est peut-être pas, que Daech puisse à un moment donné accaparer la cause palestinienne, avec des conséquences en chaîne qui seraient dramatiques.

Mme Bariza Khiari. Bien sûr !

M. Laurent Fabius, ministre. Lors de la récente assemblée générale des Nations unies – ce point n’a pas été souligné, notamment par la presse ! –, nous avons organisé une rencontre inédite du quartet, élargi cette fois-ci aux acteurs arabes clés ainsi qu’aux partenaires européens ; c’est ce que j’ai appelé le « groupe international de soutien ».

Nous considérons que ce nouveau format, que nous ne voulons pas abandonner, est susceptible de contribuer à redessiner un horizon politique, en poussant les parties concernées à reprendre les négociations, en vue, espérons-le, de les faire aboutir.

Ce groupe international de soutien pourrait se fixer trois objectifs précis : des mesures de confiance à objectif immédiat pour apaiser les tensions ; un soutien collectif à la réconciliation palestinienne ; l’élaboration de garanties et de compensations internationales dont chacune des parties aura besoin pour signer l’accord espéré.

En novembre dernier, j’avais indiqué devant l’Assemblée nationale – et j’ai eu l’occasion de le répéter devant le Sénat – que, si cette ultime tentative de solution négociée n’aboutissait pas, alors, la France prendrait ses responsabilités, en reconnaissant l’État palestinien. Je renouvelle aujourd'hui cet engagement du haut de cette tribune. (Mme Nathalie Goulet applaudit.) La France n’abandonnera ni l’exigence de sécurité pour Israël ni celle de justice pour les Palestiniens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)

Mme Bariza Khiari. Bravo ! C’est courageux !

M. Laurent Fabius, ministre. Face à cette crise, comme face aux autres, notre diplomatie ne se détermine pas en faveur d’un camp contre un autre. Nous ne choisissons pas les Palestiniens contre les Israéliens, ou l’inverse, pas plus que nous ne soutenons, dans les crises du Moyen-Orient, les sunnites contre les chiites, ou réciproquement. La France est l’amie à la fois du peuple israélien et du peuple palestinien. De même, la France n’a pas à prendre parti entre deux courants de l’islam.

Notre fil rouge, j’y reviens, c’est le souci d’agir en faveur de l’indépendance, pour la sécurité et la paix. Notre politique étrangère se veut donc équilibrée, indépendante et tournée vers l’exigence de paix.

C’est précisément cette exigence qui nous a conduits à nous impliquer depuis des mois dans la résolution du conflit entre la Russie et l’Ukraine.

L’objectif est d’enrayer la spirale de la guerre et de créer les conditions d’un retour à la paix. Pour ce faire, nous avons engagé, en lien avec nos amis allemands, un dialogue singulier avec la Russie et l’Ukraine, dans le cadre de ce que l’on a appelé le « format Normandie ».

Aujourd’hui, nous sommes mobilisés pour la mise en œuvre effective des accords de Minsk 2, notamment pour ce qui concerne le volet politique. Le sommet au format Normandie organisé voilà quelques jours à Paris et auquel j’ai assisté a été utile. Malgré des à-coups, le respect du cessez-le-feu progresse. L’accord sur le retrait des armes de petit calibre est peu à peu mis en place. Fait très important, les élections unilatéralement annoncées par les séparatistes dans le Donbass, qui auraient signé la fin du processus de Minsk 2, ont été reportées.

Il reste évidemment beaucoup de travail. Par expérience, je sais que nous devons être prudents, mais nous avançons, notamment – certains ont considéré que nous ne parlions pas assez avec la Russie ! – grâce à notre dialogue constant avec les Russes.

Notre ligne face à ce pays est la suivante : dialogue et fermeté. Fermeté parce que nous ne pouvons pas accepter des violations du droit international, comme l’annexion de la Crimée. Dialogue parce que l’engagement russe fait partie de la solution.

Sur la question ukrainienne comme sur les autres, nous travaillons donc avec les partenaires clés pour servir la sécurité et la paix.

Si je devais résumer notre position à l’égard de la Russie, à laquelle une longue histoire et une évidente géographie nous lient, je parlerais volontiers de « coopération vigilante ». Nous continuerons à discuter avec les Russes de tous les sujets, mais sans renoncer à notre lucidité ni à nos principes. Je me retrouve à cet égard dans les propos de M. del Picchia, de Mme Durrieu et de tous ceux qui ont évoqué ce sujet.

Selon M. del Picchia, la France devrait affirmer dès maintenant qu’elle souhaite une levée graduelle des sanctions. Mais c’est ce que nous disons ! Et c’est ce que nous voulons dès lors, bien sûr, que les conditions seront remplies. Il ne s’agit pas de maintenir des sanctions perpétuelles ; cela n’aurait pas de sens, d’autant que cela pénaliserait à la fois les Russes et nous-mêmes.

