M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Alain Néri. Je regrette cette occasion manquée de renforcer le rôle des assemblées parlementaires, en particulier du Sénat, parce que c’est ensemble que nous défendons la République et que nous défendons ses valeurs. Personne n’a le privilège de la défense de la République ! (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Leila Aïchi applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Roger Karoutchi, pour explication de vote.

M. Roger Karoutchi. Comme je l’ai déjà dit hier, je ne suis pas du tout enchanté par la constitutionnalisation visée.

Je veux également faire un autre rappel. En 1958, la République est menacée par les guerres coloniales, notamment par la guerre d’Algérie. L’État est menacé. La Seconde Guerre mondiale n’est finie que depuis treize ans. Le souvenir de Vichy est partout. En réalité, la Constitution de 1958 s’appuie sur l’État et sur la République. À l’exception de sa mention à l’article 20, aux termes duquel « le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation », la Nation n’apparaît finalement qu’assez peu dans la Constitution, parce que, en 1958, l’identité nationale et la nation française ne sont pas en cause. Elles ne sont pas considérées comme un problème, une difficulté et ne suscitent pas d’interrogation. (M. David Assouline le conteste.)

En 2016, il en va différemment. Au reste, ce sentiment date d’avant même le terrorisme : depuis dix ans, ce qu’est la nation française inspire du doute, du scepticisme. C’est vrai ! Les Français se demandent ce qu’est la France aujourd'hui. Ils se demandent ce qu’est notre destin commun.

De ce point de vue, inscrire la déchéance dans la Constitution est un geste fort, parce que, au-delà du terrorisme, la question de la Nation est devenue essentielle pour notre République et pour notre pays. Je suis favorable à cette inscription. Cela dit, je voterai l’amendement de M. le rapporteur, parce que je souhaite avancer.

Cependant, comme je l’ai déjà dit à celui-ci comme à M. le président du Sénat, il m’est bien égal que l’on déchoie de sa nationalité française le terroriste, binational ou non, qui n’hésite pas à tuer des Français de manière aveugle, sans ressentir le moindre remords ni le moindre regret, et qui, dans bien des cas, se suicide en même temps. Pensez-vous vraiment que ce terroriste se préoccupe de ce qu’est la République ou de ce qu’est la Nation ? Ce qui compte, ce n’est pas le sort du terroriste, c’est le sort de la nation française. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mmes Annick Billon, Jacqueline Gourault et M. Gérard Roche applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour explication de vote.

M. Gaëtan Gorce. Je veux d'abord regretter la petite manœuvre tactique à laquelle la commission et le Gouvernement se sont livrés en faisant en sorte que nous examinions l’amendement n° 14 avant d’aller au bout du débat sur les amendements tendant à s’opposer au principe même de la déchéance de nationalité, tel que contenu dans le texte rédigé par l’Assemblée nationale. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Bas, rapporteur. C’est une question de cohérence !

M. Gaëtan Gorce. D'ailleurs, nous sommes tout aussi opposés à la rédaction que vous nous proposez, monsieur le rapporteur.

Au fond, ce qui me paraît intéressant, c’est d’essayer de comprendre où nous en sommes, à partir de ce que M. le Premier ministre a déclaré tout à l'heure.

Le constat que nous sommes obligés de faire – j’invite le Gouvernement et le Président de la République à regarder les choses en face –, c’est qu’il n’y a pas de majorité à l’Assemblée nationale pour retenir le critère de double nationalité et qu’il n'y en a pas, au Sénat, pour le repousser. Nous sommes donc dans une situation de blocage.

La logique voudrait que nous passions à autre chose, considérant qu’il y a, dans le pays, d’autres enjeux à traiter. Cependant, il est intéressant de se demander pourquoi l’on aboutit à ce blocage. En réalité, même si personne ne l’a évoqué, la question est tout simplement mal posée.

On ne définit pas la Nation en regardant en arrière. Le débat sur l’identité nationale l’avait montré voilà quelques années : ses impasses et ses ambiguïtés évidentes ont mis mal à l’aise toute la nation française.

