compte rendu intégral

Présidence de Mme Françoise Cartron

vice-présidente

Secrétaires :

MM. François Fortassin, Jean-Pierre Leleux.

Mme la présidente. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures.)

1

Procès-verbal

Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Prise d’effet de nominations à une commission mixte paritaire

Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de réunion d’une commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’égalité et la citoyenneté.

En conséquence, les nominations intervenues lors de notre séance du mardi 18 octobre après-midi prennent effet.

3

Organisation, place et financement de l’Islam en France

Débat sur les conclusions d’une mission d'information

Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur les conclusions de la mission d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’islam en France, débat organisé à la demande de la mission d’information (rapport d’information n° 757).

La parole est à Mme la présidente de la mission d’information.

Mme Corinne Féret, présidente de la mission d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’islam en France. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est avec honneur que j’ai accepté la responsabilité de présider pendant près de six mois la mission d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’islam en France.

Je profite de ce débat pour remercier l’ensemble des membres de la mission, dont le travail a permis d’aboutir à un rapport sérieux, étayé, ayant rencontré un réel intérêt auprès de différentes parties prenantes et des médias.

S’agissant de la méthode, j’ai souhaité que toutes les questions relatives aux modalités d’organisation de nos travaux soient soumises au bureau de la mission, de façon à décider ensemble du calendrier, des personnalités à auditionner ou encore des déplacements à effectuer. Collégialité, vigilance, rigueur et transparence, tels ont été mes maîtres mots durant cette présidence.

Nos travaux ont été particulièrement denses. En six mois, nous avons procédé à près de 80 heures d’auditions, entendu 115 experts aux profils très divers.

Bien qu’ayant auditionné des responsables du ministère de l’intérieur, nous avons regretté de ne pas avoir pu vous entendre en personne, monsieur le ministre. Nul besoin cependant de rappeler combien l’actualité a été chargée au cours du second trimestre de 2016 et jusqu’à l’été. Les urgences et contraintes d’agendas n’ont pas rendu cela possible. C’est donc avec le plus grand intérêt que nous vous écouterons aujourd’hui.

Pour une parfaite information de tous, je tiens à souligner que vous nous avez invités, les rapporteurs et moi-même, à participer le 29 août dernier à la consultation autour de l’islam de France, journée fort enrichissante que l’on peut qualifier d’historique.

Durant ces six mois, la mission a effectué plusieurs visites en France. Nous nous sommes également déplacés à l’étranger, à Londres, à Rabat ou encore à Alger, pour voir comment étaient gérées, dans ces pays, les questions liées à l’islam et à l’organisation du culte musulman.

Au-delà des chiffres relatifs à nos auditions et à nos déplacements, il faut surtout souligner le cadre strict et intangible dans lequel nous avons souhaité inscrire nos travaux : celui de la loi de 1905, texte fondateur de la laïcité dans notre pays.

Cette loi, il est vrai, a été conçue à un moment où la pratique de l’islam en France ne concernait qu’une infime partie de la population, de sorte que la question régulièrement posée est de savoir si les principes établis voilà un peu plus d’un siècle restent adaptés maintenant que l’islam est devenu la deuxième religion de France. À cette question, nous avons clairement répondu oui.

Aucune des personnalités entendues n’a recommandé de modifier la loi de 1905. Le président du Conseil français du culte musulman, le CFCM, M. Kbibech, a déclaré, lors de son audition en février dernier, que la loi de 1905 faisait « partie de l’ADN des musulmans de France ».

Soulignons que l’immense majorité de nos compatriotes musulmans pratiquent, à des degrés divers, leur religion sans nullement troubler l’ordre public et en manifestant leur attachement aux valeurs de la République. Il me semblait important de le rappeler, aujourd’hui, dans cet hémicycle. La laïcité n’est pas dirigée contre les musulmans : elle est là pour les protéger !

Durant cette mission, bien des sujets sensibles, faisant régulièrement l’objet d’inexactitudes, voire de manipulations, ont été abordés. Notre ambition était de mieux faire connaître la religion musulmane et de dresser un état des lieux sérieux, sans raisonner à partir d’idées reçues. Dans un climat national et international pourtant tendu, nous avons souhaité, sans nous limiter, traiter des vrais sujets, comme la formation des imams, la question du financement ou celle de l’enseignement privé musulman.

