M. Jean-Claude Lenoir. C’est à voir !

M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État. … comme certains ne cessent de l’affirmer, sur différentes travées, refusant de croire à la capacité de la communauté internationale d’avancer. Les mêmes pensaient qu’il était impossible de lutter contre les paradis fiscaux dans le cadre de l’OCDE. C’est pourtant bien ce qui s’est passé, parce que nous avons été capables de porter non des paroles de repli ou de timidité, mais une ambition raisonnable.

Nous cherchons non pas à adopter une posture qui nous amènerait à nous isoler de la communauté internationale, mais, tout au contraire, à nous placer au cœur de la mobilisation de la communauté internationale, en premier lieu de l’Union européenne, afin de réaliser les avancées qu’exigent la dignité, la responsabilité des entreprises et l’humanisme qui, je l’espère, nous rassemblent ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Claude Lenoir. Le discours sera sans doute différent ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, chacun se souvient des images terribles de l’effondrement du Rana Plaza intervenu dans la banlieue de Dacca, au Bangladesh, au mois d’avril 2013. Je vous rappelle le nombre effrayant de victimes : 1 134 décédés, sans compter les blessés et les familles des victimes.

Il est vrai qu’une bonne part des ateliers de confection installés dans cet immeuble étaient des sous-traitants indirects de grandes marques internationales, dont des marques françaises.

Le fonds d’indemnisation des victimes, le Rana Plaza Donors Trust Fund, créé en janvier 2014 sous l’égide de l’Organisation internationale du travail et alimenté de façon volontaire par des donateurs publics ou privés, dont l’État du Bangladesh et de grandes entreprises du textile, a atteint en juin dernier le nécessaire montant de 30 millions de dollars.

Cela étant, est-il normal de devoir mettre en place un tel système pour indemniser les victimes ? Évidemment non !

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui aurait-elle permis de contribuer à cette indemnisation, s’agissant des entreprises françaises ? Sans doute pas.

Aurait-elle permis d’éviter ce drame ? Je ne le crois pas non plus.

Ce sont les défaillances de la législation civile et pénale et de l’administration du Bangladesh qui ont empêché de prévenir cette tragédie et d’indemniser les victimes. Les règles de sécurité au travail, les conditions de travail et, tout simplement, les règles de construction et leur contrôle ne sont pas les mêmes que chez nous. Est-ce la faute des entreprises françaises ? Non, bien sûr !

L’enjeu, c’est le développement : il faut aider ces pays, qui sont les ateliers du monde, à améliorer le sort de leurs travailleurs et à se doter d’un système juridique efficace pour sanctionner et indemniser de tels dommages sur leur territoire.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Je suis convaincu de la justesse du combat des ONG qui s’impliquent sur cette question ; je les ai reçues en audition. Mais quel est l’outil le plus adapté pour atteindre leurs objectifs ? Je doute que ce soit cette proposition de loi.

Certes, l’objectif de faire contribuer les entreprises françaises au respect des droits de l’homme, des normes sanitaires et environnementales et à la lutte contre la corruption dans le monde entier est vertueux. Beaucoup a toutefois été fait depuis une quinzaine d’années, sur l’initiative des gouvernements successifs et dans une grande continuité, pour renforcer les obligations des grandes sociétés en matière de publication d’informations sociales et environnementales, pour rendre compte de l’incidence sociale et environnementale de leurs activités, et ainsi les inciter à limiter les éventuelles conséquences négatives.

Les grandes entreprises y ont d’ailleurs intérêt, car la réputation est un atout commercial à préserver.

Citons d’abord la loi relative aux nouvelles régulations économiques de 2001, puis la loi Grenelle de 2010. Nous aurons bientôt l’occasion d’aller plus loin dans ce domaine, avec la directive du 22 octobre 2014 relative à la publication d’informations non financières par les grandes entreprises, premier texte européen dans ce domaine, qui devra être transposée d’ici au mois de décembre 2016.

Les entreprises devront publier des informations sur leur politique de prévention des risques en matière sociale et environnementale, de droits de l’homme et de corruption, et rendre compte des procédures de diligence raisonnable qu’elles mettent en œuvre à cette fin.

Alors que ces entreprises partagent des objectifs, la présente proposition de loi va pourtant compliquer le travail de transposition de ladite directive. Que penser, dès lors, du texte soumis aujourd’hui à l’examen du Sénat ?

