Mme la présidente. Madame la ministre, mes chers collègues, hier, lors de la séance n° 111 du 15 juin 2016, nous avons achevé la présentation des amendements nos 474 à 1009, faisant l’objet d’une discussion commune.

Nous en sommes parvenus aux avis de la commission et du Gouvernement sur ces amendements.

Quel est donc l’avis de la commission ?

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur de la commission des affaires sociales. Madame la présidente, au préalable, puisque le Sénat vient d’adopter le projet de loi autorisant la ratification de l’accord-cadre de partenariat et de coopération entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et la Mongolie, d’autre part, François Pillet, président du groupe sénatorial d’amitié France-Mongolie, et moi-même, en tant que vice-président, nous félicitons que, juste après que nous avons célébré le cinquantième anniversaire de l’établissement de relations diplomatiques entre nos deux pays, nous puissions ainsi donner à celles-ci un élan supplémentaire.

J’en viens maintenant à l’objet de mon intervention.

Nous avons assisté hier à la présentation de 195 amendements faisant l’objet d’une discussion commune, ce qui constitue sans doute l’une des plus longues de l’histoire récente du Sénat. Sur ce total, 165 amendements sont différents. En vertu du règlement du Sénat, je dispose donc de 412 minutes, soit près de 7 heures, pour vous présenter la position de la commission. (Sourires.)

Mme la présidente. Vous n’êtes pas obligé d’utiliser tout le temps de parole qui vous est imparti, monsieur le rapporteur ! (Mêmes mouvements.)

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Afin de satisfaire à votre requête, madame la présidente, je vous propose que nous passions un accord de méthode, par parallélisme des formes avec le dialogue social !

Mme Annie David. Étendu ou non ?

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Et avec loyauté !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Et bien sûr avec la loyauté qui caractérise nos débats dans cet hémicycle, quels que soient les orateurs.

Je distinguerai, dans ma réponse, les différentes thématiques abordées par le biais de ces amendements, thématiques qui peuvent être déclinées en une dizaine de points majeurs.

Quoi qu’il en soit, vous-mêmes, mes chers collègues, ainsi que ceux qui suivent nos débats sur le site internet du Sénat ou sur les réseaux sociaux, pourrez utilement vous reporter aux travaux de la commission et aux échanges auxquels a donné lieu chacun de ces amendements. Cela permettra d’apporter un éclairage supplémentaire sur la présentation relativement synthétique à laquelle je vais me livrer.

Les amendements déposés sur l’article 2 sont de plusieurs types. Il y a tout d’abord ceux qui visent à remettre en cause, par principe, la primauté de l’accord d’entreprise par rapport à l’accord de branche.

Sur ceux-là, la commission a évidemment émis un avis défavorable, considérant qu’ils étaient inconciliables avec la philosophie du projet de loi, qui, avec la consécration de la primauté de l’accord d’entreprise, fait le pari du consensus plutôt que du contentieux.

Plus on se place à l’échelon local, plus on est près du terrain et plus les acteurs locaux sont en mesure de parvenir à trouver des équilibres qui leur sont propres. Les uns et les autres, mes chers collègues, vous avez parfois évoqué, comme je l’ai fait moi-même, en présentant vos amendements, des situations locales particulières, qui tendent à démontrer que des accords peuvent être trouvés, y compris avec des organisations syndicales représentatives qui ne se caractérisent pas par une inclination à être spontanément d’accord avec les organisations d’employeurs ! Cela signifie bien que leurs représentants locaux sont souvent désireux de trouver de bons équilibres.

S’agissant des accords d’entreprise, nous pouvons constater, à la lecture de l’étude d’impact du projet de loi, que les entreprises s’emparent volontiers de ces outils, de ces leviers, lorsqu’ils existent. En 2008, les accords étaient au nombre de 22 000 ; ils sont passés à près de 40 000 en 2012, et ce, j’y insiste, malgré la crise !

