M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Alain Marc, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le Sénat est appelé à se prononcer sur la proposition de loi visant à lutter contre les contrôles d’identité abusifs, déposée par Mme Éliane Assassi, qui vient de s’exprimer, et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.

La présente proposition de loi a pour objet de redéfinir le critère justifiant un contrôle d’identité opéré dans un cadre de police judiciaire, applicable notamment pour rechercher les auteurs d’une infraction, de supprimer toutes les autres formes de contrôles d’identité et d’instaurer une expérimentation consistant à ce que les agents des forces de l’ordre délivrent un récépissé aux personnes contrôlées.

Ces dispositions déstabiliseraient massivement le cadre applicable aux contrôles d’identité, pourtant particulièrement nécessaires dans le contexte actuel, et créeraient une forte insécurité juridique pour les agents des forces de l’ordre. Je vous propose en conséquence de rejeter la présente proposition de loi.

J’exposerai d’abord rapidement le cadre juridique des contrôles d’identité, qui est complexe, mais qui est aussi aujourd’hui stabilisé, avant de présenter les dispositions de la proposition de loi proprement dite et justifier ce rejet.

Le cadre des contrôles d’identité est complexe et fait coexister plusieurs types de contrôles d’identité.

Toute personne présente sur le territoire national peut faire l’objet d’un contrôle d’identité, qui est le fait pour un agent des forces de l’ordre de demander à une personne de justifier son identité.

On distingue deux types de contrôles d’identité : ceux qui sont effectués dans le cadre de la police judiciaire, dans le but de rechercher les auteurs d’un délit ou d’un crime ou pour empêcher la commission imminente d’une infraction, et ceux qui sont effectués dans le cadre de la police administrative, qui ont pour objet de prévenir une atteinte à l’ordre public. Dans ces deux cas, les contrôles d’identité doivent être motivés par des éléments concrets, rattachables à la personne faisant l’objet du contrôle et non simplement par des considérations générales ou abstraites.

Deux autres procédures permettent de contrôler l’identité de manière systématique, mais de façon limitée dans le temps et dans l’espace : les contrôles sur réquisitions du procureur de la République, dans des lieux qu’il définit et pour une durée déterminée, pour prévenir la commission de certaines infractions ; les contrôles d’identité dits « Schengen », créés en 1993, qui visent à lutter et à prévenir les infractions relatives à la criminalité transfrontalière, dans une bande géographique de vingt kilomètres à partir de la frontière.

En complément de ces contrôles d’identité, les véhicules et, depuis la loi relative à la sécurité dans les transports collectifs de voyageurs du 22 mars dernier, les bagages peuvent être contrôlés, selon des procédures plus encadrées.

Dans tous les cas, les contrôles d’identité sont effectués par des agents des forces de l’ordre – policiers ou gendarmes – ayant la qualité d’officier de police judiciaire, d’agent de police judiciaire ou d’agent de police judiciaire adjoint.

Toutes les procédures relatives au contrôle d’identité sont placées sous le contrôle du procureur de la République et le contentieux de ces mesures, qu’elles se rattachent à la police judiciaire ou à la police administrative, relève de la compétence du juge judiciaire.

Le régime des contrôles d’identité est aujourd’hui stabilisé.

La Cour de cassation a précisé les circonstances particulières pouvant motiver un contrôle d’identité. Elle impose depuis longtemps des motivations précises et non abstraites : le seul fait de s’éloigner d’un groupe ne permet pas de caractériser un comportement justifiant un contrôle d’identité, par exemple. En revanche, peut faire l’objet d’un contrôle une personne changeant de direction à l’arrivée des policiers ou une personne tentant de se dissimuler à la vue d’un véhicule de police.

J’en arrive à la proposition de loi proprement dite, qui présente de très nombreuses difficultés. Elle prévoit trois séries de mesures problématiques.

En premier lieu, la proposition de loi remplacerait le critère qui justifie actuellement un contrôle d’identité effectué dans le cadre de la police judiciaire. L’agent devrait justifier de raisons « objectives et individualisées » pour effectuer ce contrôle, le rendant en fait inutile en imposant aux policiers de connaître l’identité de la personne avant même d’opérer le contrôle.

