Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Le titre IV, relatif à l’accès aux ressources génétiques et au partage juste et équitable des avantages résultant de leur utilisation, représente un progrès majeur, qui permettra de lutter contre la biopiraterie et de valoriser les connaissances traditionnelles des communautés d’habitants.

Par ce texte, la France choisit de réglementer l’accès à ses ressources génétiques, en s’inspirant de l’expérience des outre-mer. Je précise, pour être tout à fait claire, qu’il est question ici non pas des ressources biologiques, mais des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles qui y sont associées.

Trois dispositifs d’accès aux ressources génétiques sont déjà en vigueur, dans le parc amazonien de Guyane, en Polynésie française et en province Sud de Nouvelle-Calédonie.

Le titre IV permet la mise en œuvre du protocole de Nagoya et vise à harmoniser ces dispositifs à l’échelle nationale, dans le respect des compétences des collectivités ultramarines.

Ce nouveau dispositif législatif constitue une avancée majeure pour les outre-mer, à de multiples titres. Il promeut un partage juste et équitable des avantages résultant de l’utilisation des ressources génétiques, au bénéfice de la biodiversité, des territoires, de leurs populations et de l’emploi local, et en particulier des communautés d’habitants, dont la richesse des connaissances traditionnelles est reconnue. Ce partage pourra prendre des formes variées, y compris non monétaires.

Ce dispositif apporte en outre au monde de la recherche et aux secteurs professionnels utilisant des ressources génétiques et des connaissances traditionnelles associées la sécurité juridique dont ils ont besoin.

Je salue chaudement l’excellent travail de votre commission et particulièrement de son rapporteur, M. Bignon, qui, par ses amendements, a donné son équilibre à l’article 18. Je tiens à lui faire part de toutes mes félicitations.

La biopiraterie est non seulement une atteinte à des êtres vivants, mais également un vol de la richesse des communautés locales – le maintien de la biodiversité est en effet une des conditions essentielles de leur survie –, pour le plus grand profit de quelques multinationales du médicament, de la cosmétique ou de l’agroalimentaire, qui ne se soucient guère des populations locales et de la biodiversité.

Certaines firmes font des efforts louables. La réglementation que nous allons adopter les encouragera dans leurs bonnes pratiques et garantira la sécurité juridique de leurs activités.

À ce stade, le texte réussit à atteindre l’équilibre délicat consistant à concilier les conformités au protocole de Nagoya, à la réglementation communautaire et à la Constitution française. Ainsi, le texte transpose en droit interne les dispositions du règlement européen n° 511/2014 et de son règlement d’exécution n° 2015/1866, qui fixent les règles de conformité au protocole de Nagoya au sein de l’Union européenne.

Comme je l’ai déjà dit, le Gouvernement est très attaché à permettre une meilleure reconnaissance des communautés d’habitants des outre-mer dans leur action de conservation de la biodiversité. Il serait absurde que tout ou partie des dispositions en faveur des communautés d’habitants soient censurées : les avantages accordés auxdites communautés disparaîtraient totalement du dispositif !

Afin de garantir la mise en œuvre des avancées fondamentales de ce texte en faveur des outre-mer et de leurs communautés d’habitants, le Gouvernement, qui a le sens des responsabilités, entend ne prendre aucun risque d’inconstitutionnalité.

Je remercie particulièrement MM. Cornano et Karam de leur implication et du travail qu’ils ont accompli.

Je souhaite que les débats ne remettent pas en cause l’équilibre du texte, et permettent à la France de ratifier le protocole de Nagoya avant la prochaine réunion de la Conférence des parties à la convention sur la diversité biologique, qui aura lieu au Mexique en décembre 2016. Nous serons ainsi en mesure de peser davantage sur les décisions internationales qui seront prises dans ce cadre.

Mme la présidente. La parole est à M. Antoine Karam, sur l’article.

