M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, plus d’un an et demi après son dépôt initial à l’Assemblée nationale, le 3 juin 2014, nous examinons, enfin, les conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement. Le processus fut long, mais constructif ; le texte a eu le temps de mûrir, et il convient de reconnaître les égales contributions de l’Assemblée nationale et du Sénat à son amélioration.

L’ambition de ce projet de loi est simple : préparer la France face au vieillissement important de sa population en raison de l’arrivée progressive à l’âge de soixante ans des générations du baby-boom et de l’accroissement de l’espérance de vie. Les personnes de soixante ans et plus représenteront ainsi 31 % de la population en 2035.

Ce bouleversement démographique appelle une réponse politique dès aujourd’hui pour que les personnes âgées ne soient pas uniquement livrées à la silver economy, qui les considère seulement comme un « nouveau marché » à conquérir.

C’est un écueil dans lequel ne tombe pas ce projet de loi, puisqu’il considère qu’adapter la société au vieillissement, c’est faire le choix d’une société solidaire, inclusive, pour renouer le lien social.

Ce texte a fait le choix judicieux de la transversalité, en proposant une série de mesures concrètes et transpartisanes qui touchent à tous les champs de la perte d’autonomie : aides financières, habitat, innovations techniques, structuration des réseaux territoriaux.

La mesure phare de ce texte, c’est la revalorisation de l’APA de 375 millions d’euros par an et le relèvement des plafonds pour que les bénéficiaires disposent jusqu’à 30 % d’heures d’aide à domicile supplémentaires. Il s’agit d’une avancée importante pour les 700 000 bénéficiaires de cette aide.

La création d’un droit au répit pour les aidants est également une avancée importante. En effet, 20 % des 4,3 millions d’aidants souffrent de symptômes de fatigue morale et physique, ce qui a des effets sur leur santé. Le projet de loi prévoit une allocation pouvant aller jusqu’à 500 euros par an pour financer le séjour de la personne aidée dans un hébergement temporaire ou un accueil de jour, afin de permettre à la personne qui l’accueille de se reposer quelques jours. Cette mesure, très bénéfique pour les aidants, a le soutien des écologistes.

Plan national d’adaptation de 80 000 logements privés d’ici à 2017, aides à la réhabilitation des logements foyers, création de nouveaux postes dans ces résidences : le texte comporte de nombreuses autres mesures positives que nous saluons.

Signe du consensus qui a présidé à l’élaboration de ce texte, cela a été dit, la commission mixte paritaire est parvenue à élaborer un texte commun.

Les avancées obtenues au cours de la navette ont été confirmées, les points de désaccord entre le Sénat et l’Assemblée nationale ont été résolus. Nous nous réjouissons tout particulièrement du maintien de la rédaction de l’Assemblée nationale concernant le Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge. En effet, les politiques de solidarité ont besoin de transversalité, de mise en commun des expertises, plutôt que de cloisonnement. La version finale de cet organisme retenue dans le texte nous semble à même de répondre à cette exigence.

Nous nous réjouissons également de l’adoption de plusieurs de nos amendements tout au long de la navette ; ils viennent améliorer ce texte.

Nous avons ainsi obtenu la transformation du congé de soutien familial en congé de proche aidant. Ce congé, aujourd’hui réservé aux membres de la famille, sera étendu aux aidants, familiaux ou non, des personnes âgées ou handicapées.

Nous avons également obtenu la rédaction d’un rapport gouvernemental sur un projet de monnaie complémentaire pour l’autonomie. Nous nous inspirons d’un système qui existe déjà au Japon. Le principe est simple : une personne qui aide une personne âgée est rémunérée en tickets-temps, qu’elle peut soit conserver pour ses vieux jours, soit donner à l’un de ses proches.

Il est désormais temps que cette initiative soit mise concrètement en œuvre. Je l’appellerai la MOTSI, pour « monnaie temps de solidarité intergénérationnelle ».