Oui, cette mission était utile, nos concitoyens ayant une connaissance encore trop sommaire de l’islam. Elle a également eu le mérite de suggérer des pistes de transition vers un islam de France, adapté au contexte français, à la fois compatible avec les valeurs de la République et pris en charge par les communautés musulmanes elles-mêmes.

Point de propositions fantaisistes, contraires à notre ordre constitutionnel et aux principes de la République, dans notre rapport. Mais plutôt l’ambition de réaliser un travail utile, dans un esprit d’ouverture et de réalisme, sans remettre en cause le principe de laïcité.

L’islam a toute sa place dans la République. Il était important pour nous de le souligner, sans pour autant faire de propositions visant à organiser l’islam de France.

Informer, faire des suggestions et, quand l’État est capable d’intervenir, formuler la position de la mission : voilà à quoi nous nous sommes attachés pendant ces six mois, avec l’idée de participer à la construction d’un islam de France dans le respect des valeurs de la République.

Notre rapport a été adopté le 5 juillet dernier, à l’unanimité. Au regard des propositions qui ont été formulées ces trois derniers mois par les représentants du culte musulman, par vous-même, monsieur le ministre, ainsi que par Mme la ministre de l’éducation nationale, le moins que l’on puisse dire est que les choses avancent vite et dans le bon sens. Je ne manquerai d’ailleurs pas d’y revenir dans ma seconde intervention. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Jean Desessard applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.

Mme Nathalie Goulet, rapporteur de la mission d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’islam en France. Monsieur le ministre, cette mission est une véritable aventure !

Tout d’abord, sa création n’a pas été simple à obtenir. Ensuite, nous nous sommes efforcés de traiter l’islam comme un sujet normal, dans une période qui ne l’est pas, et alors que l’islam sert d’épouvantail dans les journaux ou de relance de l’applaudimètre ! Nous avons décidé au Sénat d’en faire un sujet républicain. C’est dans cet esprit que nous avons travaillé.

Permettez-moi de remercier François Zocchetto, président du groupe UDI-UC, l’ensemble de mes collègues du groupe UDI-UC, ainsi que l’ensemble des membres de la mission, qui se sont beaucoup impliqués, pour l’entente à laquelle nous sommes arrivés. Sur un sujet qui pouvait donner lieu à de grandes discordances, nous sommes parvenus à l’unanimité.

Je salue Bariza Khiari, qui nous a toujours soutenus et s’est intéressée à nos travaux sans pourtant participer à la mission. Elle a été entendue, notamment, dans le cadre d’une audition extrêmement lumineuse remarquée par tous.

Monsieur le ministre, vous aurez certainement relevé le format atypique de cette mission puisqu’elle est dotée d’un corapporteur, qui a garanti la version concordataire de l’histoire. Une fois n’est pas coutume, j’ai douté : un tel moment d’humilité est assez rare pour être relevé ! (Sourires.) Quoi qu’il en soit, j’ai pensé qu’il ne serait pas superflu de travailler à quatre mains sur un tel sujet. Le résultat est au rendez-vous.

Mme Féret l’a souligné, ce rapport répond à toutes les questions qui étaient restées en suspens après le rapport de la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe. Vous vous souvenez certainement que, lors de la remise de ce rapport, l’UDI-UC, d’accord avec le groupe UMP, avait légitimement cru devoir déposer une motion divergente. Nous n’avions en effet aucune réponse sur l’organisation du culte musulman, sur la formation des imams et sur le financement de l’islam en France. Le rapporteur de l’époque n’avait souhaité ni organiser des auditions ni avancer des propositions, et ces points étaient restés en attente.

Dans une période aussi troublée que celle que nous traversons, nous ne pouvions demeurer sans explications. Grâce au travail de fond réalisé dans le cadre de notre mission, nous sommes aujourd'hui beaucoup moins ignorants que nous ne l’étions hier : même s’il demeure, évidemment, toujours des lacunes, notre objectif a été de répondre clairement et de façon pédagogique aux questions qui se posaient.

Des dizaines d’heures d’auditions ont été nécessaires pour comprendre la filière halal dont il est beaucoup question ces derniers temps. Il s’agit d’un sujet complexe, car cette filière est peu transparente. Notre rapport expose les raisons qui rendent difficile l’instauration d’une telle taxe. Celle-ci ne serait envisageable que si elle était décidée par le Conseil français du culte musulman lui-même et prenait la forme d’une redevance pour services rendus.