En deuxième lieu, la proposition de loi supprimerait surtout les fondements légaux des contrôles sur réquisitions, des contrôles effectués dans un cadre de police administrative et des contrôles « Schengen ». Les conséquences de ces suppressions seraient particulièrement graves et négatives. Elles priveraient les agents des forces de l’ordre d’instruments tout à fait essentiels pour prévenir les atteintes à l’ordre public, en particulier les contrôles sur réquisitions ou les contrôles effectués dans un cadre de police administrative. À titre d’exemple, il ne serait plus possible de procéder à des contrôles d’identité préalablement à une manifestation ou à un rassemblement. En matière de lutte contre l’immigration irrégulière, les conséquences seraient probablement catastrophiques.

En troisième lieu, la proposition d’instaurer un récépissé aurait, quant à elle, des effets pratiques négatifs, au regard du nombre de contrôles d’identité réalisés. Il n’existe aucun chiffre en la matière, mais les évaluations fournies lors des auditions par la gendarmerie ou la police permettent de penser qu’il y en a plusieurs millions par an. Pour la gendarmerie, il y en avait au moins deux millions. On imagine bien qu’il y en a beaucoup plus pour la police. Parler de plusieurs millions est donc réaliste.

En conséquence, instaurer un récépissé alourdirait significativement les tâches des forces de l’ordre, pour un bénéfice nul : ce récépissé n’empêcherait pas un nouveau contrôle par les forces de l’ordre et ne constituerait pas la preuve d’un traitement discriminatoire. D'ailleurs, lors de son audition, le Défenseur des droits a reconnu que des moyens alternatifs de traçabilité des contrôles d’identité devaient être expérimentés, citant par là des exemples étrangers qui n’ont absolument pas fait leurs preuves aujourd'hui.

Il existe de très nombreux mécanismes permettant de lutter effectivement contre les pratiques dénoncées par la proposition de loi : par exemple, l’instauration d’un numéro matricule sur les tenues depuis 2014 ou la mise en place de plates-formes internet de signalement permettant de saisir directement les inspections en cas de dysfonctionnement. À cet égard, je remarque que celles-ci sont sous-utilisées, avec 239 faits signalés à l’inspection de la police nationale pour les deux années 2014 et 2015. Ce chiffre est à mettre en relation avec les millions de contrôles d’identité effectués chaque année. Et ces faits ne concernent pas que les contrôles d’identité !

M’appuyant aussi sur le rapport de l’association Stop le contrôle au faciès, que vous avez cité, chère collègue, j’ai constaté qu’elle ne relevait, par année, que 400 signalements de tous ordres environ, c'est-à-dire des signalements qui concernent aussi bien des contrôles d’identité que d’autres procédures. Au regard des millions de contrôles d’identité effectués, c’est donc un chiffre relativement faible. Je ne dis pas que cela ne justifie pas vos propositions, mais cela aboutit souvent à mettre en exergue des faits qui, au regard des actes de police, sont en nombre minime.

Mme Éliane Assassi. Il ne s’agit que d’une petite association !

Mme Laurence Cohen. Qui n’a pas les moyens de l’État !

M. Alain Marc, rapporteur. Il faut quand même signaler que des efforts considérables ont été faits au niveau de la police et de la gendarmerie. Le code de déontologie et une formation revue des agents sont également des réponses efficaces.

Par ailleurs, dans le cadre de la loi relative à la simplification de la procédure pénale, les caméras mobiles vont être généralisées, permettant ainsi de constituer des éléments de preuves réels.

Ces différents instruments permettent beaucoup mieux de lutter contre la pratique de contrôles d’identité discriminatoires que la mise en place de récépissés.

En conclusion, je souligne les multiples difficultés juridiques que pose cette proposition de loi, l’ineffectivité probable des mesures proposées et un risque accru d’insécurité juridique au détriment des forces de l’ordre, à l’égard desquelles la présente proposition de loi marque par ailleurs une défiance injustifiée. C’est l’occasion pour moi, dans cette période troublée, de rappeler que les forces de l’ordre – police et gendarmerie – sont le bras armé de la démocratie. Elles méritent, en même temps que notre considération, de pouvoir travailler de façon efficace au service des institutions et pour la liberté de nos concitoyens.

