M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel.

Mme Françoise Gatel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà tout juste quarante-deux ans, Mme Simone Veil, ministre de la santé centriste, défendait courageusement la loi sur l’IVG. Elle parlait alors de son « profond sentiment d’humilité […] devant l’ampleur des résonances que [ce texte suscitait] au plus intime de chacun des Français et des Françaises ».

Face à de nombreuses actions physiquement violentes des commandos anti-IVG, le législateur a créé un délit pénal spécifique d’entrave à l’avortement volontaire, l’assujettissant à des peines sévères pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement.

Aujourd’hui, je l’affirme clairement, il ne s’agit pas de revenir sur la loi IVG.

Madame la ministre, j’ai tant à vous dire que je n’ai pu vous dire lorsque le Sénat fut amené à rejeter l’amendement gouvernemental relatif au délit d’entrave numérique à l’IVG, déposé de manière soudaine et inattendue dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté !

À cette occasion, certains membres de la majorité gouvernementale s’indignèrent violemment et déclarèrent, de manière péremptoire, que cette décision du Sénat aurait découlé du poids de lobbies ou de l’expression d’une pensée dissimulée. Je le dis en cet instant, les sénateurs centristes ne sont soumis ni aux lobbies ni à la pensée unique ! La loi est la loi : elle doit être scrupuleusement respectée !

En outre, voir, au mois de septembre, le Sénat accusé d’attitude liberticide à propos d’amendements qui tendaient, enfin, à traiter les abus d’expression numérique et, au mois de novembre, le Gouvernement contrevenir à ces mêmes principes est pour le moins surréaliste et ironique.

Je veux rappeler que les amendements sénatoriaux sur le projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, amendements dits « corbeaux numériques », avaient été initialement déposés devant la commission spéciale chargée d’examiner le texte par trois éminents collègues de la commission des lois : François Pillet, du groupe Les Républicains, Thani Mohamed Soilihi et Alain Richard, du groupe socialiste et républicain.

Votre présente préoccupation, madame la ministre, confirme avec force et pertinence la justesse de ces amendements, que vous n’avez pas soutenus.

Il existe aujourd’hui un vrai sujet d’expression sur internet, tout particulièrement en matière de santé, sujet qu’il est difficile d’occulter. Alors, madame la ministre, pourquoi refuser un débat général et en solliciter un en urgence sur la seule question de l’IVG ?

Il me faut également évoquer la bizarrerie et l’incongruité de recourir à la procédure d’urgence, peu compatible avec la rigueur du travail législatif. Nous en avons une fois de plus la preuve avec l’écriture improvisée de ce texte et la succession de tentatives de sécurisation juridique.

Hier, en commission des affaires sociales, une éminente collègue socialiste nous indiquait que l’intention de la majorité gouvernementale était surtout de donner un signe. Mais un signe à qui ? Un signe pour quoi ? Et un signe seulement ?

Le législateur n’est pas un lanceur d’alerte. Il n’est pas là pour donner des signes : il écrit la loi et garantit son applicabilité.

Pourquoi ce calendrier, alors que dès 2013, comme l’ont rappelé certains orateurs, le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes émettait des préconisations ?

Pourquoi créer seulement en 2015 un numéro vert, alors que ce même Haut Conseil rappelait encore une fois, dès 2013, les circulaires des années 2000 réclamant la création de plateformes téléphoniques régionales et de lieux d’information et d’accueil ?

Le silence absolu, dans le présent texte, sur la volonté concrète du Gouvernement d’améliorer l’information et la prévention est également troublant.

Doit-on rappeler que l’IVG n’est pas un moyen de contraception ? Il faut le dire, si le recours à l’IVG est un droit, qu’il convient de respecter, nul ne peut oser affirmer qu’il s’agit d’un droit banal et anodin.

Comment ne pas s’étonner, madame la ministre, de votre indignation au sujet du référencement de certains sites qui seraient plus accessibles que les sites officiels ? S’ils sont plus performants, c’est que la communication officielle, a contrario, n’est ni adaptée ni efficace.

Comment peut-on croire que faire taire des communications contestables constituerait une réponse satisfaisante au regard du besoin d’information des femmes ?

Cette proposition de loi n’est pas une réponse. Elle n’est qu’un signal à ceux qui aiment le symbole et les gages, et ne s’adresse certainement pas aux plus faibles, aux femmes en détresse confrontées à une décision grave.