M. Gilbert Barbier. Vous avez déposé un brevet ? (Sourires.)

M. Jean Desessard. J’avais pris l’exemple d’une personne en âge de conduire disposant d’un peu de temps, qui conduirait une personne âgée en échange de tickets-temps qu’elle pourrait employer plus tard pour ses déplacements lorsqu’elle ne serait plus capable de conduire. Je l’avais appelé le TAS, le ticket autonomie solidarité, mais je trouve que la MOTSI est plus significative, parce qu’elle traduit bien les notions de monnaie-temps et de solidarité intergénérationnelle.

Vous devez établir un rapport, madame la secrétaire d'État. De mon côté, je vais lancer de vastes études auprès des prestataires, des personnes qui travaillent sur les monnaies locales. Nous pourrions engager une expérimentation dans plusieurs départements d’ici à quelques mois. J’espère que vous et le Sénat soutiendrez cette initiative, madame la secrétaire d'État.

Ce projet de loi, enrichi des contributions des deux assemblées et de l’amendement sur la MOTSI, constitue un premier pas important pour l’anticipation, l’adaptation et l’accompagnement du vieillissement. En conséquence, les sénatrices et les sénateurs écologistes voteront ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous arrivons au terme d’un parcours législatif qui nous a conduits à débattre, depuis juillet 2014, d’un projet de loi visant à répondre aux besoins des Français en matière de vieillissement de la population. Comme cela a été signalé, ce long travail législatif a permis aux deux assemblées d’améliorer le texte, d’y apporter des précisions ou des ajustements et d’aboutir à un large consensus. C’est tout l’intérêt de la procédure « normale », quand l’heure est au recours excessif à la procédure accélérée, qui dévalorise le rôle du Parlement et nous empêche d’aller au fond des choses.

Je tiens à souligner que les nombreuses modifications apportées par le Sénat en première lecture ont été, pour beaucoup, retenues par l’Assemblée nationale en deuxième lecture : sur les trente-cinq articles restant en discussion à l’issue de cette deuxième lecture, vingt-cinq ont été adoptés dans la rédaction du Sénat par la commission mixte paritaire. C’est un signal fort adressé à ceux qui souhaiteraient remettre en cause le bicamérisme et supprimer la Haute Assemblée.

J’en viens maintenant au projet de loi qui nous réunit cet après-midi. En 2060, un tiers des Français auront plus de soixante ans et les plus de quatre-vingt-cinq ans seront près de cinq millions. Nous sommes confrontés à un défi social considérable, à un véritable enjeu de société : celui d’accompagner au mieux nos aînés et de répondre à leurs besoins. Une réforme de la dépendance de grande ampleur s’imposait donc ! Cependant, ainsi que je l’ai déjà souligné au cours de mes précédentes interventions, ce texte ne prévoit qu’une réforme a minima. Les Français attendaient beaucoup des promesses formulées par le Président de la République voilà trois ans. À l’époque, il était question de la mise en place du cinquième risque. Aujourd’hui, nous savons qu’il n’en est rien.

De la même façon, madame la secrétaire d'État, vous avez annoncé, dès la première lecture, que la seconde étape de la réforme concernant les maisons de retraite ne serait pas mise en œuvre prochainement, le Gouvernement n’ayant pas les marges budgétaires nécessaires pour effectuer ce second volet. Je le déplore. De plus en plus de personnes âgées se retrouvent en situation de perte d’autonomie du fait de l’allongement de la durée de la vie. Dans ces conditions, le maintien à domicile trouve ses limites.

Nous craignons par ailleurs que le financement proposé ne se révèle très vite insuffisant. En effet, le coût de la dépendance, qui est évalué aujourd'hui à 22 milliards d’euros, devrait s’élever à 35 milliards d’euros en 2060. Face aux difficultés que connaissent de très nombreux conseils départementaux du fait de la montée en puissance de l’APA et de la baisse particulièrement importante des dotations de l’État, la question du financement reste prégnante et ne pourra pas être éternellement éludée.

Pour autant, ce projet de loi constitue une première étape dans la prise en compte du vieillissement. Au travers de ses trois volets, il devrait contribuer à améliorer les conditions de vie à domicile des personnes âgées, qui désirent plus que tout y rester le plus longtemps possible, y compris lorsqu’elles sont fragilisées et moins mobiles.