M. Antoine Karam. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous abordons l’examen du titre IV, qui prévoit la mise en œuvre du protocole de Nagoya.

Il s’agit là d’un dispositif complexe, technique, mais plus que nécessaire.

Cette question a déjà été largement évoquée lors de la précédente lecture, mais j’aimerais vous sensibiliser, mes chers collègues, à l’importance du rôle des populations autochtones, auxquelles ce texte ne fait désormais plus référence.

En effet, en raison de freins constitutionnels, la commission a rétabli le terme « communauté d’habitants ». Celle-ci est définie comme « toute communauté […] qui tire traditionnellement ses moyens de subsistance du milieu naturel et dont le mode de vie présente un intérêt pour la conservation et l’utilisation durable de la biodiversité ».

Mes chers collègues, les personnes concernées ne vivent pas en marge de la société dite « moderne » ; elles ne vivent plus, comme au début du XXe siècle, de la chasse, de la pêche et de la cueillette. Pour autant, elles revendiquent d’être considérées comme « autochtones » en raison de leur lien privilégié avec la terre, de leur histoire, de leurs pratiques, mais aussi de la conservation de leurs structures coutumières traditionnelles.

Les Amérindiens, premiers habitants de Guyane, ont préservé la biodiversité pendant des siècles à l’endroit même où a été créé ce parc amazonien – vous l’avez évoqué, madame la secrétaire d’État – qui fait la fierté de la Guyane, de l’Amérique du Sud, de la France et de toute l’Europe.

Aujourd’hui, malheureusement, c’est au sein de ce même parc que les populations font face à des réalités dramatiques : explosion des suicides chez les jeunes Amérindiens – j’en profite pour saluer l’excellent rapport de notre collègue Aline Archimbaud, présenté au Premier ministre il y a quelques semaines, et dont les conclusions, je l’espère, prendront effet très rapidement –, biopiraterie – vous l’avez signalé également, madame la secrétaire d’État –, violences liées à l’orpaillage illégal – il s’agit d’une question d’actualité –, isolement.

Tout le monde connaît les difficultés des Amérindiens de Guyane. Ils font partie intégrante de la République et de l’Union européenne, comme vous et nous. Nous ne pouvons donc pas légiférer en matière de biodiversité sans nous pencher sérieusement sur la situation des femmes et des hommes qui vivent depuis toujours dans ces milieux naturels, et qui ont besoin d’être reconnus, dans ce rôle, pour ce qu’ils sont.

En conclusion, je suis convaincu que les retombées du dispositif d’accès aux ressources génétiques et de partage juste et équitable des avantages liés à leur utilisation, ou APA, permettront de dessiner des perspectives de développement pour nos populations autochtones, et pour la Guyane tout entière.

Mais je suis tout aussi convaincu que la valorisation et la transmission de leurs savoirs passent par la reconnaissance de leurs droits.

Je souhaiterais donc, mes chers collègues, que nous examinions les amendements en nous inspirant de l’esprit du protocole de Nagoya, afin de ne pas oublier que, par-delà ce dispositif technique, il y va de l’histoire de femmes et d’hommes – cette histoire est aussi la nôtre.

Mme la présidente. L'amendement n° 88, présenté par MM. Cornano, Madrelle et Filleul, Mme Bonnefoy, MM. Bérit-Débat et Camani, Mme Herviaux, MM. J.C. Leroy, Miquel et Roux, Mmes Tocqueville et Claireaux, M. Lalande et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

Alinéa 17

Après le mot :

emplois

insérer les mots :

pour la population

La parole est à M. Jacques Cornano.

M. Jacques Cornano. L’objet de cet amendement est de permettre que le partage des avantages puisse, au niveau local, consister en la création d’emplois pour la population.

