M. Jean Desessard. … mais que le Gouvernement lance une étude d’impact portant sur le montant, le coût et le périmètre d’affectation d’un tel revenu. Voilà ce que nous vous demandons, au travers de cette proposition de résolution. Il convient d’analyser sérieusement les modalités de mise en œuvre d’un tel revenu puisque, selon nos estimations, qui se fondent sur un montant équivalent au RSA actuel, soit 525 euros, le coût se situerait autour de 400 milliards d’euros par an. (Sourires sur diverses travées.)

Mme Nicole Bricq. Ce n’est rien ! (Nouveaux sourires.)

M. Jean Desessard. Ce montant est loin d’être négligeable, dans la mesure où les prélèvements de l’État s’élèvent à 291 milliards d’euros et ceux des collectivités locales à 127 milliards d’euros.

Toutefois, l’importance de ces coûts ne remet pas en cause la légitimité d’un revenu de base. Il s’agit d’une redistribution. D’ailleurs, les bons salaires ne le percevront évidemment pas, grâce à une compensation fiscale. Cela impliquera donc une réforme fiscale d’importance ou une révolution fiscale.

M. Jean Desessard. Comment pourrions-nous en effet assurer le revenu de base pour tous sans un rééquilibrage fiscal ? Il me manque dix minutes pour vous exposer cette réforme en détail, madame la secrétaire d’État, mais je suis tout prêt à le faire dès que notre proposition de résolution sera adoptée, quand nous passerons aux choses concrètes – coût, périmètre et financement.

Ce revenu n’est pas une lubie d’écologistes ou d’altermondialistes en manque d’utopie, mais bel et bien un nouvel outil de solidarité, adapté aux transformations de notre économie, efficace pour lutter contre la pauvreté et nécessaire pour redonner du poids aux intérêts des travailleurs.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. Et les responsabiliser ?

M. Jean Desessard. Plus qu’un rêve, il s’agit aujourd’hui d’une nécessité et, comme le dit si bien le philosophe et économiste Philippe Van Parijs, un jour, nous nous demanderons comment nous avons pu vivre sans revenu universel. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe écologiste, du RDSE et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, Michel Amiel devait initialement intervenir sur cette résolution, le 9 mars dernier. Il ne peut être présent aujourd’hui, j’interviens donc à sa place, au nom de notre groupe. Aussi mon intervention est-elle très inspirée de celle qu’aurait pu prononcer le sénateur Amiel.

À l’heure où les critiques pleuvent sur notre système social, il convient de réfléchir à notre modèle actuel de protection sociale et, plus encore, aux évolutions qu’il convient d’envisager, dans le monde globalisé, numérisé, voire « ubérisé », qui est désormais le nôtre. Le Conseil national du numérique s’est récemment penché sur la question afin de réfléchir aux bouleversements qui vont affecter le monde du travail.

Je pense que notre système libéral est en fin de vie et que l’économie du futur sera collaborative. Surtout, la nouveauté consistera à faire passer cette logique à une grande échelle, grâce à la numérisation dans des domaines aussi différents que l’hébergement, le covoiturage ou encore l’échange des savoirs. L’enjeu est d’endiguer le phénomène de la pauvreté persistante, alors même que, dans la sphère économique, richesses créées et productivité n’ont jamais été aussi élevées.

La proposition de résolution dont nous discutons invite le Gouvernement, madame la secrétaire d’État, à mettre en place un revenu de base inconditionnel et cumulable avec d’autres revenus pour l’ensemble des résidents.

L’idée d’un revenu universel n’est pas nouvelle. Les détracteurs de cette idée se réjouiront de la voir fleurir chez Thomas More, l’humaniste anglais de la Renaissance à l’origine, justement, du concept d’utopie. Un siècle et demi plus tard, c’est Thomas Paine qui reprend l’idée selon laquelle cette dotation serait donnée en guise de redistribution des produits des ressources naturelles.

Plus près de nous, des auteurs comme James Meade, prix Nobel d’économie, ou Jean-Marc Ferry défendent ce revenu de base, seul moyen selon eux de libérer l’individu du travail comme fin en soi, de développer le secteur quaternaire – les services à la société – et d’assurer les conditions matérielles d’une vie digne et épanouissante.