Le texte issu de la commission mixte paritaire est un texte de compromis qui comporte des mesures intéressantes, notamment sur la gouvernance, les résidences dites de « deuxième génération » ou encore la convergence des régimes d’autorisation et d’agrément des services d’aide à domicile vers un seul régime d’autorisation.

Je tiens surtout à saluer la décision de la commission mixte paritaire d’avoir maintenu le fléchage concernant la réforme de l’APA. Ainsi, 55,9 % du produit de la CASA y seront consacrés en 2016, puis 70,5 % au cours des exercices suivants. Comme l’ont rappelé nos corapporteurs, cela permettra de stabiliser la contribution de l’État aux départements, ce qui est une bonne chose.

Je me félicite également de l’accord sur la création, au sein du budget de la CNSA, d’une section permanente consacrée au soutien à l’investissement dans le secteur médico-social. Ainsi, 100 millions d’euros lui seront consacrés chaque année, jusqu’en 2018. Le corapporteur Gérard Roche est particulièrement satisfait. Certes, 100 millions d’euros, c’est bien peu, mais c’est beaucoup par rapport à ces dernières années. C’est aussi une année de plus par rapport à ce qu’avait promis le Gouvernement.

On peut être satisfait de l’ensemble des mesures en faveur des aidants qui s’occupent d’un proche en perte d’autonomie. Ceux-ci sacrifient souvent leur santé et font le deuil de leur vie sociale. Des études ont d’ailleurs montré que ces aidants développent souvent des troubles du sommeil, des dépressions ou des maladies cardiovasculaires. Nombreux sont d'ailleurs ceux qui décèdent avant la personne dont ils s’occupent !

La mise en place d’un droit au répit, le congé de proche aidant, l’accueil de nuit pour les personnes dépendantes nécessitant une surveillance permanente pour soulager les proches aidants, toutes ces mesures constituent un premier pas vers la reconnaissance du rôle de ces plus de 4 millions de proches indispensables au bien-être des personnes en perte d’autonomie. Toutefois, nous le savons, il faudra aller plus loin et mettre en place un véritable statut de l’aidant.

Le groupe du RDSE salue aussi la fusion du Haut Conseil de l’âge avec le Haut Conseil de la famille. C’est une bonne chose. Cette nouvelle structure permettra d’apporter une expertise transversale dans une approche intergénérationnelle, qui me paraît être la meilleure approche possible. La rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire a par ailleurs préservé deux apports de notre Haute Assemblée sur le lancement d’une réflexion concernant l’assurance et la prévoyance en matière de dépendance, ainsi que le développement d’échanges, d’expériences et d’informations.

Aussi, pour toutes ces raisons, le groupe du RDSE approuvera le texte issu de la commission mixte paritaire. (M. Gérard Roche, corapporteur, applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Alain Milon.

M. Alain Milon. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, mes premières remarques porteront sur la forme.

Nous examinons trop de textes en urgence. L’examen « normal » du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, avec deux lectures dans chacune des assemblées, montre l’utilité de cette procédure : laisser du temps à la réflexion permet d’enrichir le texte initial.

En effet, grâce aux débats, aux propositions de chaque assemblée, la réunion de la commission mixte paritaire qui s’est tenue mercredi 2 décembre s’est conclue par un accord.

Les corapporteurs, nos collègues Georges Labazée et Gérard Roche, ont parfaitement présenté les conclusions de cette commission mixte paritaire. Je veux souligner leur travail méticuleux sur de nombreux sujets qui a permis de conserver de nombreux apports du Sénat.

Dès la deuxième lecture, nous avions constaté que de nombreux amendements initiés par notre commission avaient été repris in extenso par l’Assemblée nationale.

Cela démontre une fois de plus que le Sénat a toute sa place dans le processus législatif de la Ve République, même s’il n’est, à mon sens, pas suffisamment écouté.

Nous aurons l’occasion de le démontrer dans quelques instants, lors de l’examen d’un autre projet de loi.