On ne définit pas non plus la Nation « contre », et encore moins « contre les terroristes ». Comment définir la Nation en mettant sur le même plan quelques criminels animés par une foi quelconque et ce que représentent notre État et notre République ? Comment penser que l’on renforcera la communauté nationale simplement en en soustrayant les éléments certainement les plus redoutables, mais aussi les plus pervers, et ceux que nous ne pouvons pas accepter ? La France ne dépend pas des terroristes pour exister comme une force, d'autant que ces individus se sont retranchés de la communauté nationale par leur acte même.

Le problème, c’est que le débat sur la déchéance a été organisé de cette manière.

Nous devons définir la Nation en regardant vers l’avant, en lui construisant un avenir. Si nous voulions mettre en place une mesure symbolique, il ne fallait pas exclure les terroristes de la communauté nationale ; il fallait intégrer dans la communauté nationale, à l’instar de ce qu’ont fait nos ancêtres au moment de la Révolution française, avec la formule des citoyens d’honneur, ceux qui se battent contre Daech dans des conditions épouvantables.

Par exemple, pourquoi ne pas donner la citoyenneté d’honneur à ces femmes kurdes qui se battent contre Daech en Syrie et en Irak ? Cela aurait un sens ; ce serait un symbole ; cela donnerait l’image d’une France qui va de l’avant, qui regarde loin devant elle et qui ne cherche pas uniquement à régler des comptes avec ceux qu’elle doit seulement sanctionner, punir, et non exclure. En effet, la République n’exclut pas : elle se définit d’une autre manière. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Leila Aïchi applaudit également.)

Mme Éliane Assassi. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. Le règlement de notre assemblée contient une bonne disposition : il nous permet de nous exprimer sur les articles. Ainsi, ceux d’entre nous, quelle que soit leur sensibilité, qui pensent que l’article 2, tel que voté par l’Assemblée nationale, pose de réels problèmes ont pu le faire savoir. (Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains approuvent.) D'ailleurs, je ne vois pas en quoi la mise aux voix des différents amendements de suppression aurait posé un problème particulier. Les expressions ont été très claires.

Nous avons désormais à nous prononcer sur l’amendement n° 14. Si j’avais des doutes sur la crédibilité ou la cohérence de ce qui a été adopté par l’Assemblée nationale, j’en ai encore davantage sur cet amendement. En réalité, les dispositions de celui-ci sont très claires : la déchéance ne s’appliquera qu’aux binationaux. Point !

M. Jean-Pierre Sueur. Bien entendu, il s’agit de criminels qui, d’une certaine manière, s’excluent eux-mêmes de toute nationalité. Cependant, nous savons – pour ma part, je l’ai toujours à l’esprit – que ce dispositif est perçu comme une inégalité par les 5 millions de binationaux vivant en France. D'ailleurs, cet effet collatéral est exploité dans un sens qui se révèle très préjudiciable.

Par conséquent, si un certain nombre d’entre nous ont émis des réserves sur le texte de l’Assemblée nationale, nous exprimons des réserves plus fortes encore sur cet amendement, raison pour laquelle nous ne pourrons le voter.

En tout état de cause, j’espère de tout cœur que nous aurons l’occasion, lors d’un prochain Congrès, d’inscrire dans la Constitution ce qui nous rassemble vraiment, à savoir l’état d'urgence, et ce qui doit nous rassembler, le nouveau statut et l’indépendance du parquet. C’est un impératif pour la France !

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. David Assouline. Monsieur Karoutchi, ce n’est ni à vous ni à moi de dire ce qu’est la Nation.

La Constitution définit ce qu’est la France – je parle bien de la France, et non de telle ou telle institution.

M. Roger Karoutchi. Personne ne peut définir ce qu’est la France, et la Constitution non plus !

M. David Assouline. La Constitution définit la France en son article premier, qui dispose : « La France est une République indivisible…

M. Roger Karoutchi. Elle définit donc la République, non la France !

M. David Assouline. … laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. »

La Constitution définit bien la France comme une République. Elle ne fait aucune référence aux questions d’identité qui nous divisent aujourd’hui. Ma conception de la France n’a rien à voir avec celle de M. Rachline, bien silencieux dans ce débat !

Ce qui est écrit dans la Constitution est ce qui nous unit. C’est un fait et c’est aussi une bonne chose.

