Mme Nathalie Goulet. L’excellent Alain Lambert !

M. André Vallini, secrétaire d'État. … lors de ma dernière venue au CNEN – je participe en effet régulièrement aux travaux de cette instance –, développer les guides de bonne pratique. Nous réglementons trop, de façon trop tatillonne, alors que, sur de nombreux sujets, un référentiel suffirait pour guider l’action des élus. C’est la raison pour laquelle je souhaiterais que nous mettions cela en pratique à titre expérimental sur le fondement d’une réglementation à définir entre nous, en faisant en sorte que la rédaction de ce référentiel, de ce guide de bonnes pratiques se fasse en concertation entre les administrations et les associations d’élus. Beaucoup de sujets sont envisageables ; je pense par exemple aux normes relatives à la qualité des aliments servis dans les cantines ou encore à des réglementations techniques sur les bâtiments notamment sportifs, comme les piscines, les gymnases ou les patinoires. De ce point de vue, j’attends évidemment vos propositions, qui, je n’en doute pas, seront très intéressantes.

Enfin, après avoir évoqué le flux et le stock, je voudrais vous parler de l’application des normes.

L’inquiétude exprimée par les élus locaux, leur mécontentement parfois, voire leur colère, concernent au moins aussi souvent l’application de la norme que la norme elle-même. Cela est notamment le cas dans les petites communes, qui ont peu de moyens techniques et humains et qui ne disposent pas nécessairement des moyens financiers pour adapter leur patrimoine – bâti notamment – ou leurs actions aux normes en vigueur ou aux normes nouvelles. La question est alors moins celle de la norme nationale que celle de son application sur le territoire. Les élus doivent pouvoir trouver auprès des préfectures et des services déconcentrés de l’État les éléments nécessaires à la compréhension des normes applicables ou à l’explication des normes nouvelles. Ils doivent également être accompagnés et conseillés dans la mise en œuvre de ces normes, en particulier si celles-ci entraînent des adaptations complexes ou coûteuses pour la collectivité.

Dans cette perspective, la réforme actuelle de l’administration territoriale de l’État devra permettre d’accompagner les élus mieux encore qu’aujourd’hui. Aussi, lors de mes déplacements hebdomadaires dans les départements, comme celui de M. Pointereau il y a quelques mois, ou en Vendée après-demain ou encore en Lozère la semaine prochaine, j’insiste pour que les préfectures, les sous-préfectures et les services de l’État soient davantage facilitateurs dans la mise en œuvre des normes. Comme cela a été dit précédemment, il faut un véritable changement de culture de l’administration : elle a certes pour mission de veiller à ce que la norme soit correctement appliquée, mais elle doit aussi aider les élus à l’appliquer au mieux et de la façon la plus adaptée et la plus pragmatique.

Voilà pourquoi j’ai suggéré au Premier ministre d’envoyer une instruction aux préfets et aux chefs de services des administrations déconcentrées leur prescrivant une interprétation facilitatrice des normes et l’accompagnement des élus. Cette circulaire est en cours de finalisation et leur sera adressée dans les prochains jours. À ce sujet, je reprends volontiers à mon compte l’expression québécoise d’« accommodement raisonnable ». Bien qu’elle signifie à peu près la même chose, l’expression est plus imagée encore que celle d’« interprétation facilitatrice ».

Pour mieux accompagner les collectivités locales, l’État doit également renforcer son ingénierie au service des collectivités locales, notamment au service de celles qui sont les moins dotées. Aussi la mesure 36 du comité interministériel aux ruralités de Vesoul prévoit-elle l’élaboration d’une directive nationale d’orientation relative à l’ingénierie de l’État dans les territoires. Elle est en cours de concertation interministérielle et devrait être adressée sous peu aux préfets.

Enfin, je voudrais évoquer une autre des formes de simplification administrative mise en place par le Gouvernement, à savoir l’application aux collectivités locales du principe selon lequel « silence vaut acceptation ». Ce n’est certes pas tout à fait l’objet de la proposition de loi constitutionnelle, mais je tiens tout de même à en parler. En effet, cela participe de ce mouvement général de simplification de la vie que nous appelons de nos vœux pour nos concitoyens et pour les élus locaux.

