M. Robert del Picchia. Tout à fait d’accord !

M. Laurent Fabius, ministre. Pourquoi avons-nous été candidats ? Certainement pas parce que l’histoire des conférences climatiques internationales est une longue suite de triomphes : ce n’est pas le cas ! En vérité, il est apparu au Président de la République, qui a pris cette décision, que l’enjeu de la conférence était vital, au sens étymologique du terme, et que la France devait prendre ses responsabilités.

Comme certains d’entre vous ont abordé la question climatique, je profite de l’occasion pour dire quelles sont, à mon sens, les conditions d’un succès à Paris. J’en vois au moins trois principales.

D’abord, il faut que l’accord soit ambitieux : un accord permettant de limiter d’ici à 2100 le réchauffement climatique à 2 degrés ou, si possible, 1,5 degré. Au cours de ces dernières semaines, un certain nombre d’avancées ont été enregistrées, en particulier en ce qui concerne le rythme de dépôt de ce que l’on appelle les « contributions nationales ». En effet, aujourd’hui, ce sont près de 150 pays qui ont déposé auprès de l’ONU ce document dans lequel ils définissent leurs engagements. C’est nouveau ! Cela représente presque 90 % des émissions de gaz à effet de serre, alors que le fameux protocole de Kyoto n’en couvre que 15 %. Je crois qu’i faut bien garder ces deux chiffres en tête.

Sur la base des contributions annoncées, selon les premières estimations – nous disposerons de l’estimation officielle le 1er novembre prochain – réalisées notamment par des ONG, nous serions sur une trajectoire de 2,7 ou 3°degrés. C’est certainement moins que les 4, 5 ou 6 degrés du scénario catastrophe de l’inaction ou du scénario avancé par le GIEC, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, mais c’est encore nettement trop.

Cette situation rend absolument indispensable – c’est un point que nous avions identifié à l’avance – l’adoption, à Paris, d’une clause de révision périodique à la hausse des différents engagements nationaux, tous les cinq ans, par exemple, afin d’améliorer la trajectoire, qui doit rester en deçà des 2 degrés. Il est essentiel d’obtenir cette clause de révision, qui est, selon moi, l’une des conditions majeures du succès de la Conférence de Paris.

La deuxième condition du succès de la Conférence de Paris, une condition dont on parle trop peu, est que l’accord doit être juridiquement contraignant. Les Britanniques parlent d’un legally binding agreement. L’objectif n’est pas d’adopter une simple déclaration politique. Lors des réunions de négociations à la fois formelles et informelles qui se tiendront la semaine prochaine et les semaines suivantes, il faudra que les règles contraignantes que nous devrons faire figurer dans l’accord soient clairement posées.

Nous travaillons aussi à renforcer le mécanisme de suivi des engagements. La forme juridique exacte reste, au moment où je m’exprime, à déterminer. Il faut que cet accord ait la force du droit, afin que cela n’entraîne pas, dans certains pays – je pense aux États-Unis –, de blocage automatique lors de la ratification. Or ce n’est pas facile.

La valeur universelle de l’accord doit constituer une contrainte utile ; peut-être l’adhésion de tous les pays se révélera-t-elle même le plus dissuasif des mécanismes de prévention des violations.

La troisième condition du succès est, selon moi, la mobilisation des moyens financiers et technologiques nécessaires à la mise en œuvre de l’accord.

Sans doute vous souvenez-vous que, en 2009, à Copenhague, les pays du Nord ont promis de consacrer aux pays du Sud, au bénéfice du climat, 100 milliards de dollars annuels en 2020. Cette promesse doit être tenue au nom de la solidarité et de la justice, qui sont deux conditions indispensables pour parvenir à un accord à Paris.

Ces derniers jours, mon collègue Michel Sapin et moi-même étions à Lima, au Pérou, pour l’assemblée annuelle du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. À cette occasion, une avancée très importante a été réalisée : à la demande de la France et du Pérou, un état des lieux précis a été dressé des aides versées aux pays du Sud, alors que, jusqu’ici, si l’objectif de 100 milliards de dollars en 2020 était fixé, personne n’était capable de dire quelle était la situation du moment, ce qui rendait tout progrès difficile.