Si le Gouvernement fait preuve d’insuffisance en matière d’information et d’accompagnement, il est toutefois vrai qu’une question demeure, que nous ne fuyons absolument pas. Mais ne nous y trompons pas ! La question est de savoir non pas s’il est condamnable de tenir des propos défavorables à l’IVG sur des sites internet, mais si le fait de tenir des propos trompeurs visant à induire manifestement une femme en erreur sur les conséquences et la nature d’une IVG est répréhensible.

On ne peut assimiler une entrave violente, physique ou psychologique à l’accès à un centre et l’expression d’une opinion, aussi fausse fût-elle, sur un site librement consultable et consulté. La liberté d’expression est le socle de la démocratie et elle est aussi faite pour ceux dont nous ne partageons pas l’avis.

Enfin, la proposition de délit pénal se heurte au droit français et européen, comme l’a brillamment rappelé Michel Mercier. Elle est en contradiction avec la directive traitant des services de la société de l’information, avec la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, s’agissant de ses dispositions relatives à la liberté d’expression, ainsi qu’avec le contrôle de proportionnalité entre le but recherché et les moyens employés.

Mais si le principe de la liberté d’expression doit être garanti, obtenir des informations médicalement fiables sur l’IVG doit l’être tout autant, et parce que la dissuasion ne tient pas forcément à la pénalisation, je proposerai un amendement tendant à recourir à une condamnation civile très encadrée.

En conclusion, madame la ministre, je veux vous redire mon profond regret de voir que l’on recourt à la procédure d’urgence sur un texte relevant de la conscience, non du calendrier électoral ! Ce sujet ne saurait être mis au service de fins politiques !

Ce texte, j’en suis convaincue, est un signal illusoire, un gage politique masquant totalement l’insuffisance en matière d’information et l’imprécision sur le plan juridique.

Ramener le Parlement à avoir un rôle de lanceur d’alerte, c’est commettre une double faute : c’est laisser croire que, parce qu’on l’aurait nommé, on aurait résolu le problème – cela relève de la tromperie et de l’illusion –, mais aussi renier la nécessité de règles précieuses, respectueuses de la liberté d’opinion, dans une démocratie qui, sans règles, dériverait vers le totalitarisme.

Dire est utile, mais faire et pouvoir faire est essentiel à la crédibilité politique.

Je veux l’affirmer très clairement, madame la ministre, des sénateurs, soucieux de la question posée, vous adressent une proposition plus sécurisée et proportionnée, ce qui me permet d’envisager que les milieux autorisés renonceront à toute police de pensée, à toute tentative de nous caricaturer, de nous diaboliser par des propos moralisateurs et péremptoires. Le Sénat aura été force de propositions et, surtout, pourvoyeur de solutions.

Mes chers collègues, il n’y a ni « bien-pensance » ni « mal-pensance » ; il n’y a que conscience. Le sujet en appelant au plus intime de nos convictions, les sénateurs centristes s’exprimeront en conscience sur cette problématique. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.

Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour consolider le droit des femmes à l’interruption volontaire de grossesse, en protégeant plus efficacement ce droit contre les entraves dont il fait l’objet.

La proposition de loi de nos collègues députés, telle qu’elle a été amendée par la commission des affaires sociales, tend effectivement à actualiser et compléter les modalités du délit d’entrave à l’IVG.

Notre responsabilité, donc, est de rendre plus effectif encore un droit fondamental, celui, pour toute femme enceinte qui ne veut pas poursuivre une grossesse, d’interrompre celle-ci avant la fin de la douzième semaine.

Dans notre pays, le droit à l’IVG est un droit à part entière : ce n’est ni un droit à part, ni une tolérance, ni une exception.

Étape après étape, depuis la loi Veil de 1975, notre législation s’est enrichie de nombreuses dispositions pour ancrer dans notre droit et rendre accessible à chacune cet acquis fondamental des femmes pour la maîtrise de leur fécondité et pour leur droit de disposer de leur corps.

Citons les textes les plus proches de nous.

La loi du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes a supprimé la notion de détresse qui caractérisait, dans la loi, la situation des femmes désireuses d’avorter, et étendu le délit d’entrave à l’information sur l’avortement.

La loi du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a introduit plusieurs dispositions pour améliorer l’accès à l’IVG sur l’ensemble du territoire, en supprimant le délai de réflexion entre la consultation d’information et celle du recueil de consentement, en ouvrant aux sages-femmes la réalisation de l’IVG médicamenteuse et en chargeant les agences régionales de santé d’établir des plans régionaux pour l’accès à l’IVG.

