M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.

Mme Laurence Cohen. Nous allons accepter ce qui est proposé (Ah ! sur les travées du groupe socialiste et républicain.), pour ne pas avoir l’air d’être complètement agrippés à une posture,…

Mme Nicole Bricq. Il faut bien un délai !

Mme Laurence Cohen. … puisque c’est ce que l’on nous rabâche depuis hier. Les autres groupes, il est vrai, n’ont aucune posture : ils réfléchissent, puis changent de position… (Sourires sur les travées du groupe CRC.)

Nous allons donc, nous aussi, bouger, mais je veux tout de même procéder à quelques rappels.

Tout d’abord, on nous dit qu’il ne s’agit que de quelques principes, mais nous avons bien vu dans le débat d’hier, qui a été très politique et extrêmement intéressant, que ces principes étaient fondamentaux.

Ensuite, M. Milon considère que la suppression de l’alinéa 5 est inacceptable, parce qu’il faut renforcer la compétitivité des entreprises de moins de 250 salariés. Mais est-ce le rôle du code du travail d’affirmer cela ?

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Non, c’est celui de la commission, qui fait des propositions !

Mme Laurence Cohen. Toutefois, qu’est-on en train de faire ? On pose un certain nombre de principes triés sur le volet. On crée une commission d’experts, qui n’a prétendument pas de pouvoir, ou qui tout en ayant des pouvoirs n’en a pas. On nous dit que nous sommes aptes à légiférer, mais – on l’a bien vu hier pour l’égalité entre les femmes et les hommes – toutes nos propositions de modification sont repoussées.

Nous allons accepter ce qui nous est proposé, mais sans illusion aucune et en espérant que chacun ici a conscience de l’atmosphère qui règne, parce que c’est très important. Nous sommes peut-être en train de travailler dans cet hémicycle, mais je vous assure que, dans la rue, il y a des millions de personnes qui luttent contre cette mauvaise loi !

Mme Nicole Bricq. Pas contre l’article 1er !

M. le président. Monsieur Cadic, l'amendement n° 241 rectifié est-il maintenu ?

M. Olivier Cadic. Madame la ministre, ne pas s’assigner d’objectifs est le moyen le plus sûr de n’en atteindre aucun !

Comme je l’ai expliqué, notre objectif était que la commission d’experts soit chargée du soin de déterminer ce qui relève de l’ordre public et ce qui n’en relève pas.

Dans le texte proposé par la commission des affaires sociales, il est indiqué que la refondation a pour objet de « simplifier les règles du code du travail, notamment en compensant la création d’une disposition par la suppression d’une disposition obsolète ». Si l’on procède ainsi, le code du travail sera toujours aussi volumineux ! (L’orateur brandit un exemplaire dudit code.)

Si la commission d’experts se contente de définir ce qui est d’ordre public, on pourra aller beaucoup plus vite. S’il faut réécrire, évidemment, cela prendra du temps.

Notre objectif est de simplifier les règles du code du travail. C’est pourquoi nous voulions poser les principes pour la commission d’experts s’agissant de ce que nous voulons conserver dans le code du travail pour pouvoir rapidement le réécrire.

Si j’entends bien, la commission d’experts rendra son avis en 2018. Ensuite, il faudra commencer à réécrire. On voit où cela peut mener. Ah, j’oubliais : il n’est pas plus nécessaire de fixer un délai que de fixer des objectifs…

Dans ces conditions, nous retirons notre amendement, monsieur le président.

M. le président. L'amendement n° 241 rectifié est retiré.

Monsieur Watrin, acceptez-vous de modifier l’amendement n° 456 dans le sens suggéré par Mme Nicole Bricq ?

M. Dominique Watrin. Oui, monsieur le président, mais nous souhaiterions une brève suspension de séance, afin de rédiger notre amendement rectifié.

M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures, est reprise à quinze heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

Je suis saisi d’un amendement n° 456 rectifié, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, qui est ainsi libellé :

I. – Alinéa 5

Supprimer cet alinéa.

II. – Alinéa 6, seconde phrase

Supprimer cette phrase.

III.- Alinéa 11

Supprimer les mots :

, qui portent sur les dispositions relatives aux conditions de travail, à l'emploi et au salaire,

Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. L’avis de la commission reste défavorable, monsieur le président, et je maintiens ma demande de scrutin public.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Le Gouvernement s'en remet toujours à la sagesse de la Haute Assemblée.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 456 rectifié.