Cette évaluation a été réalisée par l’OCDE, qui a établi un rapport très complet, technique et méthodique, dans lequel elle estime à 62 milliards de dollars les financements versés aux pays du Sud en faveur du climat en 2014 ; elle fait également apparaître que, malheureusement, la fraction de cette somme qui est destinée à l’adaptation de ces pays aux effets du changement climatique est trop faible.

À Lima, les banques multilatérales ont promis d’accomplir un effort supplémentaire de 15 milliards de dollars. Si l’on y ajoute les efforts nouveaux de certains États, sans oublier ceux du secteur privé, qui doit investir, l’objectif de 100 milliards de dollars en 2020 semble désormais pouvoir être atteint ; ce serait un atout majeur pour le succès de la conférence de Paris.

En ce qui concerne les technologies – un sujet absolument fondamental pour les pays du Sud, notamment pour certains grands pays émergents comme l’Inde –, des efforts sont accomplis, qui seront davantage dévoilés au cours de la conférence. En particulier, nous menons un travail avec M. Bill Gates et d’autres personnalités au service de l’augmentation des budgets de recherche et développement et des investissements publics, mais aussi privés, consacrés aux énergies renouvelables. Les avancées dans ce domaine sont prometteuses, mais des efforts importants restent à accomplir.

Un accord ambitieux, juridiquement contraignant et accompagné de moyens financiers et technologiques : tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les trois résultats auxquels nous nous efforçons d’aboutir. Un autre progrès, certes non contraignant juridiquement, devrait également être accompli en ce qui concerne le prix du carbone et l’ambition fixée en la matière pour 2050 ; de fait, si nous voulons que le secteur privé se mobilise, il faut définir un horizon de long terme, ainsi que l’a souligné Mme Aïchi.

Si, de surcroît, des mesures rapides et concrètes sont décidées, notamment un grand programme pour éclairer l’Afrique – un chantier dont s’occupe en particulier le nouveau président de la Banque africaine de développement, un homme remarquable, ancien ministre de l’agriculture du Nigéria –, nous pourrons parler de succès le 11 décembre, date de clôture de la conférence.

Le Président de la République est en première ligne, avec l’ensemble du Gouvernement et notre réseau diplomatique. Pour ma part, je suis à ma tâche de futur président de cette conférence, pour contribuer à son succès. C’est aussi pour parler du climat que je me suis rendu, ces derniers jours, en Amérique du sud puis en Arabie saoudite. Par ailleurs, je réunirai au début du mois de novembre les ministres d’une centaine de pays pour une « pré-COP » informelle ; en effet, nous avons tiré de certaines conférences antérieures la conclusion qu’il faut avancer le plus possible avant la conférence proprement dite, compte tenu de la grande difficulté qu’il y a à progresser sur tous les sujets en présence de 20 000 invités.

Ce travail est assez âpre, mais il est nécessaire. Nous redoublerons d’efforts dans la dernière ligne droite, pour essayer de réussir ce qui pourrait être la plus grande avancée diplomatique mondiale de ces dernières années.

Dans leur rapport d’information Climat : vers un dérèglement géopolitique ?, Mmes Aïchi et Giraud et M. Perrin insistent beaucoup sur la montée des eaux comme facteur de dérèglement géopolitique ; ils mettent particulièrement l’accent sur la question des déplacés climatiques. Je pense qu’ils ont raison. Je ne cesse moi-même de donner l’alerte à cet égard, en soulignant que le dérèglement climatique est aussi un dérèglement sécuritaire.

Il faut donc concevoir la Conférence de Paris non pas seulement comme une conférence environnementale, mais aussi comme une conférence sur la paix.

Je serai moins long au sujet de la troisième priorité de notre politique étrangère, la question européenne, d’autant que tous les problèmes sont liés.