J’en viens au fond. Madame la secrétaire d’État, comme j’avais eu l’occasion de le dire à cette tribune, rien ne paraissait devoir susciter de vives controverses dans ce texte, qui s’inspire d’intentions très largement partagées et comporte une série de mesures utiles. Toutefois, toutes ces mesures mises bout à bout ne pourront pas à elles seules constituer la réponse aux besoins que nous constatons aujourd’hui, et encore moins à ceux qui s’annoncent, ne serait-ce que dans les dix prochaines années. Le groupe Les Républicains a considéré que ce projet de loi, en dépit de ses limites, comportait des mesures utiles ; il a donc souhaité apporter des modifications ou des compléments.

Nous avons souhaité débattre sur ce texte de manière constructive. Nous avons eu l’occasion de proposer des mesures, dont certaines ont été conservées dans le texte issu de la commission mixte paritaire.

Je pense en particulier à la proposition de Jean-Noël Cardoux, qui permet au Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge de mener une réflexion sur l’assurance et la prévoyance en matière de dépendance.

Nous avons également soutenu la démarche des rapporteurs sur l’article 32 bis relatif à la création d’un régime unique d’autorisation des services d’aide à domicile intervenant auprès des bénéficiaires de l’allocation personnalisée d’autonomie et de la prestation de compensation du handicap, qui a suscité de nombreuses réactions.

Le retour à un régime unique a été recommandé à plusieurs reprises. D’abord, au mois de juin 2014, nos collègues Jean-Marie Vanlerenberghe et Dominique Watrin l’ont fait dans le cadre de leur rapport sur l’aide à domicile. Puis, au mois de juillet 2014, la Cour des comptes a souligné que la coexistence de deux régimes était « source de complexité pour tous les intervenants » et entraînait « des difficultés pour organiser la réponse aux besoins des publics fragiles ». Elle recommandait d’« unifier le cadre réglementaire régissant l’activité de services à la personne auprès des publics fragiles ». Finalement, nous sommes arrivés à un texte équilibré.

Je le rappelle, les fédérations des entreprises privées, qui se sont mobilisées en mettant en avant les freins pouvant être apportés au développement de leur activité, ont obtenu plusieurs assurances : l’exonération d’appel à projets jusqu’en 2022, qui leur permet de déposer spontanément des demandes d’autorisation ou d’habilitation sans que le département ait besoin d’être à l’origine du processus ; la non-limitation du volume d’heures de prestations ; la motivation de tout refus d’autorisation par le président du conseil départemental.

En outre, le texte permet d’affirmer la capacité du département, principal financeur, à organiser l’offre de services sur son territoire.

Je ne détaillerai pas les autres mesures ; MM. les corapporteurs l’ont très bien fait, sans doute mieux que je ne pourrais le faire, en introduction de notre débat.

Pour conclure, je veux naturellement préciser que le groupe Les Républicains votera les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous arrivons au terme des navettes parlementaires sur le projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement, qui a été présenté le 3 juin 2014 en conseil des ministres.

L’heure est donc venue pour nous de faire le bilan des mesures contenues dans le texte issu de la commission mixte paritaire.

Notre groupe a déposé de nombreux amendements sur ce texte dans les deux assemblées et fait de nombreuses interventions pour essayer de modifier certaines dispositions.

Nous nous félicitons de voir aujourd’hui que certaines des mesures que nous avions proposées ont été intégrées dans ce texte final.

Ainsi, nous étions intervenus à plusieurs reprises en faveur de la représentation des organisations syndicales et associations de retraités. Mme la secrétaire d’État s’est engagée auprès de ces dernières sur leur présence au sein des instances, notamment parmi les membres du Haut Conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge.

Si nous demeurons vigilants sur le contenu des décrets d’application, nous ne pouvons que nous féliciter de cette avancée. Elle intervient après les amendements de notre groupe en faveur de la représentation syndicale et associative des retraités.

Nous regrettons en revanche que Mme la secrétaire d’État n’ait pas fait le même choix s’agissant de la composition de la conférence des financeurs. En effet, les premiers financeurs des actions de prévention dans les départements seront les retraités eux-mêmes, via le produit de la CASA.

