M. Charles Revet. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Canevet, rapporteur pour avis. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)

M. Michel Canevet, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur du CESE, mes chers collègues, la France possède le deuxième domaine maritime mondial, grâce à la très importante longueur de côtes de l’Hexagone et, aussi et surtout, à ses onze territoires d’outre-mer, qui constituent effectivement une grande richesse. Ce domaine maritime recèle un potentiel économique considérable pour la France ; il représente un espoir de développement significatif. C’est pourquoi le présent projet de loi est aussi important à nos yeux : il vise à permettre, cela a été dit par les orateurs précédents, le développement des territoires ultramarins, dont chacun voit bien les différences avec la situation dans l’Hexagone. Il convient donc, par ce texte, de les corriger.

Le mouvement a cependant été lancé il y a déjà plusieurs années. Il y a plus de trente ans, la loi Pons a conduit à la mise en place de programmes spécifiques en direction des territoires ultramarins. Ces programmes furent corrigés en 2001 par la loi Paul, qui en a restreint les avantages, et en 2003 par la loi Girardin, qui a de nouveau accru l’importance des dispositifs dédiés.

Cet ensemble d’actions à destination des outre-mer est tout à fait significatif. On peut évaluer à 4 milliards d'euros l’effort fourni par la France en direction des outre-mer, dont 800 millions d'euros pour ce qui a trait aux dispositifs intéressant particulièrement la commission des finances. Je pense notamment aux dispositifs de déduction fiscale ou de défiscalisation – au nombre de quatre actuellement –, mais aussi aux politiques spécifiques de crédit d’impôt, qui ont été étendues au fil des années.

De quinze articles qu’il contenait dans la version du Gouvernement, le projet de loi qu’il est donné au Sénat d’examiner ce jour ressort des discussions à l’Assemblée nationale à cent seize. C’est dire l’étendue de l’inflation législative qu’il revient au Sénat de corriger, ce à quoi la commission des finances, saisie de quinze articles, s’est attelée. Nous avons ainsi proposé la suppression de deux articles, ainsi que la modification à la marge de certaines mesures contenues dans les autres.

Sept des quinze articles que nous avons examinés portent sur les dispositifs de défiscalisation, huit sur des dispositifs divers, ayant trait à des actions spécifiques en direction des outre-mer : l’octroi de mer, les zones franches d’activité, le fonds d’investissement de proximité, les frais de garderie au titre de l’Office national des forêts… Bref, un éventail assez large de dispositions issues des travaux de l’Assemblée nationale.

Beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, ont formulé des propositions complémentaires que, pour la plupart, nous ne pourrons retenir. Il nous faut en effet aller à l’essentiel, mettre en place des dispositifs dotés d’une efficacité réelle, ce qui n’est pas le cas, si j’en crois l’analyse de certains rapports sur ce sujet, de certains dispositifs décidés par nos prédécesseurs. Il appartient donc à notre assemblée de corriger l’ensemble de ces dispositifs et d’en adopter de nouveaux qui permettent un développement réel des territoires ultramarins. Par « développement réel » j’entends « développement économique » : les entreprises doivent pouvoir croître sur ces territoires, qui doivent devenir autonomes et fournir les emplois qui maintiendront sur place les populations.

Les questions de logement ne sont bien sûr pas absentes de ce débat, et différents dispositifs fiscaux ont été mis en œuvre en ce sens. Cependant, j’en reste là, car nous aurons l’occasion d’examiner l’ensemble de ces sujets lors de nos débats. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Aline Archimbaud.

Mme Aline Archimbaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les territoires d’outre-mer sont marqués depuis des décennies par des difficultés sociales et économiques, par des inégalités héritées de l’histoire coloniale que la République peine à résoudre. Les taux de chômage y sont deux fois plus élevés que dans l’Hexagone : 21,3 % en Guyane en 2013, par exemple, et 29 % à La Réunion, selon l’Observatoire des inégalités. Les problèmes éducatifs, sanitaires, économiques, d’accès aux droits, d’accès aux services publics, d’accès à l’emploi sont régulièrement dénoncés par les habitants, les associations et les élus de ces territoires. Pourtant, les choses avancent peu.