Nous faisons face à une succession de crises que vous connaissez. À toutes les crises précédentes s’ajoute aujourd’hui une crise humanitaire consécutive à l’afflux de réfugiés provoqué notamment par les conflits dans le voisinage immédiat de l’Union européenne. Il y a aussi une crise démocratique, liée à la perception de l’Europe dans les opinions publiques nationales : si les Européens croient encore sans doute à une certaine idée de l’Europe, ils associent désormais souvent le fonctionnement de l’Union européenne à une lourde bureaucratie, au chômage et au dumping social. Ce contexte est favorable aux tensions entre États membres, aux replis nationaux et aux discours populistes jouant sur les peurs.

Dans ces conditions, nous devons agir selon des principes aussi clairs que possible : solidarité, responsabilité, fermeté. Tel est le sens de toute une série d’interventions du Président de la République, faites tantôt seul, tantôt avec la chancelière Merkel, tantôt avec d’autres.

La priorité est aujourd’hui de répondre aux crises, qui portent en germes de nombreux risques de désunion : je pense à ceux nés de la crise migratoire, mais aussi à ceux qui risquent de naître du référendum britannique, à propos duquel j’avais mis en garde, car il s’agit d’une opération extrêmement risquée.

La responsabilité des États membres, en particulier de la France, pays fondateur, est d’apporter à toutes ces crises des réponses concrètes, en suivant quelques mots d’ordre.

D’abord, il faut simplifier, mais sans susciter l’illusion que nous pourrions réviser les traités à court terme, car les états d’esprit actuels dans nos pays ne le permettent pas. Il faut commencer par améliorer la situation économique et sociale ; une fois que cela sera fait, nous pourrons réviser les traités.

Ensuite, il convient de mieux protéger les Européens, non seulement en agissant contre la menace terroriste, mais aussi en améliorant la défense européenne et en menant à bien d’autres opérations.

Enfin, il importe de développer l’économie européenne pour la rendre capable de relever les défis d’aujourd’hui et de demain. Pour y parvenir, nous devons mener des politiques ambitieuses dans quelques domaines clés : l’énergie, le climat, le numérique, l’équité fiscale et sociale. Cette action suppose une meilleure convergence des économies européennes, en particulier au sein de la zone euro.

Dans les semaines qui viennent, de nombreux débats se tiendront sur l’orientation de l’Europe, en liaison notamment avec le référendum britannique et les propositions que le gouvernement de M. Cameron va présenter. Ces propositions, nous les examinerons avec nos partenaires dans un esprit simple : oui aux améliorations de l’Union européenne, mais non à son démantèlement.

Je l’ai dit à nos amis britanniques, et j’espère que cette conviction est partagée sur l’ensemble des travées de la Haute Assemblée : la place du Royaume-Uni est dans l’Union européenne, à condition que celle-ci reste fidèle à ses principes fondateurs et n’ait pas à renoncer à ses ambitions.

Sur tous ces sujets européens, nous agissons avec l’ensemble de nos partenaires, et d’abord, c’est bien naturel, avec notre partenaire allemand. Il peut arriver que nos visions ou nos intérêts divergent ; dans ce cas, la France fait évidemment valoir son propre point de vue. Toujours est-il que, dans la plupart des cas, heureusement, nous adoptons une position commune, et c’est un levier très puissant pour l’action.

La quatrième priorité de notre politique étrangère est le rayonnement de notre pays.

Plusieurs orateurs ont traité de la diplomatie économique. Je n’y reviendrai pas, car il est maintenant acquis qu’elle est l’une des priorités de notre diplomatie, pour des raisons que j’ai exposées hier devant votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.

Comme l’a fait observer, me semble-t-il, le président Raffarin, l’influence politique ne peut pas être durablement déconnectée du poids économique. C’est pourquoi j’ai lancé, avec le soutien du Président de la République et du Premier ministre, toute une série de réformes : réorganisations internes au ministère, instructions données à nos ambassadeurs, rapprochements menés avec les entrepreneurs, notamment avec les patrons de PME, envoi de représentants spéciaux dans les pays stratégiques, renforcement des liens avec ces pays – au premier rang desquels figure la Chine, dont je parlerai dans quelques instants –, élargissement du périmètre du Quai d’Orsay au commerce extérieur et au tourisme, création des nouveaux opérateurs unifiés que sont Business France et Expertise France et lancement d’opérations mondiales de promotion de notre pays, parmi lesquelles la campagne « Créative France ».

