M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot.

M. Jacques Bigot. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les contrôles d’identité sont nécessaires : ils font partie des moyens accordés à la police et la justice pour protéger les Français. Pour autant, ils doivent être encadrés et les abus sanctionnés. Ces abus existent, il ne faut pas le nier. Tout pouvoir est susceptible d’entraîner des abus…

Madame Assassi, vous citez dans l’exposé des motifs de la proposition de loi les cinq arrêts de la cour d’appel de Paris condamnant l’État en raison de contrôles abusifs. Ces arrêts, qui font actuellement l’objet d’un pourvoi en cassation, sont éloquents sur certaines pratiques : les témoignages indiquent par exemple que, lorsque les personnes contrôlées cherchent à connaître les raisons de leur contrôle, les policiers répondent généralement : « C’est la vie ! »

Les arrêts relèvent que les contrôles étaient nécessaires et qu’il n’y a pas lieu de les remettre en cause, mais que « l’autorité publique ne peut démontrer en quoi le contrôle systématique et exclusif d’un type de population, en raison de la couleur de sa peau ou de son origine, tel qu’il a été relaté par le témoin, était justifié par des circonstances précises et particulières ».

Oui, des abus existent, et il faut les combattre ! En 2014, le Défenseur des droits a rédigé sur le sujet un excellent rapport, très complet, sur lequel je reviendrai. Le ministre de l’intérieur s’en est saisi, comme vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, pour faire en sorte que l’on puisse lutter contre ces abus. Vous venez de décrire à l’instant les solutions qui ont été mises en œuvre. Je vais d’ailleurs les reprendre pour essayer de vous convaincre, mes chers collègues, que, si le problème soulevé par la proposition de loi existe, la réponse qu’elle apporte n’est pas la bonne.

Tout d’abord, les dispositions de l’article 78-2 du code de procédure pénale, qui font l’objet d’une abondante jurisprudence, fonctionnent, même si l’on peut toujours penser qu’un texte peut toujours être complété.

Ensuite, le nouveau code de déontologie, partie intégrante du code de la sécurité intérieure, est fondamental. L’article R. 434-14 rappelle aux policiers que leur relation avec la population doit être « empreinte de courtoisie et requiert l’usage du vouvoiement ». Or le récépissé ne permettra pas de vérifier si la personne a été tutoyée ou vouvoyée. L’article R. 434-16, en vigueur depuis le 1er janvier 2014, dispose, pour sa part, que, « lorsque la loi l’autorise à procéder à un contrôle d’identité, le policier ou le gendarme ne se fonde sur aucune caractéristique physique ou aucun signe distinctif pour déterminer les personnes à contrôler, sauf s’il dispose d’un signalement précis motivant le contrôle ». Le code de la sécurité intérieure prévoit ainsi très clairement, à l’article R. 434-27, que le manquement aux principes définis par le code de déontologie expose le policier ou le gendarme à une sanction disciplinaire.

Il vaut mieux, me semble-t-il, que ces sanctions disciplinaires puissent être mises en œuvre sur l’initiative de la hiérarchie, plutôt que des associations soient obligées de saisir les juridictions pour obtenir des dommages et intérêts, comme ce fut le cas dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts de la cour d’appel de Paris. C’est le travail qu’il faut mener, et je remercie M. le ministre de l’avoir initié. Reste que nous allons encore plus loin puisque ce code de déontologie s’accompagne d’efforts de formation. Le Défenseur des droits, dans le rapport dont il a transmis ce matin une synthèse aux membres de la commission des lois, indique bien qu'il évoque ces droits des citoyens, si importants, devant les élèves gendarmes et les policiers en formation.

Par ailleurs, en application de l’arrêté du 24 décembre 2013, le policier, comme vous l’avez rappelé, madame la secrétaire d’État, doit avoir un numéro d’identification individuel clairement visible, qui permet ensuite d’étayer les plaintes.