L’ajout proposé est d’autant plus important que les territoires ultramarins souffrent d’un taux de chômage très élevé, qui touche l’ensemble des populations, sans distinction de diplômes.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jérôme Bignon, rapporteur. Avis favorable, madame la présidente.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Cet ajout ne modifie nullement l’équilibre de l’article et me semble aller dans le sens de ce que propose le Gouvernement.

J’émets donc un avis favorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 88.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 207 rectifié, présenté par MM. Karam, Cornano, Antiste, Patient, Desplan, S. Larcher et J. Gillot, est ainsi libellé :

Alinéa 22

après la seconde occurrence du mot :

habitants

insérer les mots :

et communauté autochtone et locale

La parole est à M. Antoine Karam.

M. Antoine Karam. Même si je ne me fais pas trop d’illusions, je propose de rétablir la rédaction adoptée en deuxième lecture par l'Assemblée nationale.

Afin de prendre en compte l’intégralité des communautés d'habitants présentes sur le territoire national, il convient de compléter la définition donnée à l'alinéa 22 de l’article 18 en faisant explicitement référence aux communautés autochtones et locales, conformément à l'article 8j de la Convention sur la diversité biologique, texte ratifié par la France à l'occasion du sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992. Pour ma part, j’ai assisté à ce sommet.

Ces communautés, dont les modes de vie traditionnels représentent un intérêt pour la conservation et l'utilisation durable de la diversité biologique, se caractérisent également par une organisation spécifique et des liens culturels et/ou spirituels avec leur environnement naturel.

Dans son principe n° 15, la Déclaration de Rio reconnaît que la meilleure manière de traiter les questions environnementales est de permettre la participation des peuples autochtones concernés.

L'article 26 de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones, ratifiée par la France au mois de septembre 2007, va également dans ce sens.

Je rappelle que le Conseil d'État, dans une décision du 28 novembre 2013, n’a pas contesté l’emploi de l’expression « communautés autochtones et locales » dans la charte du parc amazonien de Guyane.

En d’autres termes, la notion de « communautés autochtones et locales » est acceptée lorsqu’il s’agit de trouver des artifices pour mettre au point le statut particulier du parc amazonien de Guyane et instituer un dispositif expérimental pour intégrer l’APA dans la charte. De mon point de vue, elle n’a rien d’inconstitutionnel. Mais je ne suis pas un constitutionnaliste.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jérôme Bignon, rapporteur. Dans l’intérêt même des populations autochtones que M. Karam défend, la commission ne peut qu’être défavorable à cet amendement, dont l’adoption nuirait à la cause que tous nos collègues d’outre-mer défendent avec conviction et chaleur.

Le risque d’inconstitutionnalité est trop grand. Nous pourrions aboutir à un résultat contraire à l’objectif et fragiliser ces communautés autochtones, au regard notamment des bénéfices qu’elles pourraient retirer du protocole de Nagoya.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Monsieur Karam, votre amendement vise à insérer la notion de « communauté autochtone et locale » dans la définition des « communautés d’habitants » à l’article 18 du projet de loi.

Je comprends votre préoccupation. Vous souhaitez prendre en compte ce que vous considérez comme l’intégralité des communautés d’habitants présentes sur le territoire national.

Toutefois, votre amendement soulève des questions, tant d’un point de vue juridique que sur le fond.

D’un point de vue juridique, la notion de « communauté autochtone et locale » serait inconstitutionnelle si elle conduisait à la reconnaissance de droits liés à l’origine ou à l’appartenance à un groupe fondée sur des motifs ethniques ou culturels.

Certes, l’expression « communautés autochtones et locales » a été utilisée à l’article 8j de la Convention sur la diversité biologique, ratifiée par la France, et dans de nombreuses décisions de la conférence des parties de cette convention qui ont été adoptées avec le soutien de la France et qui ne sont pas contestées.