J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des affaires sociales.

Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 246 :

Nombre de votants 343
Nombre de suffrages exprimés 342
Pour l’adoption 154
Contre 188

Le Sénat n’a pas adopté.

L’amendement n° 185 rectifié bis, présenté par M. Gorce, Mme Lienemann et MM. Durain, Néri, Masseret et Cabanel, est ainsi libellé :

Après l’alinéa 5

Insérer un alinéa ainsi rédigé :

…° Lutter contre le « dumping social » en encadrant les pratiques sociales d’entreprises françaises exerçant sur les salariés à l’étranger une pression contraire à leur sécurité et à leur protection sociale. Pour prévenir cette situation, chaque année, le comité d’entreprise est saisi, dans le cadre du bilan social, d'un rapport faisant état des conditions de travail, de salaire et de protection sociale des salariés des entreprises situées en dehors de l'Union européenne contrôlées par le groupe ou dépendant principalement de ses commandes.

La parole est à M. Jérôme Durain.

M. Jérôme Durain. Comme nombre d’orateurs de tous les bords politiques l’ont déjà fait remarquer hier durant la discussion générale, la mondialisation a profondément transformé les conditions de la concurrence internationale, notamment en matière sociale et environnementale.

Voilà pourquoi nous vous proposons, par cet amendement, de lutter contre le dumping social en encadrant les pratiques sociales d’entreprises françaises exerçant sur les salariés à l’étranger une pression contraire à leur sécurité et à leur protection sociale. Concrètement, nous entendons créer un droit de regard des salariés sur les politiques sociales conduites par leur groupe dans ses éventuelles filiales extraeuropéennes. Ainsi, on fera en sorte que la délocalisation des activités et des investissements s’accompagne d’une délocalisation des droits sociaux.

L’objet de cet amendement est comparable à celui de la proposition de loi de M. Dominique Potier, que nous avons eu la chance de pouvoir étudier voici quelques mois au Sénat, même si elle a été assez maltraitée par la majorité sénatoriale. Il s’agit dans les deux cas de tirer toutes les conséquences de l’effondrement du Rana Plaza et, plus largement, de mieux contrôler des chaînes de sous-traitance qui peuvent compter jusqu’à huit niveaux.

Notre amendement vise également à exprimer l’esprit de la dernière session de la Conférence internationale du travail, au cours de laquelle Mme la ministre a pu réitérer les demandes du Gouvernement français de voir des négociations déboucher sur la définition précise de principes directeurs devant s’appliquer sur les chaînes d’approvisionnement mondiales en matière de rémunérations, de temps de travail, de conditions de travail et de dialogue social.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. La régulation de la concurrence et la lutte contre la concurrence déloyale sont bien présentes à l’article 13. J’en cite la rédaction issue de nos travaux en commission : « La branche définit par la négociation les garanties applicables aux entreprises relevant de son champ d'application et régule la concurrence entre ces entreprises. »

Or il se trouve que, à l’article 1er, nous demandons à la commission d’experts de présenter, pour chaque partie de ce code, « l’intérêt d’accorder la primauté à la négociation d’entreprise ou à celle de branche ». La commission pourra donc se pencher sur la régulation du secteur. Cette mention suffit à nos yeux.

Par ailleurs, monsieur Durain, vous suggérez que le comité d’entreprise puisse être saisi, dans le cadre du bilan social, d’un rapport faisant état des conditions de travail et des salaires dans les filiales situées hors de l’Union européenne. Or il se trouve qu’un certain nombre de consultations, notamment la consultation annuelle stratégique, permettent déjà d’évoquer ce type de sujets au sein du comité d’entreprise.

Compte tenu de ces éléments, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Monsieur Durain, vous vous inquiétez à juste titre du dumping social, notamment dans le cadre des pratiques européennes et internationales de nos entreprises. En cohérence avec mes déclarations antérieures, je réitère mon opposition à l’assignation d’objectifs à la commission d’experts. Ce n’est pas à elle de faire évoluer le droit du travail. C’est pourquoi l’avis du Gouvernement sur cet amendement sera défavorable.

Vous soulevez néanmoins deux sujets majeurs autour de la question du dumping social. Le premier est le devoir de vigilance des entreprises donneuses d’ordre, qui fait l’objet de la proposition de loi de Dominique Potier que vous avez citée.