À ces réformes, s’est ajouté le programme national d’action pour améliorer l’accès à l’IVG en France, présenté en 2015 par Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, qui a notamment renforcé l’information des femmes sur leurs droits, en créant un numéro national d’appel, en mettant en place le site ivg.gouv.fr et en déployant une campagne nationale d’information.

À ce stade de mon propos, permettez-moi, mes chers collègues, d’exprimer ma fierté d’appartenir à une majorité qui a, tout au long de la législature, agi avec constance et détermination, aux côtés du Gouvernement, pour garantir un meilleur accès à l’avortement, sur tout le territoire, aux femmes souhaitant interrompre leur grossesse, et cela sans jamais faiblir non plus dans la promotion de l’accès à la contraception.

S’il reste toujours à faire pour améliorer encore la situation sur le terrain, il faut souligner à quel point la somme des actions entreprises à tous niveaux pour rendre effective la liberté de choix des femmes est remarquable.

Aujourd’hui, nous devons continuer ! Car rendre le droit effectif, c’est aussi lutter, avec la même constance et la même détermination, contre les entraves au libre exercice de ce droit !

Qu’en resterait-il si on laissait des individus s’opposer à son libre exercice par la force, par des menaces, par des pressions ? Qu’en resterait-il si le fait d’être opposé à l’avortement par conviction autorisait à empêcher par tout moyen les femmes d’y recourir ou même de s’informer ? Qu’est-ce qu’une liberté individuelle si elle est à la merci d’entraves de plus en plus sophistiquées ?

Dès 1993, avec la loi Neiertz, le législateur a créé le délit d’entrave pour protéger la liberté de choix des femmes contre l’entrave inacceptable représentée, à l’époque, par les commandos anti-IVG qui sévissaient dans les établissements de santé, en en bloquant l’accès ou en exerçant des menaces ou des actes d’intimidation sur les femmes et les personnels.

Par la suite, la loi du 4 juillet 2001 a étendu ce délit aux « pressions morales et psychologiques », mais toujours à la condition que ces pressions soient exercées dans les établissements concernés par les actes d’IVG ou à leurs abords.

Enfin, la loi du 4 août 2014 a permis que puisse être sanctionnée l’entrave à l’information sur l’IVG, toujours au sein des établissements et centres d’information.

Le délit d’entrave par pressions morales et psychologiques, menaces et intimidations existe donc depuis 2001. Toutefois, selon la loi, ce délit ne peut être constitué que dans des lieux définis : des établissements ou centres délivrant des informations sur l’IVG.

Aujourd’hui, la situation est la suivante : les femmes qui viennent s’informer sur l’IVG dans les centres d’information ou dans les établissements de santé sont juridiquement protégées contre l’entrave, notamment contre les pressions psychologiques et morales, parce que le délit d’entrave s’applique dans ces lieux, mais celles qui recherchent des informations en ligne ne sont en rien protégées contre les pressions psychologiques et morales, les menaces et les actes d’intimidation.

Or qu’observe-t-on en matière d’information relative à l’IVG sur internet ? Que le délit d’entrave s’y répand, notamment au travers de sites diffusant des informations volontairement tronquées ou mettant en relation téléphonique des femmes en recherche d’informations sur l’IVG avec des personnes qui, sous couvert de les informer, vont exercer sur elles des pressions psychologiques, souvent insistantes. Ces pressions visent à contraindre et peuvent ainsi constituer une entrave au sens du code de la santé publique.

Les témoignages rendus publics au cours des dernières semaines, mais aussi ceux qui sont recueillis par le planning familial concordent : il existe un réel problème d’entrave par pression psychologique et morale, parfois même de harcèlement via des sites et numéros d’appel. Sont visées des femmes qui cherchent à s’informer et à entamer une démarche d’IVG, à exercer leur liberté de choix dans un délai contraint par le temps.

En outre, les expériences recueillies conduisent à penser que, au bout de la ligne, les interlocuteurs de ces femmes n’ont pas de formation médicale ni de formation à l’écoute, alors que certaines situations individuelles peuvent être particulièrement dramatiques. Je pense, par exemple, aux viols ou aux violences familiales.

Notre droit doit donc s’adapter à cette nouvelle modalité du délit d’entrave. Dès lors que l’on veut protéger le droit à l’information sur l’IVG, ce délit ne doit plus être limité à des lieux physiques, car l’information ne se délivre plus exclusivement dans ces lieux.

