compte rendu intégral

Présidence de Mme Isabelle Debré

vice-présidente

Secrétaires :

M. Jean-Pierre Leleux,

Mme Corinne Bouchoux.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à dix heures trente.)

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Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes

Discussion en deuxième lecture d’une proposition de loi et d’une proposition de loi organique dans les textes de la commission modifiés

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture, à la demande du groupe Les Républicains et du groupe du RDSE, de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, portant statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes (proposition n° 568, texte de la commission n° 634, rapport n° 633, avis verbal n° 623), et de la proposition de loi organique, modifiée par l’Assemblée nationale, relative aux autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes (proposition n° 567, texte de la commission n° 635, rapport n° 633, avis verbal n° 623).

Il a été décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.

Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le secrétaire d’État.

 
 
 

M. Thierry Braillard, secrétaire d'État auprès du ministre de la ville, de la jeunesse et des sports, chargé des sports. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous examinons aujourd’hui en deuxième lecture la proposition de loi organique et la proposition de loi déposées par vos collègues Marie-Hélène Des Esgaulx, Jean-Léonce Dupont et Jacques Mézard, qui visent à instaurer un statut unique pour les autorités administratives indépendantes, les AAI, et les autorités publiques indépendantes, les API.

Nous le savons tous, ces textes sont très attendus. Nous savons également qu’ils sont complexes.

Ces propositions de loi organique et de loi ordinaire font suite à plusieurs rapports parlementaires dont les auteurs s’interrogeaient sur ces autorités. Une commission d’enquête a été créée au Sénat. Ces travaux, précieux, soulevaient des questions importantes, notamment sur les garanties offertes en matière de déontologie, d’indépendance ou de rationalisation des modes de fonctionnement de ces autorités, questions sur lesquelles le Gouvernement avait déjà engagé un travail depuis plusieurs années, par exemple avec le processus de mise en commun de certaines fonctions supports des services du Premier ministre et des AAI visant à réduire les coûts et à développer un mode de fonctionnement collaboratif entre les services.

En matière de transparence, la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique dispose que les membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes adressent une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d’intérêts.

En matière de parité, l’ordonnance du 31 juillet 2015 consacre l’égal accès des femmes et des hommes aux autorités administratives indépendantes et aux autorités publiques indépendantes.

Enfin, plus récemment, la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires est venue préciser de nombreux éléments s’appliquant aux personnels des AAI.

Ce sont ainsi de nombreuses dispositions qui sont venues s’appliquer aux autorités administratives indépendantes et aux autorités publiques indépendantes, instituant des règles communes pour la plupart d’entre elles.

Le Sénat a souhaité aller au-delà et s’emparer pleinement de la création d’un statut commun, faisant valoir le nombre et la diversité des autorités administratives indépendantes et appelant à une clarification.

En effet, depuis la création de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, en 1978, première autorité administrative indépendante, bien d’autres ont été créées, dans des domaines divers et avec des finalités également diverses. Cependant, je voudrais couper court à certains discours très à charge contre les autorités administratives indépendantes : celles-ci ont toujours été créées en vue de répondre au mieux à des problématiques d’intérêt général et d’assurer de nécessaires régulations. Il est important de ne pas l’oublier.

Nous cherchons beaucoup à simplifier. Cependant, et le Président de la République lui-même le répète souvent, cette simplification ne doit jamais se faire au détriment de la santé, de l’environnement ou du débat public. Nombre des autorités dont nous parlons aujourd’hui sont précisément les garantes du respect de ces grands principes fondateurs, et il est de notre rôle de les conforter dans leurs missions.

Créer un statut commun pour l’ensemble des autorités administratives indépendantes relève donc d’un débat ancien, dont les sénateurs ont voulu se saisir. Je veux d’ailleurs souligner, au-delà de nos divergences de vues, la qualité du travail réalisé tant par les sénateurs que par les députés, notamment par les rapporteurs de ces textes. La tâche n’était pas simple.