En outre, comme vous l’avez précisé, monsieur le rapporteur, l’article 32 du projet de loi que nous devrions adopter dans peu de temps, puisque nous sommes parvenus à un accord en CMP, permettra aux policiers d’être équipés de caméras mobiles au moment où ils effectueront le contrôle. Pour ma part, je regrette qu’un amendement proposé par le groupe socialiste, qui permettait aussi de déclencher ces caméras à la demande de la personne contrôlée, n’ait pas été adopté. Peut-être y viendrons-nous un jour…

Enfin, vous avez également évoqué, madame la secrétaire d’État, la plate-forme de signalement IGPN, mise en œuvre par arrêté du 9 mai 2014. Aujourd’hui, les signalements effectués à cette plate-forme restent sans doute encore trop peu nombreux par rapport aux incidents qui peuvent exister. Encourageons nos concitoyens à l’utiliser pour permettre la mise en œuvre effective du code de déontologie. C’est ainsi qu’il faut agir et c’est ainsi que le ministre de l’intérieur souhaite que l’on agisse, respectant ainsi les engagements du Président de la République sur le respect des procédures – ces arrêtés relatifs à la déontologie et à la discipline des forces de l’ordre relèvent aussi de la procédure.

Venons-en maintenant aux solutions qui sont proposées dans votre texte, madame Assassi. L’article 1er de la proposition de loi apporte trois réponses.

La première est de modifier le texte de l’article 78-2 du code de procédure pénale, en remplaçant les mots « raisons plausibles de soupçonner » par les mots « raisons objectives et individualisées ».

Cette formulation me paraît très complexe à appliquer et risque de susciter des contentieux, alors que la jurisprudence, notamment celle de la Cour européenne des droits de l’homme, s’est stabilisée sur la notion de « raisons plausibles ». De plus, si les raisons deviennent véritablement individualisées, c’est que l’on a reconnu l’individu. Dans ce cas, il n’est pas forcément utile de contrôler son identité… Personne ne peut donc vraiment comprendre l’intérêt de cette modification.

La deuxième réponse, à savoir la suppression des alinéas 6 à 14 de l’article 78-2, me paraît plus incompréhensible encore. Les contrôles sur réquisitions du parquet, les contrôles destinés à prévenir une atteinte à l’ordre public et les contrôles dans les zones frontalières seraient purement et simplement supprimés. La protection de la société, ce que tous nos concitoyens réclament et attendent de l’État, serait donc de facto empêchée.

La troisième réponse – vous avez vous-même reconnu en commission des lois, madame Assassi, que ce n’était sans doute pas la plus fondamentale – concerne le fameux récépissé. J’ai envie de vous renvoyer à l’excellent rapport du Défenseur des droits de 2014, qui analyse cette question et distingue cinq types de récépissés : de la remise d’un document à la personne contrôlée jusqu’à l’attestation nominative contrôlée.

La remise d’un document, c’est en quelque sorte le ticket de contrôle ou la carte de visite. Or le matricule me semble suffisant. Faut-il maintenant demander aux policiers d’avoir sur eux des cartes de visite et de les distribuer comme des VRP ? (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Éliane Assassi. Caricature !

M. Jacques Bigot. On peut aller plus loin avec l’attestation nominative : le policier y indique tout, y compris, de manière anonyme, les motifs du contrôle, ce qui pose toute une série de problèmes organisationnels extrêmement importants.

Pour lutter contre les abus, il faut plutôt faire en sorte que le code de déontologie et la formation dispensée donnent aux forces de l’ordre la conviction que les relations entre les citoyens et la police sont essentielles. Le Défenseur des droits le dit lui-même : la solution du récépissé, y compris dans sa forme la plus aboutie, pratiquée au Royaume-Uni et aux États-Unis, ne règle finalement pas le problème des contrôles discriminatoires lorsqu’ils se produisent.

Il faut savoir que toutes les personnes que le Défenseur des droits a auditionnées ont souligné que la demande de sécurité était forte et que les forces de l’ordre avaient besoin du soutien de la population. Or on sait que ce soutien dépend lui-même de la confiance que la population fait aux représentants de l’ordre public.