Michel Foucault affirmait, dans son cours Naissance de la biopolitique, que « si l’on veut avoir une protection sociale efficace sans incidence économique négative, il faut tout simplement substituer à tous ces financements globaux […] une allocation […] qui assurerait des ressources supplémentaires à ceux qui […] n’atteignent pas un seuil suffisant. »

Ce revenu de base, appelé aussi revenu universel ou revenu d’existence, obéirait alors à trois critères. Il serait universel – chacun le reçoit de sa naissance à sa mort, qu’il soit riche ou pauvre –, individuel, donc accordé à chaque personne, quelle que soit sa situation familiale, et inconditionnel, c’est-à-dire sans condition de ressources ou de quelque contrepartie que ce soit.

L’idée est donc de permettre de maintenir la dignité de tous, comme l’énonce la proposition de résolution, en assurant un revenu de base qui soit un droit de chacun en tant que membre de la société, afin de ne laisser personne sur le bord de la route. S’il ne s’agit, en théorie, que d’un moyen de répartir les richesses en dehors de l’activité exercée, ce revenu confère à chacun une autonomie, une possibilité de subvenir à ses besoins primaires.

Ce revenu implique aussi une automaticité, qui permettrait une meilleure application des politiques sociales, d’autant que beaucoup de bénéficiaires potentiels, on le sait, renoncent ou ne parviennent pas à obtenir leur aide en raison de la complexité du système et des nombreuses démarches à accomplir, qui s’apparentent à un véritable parcours du combattant.

Enfin, l’individualisation de ce revenu entraînerait un changement majeur de paradigme : il serait indépendant du statut familial.

Le revenu de base deviendrait ainsi vecteur de simplification, à la fois administrative et financière, de la redistribution sociale. En se substituant à l’ensemble des prestations familiales, ce revenu constituerait un guichet social unique pouvant réduire les frais de gestion et de distribution. Toutefois, vous l’aurez compris, madame la secrétaire d’État, l’étude de ce point mériterait d’être affinée.

Reste néanmoins que l’idée, quoique vertueuse, pourrait aussi présenter des inconvénients, comme celui de modifier le marché du travail en engendrant une rémunération à moindre coût des salariés.

Que peut-on opposer d’autre à cette proposition ? La première des objections consisterait à dire que cette mesure encourage l’oisiveté. Pourtant, en y regardant de près, ce dispositif favoriserait de nombreuses activités que l’économie collaborative voit émerger. Pour reprendre le modèle décrit par l’économiste Yann Moulier-Boutang, entre le modèle de la cigale insouciante et celui de la fourmi laborieuse s’interpose celui de l’abeille vertueuse.

Une des questions majeures est de savoir à quel niveau ce revenu se situerait. Doit-il être un simple moyen de subsistance ou un moyen de combattre la pauvreté, et donc constituer un revenu d’existence ? Ne risque-t-on pas de bousculer le contrat social à cause de son inconditionnalité, et de désolidariser ainsi droits et devoirs ? Quant à son attribution à tous les résidents, ne risque-t-elle pas de créer un effet d’aubaine ? Afin d’éviter au mieux ce phénomène, je préférerais que cette réflexion, qui transcende les postures politiques, soit développée au niveau européen.

Reste la question délicate, mais essentielle, du coût d’une telle mesure. Avec une hypothèse de trois revenus de base distincts – enfant, jeune et général –, certaines estimations chiffrent l’ensemble, cela a été dit, aux alentours de 400 milliards d’euros. Comment le financer ? Quelques pistes existent déjà : la TVA, la taxe Tobin ou encore une modification des règles de l’impôt sur le revenu.

Ainsi, même si nous soutenons philosophiquement l’idée d’un revenu de base, nous souhaitons qu’elle puisse être approfondie, notamment à l’occasion de la mission commune d’information qui vient d’être constituée. En effet, nous avons beaucoup trop de réserves pour soutenir la résolution proposée par le groupe écologiste en l’état actuel de sa rédaction.

M. Jean Desessard. S’il s’agit de réserves financières, cela veut dire qu’on peut le faire !

M. Yvon Collin. C’est la raison pour laquelle, sagement, nous nous abstiendrons. (Mme Nicole Bricq applaudit.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Duranton.

Mme Nicole Duranton. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui amenés à débattre du principe de l’allocation universelle ou du revenu de base et à nous prononcer sur ce point. La mise en place d’un revenu de base permettrait à chaque citoyen de recevoir une allocation fixe, quel que soit son revenu.