Mais cela ne crée pas directement des droits pour les communautés concernées. Au demeurant, la constitutionnalité d’une telle disposition reste incertaine, le Conseil constitutionnel n’ayant jamais été saisi sur ce point. On ne peut donc pas exclure qu’il la censurerait s’il était amené à se prononcer. Cela pourrait rendre inopérant l’ensemble du dispositif. Je ne souhaite pas prendre le risque d’anéantir les avancées fondamentales du texte en faveur des communautés d’habitants.

Sur le fond, la préoccupation visant à tenir compte des populations créoles, c'est-à-dire celles qui ne répondent pas strictement à la définition des « communautés d’habitants » figurant à l’article 18, avait été exprimée dès la première lecture à l’Assemblée nationale par votre collègue Serge Letchimy.

Le Gouvernement a été très attentif à ces interrogations. Il a pris le soin d’expertiser les conséquences qu’une telle définition pourrait avoir sur les possibilités offertes pour le partage des avantages.

À l’issue de cette expertise, il apparaît que les populations ne répondant pas strictement à la définition de la « communauté d’habitants » ne pourront, certes, pas être impliquées dans les procédures en tant que telles, mais qu’elles pourront bien bénéficier du partage des avantages. Il en est de même, par exemple, pour les filières locales qui valorisent la pharmacopée créole.

Votre amendement est donc satisfait sur le fond.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement vous prie de bien vouloir le retirer.

Mme la présidente. Monsieur Karam, l'amendement n° 207 rectifié est-il maintenu ?

M. Antoine Karam. Non, je vais le retirer, madame la présidente. Je prends acte des propos de Mme la secrétaire d’État.

De toute manière, comme vous vous en doutez, le débat ne fait que commencer. La population guyanaise, dans sa diversité, réclame un véritable débat. J’ai bien compris que la notion de « communauté autochtone » risquait de mettre en péril les avantages importants mis en place pour les populations concernées.

Aussi, dans un esprit de responsabilité, je retire mon amendement.

Mais le débat doit être ouvert. À nos yeux, la reconnaissance des droits des peuples est un enjeu à part entière. N’oublions pas que la Guyane se situe en Amérique du Sud. Nous avons pour voisins le Brésil, avec ses 200 millions d’habitants, et le Suriname, qui compte 500 000 habitants. Ces populations ressemblent aux nôtres.

J’espère donc que nous aurons de nouveau l’occasion d’en discuter. D’ailleurs, madame la secrétaire d’État, je vous invite à venir en Guyane pour voir la réalité de notre territoire ; vous y serez la bienvenue.

Je retire l’amendement, madame la présidente.

Mme la présidente. L'amendement n° 207 rectifié est retiré.

La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, je réponds évidemment à votre invitation avec grand plaisir.

Nous allons pouvoir continuer ce débat, qui est effectivement passionnant, puisque je viendrai très probablement en Guyane au début du mois du juillet. (Exclamations amusées.)

Mme Évelyne Didier. On veut bien être dans les valises ! (Sourires.)

Mme la présidente. L'amendement n° 313, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéas 52 et 63

Remplacer la référence :

L. 1413-5

par la référence :

L. 1413-8

La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Cet amendement technique vise à mettre en cohérence le projet de loi avec les récentes modifications du code de la santé publique.

En effet, suite à la publication de l'ordonnance du 14 avril 2016 portant création de l'Agence nationale de santé publique et du décret du 27 avril 2016 relatif à la création de l'Agence nationale de santé publique, le code de la santé publique a été modifié : l’article L. 1413-5 devient l’article L. 1413-8.

L’article 18 du projet de loi doit donc être modifié, afin d’en tenir compte.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jérôme Bignon, rapporteur. Avis favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 313.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. Je suis saisie de six amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 180 rectifié quinquies, présenté par MM. D. Dubois, L. Hervé, Chatillon, Bonnecarrère, Canevet, Guerriau, Gremillet et Vanlerenberghe, Mmes Gatel et Billon, M. Longeot, Mme Doineau et MM. Tandonnet, Marseille et Delcros, est ainsi libellé :

Alinéas 53 à 57

Supprimer ces alinéas.