Le Défenseur des droits évoque aussi dans sa conclusion le rôle des élus locaux. Nous savons qu’il y a des endroits en France où des abus existent. S’ils se produisent,…

Mme Éliane Assassi. Rappelez-vous 2005 !

M. Jacques Bigot. … nous, élus de la République présents sur le territoire, nous en sommes informés. Quand nos collègues élus locaux ou nous-mêmes siégeons dans les conseils de sécurité et de prévention de la délinquance, nous devons en faire état et en parler. Nous devons aussi faire remonter l’information à la hiérarchie policière. Il faut convaincre la police que son intérêt même est de faire en sorte qu’il n’y ait pas d’abus et que ces abus, quand ils existent, soient sanctionnés.

Voilà pourquoi le groupe socialiste et républicain ne votera pas la proposition de loi en l’état. Nous pensons qu’il est préférable de convaincre l’ensemble des forces de police et de gendarmerie qu’ils sont au service de la République, c’est-à-dire au service non du roi, mais des citoyens.

Mme Laurence Cohen. Justement !

M. Jacques Bigot. Elles doivent protéger les citoyens. C’est ce qu’ils attendent, ce qu’ils espèrent et ce qu’ils obtiennent, comme nous l’avons dit plusieurs fois.

Personnellement, je pense aussi que l’éthique et la déontologie sont des vertus dans lesquelles on peut croire.

Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas contradictoire !

M. Jacques Bigot. Cette déontologie, que nous demandons à la police, n’a pas besoin de s’accompagner d’un formalisme excessif, celui que vous voulez introduire et qui crée une suspicion illégitime.

Le code de procédure pénale emploie les mots « raisons plausibles de soupçonner ». En ce qui me concerne, je ne veux pas penser qu’il y ait nécessairement une raison plausible de soupçonner que les policiers commettent trop systématiquement des abus.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, l’objet de la proposition de loi du groupe CRC que nous examinons aujourd’hui me tient particulièrement à cœur. En effet, quelques semaines après mon élection, le 16 novembre 2011, je déposais, au nom du groupe écologiste, une proposition de loi similaire.

Pour mieux comprendre la portée de ce genre de contrôles, je vous invite à lire le rapport de Fabien Jobard et René Lévy, deux chercheurs du CNRS, dont l’enquête de terrain s’est déployée sur deux sites, l’un à la gare du Nord et l’autre à la station Châtelet-Les Halles. Ce travail confirme que les contrôles d’identité effectués par les policiers se fondent principalement sur l’apparence. Les personnes perçues comme « noires » courent entre 3,3 et 11,5 fois plus de risques d’être contrôlées que les personnes perçues comme « blanches ». Quant aux personnes perçues comme « arabes », elles sont 7 fois plus susceptibles de l’être.

Le style de vêtement porté est un autre facteur déterminant dans le contrôle. En l’occurrence, il s’agit de vêtements associés à différentes cultures dites « jeunes ».

Mme Esther Benbassa. Si les jeunes forment 10 % de la population, ils constituent 47 % des personnes contrôlées. Ajoutons que deux tiers des individus habillés « jeunes » appartiennent aux minorités dites visibles.

II est urgent d’agir pour endiguer cette réalité injustifiée et humiliante pour nombre de nos concitoyens. Pour parvenir à cette fin, il est indispensable d’élaborer un outil qui permette de répertorier les contrôles de police et de déterminer l’identité des parties prenantes, ainsi que le motif du contrôle. Seul un récépissé serait, me semble-t-il, de nature à pacifier les relations entre la police et nos concitoyens, particulièrement dans certains quartiers, et à lutter contre l’inflation de contrôles, dont on ne peut plus ignorer le caractère souvent discriminatoire.

Le Président Hollande, nouvellement élu, avait érigé la lutte contre les violences policières en axe fort de son programme électoral et avait pris l’engagement – le n° 30 – de lutter « contre le délit de faciès dans le contrôle d’identité par une procédure respectueuse des citoyens ».