Ces réformes commencent aujourd’hui à porter leurs fruits, mais il faut absolument persévérer, car nous avons encore de nombreux progrès à accomplir.

Certains – mais il ne s’en trouve pas au Sénat – prétendent que cette diplomatie économique nous conduirait à abandonner la défense de nos valeurs. Je ne crois pas un instant à cette thèse. Si je voulais vous faire sourire, je citerais, à l’intention de ceux qui la soutiennent, une formule que j’ai souvent entendu François Mitterrand prononcer. L’ancien Président de la République, qui connaissait bien les faiblesses de l’esprit humain, me disait, en pensant à d’autres : il ne faut pas prendre toutes les mouches qui volent pour des idées ! (Sourires.)

De fait, dans la majorité des cas, la défense de nos intérêts économiques n’est absolument pas inconciliable avec la promotion de nos valeurs. Du reste, entretenir des relations économiques avec un État ne signifie évidemment pas donner un blanc-seing à son régime pour chacune de ses actions de politique intérieure. Ce qu’ont dit à cet égard Mme Goulet et d’autres orateurs me paraît parfaitement légitime. Évitons tout bashing, qu’il vise la France ou une autre cible !

Au demeurant, nous savons, lorsque la situation l’impose, fixer des limites à la diplomatie économique et prendre des décisions difficiles. C’est ce que nous avons fait, par exemple, en choisissant de ne pas livrer les Mistral à la Russie. J’avoue d’ailleurs avoir du mal à comprendre en vertu de quel raisonnement cette décision a pu être interprétée par certains comme une attaque contre les Russes. Pourquoi donc les Russes auraient-ils accepté de signer avec nous une résiliation si elle était contraire à leurs intérêts ; je dois dire que je ne le saisis pas – sans doute est-ce la fatigue… Il est vrai que la dialectique peut parvenir à confondre les raisonnements les plus sûrs. (M. Alain Joyandet s’exclame.) J’ajoute que, en tout état de cause, nous avons revendu les deux navires.

L’intéressant rapport d’information de votre commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées intitulé « Chine : saisir les opportunités de la nouvelle croissance » m’inspire quelques observations relatives à ce géant d’aujourd’hui et de demain, mais aussi d’hier, avec lequel nos relations sont excellentes.

Les auteurs du rapport d’information soulignent à juste titre que le nouveau modèle de croissance chinois aura des incidences importantes sur nos relations économiques. En passant d’un rythme annuel de croissance à deux chiffres il y a quelques années à l’objectif officiel de 7 % pour 2015, les autorités chinoises ont pris acte des transformations majeures à l’œuvre dans leur économie. Pour en discuter périodiquement avec elles, je puis vous dire qu’elles avaient anticipé cette mutation, que le président chinois a qualifiée de « nouvelle normalité » : schématiquement, la Chine passe d’un modèle tiré par les exportations et par l’investissement à un modèle d’économie développée reposant davantage sur la consommation intérieure.

Quoi qu’il en semble, cette évolution est une bonne nouvelle pour la Chine, dans la mesure où le modèle précédent était à l’origine, entre autres conséquences, de mouvements spéculatifs sur les marchés boursiers. Même si ces mouvements n’ont pas en Chine la même incidence que chez nous, les entreprises chinoises étant financées non par la bourse mais essentiellement par les banques, il existait un danger d’effets systémiques, ainsi qu’on l’a constaté l’été dernier.

Cette évolution est également une bonne nouvelle pour le monde, même si je me suis permis de dire aux plus hautes autorités chinoises que les explications qu’elles avaient fournies n’avaient sans doute pas été exactement ce qu’elles auraient dû être, la mutation, pourtant prévue, ayant été ressentie comme une rupture par ce qu’on appelle « les marchés ».