Ce principe n’a de sens que si nous sommes en capacité de le mettre en œuvre de manière internationale et, d’abord, à l’échelon européen. J’ai expliqué la semaine dernière à l’Organisation internationale du travail, l’OIT, combien ces plans de vigilance sont importants. Un grand mouvement est nécessaire sur cette question : j’y tiens à l’extrême et le travail que nous avons eu à Genève avec les organisations syndicales et patronales était particulièrement intéressant dans cette perspective.

La lutte contre les fraudes au détachement constitue le second sujet majeur. Le Gouvernement français est en pointe aujourd’hui pour demander la révision ciblée de la directive du 16 décembre 1996 sur le détachement de travailleurs. Nous entendons faire inscrire dans le droit européen le principe « à travail égal, salaire égal sur un même lieu de travail ». Il nous importe en particulier que ce soit le salaire de la convention collective qui s'applique alors.

Or si nous prenons aujourd’hui cette initiative européenne, c’est bien parce qu’il existe des pratiques de dumping social et que l’érosion de notre modèle social est en jeu. Ce n’est pas le travail détaché lui-même qui pose problème : la France est en Europe le troisième pays d’envoi de travailleurs détachés et la libre circulation des travailleurs dans l’espace européen représente bien sûr un atout pour nos entreprises, pour ces salariés, mais aussi pour nos étudiants. En revanche, les abus de ce dispositif doivent être combattus.

Je partage donc tout à fait, monsieur Durain, votre volonté de lutter contre le dumping social, non seulement, à l’échelon international, dans le cadre de la proposition de loi de Dominique Potier – il faut imposer le devoir de vigilance et la responsabilisation des donneurs d’ordres –, mais aussi sur la question du travail détaché, dont le cadre légal devrait évoluer dans les prochains mois.

Cela dit, tel n’est pas l’objectif de la commission d’experts ; plus largement, il ne faut pas assigner d’objectifs à cette commission, à qui il n’appartient pas de refaire le cadre du droit puisque cette refondation doit se faire à droit constant.

Voilà pourquoi le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier, pour explication de vote.

Mme Évelyne Didier. Notre collègue Jérôme Durain vient de faire allusion à la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, texte dont aura bientôt lieu la deuxième lecture au Sénat.

À l’écoute de vos explications à ce sujet, madame la ministre, je me demande si vous tenez compte de ce qui se trame – car c’est bien le terme qui convient – aujourd’hui autour du partenariat transatlantique de commerce et d’investissement, ou TTIP, de l’accord économique et commercial global, ou CETA, et de l’accord sur le commerce des services, ou TISA.

On aura beau adopter toutes les mesures possibles, même à l’échelon européen, pour une telle vigilance, tous ces travaux seront caducs si ces trois traités sont mis en œuvre. En effet, les entreprises pourront alors considérer que toute mesure de protection, quelle qu’elle soit, des salariés, de l’environnement ou de nos appellations d’origine contrôlée, constitue une entrave à leur business : elles pourront donc décider d’attaquer l’État à l’origine de ces mesures. J’aimerais obtenir une explication à ce sujet.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 185 rectifié bis.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 458, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Alinéa 6, première phrase

Après les mots :

négociation collective

insérer les mots :

, au respect du principe de faveur et de la hiérarchie des normes

La parole est à M. Dominique Watrin.

M. Dominique Watrin. Notre amendement vise à rétablir la portée du principe de faveur, garantie de notre ordre social.

Ce texte consacre en effet une évolution entamée, en réalité, depuis une trentaine d’années et qui s’accélère depuis quinze ans et, singulièrement, depuis la crise de 2008. Votre texte s’inscrit ainsi dans les pas de la loi Fillon de 2004 et de la loi Bertrand de 2008. Il est éclairant, madame la ministre, que vous soyez sur ce point en accord complet avec la majorité sénatoriale. Les arguments que vous utilisez sont d’ailleurs les mêmes : il s’agirait de favoriser la flexibilité des entreprises et la démocratie dans l’entreprise.

De fait, vous faites appel au bon sens pour imposer des mesures régressives et faire accepter des reculs en matière de droits. Ce bon sens et cette pédagogie consistent en vérité à revenir sur la jurisprudence constante de la chambre sociale de la Cour de cassation et du Conseil d’État, établie en application des principes contenus dans le code du travail.