Les autres suggestions qui ont été faites méritent, bien sûr, d’être analysées.

S’agissant toujours de cette première priorité de notre politique étrangère, la paix et la sécurité, je voudrais dire quelques mots de la question des droits de l’homme, que je m’attendais à voir abordée dans cette enceinte de manière critique, puisque c’est dans ce registre qu’elle l’est parfois à l’Assemblée nationale, votre sœur jumelle ou votre petite sœur, si j’ose dire. Mais tel n’a pas été le cas.

Quoi qu'il en soit, les critiques que j’entends à ce sujet passent sous silence la mobilisation de notre réseau diplomatique dans toutes les enceintes multilatérales où se défendent ces droits. Je pense en particulier à l’abolition universelle de la peine de mort, dont j’ai fait une grande cause de notre diplomatie. On ignore nos efforts en faveur de nombreux cas individuels, loin des caméras et des micros, car je me suis forgé avec le temps la conviction selon laquelle cette approche est généralement la plus efficace.

Ces critiques méconnaissent aussi nos positions fortes en faveur de l’État de droit. En témoigne, par exemple, notre soutien à la transition démocratique tunisienne – je recevais il y a quelques instants encore les lauréats tunisiens du Prix Nobel de la paix. C’est oublier que le combat en faveur des droits de l’homme consiste non pas seulement à émettre des protestations, certes indispensables face à telle situation individuelle ou à tel régime, mais aussi à prendre l’engagement que je viens de décrire, un engagement sans faille pour la paix et la sécurité. Car la guerre et le chaos constituent les premières atteintes aux droits de l’homme.

Par nos efforts diplomatiques, par des interventions militaires parfois, nous protégeons le droit des populations à vivre en sécurité et en paix.

La deuxième priorité de notre politique étrangère est l’organisation de la planète et sa préservation.

Pour organiser la planète, il convient de promouvoir une société mieux régulée au niveau international. D’où notre appui constant à l’ONU.

On a rappelé la nécessité de réformer l’ONU ; j’en suis tout à fait d’accord. Soixante-dix ans après sa création, cette institution révèle certaines insuffisances. Elle reste malgré tout un lieu unique, où la communauté internationale s’efforce de résoudre les crises, de faire respecter les droits de l’homme et de s’accorder sur une vision commune en matière de développement et de l’avenir de la planète.

Nous croyons à l’ONU, en dépit de toutes ses limites. Nous plaidons pour des réformes qui la rendraient plus représentative et plus efficace. En la matière, Mme Goulet a, me semble-t-il, proposé quelques pistes.

Nous souhaitons un élargissement des membres permanents du Conseil de sécurité, qui donnerait, notamment, une place accrue aux pays émergents.

Nous proposons – cela a été critiqué, mais à mon avis de manière injustifiée – que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, en cas de crimes de masse – c’est le cas en Syrie –, suspendent volontairement leur utilisation du droit du veto, afin d’éviter la paralysie de cette instance.

Selon nous, le droit de veto n’est pas un privilège, c’est une responsabilité. Vous avez sans doute noté, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Président de la République s’est engagé, lors de la récente assemblée générale des Nations unies, à ce que la France n’utilise plus son droit de veto dans ce cas. Il s’agit là d’une décision forte, mais qu’on ne saurait critiquer en prétendant y voir une renonciation à notre rôle. Non ! Je pense même, en maniant sans excès le paradoxe, que si l’on veut donner au droit de veto toute sa légitimité, il faut éviter les excès, comme on en a connu notamment dans l’affaire syrienne.

Notre décision est au service de la sécurité internationale, de la paix et d’un multilatéralisme rénové et légitimé.

Nous agissons aussi pour une planète préservée. Mme Giraud, Mme Aïchi et M. Perrin sont intervenus sur ce sujet, et je fais miennes les observations qu’ils ont formulées. Mme Aïchi a souligné à quel point on ne pouvait agir dans ce domaine sans avoir une vision à long terme. M. Perrin a soulevé toute une série de questions, parfaitement légitimes, quant à l’incidence des dérèglements climatiques sur les conflits, les migrations, les phénomènes extrêmes, la pauvreté. C’est bien le sujet ! Mme Giraud, quant à elle, a bien voulu relever que je me mobilisais pour le climat.

Je vous le confirme, mesdames, messieurs les sénateurs : je me mobilise à tel point que mes collègues étrangers m’ont même surnommé le « climarathonien » ! (Sourires.)

La préservation de la planète, tel est l’objet de la Conférence mondiale sur le climat, qui aura lieu dans cinquante jours et que je suggère d’appeler, non pas par arrogance, mais parce que c’est ainsi que tous les étrangers la nomment, la « Conférence de Paris », de préférence à la « COP 21 ».