Mme Annick Billon, rapporteur. C’est certain !

Mme Sylvia Pinel, ministre. Votre démarche semble aussi oublier la montée en puissance des intercommunalités et le rôle des régions.

Enfin, un certain nombre de dispositions de votre proposition de loi s’avèrent inopérantes.

L’engagement du Gouvernement en faveur des campagnes se doit de répondre aux préoccupations de nos concitoyens vivant dans ces territoires. Notre méthode se veut donc pragmatique et en phase avec les réalités vécues.

Car, aujourd’hui, les ruralités, ce sont avant tout des hommes et des femmes, nouveaux venus ou installés depuis des générations, qui vivent, travaillent, investissent, innovent, créent, entreprennent, font vivre la cohésion sociale au quotidien.

C’est pourquoi le Gouvernement a engagé un travail interministériel de grande ampleur lors des assises des ruralités, pour satisfaire aux besoins nombreux en matière d’éducation, de numérique, de développement économique ou de culture, pour ne prendre que quelques exemples.

Je voudrais ainsi revenir rapidement sur les mesures qui ont été formulées lors de ces deux comités interministériels aux ruralités et qui sont très largement issues de l’important travail de concertation engagé lors des assises. Cela me permettra de démontrer que, contrairement à ce que pourraient laisser croire certains de vos propos, le Gouvernement agit avec beaucoup de détermination…

Mme Sylvia Pinel, ministre. … pour donner tout son sens au principe d’égalité, dans l’aménagement du territoire, et pour ne délaisser aucun des territoires, en cessant de les opposer.

Dans ces deux comités interministériels, soixante-sept mesures opérationnelles et adaptées aux particularités de nos campagnes ont été prises, en termes aussi bien de services que de développement économique ou d’ingénierie.

Elles constituent le socle d’une politique globale, construite autour de trois fondements : garantir l’accès aux services, amplifier les capacités de développement des territoires ruraux et assurer leur mise en réseau, en dépassant les logiques de concurrence et en favorisant la coopération, notamment par la contractualisation.

Au-delà des mots et des ambitions affichées, nous inscrivons notre politique dans le concret, pour améliorer le quotidien de nos concitoyens.

Je voudrais évoquer ici, devant vous, quelques actions majeures. Mille maisons de services au public seront créées d’ici à la fin de l’année 2016. Mille maisons de santé seront ouvertes en 2017. Le raccordement au très haut débit sera accéléré grâce à un engagement de tous les départements dans le plan France Très Haut Débit. L’ensemble des centres-bourgs seront couverts en téléphonie mobile 3G et les zones blanches seront résorbées. Le prêt à taux zéro dans l’ancien sera élargi à l’ensemble de la zone C, soit 30 000 communes, à partir de janvier 2016.

Le Président de la République l’a annoncé, à Vesoul, la moitié du fonds d’investissement de 1 milliard d’euros pour les collectivités bénéficiera aux territoires ruraux. Ainsi, 300 millions d’euros seront consacrés à la revitalisation des centres-bourgs et des villes de moins de 50 000 habitants et 200 millions d’euros seront orientés vers l’augmentation de la dotation d’équipement des territoires ruraux, la DETR.

Mais revenons maintenant à votre proposition de loi visant à créer des contrats territoriaux de développement.

Je partage la volonté des sénateurs de favoriser le développement, dans le respect des diversités et des identités des territoires. J’estime que la contractualisation des politiques publiques permet d’adapter les contours et les outils à l’environnement. Elle associe, dans une démarche partenariale, l’État, différents niveaux de collectivités et des opérateurs et elle doit permettre d’apporter des solutions à la fois souples, ciblées et efficaces.

Il me semble cependant que le dispositif contractuel que vous proposez comporte certaines contraintes et lourdeurs,…

Mme Sylvia Pinel, ministre. … qui risquent de le rendre en réalité peu opérant. D’autant qu’il ne serait pas doté de crédits spécifiques.