Dans le même contexte, dans un certain nombre de pays voisins, le nombre d’accords a dégringolé à partir de 2008 !

En matière de temps de travail, même si la proportion a diminué dans le total des accords signés, le nombre de tels accords a continué à augmenter dans l’absolu, passant de 6 000 à près de 8 000.

Pour autant, les accords de branche continuent à jouer un rôle, notamment pour les PME, grâce aux accords types, dont nous discuterons ultérieurement. La commission, sur l’initiative de Jean-Marc Gabouty, a produit tout un travail visant à enrichir le texte en la matière.

À ceux qui craignent une forme de dumping social, je signale que la branche peut aussi être parfois – je ne systématise pas – la consécration de l’influence des normes souhaitées par les plus grosses entreprises du secteur, au détriment des PME, certaines se plaignant à l’occasion qu’il soit plus difficile pour elles que pour de grandes entreprises de satisfaire à ces règles.

Les branches jouent donc un rôle majeur, rôle que nous réaffirmons. C’est ainsi que nous avons repris l’amendement de Christophe Sirugue, l’amendement dit « sentinelle », que nous avons déplacé à l’article 13. Toujours est-il que la branche ne doit pas non plus être l’alpha et l’oméga. Nous avons été nombreux à assister à l’audition de Raymond Soubie – Nicole Bricq était présente, et je crois pouvoir dire qu’elle a été également très intéressée par les propos de ce grand monsieur du secteur social. Celui-ci nous a déclaré que « donner le primat à la branche, c’est donner le primat au conservatisme, c’est un enterrement de première classe ».

Je le répète, la branche a un rôle à jouer, mais trouver une articulation et laisser respirer les acteurs de terrain nous paraît une bonne chose.

Pour ces raisons, de nombreux amendements ont reçu un avis défavorable de la part de la commission. À la demande de la séance, je n’en donnerai pas la liste détaillée ; a contrario, j’indiquerai les amendements sur lesquels la commission a émis un avis favorable ou pour lesquels elle s’en est remise à la sagesse du Sénat.

Par ailleurs, d’autres amendements tendent à la suppression, par tranches, d’alinéas de l’article 2, y compris parfois de dispositions d’ordre public, ce qui aurait constitué des atteintes graves aux droits des salariés, ce à quoi je ne pouvais me résoudre.

À ce titre, ces amendements ont reçu un avis défavorable, même si je comprends bien que les intentions de leurs auteurs, essentiellement nos collègues du groupe CRC, étaient non pas de remettre en cause ces droits formellement,…

Mme Laurence Cohen. Nous voulons les renforcer !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. … mais de susciter le débat.

L’articulation entre le niveau de la branche et celui de l’entreprise concernant la majoration des heures supplémentaires et complémentaires a fait l’objet de discussions, tant en commission qu’au sein de cet hémicycle.

Sur ce point, pour la commission, il était hors de question de revenir à la situation antérieure à la loi du 20 août 2008, c’est-à-dire de priver la négociation collective de la possibilité de fixer un taux compris entre 10 % et 25 %, et de refuser la souplesse introduite dans le projet de loi, qui fait primer l’accord d’entreprise en matière d’heures supplémentaires. Mme la ministre s’est d’ailleurs exprimée très clairement à ce sujet.

Aussi, ces amendements ont également reçu un avis défavorable.

D’autres amendements tendent à un retour en arrière juridique, parfois jusqu’aux années 1980. La commission a au contraire jugé qu’il fallait adapter le droit du travail aux mutations des activités économiques et donner davantage de souplesse aux employeurs des TPE-PME, les oubliées du projet de loi initial, alors qu’elles constituent 95 % du tissu des entreprises. Et nous savons combien ce maillage de l’artisanat dans le cadre des TPE-PME est important dans nos territoires ruraux.