La parole est à M. Daniel Dubois.

M. Daniel Dubois. Le titre IV du projet de loi concerne également les entreprises agroalimentaires implantées en France qui utilisent des ferments. Il y a aujourd'hui des ferments connus, maîtrisés et répertoriés dans les bibliothèques des entreprises.

En première lecture, le Sénat avait adopté un amendement pour éviter que l’autorisation administrative sur ces ferments ne soit rétroactive et ne concerne que les nouvelles utilisations.

Prenons l’exemple d’une coopérative ou d’une industrie alimentaire utilisant un ferment connu et répertorié dans sa bibliothèque pour faire du fromage. Si elle décidait de s’en servir pour faire, par exemple, du saucisson, l’autorisation serait annulée !

L’amendement voté par le Sénat était cohérent. Il permettait de sauvegarder les entreprises agroalimentaires de France et de Navarre, qui emploient beaucoup de monde et sont très présentes dans de nombreux territoires ruraux. Le dispositif proposé était notamment soutenu par notre collègue Daniel Gremillet, qui, en tant que président d’une coopérative agricole, connaît bien le problème.

Les députés sont allés beaucoup plus loin, avec la bénédiction du Gouvernement, en supprimant les alinéas 53 à 57, qui concernent les ferments. Cette décision conforte les entreprises agroalimentaires et ne met pas en cause le protocole de Nagoya. En plus, cela permet à notre pays de rester en conformité avec la directive européenne, contrairement à la rédaction actuelle de l’article.

Je propose donc de revenir à la position de l’Assemblée nationale et de supprimer les alinéas 53 à 57.

Mme la présidente. L'amendement n° 63 rectifié, présenté par M. Pellevat et Mme Imbert, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 56

Compléter cet alinéa par la référence :

et à l'article L. 412-6

II. – Alinéa 57

Supprimer cet alinéa.

La parole est à Mme Corinne Imbert.

Mme Corinne Imbert. L'Assemblée nationale a introduit une disposition pour éviter toute rétroactivité des règles relatives à l'accès et aux partages des avantages des ressources génétiques présentes en collections avant l'entrée en vigueur de la présente loi.

Afin de ne pas dissuader l'utilisation de ces collections pour la mise au point d'éventuels nouveaux traitements, le mécanisme de non-rétroactivité mérite d'être étendu à l'ensemble des acteurs disposant de collections de ressources génétiques avant la date d'entrée en vigueur de la loi.

Par ailleurs, la notion de nouvelle utilisation induit nécessairement la connaissance d'une ou des utilisations antérieures de la ressource génétique. Or, en pratique, les détenteurs de collections n'ont pas connaissance des utilisations antérieures des ressources génétiques.

De plus, une telle définition de la notion de nouvelle utilisation nécessiterait que l'information détenue par l'utilisateur sur l’utilisation antérieure existe en pratique, au risque, dans le cas contraire, de faire perdre tout sens au mécanisme et de créer de l'insécurité juridique.

Enfin, l’objectif direct de développement commercial, qui doit accompagner l'activité de recherche et développement pour constituer une nouvelle utilisation, n'est pas défini dans le projet de loi. Or la mise sur le marché de produits issus de la recherche et du développement sur les ressources génétiques est très aléatoire. Ainsi, la longue et complexe mise en œuvre de la procédure d'autorisation pourrait être dissuasive pour l'ensemble de la recherche et développement sur les anciennes collections et donc freiner l'émergence d'éventuelles innovations.

Mme la présidente. L'amendement n° 118, présenté par MM. Barbier, Arnell, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin et Hue, Mmes Laborde et Malherbe et MM. Mézard, Requier et Vall, est ainsi libellé :

Alinéa 57

Remplacer les mots :

dont les objectifs et le contenu se distinguent

par le mot :

qui se distingue

La parole est à M. Gilbert Barbier.