Les textes présentés en première lecture au Sénat ont évolué. Le travail important réalisé par les sénateurs, puis par les députés, les amendements déposés ont contribué à modifier, à préciser, voire à réévaluer certaines dispositions ; je vous en remercie. Je sais que certaines dispositions ne rencontreront que difficilement l’accord de tous, mais je sais aussi les échanges qui se sont tenus pour tenter d’y parvenir.

Dans leur version initiale, les textes n’avaient pas pu recevoir l’assentiment du Gouvernement. Ils comportaient certaines contradictions par rapport au très important travail gouvernemental engagé sur les autorités administratives indépendantes et pouvaient même présenter des dispositions allant à l’encontre de décisions récentes prises par le législateur ou le Gouvernement, ou soulevant de réelles questions de constitutionnalité.

Je constate avec la plus grande satisfaction que les textes que nous examinons aujourd’hui ont pris en compte nombre de remarques formulées par le Gouvernement lors de leur examen en première lecture et que des dispositions qui apparaissaient problématiques ont été révisées.

Ainsi, le Gouvernement a également pu revoir sa position envers ces textes. Même si nous proposons encore ce qui nous apparaît comme des améliorations, nous n’y sommes plus défavorables.

Les évolutions sont nombreuses et importantes ; elles portent sur les règles d’organisation, le statut des membres, les règles d’incompatibilité, de conflits d’intérêts, de transparence, la durée des mandats ou encore le nombre d’autorités dont la nomination du président relève du Président de la République.

Le Gouvernement avait présenté, lors de la première lecture à l’Assemblée nationale, un certain nombre d’amendements qui avaient pu être adoptés. Vous avez souhaité revenir sur certains d’entre eux. Encore une fois, même si nous ne sommes pas d’accord sur tout, un travail constructif a été engagé, et nous continuerons à le soutenir aujourd’hui dans ce débat.

Certaines évolutions nous semblent encore indispensables et justifient le dépôt des amendements que je présenterai au nom du Gouvernement. L’équilibre est parfois complexe à trouver et nécessite une souplesse que nous proposerons d’introduire, au travers par exemple d’un amendement portant sur le renouvellement des membres des autorités administratives indépendantes.

Le débat portera également sur l’opportunité ou pas de reconnaître à certaines instances la qualité d’autorités administratives indépendantes. Si liste de celles-ci recueille globalement l’accord tant du législateur que du Gouvernement, le statut de plusieurs d’entre elles reste à débattre. Tel sera le sens de plusieurs amendements que je présenterai.

Je ne serai pas plus long, me réservant de donner des explications plus précises lors de l’examen des amendements. Je vous remercie une nouvelle fois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, pour le travail de très grande qualité que vous avez réalisé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jacques Mézard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il est peu courant que des propositions de loi découlant des travaux d’une commission d’enquête parlementaire viennent en discussion en deuxième lecture au Sénat six mois environ après le dépôt du rapport initial…

Je tiens à remercier ceux qui ont rendu possible cette performance, en premier lieu ma collègue Marie-Hélène Des Esgaulx, présidente de la commission d’enquête et coauteure des deux propositions de loi, dont elle a facilité l’inscription à l’ordre du jour réservé du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale. Mes remerciements vont également à Jean-Léonce Dupont, coauteur de ces textes, et à notre collègue Alain Richard, avec lequel nous avons quelques désaccords de fond, mais qui nous a apporté un soutien efficace par sa compétence et dont le sens de l’État est incontestable.

Je salue la présence de M. Braillard, tout en regrettant l’absence de M. Placé, qui a rappelé devant l’Assemblée nationale qu’il avait été membre de notre commission d’enquête, même si nous ne l’y avions jamais vu… (Sourires.)

Je dois rappeler in limine les objectifs de notre commission d’enquête, dont le titre du rapport, quelque peu provocateur, « Un État dans l’État : canaliser la prolifération des autorités administratives indépendantes pour mieux les contrôler », se suffit à lui-même.

Il ne s’agit aucunement de supprimer toutes ces autorités : nous n’avons jamais dit ou écrit qu’il fallait donner un grand coup de balai. Il est des autorités administratives indépendantes dont la nation a besoin. L’existence de certaines résulte de nos obligations européennes ; d’autres, dont la création procède de notre législation, jouent un rôle utile. Il s’agit simplement de fixer les critères de leur reconnaissance en tant que telles.