Par conséquent, la commission, soutenant les intuitions de l’avant-projet de loi et fidèle à ses ambitions brièvement exprimées, a émis un avis défavorable sur les amendements qui visent à revenir sur le résultat de ses travaux.

La commission a par ailleurs souhaité préserver la nouvelle organisation ternaire du code du travail et clairement distinguer ordre public, champ de la négociation collective et cadre supplétif.

Certains orateurs ont fait remarquer que cette architecture ternaire allait accroître le volume du code du travail. C’est d’ailleurs un argument qu’ont utilisé les juristes qui, autour d’Emmanuel Dockès, ont élaboré un contre-projet de loi. Pour autant, en dépit de cet inconvénient, il est indéniable que cette organisation du code du travail en facilite la lecture et la compréhension : on voit tout de suite ce à quoi il ne peut être dérogé ou ce qui entre dans le champ de la négociation. Et Dieu sait s’il est nécessaire de faciliter la lecture du code, un certain nombre d’acteurs n’en étant pas familiers !

En conséquence, la commission a également émis un avis défavorable sur ces amendements visant à revenir sur cette architecture.

Un débat s’est engagé sur certains amendements tendant à inscrire dans l’ordre public des délais existants, notamment en matière de prévenance, plutôt que dans les dispositions supplétives. Clairement, le supplétif inscrit à droit constant ces délais de prévenance. À défaut d’accord, aucune situation ne pourra être plus défavorable que celles qui prévalent aujourd’hui. A contrario, un accord réduisant les délais de prévenance prévoira nécessairement des contreparties ; c’est écrit noir sur blanc dans le texte !

Aussi, il me paraît qu’un bon équilibre a été trouvé, la réécriture en « mode Combrexelle » ne remettant pas en cause les choses. Pour cette raison, la commission a émis un avis défavorable sur les amendements visant à inscrire ces délais dans l’ordre public.

La commission a également voulu pousser la belle construction intellectuelle de cet article 2 jusqu’à sa conclusion logique en matière de durée du travail, en substituant à la durée légale de 35 heures une durée de référence à temps complet arrêtée par accord collectif d’entreprise ou, à défaut, de branche.

À cet égard, elle a présenté un amendement visant à associer les partenaires sociaux, à travers la Commission nationale de la négociation collective, à la détermination de la durée hebdomadaire de travail applicable à titre supplétif, lorsqu’aucun accord d’entreprise ou, à défaut, de branche n’a été conclu pour fixer la durée de référence, dans la limite de 39 heures.

De même, la logique autour de laquelle s’ordonne l’article 2 a prévalu pour déterminer la durée minimale de travail d’un salarié à temps partiel. Aujourd’hui, cette durée est fixée à 24 heures par semaine. Or c’est en quelque sorte de l’affichage, car l’on sait bien que la plupart des accords de branche ouvrent droit à une durée de travail inférieure, parfois jusqu’à 2 heures. De fait, il existe de très grandes amplitudes. C’est pourquoi, plutôt que de s’en tenir à cette posture d’affichage, qui n’est pas conforme du tout à la réalité, il nous a paru plus souhaitable de déterminer, branche par branche, par voie d’accord, la durée horaire minimale du travail à temps partiel.

Sur la durée du temps de travail à temps complet, les salariés sont très lucides. Didier Porte, représentant de Force ouvrière, nous confiait ceci : « Ce sont les salariés qui se sont payé les 35 heures. »

Nous évoquions hier la productivité accrue et la compression des temps. De nombreux salariés ont dû réaliser en 35 heures ce qu’ils effectuaient autrefois en 39 heures, car la charge de travail n’a pas baissé. La diminution du temps de travail a également eu des effets en matière salariale ; les augmentations ont été, de fait, beaucoup plus modérées. (Mme Annie David s’exclame.)

Mme Nicole Bricq. La baisse des charges a tout de même été de 20 milliards d’euros !

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Cela a tout de même incité un représentant des organisations salariales à déplorer que les salariés se soient payé les 35 heures !