Monsieur le secrétaire d'État, devant l’Assemblée nationale, le 30 mars dernier, vous avez affirmé que ce texte était « robuste juridiquement ». Certes, nous venons de loin ! Il suffit, pour s’en convaincre, de lire les propositions de loi antérieures de nos collègues députés sur le même sujet. Mais s’il y a bien quelque chose que l’on ne peut pas dire de ce texte, c’est qu’il est robuste juridiquement, tant ses lacunes, ses imprécisions et ses ambiguïtés sont nombreuses, ce que je vais vous démontrer.

On peut s’interroger sur la portée extraterritoriale implicite de cette proposition de loi, dès lors que le plan de vigilance devrait s’étendre aux sous-traitants et aux fournisseurs étrangers, ce que ce texte ne mentionne pas explicitement. Et n’oublions pas le risque d’ingérence dans la gestion des sous-traitants.

Relevons aussi la généralité et l’imprécision des normes de référence du plan de vigilance : sont-ce les principes directeurs des Nations unies ou de l’OCDE, les exigences du droit français, le droit local étranger ? Le renvoi au décret ne règle pas cette question.

La procédure permettant d’enjoindre à une société de remplir ses obligations de vigilance ou de lui infliger une amende civile de 10 millions d’euros est, elle aussi, pleine d’incertitudes ou d’omissions rédactionnelles. Quel juge faut-il saisir ? Qui prononce l’amende et dans quels cas précis ? Le texte ne le précise pas.

Le plus intéressant reste le régime de responsabilité prévu à l’article 2. Certes, il renvoie aux règles de droit commun du code civil, mais la portée réelle de la responsabilité de la société qui doit établir le plan de vigilance est incertaine, dès lors que ce plan s’étend jusqu’aux sous-traitants étrangers. On est proche ici de la responsabilité pour faute d’autrui.

De plus, en permettant aux associations, par un mécanisme de renvoi vers l’article 1er, d’engager cette action en responsabilité, le texte instaure une forme inédite d’action de groupe, sans garanties procédurales et sans mandat des victimes, par procureur privé.

Avec ce mécanisme, une association, qu’elle soit française ou étrangère, pourrait saisir le juge français, au nom de victimes étrangères, pour un dommage réalisé à l’étranger du fait d’un sous-traitant étranger de troisième ou quatrième rang, sous prétexte qu’il devrait entrer dans le périmètre du plan de vigilance ! Est-ce raisonnable ? Est-ce bien ce que l’on recherche ?

Ces imprécisions soulèvent des interrogations d’ordre constitutionnel quant à de possibles atteintes au principe de clarté de la loi, à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, au principe de responsabilité et au principe selon lequel nul ne plaide par procureur.

Je pourrais également développer l’idée que ce texte – dépourvu de toute évaluation préalable ! – risque de porter une atteinte disproportionnée à la compétitivité des entreprises françaises et à l’attractivité de la France, alors même que les législations étrangères comparables sont de portée ou d’ampleur plus limitées.

Les entreprises étrangères intervenant sur le marché français ne seraient pas soumises aux mêmes obligations, qui créeraient, en outre, des distorsions de concurrence sur le marché européen.

Ces obligations auraient une incidence sur les PME françaises sous-traitantes, du fait de l’extension du plan, et imposeraient des coûts de mise en œuvre et de contrôle du plan de vigilance, non évalués, à l’ensemble des chaînes d’approvisionnement des grands groupes industriels en France et à l’étranger.

En dernier lieu – je le sais, cette observation est contestée par certains, mais elle est importante d’un point de vue économique –, l’Union européenne est le niveau le plus pertinent pour traiter des préoccupations qui ont conduit à l’élaboration de cette proposition de loi, sur le fondement de la directive de 2014, afin d’assurer une équité de traitement des entreprises européennes. Les entreprises françaises ne peuvent pas être les seules concernées ; c’est le sens d’une résolution adoptée par le Parlement européen au mois d’avril dernier.

Pour l’ensemble de ces raisons, la commission des lois a rejeté ce texte et propose au Sénat de le faire à son tour en adoptant les trois amendements de suppression que je présenterai. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.

Mme Anne-Catherine Loisier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, chacun de nous a été bouleversé par le drame des victimes du Rana Plaza.

