M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.

M. Hervé Maurey. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je m’exprimerai dans le temps de parole imparti à mon groupe politique, que je remercie de m’avoir désigné comme orateur. Toutefois, je le ferai, bien entendu, avant tout comme président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, en regrettant que les présidents de commission n’aient plus la possibilité de s’exprimer ès qualités dans la discussion générale.

Nous sommes enfin parvenus à la dernière étape de l’examen par le Sénat du projet de loi Biodiversité.

Cet examen a été un travail au long cours, puisque plus de deux ans se sont écoulés depuis que le texte a été adopté en conseil des ministres en mars 2014. Le Sénat a procédé à la première lecture du projet de loi il y a exactement un an en commission, en juillet 2015, mais l’inscription du texte à l’ordre du jour de la séance publique n’est intervenue qu’au mois de janvier dernier. Depuis lors, il y a eu une deuxième lecture par l’Assemblée nationale et le Sénat. Enfin, la commission mixte paritaire s’est réunie le 25 mai dernier.

Malheureusement, contrairement à la volonté clairement exprimée par les sénateurs de différents groupes de cette assemblée, un accord n’a pas été possible en commission mixte paritaire. Alors qu’il ne restait en discussion qu’une cinquantaine d’articles, nous avons très nettement senti une volonté des députés d’arriver à un échec et de le constater le plus rapidement possible.

Une fois passé l’effet de surprise provoqué par l’adoption du premier amendement, nous avons senti, dès l’examen du deuxième, qu’il était urgent de constater ce désaccord entre l’Assemblée nationale et le Sénat ! Nous en avons été surpris, car nombre de positions communes avaient été trouvées au cours de la navette et il ne nous semblait pas impossible de poursuivre cette recherche de compromis en commission mixte paritaire. En tout cas, nous y étions prêts.

Je rappellerai que, à l’issue de la première lecture par chaque assemblée, le texte comprenait 160 articles. Pour la commission mixte paritaire, nous n’étions plus saisis que de 58 articles. Tous les autres, soit plus d’une centaine, avaient été adoptés conformes par nos deux assemblées.

Après la nouvelle lecture, l’Assemblée nationale a encore adopté 15 articles dans les mêmes termes que les nôtres. Et, aujourd’hui, pour la nouvelle lecture au Sénat, seuls 18 articles ont été modifiés par des amendements en commission. Autrement dit, nous sommes d’accord sur près de 90 % des articles du projet de loi.

Vous voyez donc, mes chers collègues, que nous sommes bien loin des caricatures qui sont faites de notre travail, non seulement à l’Assemblée nationale, mais aussi sur certaines travées de cet hémicycle et, à mon grand regret, au sein même du Gouvernement. Ainsi, dans un entretien que vous avez accordé à un grand quotidien du soir, madame la secrétaire d’État, vous déclariez que nous avions « un train de retard, si ce n’est deux ou même trois »… C’était inexact et injuste.

Je me permettrai en effet de vous rappeler que c’est tout de même le Sénat qui a introduit la notion de « préjudice écologique » dans le code civil. Ce dispositif ambitieux et nécessaire ne figurait ni dans le projet de loi initial du Gouvernement ni dans le texte adopté par l’Assemblée nationale en première lecture.

Bien sûr, tout le monde veut s’approprier aujourd’hui cet apport du Sénat. Il est pourtant bien issu d’une proposition de loi de M. Bruno Retailleau, adoptée à l’unanimité par notre assemblée le 16 mai 2013. Le Gouvernement n’a jamais cru bon d’inscrire ce texte à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale ; Mme Taubira, à l’époque garde des sceaux, nous annonçait régulièrement un projet de loi sur le sujet, qui n’est jamais venu.

Autre initiative importante du Sénat, dont tout le monde se félicite aujourd’hui : la ratification du protocole de Nagoya, que nous devons à Jérôme Bignon.

D’autres équilibres ont encore été trouvés dans cet hémicycle sur des éléments clefs, tels que le rôle du Comité national de la biodiversité, l’organisation et les missions de l’Agence française pour la biodiversité, l’ancrage territorial de cette agence ou encore les nouveaux établissements publics de coopération environnementale.