C’est pourquoi, mes chers collègues, nous devons adopter le texte issu des travaux de la commission des affaires sociales et proposé par Mme la rapporteur, que je félicite et remercie de son travail d’amendement.

Ce texte ne définit pas un nouveau délit d’entrave, mais reconnaît que les éléments de pressions morales et psychologiques, les menaces ou les actes d’intimidation empêchant l’accès à l’information peuvent être désormais commis « par tout moyen ».

Ce texte ne prévoit pas un délit spécifique à internet, mais il englobe nécessairement celui-ci. Internet n’est pas en effet une zone de non-droit et y recourir ne constitue pas une circonstance aggravante ; c’est une modalité parmi d’autres du délit d’entrave, tel qu’il est sanctionné dans notre droit.

Voilà pourquoi, au nom du droit effectif des femmes à disposer de leur corps, droit largement soutenu sur toutes nos travées, au nom du droit à ne pas subir d’intimidation, de pressions morales et psychologiques en vue d’empêcher ou tenter d’empêcher de s’informer et de recourir à l’IVG, le groupe socialiste et républicain votera le texte proposé par la rapporteur et la commission des affaires sociales, en se félicitant du travail accompli, une fois de plus, au service de l’émancipation des femmes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.

Mme Catherine Deroche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise est le fruit d’un parcours législatif tumultueux, au cours duquel sa rédaction aura changé plusieurs fois.

En effet, le Gouvernement, par l’intermédiaire du groupe socialiste, écologiste et républicain à l’Assemblée nationale, a fait précipitamment déposer ce texte relatif à l’extension du délit d’entrave à l’interruption volontaire de grossesse, et ce après un rejet au Sénat de la disposition dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, au motif qu’il s’agissait d’un cavalier législatif.

La rédaction initiale – première version – créait une troisième catégorie d’entrave à l’IVG, caractérisée par la diffusion par tout moyen, notamment par internet, d’allégations, d’indications ou de présentations faussées au sujet de l’IVG, et de nature à induire intentionnellement en erreur une femme, dans un but dissuasif, ou à exercer des pressions psychologiques sur celle-ci.

Résolument attentatoire à la liberté d’expression, ce texte n’était en réalité ni fait ni à faire !

Créant un délit d’opinion, il était manifestement contraire à la Constitution, ainsi qu’à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ses dispositions, imprécises et vagues, se heurtaient à plusieurs grands principes de notre droit, comme le principe de légalité des incriminations et le principe de nécessité et de proportionnalité des peines.

La commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale a, par la suite, modifié le texte.

La rédaction de cette commission – deuxième version – assimilait aux pressions, menaces et intimidations la mise à disposition d’informations fausses ou de nature à induire en erreur au sujet de l’IVG et de ses conséquences, dans un but dissuasif.

Là encore, on comprend la difficulté à qualifier de pression psychologique, de menace, d’intimidation le fait de mettre à disposition sur internet des informations fausses ou de nature à induire en erreur au sujet de l’IVG.

De plus, par la notion de fausseté des informations, les auteurs plaçaient les tribunaux dans une situation délicate, en leur demandant de prendre position sur des questions d’ordre scientifique.

Cette rédaction n’a donc pas permis à l’Assemblée nationale de remédier aux importants défauts du texte initial.

La commission des affaires sociales du Sénat, sur votre proposition, madame le rapporteur, a changé radicalement la rédaction de l’article unique de la proposition de loi, et ce pour la troisième fois.

Désormais – troisième version, plus light, pourrait-on dire –, le délit d’entrave sera constitué par le fait d’exercer des pressions morales et psychologiques, par tout moyen, à l’encontre des personnes cherchant à s’informer sur l’IVG.

Toutefois, cette énième version vide en partie le texte de sa substance et nous n’en voyons plus l’intérêt !

Bien plus, la rédaction changeante nous révèle que les auteurs et soutiens de cette proposition de loi ont conscience des problèmes soulevés par celle-ci, et peinent à concilier leurs objectifs avec le respect des libertés.

En réalité, le débat relatif à cette proposition de loi n’a strictement rien à voir avec l’interruption volontaire de grossesse : il concerne uniquement la liberté d’expression.

Qui plus est, le Gouvernement, par cette démarche législative, semble vouloir pallier ses propres manquements, en tentant d’introduire dans notre droit un dispositif bancal.