Je me félicite également de la création de l’autorisation unique pour les services d’aide à domicile pour les publics fragiles. Cette mesure faisait l’objet d’une des préconisations du rapport que j’ai cosigné en 2014 avec mon collègue Jean-Marie Vanlerenberghe : L’aide à domicile auprès des publics fragiles : un système à bout de souffle à reformer d’urgence.

La onzième proposition du rapport, qui prévoyait la création d’un régime unique d’autorisation, était cependant intimement liée à la mise en place d’une juste rémunération des services, d’un meilleur accompagnement financier de l’État et d’une restructuration du secteur. Nous étions donc intervenus sur la nécessité de disposer de tarifs nationaux de référence.

Nous avions interpellé Mme la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, ainsi que Mme la secrétaire d’État chargée de la famille, de l’enfance, des personnes âgées et de l’autonomie pour obtenir la publication, dans les meilleurs délais, de l’étude nationale des coûts et des prestations. Si celle-ci n’est toujours pas publiée, ce que nous regrettons une nouvelle fois, il y a désormais un consensus sur l’utilité de cette étude nationale pour objectiver les coûts. Je souhaite qu’un travail commun puisse être engagé entre les deux assemblées pour en mener une analyse critique et en tirer les conclusions adaptées.

Enfin, nous nous réjouissons que la commission mixte paritaire soit revenue sur la date d’entrée en vigueur du régime unique d’autorisation pour la ramener du 1er juillet 2016 au 1er janvier 2016. Cela évitera un effet inflationniste, alors que le secteur est déjà trop éparpillé. Cela consolidera également la maîtrise publique des départements sur son organisation.

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, malgré l’intégration de ces mesures positives dans le projet de loi, notre groupe ne pourra pas voter en faveur de ce texte.

En effet, les éléments positifs que je viens de citer ne permettent malheureusement pas de compenser l’absence de moyens dévolus au financement de l’adaptation de la société au vieillissement.

Comment voulez-vous répondre aux défis du vieillissement, qui nécessiteraient pas moins de 10 milliards d’euros pour la seule réduction du reste à charge en EHPAD, alors que vous en prévoyez seulement 650 millions ou 700 millions d’euros ?

Comment répondre à l’immensité des besoins à venir en matière d’urbanisme, de transports, de logements adaptés, de répit des aidants familiaux et d’accompagnement diversifié des personnes, sans faire appel à un véritable système de solidarité ?

Car ces 700 millions d’euros, qui financeront ce projet de loi, proviendront uniquement de la mise à contribution des retraités imposables, quand, déjà, les ressources de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, la CNSA, reposent surtout sur les efforts des salariés au titre de la journée de solidarité.

Pour notre part, nous pensons que l’adaptation de la société au vieillissement devrait reposer sur un financement de la solidarité nationale mettant à contribution l’ensemble des acteurs, y compris les entreprises et les dividendes. Nous l’avons proposé par voie d’amendement, mais le Gouvernement et les autres groupes de la Haute Assemblée l’ont refusé.

Mes chers collègues, vous avez même rejeté une première étape qui consisterait tout simplement à doubler le produit de la CASA actuelle en soumettant les dividendes à la même taxation que celle qui est imposée aux retraités.

Certaines modifications apportées par le texte adopté par la commission mixte paritaire nous déçoivent également. Nous regrettons par exemple que la commission n’ait pas généralisé le forfait de soins courants à l’ensemble des « résidences autonomie », puisque le choix de l’universalité a été fait pour le forfait autonomie.

Nous pensons aussi que le texte issu de la commission mixte paritaire envoie un mauvais signal, en confiant à la formation spécialisée dans l’âge du Haut Conseil la mission d’une réflexion sur l’assurance et la prévoyance en matière de dépendance. Jusqu’alors, le Gouvernement et l’ensemble de la gauche étaient restés fermes sur le sujet. Il faut continuer à l’être.

Enfin, et c’est sûrement l’un des principaux points d’achoppement pour notre sensibilité politique, aucune mesure significative n’est prévue dans ce texte pour les personnels, à 98 % féminins, de l’aide à domicile. La précarité et la flexibilité de leur travail, de même que la modestie de leur salaire, en moyenne 832 euros par mois, appelleraient pourtant une véritable reconnaissance, qu’elles ne trouveront pas dans l’augmentation moyenne de 8 euros mensuels, soit un morceau de pain sec par jour !