Il ne s’agit pas d’une nouvelle idée pour sortir la France de la situation économique que nous connaissons tous et à laquelle le Gouvernement peine à trouver des solutions : le revenu de base ou l’allocation universelle ont été régulièrement explorés dans la littérature économique comme un moyen de lutter contre la pauvreté.

La crise économique actuelle et les premiers bouleversements économiques causés par la révolution numérique en cours ont donné un nouvel élan aux défenseurs du revenu universel en Europe et en France. Le Conseil national du numérique a remis le sujet sur le devant de la scène, en indiquant que « les acteurs publics doivent anticiper l’éventualité d’un chômage structurel persistant », auquel nous ne pouvons nous résoudre et qui, en outre, vient assombrir les promesses du Président de la République, François Hollande.

La notion de revenu de base est très ancienne. Depuis le XVIIIe siècle et jusqu’à voilà quelques années, le débat autour d’un tel revenu relevait plutôt de la sphère intellectuelle ; il est aujourd’hui passé à la sphère politique. Les philosophes Thomas More et Thomas Paine y avaient réfléchi ; Napoléon ou encore Martin Luther King ont également soutenu cette idée.

Mes chers collègues, un certain nombre d’entre nous sont favorables à ce revenu de base. Mais, en réalité, nous ignorons tout des bénéfices de celui-ci.

À l’échelon international, le revenu de base a été instauré en 1982 en Alaska, où l’État américain peut compter sur un dividende créé par la rente pétrolière. (Mme Nicole Bricq approuve. – M. Jean Desessard fait un signe de dénégation.) Oui, depuis 1982, chacun des résidents d’Alaska touche, une fois par an, une somme calculée en fonction du rendement du fonds d’investissement alimenté par les recettes pétrolières.

M. Jean Desessard. C’est vrai !

Mme Nicole Bricq. Certes, mais ces recettes baissent !

Mme Nicole Duranton. Les défenseurs du revenu de base nous indiquent qu’il existe en Namibie, en Inde, ou encore au Brésil, depuis 2004. Par ailleurs, la Finlande, les Pays-Bas, la Suisse et le Québec ont engagé une réflexion en ce sens. Et aux dires de leurs représentants, entre vingt et trente villes néerlandaises envisagent d’expérimenter un revenu de base fixé à 900 euros, montant qui passe à 1 300 euros pour un couple avec enfants.

En Finlande, le Premier ministre réfléchit au versement à chaque citoyen d’un revenu de base d’environ 800 euros, sans considération de richesse ni d’âge. Jean-François Husson, qui vient d’effectuer un déplacement dans ce pays, pourra vous en dire un peu plus sur la réflexion qui y est engagée.

Mes chers collègues, l’instauration d’un revenu de base n’est pas une mesure qui favorise l’envie de travailler et d’entreprendre ; elle conforte plutôt un esprit d’assistanat. Entreprendre ne doit plus être une activité réservée à quelques-uns. Entreprendre doit devenir une ambition collective, pour créer des richesses et des emplois sur notre territoire. Faisons le choix de la France entrepreneur, afin de donner du travail à chacun !

La France est un pays d’assistés. (Protestations sur les travées du groupe CRC. – Mme Evelyne Yonnet proteste également.)

Mme Éliane Assassi. Caricatural !

Mme Nicole Duranton. Il faut sortir de cette situation.

À ce sujet, je ne peux m’empêcher de vous indiquer les résultats de la première étape du contrôle du revenu de solidarité active, le RSA, dans mon département, l’Eure. À ce jour, 13 350 personnes bénéficient de cette prestation. En 2017, l’enveloppe du département destinée au RSA pourrait atteindre 80 millions d’euros. Plus de 4 000 courriers ont été envoyés aux allocataires. La quasi-totalité de ceux qui ont répondu ont signalé un changement de situation – autant de situations susceptibles de modifier le versement du RSA, dont le montant dépend de la composition du foyer ! En revanche, près de 2 000 courriers sont restés sans réponse et 1 000 autres nous sont revenus avec la mention « N’habite pas à l’adresse indiquée ».

Ces chiffres nous confortent dans l’idée que le revenu de solidarité doit être adapté aux différentes situations et susceptible de changer selon les besoins. Une allocation aveugle, ne tenant pas compte des réalités, serait inefficace et donc inutile.