Une AAI est une autorité : en conséquence, elle prend des décisions opposables. Elle est administrative, et doit être aussi indépendante. Or la conjonction des adjectifs « administrative » et « indépendante » n’est pas toujours facile, monsieur le secrétaire d'État.

Fixer des critères pour la reconnaissance du statut d’AAI doit logiquement aboutir à réduire le nombre de ces instances, car depuis la création de la première d’entre elles, la CNIL, en 1978, on a assisté à une prolifération dont l’exécutif et le législatif sont conjointement responsables.

À plusieurs reprises, les gouvernements successifs se sont défaussés de problèmes délicats en créant des AAI, et le Parlement a été souvent trop complaisant. Cela a pu être considéré comme un délitement de l’État et une défaillance de ses structures habituelles.

Au fil du temps, certaines autorités, du fait de leurs prérogatives étendues, ont imposé à l’État de composer avec elles, sans la contrepartie du contrôle démocratique. Au cours de nos travaux, nous avons pu entendre certaines autorités contester même l’existence d’un contrôle de la Cour des comptes, par exemple.

La force du lobbying exercé par nombre d’organismes au cours de nos travaux en vue de conserver ou de se faire reconnaître le statut d’AAI est à cet égard révélatrice, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues. Cela nous a d'ailleurs permis de relever la force des réseaux d’influence de la haute fonction publique, activant les relations les plus éminentes.

Ne pas se voir reconnaître le statut d’autorité administrative indépendante, ce n’est ni une dégradation ni un déni de respectabilité, c’est simplement la conséquence du fait que les critères requis ne sont pas remplis.

Plus étrange, nous avons vu une AAI ne plus vouloir de ce statut et le Gouvernement insister pour qu’elle le conserve. C’est l’étrangeté du lobbying… Disons-le, il arrive que le lobby des assurances parte à l’assaut du lobby financier. N’en rajoutons pas sur ce sujet, ce ne serait guère utile.

La liste des autorités administratives indépendantes que nous proposons n’est pas encore parfaite. Des divergences subsistent avec nos collègues de l’Assemblée nationale – nous sommes en voie de les réduire –, ainsi qu’avec le Gouvernement, mais nous avons beaucoup progressé, comme vous l’avez souligné, monsieur le secrétaire d'État. Je me souviens que, lors de la première lecture, M. Harlem Désir s’opposait, certes avec beaucoup de diplomatie, à tout ce que nous proposions.

Notre travail a aussi, selon moi, le mérite d’alerter sur la prolifération, par exemple, de médiateurs divers et variés, et d’y mettre un frein. Je pense que l’on ne créera plus d’AAI discrètement, par le biais de cavaliers législatifs ; ce sera déjà un progrès.

La déontologie sera mieux appliquée et l’exemple récent de la nomination du président de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires, l’ARAFER, est une illustration de cette évolution…

D'ailleurs, la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a été amenée à adresser soixante-quinze relances et vingt-neuf injonctions aux membres des collèges des autorités administratives. Il y avait donc du travail !

Une harmonisation des règles, la mise en place d’un statut général sont donc nécessaires, nous l’avons dit. Il faut poursuivre sur ce chemin, en prévoyant évidemment quelques dérogations législatives, rendues indispensables par la spécificité de certaines autorités.

En principe, moins il y aura d’AAI, plus elles auront d’importance, de compétences, et il n’est donc pas anormal que, pour la plupart d’entre elles, la procédure de nomination de leur président relève de l’article 13 de la Constitution.

Nous avons eu un débat sur le recrutement des membres des collèges. La compétence, l’intelligence de ces derniers sont une évidence. La question que nous avons posée est celle de la diversification de leur recrutement, qui ne doit bien sûr pas nuire à la qualité de celui-ci. Le sujet est délicat, car des compétences très spécialisées sont parfois requises des membres des collèges.