M. François Bonhomme. Il a été perdu en cours de route…

Mme Esther Benbassa. Venez parler à ma place ! Vous avez l’air d’en avoir envie…

M. le président. Je vous demande de laisser l’orateur s’exprimer et de l’écouter avec attention.

Mme Esther Benbassa. L’idée était également soutenue par le Défenseur des droits et l’ensemble des associations de défense des droits humains.

L’état d’urgence est passé par là, la déchéance de nationalité aussi, et la lutte contre le contrôle au faciès a rejoint la liste, toujours un peu plus longue, des reniements et des renoncements du pouvoir.

Le Gouvernement s’est exprimé dernièrement sur le sujet, lors des débats sur le projet de loi contre le crime organisé et le terrorisme, préférant finalement les caméras-piétons au récépissé, caméras qui seront actionnées sur la seule initiative du policier.

La droite sénatoriale, par la voix de son rapporteur, a évacué toute réflexion sur la question. Pour M. Marc, les dispositions de la proposition de loi « créeraient une forte insécurité juridique pour les agents des forces de l’ordre » et constitueraient une « défiance injustifiée » à leur égard.

M. François Bonhomme. C’est bien dit !

Mme Esther Benbassa. Cessons quelque peu de sacraliser la police, tout en reconnaissant son mérite en ces temps troubles !

Rappelons, dans le même temps, le dernier rapport du comité contre la torture de l’ONU, présenté à Genève le 14 mai, qui fustige l’usage excessif de la force par les représentants de l’ordre, ces derniers mois, en France.

De surcroît, force est de constater que la lutte contre les discriminations a, elle aussi, été sacrifiée sur l’autel du tout-sécuritaire.

Finalement, c’est sans illusions, mais sans réserve, que le groupe écologiste soutiendra la proposition de loi.

Et puisque nos concitoyens d’origine noire ou arabe ne seront, une fois de plus, pas entendus aujourd’hui, je terminerai en vous lisant le témoignage d’Issa, jeune Parisien de quatorze ans.

Mme Esther Benbassa. « C’était après l’école, avec Alex, il est Capverdien. On est parti aux Halles, et on s’est fait contrôler déjà sur les marches d’escalier dans le Forum. Il y avait trois agents. On avait nos papiers, alors c’était rapide. Ensuite, on s’est refait contrôler près du métro et encore après, dans le métro, et là, on a dit qu’on en avait marre. Et ils nous ont ramenés au poste, et ils voulaient appeler nos parents. On a dit non, alors on a eu une amende pour “refus d’obtempérer aux injonctions d’un agent des chemins de fer”. Mais c’était la police, pas des agents des chemins de fer… Alex, il s’est fait étrangler un peu au commissariat. Je suis grand pour mon âge, je me fais trop souvent contrôler. Je voulais juste savoir pourquoi on est contrôlé. Et ça va s’arrêter quand ? »

La question est clairement posée : ça va s’arrêter quand ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les auteurs de cette proposition de loi ont raison : les contrôles d’identité au faciès sont bien une réalité. Une réalité incontestable, même sans études : l’expérience suffit. Une réalité fâcheuse, pour un pays qui refuse, par principe, tout traitement discriminatoire de ses citoyens.

La réponse de nos collègues est pour le moins radicale, puisqu’elle revient, en pratique, à rendre impossible une bonne partie des contrôles d’identité. Je m’explique.

Si inscrire dans la loi qu’« aucun contrôle d’identité ne peut être réalisé au motif d’une quelconque discrimination » pourrait être utile, autoriser ces contrôles uniquement si des « raisons objectives et individualisées » l’imposent revient à interdire les contrôles d’identité à titre préventif, qui constituent l’essentiel des contrôles et qui contribuent au maintien de l’ordre public à un coût – avouons-le – acceptable en termes de liberté publique, s’ils sont faits selon les règles.