Or cet amendement vise à inscrire dans la Constitution une disposition, pourtant écartée par l’Assemblée nationale, créant une rupture d’égalité entre citoyens français. Je parle non pas des dispositions législatives qui pourraient me concerner, comme d’autres, étant naturalisé, mais de la Constitution ! Décider que deux Français, nés français, n’encourent pas la même sanction lorsqu’ils contreviennent à leurs devoirs, c’est reconnaître qu’ils n’ont pas les mêmes droits, ce qui est inacceptable. Je me réjouis que l’Assemblée nationale l’ait compris.

Cette disposition, très durement ressentie par nos concitoyens binationaux, a ravivé de douloureux souvenirs. Puisque l’on convoque l’histoire, souvenez-vous que, à certaines époques, on pouvait remonter loin en arrière pour savoir si vous étiez français de souche ou seulement de papier.

Cette disposition que le Président de la République et le Premier ministre veulent ériger en symbole risque d’opposer identité et égalité. (C’est fini ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Quand les symboles sont vécus de manière différente par nos concitoyens, quand ils ne rassemblent plus, mieux vaut les retirer.

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.

Mme Éliane Assassi. Tout comme Pierre Laurent, je souhaite dénoncer la manœuvre empêchant de voter les amendements de suppression.

Je respecte profondément le règlement du Sénat, mais il va falloir me démontrer, monsieur Bas, que vous n’auriez pu présenter votre amendement n° 14 après ce vote et demander qu’il soit examiné en priorité. Le vote n’aurait rien changé ni à la teneur du débat ni à la présentation que vous vouliez faire. J’ajoute, connaissant bien les rapports de force dans cet hémicycle et ayant suivi avec attention les débats depuis hier, que ces amendements de suppression n’auraient pas été adoptés. Cette manœuvre, qui a empêché la tenue d’un débat sur les propositions alternatives d’un certain nombre de nos collègues, n’est pas digne de la Haute Assemblée.

Quoi qu’il en soit, vous le savez, nous sommes opposés à la déchéance de nationalité. C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons accepter l’amendement n° 14, qui tend à rétablir la déchéance des binationaux. Une telle disposition stigmatise tous ceux qui possèdent deux nationalités ou plus, même s’ils n’ont rien à voir avec le terrorisme. Ils se sentent pointés du doigt, comme s’ils n’étaient pas tout à fait français. Mon groupe oppose un refus absolu à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.

M. Alain Anziani. Monsieur le président de la commission, vous savez toute l’estime que je vous porte, mais je ne comprends pas votre recours à ce moyen de procédure, aussi inutile que peut l’être la déchéance de nationalité.

Je le comprends d’autant moins que nous nous dirigions vers la fin des débats, sans incident ni agressivité, dans un respect mutuel, comme M. le Premier ministre vient encore de le souligner, et avec le ton de gravité qui convenait à ce texte.

Et voilà que, d’un coup de baguette magique, vous faites passer à la trappe les amendements de suppression de l’article 2 ! Encore une fois, je ne le comprends pas. J’étais d’abord tenté de saluer l’artiste, …

M. Jean-Claude Lenoir. Les artistes sont au moins deux : le Gouvernement a donné son accord !

M. Alain Anziani. … mais je ne le ferai pas, d’aucuns pouvant y voir une forme d’admiration. Or on ne peut admirer une manœuvre qui témoigne d’une telle fébrilité. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Quelle fébrilité pour ne pas accepter un débat jusqu’au bout ! Quelle fébrilité, alors que vous savez disposer de la majorité dans cette assemblée, pour simplement refuser de dénombrer une minorité plus importante que prévu, tous horizons politiques confondus. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.

M. Marc Laménie. Je tiens à rendre hommage au président Bas et à l’ensemble des membres de la commission des lois.

Il s’agit d’un sujet extrêmement compliqué, qui nous pousse à nous remettre en question. Prenons garde de ne pas être tentés par le hors sujet et regardons la réalité.

Comme beaucoup de mes collègues l’ont rappelé hier, lors de la discussion générale, nous sommes en état de guerre. Il s’agit de lutter contre le terrorisme, alors que nos concitoyens se sentent désarmés face à ces violences. Dans un souci de respect pour ces victimes innocentes, je crois que le bon sens doit l’emporter.

Je suis favorable à cet amendement tout à fait positif qui tend à régler des problèmes extrêmement sensibles.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Ce débat, extrêmement grave et important, est de haute tenue politique sur toutes les travées de cet hémicycle. Contrairement à ce que pense M. le Premier ministre, je m’enrichis toujours d’un débat de cette qualité .