Nous avons aussi relevé que certaines porosités peuvent poser problème. Que près des deux tiers des présidents d’AAI soient des conseillers d’État ou des magistrats de la Cour des comptes peut amener à s’interroger, sachant que la voie de recours est le Conseil d’État. Cela ne signifie pas pour autant qu’il y ait la moindre suspicion ! Nous disons nous-mêmes que la Cour des comptes doit pouvoir contrôler toutes les AAI.

Nous avons avancé, mais il reste des efforts à faire, notamment sur la question du cumul, monsieur le secrétaire d'État, ou sur celle du temps plein ou du temps partiel des présidents de certaines autorités. En ce qui concerne le cumul, le Gouvernement doit être cohérent : il ne peut pas refuser le cumul des mandats pour les parlementaires et, pour le reste, estimer que l’on peut cumuler tout et n’importe quoi sans que cela pose problème.

J’aborderai enfin la question de la déontologie. Nous considérons, par exemple, que les déclarations de patrimoine des membres de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique doivent être publiées. Le président de cette instance, M. Jean-Louis Nadal, le demande, mais le Gouvernement, bien conseillé en la matière, le refuse ! Ce n’est pas possible ! Nous y reviendrons lors de la discussion des articles, monsieur le secrétaire d'État.

Je conclurai en disant que nous avons bien avancé. Le Sénat et l’Assemblée nationale ont fait du bon travail. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux.

Mme Corinne Bouchoux. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, de nombreuses autorités administratives et autorités publiques indépendantes ont été créées ou reconnues a posteriori par le législateur, parfois de façon « cavalière », comme l’a excellemment souligné M. Mézard, mais certaines tiennent leur qualité de la jurisprudence ou de la doctrine administrative, ce qui rend leur liste incertaine.

Les textes que nous examinons aujourd’hui sont bienvenus, parce qu’ils visent à rationaliser le cadre de fonctionnement des autorités administratives ou publiques indépendantes en fixant dans la loi une liste exhaustive et des règles de fonctionnement communes.

L’intention de leurs auteurs est donc parfaitement louable, et nous saluons la grande qualité du travail qui a été réalisé, d’une part, par la commission d’enquête à l’origine de ces textes, et, d’autre part, par les différents rapporteurs. Nous soutenons la volonté de rationaliser, de simplifier et de clarifier le statut de ces instances créées pour satisfaire à ces deux finalités importantes que sont la protection des libertés publiques et la régulation d’un secteur économique s’ouvrant à la concurrence.

Il nous paraît donc tout à fait pertinent de mettre un peu d’ordre dans ces instances jugées, peut-être à bon droit, trop nombreuses, insuffisamment contrôlées et sujettes à un recrutement endogamique, qu’a excellemment dépeint notre collègue Mézard.

Nous approuvons un grand nombre de mesures, dont celles qui sont relatives au régime des incompatibilités, au renforcement du contrôle parlementaire, aux règles encadrant le fonctionnement des autorités, notamment du point de vue budgétaire, aux règles de déport en cas de conflit d’intérêts sur une affaire soumise à l’autorité, bref à toutes les dispositions qui permettent d’introduire de la régulation et de la transparence.

Nous approuvons également l’idée selon laquelle diverses autorités administratives indépendantes méritent sûrement d’être requalifiées, ce qui n’amoindrirait en rien leur prestige ou leur travail, mais aboutirait à un changement de leur statut.

Toutefois, parallèlement, nous estimons que certaines institutions devraient pouvoir garder ou obtenir ce statut, eu égard à leur rôle ou aux fonctions qu’elles assument. Nous voudrions pouvoir en débattre sereinement.

À ce sujet, nous regrettons que le Médiateur national de l’énergie, le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, le CIVEN, et la Commission nationale du débat public, la CNDP, aient « reperdu » leur statut, mercredi dernier, en commission.

Mme Corinne Bouchoux. L’Assemblée nationale avait souscrit à l’idée de compléter la liste par l’inscription de ces institutions essentielles, selon nous, au bon fonctionnement de notre démocratie. Cette modification allait dans le bon sens, car elle permettait à la fois de préserver l’indépendance de ces institutions et de garantir le respect d’un certain nombre de principes.