Aux termes de la loi du 12 novembre 2013, le silence gardé par l’administration sur une demande vaut désormais acceptation. Ce principe, qui est applicable depuis le 12 novembre 2014 aux administrations de l’État et à ses établissements publics, l’est également aux collectivités locales depuis le 12 novembre dernier. Il concernera 260 procédures applicables aux collectivités locales, soit environ 70 % des procédures éligibles. Il s’agit là d’une petite révolution silencieuse, qui facilitera toutefois grandement la vie de nos concitoyens comme celle des élus.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le voyez, l’action du Gouvernement en matière de lutte contre l’inflation normative est résolue, déterminée et quotidienne pour ce qui me concerne.

J’en viens au texte même de la proposition de loi constitutionnelle qui nous réunit aujourd’hui.

Comme cela a été évoqué lors de l’examen du texte en commission, la création d’un mécanisme de gage créerait une charge financière supplémentaire et serait en contradiction avec l’article 40 de la Constitution. En outre, une telle disposition pourrait bloquer de nombreuses initiatives. En effet, comment confier un jour aux régions, à titre expérimental, une compétence en matière d’accompagnement vers l’emploi, sauf à supprimer une compétence régionale de charge équivalente ?

Quant à la disposition sur la surtransposition des textes européens, elle obligerait le Conseil constitutionnel à contrôler le respect du droit de l’Union européenne, remettant ainsi en cause la hiérarchie des normes. J’ajoute que cette disposition dérogerait directement à l’article 44 de la Constitution selon lequel « les membres du Parlement et le Gouvernement ont le droit d’amendement ». Plus largement, il est de la responsabilité du pouvoir politique d’apprécier l’opportunité d’aller au-delà d’une simple transposition d’un texte européen.

Votre commission des lois, comme l’a dit le rapporteur Jean-Pierre Vial, a très profondément modifié les deux articles de la proposition de loi constitutionnelle. Toutefois, de l’impossibilité juridique, nous sommes passés à la déclaration d’intention…

L’article 1er du texte prévoit désormais l’insertion d’un nouvel article après l’article 39 de la Constitution. Son premier alinéa se borne à une déclaration de principe, peu explicite, qui concernerait l’ensemble des textes, et pas seulement ceux applicables aux collectivités territoriales. La portée générale de ce nouvel article pourrait entraîner une jurisprudence très contraignante, source d’instabilité juridique. En effet, les objectifs de simplification et de clarification du droit deviendraient constitutionnels et seraient donc invocables lors d’une question prioritaire de constitutionnalité par exemple. Quant au second alinéa, il n’apporte rien de nouveau, puisque le Gouvernement est d’ores et déjà soumis à une obligation d’évaluation au travers des études d’impact qui doivent accompagner les projets de loi.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, pour faire reculer la prolifération normative, ce que nous souhaitons tous, il est inutile de réviser la Constitution. Privilégions plutôt la volonté, plus précisément la volonté politique, ce dont le Sénat comme le Gouvernement ne manquent pas ! Je souhaite que Sénat et Gouvernement continuent ensemble à œuvrer pour atteindre l’objectif primordial que sont la simplification des normes et l’allégement de leur coût pour les collectivités locales. Voilà pourquoi le Gouvernement considère qu’il n’est pas opportun d’adopter cette proposition de loi constitutionnelle. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)

M. le président. Nous passons à la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable.

Question préalable

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle relative à la compensation de toute aggravation par la loi des charges et contraintes applicables aux collectivités territoriales
Discussion générale

M. le président. Je suis saisi, par M. Vandierendonck et les membres du groupe socialiste et républicain, d'une motion n° 2.

Cette motion est ainsi rédigée :

En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur la proposition de loi constitutionnelle tendant à favoriser la simplification du droit pour les collectivités territoriales et à encadrer la transposition des directives européennes (n° 265, 2015-2016).

Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour dix minutes, un orateur d’opinion contraire, pour dix minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.

En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas deux minutes et demie, à un représentant de chaque groupe.

La parole est à M. René Vandierendonck, pour la motion.

M. René Vandierendonck. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes tous d’accord pour dire qu’il existe une inflation normative et qu’il faut faire preuve de volontarisme pour la combattre. En effet, l’inflation normative est au cœur des préoccupations des élus locaux.