Chacun de nous s’est senti écœuré devant des pratiques qui bafouent les droits de l’homme.

Chacun de nous est d’autant plus mal à l’aise que les entreprises à l’origine de ces pratiques sont les nôtres, et non des moindres, puisqu’il s’agit de grandes entreprises occidentales du prêt-à-porter, qui construisent leur croissance sur l’exploitation de la misère humaine.

M. Roland Courteau. C’est vrai !

Mme Anne-Catherine Loisier. C’est pourquoi l’examen de ce texte est aujourd’hui scruté par de nombreuses ONG et associations et par beaucoup de citoyens, révoltés par ces pratiques, qui, sous couvert d’une chaîne de production globalisée et mondialisée, portent atteinte aux droits de l’homme ou aux écosystèmes.

Il est légitime que le Sénat, Haute Assemblée historiquement attachée au respect et à la défense des droits de l’homme, s’exprime sur ce débat.

Je m’étonne toutefois que les commissions des affaires économiques et du développement durable n’aient pas demandé à être saisies pour avis sur ce texte.

Il s’agit pourtant aussi d’une question économique, et c’est d’ailleurs à ce titre que beaucoup parmi nous le rejettent.

Nous n’ignorons pas que, derrière ceux qui ne savent pas, où ne veulent pas connaître les conditions réelles de production de leurs usines ou de leurs sous-traitants du bout du monde, il y a ceux qui abusent et profitent du système.

M. Roland Courteau. Exactement !

Mme Anne-Catherine Loisier. Nous savons bien que les engagements éthiques affichés ne sont pas toujours respectés…

Dans le monde de l’exploitation forestière, que je connais un peu, certains grands investisseurs ne s’embarrassent pas des pratiques respectueuses de l’environnement qu’ils affichent pourtant dans leur rapport annuel de développement durable.

En réaction, depuis quelques années, la prise de conscience grandit.

En France, une succession de textes ont étendu les obligations en matière de responsabilité sociétale des entreprises, ou RSE, notamment la loi Grenelle II en 2010 concernant la publication des sociétés mères et de leurs filiales en termes de responsabilité sociale et environnementale, ou encore l’avis de la Commission nationale consultative des droits de l’homme en 2013.

Dernièrement, la directive européenne du 22 octobre 2014 portant sur les informations non financières, et la résolution du Parlement européen du 29 avril 2015 présentée par le groupe centriste, ont engagé l’Europe sur ce sujet majeur.

Nombre de dispositifs incitatifs et de recommandations existent, portés par les organisations internationales, mais ces démarches volontaires et non contraignantes sont notoirement insuffisantes.

Alors, faut-il envisager en France, comme nous y invitent les signataires de la proposition de loi, un cadre juridique renforcé consacrant le principe d’une responsabilité du fait d’autrui dans des conditions beaucoup plus larges que ne le préconise le droit français, à savoir en l’étendant à l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement et de sous-traitance ?

Mme Anne-Catherine Loisier. Faut-il prescrire aux seules entreprises françaises un « plan de vigilance » qui revient à instaurer une présomption de responsabilité pour des faits commis par des entités juridiques, tiers ou sous-traitants, soumises à une influence dite « déterminante » ?

Mme Anne-Catherine Loisier. Concrètement, comment les entreprises françaises vont-elles gérer, en dehors de tout cadre juridique international établi, la dimension extraterritoriale de ces plans avec des sous-traitants étrangers ?

Mes chers collègues, derrière l’inévitable renforcement du cadre juridique, on voit bien poindre de nouvelles contraintes réglementaires qui, en cas d’adoption de cette proposition de loi, ne s’appliqueraient qu’aux seules entreprises françaises.

M. Joël Labbé. Les autres pays suivront !

Mme Anne-Catherine Loisier. C’est là le problème majeur de ce texte, qui fait porter exclusivement sur les entreprises françaises, outre la culpabilité, la charge de moraliser les pratiques mondialisées des grandes multinationales, toutes condamnables soient-elles.

Non seulement ce texte créera une distorsion de concurrence au détriment des entreprises françaises et fragilisera encore l’attractivité de notre pays, mais, plus grave, il n’aura qu’une portée limitée aux seules multinationales françaises et ne changera pas la réalité et les conditions matérielles des millions de travailleurs concernés.