En conséquence, la commission a écarté un certain nombre d’amendements.

Par ailleurs, faire confiance à la négociation d’entreprise et aux délégués syndicaux ne doit pas se traduire par un alourdissement des contrôles administratifs ou par une restriction du recours aux heures supplémentaires ou à d’autres modalités d’aménagement du temps de travail avec, par exemple, des procédures d’avis conforme ou des droits de veto, comme le proposaient les auteurs d’un certain nombre d’amendements. Sur ceux-ci, la commission a donc émis un avis défavorable.

Concernant le travail de nuit et le repos dominical, très largement préservés de modifications de fond par cet article 2, la commission n’a pas souhaité bouleverser l’état actuel du droit. En conséquence, elle a émis un avis défavorable sur un certain nombre d’amendements portant sur cette question. Deux d’entre eux seront soumis au débat et recevront les explications de la commission.

La commission a estimé que la question des droits des travailleurs en situation de handicap, sur laquelle M. Mouiller et Mme Gillot se sont particulièrement mobilisés, méritait d’être mieux prise en compte. Elle a donc émis un avis favorable sur plusieurs amendements portant sur ce sujet. Ainsi, les parents d’enfants en situation de handicap pourraient, si nous adoptions ces amendements, bénéficier de jours de congé supplémentaires, y compris après que leurs enfants auront atteint l’âge de quinze ans. Cette mesure fait partie des domaines sur lesquels nous avons pu avancer de façon assez consensuelle.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. La commission a émis un avis favorable sur l’amendement nos 368 relatif à l’impossibilité de fractionner le temps de pause des salariés, dispositif qui tire les conséquences de la jurisprudence de la Cour de cassation. Certes, le Sénat n’est pas une chambre d’enregistrement des décisions de cette dernière, mais, en tant que législateur, nous avons estimé pouvoir graver dans le marbre de la loi une règle intéressante.

La commission a aussi émis un avis favorable sur l’amendement 5 rectifié quater. Mme Primas évoquait le cas de ces commerces alimentaires situés dans des zones touristiques ou commerciales qui, de tout temps, ont eu l’autorisation d’ouvrir le dimanche matin : ils se sont retrouvés dans une position défavorable par rapport à ceux qui avaient obtenu la possibilité d’ouvrir toute la journée du dimanche. Il est assez logique de modifier cette situation par un accord collectif.

La commission s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée sur l’amendement n° 126 rectifié relatif à la présomption de nécessité du travail de nuit reconnue par accord collectif. Il en est de même sur l’amendement n° 986 rectifié relatif aux compléments d’heures par avenant sur la base d’un accord collectif. L’accord collectif est un « acte de foi ». Dès lors qu’il a été passé, cela signifie qu’un consensus existe entre les acteurs concernés, qu’ils soient salariés ou employeurs, et qu’une solution féconde s’est dégagée.

La commission souhaite recueillir l’avis du Gouvernement sur sept amendements, à commencer par l’amendement n° 511 portant sur la mise en place d’horaires individualisés à la demande des salariés. Cette situation prévaut aujourd’hui, mais les termes « à la demande » ont disparu du texte du Gouvernement. Il nous a semblé intéressant de le préciser.

Sur les amendements identiques nos 296 et 523 relatifs au refus du travail de nuit par les salariés prenant en charge une personne malade chronique ou une personne handicapée, il est vrai que la rédaction actuelle du code du travail est assez large pour répondre aux impératifs familiaux et pourrait englober cet aspect. Mais peut-être faut-il le préciser. Nous souhaiterions donc connaître également l’avis du Gouvernement sur ce point.

S’agissant de l’amendement n° 557 relatif au droit à congés payés en cas d’accident du travail au-delà d’un an de suspension du contrat de travail et de l’amendement n° 435 rectifié concernant la période annuelle de référence des congés payés dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, dès lors que cette branche dispose d’une caisse de congés payés, ces sujets mériteraient que des précisions soient indiquées noir sur blanc.