Élu sénateur en 2011, j’ai rapidement fait le constat lors des états généraux de la démocratie territoriale organisés par le Sénat que près de 70 % des élus avaient placé les contraintes réglementaires en tête de leurs difficultés. Je pense notamment aux contraintes en matière d’urbanisme, qui feront d’ailleurs l’objet dès demain d’une discussion au Sénat à l’occasion de l’examen d’une proposition de résolution.

La consultation très fine et très minutieuse des élus locaux, à laquelle la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation a procédé en 2014, est venue confirmer ce constat.

Nous sommes également tous d’accord sur le fait que toutes les normes ne sont pas infondées, que c’est leur accumulation qui pose problème et que les difficultés que connaissent certaines collectivités locales découlent parfois de la manière dont ces normes sont mises en œuvre sur le terrain, ainsi que notre collègue Rémy Pointereau l’a souligné à juste titre. Parfois, les « accommodements facilitateurs » manquent bel et bien !

Enfin, nous sommes tous d’accord au Sénat pour dire que le traitement du problème ne peut pas être hémiplégique. En effet, de nombreux rapports ont déjà traité cette question, comme le rapport de Claude Belot sur la maladie de la norme en 2010, celui de notre collègue Éric Doligé en 2011 ou encore le fameux rapport élaboré par Alain Lambert…

M. René Vandierendonck. … et Jean-Claude Boulard en 2013, qui décrivait parfaitement le phénomène de sédimentation des normes, comme les différentes couches d’une géologie normative.

Personnellement, je me contenterai de dresser quelques constats.

Le Gouvernement a engagé plusieurs mesures de simplification des normes applicables aux collectivités locales. Un tel chantier était d’autant plus indispensable que, entre 2008 et 2013, la charge brute des normes nouvelles mises à la charge des collectivités territoriales a été estimée à 5,8 milliards d’euros.

Le Gouvernement a donc entrepris un plan d’action tant sur le flux que sur le stock des normes. À cet égard, je souligne que c’est sur l’initiative du Sénat, comme M. le rapporteur a eu l’élégance de le mentionner, et plus particulièrement de nos collègues Jean-Pierre Sueur et Jacqueline Gourault, que « la chenille est devenue papillon » : la Commission consultative d’évaluation des normes est en effet devenue le Conseil national d’évaluation des normes. Ce dernier dispose désormais de pouvoirs renforcés, même s’il est vrai que les conditions de saisine du Conseil écartaient beaucoup d’initiatives des élus jusqu’à présent. En effet, le CNEN ne pouvait être saisi que par un minimum de cent maires. Heureusement, ces modalités de saisine ont été récemment assouplies. Aujourd’hui, il faut donc saluer l’existence de ce CNEN !

Par ailleurs, le Gouvernement a pris une autre décision importante, à savoir le gel des normes. Je rappelle que, en juillet 2010, François Fillon, alors Premier ministre, avait tenté de le mettre en œuvre avec un succès mitigé. Désormais, le gel de normes est entré en vigueur par une circulaire de juillet 2013. On importe dans notre culture gouvernementale le dispositif britannique du « one-in, one-out » afin d’éviter la prolifération des normes.

En outre, la circulaire du 9 octobre 2014 prévoit que l’impact financier net des normes nouvelles sur les collectivités soit nul dès le 1er janvier 2015.

Mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les douze mesures issues de la proposition de loi de notre collègue Éric Doligé qui ont été intégrées dans la loi NOTRe, car cela a déjà été évoqué. Je ne reviendrai pas davantage sur les importantes avancées qui ont été annoncées lors du comité interministériel aux ruralités de Vesoul. J’en arrive donc à l’essentiel : faut-il à ce stade réviser la Constitution pour atteindre les objectifs fixés dans la présente proposition de loi constitutionnelle ? À mon sens, cette révision n’est pas nécessaire, et je vais tâcher de vous le montrer.