M. Roland Courteau. Que faire, alors ?

Mme Anne-Catherine Loisier. Si l’on se fonde sur une analyse comparative, on constate qu’aucun autre État ne dispose d’une législation d’un champ aussi étendu que celui qui est envisagé par les auteurs de la présente proposition de loi.

M. Didier Marie. Ils ont tort !

Mme Anne-Catherine Loisier. En outre, l’arsenal législatif français présente déjà certaines dispositions relatives à la responsabilité pénale des personnes morales, et impose de nombreuses obligations de contrôle des activités des filiales, y compris celles qui sont implantées à l’étranger.

Sur le fond, c’est surtout la question de l’imputation à des organes ou des représentants identifiés qui est soulevée par cette proposition de loi, avec notamment la responsabilité pénale et l’indemnisation des victimes en cas de catastrophe. Nous partageons cet objectif louable, mais, pour être efficace, la réponse ne doit pas reposer exclusivement sur les entreprises françaises.

Dans un contexte de mondialisation, le devoir de vigilance est un principe de responsabilité qui doit s’imposer à toutes les entreprises, à l’échelle européenne et internationale, faute de quoi tout cela ne sera qu’un coup d’épée dans l’eau !

Pourquoi la France n’impulse-t-elle pas des décisions européennes ?

Pourquoi la France ne prend-elle pas l’initiative, en transposant au plus vite certaines dispositions de la directive européenne d’octobre 2014 qui ne figurent pas encore dans le droit français ? M. le secrétaire d’État nous a laissés entrevoir une évolution en ce sens. Cela constituerait déjà une étape importante dans l’élaboration d’un cadre européen commun en matière de RSE !

Pourquoi la France n’utilise-t-elle pas la fenêtre offerte par la COP 21, pour diffuser ce message, créer les conditions d’une négociation internationale et faire porter en ce sens une proposition auprès de l’Organisation mondiale du commerce ?

Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, seule une réponse internationale permettra d’apporter des solutions à la hauteur des enjeux globaux dont il est question.

Seule une réponse internationale permettra tout à la fois de lever les incertitudes juridiques, de dissiper les inquiétudes suscitées chez les entreprises françaises en évitant toute distorsion des règles, et, surtout, de faire évoluer réellement les législations dans les pays concernés.

Quelles sont les normes de référence qui permettront de juger des atteintes aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales, ainsi que des risques sanitaires et environnementaux ? S’agira-t-il de normes nationales ou bien étrangères ?

Quelles seront les conséquences juridiques de cette nouvelle forme d’injonction, qui pourrait désormais être sollicitée par « toute personne justifiant d’un intérêt à agir » ?

Quelles seront les modalités d’application du plan de vigilance et des « conditions du suivi de sa mise en œuvre effective » dans les pays étrangers ?

Le groupe UDI-UC soutient la mise en place d’un dispositif international contraignant à même de prévenir les risques d’atteintes aux droits de l’homme, de dommages corporels, environnementaux et sanitaires, ainsi que les comportements de corruption.

Mais, aujourd’hui, dans sa majorité, il rejettera ce texte, considérant, outre les incertitudes juridiques et économiques soulevées, que le problème tient davantage à l’absence de dispositifs contraignants à l’échelle européenne et internationale qu’à une législation française qu’il s’agirait ici de durcir de manière unilatérale, alors qu’elle est déjà parmi les plus exigeantes en la matière. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les accidents révoltants qui ont conduit nos collègues de l’Assemblée nationale à prendre l’initiative d’un texte de loi. Leur démarche était évidente, nécessaire, légitime.

La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui est un texte important, puisqu’il a pour objectif une gestion préventive des risques d’atteinte aux droits de l’homme, des risques environnementaux et sanitaires ainsi que des risques de corruption, active ou passive, par les entreprises transnationales ayant leur siège social en France.

La proposition de loi vise à une meilleure responsabilisation des sociétés mères pour les actions de leurs filiales et de leurs sous-traitants. Il s’agit d’éviter la survenance de drames en France, et d’obtenir des réparations pour les victimes en cas de dommages portant atteinte aux droits humains et à l’environnement.

Ce texte institue un devoir de vigilance contraignant tout en s’inscrivant dans la problématique, plus large, de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises.