Concernant le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, qui nous tient particulièrement à cœur, il a fallu un combat de plusieurs années, mené sur toutes nos travées, pour obtenir que le statut d’autorité administrative indépendante lui soit enfin reconnu, par la voie d’un amendement au projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 adopté à l’unanimité. À la demande des victimes, le groupe écologiste du Sénat avait proposé de transformer ce comité consultatif en une autorité administrative indépendante. Il s’agissait de renforcer son indépendance et celle de ses membres par rapport au ministère de la défense, éminemment concerné par ce dossier.

Dans la mesure où le CIVEN rend des décisions ayant une incidence importante sur les droits des requérants et susceptibles de recours, il nous semble pertinent de lui maintenir le statut d’autorité administrative indépendante. Ne pas le faire serait perçu par les victimes et leurs familles comme un recul symbolique extrêmement important.

Quant à la Commission nationale du débat public, elle fut créée par le législateur en 2002, via la loi relative à la démocratie de proximité. Elle est chargée de veiller au respect de la participation du public au processus d’élaboration des projets – publics ou privés – d’aménagement ou d’équipement d’intérêt national, dès lors qu’ils comportent de forts enjeux socioéconomiques ou ont des incidences significatives sur l’environnement ou l’aménagement du territoire. L’exclusion de la CNDP de la liste des AAI est à notre sens un mauvais signal et ne nous paraît pas être suffisamment fondée. Certes, cette commission ne se prononce pas de manière normative ou sur le fond des projets, mais il importe, selon nous, de garantir symboliquement son indépendance.

Le Médiateur national de l’énergie ne fait pas non plus partie de la liste ; nous le regrettons. Sa non-inscription sur la liste mettrait en danger, selon nous, son indépendance et sa liberté de parole. Il œuvre pourtant efficacement à la protection des consommateurs d’énergie, et ses compétences viennent d’être étendues par la loi relative à la transition énergétique, que le Sénat a votée. Soyons cohérents, mes chers collègues ! Nous avons, sur ce point, une petite divergence.

L’idée est non pas de figer le périmètre, mais d’améliorer le fonctionnement des autorités administratives indépendantes. C’est pourquoi nous proposons également d’intégrer la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, à la liste. Cette institution a été quelque peu oubliée dans nos précédents débats, et nous pensons que la perte de la qualité d’AAI conduirait à fragiliser son statut, notamment sur le plan international.

Enfin, en matière de transparence, nous nous réjouissons que la publicité des avis des autorités administratives et publiques indépendantes sur les projets de loi ait pu être réinscrite dans le texte. Au moment où le projet de loi pour une République numérique va être examiné en commission mixte paritaire, cela nous semble important.

À ce stade, le groupe écologiste se félicite que ces textes soulèvent d’excellentes questions, même s’il ne partage pas toutes les réponses proposées.

Pour conclure, je voudrais poser de nouveau solennellement la question suivante : pourquoi n’appliquons-nous pas aux parlementaires le principe de la limitation des mandats dans le temps que nous prônons pour les membres des autorités administratives indépendantes ? Cela s’appelle la rotation démocratique. C’est une question de cohérence, mes chers collègues ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – M. François Fortassin applaudit également.)

M. Jacques Mézard, rapporteur. Rassurez-vous, les électeurs s’en chargeront !

Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voici réunis en séance publique pour examiner, en deuxième lecture, la proposition de loi organique et la proposition de loi relatives aux autorités administratives indépendantes et aux autorités publiques indépendantes que j’ai cosignées avec MM. Jean-Léonce Dupont et Jacques Mézard.

Je relève avec satisfaction que la trajectoire d’examen de ces deux textes confirme la réalité du pouvoir de contrôle et d’initiative en matière législative des parlementaires, en l’occurrence des sénateurs.