Aussi, mes chers collègues, je vous propose de rejeter la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargée de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de loi visant à lutter contre les contrôles d’identité abusifs porte sur un sujet sensible, prêtant régulièrement à la polémique. Ce sujet mérite par là même d’être traité avec la plus grande rigueur, loin des clichés et des outrances. Telle est la ligne constamment suivie par le Gouvernement, notamment par le ministre de l’intérieur.

Avant toute chose, je souhaite rappeler que les femmes et les hommes qui composent les forces de l’ordre œuvrent chaque jour pour protéger les Français contre toutes les formes de délinquance et de criminalité. Par là même, ils contribuent à garantir l’exercice et le respect de nos libertés individuelles et collectives. Pour nous, pour nos concitoyens, ces serviteurs de l’État prennent des risques, parfois même – trop souvent – au péril de leur vie. L’année dernière, plus de 18 000 policiers et gendarmes ont ainsi été blessés, tandis que huit de leurs collègues et camarades ont trouvé la mort dans l’accomplissement de leurs missions.

Au cours de ces dernières semaines, plus de 300 policiers et gendarmes, ainsi d’ailleurs que des militaires de l’opération Sentinelle, ont également été blessés lors d’opérations de maintien de l’ordre public, en butte à la violence de bandes de casseurs et de militants extrémistes. Le Premier ministre et le ministre de l’intérieur l’ont rappelé avec fermeté : ces violences sont absolument inacceptables.

Les forces de l’ordre protègent les Français dans tous les actes de leur vie sociale, notamment lorsqu’ils expriment leurs opinions sur la voie publique, dans le respect des lois de la République. C’est la raison pour laquelle elles méritent toute notre considération et tout notre respect. C’est aussi la raison pour laquelle elles se doivent d’être absolument exemplaires dans l’exercice de leurs fonctions. Parce qu’ils assument des prérogatives de puissance publique, policiers et gendarmes sont ainsi soumis à un contrôle étroit et exigeant, de nature hiérarchique, judiciaire ou bien de la part d’autorités indépendantes. Nul écart par rapport à la règle de droit n’est toléré. Nul manquement aux règles de la déontologie n’est accepté. Comme l’a rappelé le ministre de l’intérieur à maintes reprises, le droit s’applique aussi, et avant tout, à celles et ceux qui ont pour mission de le faire respecter, car c’est cela, l’État de droit.

Mais l’État de droit ne consiste certainement pas à accuser les forces de l’ordre de tout et n’importe quoi,…

Mme Éliane Assassi. Qui les accuse ?

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. … comme on l’a trop souvent vu ces dernières semaines, ni à les assimiler aux écarts et aux fautes qu’ont pu parfois commettre certains de leurs membres extrêmement minoritaires.

Mme Éliane Assassi. Le sujet n’est pas là ! Parlez du texte !

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. Les policiers et les gendarmes, dans leur écrasante majorité, accomplissent leurs tâches avec un dévouement et un professionnalisme exemplaires, dans des conditions bien souvent difficiles. À cet égard, ils ont besoin de notre soutien, du soutien du Gouvernement, mais aussi du soutien de l’ensemble des élus de la Nation.

Mme Éliane Assassi. Ils l’ont !

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. Cela étant posé, je veux à présent en venir au contenu de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui.

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. Celle-ci entend en effet modifier l’article 78-2 du code de procédure pénale, dans un sens qui nous paraît à la fois inutile et problématique, raisons pour lesquelles le Gouvernement s’oppose résolument à l’adoption de ce texte.

En premier lieu, la proposition de loi vise, au premier alinéa de l’article 78-2, à remplacer la notion de « raisons plausibles de soupçonner » par celle de « raisons objectives et individualisées » pour justifier le déclenchement de procédures de contrôle d’identité. Or, en réalité, cette modification n’apporterait aucune garantie supplémentaire en termes de protection des libertés individuelles.