Monsieur le ministre, le Gouvernement envisage-t-il d’accorder au CFCM une assistance technique pour calculer précisément une telle redevance ? Une chose est d’intervenir, une autre est de fournir une assistance. En l’espèce, le CFCM, à qui l’on demande beaucoup, manque de ressources humaines et ne peut fournir les éléments techniques nécessaires. L’ancien ministre de l’économie, M. Macron, avait proposé l’aide du ministère de l’économie. Il serait utile que des spécialistes assistent le CFCM afin de mettre en place cette redevance pour services rendus.

Nous parlerons tout à l’heure des financements, qu’il faut rendre plus transparents.

Le point essentiel de ce rapport est, selon moi, la formation des imams. Celle-ci doit avoir lieu en France. C’est, dans le contexte, une évidence !

Notre rapport a mis en lumière l’islam des consulats, que nous avons étudié en nous rendant au Maroc et en Algérie, mais aussi en relevant ses effets sur le terrain. En France, 315 imams viennent de pays étrangers, qu’il s’agisse de l’Algérie, du Maroc ou de la Turquie ; 14 sont issus d’Arabie saoudite. Or les ministres des affaires religieuses de ces pays ne se parlent pas entre eux ! De plus, ces imams sont fonctionnaires d’un État étranger alors que le CFCM essaye de mettre en place une formation unifiée et labélisée en France.

Bref, il est important de mettre un terme à cet islam des consulats que notre rapport a décortiqué et analysé. C’est à mon sens un enjeu majeur, car cette pratique, qui revient à ce que les imams apprennent le texte sans le contexte, n’est pas conforme à nos exigences, monsieur le ministre.

Dans un climat extrêmement difficile, notre mission a travaillé de façon sereine. Nous avons voté ce rapport à l’unanimité, comme Mme Féret l’a rappelé, seul notre collègue du Front national s’étant abstenu.

Je remercie encore une fois l’ensemble de mes collègues ayant participé aux travaux de la mission. Le rapport auquel nous avons abouti a non seulement été unanimement salué, mais l’accueil qu’il a reçu des communautés musulmanes elles-mêmes nous a renforcés dans l’idée qu’il était indispensable de traiter le sujet. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – Mme Bariza Khiari applaudit également.)

Mme la présidente. Dans la suite du débat, la parole est à Mme Éliane Assassi, pour le groupe CRC.

Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, par un communiqué du 16 décembre 2015, mon groupe avait annoncé sa volonté de ne pas participer à cette mission d’information sur l’organisation, la place et le financement de l’islam en France et de ses lieux de culte, comme elle s’intitulait alors.

Nous avions indiqué alors – les terribles attentats de Paris avaient eu lieu un mois auparavant – que cette initiative alimenterait les amalgames et la stigmatisation à l’égard des musulmans, de la population originaire, sur une ou plusieurs générations, de pays où se pratique de manière majoritaire la religion musulmane. Nous avions jugé cette mission inopportune, jugement que nous continuons à porter.

Je regrette d’ailleurs, madame la présidente, madame la rapporteur, monsieur le corapporteur, que notre refus de participer à cette mission n’ait été évoqué dans le rapport écrit, enregistré le 5 juillet dernier, qu’au travers d’une seule phrase ne faisant pas état des raisons motivant notre désaccord.

L’intitulé de votre mission n’était pas complètement assumé puisque le titre qui figure sur le document que vous publiez est le suivant : De l’Islam en France à un Islam de France, établir la transparence et lever les ambiguïtés.

D’emblée, je tiens à rappeler que l’attentat de Charlie Hebdo, ceux de Paris, celui de Saint-Denis et celui de Nice, ainsi que l’assassinat du prêtre Jacques Hamel à Saint-Étienne-du-Rouvray, sont avant tout des actes politiques s’appuyant sur une perception déformée et primaire de l’islam.

L’immense majorité des musulmans, des femmes et des hommes pratiquant cette religion, a été horrifiée par le déchaînement aveugle de la violence commise en leur nom.

Bien entendu, il faut dénoncer ce détournement de la religion, celui d’une religion qui justifierait la barbarie. Mais il est, me semble-t-il, de notre devoir de parlementaires, dans une période de tensions extrêmement fortes au sein de notre société, à une époque où les haines sont attisées, de rappeler les faits et la vérité, et de ne pas jeter l’opprobre sur des milliers de personnes, des citoyens français pour l’essentiel.

Notre rôle est d’aider à rassembler, à panser les plaies et, bien entendu, à prendre les mesures pour que de tels actes ne se reproduisent plus.