Pour l’ensemble des raisons que j’ai évoquées, notre groupe s’abstiendra. Je le répète, ce texte comporte, certes, des avancées, mais elles demeurent largement insuffisantes pour répondre aux enjeux réels de l’adaptation de la société au vieillissement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme Stéphanie Riocreux.

Mme Stéphanie Riocreux. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le 28 octobre dernier, lors de l’examen en seconde lecture du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement, je formulais à cette même tribune le souhait que nous aboutissions à un accord en commission mixte paritaire avec nos collègues députés, afin que ce texte, enrichi par les apports des deux assemblées, avec le soutien et l’expertise du Gouvernement, permette une entrée en vigueur rapide des mesures qu’il contient.

Je me réjouis aujourd’hui de l’issue conclusive des travaux menés par la commission mixte paritaire réunie le 2 décembre dernier. Même si les députés Les Républicains ont choisi de s’abstenir lors du vote en commission mixte paritaire, la majorité des représentants de la commission des affaires sociales du Sénat ont souhaité apporter leur soutien au texte qui en est issu.

Ainsi, les conclusions qui viennent de nous être présentées par MM. les corapporteurs signent l’investissement, les compétences et la volonté d’aboutir des parlementaires. Elles sont porteuses de messages forts pour nos concitoyens et pour l’ensemble des acteurs publics et privés issus des réseaux professionnels et associatifs qui œuvrent au quotidien pour nos aînés et leurs proches.

Chacun connaît et mesure l’importance de voir entrer en application dans les meilleurs délais les dispositifs introduits ou confortés par le projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement. Il s’agit là de mesures très concrètes. Elles auront un effet significatif pour celles et ceux qui les attendent.

C’est sur ce texte, nécessairement équilibré puisque issu d’une réflexion et d’un travail en commun, adopté à l’Assemblée nationale le 10 décembre dernier, que le Sénat va être invité à se prononcer à l’issue de cette discussion générale. Je tiens à souligner et à saluer le travail remarquable réalisé par nos rapporteurs et collègues de la commission des affaires sociales du Sénat, Gérard Roche et Georges Labazée, avec Mme Joëlle Huillier, rapporteur de la commission mixte paritaire à l’Assemblée nationale.

Comment ne pas insister sur le fait que, si ce projet de loi a abouti à un accord entre les deux assemblées, c’est qu’il apporte une contribution forte aux enjeux liés à l’adaptation de notre société au vieillissement ? Madame la secrétaire d’État, je tiens à vous remercier de tout le travail préalable de concertation que vous avez su mener, avec vos services, auprès des acteurs et des partenaires. Ce texte, attendu depuis tant d’années, longtemps annoncé, mais jamais réalisé, figurait dans le programme du Président de la République. Vous l’avez initié, construit et porté ; les deux assemblées l’ont enrichi en apportant leur contribution. Il permettra dès demain des avancées sur la prévention de la dépendance et son accompagnement, sans sacrifier l’esprit de solidarité qui doit guider notre société, dans le respect de la dignité de la personne et de celles et ceux qui l’entourent.

Une étape importante : c’est ainsi que le groupe socialiste considère ce projet de loi, qui est porteur des valeurs d’égalité et de justice.

Le texte est ambitieux, puisqu’il consacre plus de 650 millions d’euros à la nécessaire réforme de la perte d’autonomie. Il est aussi responsable, puisqu’il ne crée pas de prélèvement nouveau. Il est en effet financé par la CASA, qui reste une ressource pérenne et dynamique.

Anticiper et prévenir la perte d’autonomie, afin de contribuer au « mieux vivre » ensemble, quels que soient l’âge, la manière de subir une perte d’autonomie et le lieu où l’on réside dans notre pays.

Ce texte ouvre une voie, celle qui nous permettra de faire face au vieillissement de la population. Nous sommes entrés en zone de turbulence. La population française continue de vieillir sous l’effet de l’allongement de la durée de vie et de l’avancée en âge des générations du baby-boom.