Il existe déjà des outils en matière de vigilance : la diligence raisonnable, la vigilance telle que définie par la norme ISO 26 000, les principes directeurs de l’OCDE, le reporting extra-financier européen ou encore la procédure de gestion des risques telle qu’envisagée dans la loi de juillet 2014, pour ne citer que ces quelques exemples.

Dans cette proposition de loi, et c’est là tout l’intérêt de ce texte, le devoir de vigilance devient obligatoire. En effet, le plan de vigilance permettra une cartographie des risques pays par pays, une contractualisation des obligations de RSE, une procédure d’alerte, des audits sociaux et environnementaux à tous les niveaux de la chaîne de valeur, des mesures de prévention de la sous-traitance en cascade, des mesures d’information et de consultation des organisations syndicales, la formation des salariés. Ce n’est pas rien !

Ce plan de vigilance pourrait même, à terme, fournir le socle d’une généralisation de la notation extra-financière, qui, pour l’instant, découle d’une action volontaire. Rappelons que la démarche RSE s’appuie sur l’intérêt à agir des entreprises, qui considèrent que la vertu peut être un atout de compétitivité.

En effet, dans un jeu concurrentiel non faussé, les entreprises ont intérêt à faire preuve de la plus grande transparence et à mettre leurs valeurs en avant comme autant d’atouts dans la compétition.

Le libéralisme sans règle est une jungle et, contrairement à ceux qui méconnaissent le sujet – j’en ai déjà entendu ici –, il ne s’agit pas de gêner les entreprises, mais, au contraire, de leur donner un levier compétitif supplémentaire.

De nombreuses entreprises ont fait le choix du mieux-disant social et environnemental, et ce texte est là pour les encourager en ce sens. Cette démarche ne fera pas fuir les investisseurs ; au contraire, elle sera de nature à les rassurer.

Sous la pression de la société civile, certaines entreprises ont en effet intégré depuis quelques années le « devoir moral » qui leur incombe.

C’est l’insécurité juridique que veulent à tout prix éviter les acteurs du marché : cette proposition de loi répond en partie à ces préoccupations.

C’est d’ailleurs pour cette raison que quelques grands groupes, ayant compris que ce texte permettra aussi de sécuriser l’environnement juridique dans lequel ils évoluent, soutiennent cette proposition de loi. Je rappelle également que, si nous ne légiférons pas, c’est in fine la jurisprudence qui s’appliquera, et je ne suis pas certaine que c’est ce que demandent les entreprises !

M. Roland Courteau. Très juste !

Mme Évelyne Didier. Enfin, cette proposition de loi constitue pour nous, parlementaires du groupe CRC, qui avons cette sensibilité, un pas supplémentaire dans la lutte contre les paradis fiscaux, la fraude fiscale et le dumping social, bref pour un véritable développement durable dans un monde globalisé.

C’est pourquoi nous pensons que ce texte s’inscrit dans la modernité, dans une vision à long terme, à rebours du « court-termisme » qui caractérise trop souvent certaines prises de position.

Certes, nous pensons qu’il faut aller plus loin et, en écho à la proposition de loi que nos collègues du groupe GDR ont déposée sur le même sujet à l’Assemblée nationale, nous aurions souhaité présenter des amendements visant notamment à clarifier les éléments du plan de vigilance et le champ d’application de cette obligation.

Nous souhaitions également que soit renforcé le caractère effectif des mesures de vigilance exigées de l’entreprise et que la charge de la preuve soit inversée afin de faciliter l’action des victimes.

Enfin, nous voulions préciser la nature de la responsabilité des sociétés mères, ou encore revenir sur l’amende civile prévue par ce texte afin de renforcer sa conventionnalité.

Toutefois, la démarche choisie par le rapporteur en commission nous privera certainement de la possibilité de défendre ces amendements.

Nous, membres du groupe CRC, sommes contre le système capitaliste et nous rêvons d’un monde où la cupidité ne serait pas le moteur de l’économie. Pour autant, lorsque la société s’avance vers plus de contrôle, de transparence et de régulation, nous devons accompagner ce mouvement et nous emparer des outils susceptibles de faire bouger les choses dans le bon sens.

La RSE, c’est maintenant !

Mme Évelyne Didier. C’est pourquoi nous apportons notre soutien à cette démarche de responsabilisation volontaire.

Notre devoir de vigilance à nous, parlementaires, est en tout état de cause de défendre l’intérêt général, et pas exclusivement celui de l’entreprise, comme nous l’entendons trop souvent sur certains bancs, et, bien entendu, de veiller à l’application effective des lois que nous votons.