Figurez-vous que l’action du CNEN ainsi que celle du Secrétariat général du Gouvernement ont fait l’objet d’une analyse attentive de la part de la Cour des comptes. Personne ne l’a évoqué jusqu’ici, mais la Cour des comptes a publié un important rapport sur les finances publiques locales en octobre 2015 qui montre bien ce qu’il reste à améliorer. Dans ce rapport, il est précisé que « l’évaluation de l’impact des textes applicables aux collectivités territoriales relève de deux instances, l’une politique, le Conseil national d’évaluation des normes (CNEN), dont le secrétariat est assuré par la direction générale des collectivités locales (DGCL), et l’autre, administrative, le Secrétariat général du Gouvernement (SGG), responsable de la mise en œuvre d’un “moratoire” qui ne recouvre qu’une partie des textes réglementaires comportant une dimension normative ».

Par ailleurs, il y est indiqué qu’il reste cependant « difficile d’apprécier de façon globale l’impact des normes sur les finances publiques locales du fait de l’existence de ces deux instances, aux objectifs, champs d’intervention et méthodes de chiffrage distincts, chargées de se prononcer sur l’évaluation des divers coûts et gains induits par les textes ». C’est là-dessus qu’il conviendrait de travailler !

Enfin, on peut y lire que, « si les mêmes fiches d’impact leur sont transmises par les ministères producteurs de normes, le CNEN et le SGG les exploitent de façon différente en fonction de leurs missions respectives » et que, « de surcroît, ces fiches souffrent parfois d’une fiabilité insuffisante ».

La critique émise dans le rapport de la Cour des comptes est constructive, puisqu’elle reconnaît malgré tout les avancées réalisées. Toutefois, mes chers collègues, vous voyez bien que, pour avancer aujourd’hui dans la lutte contre l’inflation normative, il n’est en aucun cas nécessaire de réviser la Constitution.

Une autre préconisation importante de la Cour des comptes consiste à accroître la portée des avis rendus par le Conseil national d’évaluation des normes, en étendant la publicité faite à l’évaluation du coût des normes et en renforçant le suivi, c’est-à-dire la transparence quant aux suites données à ces avis.

Dès lors, monsieur le rapporteur, si je salue sincèrement l’immense travail de réécriture que vous avez réalisé dans un temps restreint sur cette proposition de loi constitutionnelle, je reste sur ma faim, car je ne vois nulle part comment l’évaluation préalable de toute mesure nouvelle ou toute aggravation d’une mesure sur les compétences des collectivités territoriales s’articulera avec la loi organique du 15 avril 2009 établissant le dispositif des études d’impact.

Je me pose aussi d’autres questions. Pourquoi modifier l’article 39 de la Constitution plutôt que l’article 72-2, qui fixe les principes relatifs aux finances locales et aux relations entre l’État et les collectivités ? Le dispositif d’encadrement des transpositions des directives européennes est juridiquement distinct, à mes yeux, de l’objet de l’article 1er de cette proposition de loi constitutionnelle. La disposition proposée par M. Pointereau ne contribue-t-elle pas à faire du Parlement une simple chambre d’enregistrement du droit européen, niant ainsi le droit d’amendement et les prérogatives des deux assemblées ?

Au regard de ces incertitudes, et fidèles à la fameuse phrase que Philippe Bas, président de la commission des lois, avait lancée dans cette enceinte le 17 novembre dernier - « La Constitution est le pacte fondamental qui unit tous les Français. Il n’en est pas de plus élevé. On ne doit la réviser que pour des raisons impérieuses. » -, nous considérons que, pour atteindre les objectifs fixés, que nous partageons, il n’est pas nécessaire de recourir à une révision de la Constitution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Pierre Vial, rapporteur. Sans chercher à rouvrir le débat et sans revenir sur les positions qui ont pu être exprimées par les uns et les autres, je formulerai quelques observations. Convenons d’ailleurs que ces positions nous permettent de nous situer dans un « accommodement raisonnable », pour reprendre votre expression, monsieur le secrétaire d’État. En effet, je n’ai entendu aucune véritable opposition dans la présentation qui vient de nous être faite. Sur les chiffres, peut-être, mais, là encore, notre collègue René Vandierendonck a été extrêmement prudent et, effectivement, certains considèrent que les chiffres appellent à la modestie.