Enfin, la commission souhaiterait connaître l’avis du Gouvernement sur les amendements nos 412 rectifié et 413 rectifié relatifs à l’organisation particulière du travail des personnels navigants aériens.

Si, par hasard, j’avais oublié de mentionner certains amendements, ce dont je prie leurs auteurs de bien vouloir m’excuser, c’est qu’ils ont reçu un avis défavorable, car ils n’étaient pas compatibles avec la ligne de conduite que s’était fixée la commission lors de la réunion, longue et studieuse, du 1er juin qui avait permis de poser un certain nombre de débats.

Telle est, madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la position de la commission. Je suis bien conscient que nous ne pourrons pas évaluer tous les enjeux des 195 amendements en vingt minutes, mais il sera possible d’intervenir ultérieurement. J’espère, en tous les cas, que les uns et les autres sauront gré à la commission du travail qu’elle a effectué lors de l’examen de leurs amendements. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)

Mme la présidente. Avant de donner la parole à Mme la ministre, voici la méthode de travail que je vous propose, mes chers collègues : après l’exposé des avis du Gouvernement, vous sera distribué un dérouleur qui comportera, pour chaque amendement, l’avis de la commission et celui du Gouvernement.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Très bien !

Mme la présidente. Vous serez ainsi plus en mesure de vous exprimer ou de demander des précisions lors de chaque vote.

Il n’y a pas d’opposition ?…

Il en est ainsi décidé.

Quel est l’avis du Gouvernement sur l’ensemble de ces amendements ?

Mme Myriam El Khomri, ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d’abord évoquer l’ensemble des amendements dont l’objet est de revenir sur la primauté que le Gouvernement a souhaité donner à l’accord d’entreprise dans un certain nombre de matières relatives au temps de travail.

À entendre certains d’entre vous, nous serions en train d’entériner, au travers de ce projet de loi, le passage d’un état du monde régi par le principe de faveur d’application systématique, à un monde où le principe de faveur aurait complètement disparu.

Je tiens donc, en introduction, à le répéter : rien n’est plus faux, et vous le savez bien. La réalité ne se laisse pas enfermer dans des schémas manichéens. Il faut regarder la réalité en face : cela fait plus de trente ans que, dans notre pays, la question de l’articulation entre l’accord de branche et l’accord d’entreprise se pose. Cela fait également plus de trente ans que la loi réserve un domaine propre à la négociation collective et aux partenaires sociaux. Toutes les lois depuis les lois Auroux sont allées dans ce sens.

Que faisons-nous avec ce projet de loi ?

Avec ce texte, nous consacrons le rôle de la branche. Je l’ai dit hier, je n’oppose pas un niveau à un autre. Nous maintenons au niveau de la branche les éléments sur lesquels il ne doit y avoir aucune concurrence déloyale. Permettez-moi de les rappeler : les salaires minima, les classifications, la fixation de la durée minimale de travail pour les salariés à temps partiel, la mise en place d’un régime d’équivalences, la modulation pluriannuelle. Et je tiens à maintenir cette garantie. C’est pourquoi je suis défavorable aux amendements qui tendent à supprimer cet encadrement de la branche.

Vous le constatez, la branche garde un rôle majeur et même renforcé.

Donner du pouvoir à l’accord d’entreprise, ce n’est pas enlever des droits aux salariés ; c’est renforcer la démocratie sociale, c’est privilégier l’emploi. Ce point a été souligné au sein de cette assemblée. Oui, nos entreprises ont parfois besoin de souplesse, de s’adapter à un changement technologique qui peut être très rapide, à des clients qui demandent plus de réactivité, ou encore à des concurrents à bas coûts qu’il faut surpasser par plus d’investissement, plus de services, plus d’innovation, plus de valeur ajoutée.