Or ces mesures pour empêcher de nouveaux attentats ne passeront certainement pas par l’éventuelle taxation des produits halal ou par l’existence ou non d’un enseignement privé lié à l’islam.

J’ai personnellement combattu depuis le début de mon engagement politique le prosélytisme de quelque religion qu’il provienne. J’ai toujours fait de la défense de la laïcité l’une de mes priorités. Mais qu’entend-on par laïcité ? Le rejet de l’autre, de toute croyance non conforme à une vision caricaturale, déformée de la République, qui placerait les attaches à une hypothétique communauté judéo-chrétienne comme point de repère de la laïcité ?

Pour moi, la laïcité comprend trois dimensions : la liberté de conscience, la liberté des droits et la souveraineté du peuple. Oui, la laïcité est un principe émancipateur. La souveraineté réside dans le peuple et elle ne peut être accaparée par aucune fraction, autorité, entité extérieure ou autorité dite supérieure. L’idée primordiale selon laquelle la laïcité est non pas la seule interdiction d’une attitude religieuse donnée, mais un principe démocratique qui fonde le gouvernement du peuple par le peuple doit être rappelée, car elle souligne l’aspect réducteur et parcellaire du rapport de cette mission d’information.

Dans cette frénésie qui saisit une certaine sphère médiatico-politique, de M. Zemmour à M. de Villiers, en passant par des gens plus présentables, ou presque, comme Mme Morano ou M. Wauquiez, l’islam radical, ce concept politique qui oublie presque ses racines religieuses, comme le souligne la volonté de rébellion des jeunes radicalisés, est confondu ou amalgamé avec l’islam, la religion.

Un débat public peut exister, il doit même exister, sur la religion, sur sa pratique. Je vous le dis : les prières de rue ne sont pas plus ma tasse de thé, si je puis me permettre cette expression, que les longues prières des « veilleurs » lors de certaines manifestations voilà deux ans.

Je ne peux cependant accepter cette attitude de la mission internationale d’investigation dans l’organisation d’une religion, qui mélange allègrement de vraies questions telles que le financement des mosquées et des imams par l’Arabie saoudite, mais oublie que la place faite par les gouvernements successifs à cet État dans notre économie l’encourage certainement à intervenir dans le débat religieux de notre pays !

Certes, la vision expansionniste sur le plan idéologique des autocrates du Golfe est un vrai sujet de débat. Mais fallait-il mélanger une telle thématique avec celle, par exemple, de la production halal ?

Pourquoi votre rapport ne met-il pas en lumière que parmi ces personnes, que l’on désigne comme d’origine maghrébine ou turque, seulement 59 % s’affirment de confession musulmane ? Qui plus est, l’éventail de leur pratique religieuse est large puisqu’elle va de la simple célébration du ramadan aux pratiques quotidiennes.

Votre rapport donne des chiffres qui montrent que la religion n’occupe pas une place aussi importante qu’on le dit parmi ceux que l’on désigne depuis quelques années seulement comme les « musulmans ».

Ce débat révèle l’intrusion du religieux, de tout le religieux, dans le débat politique. Tout le monde a pu constater cette évolution durant le mandat de Nicolas Sarkozy. Je regrette que François Hollande, qui entretient la confusion, en particulier dans le dernier livre dont il est beaucoup question ces derniers temps, n’ait pas voulu y mettre un terme.

Le rapport n’apporte rien de nouveau et n’aurait pu, s’il avait eu de l’écho, qu’accroître les tensions et renforcer les plus radicaux dans la conviction qui est la leur de participer à une guerre de religion. Bien entendu, il ne dit pas un mot sur la raison profonde conduisant certains jeunes à envisager de se réfugier dans une conception extrémiste de la religion. Vous savez tous que je suis attachée à l’analyse des causes d’un tel phénomène, à savoir la crise et la discrimination répétée.

Pas un mot n’est dit non plus de la surpopulation carcérale, des inégalités face à la justice et de la mise en contact avec certains éléments, qui aurait pu être évitée.

En un mot, nous ne regrettons pas de ne pas avoir participé à ce travail qui ne répond pas aux exigences d’apaisement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Amiel, pour le groupe du RDSE. (Mme Françoise Laborde applaudit.)

M. Michel Amiel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, loin de tout angélisme, loin de toute stigmatisation, la question préalable est de savoir si l’islam est compatible avec la laïcité affichée par la République française, bref, s’il accepte la séparation du spirituel et du pouvoir temporel.