Quoi qu’il en soit, ce n’est pas sur ces points, me semble-t-il, qu’il faut s’opposer. Comme vous l’avez souligné, monsieur le secrétaire d’État, nous ne sommes qu’au début d’un processus et si une expression doit être fédératrice – je n’en ai trouvé aucune tirée du parler canadien -, c’est celle de « démarche culturelle ».

Oui, c’est une démarche culturelle qu’il nous faut engager pour que, par les textes et au-delà, nous accédions à une véritable révolution ! En effet, si notre pays est atteint d’un mal - peut-être le devons-nous d’ailleurs à notre cartésianisme -, c’est bien d’être dans l’incapacité de prévoir une mesure sans passer par une disposition normative. Il est un exemple assez intéressant à cet égard, dont nous avons d’ailleurs largement débattu en commission des lois, même s’il ne représente qu’un aspect du texte soumis à notre examen. Il s’agit de la transposition des directives européennes.

Nous l’avons dit, nous travaillons dans un cadre extrêmement contraint, la norme européenne constituant un plancher en deçà duquel il est impossible d’aller. Le risque, dès lors, est d’aller au-delà. Or ce risque, nous le concrétisons allégrement en France ! Si nous faisons un peu de droit comparé sur des dispositions très pratiques, par exemple en matière économique, que constatons-nous ? Certes, nous sommes un État unitaire et nos voisins sont des États fédéraux, mais force est de constater que les directives ne sont absolument pas intégrées de la même manière chez nous et chez eux. L’Allemagne, l’Italie et l’Espagne procèdent à des transpositions très « light », si vous me permettez l’expression, mes chers collègues. Mais, en plus de cela, ces pays laissent la responsabilité de la mise en œuvre aux régions ou aux Länder.

D’ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, j’ai été très sensible à la possibilité que vous avez évoquée de voir, demain, peut-être à titre expérimental, les régions disposer de capacités législatives. Chez nos voisins, c’est déjà le cas ! De ce fait, non seulement les directives sont transposées dans une version très légère, mais, en plus, la mise en œuvre bénéficie de toute la souplesse, pour employer une formulation pudique, qu’offrent les régions ou Länder de ces pays. Nous, au même moment, pour être certains qu’en Corrèze, en Savoie ou ailleurs la directive s’appliquera avec la même clarté et la même compréhension, nous corsetons le dispositif.

Voilà un exemple qui montre bien les conséquences de ce souci de bien faire, de cette rigueur qui, malheureusement, dans le temps, a un poids. Pourquoi cette précision, « dans le temps » ? Il a été fait référence aux premiers rapports du Conseil d’État, lequel produit annuellement une évaluation des politiques législatives. Je crois me souvenir d’un conseiller d’État ayant dénoncé l’incertitude créée par « trop de droit ». C’était Mme Françoise Chandernagor, qui est bien connue pour ses écrits. Donc nous parlons de phénomènes anciens.

Dans le cadre de la préparation de ce texte, avec la DGCL, nous avons pu apprécier les efforts réalisés sur le plan réglementaire – vous êtes revenu sur le sujet, monsieur le secrétaire d’État, et M. René Vandierendonck a également insisté sur ce point dans sa démonstration.

Nous avons été un peu plus discrets sur l’importance de certains textes. Le cas des associations sportives a par exemple été évoqué, et cette difficulté rencontrée par certains maires qui, à la fois, souhaitent voir leur club sportif évoluer vers une division supérieure et appréhendent cette montée pour toutes les contraintes en découlant.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.

M. Jean-Pierre Vial, rapporteur. Pour l’ensemble de ces raisons, nous nous opposons à la motion tendant à opposer la question préalable. Aujourd'hui, il faut pouvoir aller plus loin. La délégation sénatoriale aux entreprises a d’ailleurs déposé un texte dans le même sens et c’est au travers de la loi organique qu’il faudra arrêter les modalités auxquelles nous avons fait, les uns et les autres, référence.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. André Vallini, secrétaire d'État. Je suis bien évidemment favorable à la motion tendant à opposer la question préalable présentée par M. Vandierendonck, mais je souhaite rebondir sur les propos du rapporteur et souligner que, nous aussi, nous devons faire notre révolution.