La mise en place d’un revenu de base risque très clairement d’encourager les individus à ne pas travailler et de développer davantage le travail dissimulé.

Mme Éliane Assassi. Vos propos sont proches de ceux que tient le Front national !

Mme Nicole Duranton. Un pays qui engagerait seul une telle réforme risquerait d’attirer à lui une bonne part des flux migratoires.

Mme Evelyne Yonnet. Ben voyons !

Mme Éliane Assassi. Scandaleux !

Mme Nicole Duranton. Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un problème : les personnes touchant l’allocation chômage sont incitées à ne plus chercher d’emploi, puisqu’elles gagnent plus d’argent qu’en travaillant.

Mme Éliane Assassi. Caricature !

Mme Nicole Duranton. À mon sens, le revenu de base est une véritable utopie.

Se pose, d’ailleurs, une question importante : faut-il verser ce revenu aux seuls Français ? Faut-il en faire bénéficier tous les résidents sur le territoire national ? (Mme Éliane Assassi et M. Jean Desessard s’exclament.) Encore un sujet on ne peut plus clivant…

Au-delà de notre difficulté à accepter moralement cette proposition de résolution, nous considérons qu’il faut aussi prendre en considération le financement incertain de la mesure. Son coût, pour les finances publiques, serait élevé, puisque tous les citoyens, et non plus seulement les actuels bénéficiaires de minima sociaux, pourraient se voir allouer ce revenu.

Le Conseil national du numérique, qui propose d’anticiper en instaurant un revenu de base, indique lui-même que le transfert des budgets consacrés aux minima sociaux, des bourses étudiantes, des allocations familiales, des aides au logement et des subventions pour l’emploi permettrait tout juste d’attribuer un revenu universel de 200 euros par adulte et de 60 euros par enfant.

Pour toutes les raisons que j’ai évoquées, cette proposition de résolution, qui invite le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires à la mise en place d’un revenu de base, inconditionnel, cumulable avec d’autres revenus, notamment d’activité, pour toutes les personnes résidant sur le territoire national, n’est pas recevable en l’état.

Si le sujet mérite un débat de fond, cette réforme présente de nombreux inconvénients, au-delà même des questions de philosophie économique et politique. Dans notre système économique actuel, elle n’est pas concevable. C’est pourquoi la majorité des membres du groupe Les Républicains rejettera cette proposition de résolution.

M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Vanlerenberghe.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de revenu de base ou d’allocation universelle qui fait l’objet de notre débat est ancienne, ainsi que Jean Desessard l’a rappelé.

Elle procède d’une intention louable : celle d’éliminer « le risque d’une exclusion complète et d’une pauvreté répandue », contre lequel des penseurs comme Voltaire ou l’économiste américain John Stuart Mill voulaient lutter.

Parmi les raisons qui plaident en faveur de cette proposition se trouve, en premier lieu, la garantie d’un revenu de base indispensable pour assurer « un minimum de bien-être ». En regroupant les différentes allocations, ce revenu permettrait, en outre, d’économiser les coûts liés à la gestion des nombreuses prestations auxquelles les citoyens ont droit tout au long de leur vie.

En France, quelques personnalités, d’Arnaud Montebourg à Dominique de Villepin, en passant par vous-même et les membres du groupe écologiste, cher collègue Jean Desessard, militent pour établir un « revenu de base inconditionnel pour tous ».

Mme Evelyne Yonnet. Absolument !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Comme les orateurs précédents viennent de le rappeler, ce débat n’est pas limité à l’Hexagone et trouve aussi un écho en Finlande, en Suisse, aux Pays-Bas et, en dehors de l’Europe, en Alaska.

Fondé en 1986 en Belgique, un rassemblement d’économistes et de philosophes, le BIEN, ou Basic Income European Network, rebaptisé Basic Income Earth Network en 2004, milite pour l’allocation universelle.

La Finlande, qui est le pays le plus en avance sur le sujet, pourrait en annoncer la mise en œuvre pour 2017 – Jean-François Husson devrait en dire quelques mots. Certes, ce pays ne compte que 5,5 millions d’habitants, quand la France en recense 67 millions – la différence est de taille –, mais le taux de chômage s’élève à environ 10 % dans les deux pays.