Selon les projections de l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’INSEE, si les tendances démographiques observées jusqu’ici se maintiennent, l’âge moyen de la population résidant en France métropolitaine passerait de quarante et un ans aujourd’hui à quarante-cinq ans en 2060.

Jusqu’en 2035, le nombre de personnes âgées de plus de soixante ans augmenterait fortement, avec l’arrivée à ces âges des générations issues du baby-boom. Après 2035, leur part devrait continuer à progresser, mais de manière plus modérée. En 2060, une personne sur trois aurait ainsi plus de soixante ans.

L’effectif des centenaires, qui était de 15 000 en 2010, pourrait atteindre 200 000 personnes en 2060.

Il est tout à fait indispensable d’anticiper ces grands changements. Nos modes de vie ont évolué. L’effet sur les familles, les réseaux et les structures d’accueil est manifeste.

Il y a aussi des conséquences au sein des entreprises. Ainsi, environ 16 % des salariés en France aident actuellement un proche dépendant. Je précise que 68 % de ces aidants sont des femmes. Par ailleurs, 55 % des salariés, qui aident un parent atteint de la maladie d’Alzheimer, sont contraints de réaménager leur activité professionnelle. Et ce n’est qu’un début !

Nous observons avec beaucoup d’attention la manière dont les entreprises appréhendent ce sujet et apportent leur contribution à l’exploration de cette terre inconnue : le prolongement de la durée de la vie et la perte d’autonomie.

Des expériences et des projets innovants sont actuellement développés. Ils vont dans le sens de l’anticipation, s’agissant à la fois des équipements et des services, mais aussi de la prévoyance.

Nous construisons ainsi un projet collectif pour répondre à des besoins individuels et les anticiper. C’est le sens de notre engagement.

Il convient de considérer l’adaptation de notre société au vieillissement et à la perte d’autonomie dans sa globalité, car c’est bien l’ensemble de notre société qui est concernée.

Les trois piliers de ce projet de loi confortent cette volonté de prendre en compte la situation dans sa globalité.

La création d’un Haut conseil de la famille, de l’enfance et de l’âge, tel que vous l’avez proposé, madame la secrétaire d’État, et tel que la commission mixte paritaire l’a retenu, nous rappelle que chaque personne ne peut pas être réduite aux spécificités dont son âge est porteur. Le lien avec la famille est essentiel pour promouvoir une approche qui respecte chacun dans sa singularité.

Ce Haut conseil, qui devait être celui de l’âge et du handicap, auquel je sais certains de nos collègues sénateurs et députés très attachés, ne fera que s’enrichir en devenant celui de la famille, de l’enfance et de l’âge. Il permettra de travailler de manière transversale.

Le premier volet du texte prévoit d’agir à travers toutes les politiques publiques qui permettent d’intégrer l’enjeu du vieillissement, en particulier dans les domaines du logement, de l’urbanisme et des transports.

D’ailleurs, 90 % de nos concitoyens se disent prêts à adapter leur domicile si leur état de santé venait à se dégrader. Cependant, 6 % seulement des logements sont totalement adaptés à la vie quotidienne de personnes en perte d’autonomie. Ce texte apportera des moyens pour y faire face en partie.

Adapter, c’est faire du domicile un atout de prévention ; c’est développer des formes d’habitat intermédiaire ou regroupé ; c’est préserver le recueil du consentement préalable à l’entrée en EHPAD ; c’est aussi créer de l’emploi de proximité.

Ce texte contient un message de dignité, en reconnaissant et en renforçant les droits des personnes âgées, à domicile comme en établissement. Nous savons tous qu’en la matière, des clarifications étaient indispensables.

Le deuxième volet du texte vise à améliorer l’accompagnement des personnes à domicile, afin de respecter la volonté d’une majorité de nos concitoyens, qui souhaitent vivre chez eux le plus longtemps possible.

En cela, les services d’aide à domicile sont valorisés et développés. La refondation de ce secteur signe la volonté de reconnaître et de structurer une offre d’accompagnement à domicile de qualité, solide, innovante et économiquement viable, en donnant la priorité au développement de services polyvalents de soins à domicile, qui permettent une coordination des professionnels et contribuent à une meilleure prise en charge.