Vous revenez surtout sur le principe de faveur, disposition qui, en définitive, constitue le ciment de l’édifice du droit du travail. Rappelons que ce principe offre aux salariés la garantie que tout accord négocié au plus près d’eux sera conclu dans un sens favorable. C’est une garantie contre l’arbitraire, contre le chantage et contre les pressions.

Bien sûr, vous arguez que notre vision des entreprises est caricaturale et que nous raisonnons en termes de rapports de force. Nous faisons pourtant simplement le constat d’un déséquilibre sur le marché du travail, dont vous niez l’existence, et d’une dissymétrie dans le rapport contractuel entre salariés et employeurs.

Il faudrait plutôt s’attaquer à la sacro-sainte concurrence sciemment engagée et organisée entre les salariés : c’est elle en effet qui fait baisser les droits ; c’est elle qui justifie, dans toutes les entreprises où elle a inspiré des accords compétitivité-emploi, toutes les politiques de précarisation. C’est cela qu’il faut combattre !

À nos yeux, rétablir le principe de faveur et la hiérarchie des normes, ou encore faire primer la loi sur la dérogation, ce n’est pas, contrairement aux affirmations de M. le rapporteur, entamer les facultés d’adaptation des entreprises – il y a déjà beaucoup de flexibilité, et même trop, dans le droit du travail. Au contraire, c’est asseoir l’efficacité économique sur son meilleur levier, à savoir le progrès social.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. La hiérarchie des normes est au cœur du débat qui se tiendra lors de la discussion de l’article 2.

Naturellement, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement, compte tenu de son attachement à la philosophie globale exprimée à l’article 2. Nous sommes constants depuis plusieurs années sur cette philosophie : nos lois de 2004 et de 2008 ont affirmé ce principe de primauté de l’accord d’entreprise.

En réalité, à faire un peu de généalogie, on se rend compte que le principe de faveur n’existe plus à l’état pur depuis longtemps. En 1982 déjà, une ordonnance prise par M. Auroux permettait à l’accord de branche étendu de déroger, dans un sens favorable ou défavorable, à un certain nombre de dispositions légales.

Nous pourrions certes rejouer, cent cinquante ans plus tard, le débat entre Proudhon et Marx, où le premier défendait la subsidiarité, alors que le second préférait la conflictualité. Je vous propose plutôt, mes chers collègues, d’en rester là et de suivre l’avis défavorable de la commission sur cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. Notre échange sur ce sujet, monsieur Watrin, a commencé hier ; il s’agit évidemment d’un point essentiel.

Je crois pour ma part qu’il faut prendre en compte l’évolution qui s’est produite dans notre pays durant les trente dernières années, depuis que, dans le cadre des lois Auroux, on a procédé à une première dérogation au principe de faveur, notamment sur le contingent des heures supplémentaires.

Cette question précise se pose d’ailleurs encore aujourd’hui. En effet, augmenter le contingent des heures supplémentaires peut être perçu comme une évolution défavorable par les salariés qui préféreraient des horaires fixes ; en revanche, il s’agit d’une évolution extrêmement favorable pour ceux qui y voient une source supplémentaire de pouvoir d’achat.

L’enjeu de ce projet de loi est justement de permettre de telles évolutions. En vérité, dans le système actuel, comme vous l’avez vous-même rappelé, l’hyperprécarité existe, les contrats courts existent, l’intérim existe… Le chantage à l’emploi existe bien, parfois, dans le monde du travail. Ces difficultés concernent potentiellement tous les actifs. Il faut donc réformer notre système.

Pour ma part, comme je l’ai dit hier, je n’oppose pas le droit au travail et le droit du travail. Nous avons choisi avec ce texte la voie de la négociation collective et du renforcement des syndicats. En effet, lorsque les syndicats sont influents dans l’entreprise et que celle-ci a intérêt à négocier, les salariés obtiennent des droits et ceux-ci sont respectés. Je rappellerai en outre que, lors de l’adoption des lois Auroux, un syndicat pouvait signer un accord d’entreprise même s’il représentait à peine 5 % des salariés.

Le développement des accords d’entreprise est inéluctable. En effet, il correspond à des besoins exprimés à la fois par des salariés et des entreprises. La société fordiste a vécu, et il faut aujourd’hui améliorer cette capacité d’adaptation. L’inéluctabilité de ce mouvement est évidente quand on constate que près de 40 000 accords d’entreprise ont été signés à ce jour.