Rappelons, au passage, que la séparation entre les deux est déjà annoncée par le célèbre « rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu », et qu’elle prélude à ce que Marcel Gauchet appelle « le désenchantement du monde ». Or voilà que, loin de le réenchanter, une dérive mortifère de l’islam que j’appellerai l’islamisme radical, phénomène qui recouvre en fait plusieurs réalités, nous propose un projet de chaos, de mort non seulement physique, mais aussi spirituelle.

L’affrontement entre un islam que je qualifierais volontiers d’islam des Lumières et une lecture radicale du Coran existe pour ainsi dire depuis le commencement de l’extension de l’islam : ainsi Averroès, au début du XIIe siècle, se risque dans la philosophie et sera accusé d’hérésie.

À l’opposé, une lecture idéologique conservatrice du Coran prétend retrouver l’islam « pur » des origines : c’est le wahhabisme, du nom de son fondateur, dont l’alliance avec la dynastie saoudienne, au XVIIIe siècle, est à l’origine de ce mouvement théologico-politique.

Nous sommes donc au cœur du sujet. Je partirai d’un postulat : dans notre République laïque, l’islam, comme toute autre religion d’ailleurs, ne saurait se prévaloir d’une fonction politique.

Pour autant, un État fût-il laïc a-t-il vocation à contrôler la pratique d’une quelconque religion ? J’y verrais ce que j’ai appelé une forme de gallicanisme.

Bien sûr, il y a la piste concordataire, que l’on ne saurait remettre en question en Alsace-Moselle, dérogation à la laïcité que l’on ne saurait pas davantage étendre à l’ensemble du territoire français.

Plusieurs points essentiels sont à retenir dans les travaux de la mission, à laquelle j’ai participé avec grand intérêt.

D’abord, il existe une difficulté véritable à engager un dialogue institutionnel unifié avec une religion qui ne possède ni clergé hiérarchisé ni organisation centralisée. La précédente majorité présidentielle avait souhaité la constitution d’un Conseil français du culte musulman, mais il n’est pas reconnu par tous les musulmans comme représentatif.

S’agissant de la formation des imams, le CFCM travaille à l’élaboration d’une charte. Un tel document me conviendrait très bien et pourrait contenir l’engagement d’un respect absolu des lois de la République.

À mon tour d’évoquer la loi de 1905, qui contient un élément essentiel en son article 35, lequel punit d’une peine d’emprisonnement tout discours prononcé, affiché ou distribué publiquement dans un lieu de culte qui contiendrait « une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique ».

Rappelons enfin que, si la loi de 1905 affirme la neutralité de la République, celle-ci ne doit pas être confondue avec la neutralité des citoyens. Il est essentiel sur ce sujet de chercher la meilleure conciliation entre ordre public, liberté de culte et liberté d’association.

De plus, la notion de formation est elle-même ambiguë : vise-t-on la formation théologique ou la formation républicaine ?

Lors des auditions des autorités religieuses, les rapporteurs ont pu avoir la confirmation que rien n’interdisait le prêche en français. En effet, si la langue sacrée de la religion est bien l’arabe, la langue des musulmans français est le français.

Toutefois, la question se pose quand les imams sont détachés, voire fonctionnaires d’États extérieurs. Ils devraient alors, me semble-t-il, s’adapter au contexte socioculturel français, y compris à la langue.

Concernant l’origine du financement du culte, il faut s’efforcer à un maximum de transparence, que les fonds proviennent des fidèles en France ou qu’ils soient d’origine étrangère, ce qui me paraît finalement concevable au vu de ce qui se pratique dans les autres religions. Dans les deux cas, la Fondation pour les œuvres de l’islam de France, créée en 2005 sous l’impulsion de Dominique de Villepin, me paraît la meilleure option.

Quant au halal, plus qu’une pratique religieuse qui se voudrait conforme à la loi coranique, il est devenu, hélas ! un véritable marqueur identitaire, au même titre que le port du voile ou de la burqa.

Même si ce concept est extrêmement débattu, il me paraît intéressant comme source potentielle de financement. Une redevance sur l’abattage serait plus appropriée et présenterait le mérite de la clarté, tout en représentant une recette non négligeable.

Mes chers collègues, je remercie tous ceux qui ont permis cette mission. Je salue particulièrement sa présidente, Corinne Féret, son rapporteur, Nathalie Goulet, et son corapporteur, André Reichardt.