Je n’ai pas non plus de posture préétablie. Je peux changer d’avis si l’on me convainc. Or le Gouvernement n’y arrive pas. (M. le Premier ministre sourit.)

Inscrire la déchéance de nationalité dans la Constitution serait inefficace. Une telle mesure n’aurait qu’une portée symbolique, ce qui est bien peu en droit, créerait une rupture d’égalité et stigmatiserait une catégorie de population. Elle ne me semble pas du tout à la hauteur des événements gravissimes que nous vivons.

Je suis révoltée d’entendre dire qu’il faut lutter contre le terrorisme, comme si celles et ceux qui s’opposent à ce genre de dispositions étaient laxistes. Le Gouvernement ne prend pas la mesure des réalités.

Comment se fait-il que nous soyons dans cette situation politique de blocage, à l’Assemblée nationale et au Sénat ? Le Gouvernement n’a pas su tisser de lien avec les élus que nous sommes. Il y a pourtant eu des signes, des protestations. Mais non, vous avez préféré vous entêter, quitte à être inefficace.

Pour moi, monsieur le Premier ministre, lutter contre le terrorisme, c’est donner des moyens à la police, à la gendarmerie, à la justice, à l’éducation nationale.

M. Manuel Valls, Premier ministre. Vous ne les votez pas !

Mme Laurence Cohen. C’est faire de la prévention.

Vous avez parlé de deux jeunes filles tentées, du moins en parole, de commettre des actes terroristes. Que fait le Gouvernement pour combattre une telle dérive ?

Dans mon département, le Val-de-Marne, le substitut ne dispose que de trois minutes et cinquante secondes pour statuer sur une garde à vue ! Et un conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation ne dispose que de trente minutes à une heure pour accompagner un détenu vers l’insertion. Voilà la réalité !

C’est à raison que le Syndicat de la magistrature et le Syndicat des avocats de France ont décidé de citer l’État à comparaître pour non-assistance à justice en danger.

Le Sénat, comme l’Assemblée nationale, attend des réponses sur ces sujets, monsieur le Premier ministre. Beaucoup d’arguments ont été avancés sur toutes les travées. Je crois qu’il serait bon de s’en inspirer.

M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, pour explication de vote.

Mme Bariza Khiari. Monsieur le président de la commission des lois, Hélène Conway-Mouret, trente et un de nos collègues et moi-même avons déposé un amendement de suppression de l’article 2 que votre demande de priorité va faire tomber. Pour avoir été vice-présidente du Sénat pendant trois ans, je connais par cœur le règlement et la procédure parlementaire. Je m’en veux beaucoup de ne l’avoir pas vu venir. Bien joué, monsieur Bas ! Je regrette que nous n’ayons pu aller jusqu’aux explications de vote ni présenter des propositions alternatives. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

La rédaction de votre amendement établit une distinction entre mononationaux et binationaux. Au regard de l’ambiguïté du texte issu des travaux de l’Assemblée nationale, je ne peux vous reprocher d’avoir fait un choix, même s’il ne me convient pas. Ce choix s’inscrit en retrait par rapport au nôtre.

Je me désole de voir notre Constitution, quelle que soit l’option choisie, devenir le réceptacle non de grands principes qui unissent, mais de règles de circonstance relevant davantage de la loi.

Pour ma part, je préférerais que nous suivions l’exemple de nos amis Canadiens qui, une fois l’émotion passée, ont décidé de renoncer à la déchéance de nationalité adoptée dans la foulée des actes de terrorisme dont ils ont été victimes.

J’aimerais que nous écoutions les très nombreux binationaux à avoir réagi à l’annonce du texte initial auquel, malheureusement, vous revenez. Ils se sont sentis stigmatisés. On ne peut en rester au déni. Au contraire, il faut savoir entendre ce ressenti extrêmement fort pour rassembler.

Je suis d’accord pour appliquer la peine la plus sévère à ceux qui commettent ces crimes abjects. Mais parce que je suis opposée à la création d’apatrides et à la déchéance des seuls binationaux, je voterai contre votre amendement et contre l’article 2.

M. le président. La parole est à M. David Rachline, pour explication de vote.

M. David Rachline. Vous avez raison, monsieur Assouline : moi et les millions d’électeurs que je représente, nous n’avons pas la même notion de l’identité que vous. Bon nombre d’entre eux considèrent d’ailleurs que vous avez largement contribué à déconstruire leur identité, alors qu’ils y sont attachés. Je ne doute pas qu’ils sauront vous le dire lors des prochaines échéances électorales.