Nous ne nous sommes pas contentés d’élargir l’objet des négociations d’entreprise ; nous avons aussi tenu à instaurer le principe de l’accord majoritaire. La règle des 30 % avait été instaurée en 2008. Aujourd’hui, le principe de l’accord majoritaire représente la meilleure garantie pour les salariés. C’est donc un élément déterminant de ce projet de loi. Dès lors, si nous voulons élargir l’objet de la négociation, c’est bien pour qu’il existe le maximum de possibilités de trouver un compromis et des contreparties.

Pour conclure, j’ai envie de citer Philippe Martinez. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.) On l’interrogeait hier, sur Europe 1, à propos de l’accord d’entreprise en discussion à la SNCF. Or voici ce qu’il a répondu : « C’est aux salariés de dire ce qui est bon et ce qui n’est pas bon pour eux. » Voilà justement l’esprit de ce projet de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)

M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour explication de vote.

M. Gaëtan Gorce. Nous reprendrons évidemment ce débat fondamental à l’article 2. Nous l’avons d’ailleurs déjà eu sous la précédente majorité gouvernementale, en 2004 et en 2008, lors de l’examen des lois Fillon et Bertrand.

Les arguments que j’emploierai aujourd’hui sont ceux que les sénateurs socialistes utilisaient alors, y compris certains membres du gouvernement actuel, tels que M. Alain Vidalies, aujourd’hui secrétaire d’État en charge des transports. À cette fonction, il ne lui appartient pas de s’exprimer sur le présent texte ; cela vaut sans doute mieux pour la cohérence de ses prises de position.

Si nous évoquons ainsi la question du principe de faveur, c’est parce que ce dernier est fondamental. Que nous réfléchissions à la négociation et aux progrès à apporter à celle-ci, en théorie, c’est formidable. En effet, on ne peut que souhaiter que les décisions soient prises à l’échelle la plus proche des salariés et des patrons.

M. Jean-Louis Carrère. Cela vous va bien !

M. Gaëtan Gorce. À vous aussi, monsieur Carrère !

M. Jean-Louis Carrère. Les Landes vous appelleront quand elles auront besoin de vous, cher collègue !

M. Gaëtan Gorce. Voilà bien l’esprit moutonnier… Sachez en tout cas que la Nièvre ne s’est jamais laissé impressionner par les Landes !

Pour en revenir au fond de mon propos, nous souhaitons naturellement, en principe, que la négociation soit menée le plus près possible du terrain. La réalité est toutefois bien différente de cette théorie : nous sommes dans un pays dans lequel le syndicalisme représente à peine 7 % des salariés du secteur privé. Cela signifie que la capacité à négocier dans l’entreprise est extrêmement faible.

En acceptant une dérogation au principe de faveur, on crée donc une situation qui va faire pression sur les salariés au sein de l’entreprise. Dans le contexte économique difficile que nous connaissons, la pression sur l’emploi, voire le chantage à l’emploi, est inéluctable. Dans ces conditions, on fragilise nécessairement la négociation si on la décentralise dans l’entreprise, sans même évoquer le recours désormais possible au référendum.

Il ne nous faut pas adapter le droit du travail à une individualisation des salaires ou du temps de travail qui, de fait, favorise la précarisation et débouche sur une rupture du collectif de travail. Nous devons au contraire nous préoccuper de renforcer ce collectif, pour lui permettre non seulement de se défendre, mais encore de négocier des avancées.

Je considère effectivement que l’on peut envisager un véritable progrès social sous certaines conditions. Ce n’est pourtant pas ce que fait ce projet de loi ; il encourage plutôt des pratiques qui ne cessent de se développer et vont se traduire par un morcellement accru.

Qu’est-ce qui incitera les entreprises à négocier, sinon la nécessité ou l’envie de se différencier, par la compétition, des entreprises voisines du même secteur ? On incite donc ainsi à une compétition, à une concurrence sur le terrain social. Il est pour le moins paradoxal, à un moment où l’on a besoin de rétablir de l’ordre social, d’encourager une telle balkanisation !

M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.

Mme Annie David. Nous nous associons aux arguments que vient de défendre brillamment Gaëtan Gorce.

Madame la ministre, au moment des lois Auroux, les accords pouvaient être signés même par un syndicat minoritaire. Toutefois, à cette époque, la hiérarchie des normes et le principe de faveur s’appliquaient dans un plus grand nombre de domaines que ce que prévoit ce texte.