Ces deux propositions de loi, qui reprennent les onze préconisations du rapport de la commission d’enquête adopté fin octobre 2015, ont été déposées en décembre 2015. Ces deux textes ont été adoptés sans opposition par le Sénat, le 4 février dernier, puis avec modifications par l’Assemblée nationale, le 28 avril 2016. Ils ont été inscrits à l’ordre du jour de cette semaine d’initiative sénatoriale sur demande conjointe du groupe Les Républicains et du groupe du RDSE.

Quatre mois seulement se sont écoulés entre la première et la deuxième lecture au Sénat. C’est un excellent tempo, et l’on peut se féliciter de ces délais très satisfaisants !

Sur le fond, je souhaite tout d’abord insister sur les points de convergence entre les deux assemblées.

Le Sénat et l’Assemblée nationale sont d’accord pour réserver au législateur une compétence exclusive en matière d’institution d’autorités administratives ou publiques indépendantes et de fixation des règles relatives à leur composition, à leurs attributions et aux principes fondamentaux de leur organisation et de leur fonctionnement.

Par ailleurs, l’Assemblée nationale est entrée dans la logique suivie par le Sénat s’agissant de l’établissement de la liste des autorités, en ne modifiant qu’à la marge celle qu’avait proposée la Haute Assemblée en première lecture. Cette liste, où figurent à présent vingt-trois autorités administratives ou publiques indépendantes, au lieu des quarante-deux identifiées dans le rapport de la commission d’enquête, rétablit une cohérence au sein de cette catégorie juridique, le critère retenu étant l’existence d’un pouvoir effectif, qu’il soit normatif, de régulation ou de sanction.

L’Assemblée nationale a néanmoins complété cette liste, portant le nombre de ces autorités à vingt-six, par l’ajout du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, de la Commission nationale du débat public et, contre l’avis de son rapporteur, du Médiateur national de l’énergie. La commission des lois du Sénat n’a pas souhaité suivre l’Assemblée nationale sur la voie de cet élargissement, et je soutiens pleinement cette décision. Je ne suis pas non plus favorable aux propositions d’ajouts que présenteront plusieurs de nos collègues par le biais d’amendements en séance publique, ni à celle du Gouvernement concernant l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, l’ACPR. Le président de cette autorité lui-même – il s’agit du gouverneur de la Banque de France – ne souhaite pas qu’elle relève de cette catégorie, car il s’agit d’une autorité très intégrée à la Banque de France.

De façon plus générale, je souligne que les autorités ne figurant plus sur cette liste ne disparaissent pas pour autant, hormis la Commission de sécurité des consommateurs, dont l’Assemblée nationale propose la suppression. Mieux encore, des garanties ont été prévues pour reconnaître la spécificité de certaines d’entre elles. Il en est ainsi du Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires, qui s’est vu conférer, sur proposition du rapporteur, la qualité d’établissement public national à caractère administratif rattaché au Premier ministre, les garanties d’indépendance prévues par la loi du 5 janvier 2010 étant en outre maintenues.

En revanche, des divergences plus substantielles apparaissent s’agissant du statut de ces autorités administratives et publiques indépendantes. Si l’Assemblée nationale a admis la nécessité d’un statut général pour les autorités administratives et publiques indépendantes, elle a apporté des modifications substantielles au contenu de ce statut. Les principales concernent le principe du non-renouvellement du mandat des membres, l’harmonisation de la durée de celui-ci, fixée à six ans, les règles d’incompatibilités, enfin les règles de nomination des présidents de ces autorités, qu’il est proposé de toutes soumettre à la procédure prévue à l’article 13 de la Constitution.

Je regrette que ces modifications induisent un affaiblissement certain des garanties d’indépendance et de transparence, pourtant indispensables au bon fonctionnement de ces autorités.

Il en est ainsi pour les incompatibilités strictes fixées par le Sénat entre le mandat de membre d’une autorité et la détention directe ou indirecte d’intérêts en lien avec le secteur contrôlé par cette autorité. L’Assemblée nationale a supprimé ces incompatibilités professionnelles, considérant que les mécanismes de prévention des conflits d’intérêts permettaient de s’en dispenser et que ces règles trop strictes empêcheraient le recrutement de personnes compétentes, particulièrement pour des autorités chargées de réguler des secteurs très spécifiques.