En Finlande, on évoque un revenu de l’ordre de 800 euros par habitant qui exclurait toute autre prestation sociale. En revanche, tout habitant pourrait cumuler ce revenu avec une rémunération liée à son activité.

Le professeur finlandais Olli Kangas, dont les travaux inspirent le Gouvernement, déclare que le revenu de base favoriserait même la recherche d’emploi. (Mme Marie-Christine Blandin, M. Jean Desessard et Mme Evelyne Yonnet opinent.) J’avoue ne pas tout à fait comprendre pourquoi.

Mme Éliane Assassi. Cela permet de s’acheter une voiture !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Nos collègues qui se sont rendus en Finlande nous l’expliqueront peut-être.

Je veux citer maintenant trois autres propositions.

Premièrement, en 2011, le Centre des jeunes dirigeants d’entreprise, ou CJD, a dévoilé un projet, baptisé « Oïkos », en faveur de la compétitivité des entreprises et de la simplification des démarches administratives pour les minima sociaux. Selon le CJD, la concrétisation de ce projet améliorerait le pouvoir d’achat de 7 % en moyenne. Le CJD proposait ainsi une allocation universelle, de 400 euros par mois pour un adulte et moitié moindre pour les enfants, en remplacement de l’ensemble des autres aides sociales. Cette allocation serait financée par un impôt à la source de 20 % sur l’actif net de toutes les personnes physiques. On voit bien la cohérence de cette proposition globale.

La deuxième proposition nous vient du think tank GenerationLibre. Cette fois, le revenu de base, appelé « LIBER », serait non pas une somme versée à chacun, mais un crédit d’impôt, financé par un impôt sur tous les revenus dès le premier euro. D’après l’exemple théorique donné par GenerationLibre, pour financer un LIBER fixé à 450 euros par adulte et à 225 euros par enfant, il faudrait envisager une taxe de 23 % sur l’ensemble des revenus. Plus précisément, un quart de la population serait contributrice nette et une grosse moitié serait bénéficiaire de la mesure, quand celle-ci serait neutre pour un cinquième d’entre elle.

Enfin, une troisième proposition, émanant de la fondation iFRAP, concerne la mise en œuvre d’une allocation sociale unique, issue de la fusion des quarante-sept aides attribuées sous conditions de ressources actuellement disponibles en France. Cette allocation serait plafonnée à 2 500 euros de cumul d’aides et de revenus du travail, fiscalisée et centralisée, les gestionnaires administratifs – il y en aurait 330 selon l’iFRAP – étant fusionnés dans un organisme régional. La fondation estime que cette mesure permettrait d’économiser 10 milliards d’euros par an sur les frais de gestion de ces prestations, qui s’élèvent à environ 700 milliards d’euros en France actuellement.

Il y a donc, on le constate, plusieurs manières de concevoir le revenu de base.

Mmes Éliane Assassi et Annie David. Tout à fait !

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Quelle que soit la conception que l’on en ait, une question demeure essentielle : celle du montant de ce revenu de base.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Celui-ci ne doit pas décourager les bénéficiaires de travailler, ce qui serait le cas s’il était trop important.

Le travail, je le rappelle, n’est pas une punition. C’est une activité nécessaire à la nature humaine, ainsi qu’un lien social fort. Il finance aussi les prestations sociales dont il est question, par les cotisations et taxes qui sont appliquées sur les salaires.

Outre la question du montant équilibré du revenu de base, se pose, ensuite, de manière logique, celle du calcul de ce montant. Quelles prestations sociales doit-il intégrer ? S’agit-il de l’ensemble des prestations ? Doit-il notamment englober les pensions de retraite ou les prestations chômage ?

On le voit, entre le système finlandais, qui vise à inciter au travail, et la proposition Oïkos, qui tend à améliorer le pouvoir d’achat, les attentes ne sont pas les mêmes et les réponses sont évidemment différentes.

Madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, d’un point de vue intellectuel, l’idée du revenu de base n’est pas mauvaise en soi, mais elle soulève de nombreuses questions, notamment celles de l’objectif à atteindre – je n’ai pas entendu de points de vue unanimes sur ce point, qui semble donner lieu à des divergences profondes – et de l’universalité, pour ce qui concerne les personnes aux revenus importants. Ces questions doivent être traitées de manière approfondie et ce n’est pas dans le peu de temps qui nous est imparti pour la discussion de cette proposition de résolution, bien trop générale, que nous pourrons, pour notre part, tirer des conclusions favorables à la mise en place du revenu de base.