M. Gilbert Barbier. Il n’est effectivement pas facile de trouver la bonne rédaction pour l’article L. 412-4-1 du code de l’environnement.

Le dispositif envisagé prévoit que les procédures d’accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles associées seront applicables, dans le cas de collections préalablement constituées, à toute utilisation ultérieure à la publication de la loi à des fins commerciales, et dont « les objectifs et le contenu » se distinguent de celle qui a été précédemment menée.

Bien que l’on ne fasse plus référence à une nouvelle utilisation, les conséquences demeurent les mêmes. L’utilisation de la ressource génétique diffère de l’utilisation précédente.

Nous sommes favorables au rétablissement de ces dispositions dans le projet de loi par la commission. Mais il ne nous semble pas pertinent de mentionner les « objectifs et le contenu » de l’utilisation, qui peuvent évoluer.

Les amendements qui seront présentés dans quelques instants ont sensiblement le même objet, même si leur rédaction est différente. Je pourrais éventuellement m’y rallier, car ils sont peut-être plus compréhensibles.

Mme la présidente. Les deux amendements suivants sont identiques.

L'amendement n° 64 rectifié est présenté par M. Pellevat et Mme Imbert.

L'amendement n° 181 rectifié quinquies est présenté par MM. D. Dubois, L. Hervé, Chatillon, Bonnecarrère, Canevet, Guerriau, Gremillet et Vanlerenberghe, Mmes Gatel et Billon, M. Longeot, Mme Doineau et MM. Tandonnet, Marseille et Delcros.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Alinéa 57

Remplacer les mots :

les objectifs et le contenu se distinguent de celle précédemment menée

par les mots :

le domaine d’activité se distingue de celui précédemment couvert

La parole est à Mme Corinne Imbert, pour présenter l'amendement n° 64 rectifié.

Mme Corinne Imbert. Le projet de loi prévoit une application des procédures d'accès et de partage des avantages aux ressources génétiques déjà présentes en collections avant l'entrée en vigueur de la loi.

La mise en place du dispositif serait malaisée pour les acteurs de la recherche issus de champs dynamiques et divers, comme les cosmétiques, l’agroalimentaire ou l’industrie pharmaceutique.

En effet, l'utilisation d'une ressource génétique est un processus aléatoire et coûteux. Cela peut représenter plusieurs années de recherche et développement, tout en ne dépassant parfois pas le stade du criblage.

C'est pourquoi il nous semble important que le dispositif réglementaire et opérationnel d'accès et de partage des avantages ne soit pas de nature à détourner les acteurs de la recherche sur les ressources génétiques ; cela irait à l'encontre des objectifs du protocole de Nagoya.

Afin de ne pas dissuader l’utilisation de ces collections par les professionnels, notre amendement vise à substituer au critère de changement d'objectifs et de contenu le critère de changement de domaine d'activité. C’est un point très important.

Je rappelle qu’une telle disposition avait été adoptée en première lecture par le Sénat, avec l’avis favorable du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Dubois, pour présenter l'amendement n° 181 rectifié quinquies.

M. Daniel Dubois. Il s’agit d’un amendement de repli.

Nous proposons de revenir au dispositif voté en première lecture par le Sénat, afin d’éviter la rétroactivité et l’utilisation dans de nouvelles formes.

Mme la présidente. L'amendement n° 309, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :

Alinéa 57

Remplacer les mots :

les objectifs et le contenu se distinguent de celle

par les mots :

le domaine d’activité se distingue de celui caractérisant l'utilisation

La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Mon amendement va dans le même sens.

Le projet de loi prévoit des procédures d’accès et de partage des avantages y compris pour les ressources génétiques présentes en collections avant l’entrée en vigueur de la loi.

