M. Yannick Vaugrenard. Je le confirme !

Mme Évelyne Didier. Pour autant, nous savons combien les belles intentions ne suffisent pas. Nous savons comment les entreprises tentent d’échapper à leurs responsabilités.

C’est la raison pour laquelle nous jugeons cette proposition de loi totalement insuffisante. Nous voterons donc contre ce texte qui, s’il reste en l’état, ne peut pas nous satisfaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.

M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes aujourd’hui réunis pour la deuxième lecture de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. Peut-être aurait-on plutôt dû, par souci de vérité, la baptiser « proposition de loi pour la responsabilité sociale et environnementale des multinationales » ou encore « proposition de loi contre les excès et les travers de la mondialisation ». Car c’est bien de cela qu’il s’agit.

Les enjeux sont globalement les mêmes qu’en première lecture : le contrôle par les grandes entreprises de leur chaîne de sous-traitance à l’étranger, la prise en compte des risques sociaux, sanitaires, humains et environnementaux, la possibilité ou non de prendre des mesures de sanction contre les entreprises non vertueuses. J’avais mentionné en première lecture l’importance des principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, mais aussi l’importance des principes de l’OCDE de 1976 et de la déclaration tripartite de l’Organisation internationale du travail de 1977, qui définissent les règles applicables au niveau mondial.

Souvenons-nous également qu’il existe en France la jurisprudence dite Erika, qui reconnaît la compétence des juridictions françaises à l’égard des faits survenus en dehors du territoire français et sanctionne la négligence des sociétés mères.

La proposition de loi avait été nettement rejetée par la majorité sénatoriale l’an dernier. Toutefois, le contexte législatif a évolué depuis, avec la mise à l’ordre du jour de la directive européenne relative à la publication par les entreprises d’informations non financières. Sa transposition dans le droit français était d’ailleurs initialement prévue à l’article 62 du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, toujours en cours d’examen par notre assemblée.

La majorité sénatoriale a décidé de supprimer cet article du projet de loi et, en lieu et place, de faire de la présente proposition de loi le véhicule de cette transposition. Dont acte. Cependant, l’Assemblée nationale ne rétablira-t-elle pas les versions initiales de ces deux textes ?

Quoi qu’il en soit, dans sa philosophie, la proposition de loi est sensiblement différente de la version présentée en première lecture. Je n’irais pas jusqu’à dire, comme l’a fait le rapporteur, que la version des députés serait en contradiction avec la directive. Toutefois, force est de constater que sa dimension contraignante a été remplacée par une logique d’incitation que l’on peut qualifier de plus libérale.

Alors que la proposition de loi initiale rendait obligatoire la mise en œuvre d’un plan de vigilance comportant des mesures propres à identifier et à prévenir les dommages corporels ou environnementaux graves, ainsi que les risques sanitaires, la présente version demande aux grandes entreprises de mettre en œuvre des procédures dites de vigilance raisonnée seulement « lorsque cela s’avère pertinent et proportionné ». Cette rédaction laisse, on le voit, bien plus de marges d’appréciation !

La commission des lois a également supprimé la disposition sur l’amende civile.

Je n’ai pas le temps de m’étendre trop longuement sur les subtilités de ces débats techniques. Néanmoins, au-delà des deux logiques distinctes, l’une plus coercitive, l’autre plus libérale, je souhaite relativiser la portée de cette proposition de loi, quelle que soit sa version finale.

En effet, elle crée une obligation de moyens, monsieur le ministre, mais non de résultat. Les mesures de vigilance raisonnable permettent de couvrir la responsabilité juridique des entreprises, mais ce n’est pas une garantie absolue contre le risque de nouveaux drames. Cela passe bien davantage par la prévention des risques et la promotion des droits des travailleurs dans les pays en développement, ainsi que par l’élaboration de droits du travail dignes de ce nom.

Enfin, si des catastrophes comme l’effondrement du Rana Plaza, ou encore le travail des enfants et la pollution de l’environnement, suscitent une indignation légitime, nous devons sans doute réfléchir à deux fois avant d’adopter des lois d’émotion, qui s’avèrent le plus souvent n’être que des textes d’affichage à portée malheureusement limitée.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Exactement !

M. Yvon Collin. Le groupe du RDSE, conscient des arguments avancés par les uns et les autres, reste bien évidemment attaché aux principes d’égalité et de responsabilité. Mais, réservée comme en première lecture sur la portée réelle de cette proposition de loi, une majorité des membres du RDSE devrait s’abstenir. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier.

Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous réexaminons en deuxième lecture une proposition de loi qui aborde des enjeux sensibles parce qu’elle concerne l’humain, parce qu’elle nous rappelle des drames et parce qu’elle a vocation à faire cesser des pratiques indignes qui ignorent ou bafouent les droits de l’homme et mettent en péril nos écosystèmes. Nous avons le devoir de tout faire pour que l’irréparable ne se reproduise pas.

L’examen de ce texte est attendu par les ONG et par nos concitoyens qui prennent chaque jour davantage conscience des réalités économiques, sociales et environnementales de la mondialisation. Il est également attendu par les consommateurs qui, face à la globalisation des chaînes de production, réalisent qu’ils ont aussi un pouvoir : celui de choisir de porter un tee-shirt qui ne soit pas issu de l’esclavage d’un autre être humain.

En toute responsabilité, le texte proposé par la commission s’inscrit dans la philosophie de la directive européenne d’octobre 2014. Il s’agit de renforcer la contribution des grandes entreprises françaises à l’amélioration des normes sociales et environnementales, au respect des droits de l’homme et à la prévention de la corruption dans le monde, sans pour autant faire porter exclusivement sur les entreprises françaises des contraintes et des sanctions qui, pour être efficaces, doivent s’imposer à l’ensemble des grandes multinationales.

Nous étions en désaccord avec le texte initial qui aurait pénalisé les seules entreprises françaises, fragilisant encore la situation économique et sociale de notre pays. Ce texte aurait certes pu satisfaire notre orgueil national en nous instituant comme les fers de lance de la lutte pour la responsabilité sociale des entreprises, mais il n’aurait en définitive été appliqué qu’aux multinationales françaises et donc n’aurait pas changé la situation dramatique des millions de travailleurs exploités à travers le monde. La France doit avoir une autre ambition !

Nous l’avions souligné en première lecture, faire évoluer les pratiques de manière efficace et sensible sur le terrain passe bien davantage par la mise en œuvre de dispositifs contraignants à l’échelle européenne et internationale que par un durcissement unilatéral de la législation française, déjà parmi les plus exigeantes en la matière.

Aujourd’hui, avec ce texte, vous nous proposez, monsieur le rapporteur, de franchir une étape essentielle : celle qui consiste à transposer la directive européenne du 22 octobre 2014 dont le délai de transposition expire au 6 décembre 2016.

On peut s’interroger, monsieur le ministre : pourquoi votre gouvernement, si favorable à la prise en compte de ce sujet, a-t-il tant tardé à proposer au Parlement la transposition de cette directive ? C’est seulement dans le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté que l’on a vu apparaître un certain nombre de propositions. Un sujet aussi grave n’aurait-il pas mérité autre chose qu’un article isolé dans une loi volumineuse ? C’est fort heureusement ce dont le Sénat a convenu.

L’objectif de cette directive pourrait se résumer de la sorte : permettre la photographie complète des politiques mises en œuvre par les entreprises en matière d’informations non financières, de leurs résultats et de leurs risques.

Le rapport de gestion des entreprises devra donc inclure une « déclaration non financière » présentant des informations liées aux incidences de leurs activités en matière environnementale, sociale, de personnel, de respect des droits de l’homme et de lutte contre la corruption.

Il devra également inclure la description des politiques appliquées par l’entreprise et les procédures de diligence raisonnable qu’elle pense mettre en œuvre, la présentation des résultats, une analyse des risques principaux et des indicateurs de performance de nature non financière.

Bien que votre texte, monsieur le rapporteur, ne prévoie pas de mécanisme de sanction ou de régime juridique de responsabilité, l’article 1er tel qu’il est proposé déploie un mécanisme d’injonction de faire sous astreinte inspiré du droit des sociétés, en cas de manquement aux obligations de publicité.

Ainsi, dans les cas où le rapport serait incomplet, toute personne intéressée pourrait demander au président du tribunal statuant en référé d’enjoindre sous astreinte à la société de communiquer ces informations.

À l’heure où l’on observe une mobilisation citoyenne puissante, où la pression des ONG et des médias peut menacer l’image de marque d’une entreprise et entraîner de lourdes répercussions économiques, cette mesure paraît suffisamment dissuasive.