Mme Sylvia Pinel, ministre. Cela est d’autant plus vrai que le périmètre proposé pour ces futurs contrats, calé sur les critères actuels des zones de revitalisation rurale, semble inadapté.

Vous le savez, le Gouvernement travaille actuellement à une refonte de ce zonage, car il ne permet plus d’appréhender la fragilité de ces territoires. Notre réforme propose deux critères simples, plus en phase avec les nouvelles réalités : la densité et le niveau de revenu par habitant. Madame la rapporteur, j’ai vu que vous proposez un amendement qui prend en compte les travaux du rapport Vigier-Calmette. Nous aurons donc l’occasion d’y revenir, dans la discussion de l’article concerné.

Les récentes réformes liées à l’organisation territoriale ont été l’occasion de créer de nouveaux outils et de renforcer la contractualisation.

Plusieurs dispositifs, issus notamment de la loi NOTRe, peuvent déjà permettre de répondre aux enjeux soulevés par votre proposition de loi. C’est notamment le cas des schémas d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires. Ils permettront d’articuler dynamiques métropolitaines et soutien au rural et au périurbain.

Parallèlement, le renforcement des intercommunalités a vocation à assurer une plus grande solidarité, notamment entre les villes-centres et les communes périphériques.

Les départements sont, quant à eux, confortés dans leur rôle de garant des solidarités sociales et territoriales. Ils seront notamment chargés de l’élaboration des schémas d’accessibilité aux services publics, en lien avec les préfets de département.

Alors que notre politique vise à simplifier les procédures et à éviter les doublons, votre proposition viendrait en contradiction avec cette ambition.

Mme Sylvia Pinel, ministre. Vous permettez par exemple aux régions de signer des contrats territoriaux, tout en les inscrivant dans les contrats de plan État-région. Or les régions, en tant que signataires des contrats de plan, ne peuvent être réduites à ce simple rôle.

Par ailleurs, vous indiquez vouloir favoriser le déploiement du numérique. Or vos propositions correspondent en réalité au rôle des schémas directeurs territoriaux d’aménagement numérique, qui existent depuis 2009.

Enfin, deux dispositifs récemment lancés par le Gouvernement ont vocation à offrir des solutions souples et adaptées aux besoins des ruralités.

Je l’évoquais précédemment, c’est d’abord le programme transversal de revitalisation des centres-bourgs, que nous avons décidé d’amplifier. Comme je l’ai déjà dit, 300 millions d’euros y seront consacrés pour soutenir des projets de dynamisation qui concernent non seulement l’habitat, mais également le commerce, les équipements, les espaces publics.

Les contrats de réciprocité, quant à eux, sont aujourd’hui expérimentés dans quatre régions. Ils permettent, sous une forme extrêmement flexible, de bâtir des partenariats gagnant-gagnant entre territoires urbains, périurbains et ruraux. Reposant sur les complémentarités, ils pourront concerner les énergies renouvelables, l’agriculture de proximité, la télémédecine, l’enseignement supérieur à distance ou le développement touristique.

Cette démarche pourra être généralisée dans le cadre de la « clause de revoyure » des contrats de plan État-région.

Mesdames, messieurs les sénateurs, s’il y a une chose qui nous rassemble, c’est bien notre ambition pour nos territoires ruraux. Je ne minimise ni n’occulte les difficultés que l’on y rencontre et auxquelles sont confrontés les habitants et les élus, mais je constate que les territoires ruraux sont porteurs du dynamisme, de la diversité, de l’équilibre et de la cohésion sociale dont notre pays a besoin. Vous l’avez compris, le Gouvernement a engagé une politique ambitieuse et transversale en faveur d’un aménagement harmonieux de notre pays, les cadres d’action et les moyens inédits des comités interministériels l’attestent. Leur réussite sera mesurée par nos compatriotes à l’aune des améliorations réelles et visibles dans leur vie quotidienne.