Ces procédures ne s'appliqueront donc pas pour les activités en cours, la loi ne pouvant évidemment pas être rétroactive. Mais elles s'appliqueront dans le cas d'une nouvelle utilisation, soit une activité de recherche et développement à visée commerciale dont « les objectifs et le contenu se distinguent de celle précédemment menée » par le même utilisateur.

Cet amendement vise à requalifier plus précisément un tel changement, en substituant la notion de « domaine d’activité » à la mention des « objectifs » et du « contenu ». Je pense que nous pouvons parvenir à un accord.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jérôme Bignon, rapporteur. Je commencerai par trois réflexions liminaires.

Premièrement, alors que l’examen de l’article 18 a commencé par des considérations sur les communautés autochtones et le respect dû à nos compatriotes d’outre-mer, nous sommes saisis d’amendements tendant à restreindre le champ de ce que l’on pourrait partager avec eux ! Cela revient à dire qu’on les aime bien, mais à condition de leur donner le moins possible… Ayons conscience qu’il est tout de même un peu hypocrite de proclamer notre amitié à leur égard tout en les empêchant de bénéficier de richesses qu’ils ont permis à notre pays de conserver ! Je ne voudrais pas que certains commettent une telle erreur.

Deuxièmement, le criblage, qui est une activité importante des scientifiques, ne fait pas partie de la nouvelle utilisation. Il n’est donc pas affecté par les décisions que nous prenons. Les entreprises concernées peuvent donc être tranquilles ; elles n’auront aucune déclaration particulière à faire, et pourront continuer leur activité. Le criblage et la recherche font partie de leurs missions.

Troisièmement, comme Mme la secrétaire d’État et plusieurs orateurs l’ont indiqué, il n’y aura pas de rétroactivité. La loi française n’est pas rétroactive, sauf dans de très rares cas. Je vous renvoie à l’article 2 du code civil : « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif. » Le texte dont nous débattons respecte ce principe.

La commission émet un avis défavorable sur l’amendement n° 180 rectifié quinquies, qui a été présenté par notre excellent collègue Daniel Dubois.

Il est nécessaire de prévoir une procédure d’accès et de partage des avantages pour les ressources génétiques et les connaissances traditionnelles associées déjà en collection avant l’entrée en vigueur de la loi et qui feraient l’objet d’une utilisation ultérieure.

La France héberge des collections de grande ampleur. Les ressources contenues dans ces collections représentent l’écrasante majorité des cas d’utilisation de ressources génétiques et connaissances traditionnelles associées.

Ayons conscience que l’adoption d’un tel amendement aurait pour effet de vider de sa portée le dispositif APA.

L’adoption de l’amendement n° 63 rectifié, qui est rédigé différemment, aurait exactement le même résultat : la référence à la nouvelle utilisation serait supprimée et le dispositif APA serait privé de toute portée. J’en sollicite donc le retrait, faute de quoi l’avis de la commission serait défavorable.

L’amendement n° 118 vise à restreindre radicalement le champ d’application de la nouvelle utilisation. L’avis de la commission est également défavorable, pour les raisons indiquées précédemment.

Les amendements identiques nos 64 rectifié et 181 rectifié quinquies visent restreindre l’application de la nouvelle utilisation au seul cas des changements de domaine d’activité.

Une nouvelle démarche APA ne serait requise qu’en cas de changement radical de domaine d’activité, par exemple si l’on décide d’utiliser pour la recherche médicale une ressource dont on servait auparavant pour chercher à créer une crème… Cela restreindrait fortement la portée du dispositif.

Encore une fois, le criblage, qui relève de la recherche fondamentale, n’est pas dans le champ des procédures d’autorisation. Les craintes des industries cosmétiques ou du médicament ne sont donc pas fondées.

La commission sollicite donc le retrait des amendements identiques nos 64 rectifié et 181 rectifié quinquies. À défaut, l’avis serait défavorable.

L’amendement n° 309, qui est très proche dans son objet de ces deux amendements, appelle le même commentaire.