Enfin, je tenais à ajouter que, par respect pour l’initiative parlementaire, si nous avons déposé différents amendements, leur défense aurait été commune, limitée, afin que la discussion de cette proposition de loi puisse tenir dans les délais impartis. Manifestement, nous n’aurons pas le temps de terminer ce soir, et je le regrette.

Quoi qu’il en soit, comme vous l’aurez compris, le groupe CRC votera ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie.

M. Didier Marie. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, cette proposition de loi arrive tout de même en séance publique, ce dont nous nous réjouissons, je l’avoue. Elle pourra ainsi poursuivre sa route législative.

Sincèrement, quels puissants intérêts ont-ils bien pu agir pour que ce texte connaisse cette course d’obstacles, et suscite cette volonté d’obstruction, qui vous a conduit, monsieur le rapporteur, à exhumer, dans un premier temps, une motion préjudicielle, utilisée une fois depuis la Seconde Guerre mondiale et tombée en désuétude depuis, et ce contre tous les usages de la Haute Assemblée, respectueuse des droits de l’opposition et fidèle à l’esprit de la Constitution ?

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. On en reparlera !

M. Didier Marie. Quels puissants intérêts vous ont-ils amené à proposer trois amendements de suppression des trois articles de cette proposition de loi, plutôt que de discuter du fond,…

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. L’intérêt général !

M. Didier Marie. … comme l’ont fait vos collègues de l'Assemblée nationale, qui, au final, ne s’y sont pas opposés ?

M. Roland Courteau. Très bien ! Il faut le rappeler !

M. Didier Marie. Ce texte a été proposé en janvier 2015 par les quatre groupes de gauche de l'Assemblée nationale,…

Mme Évelyne Didier. Très juste !

M. Didier Marie. … puis repris en mars dernier par le groupe socialiste après discussion avec le Gouvernement, et adopté à l’unanimité. Il est le fruit d’intenses échanges avec l’ensemble des syndicats et de très nombreuses organisations non gouvernementales, dont je veux saluer ici l’engagement.

Si nous portons aujourd'hui cette proposition de loi, c’est parce que la politique prime le laisser-faire, que la régulation prime la loi du profit, que l’humanisme prime la loi de la jungle économique.

C’est parce que nous ne voulons plus connaître de drames comme celui du Rana Plaza, où 1 135 personnes ont trouvé la mort il y a deux ans.

C’est parce que nous n’acceptons pas qu’au dumping social s’ajoute un dumping sur les droits humains et sur l’environnement.

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Didier Marie. C’est parce que nous ne tolérons pas que, dans le but de maximiser les profits, certes à des milliers de kilomètres d’ici – cela garantit peut-être une forme de confidentialité à ceux qui usent de cette pratique –, des femmes, des hommes, des enfants travaillent dans des conditions inhumaines, sans hygiène, sans sécurité, douze heures par jour, six jours sur sept, pour des salaires de misère, sans protection sociale et souvent avec force brimades.

M. Roland Courteau. C’est scandaleux !

M. Didier Marie. À l’heure de la globalisation, du village planétaire, le droit des affaires n’a pas évolué aussi vite que la mondialisation et n’a pas pris en compte la complexité croissante de la chaîne qui relie les donneurs d’ordre à leurs filiales et à leurs sous-traitants, laissant un vide de nature à favoriser l’émergence d’un monde sans foi ni loi où le seul goût du profit justifie cette forme d’esclavagisme moderne.

Tous ici, je l’espère, nous considérons que cette situation est inacceptable. Mais certains pensent qu’il faut laisser le marché s’autoréguler, que les bonnes pratiques l’emporteront sur les pratiques détestables et estiment que, s’il convenait d’agir, ce ne pourrait être qu’à l’échelle internationale, repoussant ainsi les échéances dans l’attente d’un éventuel consensus.

Cette posture, chers collègues, est tout d’abord contraire à l’histoire de notre pays, à celle des droits de l’homme. Elle est aussi contraire à l’exercice de notre souveraineté nationale.

La question qui nous est posée ici est celle du prix de la valeur humaine dans la chaîne de production. C’est cette même question qui était au cœur des débats relatifs à l’esclavage que notre pays s’honore d’avoir aboli avant les autres.