Mme Myriam El Khomri, ministre. Non !

Mme Annie David. Vous avez rappelé que, en 2008, sont nés les accords majoritaires à 30 %. En effet ! C’était une contrepartie à une première remise en cause de la hiérarchie des normes. Par effet de balancier, on avait donné aux organisations syndicales la possibilité de signer des accords à condition qu’elles revendiquent une représentativité de 30 % au sein de l’entreprise.

Si Philippe Martinez, que vous aimez tant citer, madame la ministre, souligne que ce sont les salariés qui sont les mieux à même de défendre leurs intérêts, c’est parce que, chaque année – vous l’avez rappelé lors de votre audition par la commission des affaires sociales –, plus de 30 000 accords sont signés dans les entreprises. La possibilité de signer des accords dans l’entreprise, au plus près des décisions qui se prennent, existe donc déjà.

Dans ces conditions, pourquoi voulez-vous changer la loi, sinon pour favoriser l’inversion de la hiérarchie des normes et l’abandon du principe de faveur ? C’est cela qui est dangereux dans votre texte !

Vous allez en effet pousser à la négociation des salariés qui n’auront pas forcément la possibilité de se défendre au plus près de leurs intérêts, d’autant que les accords qui seront signés pourront comporter des dispositions moins favorables que ce que prévoit la législation. C’est cela que nous contestons par le biais des amendements que nous présentons.

Vous n’avez de cesse de citer les lois Auroux et les accords majoritaires, madame la ministre. Nous les connaissons. Reste que ce que vous proposez est une atteinte grave au droit du travail et une régression. Vous ne pourrez pas nous convaincre du contraire, même en répétant ce que vous avez déjà dit hier. C’est bien le sujet des discussions que nous aurons encore dans les jours qui viennent.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. La question du principe de faveur comme celle de la hiérarchie des normes sont fondamentales dans notre République, comme j’ai eu l’occasion de le rappeler hier. Nous pensons que le droit des parties, c'est-à-dire le contrat, ne saurait s’opposer à ce que l’on considère être l’intérêt général, lequel doit être fixé par la loi.

Or l’intérêt général, c’est qu’il n’y ait pas de reculs sociaux dans notre pays. Rien ne légitime que le développement des techniques et l’enrichissement de nos capacités productives permettent des réductions de nos droits sociaux. Je ne parle pas d’acquis sociaux, j’entends par là l’organisation et le fondement de ces droits, notamment le niveau des rémunérations, l’organisation du temps de travail et le temps de travail.

Bien sûr, nous respectons les accords d’entreprise et sommes favorables à leur développement et à leur élargissement. Nous avons formulé hier des propositions en ce sens sur la formation, la mutation technologique, notamment numérique. Cependant, il faut être certain que la négociation ne remette pas en cause l’intérêt général.

Prenons un exemple dans le champ du politique. On fait voter la population qui habite tout autour du site de Notre-Dame-des-Landes. Son intérêt est-il le même que celui du département de la Loire-Atlantique, celui de la région, celui du pays ? (Exclamations amusées.) Vous voyez bien que le lieu où se prend la décision conditionne les résultats !

Ce qui est gênant, c’est que nous évoluons dans un système concurrentiel. Si une entreprise accepte des reculs sociaux, les entreprises de la même branche auront beau jeu de dire à leurs salariés qu’elles peuvent encore gagner des « parts de compétitivité », quand il s’agit de sous-traitants, qu’elles peuvent coûter moins cher à leurs donneurs d’ordre, mais que cela suppose qu’elles décident les mêmes reculs sociaux. L’intérêt général, c’est donc bien que le cadre soit permanent.

À l’échelle européenne, nous sommes les premiers à dire qu’il n’est pas normal que le salaire minimum dans certains pays soit si bas : cela crée de la concurrence et nous voilà menacés par des délocalisations là où le coût du travail est anormalement bas et très décalé par rapport à celui que nous connaissons. Un accord majoritaire sous la pression des événements, de la difficulté des entreprises, de l’intérêt des salariés de cette entreprise peut donc être signé, déstabilisant l’ensemble de notre modèle social.

C’est en cela que la clause de faveur et la hiérarchie des normes sont fondamentales. Quand on se dit progressiste, on n’imagine pas que la négociation puisse affaiblir les conditions sociales qui ont été fixées. (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains.)