En effet, il existe de toute évidence d’autres moyens, outre la création d’un nouveau délit, pour favoriser l’accès des femmes à une information de qualité au sujet de l’interruption volontaire de grossesse, étant précisé que nous partageons le constat de la nécessité de cette information.

Ainsi, le Gouvernement pourrait agir afin d’améliorer le référencement des sites officiels d’information au sein des moteurs de recherche sur internet.

Je n’oublie pas les autres mesures qui pourraient être menées sur le terrain, où l’on voit l’État se désengager et, notamment, demander aux collectivités territoriales d’assurer financièrement le soutien à de nombreuses associations.

Premier point, notre assemblée n’a pas vocation à pallier l’insuffisance du Gouvernement.

Second point, notre assemblée n’a pas non plus vocation à s’engager dans une démarche qui serait purement symbolique et aurait pour seule finalité d’envoyer un signal à certains sites internet – ce n’est pas notre rôle.

Mes chers collègues, le Sénat a pour vocation d’être un législateur efficace et prudent, toujours soucieux de préserver un équilibre entre la sauvegarde de la liberté d’expression et la nécessaire répression de ses abus.

Notre rôle de législateur consiste donc, non pas à communiquer, ce que la majorité gouvernementale s’est employée à faire à longueur de textes depuis 2012 au travers d’articles inutiles, mais à agir avec sagacité et sens de l’intérêt général.

Le texte qui nous est soumis ne nous permet pas de procéder de la sorte. C’est pourquoi mon groupe le rejettera à une très large majorité. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.

M. Roland Courteau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour moi et pour le groupe socialiste et républicain, les droits des femmes à disposer de leur corps et à prendre librement les décisions autonomes les concernant, sans crainte de coercition, de discriminations ou de violences, sont des droits fondamentaux, fruits de longs et difficiles combats dans la longue marche de l’humanité. Bien évidemment, ces droits fondamentaux supposent l’accès à une information objective.

Or, force est de le constater, la tentative d’entrave à l’IVG prend aujourd’hui de nouvelles formes sur internet, par l’entremise de sites qui se donnent l’apparence de sites officiels. Il s’agit d’induire délibérément en erreur, d’intimider, d’exercer des pressions psychologiques ou morales, voire presque de menacer, dans le but de dissuader des femmes de recourir à l’IVG.

Les faits sont là, n’en déplaise à certains, confirmés par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes : on constate à l’heure actuelle une importante montée en puissance de ces sites portant atteinte au libre choix des femmes.

Ces sites visent notamment les jeunes femmes, les plus démunies ou les moins bien informées, souvent mineures et ne sachant à qui s’adresser. Qui donc parmi nous peut accepter cela ? Selon moi, désinformer, mentir, tromper pour imposer une grossesse à une femme qui n’en veut pas, car cela ne s’inscrit pas dans son projet de vie, c’est aussi une violence à son encontre.

En fait, la bataille de l’information sur l’avortement est capitale, essentielle.

Aux dires de certains, le texte que nous examinons remettrait en cause la liberté d’expression ou la liberté d’opinion. Cela n’a rien à voir ! Chacun a le droit d’être contre l’IVG et personne ne lui interdit de le dire ou de l’écrire. Pour autant, ce n’est pas parce qu’on a le droit d’être contre l’IVG que cela autorise à tromper, à mentir, à exercer des pressions, à désinformer, à intimider, sous couvert d’une information faussement neutre, ce pour dissuader les femmes d’y recourir.

Et là, il ne s’agit pas d’opinions librement exprimées ; là, l’objectif, c’est de restreindre les droits des femmes, c’est de les dissuader de recourir à l’IVG, c’est presque de les contraindre, par des intimidations morales, à se défaire d’une telle intention. Cela pourrait même être considéré comme un abus de faiblesse.

Faut-il dès lors pénaliser de tels agissements, de telles formes d’activisme ? Oui, bien évidemment ! On pourrait pénaliser les propos racistes, antisémites, l’incitation au suicide, l’homophobie, et l’on ne devrait pas sanctionner la diffusion de fausses informations sur l’IVG ou l’intimidation et le harcèlement dans le but de multiplier les entraves à ce droit fondamental qu’est l’IVG ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.) Oui, force est encore de le constater, la vigilance s’impose toujours et encore au législateur que nous sommes, car ce droit fondamental n’est, hélas, jamais définitivement acquis.