Personne ne s’en étonnera, nous sommes bien évidemment favorables à la déchéance de nationalité des personnes se revendiquant d’une idéologie mortifère et qui, de surcroît, s’attaquent à nos concitoyens. Il s’agit d’une mesure que nous portons depuis plusieurs dizaines d’années.

Comme vous le savez, la question de la nationalité est centrale pour notre pays. Nous sommes d’ailleurs opposés à l’octroi de la nationalité française à tout un chacun et plaidons pour une réforme profonde du code de la nationalité. La nationalité s’hérite ou se mérite. Or toutes les acquisitions ne sont pas aujourd’hui méritées, loin s’en faut.

En outre, comme certains membres de votre famille politique, mesdames, messieurs de la majorité sénatoriale, nous sommes pour la suppression de l’octroi de plusieurs nationalités, ce qui permettrait de régler la question de la déchéance. Se poserait alors celle de l’indignité nationale, qui est une piste intéressante, mais qui existe déjà dans notre droit.

Nous savons bien que la déchéance de nationalité ne sera pas l’ultime rempart contre le terrorisme islamique. Sans frontières, il est difficile de contrôler la nationalité de tel ou tel… Au regard du nombre de clandestins sur notre sol, on peut douter de l’efficacité d’une telle mesure…

Les textes législatifs permettent déjà de déchoir de leur nationalité ceux qui portent les armes contre notre pays. La question est plus de savoir ce que nous attendons pour mettre en œuvre cette mesure, au lieu de passer des heures sur l’opportunité de l’inscrire dans notre Constitution.

Comme je l’ai dit ce matin, si l’énergie et le temps que le Gouvernement a consacrés à ce projet de loi constitutionnelle avaient été utilisés pour lutter réellement contre le terrorisme islamique, on pourrait sans craindre sortir de l’état d’urgence.

Le contrôle des frontières est utile et nécessaire, l’expulsion de tous les imams radicaux est utile et nécessaire, la fermeture de tous lieux de culte salafistes est utile et nécessaire, une politique étrangère moins idéologique est utile et nécessaire, l’arrêt de l’accueil de tous clandestins est utile et nécessaire… Et je pourrais encore prolonger cette liste !

Moins de « com’ », moins d’idéologie et plus d’action, voilà la véritable recette pour gagner cette guerre contre le péril islamique !

La symbolique que cette mesure de déchéance comporte doit être encouragée. C'est la raison pour laquelle nous voterons cet amendement, ainsi que l’article 2, premier pas vers la disparition de notre sol des ennemis de notre pays.

M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Godefroy. Que ma position soit bien claire !

Monsieur le président de la commission des lois, si l’on ne peut vous reprocher d’avoir appliqué le règlement, peut-être auriez-vous pu faire l’économie du moyen de procédure auquel vous avez eu recours sur un projet de loi constitutionnelle. De plus – et je le dis très courtoisement –, je regrette que le Gouvernement ait donné son accord à cette demande de priorité. Nous avons été empêchés de nous expliquer sur les amendements de suppression.

Cela étant, je voterai contre la proposition de la commission des lois ; pour autant, je ne suis pas favorable non plus à celle de l’Assemblée nationale.

Je suis tout à fait hostile à la constitutionnalisation de la déchéance de nationalité. Nous aurions pu nous abstenir de ce débat peu glorieux en adaptant le code civil et rechercher un consensus sur l’état d’urgence. Je pense que nous aurions gagné du temps et de la crédibilité, sans perdre en efficacité.

Pour toutes ces raisons, je le répète, je n’adhère ni au texte issu de l’Assemblée nationale, ni au texte de la commission.

Je vous le rappelle, la France a une image dans le monde : c’est le pays des droits de l’homme, le pays des Lumières.

Comme l’a si bien dit M. Collombat tout à l’heure, il faut tenir compte également des relations internationales dont nous sommes partie prenante : notre décision ne concerne pas seulement la France.