Où en sommes-nous aujourd’hui ? Jérôme Bignon nous a rappelé le travail effectué par l’Assemblée nationale lors de cette nouvelle lecture. Je regrette comme lui que l’Assemblée ait cherché, de manière un peu trop systématique, à revenir au texte qu’elle avait adopté en deuxième lecture, sans prendre en compte les avancées ou les compromis votés par le Sénat.

Je pense, par exemple, à des mesures aussi importantes et novatrices que la compensation des atteintes à la biodiversité, les obligations réelles environnementales, les zones prioritaires pour la biodiversité ou encore les activités de recherche associées à l’exploitation de la zone économique exclusive.

À cet égard, la taxation de l’huile de palme représente un exemple tout à fait révélateur de l’attitude de l’Assemblée nationale. Lors de notre deuxième lecture de ce texte, Jérôme Bignon nous avait convaincus, par un argumentaire comme toujours extrêmement détaillé, qu’il existerait un réel risque de contentieux avec l’OMC si nous adoptions telle quelle cette taxation. Nous avions donc supprimé l’article correspondant.

Nos collègues députés ont bien entendu rétabli cet article en commission. Ce point avait d’ailleurs été identifié comme l’un des sujets de désaccord les plus durs pour la commission mixte paritaire : il était inimaginable de parvenir à un accord sur cet article.

Toutefois, lors de la nouvelle lecture en séance publique à l’Assemblée nationale, cette taxation a été de nouveau supprimée, sur l’initiative du Gouvernement, mais aussi de députés issus de différents groupes, et cela pour les raisons mêmes que Jérôme Bignon avait pointées ici. Il a été décidé par l’Assemblée nationale de renvoyer cette question à une réforme globale de la taxation des huiles. Une fois de plus, le Sénat a eu le tort d’avoir raison trop tôt !

Je regrette donc les prises de position très dogmatiques de la commission du développement durable de l’Assemblée nationale, qui se situent aux antipodes de l’état d’esprit avec lequel le Sénat a, depuis l’origine, abordé ce projet de loi.

Je voudrais à ce propos rappeler les trois priorités qui nous ont guidées dans l’examen de ce texte.

La première était de ne pas séparer la préservation de la biodiversité de la prise en compte de la réalité économique et, par là même, de ses acteurs, qu’ils soient agriculteurs, chasseurs ou encore gestionnaires d’espaces naturels. Nous avons voulu faire preuve de pragmatisme et tenir compte de la réalité du terrain, aspect qui manquait considérablement dans le texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.

Notre deuxième priorité était un souci permanent de simplification. Chaque fois que cela était possible, nous avons voulu alléger les procédures, en rendant plus souples et plus lisibles les dispositifs proposés par le texte.

Notre troisième priorité était de faire confiance aux acteurs et, singulièrement, aux acteurs de terrain.

Nous n’avons à aucun moment, madame la secrétaire d'État, remis en question l’ambition portée par le projet de loi. J’en veux pour preuve le compromis trouvé en commission sur le sujet, ô combien délicat, des néonicotinoïdes. Là aussi, nos positions ont été particulièrement caricaturées par la presse et les réseaux sociaux, qui n’ont pas hésité à considérer que nous étions des réactionnaires, des ringards et, bien sûr, des tueurs d’abeilles.

Nous avons choisi de faire confiance à l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail : nous lui avons demandé de présenter régulièrement un bilan des risques et avantages des produits concernés, ainsi que d’évaluer les méthodes et produits de substitution. En contrepartie, nous avons clairement inscrit dans le texte une perspective d’interdiction de ces produits, afin que tous les acteurs concernés puissent s’y préparer. C’était une solution sage et responsable, à l’image de notre travail. Nous souhaitons qu’elle puisse être conservée dans le texte final de cette loi.

Avant de conclure, je voudrais une nouvelle fois saluer le travail et l’engagement du rapporteur Jérôme Bignon. Je voudrais également remercier chacun des membres de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, qui ont contribué à enrichir le texte que nous examinons aujourd’hui. La qualité de ce texte leur doit beaucoup.

Je suis persuadé que, tout au long de la navette, le Sénat a vraiment joué son rôle sur ce projet de loi. Aussi aimerais-je, madame la secrétaire d'État, que soit reconnue cette volonté très claire des sénateurs de chercher à préserver, de manière pragmatique et équilibrée, le patrimoine naturel inestimable de notre pays.

Pour toutes ces raisons, le groupe UDI-UC votera, dans sa très grande majorité, en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Évelyne Didier.

Mme Évelyne Didier. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, nous entamons aujourd’hui la nouvelle lecture du projet de loi relatif à la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

Après l’échec, somme toute prévisible, monsieur le rapporteur, de la commission mixte paritaire, la procédure législative veut que l’Assemblée nationale, à la suite de nos travaux, reprenne le texte issu de sa nouvelle lecture du projet de loi, en intégrant, si elle le souhaite, les amendements adoptés par le Sénat en commission ou en séance publique.

C’est la raison pour laquelle le groupe CRC n’a déposé que quelques amendements en commission et un seul en séance publique. Malheureusement, j’ai appris aujourd’hui que cet amendement avait été jugé irrecevable au titre de la règle dite « de l’entonnoir ». Dont acte.

Revenir en arrière et faire un débat de première lecture n’avait aucune utilité. En effet, nous avons largement exposé nos positions lors de la première et de la deuxième lecture. Le texte adopté par l’Assemblée nationale en deuxième lecture nous convient et nous espérons son adoption définitive.

Je tiens à remercier les membres du Gouvernement en charge de ce dossier, Mmes Ségolène Royal et Barbara Pompili, leurs collaborateurs, ainsi que les deux rapporteurs du Sénat et de l’Assemblée nationale, qui, attachés à un travail de fond, ont choisi d’être attentifs à toutes les propositions. Il est important de le préciser, car ce n’est pas toujours le cas.

Cette attitude a permis, au fil des débats, des évolutions dans l’appréciation des sujets et des convergences constructives. Du fait de ce travail positif, je dois reconnaître avoir eu bien du plaisir à travailler sur ce texte, qui aborde des sujets éminemment importants et particulièrement intéressants.

En premier lieu, l’inscription dans le code civil par le Sénat, en première lecture, du principe de réparation des atteintes à l’environnement représente une avancée importante. Il faudra veiller à son effectivité au travers du contenu de la notion même de préjudice écologique et de l’étendue de l’intérêt à agir.

Nous saluons également l’adoption, en commission, de l’un de nos amendements – M. Ronan Dantec était à nos côtés sur ce point – tendant à reconnaître la prise en compte des données des associations nationales de protection de l’environnement dans l’élaboration des plans nationaux d’action pour les espèces protégées et les insectes pollinisateurs.

Ensuite, la commission du développement durable, avec notre soutien, a logiquement supprimé l’article 7 ter A, qui demandait au Gouvernement un rapport sur l’opportunité de transférer aux régions la compétence départementale « espaces naturels sensibles ». La gestion de proximité et l’expérience des départements ont ainsi été confirmées au service de la préservation de la biodiversité. Par ailleurs, il faut bien souligner que les régions sont aujourd’hui en cours de réorganisation complète. Elles ont donc bien d’autres sujets à traiter en urgence ! Peut-être faudra-t-il envisager ce transfert un jour, mais pas maintenant.

Par ailleurs, je relève que les avancées concernant la non-brevetabilité du vivant n’ont pas été remises en cause par notre commission. Une disposition en particulier, issue de l’un de nos amendements, qui a été définitivement adopté, inscrit dans la loi l’interdiction de breveter les produits issus de procédés essentiellement biologiques, ainsi que les parties et les composantes génétiques de ces produits.

Il est également nécessaire de mieux encadrer – c’est l’objet de l’article 4 ter – la protection conférée par un brevet relatif à un produit contenant une information génétique ou consistant en une information génétique, ainsi que la protection conférée par un brevet relatif à une matière biologique dotée, du fait de l’invention, de propriétés déterminées. J’espère que les débats et les échanges successifs sur cette question auront convaincu les plus réticents.

Pour finir sur ce volet positif, la défense des fonds marins a progressé. Au-delà de l’interdiction du chalutage en dessous de 800 mètres de profondeur, que nous avions soutenue et qui est désormais actée par l’Europe, ce qui fait vraiment plaisir,…

Mme Barbara Pompili, secrétaire d'État. Tout à fait !

Mme Évelyne Didier. … le projet de loi a pris en compte le problème de la pollution marine, notamment par les matières plastiques. Les océans n’ont donc pas été oubliés par ce texte.

C’est fondamental, car, là encore, il y a urgence. Des chercheurs de l’université d’Aberdeen, au Royaume-Uni, ont détecté des polluants d’origine humaine dans des fosses de l’océan indopacifique, à plus de 10 kilomètres de profondeur. Il s’agit notamment de polychlorobiphényles, ou PCB, composés industriels cancérigènes qui servaient à fabriquer du plastique et qui ont été interdits dans de nombreux pays depuis la fin des années 1970. À l’évidence, la Terre conserve tout !

Comme vous le savez, mes chers collègues, en l’état actuel des technologies disponibles, nous ne sommes pas capables de récupérer les déchets plastiques qui s’amoncellent, notamment sous forme de microparticules, dans les mers et les océans.

C’est pourquoi j’ai défendu des amendements visant à agir en amont et à réduire les déchets à la source par l’interdiction des tiges plastiques des cotons-tiges, de produits d’hygiène, de soin et de cosmétique, ainsi que de détergents comportant des particules plastiques solides, y compris biodégradables. De nombreux pays dans le monde prennent des mesures dans ce sens. S’arc-bouter sur ce qui se fait, c’est polluer irrémédiablement les océans et empêcher nos entreprises d’être à la pointe du progrès !

Malgré tous ces éléments, le groupe CRC a voté en commission contre le projet de loi. En effet, sur un certain nombre de sujets d’importance, nous n’avons réussi ni à réduire les difficultés ni à gommer les divergences.

Ainsi, la commission a affaibli de manière regrettable le dispositif de l’article 2. Le principe d’action préventive concerne désormais les seules atteintes « significatives » à la biodiversité. Ce principe – nous en convenons avec vous, monsieur le rapporteur – n’est pas très précis ; tel est le cas des grands principes que le législateur acte et qui sont ensuite définis par la jurisprudence. Avec l’ajout de cet adjectif, on s’expose à des atteintes à la biodiversité causées par une méconnaissance des écosystèmes.

En outre, l’objectif d’absence de perte nette de biodiversité, voire de gain de biodiversité, que doit viser le principe d’action préventive a été supprimé au motif de l’incertitude juridique qu’il entraînerait. Il y a effectivement là une difficulté à quantifier ; pour autant, laissons, là encore, la jurisprudence s’établir et conservons cet objectif. Sinon, on risque de ne pas considérer la perte de biodiversité comme un problème.

La définition du principe de non-régression a elle aussi été supprimée, pour les mêmes motifs. Ce n’est pas une bonne chose, car ce principe permet d’introduire dans la loi l’idée selon laquelle trop de biodiversité se perd, un phénomène qui doit être enrayé. Certes, ces principes sont nouveaux, mais le principe de précaution l’a été avant eux. Ce n’est pas une raison suffisante pour ne pas les poser solennellement dans la loi.

Enfin, l’interdiction des néonicotinoïdes a suscité de vives émotions, mais il y a des avancées dans les esprits. Selon nous, il n’y a pas de solution acceptable et efficace hormis la généralisation de l’interdiction de ces produits dans un délai proche. Nous avions demandé qu’elle soit effective en 2017, mais nous nous rallierons à la date du 1er septembre 2018. Il faut que ce dossier avance, car ces insecticides sont délétères en raison de leurs effets dits « cocktails », de leur rémanence et de leur très grande toxicité.

Les dérogations qui ont été instaurées ne sauraient devenir la règle, et la règle, l’exception. Les solutions de substitution sont déjà expérimentées à travers des pratiques agronomiques intelligentes. Nous pensons que les solutions doivent venir des agriculteurs et non pas de l’industrie chimique, qui ne manque jamais d’ingéniosité pour remplacer, à chaque interdiction, les produits dangereux par de nouvelles molécules plus puissantes et plus nocives.

Dans l’ensemble, nous sommes favorables au texte adopté par l’Assemblée nationale, même si certaines mesures restent en deçà de nos espérances. Une chose est pourtant sûre : personne ne pourra plus considérer la perte de biodiversité comme quelque chose d’anodin. Au fond, notre préférence constante pour le préventif, plutôt que pour le curatif, qui vise à ne pas dégrader pour éviter l’ensemble des coûts de la réparation, trouve un écho dans ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Delphine Bataille applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.

Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, avec cette nouvelle lecture, nous arrivons au terme de l’examen au Sénat du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

Malgré un long travail de maturation – le parcours législatif de ce texte a débuté au printemps 2014 à l’Assemblée nationale –, nous ne sommes pas parvenus à déboucher sur un texte de consensus entre les deux assemblées, hélas.

Il est pourtant possible de trouver de nombreux motifs de satisfaction dans ce projet de loi, aujourd’hui sur le point d’être définitivement adopté, qui a été enrichi de nombreuses dispositions judicieuses au cours de la navette parlementaire.

Nous savons tous que, quarante ans après la loi de 1976, relative à la protection de la nature, il était indispensable de rafraîchir le corpus juridique du droit de l’environnement. En effet, ni l’environnement ni la biodiversité ne sont des notions à la mode : il s’agit bien de réalités, que nous devons prendre en compte de manière pérenne pour nous et notre présent, pour nos enfants et leur avenir, ainsi que pour les générations futures. Un cours d’eau qui est pollué l’est en effet souvent de manière irréversible ; une terre artificialisée ne retrouve plus son état naturel ; une espèce disparue ne réapparaîtra plus.

Cette destruction est déjà allée trop loin : la communauté scientifique évoque une sixième extinction de masse et estime que la moitié des espèces vivantes connues pourrait avoir disparu dans un siècle. En trente ans, quelque 420 millions d’oiseaux ont déjà disparu ; pratiquement chaque année, depuis le début des années 2000, un nouveau record de températures sur l’ensemble du globe est franchi.

Non seulement notre modèle de développement économique et industriel détruit chaque jour davantage notre planète, de manière irréversible, mais il nous coûte de surcroît très cher. Lorsqu’une activité est envisagée du point de vue économique, la norme est de ne considérer que les coûts directs supportés par les entrepreneurs privés, en comparaison avec les revenus qu’ils en tirent ; les externalités négatives sont quant à elles systématiquement écartées.

C’est pourtant la société qui partage les coûts induits de la pollution de l’eau, de l’air et des sols, des émissions de gaz à effet de serre, ainsi que des atteintes multiples à la biodiversité causées par l’agriculture intensive, la surexploitation des ressources halieutiques ou forestières ou encore la production d’énergie carbonée. Ces coûts induits vont des travaux de dépollution aux dépenses de santé, en passant par la dégradation consécutive de l’attractivité de nos territoires.

Il faut à cet égard saluer la reconnaissance du préjudice écologique, introduite par le Sénat grâce à un travail conjoint des commissions du développement durable et des lois, en particulier de leurs rapporteurs Jérôme Bignon et Alain Anziani. Le préjudice écologique subi par l’environnement, en tant que bien commun, ne pouvait demeurer absent de notre droit : il fallait consacrer la nécessité de réparer l’atteinte directe ou indirecte portée à l’environnement, justifiant ce faisant l’allocation des indemnités propres à réparer ce préjudice.

De même, bien qu’elle ait pu être éclipsée ces derniers mois par d’autres points du texte, l’institution de l’Agence française de la biodiversité, ou AFB, dotera la France d’un outil complet, efficient et facilement identifiable en matière de protection de la biodiversité terrestre et marine, de l’eau et des milieux aquatiques. Ce sera une agence à la hauteur des enjeux et des engagements européens et internationaux de la France.

Le renouvellement des définitions et du vocabulaire de la biodiversité, sur lesquelles s’appuiera l’AFB comme le code de l’environnement, assure l’intégration des connaissances et des évolutions sociétales sur le sujet. Ainsi, on garantira une vision plus dynamique et complète rassemblant l’ensemble des êtres vivants en tant que tels et les capacités d’évolution des écosystèmes.

L’actualisation des principes gouvernant la gestion de la biodiversité permet de préciser le principe d’action préventive par le triptyque « éviter, réduire, compenser » ou « ERC ». Les députés ont mis l’accent sur les fonctions et les services rendus pas la biodiversité et ont par conséquent précisé que cette séquence avait pour objectif l’absence de perte nette, voire l’obtention d’un gain de biodiversité. Ce point fait partie de ceux sur lesquels les divergences entre le Sénat et l’Assemblée nationale ont été vives.

Soutenant sur ce point nos collègues députés, nous jugeons cette précision importante, car elle implique une compensation intégrale de la biodiversité détruite, conformément à l’objectif même du présent projet de loi. Le mécanisme des obligations réelles de compensation écologiques constitue lui aussi un outil nouveau et novateur, qui sera utile pour la reconquête réelle de la biodiversité.

Je salue enfin le travail riche et important qui a été mené sur l’épineuse question des néonicotinoïdes. Quel parcours a été effectué depuis le début de l’examen du texte ! Je me réjouis en tout cas de l’adoption, la semaine dernière, en commission, de l’amendement que nous proposions sur le sujet.

Permettez-moi à cet égard, au vu de l’attention suscitée, d’éclaircir quelque peu la disposition adoptée. Je ne reviendrai pas sur son architecture, que nous connaissons tous maintenant et qui reprend la rédaction qui avait été adoptée ici en deuxième lecture, mais je tenais à aborder deux points spécifiques avec vous.

En premier lieu, si la rédaction retenue par les députés en nouvelle lecture peut paraître à première vue similaire à celle de notre amendement, elle ne l’est clairement pas, tout particulièrement dans sa mise en œuvre. En effet, les députés ont fait le choix d’interdire les néonicotinoïdes au 1er septembre 2018 tout en permettant la mise en place d’une période de dérogation jusqu’au 1er juillet 2020, par arrêté conjoint des ministres chargés de l’agriculture, de l’environnement et de la santé, sur la base d’un bilan effectué par l’ANSES. La logique de ce dispositif est donc inverse à la nôtre.

Nous savons tous qu’un tel arrêté ne sera jamais signé par ces trois ministres, qui représentent des secteurs différents et sont par là même soumis à des pressions spécifiques. Nous-mêmes, parlementaires, avons subi lors des différentes lectures de ce texte une pression sociale et sociétale sur la question des néonicotinoïdes, parfois même au détriment du bon sens.

Ce serait donc mentir que d’affirmer que, demain, des ministres de l’agriculture, de la santé ou de l’environnement, qu’ils soient de droite ou de gauche, d’ailleurs, se réuniront pour signer de tels arrêtés. La pression sera trop forte et personne ne prendra cette responsabilité, au risque de se voir intenter des procès d’intention.

De ce fait, les députés ont bien fait le choix d’une interdiction pure de ces produits au 1er septembre 2018. Cela comporte des risques : impasses techniques pour certaines filières, utilisation de produits de substitution plus dangereux et en plus grande quantité, et donc impacts négatifs sur l’environnement et les agriculteurs.

En second lieu, on a entendu l’argument selon lequel il serait impossible légalement de confier à l’ANSES, comme nous le proposons, le pouvoir d’interdire certains usages.

Je tiens à préciser très clairement les choses : cette information est fausse. L’ANSES est tout à fait compétente pour interdire certains usages, conformément au règlement européen en vigueur et à la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 14 octobre 2014. Il semble d’ailleurs tout à fait logique de donner à une agence scientifique, et non pas au pouvoir exécutif, la possibilité d’interdire ou d’autoriser des usages.

Toutefois, si cela peut apaiser certaines craintes, je précise bien que, conformément à la loi d’avenir agricole, l’autorité administrative a toujours le pouvoir d’interdire ou de restreindre l’utilisation des produits phytopharmaceutiques bénéficiant d’une autorisation de mise sur le marché, lorsque l’intérêt de la santé publique ou de l’environnement est en jeu. Nous ne retirons donc aucun pouvoir au ministre de l’agriculture ; nous précisons seulement qu’il revient à une agence scientifique de prendre des décisions se fondant sur des études scientifiques.

J’espère que cette position, que nous croyons intelligente et pragmatique et que nous avons défendue depuis le début des débats, sera retenue dans le texte que nous adopterons. Il reviendra ensuite aux députés d’assumer les responsabilités qui leur sont conférées par la Constitution.

Considérant avoir pu clairement exprimer ses diverses positions au cours des précédents examens en séance comme en commission, et ayant eu la satisfaction de voir une part significative d’entre elles reprises dans le texte, le groupe socialiste et républicain a finalement décidé de ne pas déposer de nouveaux amendements lors de cette nouvelle lecture. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)