À ce titre, je ne pense pas que la démarche de contractualisation que vous proposez permette réellement ces progrès tant attendus. Les lourdeurs et la complexité qui y sont associées risquent, en effet, de nuire à leur objectif pourtant louable, d’autant plus que, je le rappelle, aucun financement spécifique n’y est consacré.

Votre dispositif me rappelle également les pôles d’excellence rurale, qui étaient présentés comme le contrepoint des pôles de compétitivité. Loin des ambitions qui y étaient associées, la plupart n’ont servi qu’à compléter le financement de projets anciens, à l’exception de quelques-uns qui ont pu être le cadre d’innovations spécifiques.

Pour résumer, il me semble important de rappeler les grands principes qui fondent notre action : promouvoir des solutions souples et efficaces ; mobiliser les dispositifs existants dans une optique de simplification et de stabilisation, qui vise à la mise en réseau des territoires plutôt qu’à leur opposition ; enfin, révéler et encourager les dynamiques et les initiatives dont nos campagnes sont porteuses. Je n’oublie pas non plus que le sens de notre action est d’apporter des solutions aux habitants et aux acteurs qui vivent dans ces territoires et les font vivre.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, le Gouvernement ne peut, dans ces conditions, être favorable à ce texte. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau.

M. Rémy Pointereau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour discuter d’une proposition de loi que nous devons à notre ancien collègue Pierre Jarlier. Celle-ci a pour objectif d’inscrire dans la loi le principe d’une contractualisation pluriannuelle entre l’État et les territoires ruraux, en s’inspirant du modèle des contrats de ville.

Je tiens tout d’abord à saluer le travail réalisé par notre collègue Annick Billon sur ce texte qui répond, certes, à une intention louable, tout en m’inspirant quelques réserves.

Madame la rapporteur, vous dénoncez les difficultés auxquelles font face les collectivités en zone rurale et vous avez raison de le faire ! J’ai moi-même dénoncé à plusieurs reprises ces difficultés, que ce soit en tant que rapporteur pour avis de la mission « Politiques des territoires » ou lors du débat sur le thème de la ruralité et de l’hyper-ruralité. Elles sont nombreuses, qu’il s’agisse du déclin démographique, de la désindustrialisation, de la désertification médicale et des fermetures de services publics qui ne cessent de s’aggraver, de l’accès limité à la téléphonie mobile ou au très haut débit – alors que nous discutons déjà de la fibre optique ! –, ou même de la politique de la SNCF qui privilégie, pour ses investissements, les zones densément peuplées et donc plus rentables.

Comme vous, je pense que la ruralité française est une richesse pour notre pays. Comme vous, je constate qu’elle est malheureusement victime d’un manque de détermination politique et de moyens financiers. Toutefois, je crains d’avoir quelques réserves à émettre quant à cette proposition de loi. Certaines me sont inspirées par le texte lui-même et d’autres sont liées au manque de moyens financiers.

Parlons tout d’abord du texte. Je crains que votre proposition de loi ne vienne amplifier le jeu de la concurrence entre les territoires et je refuse que nous opposions nos territoires entre eux – c’est un élu d’un département très rural, où la densité de la population est assez faible, qui vous le dit !

Je crois en la complémentarité des territoires urbains et ruraux. Comme nous l’avons mentionné en commission, la France est un beau pays qui a besoin d’équilibre, mais équilibre ne veut pas dire égalitarisme absolu. Chaque territoire a ses problèmes, qui doivent recevoir un traitement équitable. Je crains également que cette proposition de loi ne donne naissance à de nouvelles normes et à de nouvelles complexités administratives. Même si M. le président de la commission a soutenu tout à l’heure le contraire, j’ai toujours peur que nos élus n’aillent un peu trop loin dans ce domaine !