Pour moi, le problème n’est pas leur existence, mais la manière dont ils sont effectués et les raisons pour lesquelles ils ont lieu.

Sur le plan pratique cette fois, l’obligation, lors de tout contrôle, de remettre un récépissé mentionnant, comme l’indique l’exposé des motifs, « son fondement juridique, ses motifs – pourquoi l’agent a sélectionné cette personne en particulier – et ses suites – aucune amende, interpellation, avertissement, etc. –, des mentions sur d’éventuelles situations plus spécifiques – par exemple, le contrôle de personnes en groupe, un incident particulier, etc. – et la pratique éventuelle d’une palpation et sa justification », dissuaderait le fonctionnaire le plus zélé d’effectuer un quelconque contrôle préventif.

J’entends bien que, selon la proposition de loi, ces mentions sont portées seulement sur le volet conservé par l’agent, mais on en vient à se demander qui, en l’espèce, est contrôlé. Ce qui est pour le moins fâcheux…

On fait valoir que des études « scientifiques » ont montré que l’usage du récépissé faisait baisser significativement le nombre de contrôles au faciès. Certes, mais est-ce la simple obligation de la remise du récépissé qui est efficace ou l’implication des acteurs dans l’expérimentation ? On observe notamment ce phénomène dans l’évaluation des méthodes pédagogiques nouvelles. Les résultats leur sont toujours favorables, parce qu’elles sont « nouvelles » et parce que les expérimentateurs, convaincus de leur efficacité, s’impliquent plus que la moyenne des pédagogues, plus classiques dans leur mise en œuvre.

Mon sentiment est que le traitement de ces pratiques inacceptables passe par d’autres voies : premièrement, en améliorant les méthodes de recrutement et de formation des agents ; deuxièmement, en rendant plus efficaces les recours de ceux qui, se trouvant abusivement contrôlés, pourraient produire des témoignages précis, notamment le numéro matricule du contrôleur, visible sur son uniforme – j’ai cru comprendre que cela était en cours de réalisation. Il serait facile alors de sanctionner, si dérive il y a. La méthode aurait également l’avantage, me semble-t-il, de ne pas faire d’une série de fautes individuelles un problème général.

Conscient que l’existence de contrôles d’identité au faciès pose un véritable problème, mais doutant de la pertinence de la solution proposée par le texte, les suffrages du RDSE se partageront entre l’abstention, pour bien signaler qu’il existe un véritable problème, et le vote contre, pour ceux qui veulent plutôt mettre l’accent sur la difficulté de mise en œuvre de cette mesure.

Voilà donc ce que sera le jugement balancé, comme d’habitude (Sourires.), du RDSE. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – M. François Bonhomme et Mme Isabelle Debré applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.

M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi présentée par notre collègue Éliane Assassi, bien qu’intéressante dans son principe, manque un peu, malgré tout, de réalisme.

Ce texte a pour objet de modifier l’article 78-2 du code de procédure pénale, qui définit les circonstances autorisant les contrôles d’identité.

Bien que des questions puissent se poser autour de ces contrôles d’identité, notamment celle très préoccupante de certaines dérives discriminatoires, il se trouve que le nouveau dispositif proposé pourrait créer, me semble-t-il, plus de problèmes qu’il n’en résoudrait, comme l’a démontré l’excellent travail du rapporteur.

Tout d’abord, le régime des contrôles étant aujourd’hui stabilisé, ce nouveau dispositif supprimerait le critère juridique qui justifie un contrôle d’identité. Il supprimerait l’ensemble des fondements légaux de tous les contrôles d’identité, à l’exception de ceux qui relèvent de la police judiciaire. Ainsi, les contrôles sur réquisitions, ceux qui sont effectués dans un cadre de police administrative et ceux dits « Schengen » disparaîtraient, privant les forces de l’ordre d’instruments, pourtant indispensables pour prévenir les atteintes à l’ordre public et assurer la sécurité de nos concitoyens.