Cette compétitivité, elle se construit avec de bonnes relations sociales, avec des collectifs de travail reconnus, avec des parcours professionnels motivants et un vrai déroulement de carrière, mais aussi avec des organisations du travail qui évoluent, qui s’adaptent aux changements.

Je veux donner la possibilité aux acteurs de terrain de le faire. J’ai une conviction, je l’ai exprimée hier : ce n’est pas au niveau de la branche que l’on peut prendre en compte toutes les spécificités de la vie d’une entreprise ; ce n’est pas non plus au chef d’entreprise de décider seul. C’est aux représentants des salariés et au chef d’entreprise de trouver une solution, ensemble par la négociation.

Cela vaut aussi dans les très petites entreprises. Vous avez raison de souligner la faiblesse de la présence syndicale dans ces dernières. C’est pourquoi le projet de loi vise aussi à favoriser le dialogue social dans les TPE, à la fois à travers le mandatement, mais également avec les accords types négociés au niveau des branches.

C’est la bonne voie, au regard de ce qui se passe dans notre pays depuis trente ans. Les accords d’entreprise se développent sans discontinuer depuis 1982 et, à chaque étape, nous donnons plus de marges de manœuvre à l’accord d’entreprise. Chaque fois, les mêmes craintes ont été avancées. Mais qui aujourd’hui voudrait sérieusement revenir sur le forfait jour, la modulation du temps de travail, la liberté de négocier les contingents d’heures supplémentaires ? Je peux à l’inverse vous citer des dizaines et des dizaines d’accords d’entreprise qui ont ajusté ces paramètres, pris en compte les contraintes des salariés comme de l’entreprise et trouvé, par le dialogue, des arrangements efficaces.

Sincèrement, je préfère des négociations à l’échelle de l’entreprise à l’arbitraire du chef d’entreprise ou à la disparition d’entreprises qui n’ont pas su s’adapter à temps. Je ne suis pas naïve, et je n’idéalise par non plus le dialogue social, car je connais les rapports de force qu’il suppose. Vous avez d’ailleurs évoqué à juste titre, lors de vos interventions, des situations particulières que vous avez mises en lumière.

Confier cette responsabilité à la négociation ne peut se faire qu’à la condition de donner de la légitimité aux délégués syndicaux qui signent les accords. C’est pour cela que nous édictons cette règle des accords majoritaires.

Rappelons-nous : voilà dix ans, une organisation syndicale dans une entreprise, parce qu’elle était affiliée à une confédération reconnue représentative quarante ans plus tôt, pouvait signer des accords sans aucune considération de son poids dans l’entreprise !

Un accord majoritaire de syndicats, c’est un sacré verrou, et si ceux-ci devaient céder, un pistolet sur la tempe, alors, concrètement, dans les treize branches où l’on peut signer des accords d’entreprise dérogatoires sur la majoration des heures supplémentaires depuis dix ans, on en aurait des centaines, des milliers. Mais là encore, ce n’est pas le cas ; le nombre de tels accords est très restreint, et dans ces cas précis, les syndicats ont obtenu autre chose en échange, sans aucun dumping social dans les branches. Notre projet, je le répète, est un acte de confiance dans le dialogue social.

Venons-en maintenant aux différents sujets qui ont été abordés.

J’évoquerai tout d’abord la question des 35 heures.

J’ai bien compris, monsieur le rapporteur, vos arguments concernant le décret pour ne pas imposer de durée à titre supplétif. Sincèrement, la ficelle me paraît un peu grosse ! Vous souhaitez repousser la durée légale…

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. La durée de référence !

Mme Myriam El Khomri, ministre. … à 39 heures ou, peut-être, à 40 heures, sans négociation, sans contrepartie.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. C’est votre logique !