Nous avons, en France, un regrettable réflexe qui consiste à vouloir répondre à un problème en créant de nouvelles structures – ici, de nouveaux contrats – sans tenter l’expérience de la simplification. Or beaucoup de possibilités de contrats existent déjà : les pôles territoriaux de coopération économique, les PTCE, les pôles d’équilibre territoriaux et ruraux, les PETR, les pôles d’excellence touristique, les PET, et les contrats de pays. Faut-il en rajouter ?

Je reconnais, madame la rapporteur, que vous avez essayé de simplifier cette proposition de loi en améliorant sa rédaction et en réduisant le nombre d’articles. Il n’en demeure pas moins que, en règle générale, lorsque l’on met en place de nouveaux contrats, ils sont, la plupart du temps, suivis de toute une série d’obligations. Rien ne garantit que votre proposition de loi n’échappe à cette règle !

Aussi, je me pose plusieurs questions : faut-il une loi pour mettre en place un contrat pluriannuel dans les territoires ruraux ? Tous les autres contrats – de ville, de pays, etc. – ont été mis en place sans texte législatif. Faut-il ajouter de la complexité en encadrant ces contrats ruraux, qui n’ont pas les mêmes périmètres que les zones de revitalisation rurale, les ZRR ?

M. Rémy Pointereau. Étant chargé de la simplification des normes, ma réponse est encore : non !

J’ai enfin l’impression que nous nous apprêtons à inscrire dans la loi, avec ce texte, quelque chose qui existe déjà dans la pratique. N’oublions pas que la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite loi MAPTAM, octroie déjà aux collectivités la possibilité de procéder par contractualisation. Alors, n’en rajoutons pas !

Mes autres réserves sont d’ordre financier. Je me pose, en effet, la question suivante – qui s’adresse à Mme la ministre – : où allons-nous trouver l’argent pour financer ces nouveaux contrats, lorsque l’on sait que le Gouvernement a raboté le Fonds national d’aménagement et de développement du territoire, le FNADT, avec une baisse de 44 millions d’euros des autorisations d’engagement et de 14 millions d’euros des crédits de paiement en 2015 par rapport à l’année 2014 ?

Où allons-nous prendre l’argent, lorsque l’on sait que le Gouvernement a tué le dispositif des pôles d’excellence ruraux, les PER, qui étaient des contrats et jouaient le rôle d’accélérateurs de projets ? Les deux premières générations de PER disposaient d’une enveloppe de plus de 200 millions d’euros ; il ne reste, aujourd’hui, que 16 millions d’euros de crédits de paiement.

Enfin, où allons-nous trouver des financements, lorsque l’on sait que le Gouvernement a diminué aussi la prime d’aménagement du territoire, la PAT ? En effet, cette enveloppe globale va connaître une forte baisse, puisqu’elle va passer de 30 millions d’euros à 27 millions d’euros.

Ayant commencé mon rapport sur la mission « Politique des territoires », je constate une fois de plus une baisse des crédits pour l’ensemble des dispositifs de soutien au monde rural, comme je vous l’ai dit ce matin, madame la ministre.

Pour conclure, j’approuve l’esprit de cette proposition de loi qui rappelle que les territoires ruraux sont laissés pour compte et que les ruraux se sentent abandonnés, mais je n’en approuve pas les solutions. Chère Annick Billon, je ne critique pas votre travail de rapporteur, loin de là, car votre intention est estimable. S’il s’agit d’adresser un rappel au Gouvernement pour qu’il passe de la parole aux actes et de l’effet d’annonce à la réalité des chiffres, pourquoi pas ? Je suis malheureusement obligé de formuler immédiatement une restriction, car cette proposition de loi sans moyens financiers ne pourra prospérer.

En revanche, monsieur le président Maurey, je pense que la commission doit étudier un grand texte d’aménagement du territoire qui regrouperait toutes les actions à mettre en œuvre afin d’inverser la spirale d’abandon de la ruralité qui crée dans notre population un sentiment de désespérance et un vote de rejet (M. Jean-Jacques Filleul proteste.), car il ne s’agit pas d’établir des constats sans apporter de solutions. Pour cela, il faut bien sûr une volonté politique ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi inscrite à l’ordre du jour réservé au groupe UDI-UC part d’une bonne intention : donner des moyens au milieu rural. Évidemment, nous approuvons l’objectif affiché de lutte contre la fracture territoriale et la désertification du monde rural. Il n’en demeure pas moins que le dispositif préconisé n’est pas convaincant.