On demande à l’administration de changer de pratiques, d’évoluer d’une culture du contrôle à une culture du conseil. Mais nous-mêmes, parlementaires ou membres du Gouvernement, nous sommes les héritiers – c’est un motif de fierté - des jacobins et de Napoléon. Ceux-ci ont non seulement centralisé la France, mais ils ont aussi fait en sorte qu’elle soit administrée exactement de la même façon, du nord au sud et d’est en ouest.

On parle beaucoup de l’Ancien Régime, avec cette fameuse phrase, « l’État, c’est moi », que Louis XIV, paraît-il, n’a jamais prononcée… Sous l’Ancien Régime, nos anciennes provinces étaient administrées de façon très différenciée. Mais, depuis plus de deux siècles maintenant, nous nous employons à ce que la France soit administrée à l’identique, et ce sur tous les endroits du territoire. Il faut évoluer, me semble-t-il…

Pour ma part, j’ai coutume de dire que je suis jacobin de cœur - parce que j’ai été élevé, comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, dans l’amour de la République une et indivisible - et que je suis devenu girondin par raison, l’évolution actuelle de la société, les réactions de nos concitoyens, mais aussi celles des élus locaux que vous représentez exigeant d’aller vers une gestion différenciée selon les territoires.

Une telle évolution heurte beaucoup de choses en chacun d’entre nous, et ce indépendamment de notre couleur politique. Mais, j’y insiste, il faut aller vers cette gestion différenciée. À cet égard, la loi MAPTAM a instauré la CTAP, la conférence territoriale de l’action publique. Cette instance permettra une organisation différente selon les régions, notamment en termes de répartition des compétences entre collectivités. Cette création, qui est passée presque inaperçue, en tout cas auprès du grand public, pourrait avoir beaucoup d’effets – positifs, je l’espère - dans les années à venir.

Je rejoins donc vos propos, monsieur le rapporteur. En matière d’application de normes, aussi, nous devons pouvoir envisager de ne pas appliquer une même norme strictement à l’identique sur l’ensemble du territoire de la République.

M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour explication de vote.

Mme Cécile Cukierman. Le texte de la proposition de loi constitutionnelle, tel qu’amendé par la commission des lois, n’est pas forcément meilleur que la version initiale sur le fond, notamment s’agissant des réponses qu’il entend apporter. Pour reprendre une formule assez traditionnelle, disons que ce texte propose une réponse « inadaptée et incomplète » à deux questions pourtant majeures, soulevées à la fois par son auteur, le rapporteur, le défenseur de la motion et M. le secrétaire d’État.

Au problème de l’insuffisance des ressources des collectivités locales, il est opposé une sorte de statu quo des compétences et interventions, privant lesdites collectivités d’une capacité à répondre aux besoins des populations qui viendraient à s’exprimer. Il s’agit en fait d’accepter la mise en déclin de la dépense publique, alors même que celle-ci constitue la légitime contrepartie de la participation du contribuable citoyen au fonctionnement de la cité par le biais du paiement de ses impôts. Je reviendrai ultérieurement sur ce point.

Par ailleurs, s’agissant des normes et de ce qu’on appelle l’inflation normative, qui vient d’être évoquée, nous sommes encore en présence d’un mélange plus que discutable d’éléments en définitive fort différents. Certes, la norme peut être contraignante, mais, parce qu’avant de répondre à une préoccupation de centralisme, elle se fonde sur un principe d’égalité de chacun devant la loi, elle est aussi source de protection. Quand on adopte le système métrique dans la France de la fin du XVIIIe siècle, c’est pour que le kilo de pain ait la même masse à Paris, Lyon, Toulouse, Marseille ou Saint-Étienne. La préoccupation est d’apporter une réponse aux besoins des populations. La norme est donc aussi l’instrument par lequel on rend possible le vivre ensemble.

Pour autant, un devoir d’inventaire s’impose certainement face à cette fuite en avant de la production normative, qui nous a aussi poussés, nous, parlementaires, femmes et hommes politiques, à toujours agir plus, sans forcément évaluer ou modifier l’existant.

Pour conclure, je dirai que la proposition de loi constitutionnelle dont nous débattons tend à accepter tout à la fois le déclin des ressources des collectivités et la réduction de leur implication dans la vie quotidienne des Français. Comme nous y sommes opposés, nous ne pouvons que nous associer à la motion déposée par les membres du groupe socialiste.