C’est un message d’encouragement pour les associations œuvrant dans ce secteur. Nous savons qu’elles interviennent beaucoup à domicile. Leur professionnalisation et leur accompagnement sont un enjeu essentiel. De ce point de vue, le projet de loi apporte des réponses indispensables.

La revalorisation de l’APA va permettre aux personnes dont l’aide est actuellement plafonnée, alors même qu’elles ont des besoins importants, de voir augmenter d’une heure par semaine l’aide à domicile, dans le cadre d’une perte d’autonomie réduite, et jusqu’à une heure par jour pour les personnes les plus dépendantes.

Ce second souffle donné au dispositif de l’APA, toujours porteur d’un souci d’égalité, puisque ses critères d’attribution prennent en compte le degré de dépendance et la situation pécuniaire des personnes, ne viendra pas accentuer les difficultés exprimées par les représentants des conseils départementaux. En effet, le fléchage de l’affectation des produits de la CASA a été acté par la commission mixte paritaire.

Ce texte apporte une attention particulière aux aidants, qui voient ainsi leur statut enfin reconnu, tout comme leur droit au répit.

Chacun sait combien ces situations sont difficiles et créatrices de nouveaux risques pour les personnes aidantes, qui se retrouvent très souvent dans des situations d’épuisement physique et psychologique. Ce texte adresse un véritable message de compréhension et de soutien face à la charge que représente la dépendance.

Le troisième volet fait de l’anticipation un enjeu majeur de repérage et de lutte contre les facteurs de risques de la perte d’autonomie.

Actuellement, le recours à l’APA survient en moyenne vers quatre-vingt-trois ans. L’enjeu est de repousser cette entrée dans le dispositif et le moment où la perte d’autonomie nécessite des dispositions particulières.

Chacun le sait, bien souvent, la perte d’autonomie se joue sur un événement ou un aspect non anticipé. C’est sur l’identification de ces mécanismes que la prévention sera accentuée, ainsi que le développement et le renforcement des réseaux.

Pour les personnes résidant à leur domicile, le dispositif dit « Mobilisation nationale contre l’isolement des âgés », ou MONALISA, mis en œuvre pour contribuer à rompre l’isolement des personnes âgées sur le territoire, s’inscrit dans les mesures qui permettent de travailler en ce sens, en rassurant les personnes et leurs proches, en s’appuyant sur un réseau dynamique et sur le développement de l’accès aux technologies nouvelles pour toujours améliorer l’accompagnement et la sécurisation des personnes.

Ce texte permet de clarifier un certain nombre de points, qui traduisent la convergence de vues entre les deux assemblées et qui permettent de respecter l’intérêt de l’ensemble des acteurs.

Je pourrais mentionner le cadre juridique des résidences pour personnes âgées faiblement dépendantes, le devenir du forfait autonomie, la création d’un service unique d’autorisation concernant l’organisation de l’aide à domicile, qui sera mis en place dès le 1er janvier prochain, le fléchage des produits de la CASA pour l’APA, qui inscrit dans la loi les 55,9 % pour 2016 et les 70,5 % qui y seront consacrés au cours des années suivantes, ou encore le maintien sur trois années du fonds de 100 millions d’euros annuellement consacrés à l’aide à l’investissement... Je ne reviendrai pas sur l’ensemble des points qui contribuent ainsi à faire de ce texte un texte porteur d’avenir ; ils ont déjà été détaillés.

Il nous reste encore beaucoup à faire. Nos corapporteurs ont précisé leurs propositions pour poursuivre le travail engagé. Nous serons à leurs côtés, et à vos côtés, madame la secrétaire d’État. Nous serons ensemble à l’écoute des acteurs et des partenaires pour faire évoluer les dispositifs destinés à anticiper et à accompagner la perte d’autonomie dans notre pays.

Madame la secrétaire d’État, je vous remercie d'avoir défendu ce projet de loi, d’avoir fait preuve d’écoute et d’avoir pris en compte les travaux de notre assemblée.

Le groupe socialiste, auquel j’appartiens, votera bien entendu les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)