Plusieurs sujets nous inspirent des réticences, même si nous saluons le travail de Mme la rapporteur qui a amélioré ce texte... en le réduisant au strict minimum pour, nous a-t-elle dit, tenir compte des nouveautés législatives intervenues depuis son écriture. Dont acte.

Première remarque, l’auteur de la proposition de loi – notre ancien collègue Pierre Jarlier, que je salue – propose un nouvel outil : l’élaboration d’un nouveau contrat. Un de plus, ai-je envie de dire !

Or la plupart des élus locaux considèrent aujourd’hui que l’urgence, pour les collectivités locales, ne consiste pas en l’adoption de nouvelles règles, mais bien en la stabilisation de l’environnement institutionnel et normatif, à la suite du big bang des lois MAPTAM et NOTRe. L’urgence impose également de clarifier les liens entre les collectivités en termes de politiques publiques et de financement desdites politiques, en rétablissant, par exemple, les financements croisés que l’on a voulu supprimer à différents endroits.

Ma deuxième remarque porte sur le parallèle avec les contrats de ville. Il faut souligner la contradiction opérée par cette proposition de loi. En effet, la politique de la ville travaille sur des espaces restreints, à l’échelle de quartiers. Ici, on est à l’échelle du pôle métropolitain rural.

Par ailleurs, l’auteur de cette proposition de loi affirme que les territoires ruraux auraient été les grands oubliés de la loi sur la ville de 2014. Poser la question en ces termes ne semble ni juste ni sain, puisque, pour beaucoup, cela revient à opposer l’urbain et le rural. Or il faut éviter les raccourcis. Faire une politique de la ville est nécessaire et légitime, et cette politique ne s’oppose pas aux autres politiques.

La problématique de la politique de la ville est fondamentalement différente de celle des politiques rurales. La spécificité de la politique de la ville, c’est l’articulation entre l’aménagement urbain et le social. Elle a été conçue pour corriger les travers des politiques de grands ensembles qui ont conduit à créer des poches de pauvreté menant à des stigmatisations et autres discriminations.

Ensuite, ce qui fait la force de la politique de la ville, c’est notamment le poids de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, l’ANRU, qui apporte les crédits dans le cadre des plans de renouvellement urbain. Quelle sera la force de frappe de ces nouveaux contrats s’ils ne sont pas adossés à des moyens importants dédiés, humains et financiers ? Et ce, alors même que les financements croisés disparaissent et, surtout, que la régression des dotations fragilise les budgets.

Troisième remarque, l’échelon communal ne trouve pas sa place dans ce dispositif. Seuls les EPCI sont associés à l’élaboration du contrat. Vous conviendrez que cela pose question. Notons aussi que, dans le texte qui nous est soumis en séance publique, rien n’est précisé concernant l’élaboration et l’adoption de ce contrat, et c’est un problème. Des critères d’attribution sont nécessaires, nous en avons parlé et nous en reparlerons tout à l’heure.

Quatrième remarque, cette proposition de loi offrait initialement une place inédite aux acteurs privés, invités à être cosignataires et cofinanceurs dudit contrat. Derrière cette proposition, il y avait l’idée que les entreprises peuvent aussi bien que le service public défendre l’intérêt général. Nous récusons totalement cette vision et rappelons, pour mémoire, que tous les contrats se concluaient jusqu’à présent entre acteurs publics. Très heureusement, cette possibilité a été supprimée du texte.

Cette proposition de loi veut répondre au mal-être et aux interrogations de l’ensemble du monde rural – qui couvre, il faut le rappeler, l’essentiel du territoire national – sur son avenir.