Ensuite, l’établissement obligatoire d’un récépissé spécifiant le motif du contrôle à l’issue de chacun d’eux produirait un alourdissement considérable de la procédure, sans même parler du coût financier, aspect qui est, il est vrai, très accessoire. En effet, en raison du nombre très important de contrôles réalisés quotidiennement – je crois qu’il y en a deux millions par an –, l’émission d’un tel document représenterait une formalité administrative lourde, complexe et chronophage. Les agents des forces de l’ordre consacrent déjà plus de la moitié de leur temps de travail aux actes de procédure et d’administration ; la priorité est donc plutôt de réduire ces derniers que d’en ajouter de nouveaux.

De plus, M. le rapporteur a souligné que l’instauration d’un tel récépissé n’empêcherait pas un nouveau contrôle par les forces de l’ordre et ne constituerait pas la preuve d’un traitement discriminatoire. Le bénéfice serait ainsi proche de zéro.

Par ailleurs, il est à noter que diverses mesures ont été récemment prises afin de faire face aux problèmes que peut poser la réalisation d’un contrôle d’identité. Ainsi, depuis 2014, le numéro matricule des agents des forces de l’ordre se doit d’être apparent sur leur uniforme. Cela permet de faciliter le signalement ou le dépôt de plainte en cas de contrôle abusif.

En outre, le port de caméras-piétons est actuellement en cours de généralisation à l’ensemble des patrouilles de police, comme l’a annoncé le ministre de l’intérieur le mois dernier. Ces petites caméras, expérimentées depuis 2012, entraînent une pacification des rapports entre les policiers et les citoyens, en parvenant à calmer les esprits et à éviter l’escalade ainsi que les propos blessants. De plus, ces caméras peuvent également fournir un élément de preuve en cas de litige, tant pour la personne contrôlée, qui alléguerait le caractère abusif de la procédure, que pour l’agent de police accusé à tort.

Permettez-moi d’ajouter que la formation initiale et continue des policiers, comme celle des gendarmes, notamment pour la mise en œuvre des contrôles d’identité, en lien avec les obligations posées par le code de déontologie commun aux deux forces de l’ordre, a également été renforcée.

Pour toutes ces raisons, le groupe UDI-UC, dans sa grande majorité, ne soutiendra pas cette proposition de loi, dont l’adoption pourrait conforter l’idée, que nous rejetons, que la police a tendance à privilégier les contrôles au faciès, ce qui serait, disons-le, une provocation en cette journée de lutte contre la « haine anti-flics ». (Applaudissements sur les travées du groupe UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen.

Mme Laurence Cohen. À entendre la plupart des interventions, y compris la vôtre, madame la secrétaire d’État, et à lire le rapport de notre collègue Alain Marc, la proposition de loi du groupe CRC déchaîne quelque peu les passions.

Nous serions laxistes, voire irresponsables ou, au mieux, utopistes !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Oui !

Mme Laurence Cohen. Dans un contexte d’état d’urgence et de menace terroriste, certains nous accusent d’entraver le travail des policiers, de les empêcher notamment d’effectuer des contrôles d’identité, ce qui nuirait à la sécurité de nos concitoyens, tandis que d’autres nous accusent de donner encore plus de travail aux policiers, d’alourdir, par des tâches administratives, leurs missions de contrôle. Arguments contradictoires, vous en conviendrez ! Dans les deux cas, notre proposition de loi serait une remise en cause du travail de la police.

Mais dans quelle démocratie vivons-nous, quand il est impossible de faire une proposition qui encadre les contrôles d’identité, sous peine d’être accusé de jeter le discrédit sur la police ? Comme l’a fort justement souligné Éliane Assassi, notre but n’est en rien de jeter le discrédit sur toute une profession ou d’attiser le feu, mais bel et bien de restaurer la confiance entre les policiers et la population, et ce pour le bien de tous !

Nous l’avons déjà dit et nous le répétons, nous saluons le travail des forces de l’ordre, dont nous connaissons les conditions difficiles d’exercice. Ce que nous dénonçons, ce sont les dérives que personne ne peut nier.