Le projet de loi vise à répondre à une partie de ces problèmes. Il est donc attendu. Lorsque nous en avons pris connaissance, nous nous sommes d’abord interrogés sur le sens de son intitulé. Que pouvait bien vouloir dire le concept d’« égalité réelle » ? Serait-il possible d’imaginer que l’égalité soit autre chose que réelle ?

Dans la présentation du projet de loi, il est indiqué que l’égalité réelle est comprise dans le sens que lui donne Amartya Sen, qui a redéfini l’égalité à la fin des années quatre-vingt-dix. Elle s’étudie, selon lui, en regardant comment l’accès aux biens et aux services est converti en ce qu’il appelle des « capabilités », c'est-à-dire des possibilités d’action, des réalisations personnelles, des accomplissements. Lorsque l’on parle des outre-mer, on voit immédiatement que ces « capabilités » sont entravées, qu’elles ne sont pas les mêmes que dans l’Hexagone.

Cela fait écho à de nombreux exemples dont nous ont fait part les communautés amérindiennes que nous avons rencontrées en septembre dernier, la députée Marie-Anne Chapdelaine et moi-même, lors de notre mission en Guyane. Au cours de cette mission parlementaire sur l’épidémie extrêmement préoccupante de suicides des jeunes Amérindiens de Guyane, signe d’un mal profond, nous avons en effet rencontré des habitants de tous âges, beaucoup de jeunes et de femmes, des villages de l’intérieur. Ils sont volontaires, ils ont de nombreux projets, mais leurs actions et leur motivation ne trouvent que trop peu d’écho.

Pourquoi ne pas développer davantage les formations, les apprentissages et les emplois utiles sur place, au plus près des gens ? Lors de notre déplacement en Guyane – exemple représentatif –, la mission locale de Maripasoula était fermée depuis un an et demi, pour une durée indéterminée et sans raison explicite.

Les problèmes sont nombreux. Le projet de loi et les treize titres qui le composent montrent bien l’étendue de la tâche. Le plan de convergence qu’il propose est plein de bonnes intentions. Ce texte nous semble donc aller dans le bon sens, mais encore faut-il que les objectifs soient atteints. Il faut pour cela mettre en place les mécanismes nécessaires.

La République est unique et diverse, c’est son indubitable richesse. Mais c’est là que réside aussi la difficulté, par exemple lorsqu’il faut mettre en place des politiques publiques. Il n’est pas possible de calquer ce qui est mis en place dans l’Hexagone de façon indifférenciée en outre-mer. Vous venez d’insister sur ce point, madame la ministre. Vous avez également indiqué vouloir encourager des stratégies différenciées et coconstruites. Il nous semble que cette démarche va dans le bon sens.

Nous avons déposé des amendements s’inscrivant dans cette ligne et portant notamment sur l’accès à l’éducation en langue maternelle, sur l’information des jeunes en matière de santé, sur le renforcement de la représentation institutionnelle des populations autochtones, notamment sur la transformation du Conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinenges en grand conseil coutumier, auquel nous proposons de donner un pouvoir et une capacité d’initiative beaucoup plus importants. Nous proposons également – nous insistons sur ce point – la création d’un observatoire du suicide en Guyane, pour s’attaquer enfin, de façon spécifique et au plus près du territoire, à ce problème grave, douloureux, insupportable. C’est tout à fait nécessaire pour créer rapidement les conditions d’un mieux-être pour tous ces jeunes qui n’ont plus d’espoir en l’avenir.

Nous souhaitons par ailleurs réintégrer l’article instaurant un jour de commémoration nationale de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions, ainsi qu’une journée en hommage aux victimes de l’esclavage colonial.

Enfin, nous proposons de réintégrer des mesures supprimées en commission au Sénat visant à lutter contre l’orpaillage illégal, dont nous avons vu les ravages en Guyane, tant sur la sécurité que sur la santé des habitants, le mercure utilisé par les orpailleurs illégaux étant rejeté dans les cours d’eau.