La situation du monde rural et sa désertification sont, pour nous, le témoignage d’un autre mal, la conséquence directe des politiques d’austérité menées depuis des décennies, conjuguées à la libéralisation des services publics. La concentration, la massification de l’activité économique, notamment dans les métropoles, favorisent l’exode rural. Les services publics désertent les zones non rentables pour se concentrer dans les zones rentables, invités à se comporter comme des acteurs privés. C’est, à l’évidence, la mort de l’aménagement du territoire.

La baisse des dotations, entamée par la droite, poursuivie et amplifiée par la gauche, a également des conséquences terribles pour les territoires déjà fragiles, sans compter le recul de la présence de l’État au sein de ces territoires en application de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, et de la modernisation de l’action publique, la MAP.

À noter toutefois, madame la ministre, mais j’imagine que vous y reviendrez, que des mesures positives ont été adoptées, comme la création d’un fonds pour aider les collectivités rurales à financer leurs projets ou celle des maisons de service public. Loin de moi l’idée de dire, comme d’autres, que rien n’a été fait : c’est si commode quand on n’a pas à gérer le budget !

On ne peut que s’en réjouir, mais il faut signaler que la diminution des dotations a fortement entamé la capacité d’autofinancement des collectivités. Or, sans autofinancement, ces crédits risquent bien de ne pas être consommés, sans même parler de la disparition de l’aide de l’État à l’élaboration des projets. Néanmoins, après vous avoir entendue ce matin en commission, madame la ministre, il semble que vous en ayez pris conscience et que vous souhaitiez que l’État puisse aider certaines collectivités à monter leurs projets. C'est une bonne chose !

Pour conclure, je rappellerai qu’il y a quelques années le groupe CRC avait défendu une proposition de loi pour le traitement équilibré des territoires permettant de revoir les critères de la DGF, qui s’appuyait sur le constat que les petites communes reçoivent en moyenne par habitant deux fois moins qu’une commune urbaine. À l’époque, aucun élu du groupe UDI-UC n’avait voté cette proposition de loi de rééquilibrage des moyens.

Nous en sommes convaincus, le texte dont nous discutons aujourd’hui est une proposition de loi d’affichage à moins de deux mois des élections régionales. Pour nous, le maintien des dotations aux collectivités est vital : c’est la meilleure réponse démocratique permettant aux assemblées de mener les politiques pour lesquelles elles ont été élues.

C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons pas cautionner cette proposition de loi qui ne répond pas – c’est son principal écueil – à l’objectif fixé de lutte contre les fractures territoriales, un objectif que nous partageons par ailleurs. Les territoires ruraux rencontrent certes des difficultés, mais ils n’en restent pas moins des territoires dynamiques où il fait bon vivre. Ils se battent, et il ne faut pas les victimiser.

Nous aurons l’occasion d’évoquer les questions budgétaires lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2016. Nous pourrons davantage nous exprimer sur ces sujets à ce moment-là. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Leroy.

M. Jean-Claude Leroy. Monsieur le président, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi vise à instaurer des contrats territoriaux de développement rural en transposant le mécanisme des contrats de ville aux territoires ruraux. Cet objectif est en soi louable, et personne ici ne niera la nécessité de soutenir certains territoires situés en zone rurale. Toutefois, ce texte suscite au sein du groupe socialiste un certain nombre d’interrogations.

Il faut d’abord constater que la version qui nous est proposée aujourd’hui comporte un nombre d’articles fortement réduit par rapport à la proposition de loi initiale, puisque nous sommes passés de dix à six articles, ce qui atteste la précipitation dans laquelle elle avait dû être rédigée. Le texte a sans doute été retravaillé et quelque peu amélioré, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il soit maintenant satisfaisant. Certains points, à nos yeux, posent encore problème.