Vous savez certainement que le Parlement suédois a récemment été saisi par les Démocrates de Suède – il s’agit, là-bas, du parti d’extrême droite –, dans le cadre d’un projet de loi antiterroriste qui n’était pas un texte constitutionnel, d’une proposition visant à déchoir de la nationalité suédoise toute personne condamnée pour un délit en lien avec le terrorisme. Qu’ont fait nos amis suédois ? Ils ont rejeté cette proposition, par 236 voix contre 45.

J’aimerais que le Parlement français, fidèle à son histoire et à nos valeurs républicaines, fasse preuve de la même sagesse que le Parlement suédois. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – Mme Leila Aïchi et M. Jacques Mézard applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.

M. Bruno Retailleau. Je voudrais faire trois observations.

Premièrement, c’est bien avant tout la lutte contre le terrorisme qui explique notre présence aujourd’hui dans cet hémicycle : sur ce point, nous sommes d’accord avec M. le Premier ministre.

Ce terrorisme sera long à vaincre. Nous pourrons, le plus vite possible, je l’espère, éradiquer Daech ; mais une fois neutralisés les hommes, il reste – et cela est beaucoup plus difficile – à réduire à néant l’idéologie, qui leur survit.

Le point de départ de ce texte, c’est la déclaration du Président de la République devant le Congrès, et sa proposition de modifier la Constitution. Nous n’avions rien demandé, comme l’a rappelé tout à l’heure François Zocchetto !

Mais, deuxièmement, nous avons jugé que cette idée de la déchéance de nationalité pouvait être intéressante. Elle nous renvoie en effet à ce que nous sommes. Si la lutte s’annonce longue, notre capacité à mener le combat dépend notamment de notre capacité à réinvestir les raisons qui font que nous vivons ensemble, que nous formons un peuple.

En démocratie, on lutte avec des armes, avec des arsenaux juridiques ; mais on lutte aussi et d’abord avec des volontés, lesquelles ne sont pas seulement individuelles : la France, vous le savez, n’est pas une juxtaposition d’individus. Et la France n’est pas non plus un archipel de communautés, ou un archipel de tribus.

Ce débat est donc important, dans un contexte où, trop souvent, encourageant la dépolitisation de la vie des peuples et sa réduction aux conditions de leur existence matérielle, on a négligé de leur parler de ce qu’ils sont.

Or nous sommes une nation civique. La France a inventé cette forme particulière d’être ensemble fondée sur le consentement. C’est fondamental ! Et le débat sur la déchéance a été notamment l’occasion, sur ce terrain, d’une reprise de conscience.

Troisièmement, vous avez tenté hier, monsieur le Premier ministre, d’enfermer le Sénat, en particulier sa majorité, dans la posture d’une opposition pavlovienne. Rien de plus faux !

Lors de l’examen de la réforme pénale, vous avez trouvé au Sénat, et y trouverez encore, une assemblée attentive, une assemblée bienveillante, dès lors qu’il s’agit de la protection des Français.

Mieux même, nombre d’entre nous n’étaient pas du tout convaincus de la nécessité de la constitutionnalisation de l’état d’urgence. Nous l’avons pourtant votée, après en avoir amendé les termes, en adoptant l’article 1er.

Vous ne pouvez donc pas soutenir, monsieur le Premier ministre, que nous ne voulons pas vous tendre la main. Vous l’avez dit vous-même hier : le Président de la République, en reprenant une proposition de l’opposition – la déchéance –, faisait un geste en sa direction.

Nous sommes prêts à discuter de nombreux sujets, par exemple des modalités de la procédure retenue pour prononcer la déchéance, ou de son extension aux délits. Mais, comme le Président de la République l’a déclaré lors de son discours devant le Congrès, et comme nous l’avons dit aussitôt, il existe une ligne rouge, sur laquelle nous n’avons jamais transigé : c’est l’apatridie !

Vous le savez parfaitement, et je souhaitais le rappeler solennellement : l’apatridie, que l’ONU, d’ailleurs, s’emploie à faire reculer, est contraire à notre tradition ; elle nous rappelle de bien mauvais souvenirs. En ouvrant la porte à la possibilité de l’apatridie, la France adresserait au monde un signal terrible ! Voilà le cadre de nos réflexions.

Mais vous ne pouvez pas, monsieur le Premier ministre, rendre comptable la majorité sénatoriale, qui est très soudée, des divisions de votre propre majorité à l’Assemblée nationale qui ont conduit à dénaturer l’engagement solennel du Président de la République. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)