En effet, je rappelle que le cas de contrôle actuellement prévu par le code de procédure pénale permet précisément de relever l’identité de toute personne à l’égard de laquelle il existe « une ou plusieurs raisons plausibles » de soupçonner, soit qu’elle a déjà commis ou tenté de commettre une infraction, soit qu’elle s’y prépare, soit qu’elle est susceptible de fournir des renseignements utiles à une enquête en cas de crime ou de délit, soit qu’elle fait l’objet de recherches ordonnées par l’autorité judiciaire.

Ce motif de contrôle est donc fondé d’une façon tout à fait légale sur des soupçons, lesquels ne peuvent reposer que sur des éléments objectifs constatés à partir du comportement de la personne concernée – sa fuite, par exemple, ou bien la dissimulation d’objets lors d’une intervention de police – ou de son apparence – j’entends par là sa ressemblance avec la photographie d’une fiche de recherche ou avec un signalement. J’ajoute que le policier ou le gendarme qui procède à un tel contrôle a le devoir de faire état, de manière systématique et précise, des éléments apparents qui l’ont motivé et d’en préciser la raison, notamment dans le procès-verbal d’interpellation.

Bien évidemment, le contrôle d’identité n’est pas et ne peut pas être subordonné à la certitude qu’une infraction sera commise, auquel cas il serait tout simplement inutile. Il tombe sous le sens que, en cas de délit flagrant, la mission des forces de l’ordre consiste à interpeller l’auteur de l’infraction, et non pas à procéder à son contrôle d’identité. Par conséquent, la notion de « raisons plausibles », telle qu’elle est définie par le code de procédure pénale et appliquée par les forces de l’ordre, repose déjà, sans la moindre ambiguïté, sur des éléments « objectifs et individualisés ». Il apparaît donc parfaitement inutile de procéder à la modification prévue par la proposition de loi.

Cette modification n’est pas seulement inutile, elle est aussi potentiellement dangereuse. La rédaction actuelle, en insistant sur la notion de soupçon, garantit en effet le principe de présomption d’innocence. C’est précisément la raison pour laquelle le législateur l’a retenue dans la loi du 4 mars 2002 visant à renforcer la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, en mettant notre droit en conformité avec la convention européenne des droits de l’homme, notamment son article 5.1. Initialement, l’objectif était d’ailleurs, grâce à cette notion de « raisons plausibles de soupçonner », de mieux encadrer le régime de la garde à vue.

Par conséquent, il s’agit là d’une garantie importante, qui protège le citoyen. Une nouvelle terminologie, qui ne présenterait aucun équivalent dans le code de procédure pénale ni aucun lien avec la convention européenne des droits de l’homme, prendrait le risque d’engendrer une réelle insécurité juridique, particulièrement préjudiciable à nos concitoyens.

En deuxième lieu, la proposition de loi avancée par le groupe CRC entend supprimer purement et simplement plusieurs cas de contrôle d’identité, privant ainsi les forces de l’ordre de moyens d’accomplir leurs missions de protection des Français. Le Gouvernement ne peut évidemment accepter une telle entrave à l’action des policiers et des gendarmes, qui plus est dans le contexte de menace terroriste particulièrement élevée que nous connaissons aujourd’hui.

Les contrôles concernés par une telle suppression relèveraient de trois catégories.

Tout d’abord, seraient supprimés les contrôles sur réquisitions écrites du parquet, qui sont les plus fréquents et qui sont diligentés pour rechercher des infractions précisément identifiées, dans les lieux et pour la durée déterminés par le parquet lui-même. Ces procédures sont donc généralement ordonnées après le constat d’infractions commises fréquemment ou bien sur le fondement de renseignements transmis au parquet laissant supposer que la commission d’une infraction est probable. Il serait tout à fait paradoxal de supprimer un tel cas de figure, lequel se déroule sur l’initiative et sous le contrôle de l’autorité judiciaire, qui veille naturellement à empêcher tout abus éventuel.

Ensuite, seraient également supprimés les contrôles destinés à prévenir une atteinte à l’ordre public, qui sont déclenchés par les forces de l’ordre sur le fondement de circonstances particulières. Ces dernières reposent sur des éléments objectifs permettant de présumer l’existence d’une menace pour l’ordre public, soit que les lieux où se déroulent les contrôles connaissent régulièrement des actes de délinquance, soit que les circonstances dans lesquelles ils sont déclenchés présentent des risques spécifiques pour la sécurité des personnes ou des biens. Je pense particulièrement aux rassemblements lors d’événements sportifs, du type Euro 2016, mais aussi à des concerts drainant un public important ou encore à des manifestations d’ampleur. Je pense également aux abords des bâtiments sensibles dès lors que le plan Vigipirate de niveau écarlate a été déclenché.

Il est donc indispensable, mesdames, messieurs les sénateurs, que les forces de l’ordre puissent effectuer de tels contrôles, notamment en cas de risques terroristes élevés et dans les circonstances que je viens de décrire.

Enfin, si la proposition de loi était adoptée, les contrôles dans les zones frontalières seraient eux aussi rendus impossibles, alors qu’ils constituent un moyen efficace de lutte contre la criminalité transfrontalière. Ces contrôles, je le rappelle, peuvent notamment être mis en œuvre dans la bande des vingt kilomètres de part et d’autre des frontières terrestres internes à l’espace Schengen ou bien dans les zones accessibles au public des gares, des ports et des aéroports ouverts au trafic international. Les supprimer ne pourrait que nuire à l’efficacité de notre action contre les réseaux de passeurs et de traite des êtres humains, contre les filières de contrebande, les trafics d’armes et de stupéfiants, mais aussi contre les réseaux terroristes.

De manière générale, la suppression de ces différents types de contrôles d’identité nous affaiblirait gravement, en réduisant le spectre des moyens dont disposent aujourd’hui les forces de l’ordre pour lutter contre les formes de criminalité, y compris les plus violentes, qui sont susceptibles de frapper notre territoire et nos concitoyens.

En troisième lieu, la proposition de loi prévoit l’instauration d’un récépissé de contrôle d’identité dans les cas qui n’auraient pas fait l’objet d’une suppression. Le Gouvernement comprend la logique qui préside à la promotion d’une telle mesure et respecte ceux qui la défendent. Néanmoins, je veux être claire, comme l’est Bernard Cazeneuve, comme l’a été avant lui le Premier ministre Manuel Valls lorsqu’il était lui-même ministre de l’intérieur.

L’adoption d’une procédure de récépissé, dont je remarque d’ailleurs qu’elle est très peu développée à l’étranger, notamment chez nos voisins européens, ne constitue pas une réponse efficace aux risques de contrôles discriminatoires. Au contraire, elle présente d’importants inconvénients, dans la mesure où elle impliquerait la mise en place d’un système excessivement bureaucratique et lourd à gérer sur le plan procédural. Elle compliquerait ainsi de manière déraisonnable le travail sur le terrain des forces de l’ordre, qui sont déjà soumises à des contraintes procédurales particulièrement fortes. Elle entrerait également en contradiction avec la logique de simplification et de rationalisation qui prévaut aujourd’hui dans l’action des policiers et des gendarmes au service de la population, avec le risque que cette action devienne moins efficace.

Néanmoins, ce n’est pas parce que le Gouvernement s’est opposé et continue de s’opposer à l’adoption du récépissé qu’il est resté inactif pour lutter contre les « délits de faciès » et pour promouvoir des procédures de contrôle d’identité parfaitement respectueuses de l’ensemble des citoyens. C’était là un engagement fort du Président de la République et, depuis 2012, nous avons fait beaucoup. Nous avons mené un travail particulièrement approfondi pour que cet engagement soit tenu, et nous en sommes fiers.

Pour lutter efficacement contre l’insécurité et la délinquance, nous avons en effet besoin que les Français et leurs forces de l’ordre entretiennent des liens de confiance réciproque, fondés sur la proximité et sur le respect mutuel. Le Gouvernement en est profondément convaincu. C’est la raison pour laquelle, comme je l’ai dit, les policiers et les gendarmes doivent travailler dans un cadre déontologique très strict et adopter un comportement absolument irréprochable dans l’accomplissement de leurs missions, quelle qu’en soit la difficulté. C’est là une contrainte forte, nous en sommes tous conscients, mais ces femmes et ces hommes sont des professionnels, et le professionnalisme, la retenue, la maîtrise constituent à la fois leur bouclier et leur boussole. Des forces de l’ordre exemplaires sont à la fois mieux respectées et plus efficaces.