Le rythme effréné de la croissance chinoise était porteur de conséquences ingrates pour l’environnement, sur le plan de la pollution comme sur celui de l’épuisement des ressources mondiales. À cet égard, la « nouvelle normalité », qui représente un défi historique pour la Chine, laquelle va devoir en quelques années repenser des pans entiers de son économie et développer une industrie aux fondements plus « verts », est assumée par les autorités. De fait, ce n’est pas un hasard si le cinquième plénum du comité central du parti communiste chinois, qui se tiendra du 26 au 28 octobre, insistera sur la nécessité de poursuivre les réformes structurelles. Les entreprises d’État, qui réalisent la moitié du PIB chinois, seront particulièrement concernées.

Dans ce contexte, fort bien analysé par les auteurs du rapport d’information, nous devons tirer le meilleur parti de nos relations avec la Chine, en particulier de la prochaine visite présidentielle française, dont l’axe majeur sera précisément le développement durable, l’approfondissement de notre dialogue dans ce domaine et la préparation de la Conférence de Paris.

Le Président de la République sera accompagné d’industriels issus de grands groupes et de PME. Il se rendra en province, ainsi que les autorités chinoises en ont émis le souhait.

Nous nouerons de nouveaux partenariats, y compris sur des marchés tiers, conformément au vœu de plusieurs d’entre vous. D’autres secteurs, également représentés, pourront naturellement bénéficier de l’attention renouvelée des autorités à l’égard des besoins des consommateurs chinois : l’agriculture, l’agroalimentaire, l’industrie pharmaceutique et, bien entendu, les nouvelles technologies.

Être présent dans cette nouvelle économie chinoise constitue pour nous une priorité. En agissant ainsi, la France – qui, avant tous les autres pays et en toute indépendance, a fait le pari de la Chine – est dans son rôle : accompagner ce pays dans son émergence.

Plusieurs résultats – j’espère qu’ils se confirmeront ! –sont déjà au rendez-vous. Pour le moment, ils n’ont pas bénéficié d’un large écho. Pourtant, en dépit du ralentissement de la croissance de la Chine, et plus encore de la contraction notable de ses importations, dont le volume a décru de 15 % au premier semestre 2015, les entreprises françaises ont vu leurs ventes progresser de 14 % sur la même période. Il faut y voir la contribution positive de ces nouveaux secteurs de coopération qui répondent aux besoins d’une classe moyenne de plus de 500 millions d’individus.

Nos entrepreneurs, eux aussi, ont compris comment aborder plus efficacement cette évolution décisive de l’économie chinoise. À nous de continuer à nous mobiliser aux niveaux politique, économique et administratif pour les accompagner dans cette voie.

Monsieur le président Raffarin, vous soulignez souvent que la qualité de nos relations économiques avec la Chine s’explique, en particulier, par l’indépendance de notre politique étrangère. (M. Jean-Pierre Raffarin opine.) Je partage tout à fait cette analyse. Je disais au début de mon propos que notre indépendance était l’une des clés de notre influence, non seulement diplomatique mais aussi économique : c’est ce que l’on observe en Chine comme dans les autres pays.

Au-delà de cette dimension économique, j’ai souhaité que notre diplomatie investisse l’ensemble des champs de l’action extérieure de l’État : la culture, l’éducation, les valeurs, la francophonie – dans quelques décennies, il y aura 750 millions de francophones, grâce à la croissance démographique de l’Afrique –, qui représente un réservoir d’influence en même temps qu’un potentiel économique, ainsi que le tourisme, qui constitue un trésor national, à la fois pour notre économie et pour notre image dans le monde.

Je réitérerai ici les propos que j’ai tenus hier devant la commission des affaires étrangères, car ils pourront ainsi figurer au compte rendu officiel. Il faut s’habituer à une idée simple qui n’est, malheureusement, pas souvent présentée comme telle : quel est le secteur économique qui, en France, fournit deux millions d’emplois non délocalisables, représente 7,5 % du produit intérieur brut, donne à notre pays le premier rang mondial, dégage un excédent de plus de 10 milliards d’euros chaque année, et dont nous savons qu’il est un secteur d’avenir ? Le tourisme !