Mme Myriam El Khomri, ministre. Qui ne voit derrière ce projet de durée légale à la carte l’enterrement de l’idée même d’heures supplémentaires ? Qui n’y voit pas la marque d’une revanche près de vingt ans après les lois Aubry ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Je souhaite pour ma part que le principe de la durée légale de 35 heures soit inscrit dans la loi, dans l’ordre public. C’est une conquête sociale majeure ! Il ne faut pas revenir dessus.

Avec les 35 heures, nous avons créé près de 300 000 emplois,…

M. René-Paul Savary. Combien en ont-elles tué ?

Mme Myriam El Khomri, ministre. … nous avons aussi dynamisé la négociation d’entreprise,…

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Certains décideront peut-être de passer à 32 heures par accord ! (Sourires.)

Mme Myriam El Khomri, ministre. … nous avons amélioré les conditions de vie en dehors du travail.

Non, le Gouvernement n’a pas voulu revenir sur les 35 heures par la petite porte, avec les dispositions sur la modulation pluriannuelle. Soyons clairs : avec la modulation, qu’elle soit de trois semaines, de trois mois ou de trois ans, la durée légale reste à 35 heures. Simplement, c’est en moyenne sur la période de référence définie par l’accord que l’on décomptera les heures au-delà de 35 heures.

Pour aller au-delà d’une année, il faudra une autorisation par la branche. De plus, l’accord d’entreprise devra fixer une limite haute au-delà de laquelle les heures sont forcément décomptées comme des heures supplémentaires et payées avec le salaire du mois. Cette précision est essentielle eu égard au débat qui s’est engagé sur cette question.

J’entends aussi ceux, notamment au sein du groupe CRC, qui suggèrent de passer aux 32 heures. Je respecte ce débat qui existe à gauche sur l’opportunité d’une nouvelle réduction du temps de travail, mais, pour moi, les conditions de 1997 ne sont absolument pas réunies. Nous avions instauré la réduction du temps de travail contre des gains de productivité dans une période de forte croissance. La priorité est aujourd’hui de rétablir la compétitivité de nos entreprises et leur capacité à investir et à gagner de nouveaux marchés : c’est tout le sens de l’action engagée depuis 2012, avec le pacte de responsabilité et de solidarité. C’est pourquoi je suis totalement défavorable aux amendements qui tendent au passage à 32 heures.

Concernant le temps partiel, je le dis clairement : il n’est pas question de toucher à la durée minimale de 24 heures pour les salariés à temps partiel.

L’introduction d’une durée minimale de travail de 24 heures hebdomadaire a représenté une avancée sociale permise par la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi. Elle fait partie de l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, signé par la CFDT, la CFTC, la CGC et l’ensemble des organisations patronales. Cette durée minimale permet de lutter contre le temps partiel subi. Elle constitue une amélioration importante de la situation des salariés à temps partiel qui, à 80 %, sont des femmes. C’est une grande différence avec nombre de pays européens qui ont fait le choix massif du temps partiel : l’Allemagne, les Pays-Bas, la Grande-Bretagne. Si, aujourd’hui, le temps de travail moyen d’un salarié français est supérieur au temps de travail moyen d’un salarié allemand, c’est parce que l’on additionne la durée du temps de travail à temps plein avec celle du travail à temps partiel.

Je ne souhaite pas revenir sur cette avancée majeure. C’est pourquoi j’ai souhaité présenter un amendement qui vise à rétablir le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale. C’est aussi pourquoi je suis favorable à l’amendement du groupe socialiste et républicain qui tend à rétablir cette durée minimale.

Je souhaite maintenant apporter une précision très importante à ceux d’entre vous qui ont exprimé des craintes concernant les délais de prévenance, ou encore le taux de majoration des heures complémentaires.

Demain comme aujourd’hui, le délai de prévenance pour la modification des horaires des salariés à temps partiel pourra être fixé par accord collectif et devra nécessairement être supérieur à trois jours. En l’absence d’accord, ce délai sera de sept jours ; nous sommes donc à droit constant !