La mission d’information instituée sur ce sujet à la demande du groupe socialiste et républicain apportera sans doute des éclaircissements. Les recommandations qu’elle formulera permettront de poursuivre la réflexion sur cette idée.

C’est pourquoi, dans cette attente, les membres du groupe UDI-UC voteront contre la proposition de résolution ou s’abstiendront. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – Mmes Éliane Assassi et Nicole Bricq applaudissent également.)

M. le président. La parole est à Mme Annie David.

Mme Annie David. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux, en introduction de mon propos, m’associer aux manifestations de ce jour, qui rassemblent, aujourd'hui encore, des milliers de personnes demandant le retrait du projet de loi relatif au travail. Salariés, jeunes étudiants ou lycéens disent de nouveau au Gouvernement que ce texte n’était ni négociable ni amendable. Au reste, les parlementaires l’ont dit eux aussi, mais le Gouvernement a choisi de ne pas les écouter et de recourir à la procédure définie à l’article 49, alinéa 3, de la Constitution.

Dans le contexte actuel de tension, face à la mobilisation qui s’amplifie, il serait sage d’entendre les revendications exprimées maintenant depuis trois mois. En effet, c’est la volonté d’une autre société, plus juste, plus solidaire, qui permette à toutes et à tous de vivre dignement de son travail, quel que soit son statut, qui se manifeste ainsi.

Cette observation m’amène directement à la proposition de résolution de Jean Desessard et des membres du groupe écologiste sur le revenu de base, proposition qui paraît bien alléchante malgré les multiples questions, philosophiques, économiques, sociales, qu’elle pose, questions difficiles à résoudre et dont l’exposé des motifs ne dit mot – en tout état de cause, il ne nous permet pas vraiment de les trancher.

Depuis longtemps, l’instauration d’un revenu de base, distribué de manière inconditionnelle à chaque citoyenne et à chaque citoyen est entrée dans le débat public. Bien éloignée de la réalité vécue actuellement par des millions de femmes et d’hommes, qui peinent à boucler leurs fins de mois et sont trop souvent dans l’obligation de cumuler plusieurs emplois pour simplement payer leur loyer, cette proposition tente d’apporter une réponse aux ravages d’un chômage de masse et à la précarisation des emplois.

Aussi – ce sera ma première remarque –, il faut veiller à ne pas laisser croire que ce revenu universel résoudrait à lui seul la précarité et la pauvreté auxquelles sont confrontés un trop grand nombre de nos concitoyennes et de nos concitoyens.

La proposition de résolution invite le Gouvernement à « prendre les mesures nécessaires pour mettre en place un “revenu de base” », dont Jean Desessard nous a rappelé les caractéristiques.

Mais, derrière cette idée généreuse, défendue par des personnalités de gauche comme de droite, les objectifs et les formes diffèrent : revenu d’existence, universel, de base… Bien sûr, les financements diffèrent aussi.

Les auteurs de la proposition de résolution s’appuient sur trois arguments principaux pour préconiser la création de ce revenu de base.

Le premier argument qu’ils invoquent est la nécessité de garantir à chaque personne un niveau de vie suffisant pour assurer son bien-être élémentaire. Les membres de mon groupe partagent évidemment cet objectif, mais rien n’est dit sur le financement.

Selon Marc de Basquiat, docteur en économie et président de l’Association pour l’instauration d’un revenu d’existence, l’AIRE, il en coûterait 325 milliards d’euros pour un revenu de l’ordre de 470 euros par mois par adulte. L’économiste Jacques Bichot, spécialiste de la protection sociale, estime, quant à lui, qu’un revenu de base digne de ce nom se situerait plutôt aux alentours de 1 000 euros, ce qui correspond, en somme, au seuil de pauvreté ; à défaut, ce revenu perdrait son véritable sens.

Or, si l’on décidait de verser un tel montant, chaque mois, aux 50 millions d’adultes que compte notre pays, il en coûterait, au bas mot, 600 milliards d’euros par an à l’État.

Mme Nicole Bricq. C’est le coût de la protection sociale !

Mme Annie David. Cela nécessiterait donc d’y consacrer tout l’argent affecté aujourd’hui à notre protection sociale ciblée.

Mme Éliane Assassi. Et voilà !