Remarquons-le : plusieurs pays européens ont essayé de remettre en cause ce droit. Constatons-le : en France, en 2016, quarante-deux ans après la loi Veil, les entraves au droit à l’IVG se multiplient. En France, en 2016, certains croient pouvoir continuer à imposer aux femmes ce qu’elles doivent faire, penser ou décider. Certes, en 2016, les commandos violents comme on en a connu voilà quelque trente ans ont disparu, et pour cause, puisque le délit que constituent leurs agissements est sévèrement sanctionné. Si le combat des commandos a changé de terrain et si les méthodes utilisées, plus sournoises, sont plus policées, les objectifs sont toujours aussi pernicieux.

En effet, lorsque les masques tombent, car ils finissent toujours par tomber, très vite sont révélées ces manipulations inspirées par un obscurantisme d’un autre âge, véritable propagande délictueuse, par laquelle on manipule la vulnérabilité et la détresse des femmes, l’objectif étant non pas d’informer, mais de tromper pour mieux dissuader et plonger les femmes dans une situation impossible.

Manipuler, tromper pour détourner les femmes d’une IVG, alors que ces femmes traversent des épreuves difficiles, alors qu’elles réclament de l’aide, des conseils, oui, c’est en quelque sorte un abus de faiblesse, et c’est tout simplement ignoble.

Dès lors, compléter la définition de l’entrave à l’IVG, comme il est proposé dans le présent texte, ce n’est pas revenir sur la liberté d’expression, ce n’est pas conduire à la censure de contenus en ligne, c’est tout simplement lutter contre les effets de la tromperie, de la manipulation, de la désinformation, et c’est surtout protéger les femmes, protéger leur droit de s’informer objectivement, donc protéger leur liberté contre l’activisme régressif engagé par un camp : le camp du recul. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Laurence Rossignol, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite répondre à un certain nombre d’interpellations et revenir sur différents arguments que j’ai entendus lors de cette discussion générale.

Tout d’abord, d’aucuns nous suspectent, voire nous accusent, de précipitation et d’arrière-pensées politiques. Le présent texte n’aurait-il donc pas pour seul objectif de protéger les femmes contre les allégations mensongères sur internet auxquelles elles sont soumises ?

Je vous le rappelle, cette discussion a déjà été esquissée en 2014, au moment où le Gouvernement a accepté, lors de l’examen du projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, d’élargir le délit d’entrave à l’entrave à l’accès à l’information sur l’IVG dans l’espace physique des services ou des lieux d’information à destination des femmes. Le Gouvernement avait alors choisi de mettre en place son propre site internet.

Plusieurs orateurs nous disent : « vous n’avez qu’à être aussi bons que les autres. » Tout de même, l’information, ce n’est pas la concurrence, la loi du marché ; ce n’est pas la jungle !

Effectivement, le référencement dépend de plusieurs critères, dont les moyens financiers qui y sont consacrés. À ce propos, les lobbies anti-IVG ont incontestablement des moyens financiers importants, et leurs sources de financement ne sont pas totalement transparentes. (Mais non ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Le référencement dépend également d’aléas, comme le nombre de mots clés. Depuis la mise en place du site d’information ivg.gouv.fr, le Gouvernement travaille quasi quotidiennement afin que l’affichage de celui-ci figure en premier. Comme je le consulte chaque jour, je puis vous dire que parfois ce site apparaît en tête du moteur de recherche. Cependant, il suffit que, au cours de la nuit, se déroule une action militante pour que la position de sites de désinformation sur l’IVG gagne du terrain. Nous faisons donc tout ce qui est en notre pouvoir. Pour autant, je le reconnais, notre action ne suffit pas à garantir un affichage prioritaire systématique du site gouvernemental.

J’en ai donc conclu qu’il fallait prendre d’autres mesures pour éviter la propagation de tels sites, de plus en plus nombreux, qui se renvoient les uns aux autres, font référence à la détresse, à l’avortement. Et ayant été saisie par les femmes et les associations, c’est pour répondre à une sollicitation constante que je suis intervenue, sachant que la simple action sur le référencement présente un caractère aléatoire et non pérenne. Je ne me suis pas mis un jour en tête de mener une bataille sur l’IVG pour pallier l’ennui au Parlement. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Le Gouvernement serait pressé, selon certains d’entre vous. Je vous le rappelle, je vous avais proposé de discuter de ce sujet dès le mois de septembre dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté.