M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas.

M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la nouvelle lecture du projet de loi dit Sapin II confirme la volonté exprimée en première lecture par le Sénat de contribuer à la lutte contre la corruption, au renforcement de la transparence et à la modernisation de la vie économique. En témoignent les nombreuses améliorations apportées au texte par la Haute Assemblée qui, malgré l’échec de la commission mixte paritaire, ont été reprises par l’Assemblée nationale. Il demeure toujours, à ce stade, des points de divergence, mais c’est logique.

En première lecture, le Sénat avait marqué sa volonté de préciser les objectifs du projet de loi et les dispositifs du Gouvernement, en faisant de la lutte contre la corruption et du renforcement de la transparence des enjeux majeurs de l’action publique. Reste que la commission mixte paritaire a échoué sur trois sujets principaux, qui sont au cœur du projet de loi : les pouvoirs de sanction de la nouvelle agence de prévention de la corruption, la définition des lanceurs d’alerte et le périmètre du répertoire des représentants d’intérêts. Sur les autres sujets, on vient de l’entendre, nos rapporteurs ont estimé qu’il aurait été sans doute possible d’aboutir à des rédactions communes.

Certains points du texte sont encore en discussion, mais il y a eu un véritable apport de la Haute Assemblée. Nous pouvons notamment nous féliciter que, en ce qui concerne le volet économique et agricole, l’Assemblée nationale et le Sénat aient pu travailler de concert et partager la volonté de répondre à la grave crise qui touche le monde agricole, en adoptant rapidement et de façon commune une grande partie des mesures contenues dans ce projet de loi. J’ai d’ailleurs plaisir à souligner les apports du Sénat, et notamment de son rapporteur Daniel Gremillet, sur ce point. Il reste quelques articles sur lesquels les deux assemblées sont en désaccord, mais, en fin de compte, il y en a assez peu.

Je n’insiste pas non plus sur les dispositions du projet de loi soutenues par l’ancien ministre de l’économie, M. Emmanuel Macron, puisque, là aussi, le Sénat et l’Assemblée nationale se sont facilement accordés dès la première lecture sur une version commune des dispositifs favorables à la croissance, au financement des entreprises individuelles, aux start-up et aux travailleurs indépendants.

En ce qui concerne le volet du texte consacré au renforcement de la régulation financière, que notre commission des finances a examiné – Albéric de Montgolfier vient de nous en parler –, nos deux assemblées ont trouvé de nombreux points d’accord, notamment en matière de sécurisation du système financier et des consommateurs, le travail de notre rapporteur pour avis ayant été largement repris par nos collègues députés.

Ainsi, en fin de compte, sur les cinquante-six articles initiaux du texte, plus de quarante – je ne compte pas les articles additionnels introduits au cours des différentes lectures – ont été adoptés conformes par les deux assemblées. Il ne reste plus que quelques points de désaccord, dont la question de la réforme par ordonnance du code de la mutualité ou celle des modalités de reporting pays par pays, que le Sénat préfère aligner sur la proposition de directive européenne. Je ne reviens pas plus longuement sur ces points, qu’Albéric de Montgolfier vient à l’instant de détailler.

Mentionnons enfin la question des contrats d’assurance vie et l’initiative bienvenue du rapporteur pour avis de la commission des finances, qui permet d’apporter des garanties supplémentaires aux assurés dans le cadre des nouvelles prérogatives du Haut Conseil de stabilité financière ; ce sujet a suscité, on le sait, de légitimes inquiétudes parmi les épargnants.

Notre collègue Jacqueline Gourault avait défendu en première lecture la position de l’UDI-UC sur les sujets de corruption et de transparence. Elle affirmait la nécessité de « trouver un équilibre » dans la nécessaire protection des lanceurs d’alerte, « en évitant de fixer des critères trop larges, ce qui pourrait déboucher sur des excès ». La commission des lois, sous la houlette de son brillant rapporteur François Pillet, a poursuivi son travail en ce sens en trouvant, en matière de définition des lanceurs d’alerte, un point d’équilibre entre leur protection et leur responsabilité, pour éviter d’éventuels excès. Néanmoins, l’Assemblée nationale, tout en se rapprochant de la définition du Sénat, souhaite maintenir certaines dispositions qui répondent plus à un souci d’affichage, me semble-t-il, qu’à une volonté d’efficacité juridique.

Sur les deux autres points – l’Agence de prévention de la corruption et le répertoire des représentants d’intérêts –, la commission des lois a réaffirmé ses positions, plus respectueuses des principes juridiques et constitutionnels : conserver, en matière de corruption, le rôle prééminent de l’autorité judiciaire afin de garantir les droits de la défense plutôt qu’instituer une nouvelle agence administrative dotée de pouvoirs de sanction ; respecter, pour ce qui concerne le répertoire des représentants d’intérêts, le principe constitutionnel de séparation des pouvoirs des assemblées parlementaires et exclure les collectivités territoriales de ce dispositif.

Je ne reviens pas sur les points sur lesquels le Sénat maintient une position différente de l’Assemblée nationale – notamment les marchés publics, les dispositions relatives au droit des sociétés ou la rémunération des actionnaires –, le rapporteur de la commission des lois ayant développé ces différents aspects.

La Haute Assemblée, en poursuivant son travail de législateur avec l’apport de nouvelles précisions rédactionnelles et d’améliorations substantielles lors de cette nouvelle lecture, permet ainsi au Gouvernement et à l’Assemblée nationale d’enrichir encore ce texte en lecture définitive. En travaillant à l’élaboration d’un texte équilibré, le Sénat aura donc fait preuve de sa volonté d’enrichir le texte, malgré l’échec de la CMP. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.

Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « transparence », « lutte contre la corruption », « protection des lanceurs d’alerte » : qui ne pourrait s’enthousiasmer pour ces outils précieux pour notre démocratie ? Raison de plus pour y regarder de plus près afin de parfaire la loi et de s’assurer que le contenu du texte corresponde bien à son ambition.

En matière de lutte contre la corruption, le groupe écologiste ne peut que réitérer l’expression de ses craintes relatives à la mise en place d’une transaction judiciaire à l’américaine, sans reconnaissance de culpabilité.

En matière de transparence, l’obligation, pour les entreprises multinationales, de la déclaration publique d’activités pays par pays suscite malheureusement toujours autant de réticences ; l’optimisation fiscale reste officiellement considérée comme une stratégie de compétitivité relevant du secret des affaires.

De ce texte complexe, on pourrait commenter chaque article, mais, si mon groupe m’a confié tout son temps de parole, c’est que le sort fait par l’écriture actuelle du projet de loi Sapin II à la loi du 16 avril 2013 relative à l’indépendance de l’expertise en matière de santé et d’environnement et à la protection des lanceurs d’alerte est atterrant. Nous aurions dû nous méfier : dès le passage de la loi de 2013 à l’Assemblée nationale, le ministre avait déjà accepté que l’on supprime le droit à la formation des CHSCT en cas d’alerte spécifique. Cette fois-ci, dans un contexte médiatique favorable à la défense des courageux Raphaël Halet, Antoine Deltour et Stéphanie Gibaud, il nous annonce la protection des lanceurs d’alerte en matière financière et, mieux encore, il nous propose de construire, quel que soit le domaine de l’alerte, un véritable socle commun, que le Conseil d’État et les associations citoyennes appelaient de leurs vœux. Alors que cinq textes imparfaits cohabitent aujourd’hui, qui ne pourrait s’en féliciter ?

Dans un premier temps, nous étions confiants et solidaires de cette démarche, monsieur le ministre. À titre personnel, je n’ai pas de prétention d’auteur, et je sais que la loi n’est qu’un véhicule pour enrichir les codes, toujours perfectibles et simplifiables. Toutefois, aujourd’hui, après des heures et des heures de travail avec des juristes, je peux vous démontrer que vous vous êtes livré à une véritable opération de démolition de l’alerte en matière de santé et d’environnement, au point de supprimer des missions indispensables de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement, d’étouffer et de faire disparaître les messages d’alerte à venir, de condamner les indispensables registres d’enregistrement, qui font foi pour ces alertes, et de supprimer un pan de la récente loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias : la mention des journalistes comme destinataires possibles de l’alerte, alors que votre collègue Audrey Azoulay, qui défend la liberté de la presse, y avait personnellement veillé.

Monsieur le ministre, ce n’est pas faute de vous avoir alerté, en séance, en privé, oralement, par lettre ; ce n’est pas faute d’avoir expliqué qu’on ne fait pas face à une fuite de mercure ou à une expertise complaisante sur le Mediator de la même façon qu’à une évasion fiscale. S’il y a des points communs indispensables pour ce qui concerne la protection de l’individu qui alerte – citoyen lambda ou salarié –, il y a de grosses différences en matière de traitement du message, de suivi de celui-ci et de traitement du risque ou du danger avéré. Face à cette complexité, le texte uniformise par la suppression ; la restauration de l’indispensable sera l’objet de nos amendements.

Que dire, en outre, de votre choix rédactionnel consistant à définir un lanceur d’alerte comme s’il s’agissait d’un individu à part ou d’un statut plutôt que d’affirmer le droit d’un citoyen à alerter ?

Mme Marie-Christine Blandin. Dans une loi sur l’éducation, on affirmera le droit des enfants à l’école et non « un élève est un enfant qui… ». Dans une loi sur la santé, on affirmera l’accès aux soins et non « un malade est une personne qui… ». Dans le train, en cas de danger, le voyageur est invité à tirer le signal d’alarme tout comme il est averti des peines encourues en cas d’abus, mais il n’est pas écrit « un tireur d’alarme est une personne qui… ». Or, dans ce texte, il est écrit « un lanceur d’alerte est une personne qui… ».

Commission des lois, ministère, vous devez avoir vos raisons d’agir ainsi. C’est pourquoi l’un de nos amendements se contente de juxtaposer la restitution de l’article 1er de la loi de 2013 à votre article 6 A, sans supprimer celui-ci. Nous nous retrouverons, lors de l’examen des articles 6 et suivants, sur ces sujets. Je compte sur vous, chers collègues, pour que ce texte que nous appelions de nos vœux ne constitue pas une régression par rapport au droit existant. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC.)

M. Patrick Abate. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Alain Anziani.

M. Alain Anziani. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux commencer par saluer la qualité du travail parlementaire. Le texte avait initialement 57 articles ; il en comporte aujourd’hui une centaine de plus, mais, c’est cela qui est intéressant, un tiers des 156 articles du projet de loi ont déjà fait l’objet d’un accord entre les deux assemblées. Si nous avons pu progresser, nous le devons notamment – je le dis avec plaisir – au travail de François Pillet, notre rapporteur, et à nos rapporteurs en général, qui ont permis de rapprocher les versions des deux assemblées. Il faut souligner cette convergence en dépit de l’échec de la commission mixte paritaire.

Quand nous avions examiné ce texte en première lecture, il provoquait des inquiétudes sur ces travées – plutôt sur certaines que sur d’autres, d’ailleurs –, à propos notamment du droit d’alerte ou de l’Agence de prévention de la corruption. Maintenant que le travail parlementaire a été conduit, j’ai plutôt le sentiment que chacun reconnaît que nous avions besoin d’un nouvel outil de lutte contre la corruption, en particulier dans sa dimension internationale. Cela manquait à notre pays ; c’était même un paradoxe par rapport à d’autres démocraties. Grâce à ce texte, nous l’obtenons, cela constitue un apport considérable.

Il reste des points en discussion ; vous les avez listés, monsieur le ministre, et mon collègue Richard Yung en fera état pour ce qui concerne la dimension financière et économique. Je veux pour ma part me concentrer sur trois d’entre eux : l’Agence de prévention de la corruption, la définition des lanceurs d’alerte et le répertoire des représentants d’intérêts.

Nous sommes en désaccord sur l’Agence de prévention de la corruption, monsieur le rapporteur. Doit-elle ou non disposer d’un pouvoir de sanction ? Vous l’avez longuement expliqué – votre point de vue est d’ailleurs tout à fait honorable –, vous pensez que toute sanction doit émaner d’un juge, de l’autorité judiciaire. Nous ne sommes pas d’accord avec ce point de vue et nous ne sommes pas les seuls.

À l’Assemblée nationale, le groupe Les Républicains a soutenu l’idée selon laquelle cette agence, pour être efficace, doit pouvoir infliger des sanctions au travers d’une commission des sanctions. En effet, cette autorité administrative ne doit pas être privée de ses bras, de ses forces. Elle n’interviendra d’ailleurs en matière de sanction que dans certains cas : lorsqu’une entreprise de plus de 500 salariés ayant un chiffre d’affaires de plus 100 millions d’euros – un champ finalement assez restreint – ne respectera pas le code de bonne conduite ni ses obligations en matière de prévention de la corruption.

La commission des sanctions aura trois pouvoirs. Premièrement, elle pourra donner une injonction à l’entreprise : « Vous devez vous mettre en conformité avec le code de bonne conduite ! » Cela est-il choquant ? Je ne le crois pas. Deuxièmement, elle pourra infliger une sanction pécuniaire si l’entreprise persiste ; cela est-il de nature à nous étonner ? Je ne le pense pas davantage. Troisièmement, elle pourra rendre la sanction publique par voie d’affichage ou par d’autres moyens d’information. C’est certes beaucoup, mais ce n’est que cela.

Cette sanction ne représente donc pas, contrairement à ce que vous craignez, un empiétement sur le pouvoir judiciaire. Elle est d’ailleurs courante dans notre droit. À plusieurs reprises, et depuis longtemps, le Conseil constitutionnel – je pense à une décision du 28 juillet 1989 – et la Cour européenne des droits de l’homme, notamment le 21 février 1984, ont validé le principe de la sanction administrative. Le droit est ainsi bien défini. Oui, une autorité administrative peut infliger une sanction administrative, dès lors que celle-ci ne se traduit pas par une privation de liberté et qu’elle donne lieu à une procédure contradictoire !

Ainsi, bien intégrée dans notre droit, cette sanction administrative est devenue un instrument fréquent utilisé par la Commission des opérations de bourse, le Conseil des marchés financiers, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, la commission de contrôle des assurances, le conseil des assurances, et on y a recours, bien entendu, en matière de circulation routière avec le retrait de points, qui est une procédure fréquente – c’est même l’une des principales sanctions en matière de police de la route.

À chaque fois que nous examinerons un texte relatif à ces multiples institutions qui utilisent la sanction administrative, allons-nous proposer de supprimer cette faculté d’infliger des sanctions administratives ? Irons-nous au bout de la logique selon laquelle il y a un empiétement sur l’autorité judiciaire ? La réponse est évidemment non, pour une raison simple : nous avons parfois besoin d’une réaction rapide – la sanction administrative est plus rapide que la sanction judiciaire – et exécutoire.

Le deuxième point que je veux aborder porte sur les lanceurs d’alerte. L’ambition du texte consiste à définir enfin un statut général du lanceur d’alerte, comme nous a invités à le faire le Conseil d’État dans son rapport du 25 août dernier.

En première lecture, le Sénat avait préféré une définition plus restreinte du lanceur d’alerte que celle retenue par l’Assemblée nationale. Le rapporteur nous propose aujourd’hui de nous rapprocher sensiblement du texte des députés. Nous y sommes favorables puisque nous avions souhaité inclure dans le texte le droit d’alerte en cas de violation grave et manifeste d’un engagement international ou en cas de préjudice grave pour l’intérêt général. Cela est donc positif. En outre, une telle définition permettra d’éviter la condamnation d’un Antoine Deltour – une sorte d’obsession pour nous –, qui n’est déjà pas possible en France aujourd’hui, mais qui le sera encore moins demain puisqu’il faut respecter les engagements internationaux.

Il reste un point de divergence sur la définition des lanceurs d’alerte. Le texte de l’Assemblée nationale vise non seulement l’alerte relative à un préjudice grave pour l’intérêt général, mais aussi à une menace pesant sur celui-ci. La commission a souhaité supprimer cette notion de menace pour l’intérêt général, ce qui n’est pas une bonne chose. La menace précède le préjudice et la possibilité d’alerter sur une menace peut permettre d’empêcher la réalisation du préjudice. Il nous semble donc utile de conserver cette notion dans le texte.

Dernier point : le répertoire des représentants d’intérêts. Le Sénat a été fidèle à sa mission consistant à demeurer soucieux de la constitutionnalité des dispositions qu’il adopte. La CMP a échoué sur ce point, mais à l’issue d’une véritable discussion. Depuis lors, il y a eu des rapprochements entre l’Assemblée nationale et le Sénat. Nous souhaitons, pour notre part, que la Constitution soit scrupuleusement respectée, et le Sénat y a bien travaillé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.

Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’avais indiqué en première lecture que, a priori, nous approuvions ce texte gouvernemental et que nous en partagions les objectifs, puisqu’il permettait de rattraper le retard de notre pays en matière de lutte contre la corruption. Or certaines de ses dispositions disparates s’éloignent des objectifs initialement annoncés, et il manque aujourd’hui d’un fil conducteur.

Ce texte à tiroirs brouille en effet le débat sur les questions fondamentales qui devraient constituer le cœur du sujet : la lutte contre la corruption et la transparence de la vie publique. D’autres dispositions, par souci de transparence, justement, auraient mérité à elles seules un débat précis ; il en est ainsi des simplifications et de la clarification du droit des sociétés, des modifications des règles de la domanialité et de la commande publiques ou encore des dispositions sur l’assurance emprunteur.

Néanmoins, pire que tout cela, les conditions d’examen de ce texte par les assemblées sont plus que chaotiques : moins de deux jours se sont écoulés entre la réunion de la commission des lois et le délai limite de dépôt des amendements de séance, sans que l’on ait accès au rapport. Vous avouerez que, pour un texte de cette importance, cela est problématique, d’autant que, je le répète, ce débat est important ; il est fondamental pour notre démocratie, il est essentiel pour la justice et l’égalité, il est capital pour le pacte social et républicain.

En effet, quel que soit l’endroit où l’on se trouve, la corruption et l’opacité sont la gangrène de toute société. Elles sapent le contrat social, engendrent de la défiance à l’égard des institutions et suscitent de la méfiance vis-à-vis des représentants. À cet égard, la suppression de l’obligation, pour être éligible, de présenter un casier judiciaire vierge d’un certain nombre de délits d’atteinte à la probité publique va à contre-courant des attentes de nos concitoyens. Aujourd’hui, 77 % d’entre eux pensent que les sénateurs et les députés sont corrompus ou qu’ils sont soumis aux lobbys, sans égard pour l’intérêt général.

Les parlementaires ne sont d’ailleurs pas les seuls à être concernés par cette défiance. Autre chiffre de la dernière enquête sur la représentation de la corruption en France : 71 % des personnes sondées jugent les dirigeants des grandes entreprises corrompus.

Fondamentalement, opacité et corruption posent la question du respect de l’intérêt commun dans la prise de décision publique face à l’expression d’intérêts particuliers, qui peuvent la préempter.

Il est également fondamental d’assurer une régulation, un encadrement des acteurs économiques au service de toute l’économie. Corruption et opacité favorisent la concurrence déloyale, alors que la lutte contre la corruption a des effets significatifs sur l’attractivité, sur l’activité et donc sur la croissance. Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons que déplorer les conditions du débat.

Certes, il y a bien une obligation de prévention de la corruption pour les entreprises d’au moins 500 salariés et pour les sociétés appartenant à un groupe d’au moins 500 salariés et dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 100 millions d’euros, mais nous pensons que le champ de cette obligation est trop restreint.

En ce qui concerne les dispositions financières, en matière de lutte contre l’évasion fiscale, l’introduction à l’Assemblée nationale de deux nouveaux articles visant à renforcer les obligations de communication publique des données pays par pays auxquelles sont soumises les grandes entreprises va dans le bon sens, même si cette disposition est en retrait par rapport aux attentes de la société civile – nous avons eu l’occasion d’en débattre. Nous ne comprenons pas la frilosité du Sénat sur ce point.

Comme en première lecture, la commission des lois du Sénat est revenue, nous le regrettons, sur le dispositif d’encadrement des rémunérations des dirigeants des grandes entreprises par l’assemblée générale des actionnaires. Il s’agit pourtant là d’une source majeure de corruption. Bien que très frileuse, cette mesure allait dans le bon sens.

Sur la question de la prévention de la corruption, qui reste un point de désaccord profond entre le Sénat et l’Assemblée nationale, la création d’une agence, quel que soit son nom, nous laisse dubitatifs. En effet, il n’est pas souhaitable de pallier les lacunes de l’État en matière de corruption en créant une nouvelle agence indépendante, dont le statut reste par ailleurs assez flou. Il importe de faire confiance à notre justice et, pour cela, de renforcer ses moyens. Renforçons le pouvoir de notre parquet national financier et, au sein même des entreprises, associons davantage les instances représentatives du personnel ! Un contrôle citoyen doit être mis en place.

De plus, les détenteurs d’un mandat électif, qui animent la vie politique, se doivent d’être exemplaires, tout comme les principaux décisionnaires de l’appareil étatique, tels que les hauts fonctionnaires. Sur ce point, nous sommes tous d’accord au sein de cette assemblée. Pourtant, il y a encore trop de réticences à encadrer le pantouflage ou encore à mettre en place un répertoire numérique des représentants d’intérêts qui soit véritablement efficace. Celui-ci doit être le plus large possible et imposer le plus haut niveau possible de transparence aux représentants d’intérêts, quel que soit l’échelon décisionnel. Redonner le sens de l’État et de l’intérêt général en cette époque où l’argent est roi constitue une urgence démocratique.

Enfin, les lanceurs d’alerte sont des acteurs majeurs de la lutte contre la corruption. On connaît les nombreuses révélations que leur action courageuse, parfois conduite au péril de leur vie, a rendues possibles. Elles ont fait la lumière sur des pratiques économiques ou stratégiques scandaleuses. Le droit positif ne permet pas de protéger suffisamment les lanceurs d’alerte. Or, compte tenu de l’organisation actuelle de notre société, l’intervention directe des citoyens pour signaler des dysfonctionnements dans la conduite des affaires publiques ou des atteintes à l’intérêt général est malheureusement indispensable. C’est pourquoi nous avons déposé de nombreux amendements afin d’accorder une protection effective aux lanceurs d’alerte. Il s’agit aussi de se donner les moyens de ses ambitions : le Défenseur des droits tient une place privilégiée dans le dispositif de protection des lanceurs d’alerte ; or rien n’est prévu dans le projet de loi de finances pour 2017 pour renforcer ses moyens, tant humains que financiers.

En définitive, nous regrettons qu’un certain nombre des mesures proposées restent superficielles ; il semble parfois que nous ayons plutôt affaire à un texte d’affichage, fourre-tout, qui, à force de vouloir embrasser tous les sujets, passe à côté de l’essentiel. Si la rédaction issue de l’Assemblée nationale avait été conservée, nous aurions pu nous abstenir ; en revanche, notre vote en faveur du texte tel qu’il a été réécrit par la droite sénatoriale n’est vraiment pas acquis. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.

M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on avait souhaité un véritable outil de lutte non seulement contre la corruption, mais aussi contre la délinquance financière en général à la disposition du parquet financier. On devra se contenter d’une agence chargée de prévenir les atteintes à la probité et accessoirement, sans que l’articulation entre les deux missions soit claire, de les « détecter », agence placée auprès des ministres de la justice et du budget dans le projet du Gouvernement et auprès du seul garde des sceaux dans la version de notre commission des lois.

Mon regret est que la commission n’ait fait que la moitié du chemin en n’allant pas jusqu’à constituer l’Agence en outil d’investigation au service de la justice – vous aurez remarqué, mes chers collègues, que je me démarque complètement du projet –, comme si l’on était corrupteur ou corrompu par ignorance ou inadvertance, comme si la délinquance financière, n’étant pas vraiment de la délinquance, seulement le prix à payer de la liberté d’entreprendre et de la compétitivité, devait faire l’objet d’un traitement particulier. La faiblesse des sanctions encourues pour nombre de délits de cette catégorie, l’existence de procédures de règlement parallèles, la priorité accordée à la négociation sur la répression montrent qu’il s’agit non pas d’une impression, mais d’une réalité.

Ainsi ce texte, alors qu’existe déjà la CRPC, invente-t-il la « convention judiciaire » dite d’« intérêt public » – on se demande d'ailleurs pourquoi –, qui permet à une personne morale d’éviter d’être condamnée pour des délits aussi anodins que la corruption, le trafic d’influence ou les manœuvres destinées à échapper à l’impôt. L’argument selon lequel ces pratiques, qui auraient l’avantage d’être plus expéditives, sont courantes ailleurs serait plus convaincant si l’on avait la certitude que les sanctions soient du niveau de celles qui sont appliquées ailleurs. Les chiffres sont rares, mais, à en juger par le niveau des amendes pour abus de marché, c’est évidemment loin d’être le cas. En France, le montant annuel moyen de ces amendes est, m’a-t-on dit, de l’ordre de 30 000 euros, alors qu’il s’élève à quelque 30 millions de dollars aux États-Unis. Je sais bien que l’euro et le dollar ne se valent pas, mais il y a quand même une petite différence…

C’est à se demander, vu le nombre de condamnations pour corruption, s’il est vraiment urgent de délibérer en la matière : en 2013, 72 personnes ont été sanctionnées pour fait de corruption et deux seulement ont été condamnées à de la prison ferme.

S’agissant, cette fois, de corruption d’agents publics dans les transactions transnationales, sur les 298 personnes physiques ou morales condamnées depuis la convention internationale de 1999, les deux tiers l’ont été dans trois pays – les États-Unis, l’Allemagne et l’Italie – et deux seulement en France. Il n'y a donc pas de problème…

À la place de la création d’une agence de lutte contre la corruption et les délits financiers en général, on aurait pu donner au parquet financier d’autres moyens que ceux dont il dispose déjà. On devra donc se contenter de déclarations, de procédures et de règlements nouveaux.

À la fin de ce quinquennat, plus aucun responsable un peu visible de ce pays – responsable politique, administratif ou économique – n’échappera à l’obligation de remplir régulièrement une ou plusieurs déclarations de ceci ou de cela, à adresser à telle haute autorité ou à tel service. Tel est, paraît-il, le prix du rétablissement de la confiance de nos concitoyens dans les institutions. Quant à l’efficacité réelle de cette obligation, il subsiste un point d’interrogation…

En outre, comme de coutume, au lieu de ne traiter qu’un sujet jusqu’au bout – ici, la lutte contre la corruption –, ce projet de loi n’en traite qu’un aspect, de manière partielle d'ailleurs, en le mêlant à un chapelet d’autres sujets, évoqués eux aussi de manière elliptique : la protection des « lanceurs d’alerte », les règles de la domanialité, le régime des mutuelles, la protection des consommateurs, l’amélioration de la situation financière des entreprises agricoles, le financement des entreprises, le parcours de croissance, avec cette nouvelle obligation parfaitement révolutionnaire pour les personnes publiques et privées chargées d’une mission de service public de promouvoir « toute forme d’innovation »… Fermez le ban !

Parmi les sujets abordés, celui que soulèvent les articles 21 et 21 bis me paraît d’une telle importance qu’il aurait mérité plus d’attention. Ces articles traitent en effet des pouvoirs de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution en cas de crise et organisent la résolution des compagnies d’assurance, notamment d’assurance vie. J’ai, à ce sujet, trois sources d’étonnement.

Premièrement, je m’étonne que le Gouvernement ait autant tardé à s’attaquer à un problème dont on connaît l’importance au moins depuis début 2015, avec les rapports du FMI et de la BRI, la baisse des taux d’intérêt induisant la tentation, pour les assureurs, de se tourner vers des actifs plus risqués et, inversement, pour certains investisseurs, d’aller chercher fortune ailleurs si ces taux se mettaient à remonter.

Deuxièmement, je suis surpris qu’un tel sujet, qui intéresse tant d’épargnants modestes, soit traité au détour d’un texte de loi relatif à la lutte contre la corruption sous une forme qui le rend parfaitement invisible et incompréhensible aux non-initiés.

Troisièmement, je suis stupéfait que, en cas de faillite bancaire, après les déposants – par la loi de séparation et de régulation des activités bancaires de juillet 2013 –, ce soit maintenant les épargnants qui soient mis à contribution – pas mal, d'ailleurs ! Manifestement, les banquiers et les assureurs sont là pour encaisser les bénéfices des risques qu’ils prennent pour nous, mais pas pour assumer les pertes…

Afin d’ouvrir la discussion, j’avais déposé un amendement visant à préciser que le plancher de la garantie accordée par le Fonds de garantie des assurés contre la défaillance de sociétés d’assurance de personnes, qui est prévu à l’article L. 423-1 du code des assurances, soit porté à 100 000 euros, ce qui l’alignait sur la garantie accordée actuellement aux dépôts. De cet amendement, on ne parlera pas, parce qu’il a été censuré par la Sublime Porte réglementaire, alors que d’autres amendements, traitant opportunément du même sujet et que je voterai, ne l’ont pas été. Comprenne qui pourra !

Personnellement, je ne comprends pas ce coup d’entonnoir porté à un amendement qui traite véritablement du fond du sujet des articles 21 et 21 bis, puisqu’il s’agit de protéger les assurés modestes contre les aléas de la conjoncture. J’ose espérer que je recevrai quelque explication convaincante sur le traitement qui a été réservé à cet amendement, qui tendait à régler un véritable problème, et que le ministre, comme il a commencé à le faire à l’Assemblée nationale, nous donnera quelques indications sur la politique qu’il entend mener en matière de résolution des compagnies d’assurance. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)