Un nouveau code de déontologie, commun à la police et à la gendarmerie, est ainsi entré en vigueur en janvier 2014. Il a permis de moderniser et de compléter les règles qui s’appliquaient déjà aux forces de l’ordre. Depuis lors, et pour la première fois dans notre pays, le déroulement concret des contrôles d’identité est juridiquement encadré, notamment les palpations de sécurité.

Mme Esther Benbassa. Ce n’est pas vrai !

Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. Nous avons également renforcé la formation théorique et pratique aux contrôles d’identité et aux palpations de sécurité dans les écoles de formation initiale. Les mises en situation ont ainsi été largement développées, en rappelant le souci constant de pédagogie dont doivent faire preuve les policiers et les gendarmes, en particulier lors de ce type d’interventions.

Par ailleurs, en application du nouveau code de déontologie, chaque policier et chaque gendarme est désormais tenu d’arborer un numéro d’identification individuel. Cette innovation, qui répond notamment à une recommandation du Défenseur des droits, renforce la transparence des contrôles d’identité et contribue ainsi à améliorer les relations qu’entretiennent les Français avec les forces de l’ordre.

Pour donner à nos concitoyens l’assurance que tout manquement aux règles de déontologie est sanctionné, une plate-forme internet de signalement a également été mise en place, dès septembre 2013, au sein de l’Inspection générale de la police nationale. Dès lors, tout citoyen peut y signaler les actes contraires à la déontologie dont il pense être la victime ou bien le témoin.

Enfin, et de manière plus générale, plusieurs mesures ont été prises par le ministre de l’intérieur afin d’améliorer les relations entre la population et les forces de l’ordre, notamment à l’occasion des patrouilles ou des interventions sur la voie publique.

Je pense bien sûr au dispositif des caméras portatives, dites « caméras-piétons », lesquelles pourront jouer un rôle modérateur et permettre, si besoin est, d’apaiser une situation tendue ou susceptible de se dégrader rapidement. Le cadre légal de leur utilisation est défini par l’article 32 du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale, que la commission mixte paritaire vient d’adopter.

Je pense également au renforcement de la fonction de délégué pour la cohésion entre la police et la population, permettant le recrutement de réservistes de la police pour constituer des relais entre les forces de l’ordre et les habitants, les commerçants et les associations.

Nous sommes convaincus que c’est d’abord et surtout grâce à de tels dispositifs que les forces de l’ordre pourront tisser et entretenir des relations constructives et de confiance avec la population, notamment avec les jeunes. C’est très important pour le Gouvernement.

Dans le cadre des zones de sécurité prioritaires, qui sont progressivement mises en place depuis 2012, nous développons également des stratégies de prévention de la délinquance adaptées aux contextes locaux et permettant aux différents acteurs concernés – services de l’État, éducation nationale, acteurs associatifs, bailleurs sociaux, comités de quartier – de travailler ensemble, de manière coordonnée, au service de la sécurité de tous. Les forces de l’ordre peuvent ainsi être informées des problèmes rencontrés sur le terrain et mettre en place en conséquence des solutions adéquates, conçues et mises en œuvre collectivement.

Dans ce cadre, les initiatives locales se multiplient, permettant aux représentants de la force publique d’aller régulièrement à la rencontre des habitants afin d’évoquer avec eux les problématiques propres à chaque quartier et d’expliquer leurs objectifs. Ces échanges, très enrichissants pour tous, permettent non seulement d’expliquer aux habitants notre action et celle des forces de l’ordre, mais aussi d’entretenir et de renforcer les relations de confiance entre les forces de l’ordre et la population.

Tels sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments que je souhaitais développer dans ce débat. Je vous prie de m’excuser d’être intervenue aussi longuement, mais je tenais à être particulièrement précise pour répondre aux différents arguments et expliquer la position du Gouvernement et du ministre de l’intérieur. (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)