Plusieurs chercheurs ainsi que des ONG ont objectivé le phénomène des contrôles au faciès. C’est une réalité sociale et impartiale, qui fait que, comme vous, mes chers collègues, je n’ai jamais été contrôlée.

M. François Bonhomme. Vous le regrettez ?

Mme Laurence Cohen. Ces contrôles sont ciblés sur un seul et même profil type : jeune, homme, perçu comme noir ou arabe. À ces critères, s’ajoutent l’apparence physique, le look vestimentaire appartenant à une culture urbaine, ce qui vous désigne automatiquement, dans l’imaginaire de certains, comme de potentiels coupables. D’ailleurs, c’est l’objet d’un amendement scandaleux, celui du sénateur Masson, qui n’en est plus à une provocation près ! Et en plus, il est absent…

Revenons au fond : imaginez le quotidien d’un jeune lycéen de dix-sept ans, vivant dans un quartier populaire des zones urbanisées, se faisant contrôler une fois en allant à son lycée et une seconde fois sur le chemin du retour, et ce quasiment tous les jours. Comment le vivriez-vous ? Comment ne pas se sentir humilié, stigmatisé ? Comment avoir une bonne image de la police et des institutions quand celles-ci vous suspectent systématiquement ? N’est-ce pas une conception amputée de la citoyenneté, une vision étriquée de la nationalité qui lui sont signifiées ?

C’est pour dénoncer tout cela que le mouvement Jeunes communistes, particulièrement celui du Val-de-Marne, a décidé de mener une grande campagne sur les contrôles au faciès. Il s’est appuyé sur le travail mené depuis des années par des associations des droits de l’homme, des ONG, le syndicat des avocats de France, celui de la magistrature et des syndicalistes de la police pour lancer une pétition, afin de sensibiliser les citoyens et les élus. Notre proposition de loi vise à concrétiser, à prolonger son travail d’investigation de terrain, en cherchant à modifier une loi profondément injuste et inégalitaire.

Nous avons pu vérifier l’urgence d’une telle proposition quand nous sommes allés, avec mon collègue Christian Favier, à la rencontre de jeunes du Val-de-Marne, dans des quartiers populaires. Tous décrivent la même situation de harcèlement. Leurs mères, leurs parents corroborent leurs propos, à savoir une dégradation manifeste des relations entre la police et la population – amplifiée par la suppression de la police de proximité décidée par Nicolas Sarkozy –, avec des comportements de certains policiers, manifestement très inappropriés, notamment envers des mineurs, rappelons-le.

Ces jeunes subissent des contrôles intempestifs, qui font partie intégrante de leur quotidien. Les palpations qui accompagnent parfois ces contrôles sont autant de vexations, d’humiliations, d’atteinte à leur intimité et leur intégrité.

Si dix-huit jeunes viennent de porter plainte contre une brigade du XIIe arrondissement, cela reste rare. La majorité constate avec impuissance l’impunité, quasi exclusive, qui règne du côté de ceux qui ont autorité sur eux.

Devons-nous rester inactifs face à cette situation ?

La France n’est pas le seul pays concerné. D’autres, comme l’Espagne, l’Angleterre ou bien encore les États-Unis, ont décidé d’agir et, contrairement à ce que vous dites, monsieur le rapporteur, ils ont fait preuve d’efficacité. Ils ont prouvé que moins de contrôles améliorent leur efficacité et leur pertinence sans pour autant que la délinquance augmente.

Ne pas laisser les choses en l’état, n’est-ce pas le défi que nous avons et que nous pouvons relever en tant que législateurs ? D’autant que des citoyens réagissent ! Treize personnes ont décidé de porter plainte contre l’État pour dénoncer les contrôles à répétition dont elles ont été victimes. L’État a été condamné pour cinq d’entre elles. Même si l’État a fait appel, cette condamnation est révélatrice des dérives reconnues, celles que nous dénonçons.