Comme l’écrivait Spinoza, « je me suis soigneusement abstenu de tourner en dérision les actions humaines, de les prendre en pitié ou en haine ; je n’ai voulu que les comprendre ».

Je terminerai sur une touche d’espoir en citant le docteur Khalid bin Mohammed Al Ankary, ambassadeur du Royaume d’Arabie saoudite en France, qui affirmait lors d’une audition : « Le musulman doit respecter le droit et les lois du pays dans lequel il vit. Toute personne qui manque à ce principe ne peut prétendre respecter l’islam, car il s’agit alors d’une interprétation erronée de la religion. On ne peut rendre l’islam responsable de tels actes. La France est l’un des pays qui respecte le mieux les libertés des musulmans et nous ne devons pas faire l’amalgame entre les libertés personnelles et le devoir que chaque musulman de respecter la société dans laquelle il vit. » Encore faut-il mettre en conformité ses paroles et ses actes ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et républicain, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. La parole est à M. François Zocchetto, pour le groupe UDI-UC.

M. François Zocchetto. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis dans cet hémicycle parce que l’UDI-UC a choisi d’utiliser son droit de tirage pour répondre à la question dont nous débattons.

Ce travail ne s’est pas fait facilement : notre collègue du groupe CRC a rappelé qu’il existait de fortes oppositions à l’encontre du projet d’approfondissement de la réflexion que nous avions utilement lancée en créant la commission d’enquête sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe. Au vu des événements des derniers mois et à la lecture du rapport de la mission d’information, que je remercie et félicite, je puis vous dire que je ne regrette rien !

Le Sénat a bien fait de débattre de ces questions qui préoccupent non seulement les dirigeants de notre pays, mais également tous nos concitoyens, quel que soit leur éventuel rattachement à une conviction religieuse.

Comment l’islam organisé pourrait-il constituer un rempart contre le discours djihadiste, contre l’islam dévoyé ?

Nous savons que la radicalisation se fait souvent en dehors des mosquées, mais partout au nom, supposé, de l’islam.

L’islam institutionnalisé doit nous apporter une première série de réponses. Je crois, monsieur le ministre, que vous avez tout de suite perçu non seulement l’enjeu, mais aussi l’intérêt des propositions de la mission puisque vous avez repris assez rapidement nombre d’entre elles à votre compte. Quelle que soit notre appartenance politique, il convient de s’en réjouir.

Le Conseil français du culte musulman, le CFCM, auquel je souhaite malgré tout rendre hommage, car il évolue dans un contexte très compliqué, mérite, me semble-t-il, d’être aidé et soutenu. Il ne fait aucun doute que sa représentativité doit être renforcée, notamment auprès des jeunes et des femmes. Les statuts de cette institution ne permettent pas d’avancer beaucoup à cet égard.

Monsieur le ministre, nous aimerions que vous proposiez, dans le respect absolu de la loi de 1905, des solutions et une assistance techniques permettant aux institutions d’avoir des interlocuteurs reconnus de part et d’autre.

À côté de l’islam de consulat, nous avons bien besoin d’un islam de France, d’un islam du dialogue.

Certains disent que nous sommes dans cette situation du fait de la rencontre entre nos échecs sur le terrain de la politique intérieure et l’idéologie issue d’un islamisme radical, d’une religion dévoyée, et que nos problèmes seraient surtout d’ordre interne. Je ne le crois pas.

Comme cela a été dit précédemment à cette tribune, l’interrogation doit aller au-delà. Les musulmans eux-mêmes doivent, à mon sens, se poser des questions sur la façon dont ils envisagent de vivre au sein de la République, au regard des critères de laïcité auxquels nous sommes très attachés.

Sauvegarder la frontière entre une pratique religieuse légitime et le fanatisme terroriste est un défi considérable. Nous avons l’absolue obligation, que nous soyons partie prenante du pouvoir exécutif ou législateurs, de répondre à ce défi. Car, entre les bourreaux et les victimes, il y a le peuple français, lequel comprend nos concitoyens de confession musulmane.

La plupart de nos concitoyens de confession musulmane – et même, comme j’ai la faiblesse de le penser, la totalité d’entre eux, dès lors qu’ils se reconnaissent comme citoyens français – ont la volonté de vivre leur foi dans le respect des valeurs de la République. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur certaines travées du groupe Les Républicains. – Mme Bariza Khiari applaudit également.)