De même, l’Assemblée nationale n’a pas retenu le principe d’un mandat de six ans non renouvelable pour les membres de toute autorité administrative ou publique indépendante, considérant que cela risquait d’assécher le vivier de candidats potentiels. Mais autoriser un renouvellement du mandat rend possible l’exercice de pressions sur les membres au moment de ce renouvellement, ce qui n’est pas souhaitable.

En ce qui concerne la nomination des présidents de ces autorités, l’Assemblée nationale a considéré que la présidence de certaines autorités ne représentait pas une fonction dont « l’importance pour la garantie des droits et libertés ou la vie économique et sociale de la nation » justifiait de soumettre la nomination à la procédure de l’article 13 de la Constitution, alors que, pour renforcer le contrôle du Parlement sur ces autorités, le Sénat avait prévu que cela serait systématique.

Enfin, en matière de transparence, l’Assemblée nationale a écarté certains des mécanismes mis en place, notamment en supprimant, en séance publique et à la demande du Gouvernement, la publication des déclarations d’intérêts et de patrimoine des membres de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Je ne suis pas du tout certaine que cette publication soulève une difficulté constitutionnelle et, à l’inverse, je relève que le président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique la réclame, au nom du devoir d’exemplarité de son autorité. Le rétablissement de cette disposition est donc important à mes yeux.

Au regard de ce constat, on pourrait être tenté de conclure que parvenir à un accord est impossible, et qu’il convient de rétablir strictement le texte adopté par le Sénat en première lecture pour marquer ce désaccord.

Telle n’est pas la position de notre excellent rapporteur, Jacques Mézard, qui a travaillé dans un véritable esprit de compromis et de recherche de consensus, que je salue. Je le remercie de ses travaux et de sa vigilance sur ce dossier. Il m’a associée pleinement à cette entreprise, et je soutiens toutes les propositions de rédaction qu’il a formulées en vue de parvenir, au-delà de cette deuxième lecture, à un accord avec l’Assemblée nationale.

Je pense tout particulièrement aux amendements adoptés hier matin par la commission des lois. S’ils sont également adoptés par le Sénat en séance publique, ils permettront de faire un grand pas en direction de l’Assemblée nationale. Je me bornerai à citer deux exemples à cet égard.

S’agissant de la règle du non-renouvellement du mandat, celle-ci s’appliquerait aux membres des autorités administratives et publiques indépendantes déjà soumises aujourd’hui à cette règle et à tous les présidents. Le mandat des membres des autres autorités, y compris celles qui ne connaissent aucune limitation actuellement, pourrait être renouvelé une seule fois. Cela inciterait à choisir le président des autorités dont les membres peuvent être reconduits une fois parmi les membres sortants, ce qui règlerait largement la question de l’assèchement du « vivier compétent » et conforterait la pérennité de l’autorité.

S’agissant des règles d’incompatibilité professionnelle, elles ne s’appliqueraient pas lors de la désignation d’un membre, celle-ci étant réputée intervenir en connaissance de cause, le nouveau membre étant, en outre, soumis à des mécanismes déontologiques classiques de déclaration et de déport. En revanche, serait interdit l’accès en cours de mandat à toute nouvelle fonction de dirigeant d’entreprise ou à une nouvelle activité professionnelle en lien direct avec le secteur contrôlé. Cette disposition répond aux objections de l’Assemblée nationale quant à la nécessité, pour les autorités de régulation, de compter en leur sein des représentants du secteur régulé, choisis pour leur connaissance de ce dernier, tout en interdisant une modification profonde des conditions initiales de leur désignation et en les soustrayant à des pressions éventuelles.

En tant que cosignataire de cette proposition de loi et de cette proposition de loi organique, je souhaite l’adoption des textes issus des travaux de la commission des lois, assortis des amendements de compromis du rapporteur que cette dernière a adoptés hier matin. Nous aurons ainsi fait une grande partie du chemin pour nous rapprocher des positions de l’Assemblée nationale et nous pourrons espérer aboutir à un texte commun dans les meilleurs délais. (Applaudissements.)