Pour aller plus encore au fond des choses, le groupe écologiste regrette que certaines mesures structurelles, dont nous avons demandé la mise en place à plusieurs reprises, ne soient toujours pas proposées sur plusieurs sujets majeurs.

Sur le plan énergétique, d’abord. Jean-François Mayet, rapporteur pour avis de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, a évoqué la question : comment se fait-il, alors que les ressources naturelles sont particulièrement favorables, qu’un plan ambitieux de promotion des énergies renouvelables ne soit pas encouragé ? Solaire, éolien, biomasse : dans tous ces territoires, il y a des possibilités énormes. Nous proposons donc de renforcer l’autonomie énergétique, de développer des filières modernes et d’offrir, à tous les niveaux, des formations et des emplois dans ces secteurs à une population dont vous avez relevé, madame la ministre, les atouts et le talent.

Sur le plan économique, ensuite : pourquoi ne pas encourager davantage les productions locales en agriculture et en aquaculture ? Pourquoi ne pas plus valoriser la pêche et toutes les industries de transformation ?

Sur le plan environnemental, enfin : des menaces graves pèsent sur la biodiversité, dans des régions où elle est souvent fragile, les territoires insulaires notamment. Je pense aux coraux en Nouvelle-Calédonie, à la forêt amazonienne, menacée par l’orpaillage, au mercure dans l’eau des fleuves en Guyane. Je pense aussi aux dangers de l’exploitation minière si elle est insuffisamment encadrée.

Il faut aborder ces enjeux immenses, structurels, si l’on veut renforcer la lutte contre le chômage, contre la pauvreté, contre la vie chère. De nombreux produits alimentaires ou industriels sont importés, à très haut prix, notamment de l’Hexagone, alors qu’un développement plus endogène permettrait d’avoir un impact environnemental moindre, des prix plus doux et une production locale au service de l’emploi et de l’initiative des habitants. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur du CESE, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui un texte d’une extrême importance pour nos territoires d’outre-mer, car il vise à réduire les écarts de développement sociaux et économiques entre les populations ultramarines et de métropole. En effet, des écarts significatifs de niveau de vie persistent toujours malgré, je veux le souligner, une réelle dynamique de rattrapage économique et des politiques de développement volontaristes menées par ce gouvernement. Entre pauvreté, logements insalubres, décrochage scolaire, taux de chômage bien plus élevé que dans l’Hexagone ou encore PIB par habitant de 30 % à 80 % inférieur, ces inégalités de développement entre les territoires d’outre-mer et l’Hexagone restent patentes.

Ce texte se fixe comme objectif ambitieux de parvenir à l’égalité réelle et de mettre en œuvre l’un des soixante engagements de campagne de François Hollande, auquel les Ultramarins ont massivement fait confiance en 2012.

Certains s’interrogent sur le choix de cette sémantique, opposant selon eux égalité réelle et égalité virtuelle. Il ne s’agit bien évidemment pas de cela. Il s’agit de combattre ici et pour l’avenir des inégalités qui sont incontestablement réelles. Il ne s’agit pas non plus d’égalitarisme. Il s’agit, bien au contraire, de concilier notre conception républicaine unitaire de l’égalité avec l’extrême diversité de nos territoires.

La rédaction du projet de loi a été inspirée par les conclusions du rapport de Victorin Lurel, remis en mars 2016 au Premier ministre et par les avis et propositions de citoyens – membres d’associations, acteurs économiques, élus, étudiants, retraités, artistes, sportifs – d’outre-mer et de l’Hexagone, recueillis au terme d’une large consultation participative. Il répond à une demande forte, ancienne et légitime de ces territoires lointains.

Parmi les apports majeurs de ce texte, je relève la mise en place de plans programmés et pluriannuels de convergence propres à chaque territoire, déterminant un objectif de rattrapage avec la métropole en dix ou vingt ans. Le volet social visant la convergence des droits sociaux vers les standards nationaux, initialement consacré à Mayotte, a été étoffé. Il renforce notamment, et je m’en réjouis, la protection des Mahorais en matière de prestations familiales et d’assurance vieillesse. Enfin, d’autres mesures visent l’égalité réelle en matière d’accès aux opportunités économiques et à l’initiative entrepreneuriale.

Le texte contient également des dispositions en faveur du renforcement de la concurrence, de l’investissement dans le capital humain, de l’accès aux droits économiques et de la lutte contre la vie chère.

Initialement composé de quinze articles, ce texte nous est revenu de l’Assemblée nationale enrichi – je préfère utiliser ce terme – d’une centaine d’articles supplémentaires, modifiant ainsi son envergure, de même que son ambition. Ainsi, des dispositions en faveur de l’égalité hommes-femmes, pour lutter contre l’illettrisme, l’obésité et l’alcoolisme, pour l’accès aux soins, la représentativité des syndicats locaux ou encore la préservation de l’environnement ont été introduites. La mobilité et la continuité territoriale et numérique n’ont pas été oubliées et font désormais l’objet d’un titre entier au profit de la jeunesse ultramarine étudiante ou en formation.

Madame la ministre, nous vous proposerons également d’enrichir ce texte en séance afin de traiter de l’ensemble des problématiques soulevées par l’objectif d’égalité réelle. Je laisse à mes collègues le soin de présenter en détail les amendements relatifs à leur territoire pour me concentrer sur celui que je connais le mieux : Mayotte.

Tout d’abord, je me félicite de ce que la commission des lois du Sénat ait adopté quatre de mes amendements pour ce territoire.

Les employeurs particuliers pourront désormais bénéficier de la déduction forfaitaire patronale de cotisations de sécurité sociale liée à l’emploi d’une personne à domicile, qui atteindra le niveau en vigueur dans les autres départements d’outre-mer d’ici à 2036, afin de ne pas créer un avantage indu, les prélèvements sociaux et les cotisations sociales étant pour l’heure plus bas qu’ailleurs.

L’économie sociale et solidaire pourra pleinement s’appliquer dans le département de Mayotte, puisque l’ordonnance du 7 avril 2016 a été ratifiée.

En outre, l’erreur survenue lors de la recodification des dispositions relatives à l’outre-mer du code rural et de la pêche maritime, qui avait écarté l’applicabilité outre-mer du titre relatif aux baux emphytéotiques, sera corrigée et l’état antérieur du droit positif rétabli.

Enfin, la composition de la juridiction d’assises à Mayotte sera modifiée et son fonctionnement de fait amélioré, de manière à tenir compte de la situation particulière de notre île, tout en garantissant l’égalité devant la loi pénale pour les personnes résidant outre-mer.

En revanche, je regrette que trois de mes amendements, relatifs à la fiscalité locale et l’adaptation du droit du sol à Mayotte, aient été repoussés. La spécificité et l’insoutenabilité de la situation de l’île en matière fiscale et migratoire les rendaient pourtant indispensables. C’est la raison pour laquelle j’ai redéposé ces amendements en séance. J’y reviendrai donc plus longuement au moment de leur discussion, car il me semble qu’un véritable débat doit être engagé sur ces questions devant la représentation nationale.

Nous en avons tous pleinement conscience, il faudra du temps et de la patience pour mettre en œuvre toutes ces dispositions. D’une part, parce que nos territoires sont très différents les uns des autres en matière de géographie, de climat ou encore d’histoire institutionnelle. D’autre part, parce qu’il faudra échelonner ces mesures afin de ne pas surcharger le budget de l’État en ces temps difficiles.

Néanmoins, ce projet de loi, très attendu par les 2,75 millions de Français qui vivent en outre-mer, assurera, j’en suis convaincu, la convergence de nos territoires avec l’Hexagone. Il témoigne d’une réelle prise de conscience du retard accumulé et de l’urgence à y apporter des réponses. C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste et républicain du Sénat votera en faveur de ce texte.

J’en terminerai en remerciant la ministre pour la qualité de son écoute, le rapporteur et les rapporteurs pour avis pour la qualité de leur travail et les sénateurs qui ont participé – et cela ne fait que commencer – à l’enrichissement de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. La parole est à Mme Gélita Hoarau.

Mme Gélita Hoarau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les populations de ce qu’on appelait « les quatre vieilles colonies » – la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique et La Réunion – étaient dans un état de misère effroyable du fait des années de guerre, bien sûr, mais aussi et surtout du fait de leur statut colonial. Les progressistes de ces pays devenus parlementaires, Césaire, Bissol, Monnerville et Vergès, ont fait voter à l’unanimité une loi qui mettait fin officiellement au régime colonial et donnait à ces colonies le statut de département.

Cette loi d’intégration votée le 19 mars 1946 était proclamée comme une loi d’égalité. Elle prévoyait dans son article 2 que, au 1er janvier 1947, toutes les lois sociales existantes en France seraient étendues à tous les habitants de ces nouveaux départements. On connaît la suite.

Cette loi a été trahie par tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 1946, et cela, quelle qu’ait été leur couleur politique. Il a, par exemple, fallu attendre plus de cinquante ans, après des luttes populaires acharnées, pour obtenir l’égalité sociale dans les DOM au niveau tant du SMIC, des allocations familiales que d’autres prestations sociales.

Mais l’égalité n’est pas seulement sociale. D’autres marqueurs doivent être pris en compte, tels que le PIB par habitant, l’IDH, voire l’indice de Gini. De ce point de vue, l’égalité est loin d’être réalisée, et les écarts entre les départements d’outre-mer et la France sont considérables. C’est ce constat unanimement reconnu qui ont conduit le Président de la République et le Gouvernement à présenter le projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer que nous avons à examiner.

Malheureusement, ce projet de loi ne donne pas la définition exacte de l’égalité réelle. L’exposé des motifs dit qu’elle est multidimensionnelle et qu’elle vise à combler les écarts constatés entre les outre-mer et la France hexagonale dans les droits économiques et sociaux des populations. Soulignons quelques-uns de ces écarts.

Quand le taux de chômage est de 9 % en France, il est de près de 30 % à La Réunion, ce qui correspondrait à 11 millions de chômeurs en France. Ramener le taux de chômage de La Réunion à celui de la France nécessiterait de créer 13 000 emplois dans l’île chaque année pendant dix ans, alors que La Réunion n’en crée pas 3 000 par an.

À La Réunion, près de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté. Rapporté à la France, ce taux correspondrait à 30 millions de pauvres. On pourrait continuer de la sorte cette énumération…

Le projet de loi qui nous est proposé permet-il de combler tous ces retards et inégalités ? On peut raisonnablement se poser la question. Comment croire que ce qui n’a pas été fait pendant soixante-dix ans pourra l’être en dix, ce qui correspond à la durée du projet de loi de programmation relatif à l’égalité réelle outre-mer ? Difficile d’y croire, d’autant plus que la situation décrite plus haut va s’aggraver du fait des événements qui vont bouleverser le monde et impacter inévitablement La Réunion et les autres DOM.

Je veux citer les effets du réchauffement climatique, la démographie, la révolution technologique et les échanges économiques mondialisés. Ces derniers feront ressentir leurs effets à La Réunion dès l’année prochaine du fait de la fin des quotas et du prix garanti du sucre. C’est toute la filière canne à sucre qui est menacée, avec pour conséquence la menace sur l’emploi de 15 000 personnes. De même, les accords de partenariat économique entre les pays ACP et l’Union européenne procèdent de ces échanges économiques concurrentiels mondialisés et représentent une grave menace sur toute notre production.

Personne ne peut nier que la loi de 1946 a apporté en son temps, les luttes populaires aidant, des réponses à des problèmes auxquels nos populations étaient confrontées. Je pense à la santé, à la misère, à l’éducation, à l’absence d’infrastructures notamment. On ne peut nier les acquis dans ces domaines.

Cependant, soixante-dix ans après, la situation dans nos pays, caractérisée par un taux de chômage record, un niveau de pauvreté élevé, un nombre de personnes mal logées et frappées d’illettrisme qui ne baisse pas, montre que cette loi a atteint ses limites. Elle n’est plus en mesure de régler les problèmes présents et, à plus forte raison, de relever les nouveaux défis auxquels nos pays sont confrontés.

Cela est si vrai que nombreux sont ceux, à La Réunion comme aux Antilles et en Guyane, qui pensent que nos peuples aspirent à une véritable émancipation. Ils pensent aussi que le cadre mis en place en 1946 a atteint ses limites et qu’il convient désormais de le dépasser. L’appel à la responsabilité des populations, en leur offrant selon les lois de la République plus de compétences, plus d’autonomie, serait de mon point de vue la réponse appropriée à la situation que connaissent aujourd’hui les outre-mer. Il s’agit pour ces populations, en tenant compte du contexte mondial et régional, de relever le défi du développement durable dans les domaines économique, social, environnemental, culturel, éducatif, identitaire et institutionnel.

Un des enjeux majeurs de ce développement réside dans la nécessité d’une double insertion de nos pays dans la France et l’Union européenne, ainsi que dans leur environnement géographique.

L’histoire nous a liés dès le départ avec la France, d’abord, puis avec l’Union européenne. Il convient de consolider les acquis obtenus dans ce cadre. Cependant, nos environnements géographiques connaissent des bouleversements sur le plan tant démographique qu’économique et nos pays ne peuvent pas se tenir à l’écart de ces grands bouleversements qui s’opèrent à leurs portes.

Il est donc vital pour La Réunion comme pour tous les outre-mer de disposer de compétences élargies pour pouvoir passer avec leurs voisins des accords de coopération et de codéveloppement solidaire dans des domaines aussi divers que le commerce, la santé, la sécurité alimentaire, l’éducation, la recherche, les énergies renouvelables, la lutte contre les effets du réchauffement climatique, etc.

Une nouvelle politique pour les outre-mer consisterait à les aider à relever tous ces défis. Le projet de loi qui nous est présenté le permet-il réellement ? Sincèrement, je ne le pense pas, car il reste dans le schéma classique de la loi d’intégration de 1946. Il ne tire pas toutes les leçons et les enseignements de son application pendant soixante-dix ans, notamment des inégalités créées. Il n’arme pas les outre-mer pour relever tous les défis auxquels ils doivent faire face, pas plus qu’il ne permet, comme le souhaitait le candidat François Hollande en 2012, de mettre en place ce qu’il appelait « un nouveau modèle de développement pour les outre-mer ».

Force est cependant de reconnaître que, sur le plan social, ce projet de loi corrige certains retards accumulés pendant soixante-dix ans. Compte tenu de l’état de désespérance dans lequel se trouvent beaucoup de nos concitoyennes et concitoyens, il n’est pas pensable de les priver de ces nouvelles avancées sociales. Si celles-ci ne sont pas remises en cause durant nos débats, nous voterons ce texte, nonobstant toutes les réserves que je viens de formuler.

Je conclurai mon propos en évoquant le cœur du texte, lequel repose sur les plans de convergence.

Aux termes du projet de loi, l’égalité réelle serait atteinte grâce aux politiques publiques qui seraient mises en œuvre par l’État et les collectivités concernées à travers l’élaboration des plans de convergence, laquelle repose sur les dispositifs d’expérimentation, en vertu des articles 37-1 et 72 de la Constitution, ainsi que d’adaptation et d’habilitation, aux termes de l’article 73 de la Constitution.

Pour l’expérimentation, toutes les collectivités de l’Hexagone et d’outre-mer peuvent mobiliser le dispositif ; pour l’habilitation et l’adaptation, La Réunion est la seule des collectivités régies par l’article 73 de la Constitution à ne pouvoir y prétendre, aux termes de l’alinéa 5 dudit article : La Réunion ne peut donc ni adapter les lois ni produire ses « propres lois ».

Se pose alors une question de constitutionnalité. Si La Réunion ne peut pas disposer d’outils nécessaires pour l’élaboration de ces plans de convergence, cette loi s’applique-t-elle à La Réunion ? La question est posée : elle est d’ordre constitutionnel. Dans ces conditions, madame la ministre, la prudence nous commande de nous abstenir sur les articles concernés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. Guillaume Arnell.

M. Guillaume Arnell. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur du CESE, mes chers collègues, l’article 1er de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen le proclame : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. » Or force est de constater que partout des inégalités demeurent. C’est le cas entre les territoires ultramarins, entre ces territoires et l’Hexagone, et parfois même au sein d’un même territoire.

Sans en faire un débat philosophique, comment appréhender ce concept d’« égalité réelle » ? Devons-nous, nous, Ultramarins, accepter ces inégalités comme une fatalité, essayer de tout aligner sur les indicateurs nationaux ou devons-nous concevoir qu’il est impératif de réduire les écarts là où c’est encore possible et accepter que nos territoires soient différents et évoluent dans des aires géographiques différentes ? Comme le disait très justement Aimé Césaire lors des débats relatifs à la loi de départementalisation de 1946, « il n’y a pas d’égalité “adaptée”, il n’y a pas d’égalité “globale”. L’égalité est ou n’est pas ».

Dès à présent, je tiens malgré tout à souligner que, pour un sujet de cette importance, la procédure accélérée ne me semble pas avoir sa place. Une réflexion d’ensemble sur les inégalités et les écarts de niveau de vie dans les outre-mer aurait mérité une discussion sereine et plus approfondie ; les remarques sur le calendrier de l’élection présidentielle à venir auraient ainsi été évitées.

Le défi à relever aujourd’hui est celui de la persistance de retards nombreux et divers, malgré un nombre important de politiques volontaristes engagées ces dernières décennies ; sans être exhaustif, je peux citer la loi de programme de 1986, la LOOM, la loi d’orientation pour l’outre-mer, ou encore la LODEOM, la loi pour le développement économique des outre-mer.

Ce projet de loi, présenté en conseil des ministres au cours de l’été 2016, fait suite au rapport du député et ancien ministre des outre-mer Victorin Lurel sur l’égalité réelle outre-mer, remis au Premier ministre le 18 mars 2016 et qui a largement inspiré le présent texte. Cependant, comme l’ont souligné tous les rapports des six commissions du Sénat saisies, le texte a fait l’objet d’évolutions substantielles lors des discussions à l’Assemblée nationale, passant de 15 à 116 articles.

Lors de son examen en commissions au Sénat, il a de nouveau fait l’objet de profondes modifications, soit parce qu’elles relevaient du domaine réglementaire et non de la loi, soit parce que le Sénat, fidèle à sa ligne de conduite, s’est prononcé afin de se recentrer sur l’essentiel, notamment en supprimant les trop nombreux rapports votés par l’Assemblée nationale.

La diversité des dispositions du texte reflète bien les différents domaines dans lesquels doit être donnée une dynamique nouvelle, qu’il s’agisse du logement, de la mobilité, de la continuité territoriale, de l’éducation, de la fiscalité, de l’environnement, de l’agriculture, et j’en passe. Dans la plupart de ces domaines, les inégalités et les écarts sont notables, et il y a même parfois urgence à agir. C’est le cas notamment en matière économique. Le PIB moyen par habitant est partout inférieur à celui de l’Hexagone : 31 % pour la Martinique, 38 % pour la Guadeloupe et jusqu’à 73 % pour Mayotte ; à Saint-Martin, en l’absence de statistiques récentes, il est de l’ordre de 45,6 %. Idem pour ce qui concerne le taux de pauvreté, en moyenne deux fois plus important que dans l’Hexagone.

Le taux de chômage est trois fois supérieur dans la plupart des collectivités ultramarines. En matière socio-sanitaire, 24,5 % des ménages perçoivent le RSA socle, contre 4,4 % en métropole ! En matière de logement, d’après le rapport Letchimy, 13 % des logements sont insalubres. Le taux de mortalité infantile est compris entre 4,5 ‰ en Nouvelle-Calédonie et 16,1 ‰ à Mayotte, alors qu’il est de 3,6 ‰ en France hexagonale.

En matière d’éducation, selon les chiffres de la journée défense et citoyenneté, 9,9 % des jeunes sont en difficulté de lecture en France métropolitaine, alors que ce taux varie entre 27,7 % à La Réunion et 74,6 % à Mayotte. Le décrochage scolaire atteint également des sommets intolérables.

Tous ces chiffres constituent des indicateurs révélateurs de précarité. Quel élu accepterait sur son territoire de tels écarts de richesse, de santé ou d’éducation sans être révolté ?

Ainsi, même si ce texte n’est pas parfait et même si des inégalités persistent après son adoption, il constitue indiscutablement une avancée de plus. Toute amélioration est bonne à prendre ! D’ailleurs, notre rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales, Mme Deseyne, a bien cerné la difficulté : « Il semble en effet que l’objectif n’est pas ici d’aboutir à une uniformité complète entre ces territoires et l’hexagone, qui serait de toute façon chimérique, tant ils font face à des enjeux et des situations de développement contrastées. »

C’est donc vers une dynamique de convergence qu’il faut tendre.

Lors des débats, chaque territoire trouvera donc un défenseur en son représentant, qui évoquera ses difficultés propres. Aussi, en ce qui me concerne, j’insisterai particulièrement sur la situation de la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin, que j’ai l’honneur de représenter.

Sans revenir sur le passé et sans trahir la vérité, je peux dire, en présence de Jacques Gillot, ancien président du conseil départemental de la Guadeloupe, que des disparités existaient déjà entre la Guadeloupe et Saint-Martin. Malgré l’évolution institutionnelle que nous avons choisie, la compensation financière intégrale des charges liées au transfert de compétences n’existe toujours pas et, au final, des disparités se sont encore accrues si l’on tient compte des compétences nouvelles ajoutées depuis 2012, là encore sans compensation financière aucune.

De plus, Saint-Martin manque toujours d’équipements structurants, indispensables à son développement économique, tels qu’un port, un aéroport, des routes. Il n’existe pas de structure d’accueil pour les personnes âgées, pour les personnes privées de liberté, en situation de handicap, pour les femmes victimes de violence, il n’y a aucun cursus post-bac pour nos lycéens, et peu ou pas de continuité territoriale…

Le nombre de demandeurs d’emploi est sans cesse en augmentation. Le taux de chômage demeure situé à plus de 30 % ; les jeunes et les femmes sont les plus concernés sur mon territoire : ces dernières représentent près de 60 % des chômeurs.

L’IEDOM souligne également que le secteur du BTP est en difficulté depuis 2009 en raison de la carence de la commande publique, ce qui induit des conséquences sur l’offre de travail.

Pour toutes ces raisons, je prendrai une part active aux débats et je défendrai des amendements visant à améliorer le texte en ce qui concerne, notamment, mon territoire. Certains de ces amendements trouveront un écho favorable, d’autres peut-être moins. Je m’efforcerai de porter des revendications légitimes, tout en étant conscient que ce merveilleux territoire dispose également de réelles potentialités qui ne demandent qu’à s’exprimer, pour que Saint-Martin trouve sa juste place au sein de la République et contribue au rayonnement international de la France.

Il me semble utile de le souligner, je me rends compte avec joie que mes collègues sénateurs sont de plus en plus nombreux à s’intéresser et à connaître les problématiques ultramarines, peut-être aussi grâce au travail de notre délégation à l’outre-mer, sous les présidences de Serge Larcher, puis de Michel Magras.

Le groupe du RDSE, profondément attaché aux droits et libertés fondamentaux, approuvera ce texte en ce qu’il constitue une avancée supplémentaire vers une société davantage faite de justice et d’équilibre entre les territoires. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)