L’ambition de ce texte est d’offrir aux territoires ruraux les mêmes outils qu’aux territoires urbains, ce qui peut en apparence paraître généreux et, en quelque sorte, équitable. Mais c’est oublier qu’à la diversité des territoires il faut apporter une diversité de réponses. L’hétérogénéité des territoires doit se traduire par des réponses adaptées. Le risque, à toujours vouloir comparer la ville et la campagne, est de finir par opposer deux mondes qui, souvent, se complètent.

Cette complémentarité ville-campagne se vérifie d’ailleurs dans bon nombre de territoires. Au moment où l’on redessine la carte des intercommunalités, certaines communes rurales font le choix de se tourner vers l’agglomération. Il s’avère qu’être une commune rurale dans une communauté d’agglomération est souvent un atout pour le développement de cette commune.

On l’a souvent dit et répété, il n’y a pas une, mais des ruralités, et il est peut-être plus important de mettre à disposition des territoires ruraux des outils et des moyens que de créer, en quelque sorte, un nouveau concept avec ces contrats territoriaux, uniquement pour faire un copier-coller de la politique de la ville et sédimenter un peu plus les niveaux de compétences, au point d’y perdre en cohérence et lisibilité.

La question des signataires du contrat nous interpelle également. Il s’agit, en effet, de savoir à quel échelon doit s’effectuer la contractualisation et de trouver le bon maître d’ouvrage pour mettre en œuvre le contrat. La contractualisation n’est pas en soi une idée novatrice et elle est déjà mise en pratique dans beaucoup de territoires. De nombreux départements sont liés aux EPCI par des contrats de développement durable et les régions ont signé des contrats de pays. Avec la loi NOTRe, que nous avons votée, les régions ont désormais un rôle fondamental en matière de planification et les départements ont des compétences renforcées dans le domaine des solidarités territoriales.

On peut donc se demander si ce n’est pas la région qui devrait prendre l’initiative et signer le contrat avec les pôles d’équilibre territoriaux et ruraux, ou PETR, en collaboration avec les départements et les EPCI. Cela n’empêcherait pas l’État d’abonder en utilisant ses moyens traditionnels comme les DETR, les dotations d’équipement des territoires ruraux, et le FNADT, le Fonds national d’aménagement et de développement du territoire.

Il semble d’ailleurs d’autant plus pertinent de mettre la région au cœur du dispositif que, parmi les sources de financements reprises à l’article 3, il est fait mention des fonds européens, lesquels transitent par les régions. Dans le cadre de la régionalisation du second pilier de la politique agricole commune consacré au développement rural, il revient désormais aux régions de valider les projets et d’attribuer en conséquence les subventions.

Quand vous évoquez dans l’article 3 la faculté pour les régions de signer le contrat, vous commettez une erreur. C'est non pas une possibilité, mais une obligation, les compétences en matière de planification étant dévolues aux régions selon la loi NOTRe.

Nous nous interrogeons également sur la définition des territoires ruraux en difficulté figurant à l’article 2, définition qui reprend celle du rapport Calmette-Vigier pour le classement en zones de revitalisation rurale, ou ZRR. Il faut bien reconnaître que l’article 2 a connu bien des avatars en commission. Entre une définition très restrictive fondée sur des critères cumulatifs et un retrait pur et simple de l’article, la majorité de la commission nous propose maintenant d’adopter les critères préconisés par le rapport Calmette-Vigier sur la réforme des ZRR.

Mais alors la question qui se pose est la suivante : quand les ZRR seront redéfinies et, avec la mise en place d’un traitement différencié des territoires, quelle sera encore l’utilité de la loi ? De surcroît, vous renvoyez à un décret en Conseil d’État le soin d’établir les critères d’éligibilité. Comprenne qui pourra !