Il convient, enfin, de s’interroger sur le champ d’application de ce dispositif quelque peu transformé par la commission. Sont concernés les sociétés cotées, les établissements de crédit, d’assurance, les institutions de prévoyance et les mutuelles, dès lors qu’ils dépasseraient les seuils de chiffre d’affaires net de 40 millions d’euros, de total de bilan de 20 millions d’euros et compteraient plus de 500 salariés, soit une définition plus large que celle du texte initial, qui plaçait le curseur à 5 000 salariés.

Adopter votre texte, monsieur le rapporteur, c’est enclencher une démarche incitative réaliste reposant sur la transparence. Cette adoption ferait de la France le premier des pays fondateurs de l’Union européenne à transposer la directive du 22 octobre 2014. À ma connaissance, à ce jour, seuls six pays de l’Europe de l’Est l’ont transposée.

Un des arguments récurrents de nos collègues de l’Assemblée nationale consiste à dire que la France doit montrer l’exemple à ses voisins. Eh bien, montrons-le en étant une des premières puissances européennes à transposer la directive ! Encourageons nos voisins européens, pays sièges de grandes multinationales, à s’engager résolument dans la défense des droits de l’homme et du bien commun.

La responsabilité sociale des entreprises repose aujourd’hui sur un fondement : les entreprises ne sont pas que des acteurs économiques ; elles incarnent aussi les valeurs humaines et les principes fondamentaux de nos sociétés. Cela les place face à leurs responsabilités citoyennes.

Cependant, au-delà du principe de moralité, il y a un enjeu commercial dont un certain nombre de multinationales commencent à prendre conscience, car la responsabilité sociale des entreprises peut devenir un atout stratégique, un levier de croissance et de compétitivité. Viser une performance globale, à la fois économique, sociale, sociétale et environnementale, et maîtriser les risques sont autant de choix qui singularisent et peuvent conforter l’entreprise.

La transposition de la directive européenne qui nous est ici proposée répond à cet objectif de performance globale et s’inscrit dans une démarche réaliste et vertueuse.

Il y a quelque chose de réconfortant et d’encourageant à penser que des enjeux humanistes et économiques peuvent parfois converger. Mais nous sommes lucides. Seule une prise de conscience internationale permettra d’apporter de réelles solutions à la situation et au quotidien des travailleurs exploités à travers le monde !

Enclencher une dynamique européenne constitue une première étape essentielle, mais elle n’est en aucun cas suffisante. Elle doit être précisée, ce que nous proposerons au travers d’un certain nombre d’amendements.

En tout état de cause, le groupe UDI-UC votera dans sa majorité l’adoption du texte dans la rédaction issue des travaux de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, certains ont souligné que les enjeux humanistes et économiques pourraient un jour converger : ils doivent converger ! Il est temps d’en finir avec la frilosité !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Mettez un pull ! (Sourires.)

M. Joël Labbé. Ne cherchez pas à me déstabiliser, monsieur le président !

Je remercie le Gouvernement d’avoir repris le texte initial et de le soumettre de nouveau au débat. L’enjeu est fort, puisqu’il s’inscrit à l’échelle humaine et planétaire.

La commission des lois, qui avait rejeté ce texte en première lecture, a adopté cette fois une approche plus constructive, que je salue. Néanmoins, cela ne nous satisfait pas.

Comme l’ensemble des textes que nous étudions, il est nécessairement technique et juridiquement complexe. Aussi, en préalable, permettez-moi de sortir du contexte du texte lui-même et de rappeler quelle est sa raison d’être ainsi que son sens, deux points qui devraient éclairer nos réflexions et nos travaux.

On le sait maintenant, beaucoup de produits vendus sur nos étals et dans nos magasins, y compris dans nos magasins de luxe, sont fabriqués dans des pays où la main-d’œuvre, particulièrement mal rémunérée, est exploitée dans des conditions humainement inacceptables, au mépris de l’ensemble des règles internationales et des droits humains les plus fondamentaux.

Le drame du Rana Plaza a mis en lumière les trop nombreux exemples de violations des droits humains et de catastrophes environnementales liés aux activités d’entreprises multinationales. Il a posé la question de la responsabilité, cette responsabilité qui nous préoccupe aujourd’hui en séance.

Avant d’en venir au texte, j’évoquerai un exemple très parlant aux yeux du grand public, témoignant de cette logique infernale qui guide de puissants groupes affichant partout la splendeur de leurs marques.

Prenons le cas de Nike. Certes, il s’agit d’une entreprise américaine, mais elle détient également une filiale française : nous sommes donc concernés ! Nike : super sponsor de notre super équipe de France de football ! Les maillots de l’équipe de France se vendent bien en ce moment et sont portés dans la rue avec fierté, par des enfants, par des jeunes et même par des moins jeunes, supporters de nos couleurs. Les maillots de qualité sont vendus en moyenne 85 euros. L’achat à la production, qui se fait dans le sud-est asiatique, est de l’ordre de 6 euros l’unité. Quant à l’ouvrier, celui qui réalise le produit, il ne touche que 65 centimes d’euros par maillot !

Les grandes marques comme Nike, Adidas ou Puma, si elles ont édicté des codes de conduite, restent très loin de ce qu’elles pourraient et de ce qu’elles devraient faire. Elles respectent une logique de pur business : au-delà de leur discours affiché de marques responsables, elles s’inscrivent plus que jamais dans une dynamique financière et privilégient toujours plus les dépenses de marketing. De fait, elles maintiennent une pression toujours plus forte sur leurs prix d’achat et sur les délais de fabrication.

C’est pourquoi les marques quittent maintenant la Chine, où la rémunération des salariés s’est améliorée, pour s’installer dans des pays voisins. Le collectif Éthique sur l’étiquette a fait mener une étude comparative sur les pays concernés : au Vietnam, le salaire moyen ouvrier est de 33 % inférieur au salaire vital, au Cambodge de 45 %, en Inde et en Indonésie de 50 %. Le salaire vital pour une famille avec deux enfants permet, je le rappelle, de couvrir les frais de logement, d’alimentation, d’éducation et de santé. Si l’on ne fait rien, ces puissantes multinationales ont encore de beaux jours de business devant elles, au détriment des droits humains fondamentaux !

Le texte initial de l’Assemblée nationale, réintroduit en deuxième lecture, a cette fois été pris en considération par la commission des lois, mais celle-ci n’a pas manqué d’en amoindrir considérablement la portée.

Ce texte n’est pourtant pas si ambitieux, il vise simplement à imposer aux grandes entreprises multinationales l’élaboration d’un plan de vigilance valable pour l’ensemble de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs afin de prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement.

Il s’agit donc d’une obligation de moyens et non de résultat. De plus, ce sont les entreprises elles-mêmes qui définiront leur plan de vigilance.

La responsabilisation des entreprises est une nécessité. D’ailleurs, la France n’est pas seule à évoluer sur le sujet ; les Suisses ont lancé une « initiative populaire » ; l’Allemagne et le Royaume-Uni expérimentent déjà des mécanismes de responsabilisation afin de prévenir les atteintes aux droits humains. Au niveau international, la réflexion continue également de progresser sur ce sujet.

Je souhaite illustrer ce que permettrait un plan de vigilance en faisant le lien avec les travaux récents du Sénat. Un tel plan obligerait, par exemple, les opérateurs de téléphonie mobile à s’assurer du bon devenir des téléphones usagés repris.

C’est une suggestion du récent rapport de la mission d’information du Sénat sur l’inventaire et le devenir des matériaux et composants des téléphones mobiles, présidée par Jean-François Longeot et dont le rapporteur était Marie-Christine Blandin. Au lieu de fermer les yeux sur des exportations de téléphones usagés mélangeant occasions et déchets, cela favoriserait l’emploi ainsi que des filières environnementalement et socialement correctes.

Nous vous proposerons deux amendements : le premier visant à rétablir les seuils, le deuxième tendant à rétablir le nécessaire mécanisme de responsabilité en cas de défaut de devoir de vigilance.

Si le texte devait demeurer dans sa rédaction actuelle, nous ne pourrions que nous abstenir. J’espère donc que les divers amendements de retour au texte initial seront adoptés. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à M. Didier Marie.

M. Didier Marie. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous voilà enfin réunis pour l’examen en deuxième lecture de cette proposition de loi.

Je tenais, en introduction, à remercier le Gouvernement pour l’inscription tant attendue de ce texte à l’ordre du jour, car il est important que nous puissions l’adopter définitivement au plus vite. Je salue également le travail de nos collègues députés, Dominique Potier bien évidemment, mais aussi les membres des quatre groupes ayant soutenu cette initiative.

Il importe d’adopter définitivement ce texte au plus vite, car en permanence, dans de nombreux pays du monde, se produisent des drames qui, sans avoir l’ampleur malheureuse et la portée médiatique de l’effondrement du Rana Plaza, sont, pour chacun d’entre eux, une catastrophe humaine ou environnementale. Certaines situations défraient la chronique, comme les révélations sur le travail forcé pour la construction des stades au Qatar en vue de la prochaine Coupe du monde de football ou sur les sous-traitants ougandais d’un grand cimentier français qui feraient exploiter des mines par des enfants.

D’autres pratiques sont régulièrement révélées comme, récemment, la corruption généralisée impliquant des entreprises européennes extrayant le talc des mines d’Afghanistan et permettant de financer les talibans et l’État islamique. Cette semaine encore, au lendemain du salon de l’automobile, la presse s’est fait l’écho de doutes sur le recours au travail d’enfants pour la fabrication de composants de voitures électriques.

Plus incidemment, c’est dans nos smartphones, nos produits ménagers, nos vêtements, nos aliments, que se dissimulent des conditions de travail inhumaines, sans hygiène, sans sécurité. Des personnes travaillent douze heures par jour, six jours sur sept, pour des salaires de misère, sans protection sociale. Souvent, ces travailleurs sont victimes de brimades. Sans parler d’un pays comme le Bangladesh où, un jour sur deux, une femme travaillant dans l’industrie textile décède !

La plupart de ces personnes ne savent pas ce qu’est un contrat de travail. Certaines d’entre elles sont même des travailleurs forcés !

Il faut légiférer au plus vite, donc, car il est temps, dans une mondialisation toujours plus poussée par une concurrence exacerbée, de jeter les bases d’une nouvelle éthique des relations internationales, d’ouvrir une nouvelle ère de la protection des droits humains.

Il est temps de responsabiliser les entreprises qui, cherchant à tout prix les coûts de main-d’œuvre les plus bas, installent leurs filiales en Afrique, en Asie, en Amérique latine, où, on le sait, les législations ne sont pas aussi exigeantes. Elles y sous-traitent une partie de leur activité, dans des conditions qui ne seraient jamais tolérées en France, mais qui, parce qu’elles se déroulent dans un autre pays, loin du nôtre, loin de nos lois et de notre attention, ne soulèvent aucun problème, ni de réglementation ni même de conscience !

Cette proposition de loi vise à transcrire dans l’ordre juridique français les obligations internationales auxquelles la France a souscrit, notamment les principes directeurs des Nations unies adoptés à l’unanimité en 2011 sur les entreprises et les droits humains, invitant les premières à soutenir et à appliquer dans leur sphère d’influence un ensemble de valeurs fondamentales, ainsi d’ailleurs que les orientations arrêtées par l’OCDE.

Cette proposition de loi s’inscrit dans une logique de transparence et d’éthique engagée en France avec l’adoption de la loi relative aux nouvelles régulations économiques en 2001 et le Grenelle II en 2010, ainsi que, plus récemment, avec la loi sur la biodiversité qui établit le préjudice écologique dans le code civil ou, prochainement, avec la loi Sapin II qui visera à lutter contre l’évasion fiscale pratiquée par certaines multinationales.

Pour finir, il importe de légiférer au plus vite, car c’est toute la société civile qui attend ce texte et qui nous regarde : ONG, syndicats, et surtout consommateurs, de plus en plus attentifs aux conditions de production, comme le révèle une étude selon laquelle trois Français sur quatre soutiennent notre proposition. C’est également ce que révèle une pétition qui a recueilli 200 000 signatures.

De nombreuses entreprises de tous secteurs ont également marqué leur intérêt. Laissez-moi vous rappeler, chers collègues, qu’à l’Assemblée nationale ce texte a été voté très largement, à la quasi-unanimité, y compris par des députés de l’opposition !

Monsieur le rapporteur, je note avec intérêt que vous avez abandonné vos premières intentions qui vous avaient amené, en première lecture, à exhumer la procédure de motion préjudicielle, véritable obstruction à tout débat, surprenant jusqu’aux meilleurs connaisseurs de notre règlement. Initiative heureusement abandonnée, mais immédiatement remplacée par la suppression de tous les articles du texte !

Cette fois, et c’est une avancée que nous saluons, vous reconnaissez que les entreprises doivent faire preuve de vigilance.

M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Je l’avais souligné en première lecture !