On ne peut plus considérer ce secteur comme marginal : il est désormais central pour notre développement et pour notre rayonnement ! C’est le sens des annonces très importantes que les dirigeants de la Caisse des dépôts et consignations – je les en remercie – ont récemment faites en acceptant que plus d’un milliard d’euros soient investis dans le secteur touristique.

Bref, j’ai le souci constant de mener une diplomatie globale, avec des moyens financiers qui sont certes contraints, mais qui permettent d’avancer. Puisque l’influence de la France dans le monde est multiforme, notre diplomatie doit l’être aussi.

J’ai promis d’adresser à chacun d’entre vous le projet « Ministère des affaires étrangères et du développement international du XXIsiècle », dit « MAEDI 21 ». Arrêté il y a quelques semaines, ce projet tire les conséquences en termes organisationnels, pour les années à venir, de cette ambition pour le ministère des affaires étrangères.

Toute une série de réformes est prévue. L’une d’entre elles est à la fois symbolique et réelle : en 2025, 25 % de nos effectifs diplomatiques se situeront dans les pays émergents du G20 et, en 2017, l’ambassade de France en Chine sera notre principale ambassade dans le monde.

Parallèlement, nous développerons les colocalisations d’ambassades avec nos partenaires européens. Nous renforcerons les plans de sécurité de la communauté française à l’étranger. Nous affecterons également – cela vous intéressera tout particulièrement – un conseiller diplomatique auprès de chaque préfet de région, afin de renforcer les liens entre notre diplomatie et nos territoires. En outre, nous mettrons en place de véritables consulats numériques : ainsi, en 2020, tous les Français de l’étranger devront pouvoir effectuer l’essentiel de leurs démarches consulaires en ligne, 24 heures sur 24. Enfin, le Quai d’Orsay atteindra l’objectif d’une neutralité carbone totale en 2020.

Voici quelques exemples de décisions en matière d’organisation qui sont en ligne avec notre perspective générale.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir m’excuser si mon intervention vous a paru trop longue, mais les occasions ne sont pas si nombreuses de dresser un panorama d’ensemble de notre politique étrangère. De fait, j’ai pu ainsi vous montrer la cohérence de celle-ci.

Je viens ainsi de vous résumer les quatre priorités de notre diplomatie. Je tiens à dire que ces priorités sont servies par une administration d’une très grande compétence, à laquelle je veux exprimer ici ma gratitude, mais aussi, vous connaissant, la vôtre.

Gardons-nous d’être arrogants : la France seule ne dicte évidemment pas leur conduite à tous les États du monde. Toutefois, partout où je me rends, je constate que – pour reprendre une expression qui a été employée – notre voix est attendue et entendue !

Sur tous les sujets que je viens d’évoquer, je crois pouvoir dire que notre diplomatie tient son rang. D’ailleurs, une majorité de Français semble le percevoir et en tirer satisfaction, voire, parfois, une certaine fierté.

Pour autant, soyons lucides ! La France dispose de beaucoup d’atouts, mais les dynamiques spontanées du XXIsiècle ne seront pas toutes en notre faveur. Notre poids démographique et économique est appelé mécaniquement à se réduire en termes relatifs. La concurrence des pays émergents va s’accentuer, l’Europe fait et fera face à des défis considérables, à commencer par les tendances à la division.

Ce constat ne doit nullement nous décourager, il doit nous inciter à redoubler d’efforts en conciliant – je fais ainsi écho à des propos de Mme Aïchi – la gestion du temps court, celui des crises immédiates, et la préparation du temps long, à échéance de dix ou vingt ans.

Dans l’accomplissement de cette mission, je sais pouvoir compter sur le travail des parlementaires, singulièrement le vôtre, mesdames, messieurs les sénateurs, qui nous accompagnez dans notre action et nous honorez en général de votre soutien et de votre confiance.

Pour votre contribution importante à la qualité de notre politique étrangère, je vous adresse donc mes remerciements. Au-delà des clivages partisans, il existe en effet ce bien précieux qui s’appelle l’intérêt de la France ! Je sais que, toutes et tous ici, nous en sommes les défenseurs ! (Applaudissements.)

M. le président. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre disponibilité.

Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « La politique étrangère de la France : quelle autonomie pour quelle ambition ? ».