Enfin, on ne peut laisser affirmer, comme il est fait dans l’exposé des motifs, que les territoires ruraux seraient les grands oubliés, sous-entendu de l’action gouvernementale. Le Gouvernement s’engage dans ce domaine. Vous l’avez rappelé, madame la ministre, les deux comités interministériels sur la ruralité qui ont eu lieu à Laon et à Vesoul en mars et septembre 2015, au cours desquels soixante-cinq mesures ont été mises en place, ont été perçus comme la preuve de la mobilisation du Gouvernement en faveur des territoires ruraux (Mme la ministre opine.), et ils ont d’ailleurs été bien accueillis par ces territoires (Mme la ministre opine de nouveau.). Ainsi, 3 milliards d’euros sont engagés pour le haut débit : l’objectif dans ce domaine est de faire entrer très rapidement l’ensemble des départements dans le plan France Très Haut Débit et de connecter au haut débit satellitaire 150 000 foyers supplémentaires, situés en zones difficiles d’accès, à l’horizon 2018. L’ensemble des bourgs-centres seront couverts par la téléphonie mobile d’ici à la fin de l’année 2016. Confirmation a été donnée par Mme la ministre de l’engagement du Gouvernement dans ce domaine lors de son audition hier par la commission.

Des nouvelles maisons de services au public seront créées, de même que des maisons de santé, pour atteindre le chiffre de 1 000 en 2017. Par ailleurs, 1 700 contrats d’engagement de service public seront signés pour favoriser l’installation de jeunes médecins et 700 médecins seront formés à l’aide médicale d’urgence. En matière d’aide à la mobilité, 12,5 millions d’euros supplémentaires sont engagés pour maintenir les petites stations-service et 100 plateformes de mobilité seront créées dans les bourgs-centres.

Pour soutenir l’investissement dans les territoires ruraux, vous l’avez également indiqué, madame la ministre, une enveloppe de 300 millions d’euros est débloquée pour les projets portés par les petites communes et par les bourgs-centres. Le rôle fondamental du bourg-centre est ainsi réaffirmé, ce qui est essentiel, car il est une règle selon laquelle « quand le bourg va bien, tout l’arrière-pays va bien, mais quand le bourg va mal, c’est tout l’arrière-pays qui souffre ».

Toutes ces mesures en faveur du monde rural énoncées lors des deux comités interministériels sont donc importantes. Ce ne sont pas de simples effets d’annonce, puisque la plupart d’entre elles sont déjà bien engagées, comme vous nous l’avez confirmé ce matin lors de votre audition par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.

Plutôt que de mettre en place une nouvelle forme de contractualisation, nous préférons donc des mesures qui s’adressent à la ruralité dans son ensemble.

Au final, si l’intention de cette proposition de loi est louable, il semble que le temps se soit arrêté pour ses auteurs, puisqu’ils ne tiennent pas compte de la nouvelle répartition des compétences mise en place par la loi NOTRe et qu’ils feignent d’ignorer les différentes mesures engagées et celles qui ont été annoncées lors des comités interministériels. Cette proposition de loi nous semble donc être un texte de circonstance qui se veut être un signal adressé au monde rural – chacun l’aura compris – à quelques semaines des élections régionales.

Nous pensons simplement que le dispositif proposé n’est pas pertinent et nous estimons, comme beaucoup de nos collègues, sur toutes les travées, qu’il est possible de favoriser le développement des territoires ruraux avec l’ensemble des dispositifs déjà existants.

Le congrès des maires ruraux à Murol avait pour thématique « Vive la campagne ! Une identité rurale à réinventer ». Bon nombre de maires étaient venus témoigner certes de leurs difficultés, mais aussi des initiatives prises en particulier dans le domaine du numérique, avec demain des applications dans le domaine de l’éducation, de la santé, de l’économie. Cela a fait dire à René Souchon, président du conseil régional d’Auvergne : « J’ai refusé de construire des routes nationales en Auvergne. J’ai fait du très haut débit à la place. »

Preuve en est que nos territoires ruraux sont capables de se moderniser et qu’ils font preuve d’inventivité pour peu qu’on leur en donne les moyens. Ces moyens arrivent, des outils existent. Sachons les utiliser pour faire de notre ruralité une ruralité bien vivante ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)