M. Didier Marie. Malheureusement, vous n’allez pas au bout du raisonnement et vous dénaturez l’esprit de la proposition de loi par vos amendements qui, de fait, reviennent à écrire un tout autre texte. Vous vous contentez d’esquisser une transposition de la directive européenne sur le reporting extrafinancier, sujet qu’il nous faudra traiter, mais vous passez, ce faisant, à côté de la cible de notre proposition de loi, qui vise à couvrir à trois cent soixante degrés le champ de la responsabilité des entreprises, englobant la défense des droits humains, la protection de notre environnement et la lutte contre la corruption.

Mes chers collègues, nous vous proposons aujourd’hui de dépasser le stade des intentions et de passer à l’acte.

Car, lorsque la logique du reporting est fondée sur une déclaration des entreprises qui n’est vérifiée qu’a posteriori, notre proposition permet de gérer les risques en amont et donc de prévenir les dommages. Lorsque vous préconisez une obligation de communication du plan de vigilance, nous y ajoutons une obligation de mise en œuvre. Lorsque vous ne prévoyez aucune sanction au manquement à l’obligation de reporting, nous prévoyons un recours devant le juge pour les victimes d’une violation et une mise en cause de la responsabilité du donneur d’ordre.

Monsieur le rapporteur, vous reconnaissez que bon nombre d’entreprises se sont déjà dotées de leur plein gré de dispositifs proches du devoir de vigilance dans le cadre de la responsabilité sociétale des entreprises, mais vous ne souhaitez pas contraindre celles qui ne le feraient pas, au nom de la compétitivité. Permettez-moi de relever la contradiction !

Ne pas adopter ce devoir de vigilance, c’est admettre que la compétitivité prime l’éthique et que la vie de travailleurs exploités loin de chez nous n’a que peu de valeur au regard de la recherche de la rentabilité.

M. Didier Marie. Plus que cela, admettre que certaines entreprises puissent déroger aux principes de vigilance, c’est accepter une pression à la baisse sur nos standards nationaux en matière de protection sociale, de droits humains, de protection de la biodiversité et de l’environnement. C’est inciter à la délocalisation. Le moins-disant généralisé pénalise notre économie.

Monsieur le rapporteur, vous craignez l’isolement de la France, mais nous ne sommes pas les seuls à agir dans ce sens. De nombreux pays disposent de législations qui vont dans la même direction.

Vous estimez par ailleurs que cette proposition de loi est punitive, car elle est assortie d’une possibilité de sanction. Faut-il rappeler tout d’abord que la responsabilité de l’entreprise ne serait engagée, à la suite d’un accident dans une filiale ou chez un sous-traitant, qu’en cas d’absence de plan ou de défaut de mise en œuvre de ce plan ?

Vous considérez qu’il existe un risque d’inconstitutionnalité en relevant une responsabilité du fait d’autrui. Pourtant, notre droit prévoit déjà une obligation de vigilance. C’est le cas, notamment, en droit bancaire, en droit comptable, en droit de la concurrence ou encore en droit du travail – je pense au mécanisme de solidarité financière pour lutter contre le travail dissimulé. Le devoir de vigilance est une obligation de moyens et non de résultat !

Vous remettez en cause l’amende civile considérant que sa légalité serait incertaine et sa proportionnalité douteuse. Or le Conseil constitutionnel lui-même a pu, dans d’autres cas, notamment en droit de la concurrence, estimer que la proportionnalité était acceptable. Le montant plafond de 10 millions d’euros n’est qu’un plafond : seul le juge aura la charge de déterminer le niveau de l’amende.

Cessez donc de diaboliser ce texte ! Il représente une avancée à la fois ambitieuse et raisonnée pour que notre pays, comme dans d’autres domaines et à d’autres époques – je pense à l’abolition de l’esclavage –, éclaire le chemin vers une plus grande responsabilité sociétale des entreprises à l’échelle européenne.

C’est d’une conception de la mondialisation que nous parlons, celle de la place que l’on donne au respect des droits de l’homme, c’est une bataille que nous menons pour mettre fin à des formes modernes d’esclavage !

Pour terminer, monsieur le ministre, sans revenir sur l’urgence qui s’attache au vote de ce texte, je souhaite que soit précisé le calendrier devant nous amener à son adoption définitive et à la parution du décret qui permettra son application. Nous souhaitons que vous usiez de toutes vos prérogatives pour convoquer le plus rapidement possible une commission mixte paritaire.

L’adoption de ce texte marquera cette législature, rappelant que nous sommes fidèles aux valeurs humanistes de la France et que, sous notre majorité, notre pays assume ses responsabilités pour éclairer le chemin vers un nouvel âge de la mondialisation ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)